République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 12 mai 2017 à 14h
1re législature - 4e année - 3e session - 14e séance
PL 12031-A
Premier débat
Le président. Nous sommes au PL 12031-A. Le rapport est de Mme Anne Marie von Arx-Vernon à qui je cède la parole.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC), rapporteuse. Merci beaucoup, Monsieur le président. Permettez-moi de prendre quelques instants pour dire combien cette loi est importante. Je tiens aussi à exprimer trois fois des remerciements. Mes remerciements vont d'abord à M. Jean-Marie Voumard qui a accepté de retirer son projet de loi afin de faciliter l'adoption de cette loi à l'unanimité; nous avons fait dans le cadre de la commission un travail extrêmement sérieux, extrêmement respectueux. Mes remerciements vont en deuxième lieu au Conseil d'Etat et à la BTPI, soit la brigade de lutte contre la traite des êtres humains et de la prostitution illicite, qui est une grande première en Suisse. Cette brigade a pris toute la mesure de la gravité de la traite des êtres humains, l'une des formes les plus graves de criminalité contemporaine, et a compris l'absolue nécessité de faire un travail de sensibilisation auprès des travailleurs et des travailleuses du sexe. Cette loi, Mesdames et Messieurs les députés, comporte un élément extrêmement important dans l'article 4, qui est aussi une première en Suisse: préalablement au début de son activité, la personne prostituée doit suivre un cours de sensibilisation obligatoire et gratuit portant sur les droits et les devoirs des personnes exerçant la prostitution, sur leur santé et surtout sur la détection des risques de traite des êtres humains ainsi que sur les structures d'aide auxquelles elles peuvent avoir recours. Troisièmement, Monsieur le président, mes remerciements vont justement à ces associations qui sont là pour aider les victimes de traite des êtres humains, que ce soit évidemment l'association Aspasie qui fait un remarquable travail, SOS Femmes, Boulevards et aussi le Coeur des Grottes.
Je pense qu'il est surtout important que chacune et chacun ait conscience que chaque personne croisée dans la rue qui se prostitue peut être une personne victime de traite des êtres humains. Les cas les plus graves sont ceux qu'on ne voit pas; ce sont des victimes invisibles, parfois enfermées dans des appartements, à 70% victimes d'exploitation de la force de travail et à 30% victimes de traite des êtres humains ! Je le répète: il s'agit d'une des formes les plus graves de criminalité contemporaine, Genève n'est pas à l'abri. Mesdames et Messieurs, vous avez souvent vu dans les bus et dans les trams des informations disant: «vous êtes victime», «vous êtes témoin»; en approuvant ce projet de loi, vous renforcez cette aide aux victimes, vous renforcez aussi l'exercice de la prostitution dans des conditions légales et respectueuses du choix, pour celles et ceux qui ont choisi cette profession. Mais s'agissant de toutes les autres et tous les autres qui ne l'ont pas choisie, eh bien nous pouvons dire que Genève est encore pionnière en la matière, Mesdames et Messieurs, si nous votons cette loi - comme nous l'avons fait à l'unanimité de la commission. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
M. Christian Zaugg (EAG). Monsieur le président, chers collègues, d'entrée je tiens à remercier Mme von Arx de la qualité de son rapport ! Si vous ne l'avez pas lu, je vous invite vraiment à le faire; il est remarquable. Notre groupe soutient sans aucune réserve ce projet de loi et les amendements qui ont été votés et adoptés en commission. Nous ne pouvons en effet qu'appuyer toutes les dispositions relatives à la sensibilisation et à l'information des travailleuses et travailleurs du sexe, et au contrôle des salons tant sur le plan du bail à loyer que des mesures propres à améliorer leur hygiène. Il y a, nonobstant, un domaine où nous considérons que le département n'a pas une appréciation exacte de la situation: je veux parler de la situation financière des salons et de tout ce qui tourne autour de leur exploitation. Car nul besoin de se voiler la face, nombre de prostituées se font exploiter par leurs propriétaires ou par les propriétaires du bail à loyer. Pour mémoire, je rappelle que notre collègue Rémy Pagani avait en son temps déposé une plainte pénale auprès du procureur général pour usure. En effet, les prostituées connaissent la plupart du temps deux régimes: celui d'un prélèvement prohibitif sur leurs prestations ou celui d'un loyer de 100 F par jour et de 50 F par nuit, ce qui représente un loyer mensuel de 4500 F pour un petit espace, souvent sans lumière du jour, qui n'excède généralement pas dix mètres carrés. La norme retenue par l'Etat ne devrait pas excéder 48,5% du revenu des travailleuses et travailleurs du sexe, mais dans les faits, force est de constater qu'on dépasse souvent les 60% ! Il s'agit donc là clairement de proxénétisme, puisque ce mot définit l'action par laquelle on tire profit de la prostitution d'autrui ! Ces chiffres nous ont été donnés, pour information, par Mme Angelina Tibocha, présidente du syndicat des travailleuses et travailleurs du sexe. Ils se fondent sur une pratique et ne sont donc pas sujets à caution. Dont acte. Voilà pour la réalité des faits, c'est dit, afin que le département encadre encore mieux ce travail au demeurant légal. Mais que l'on se rassure, cela ne nous empêchera pas de voter une loi qui informe, éduque et contrôle mieux qu'auparavant les prestations des travailleuses et travailleurs du sexe.
M. Bernhard Riedweg (UDC). La prostitution, qui est un métier comme un autre, est certainement l'un des plus surveillés de l'économie genevoise bien qu'il bénéficie de la liberté économique. Ce projet de loi règle la protection des travailleurs et travailleuses du sexe et l'information au service cantonal de l'ouverture des nouveaux salons, au nombre de 165 à Genève. Il règle les interventions sanitaires et sociales, offre des cours obligatoires de sensibilisation et de prévention gratuits, enregistre les prostituées auprès de la brigade des moeurs, ce qui renforce les contrôles de police et permet de lutter contre l'exploitation des êtres humains. Les femmes et les hommes doivent se signaler comme des indépendants qui paient des impôts, l'AVS et les primes d'assurance-maladie et accident. Les travailleuses du sexe sont protégées par le département, le médecin cantonal, les associations et la police qui a entre autres pour missions de vérifier que les montants demandés pour la location des lieux ne sont pas excessifs et de traquer les salons clandestins. Si deux travailleuses du sexe, voire davantage, exercent dans les mêmes locaux, ceux-ci sont considérés comme un salon. Cela peut aggraver la précarité des prostituées dont la capacité de négociation diminue face aux propriétaires du salon et du bail, ou vis-à-vis de celle qui dispose du permis d'établissement. Tout cela a un effet pervers: le carcan administratif devient de plus en plus compliqué, que l'on se situe du côté de l'Etat avec la loi sur la prostitution ou que l'on soit du côté des personnes qui exercent le métier de prostituée. L'Union démocratique du centre acceptera ce projet de loi. Merci, Monsieur le président.
Mme Lydia Schneider Hausser (S). Mesdames et Messieurs les députés, à l'instar de l'économie qui s'est transformée petit à petit de l'artisanat en un monde industriel, le travail du sexe est passé du monde des indépendantes, exerçant seules ou à deux dans un lieu, à un monde de salons. Avec l'industrialisation, nous avons failli éliminer les artisans - et tant mieux qu'ils n'aient pas été éliminés, on le voit bien; il en est de même ici par rapport au monde de la prostitution. Il faut sauvegarder les statuts des personnes indépendantes face aux salons. La LProst a accompagné cette évolution dès l'arrivée des salons, mais certains diront qu'elle l'a aussi accélérée. La LProst a montré à travers un rapport de la Cour des comptes ses points forts et ses faiblesses. Ce projet de loi reprend ces faiblesses pour faire évoluer positivement le droit en instaurant des cours d'information et en resserrant les conditions de fonctionnement et de contrôle des structures appelées «salons». Le fait de proposer des cours aux travailleurs et travailleuses du sexe lors du «cartage», ou de l'inscription à la police des moeurs, est positif: ces cours accentuent le civisme, la connaissance indispensable des droits et des devoirs, et plaident en faveur de la santé publique pour les professionnels du sexe mais également pour la population globale.
L'innovation ne doit cependant pas nous faire oublier l'histoire et la force de ce qui a fait qu'à Genève l'activité de prostitution est restée pendant très longtemps une activité indépendante, composée de femmes et d'hommes autonomes. Historiquement, les travailleuses du sexe offraient leurs prestations dans des logements privés, souvent partagés entre deux femmes qui habitaient et exerçaient la prostitution dans ce lieu. Pendant des décennies, cela n'a pas posé de problème dans le quartier des Pâquis ni entre les femmes elles-mêmes. Au contraire: être deux permet de partager les frais, mais surtout de ne pas être seule face à la rue et au danger d'une telle activité. L'argument utilisé lors des travaux affirmant que la personne ayant le bail a force de pression, de coercition, sur l'autre constitue à mes yeux une réflexion relativement intellectuelle. Ce n'est en tout cas pas la pratique relatée soit par le syndicat des travailleuses du sexe soit par les associations qui travaillent dans ces milieux. Et même si ce risque existait - et même si ce risque existait ! - hors un ou deux salons, il est totalement insignifiant par rapport à l'exploitation, à l'usure que constituent des loyers de l'ordre de 100 F à 150 F par jour pour un box, comme on l'a dit. Des frais divers viennent s'additionner à cela, les horaires de travail sont imposés - et des horaires relativement démentiels suivant les salons - ainsi que l'obligation de contracter un logement en sous-location en plus du box. Et c'est là, grâce à la LDTR, qu'un contrôle très important des propriétaires de salon doit se faire, lorsqu'ils ont encore des studios à l'extérieur du salon et qu'ils les sous-louent à des prix exorbitants pour que les personnes puissent aller s'y reposer deux ou trois heures par jour ou par nuit, peut-être. Mesdames et Messieurs, le temps et la volonté de rechercher une solution sur cette recommandation de la Cour des comptes, visant à accepter que deux personnes co-louent et travaillent ensemble dans un logement, n'ont pas pu être trouvés pendant les travaux sur ce projet de loi. Cela ne doit pas nous éviter une nouvelle réflexion sur ce sujet, comme l'a d'ailleurs fait Zurich en prévoyant une exception pour cette profession et en laissant les femmes exercer dans des logements plutôt qu'à l'extérieur de la ville. Et surtout, et surtout, je pense qu'il est important pour la suite du processus de ne pas faire du zèle, de ne pas faire une chasse aux prostituées indépendantes, mais bien de traiter ce dossier et les dossiers qui vont dépendre du département de l'aménagement avec clairvoyance, peut-être même avec bienveillance, avec la bienveillance nécessaire. Merci beaucoup. (Applaudissements.)
M. Jean-Marie Voumard (MCG). Je voudrais revenir à l'origine de ce projet de loi qui a mis beaucoup de temps à arriver. Il a eu une très longue gestation, je vous rappelle qu'il date quand même de quelques dizaines de mois. C'était une recommandation de la Cour des comptes ! Elle demandait qu'il y ait une meilleure communication entre le département de M. Maudet et le département de M. Hodgers concernant la modification de la LDTR, et ceci faisait suite à de nombreuses pétitions reçues au sein de ce Grand Conseil pour des dérangements nocturnes de clients allant dans des salons de prostitution. Ce projet de loi est finalement ressorti de cette commission très bien rédigé; la seule chose, pour le groupe MCG, c'est que nous avons tenu compte de la Convention de Lanzarote pour la protection des mineurs. Je regrette par ailleurs que nous ne protégions pas mieux le mineur consommateur, comme il avait été demandé en commission. Mais ça, c'est peut-être une vision d'avenir; les Valaisans l'ont déjà fait, Genève semble en retard. Nous acceptons néanmoins ce projet de loi.
Le président. Merci, Monsieur. Mesdames et Messieurs les députés, la parole n'étant plus demandée, nous allons voter sur cet objet.
Mis aux voix, le projet de loi 12031 est adopté en premier débat par 68 oui et 1 abstention.
La loi 12031 est adoptée article par article en deuxième débat et en troisième débat.
Mise aux voix, la loi 12031 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 72 oui (unanimité des votants).