République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 2 mars 2017 à 8h
1re législature - 3e année - 13e session - 74e séance
R 791-A et objet(s) lié(s)
Débat
La présidente. A présent, l'ordre du jour appelle les objets liés R 791-A et R 812, qui sont classés en catégorie II, trente minutes. La parole va au rapporteur de majorité sur le premier texte, M. François Lance.
M. François Lance (PDC), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente de séance. Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de résolution a été déposée le 8 septembre 2015, au moment où un flux important de réfugiés syriens arrivaient en Europe... (Brouhaha. La présidente agite la cloche.) ...en passant par les Balkans. Dans ses invites, ce texte demandait que le Conseil d'Etat se mette à disposition de la Confédération pour prendre en charge un nombre conséquent de migrants syriens à Genève, que la Confédération mette à disposition la caserne des Vernets et qu'un dispositif soit mis en place entre différentes instances pour accueillir ces personnes avant l'hiver.
Lors du traitement de ce texte fin 2015, la commission des Droits de l'Homme a auditionné M. Poggia, qui nous a communiqué tout ce qui était entrepris pour l'accueil des réfugiés à Genève, y compris les demandes réitérées du Conseil d'Etat au Conseil fédéral pour la mise à disposition de la caserne des Vernets. Le conseiller d'Etat a rappelé que le canton ne pouvait pas intervenir dans certains domaines et que 5,8% des réfugiés arrivant en Suisse étaient attribués à Genève, la plus grande difficulté consistant à leur trouver un logement. Au vu de ces explications, un amendement a été proposé pour remplacer les invites du texte original par les suivantes:
«- à réitérer sa demande auprès de la Confédération en vue de la mise à disposition de la caserne des Vernets ;
- à obtenir auprès de la Confédération l'aide financière nécessaire aux cantons dans le cadre des coûts de l'asile.»
La majorité de la commission des Droits de l'Homme vous recommande d'accepter cette proposition telle qu'amendée en commission, qui permet de soutenir l'engagement du Conseil d'Etat dans l'accueil des réfugiés, en particulier les nombreuses démarches entreprises auprès de la Confédération afin qu'elle mette à disposition la caserne des Vernets en cas d'afflux massif de migrants et octroie une aide financière à Genève pour couvrir les coûts de l'asile.
M. Henry Rappaz (MCG), rapporteur de minorité. Chers collègues, dans la crise migratoire actuelle, il est important d'anticiper avec sagesse et surtout d'agir à bon escient, là où cela s'avère nécessaire. Dans cette enceinte, de nombreux députés se refusent à différencier et s'entêtent à confondre continuellement migrants économiques, requérants d'asile issus de pays sans conflit, faux migrants ou migrants issus de l'aile islamique fichés comme potentiellement dangereux et enfin vrais réfugiés provenant de régions sinistrées et en guerre, qu'il faut absolument aider et secourir, cela s'entend. Nous le savons, la charité ne doit pas constituer un fonds de commerce réservé à certains partis pour se permettre n'importe quoi n'importe comment, comme le suggère cette proposition de résolution d'ailleurs périmée depuis longtemps. Il ne s'agit pas uniquement d'une affaire de coeur, il faut faire preuve de raison pour résoudre le sérieux problème de l'immigration de masse.
Dans votre grande charité, Mesdames et Messieurs, vous voudriez que l'on chasse notre armée de la caserne des Vernets afin d'y loger les demandeurs d'asile venant dans notre ville; que voilà une bien mauvaise idée ! Quoique le Conseil fédéral s'y soit déjà opposé, et la direction de l'armée également, certains partis de gauche et autres groupuscules s'entêtent à poursuivre cette mauvaise idée et à nous faire perdre du temps ici. A cet égard, il faut rappeler que la parcelle des Vernets compte pas moins de sept sites pollués, une pollution liée à des installations spécifiques. Le MCG trouve dès lors fort déplacé et peu réfléchi de vouloir loger des migrants dans un site nocif pour la santé, même si l'armée l'avait autorisé. Pour toutes ces raisons, il faut trouver une autre solution, mais auparavant très vite rejeter cette résolution. Merci, Madame la présidente.
La présidente. Merci, Monsieur le rapporteur de minorité. Je passe la parole à la première signataire de la R 812, Mme Delphine Klopfenstein Broggini.
Mme Delphine Klopfenstein Broggini (Ve). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, dernièrement encore, Amnesty International épinglait la politique d'asile de la Suisse et dénonçait une application trop rigide des accords de Dublin, et elle a largement raison. L'organisation de défense des droits humains relève en effet qu'un renvoi sur deux vers l'Italie se fait depuis la Suisse, qui est le pays d'Europe pratiquant le plus de renvois Dublin devant l'Allemagne. C'est que la Suisse fait une lecture très partielle du règlement Dublin III puisqu'elle exécute beaucoup plus de renvois que les autres pays malgré la proportion généralement moins élevée de demandes d'asile reçues. Ainsi, en 2015, notre pays a procédé à 2461 renvois contre seulement 525 en France, 857 en Norvège et 1954 en Allemagne.
Pourtant, les dispositions légales prévues dans le règlement Dublin permettent de déroger au principe de renvoi du requérant d'asile dans le premier Etat européen foulé, pour des raisons familiales notamment, en rendant possible l'examen de la demande d'asile en Suisse. Je vous lis une partie du préambule du règlement Dublin, qui le stipule très clairement: «[...] le respect de la vie familiale devrait être une considération primordiale pour les Etats membres lors de l'application du présent règlement. [...] Il importe que tout Etat membre puisse déroger aux critères de responsabilité, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion, afin de permettre le rapprochement de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent et examiner une demande de protection internationale introduite sur son territoire ou sur le territoire d'un autre Etat membre, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères obligatoires fixés dans le présent règlement.»
Les dérives actuelles sont graves et portent atteinte à l'intégrité des personnes; la Suisse en porte une lourde responsabilité. Cette proposition de résolution doit être renvoyée en commission afin d'être examinée correctement et dignement grâce à l'éclairage de spécialistes de la question, de hauts commissaires des Nations Unies aux droits de l'homme ou encore d'experts d'Amnesty International. Nous vous recommandons donc de la renvoyer à la commission des Droits de l'Homme de manière à la lier à la motion qui traite du même thème. Je vous remercie.
M. Bertrand Buchs (PDC). Je remercie la commission des Droits de l'Homme qui a étudié cette proposition de résolution dont je suis le premier signataire et qui, à mon sens, est toujours d'actualité. Quand nous l'avons déposée, il s'agissait d'une urgence en raison de l'arrivée massive de réfugiés syriens en Grèce et en Italie, on se demandait ce qu'ils allaient faire, s'ils allaient venir en Suisse. Certes, l'Allemagne a accepté près d'un million de personnes et la Suède en a accueilli beaucoup aussi, mais il y avait urgence car on manquait d'endroits pour héberger ces gens à Genève. De toute façon, notre canton doit recevoir environ 6% des réfugiés débarquant en Suisse, et si leur nombre augmente, ce pourcentage augmentera également.
La problématique de la caserne des Vernets est importante et revient sans cesse sur le tapis - M. Poggia nous a dit qu'il avait demandé plusieurs fois à Berne de pouvoir l'utiliser pour accueillir des migrants, en vain. Dernièrement aussi, lors des négociations sur Chypre et la Syrie, on a demandé de pouvoir y loger tout bêtement les nombreux policiers venus d'autres cantons en renfort, mais non, ils ont été placés dans des abris antiatomiques, on ne pouvait pas les mettre à la caserne des Vernets. Il y a un problème avec cette caserne ! Je rappelle au MCG que ses murs... (Brouhaha. La présidente agite la cloche.) ...appartiennent au canton de Genève et que les seuls locaux qui ne lui appartiennent pas sont les bureaux du commandant de l'école de recrues et du médecin de la caserne; le reste appartient au canton de Genève qui ne peut pas utiliser ses propres locaux, c'est absolument scandaleux !
On devrait pouvoir, quand on en a besoin, utiliser cette caserne, donc il est important que cette résolution soit votée pour que ce problème soit réglé une bonne fois pour toutes, on doit soutenir le Conseil d'Etat qui ne cesse de demander à Berne l'autorisation d'utiliser cette caserne mais à qui on répond toujours que ce n'est pas possible. Cette caserne est tout le temps vide, c'est un scandale ! Ça signifie qu'en cas de besoin urgent de loger des gens - on en a parlé la semaine dernière - il n'y a rien du tout, alors on doit édicter des règlements pour que les communes soient obligées de mettre des locaux à disposition... Tout ça alors qu'on aurait des locaux disponibles jusqu'à ce qu'ils soient détruits et qu'on y construise des logements. Ça suffit maintenant, il faut exiger de Berne que la caserne des Vernets soit mise à disposition du canton pour y loger des réfugiés en cas de besoin, c'est le premier des problèmes donc je vous demande de voter cette résolution.
Quant à la proposition de résolution des Verts, nous allons accepter son renvoi en commission parce qu'il est important de discuter de l'application du règlement Dublin, qui est à notre sens mal exécuté s'agissant des familles. En effet, on doit pouvoir engager une réflexion sur cette question car il est pour nous inacceptable de séparer les membres d'une même famille en permettant aux mineurs de rester mais en renvoyant des majeurs, comme on a pu le voir dernièrement. La Suisse doit faire un effort et cesser, parce qu'elle n'est pas capable de traiter chaque cas particulier, d'appliquer le règlement Dublin de façon unilatérale. Tous les cas ne sont pas les mêmes, il n'y a que des cas particuliers, surtout concernant les réfugiés. Par conséquent, nous allons soutenir le renvoi en commission. Je vous remercie.
M. Yves de Matteis (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, une très large majorité de la commission des Droits de l'Homme a approuvé la R 791. Sur un plan purement formel, une résolution constitue assurément l'instrument le plus adéquat pour soutenir le Conseil d'Etat dans ses démarches et réitérer ses demandes auprès de la Confédération en vue de la mise à disposition de la caserne des Vernets, ceci afin que notre canton puisse accueillir les réfugiés fuyant les conflits, et le texte mentionne explicitement la situation catastrophique des migrants en provenance de Syrie.
Pour ce qui est du fond, je crois que les images qu'on peut voir dans les médias et sur les réseaux sociaux parlent d'elles-mêmes: bâtiments dévastés, immeubles effondrés comme des châteaux de cartes, rues éventrées. Ces images comme celles de la ville d'Alep montrent qu'il est impossible pour ses résidents de continuer à vivre - ou plutôt à survivre - dans ces paysages dignes de films de science-fiction - il s'agit malheureusement d'une réalité bien concrète, à moins d'une heure de vol de Chypre et pas très loin des rivages de la mer Méditerranée où nous passons nos vacances d'été. Les débats que nous avons menés en commission nous ont convaincus - ou du moins la majorité des commissaires - que cette résolution ne pouvait avoir qu'une influence positive afin que le canton de Genève puisse mieux accueillir les réfugiés, notamment syriens.
Jusqu'à peu encore, certains requérants d'asile, il faut le rappeler, étaient logés dans des sous-sols d'abris antiatomiques, ce qui est difficile à vivre, notamment pour les familles. On peut espérer que le Vaudois Guy Parmelin, qui remplace depuis une année son homologue zurichois Ueli Maurer à la tête du Département fédéral de la défense, aura une oreille plus attentive voire plus favorable à la demande de notre parlement si cette résolution était votée. Selon les chiffres qui ont été avancés, la caserne des Vernets contiendrait environ 500 places d'hébergement, sachant que de nombreux aménagements sont déjà disponibles comme le chauffage, les douches et autres installations sanitaires. Comme l'a déclaré le conseiller d'Etat Mauro Poggia, cette solution pourrait amener une bouffée d'air bienvenue au canton.
Pour toutes ces raisons, nous vous demandons d'approuver cette résolution, laquelle a été renvoyée en commission le 18 septembre 2015, c'est-à-dire il y a bientôt une année et demie. Faisons en sorte que cette résolution confirme la réputation de Genève en tant que capitale des droits humains et du droit humanitaire et ville dépositaire des Conventions de Genève. Je vous encourage donc, Mesdames et Messieurs, à voter en sa faveur. Merci, Madame la présidente de séance.
M. Pierre Conne (PLR). Je m'exprimerai sur le premier objet, soit la proposition de résolution 791 pour un accueil immédiat des réfugiés venant de Syrie, que le groupe PLR votera. J'aimerais juste reprendre brièvement quelques éléments historiques s'agissant de ce texte déposé en septembre 2015. De l'eau ayant coulé sous les ponts et la situation ayant évolué depuis sa date de dépôt, la commission des Droits de l'Homme a voté un amendement général tenant compte du fait que le Conseil d'Etat était déjà intervenu, mais sans succès, auprès de la Confédération pour demander l'autorisation d'utiliser provisoirement la caserne des Vernets. D'où le nouveau libellé suivant: «à réitérer sa demande auprès de la Confédération en vue de la mise à disposition de la caserne des Vernets». Cela nous semble aujourd'hui approprié compte tenu de notre difficulté - la presse s'en faisait l'écho encore récemment - à offrir des lieux d'accueil aux réfugiés, notamment en provenance de Syrie.
La deuxième invite tient compte de la pression que la Confédération fait subir aux cantons s'agissant des quotas non négociables qui contraignent les cantons à accueillir un certain nombre de réfugiés. Là aussi, Genève a besoin d'un meilleur soutien financier de la part de Berne pour pouvoir effectuer correctement ce travail. Les deux invites amendées répondent à ces impératifs, et c'est la raison pour laquelle nous vous invitons à voter cette résolution. Je vous remercie.
M. Alexandre de Senarclens (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, je m'exprimerai exclusivement sur la R 812 pour une application digne et humaine de la politique d'asile. J'aimerais tout d'abord rappeler que le PLR est fortement attaché à notre tradition humanitaire, nous devons faire face à nos responsabilités en accueillant ceux qui sont persécutés dans leur pays pour des raisons religieuses, politiques ou ethniques. Genève, il est important de le rappeler, est la patrie d'Henry Dunant, du CICR et, par conséquent, du droit humanitaire. Nous accueillons sur notre territoire le HCR et le siège de l'ONU, et notre histoire a toujours été marquée par l'accueil des persécutés, qu'il s'agisse des protestants huguenots, des protestants italiens, des Hongrois en 1956 ou des Kosovars plus récemment. Ainsi, au PLR, nous défendrons toujours cette tradition d'accueil, elle-même ancrée dans notre politique d'asile.
Le PLR est également convaincu que la question de l'asile ne peut se traiter seule; la migration induite par la pauvreté, les guerres ou les changements climatiques est une problématique globale, qui doit être abordée au sein de la communauté internationale. A ce titre, le PLR est favorable aux accords de Dublin qui concernent l'Union européenne et un certain nombre de pays tiers, dont la Suisse. Certes, ces accords sont perfectibles, mais ils sont surtout essentiels pour la Suisse et plus généralement pour le continent européen.
Si le PLR soutient ces accords, l'application qui en est faite par le Secrétariat d'Etat aux migrations sous la direction de la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga peut - je n'entrerai pas dans les détails des cas d'espèce - être sujette à critique, notamment lorsqu'elle a pour effet de séparer des familles. Aussi, le PLR approuve les invites de la résolution demandant que les autorités fédérales, seules habilitées à appliquer ce traité, utilisent tout le pouvoir discrétionnaire que leur offrent les accords de Dublin et singulièrement son règlement pour prendre les décisions les plus justes et humaines possible, surtout lorsqu'elles concernent des familles. Pour ces motifs, Madame la présidente, le groupe PLR soutiendra cette résolution. Je vous remercie.
Mme Caroline Marti (S). Amanuel G., père de famille érythréen, renvoyé en Italie loin de sa femme, qui plus est enceinte, et de ses enfants; Walat, Hazna et Slava Musa, renvoyés en Croatie loin de leur frère cadet et de leurs oncle et tante; Aman Nesur, érythréen, souffrant de troubles psychiatriques suite à des actes de torture qu'il a subis, renvoyé en Italie loin de sa seule famille, son frère qui habite Genève; la famille Krasniqi, renvoyée au Kosovo en pleine année scolaire et qui vit aujourd'hui cloîtrée parce que persécutée: voilà à quoi conduit une application aveugle du règlement Dublin.
La politique d'asile menée à l'heure actuelle par le Conseil d'Etat conduit à des drames humains parfaitement inacceptables, en particulier dans notre ville qui est dépositaire des Conventions de Genève. C'est d'autant plus inacceptable que le Conseil d'Etat dispose d'une certaine marge de manoeuvre pour une application plus humaine et plus digne du droit d'asile, ainsi que l'a rappelé Mme Klopfenstein Broggini, puisque le règlement Dublin permet de déroger à certains renvois dans le premier Etat européen foulé, notamment pour des raisons de regroupement familial. En prétendant le contraire, Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat se cache derrière une façade pour appliquer de façon aveugle et bureaucratique sa vision de la politique d'asile selon des règles abstraites sans égard pour certaines familles et les situations particulières dans lesquelles elles vivent. Il s'agit de personnes qui ont fui leur pays, des conflits armés, des guerres, des circonstances extrêmement difficiles, qui ont vécu des expériences douloureuses, souvent avec leurs enfants; aujourd'hui, on doit pouvoir tenir compte des parcours spécifiques dans l'évaluation de chaque situation.
J'aimerais encore souligner - et je terminerai par là - l'hypocrisie de l'application que fait la Suisse du règlement Dublin. En effet, je ne sais pas si vous l'avez remarqué mais, géographiquement, la Suisse se trouve bien planquée tout au centre de l'Europe et, forcément, les migrants et les requérants d'asile qui arriveraient directement chez nous sont peu nombreux; il est très probable qu'ils transitent par d'autres pays avant le nôtre. Aussi, renvoyer systématiquement les réfugiés vers le premier Etat foulé, c'est se déresponsabiliser face à notre devoir d'accueil. Je pense que Genève doit porter ce message à Berne et lui demander de reconsidérer quelque peu sa politique d'asile extrêmement stricte. Je vous remercie beaucoup. (Quelques applaudissements.)
M. François Baertschi (MCG). Voilà l'exemple type d'une proposition de résolution qui court après l'actualité mais qui a été largement dépassée par une situation très mouvante, par cet «Orient compliqué» dont parlait Charles de Gaulle et qui ne correspond pas tout à fait à la manière de penser au sein de notre beau parlement genevois.
Je tiens à rappeler un élément - c'est une parenthèse mais je crois qu'il est important de l'ouvrir: il fut une époque pas si lointaine - ça date quand même d'il y a trois ou quatre ans, sauf erreur - où l'un des membres du parti qui a déposé la proposition de résolution avait été critiqué parce qu'il soutenait Bachar el-Assad et son régime, ceux-ci protégeant des communautés chrétiennes - lui-même est issu de cette communauté. Il avait été tancé, on lui avait demandé de changer d'optique, d'effectuer une sorte de repentance sur ce sujet; puis on s'est rendu compte qu'il n'avait peut-être pas si tort que ça ! Je pense qu'il faut faire très attention à ne pas entrer dans certaines logiques qui nous dépassent en adoptant une façon de penser inconsidérée selon laquelle le monde entier peut être géré depuis Genève et il suffit que le parlement fasse certaines demandes pour que tout se passe comme des noix sur un bâton, pour que tout s'arrange.
Ce texte est assez bizarre, parce que l'intitulé ne correspond pas du tout aux invites. Les considérants sont très clairs: on demande un accueil immédiat des réfugiés venant de Syrie; mais quand on lit les invites, c'est quelque chose de beaucoup plus modéré qui correspond en fait à ce que tente de faire le Conseil d'Etat actuellement en matière d'accueil des réfugiés puisqu'il dispose tout de même d'une certaine marge de manoeuvre - même si elle n'est pas si grande que ça. Si on se plonge dans les considérants, on relève quelque chose d'excessif, qui a peut-être été rédigé sous le coup de l'émotion et est aujourd'hui un peu daté; quant aux invites, elles sont plus raisonnables mais sont déjà mises en pratique à l'heure actuelle. Au final, le MCG demeure partagé et pantois, et nous allons donc nous abstenir tout en laissant la liberté à l'un ou l'autre d'adopter une position différente.
Présidence de M. Jean-Marc Guinchard, président
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, M. Baertschi vient de dire que la R 791 court après l'actualité; je rétorquerai que ce n'est pas tant cette proposition de résolution qui court après l'actualité que notre parlement qui peine à faire face avec diligence à des problèmes d'actualité. Cela étant dit, notre groupe soutiendra ces deux textes, tout d'abord la R 812 parce que nous sommes formellement opposés aux accords de Dublin. Il a été dit très clairement tout à l'heure que la Suisse est un pays qui fait montre d'un zèle particulier et expulse un nombre extrêmement important de personnes alors qu'une marge de manoeuvre dans les accords de Dublin permettrait de les appliquer de manière moins inhumaine. Or le Conseil d'Etat n'a pas saisi cette opportunité, ce que nous condamnons. C'est pourquoi nous soutiendrons cette résolution et sommes prêts à la renvoyer en commission le cas échéant; elle aurait tout à fait pu être renvoyée à la commission des affaires sociales, mais nous ne nous opposerons pas à son renvoi à la commission des Droits de l'Homme.
En ce qui concerne la R 791, favoriser toute alternative permettant de faire face aux besoins d'accueil en matière de requérants d'asile nous paraît non seulement une nécessité, mais également un devoir que nous vous encourageons à assumer pleinement sur le plan politique. Utiliser la caserne des Vernets dans ce but, oui ! A cet égard, on a entendu des choses contradictoires, par exemple qu'il valait mieux y loger nos soldats plutôt que des requérants d'asile - on peut se demander quelle est la priorité qui, en l'occurrence, devrait être respectée - ou encore que le site était pollué et qu'on ne pouvait donc pas y loger des réfugiés - mais tant qu'à faire, autant y mettre des soldats ! Tout ça est particulièrement contradictoire.
Quant à dire, parce que c'est l'une des conclusions du rapporteur de minorité, que les requérants d'asile venant de Syrie sont des gens relativement à l'aise et qu'il s'agirait plutôt de réfugiés économiques, cela relève d'une méconnaissance dramatique de la situation réelle dans ce pays. J'entends dire que ces gens peuvent se payer des passeurs; vous savez très bien qu'ils empruntent jusqu'à la ruine, que les familles donnent tout ce qu'elles possèdent simplement pour sauver l'un de leurs membres. Venir dire ici qu'il s'agit d'asile économique est non seulement irrespectueux de ces personnes mais aussi, si vous le permettez, Monsieur le président, stupide. Pour tous ces motifs, nous soutiendrons cette résolution ainsi que la précédente. Je vous remercie de votre attention.
M. Marc Falquet (UDC). Mesdames et Messieurs, vous connaissez la position de l'UDC en matière d'asile. Concernant la caserne des Vernets, je vous rappelle que deux écoles de sauvetage l'occupent - le sauvetage permet de protéger la population locale ! - ainsi que des écoles d'officiers, donc il ne faut pas dire que la caserne est vide la majeure partie de l'année, c'est faux. Il faut juste savoir quelle priorité on lui donne; pour ma part, j'estime qu'une infrastructure à Genève est très importante pour défendre la population.
S'agissant de la Syrie, je ne sais pas si vous avez lu cet article dans les journaux il y a quelques mois, mais un religieux qui oeuvre à la défense des civils dans un camp de réfugiés à la frontière de la Syrie a expliqué la situation. Qu'est-ce qu'il a dit ? Que ce sont les minorités, et principalement les communautés chrétiennes, qui sont persécutées en Syrie. Mais est-ce que les chrétiens viennent ici ? Non, il a bien expliqué que les chrétiens ne viennent pas en Europe, ils restent à proximité de la Syrie en attendant que la situation s'améliore pour retourner dans leur pays. Il nous a aussi expliqué qu'en cas de guerre, il est exclu de laisser partir une personne avec de l'argent. Il est exclu de laisser partir une personne avec de l'argent ! Quelqu'un qui arriverait en Suisse avec de l'argent n'est plus un réfugié de guerre, c'est clair, il se trouve déjà dans un pays sûr. La situation en Syrie n'est donc plus une urgence à nos yeux, on a vu que les choses ont été organisées de manière massive. Merci.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député, et donne la parole à M. Cyril Mizrahi pour une minute.
M. Cyril Mizrahi (S). Merci, Monsieur le président. J'aimerais brièvement intervenir sur le texte concernant l'accueil des réfugiés syriens en citant quelques chiffres - même si, normalement, ce n'est pas moi le spécialiste des chiffres ! En Syrie, une personne sur cinq a fui le pays, et la moitié de ces réfugiés ont été accueillis en Turquie. Les pays limitrophes déploient des efforts d'accueil colossaux et, au groupe socialiste, nous pensons que Genève et la Suisse doivent aussi assumer leur part de responsabilités.
Sur les bancs d'en face, on utilise divers prétextes pour justifier le fait de ne pas accueillir ces personnes, on nous dit par exemple que nous confondons réfugiés de pays en guerre et migrants économiques; mais de qui parle-t-on ici ? On parle de gens fuyant un pays qui connaît un conflit extrêmement grave au regard non seulement des effets de la guerre mais également des violations des droits humains, que ce soit dans les zones contrôlées par l'Etat islamique ou celles sous la coupe des forces gouvernementales.
Il ne s'agit pas pour Genève, comme l'a dit le collègue du MCG, de gérer l'ensemble de la planète mais juste que nous assumions nos responsabilités dans le domaine de l'accueil. Alors voilà, cessons l'hypocrisie, nous avons ici l'occasion de soutenir un effort qui a semble-t-il déjà été initié par le Conseil d'Etat afin d'accueillir une partie des réfugiés à Genève, donc soutenons-le et adoptons cette résolution, ainsi que l'a fait la majorité de la commission. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole revient désormais à Mme Anne Marie von Arx-Vernon, qui dispose d'une minute trente.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Merci, Monsieur le président. Permettez-moi, Mesdames et Messieurs, de revenir sur la R 812 évoquée par mon collègue tout à l'heure. Pour le parti démocrate-chrétien, il est possible, tout en respectant la loi, d'appliquer le règlement Dublin et notamment son article 17, afin de ne pas envoyer la police exécuter le renvoi de familles, de jeunes majeurs, de malades, de femmes avec enfant gravement traumatisées ou encore de personnes ayant de la famille à Genève prête à les entretenir, à assumer leur prise en charge financière - nous avons d'ailleurs signé la pétition pour que cesse l'application aveugle et absurde du règlement Dublin à Genève.
Nous savons que la Hongrie, la Bulgarie, la Croatie et même l'Italie ne disposent pas d'infrastructures dignes d'assumer l'accueil et l'accompagnement de requérants d'asile vulnérables. Souvent, ceux-ci deviennent victimes de la traite des êtres humains...
Le président. Il vous reste trente secondes, Madame la députée.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon. Bien sûr, Monsieur le président ! Nous savons qu'il est possible de demander au SEM de traiter ces situations douloureuses au cas par cas. En adoptant cette résolution et en la renvoyant au Conseil d'Etat, nous soutenons notre gouvernement dans ses négociations avec Berne. Je vous remercie.
Le président. Merci, Madame la députée. Monsieur Stauffer, vous avez la parole pour deux minutes.
M. Eric Stauffer (HP). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, je suis déjà intervenu sur la problématique des réfugiés et des crises migratoires liées à ce qui se passe en Syrie, en Afrique et j'en passe. Je l'ai dit, je ne veux pas entrer dans cette spirale où les Ponce Pilate se multiplient comme des petits pains de Jérusalem et où tout le monde s'en lave les mains. Que ce soit le Conseil fédéral ou l'Union européenne, Mesdames et Messieurs, tout le monde s'en lave les mains, nous baignons dans une hypocrisie totale.
Ce qui se passe en Syrie est tout simplement inacceptable, inadmissible, c'est un drame humain quotidien: un criminel de guerre massacre des populations et la communauté internationale ne fait rien ! Ces gens sont corrompus, ils ont mis leur population dans une précarité extrême, et la communauté internationale ne fait rien ! Aujourd'hui, vous vous apprêtez à voter ces deux résolutions non pas par compassion mais pour vous donner bonne conscience. Parce que les vrais responsables sont le Conseil fédéral et les dirigeants de l'Europe qui ne veulent pas voir ce qui se passe dans ces pays en guerre. Pourquoi ? Parce qu'il y a un lobby derrière, celui des armes, on parle d'argent: les Russes entrent dans le jeu et tout va bien, le commerce fonctionne !
Ceux qui s'apprêtent à voter ces deux textes sont les nouveaux Ponce Pilate de 2017. En effet, vous vous imaginez vraiment que nous, parlement genevois, allons demander à Berne de nous mettre à disposition une caserne pour accueillir les réfugiés ? Mais de qui se moque-t-on dans cette république ? Les autorités fédérales...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Eric Stauffer. ...ne seraient donc pas assez intelligentes pour débloquer elles-mêmes la caserne pour les réfugiés ? Non, ce sont les Ponce Pilate de 2017 qui le font ! Alors, Mesdames et Messieurs, je n'entrerai pas dans ce jeu; le problème des flux migratoires est à régler à la base, pas en bout de chaîne. Je m'opposerai à ces deux textes.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je cède la parole à Mme Delphine Klopfenstein Broggini pour une minute quarante.
Mme Delphine Klopfenstein Broggini (Ve). Merci, Monsieur le président. Au vu des différents avis exprimés, il serait préférable de renvoyer la R 812 directement au Conseil d'Etat. En ce sens, je souhaite retirer ma demande de renvoi à la commission des Droits de l'Homme et je vous en remercie.
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. le député Alexandre de Senarclens pour trente secondes.
M. Alexandre de Senarclens (PLR). Merci, Monsieur le président. Je voudrais juste réagir à l'intervention de la députée Caroline Marti: jusque-là, le débat se passait bien, sans aucune polémique politicienne inutile, et voilà qu'on revient avec les critiques des décisions de renvoi des autorités genevoises. Ces critiques sont totalement infondées, et il convient de rappeler que pour Genève, le Conseil d'Etat ne constitue qu'une autorité d'application d'une décision fédérale du Secrétariat d'Etat aux migrations, qui est souvent validée par l'une des plus hautes instances du pays, à savoir le Tribunal administratif fédéral. Le Conseil d'Etat, lorsqu'il applique une décision de ces instances, ne fait que respecter la loi et la Constitution...
Le président. C'est terminé, Monsieur le député.
M. Alexandre de Senarclens. Laisser des personnes ici est non seulement illégal mais également inhumain car ils n'auraient aucune chance de s'intégrer. Merci, Monsieur le président.
Le président. Merci. Monsieur Falquet, vous disposez encore de deux minutes de parole.
M. Marc Falquet (UDC). Merci, Monsieur le président. Concernant les responsabilités, il ne faut pas oublier que c'est l'OTAN qui va bombarder là-bas, de quoi nous mêlons-nous ? Les généraux de l'OTAN viennent inspecter les troupes en Suisse, généralement de manière très discrète. Si nous ne sommes pas officiellement membres de l'OTAN, dans les faits, nous en faisons partie ! Il faudrait en réalité dénoncer l'OTAN et cette politique consistant à aller bombarder la Syrie. La Syrie ne se bombarde pas toute seule, il faut arrêter de dire des âneries !
S'agissant de la proposition de résolution... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...pour un accueil digne des demandeurs d'asile, on est tout à fait d'accord de les recevoir dignement ! Si vous allez en Arabie saoudite, vous êtes accueillis dignement, mais si on vous coupe le bras ou la main lorsque vous faites une infraction, vous allez éviter d'en commettre ! Ce qu'il faut en Suisse, c'est que les choses soient claires, et elles le sont: les requérants d'asile qui viennent chez nous savent déjà, via les communautés habitant ici, comment procéder pour se faire accepter, ils connaissent les règles. Il faut donc simplement appliquer les règles de manière claire et pas une fois sur deux, il ne faut pas que ce soit une fois noir et une fois blanc, faute de quoi il y aura des manifestations. Je le répète: il faut être clair politiquement, c'est tout. Merci.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député, et passe la parole au rapporteur de minorité, M. Henry Rappaz, pour une minute quarante.
M. Henry Rappaz (MCG), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je constate qu'il y a beaucoup de sourds et de malentendants dans cette enceinte ! (Commentaires.) Quand on pense à la situation conflictuelle dans laquelle se trouve l'Europe... Et on voudrait supprimer à notre armée sa caserne ? Je trouve que vous êtes très légers. Voilà la première chose que je voulais dire, je n'évoquerai pas les babouches et autres, simplement la situation actuelle.
Ensuite, M. le conseiller d'Etat a déjà tout mis en oeuvre à Berne et Genève pour essayer de régler cette situation, tout est en marche et vous vous obstinez à perdre une heure pour discuter d'une résolution qui va sans doute être acceptée mais qui ne sert à rien du tout ? Je suis vraiment très triste de voir la façon dont vous travaillez ici. Je vous remercie, Monsieur le président.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de minorité. La parole revient pour une minute à M. François Lance, rapporteur de majorité.
M. François Lance (PDC), rapporteur de majorité. Oui, merci, Monsieur le président. Comme cela a déjà été dit à plusieurs reprises, les invites de la R 791 ont été modifiées compte tenu de l'évolution de l'actualité et des explications de M. Poggia. Pour la majorité de la commission, cette résolution constitue une forme de soutien à la politique d'accueil des réfugiés du Conseil d'Etat, en particulier du conseiller d'Etat MCG M. Poggia. C'est pourquoi je vous invite, Mesdames et Messieurs, à voter cette résolution.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons au vote sur la proposition de résolution 791...
M. Eric Stauffer. Vote nominal !
Le président. Est-ce que vous êtes suivi ? (Plusieurs mains se lèvent.) Oui, manifestement. Nous sommes donc en procédure de vote nominal sur la prise en considération de la proposition de résolution 791 telle que modifiée en commission.
Mise aux voix, la résolution 791 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 58 oui contre 15 non et 13 abstentions (vote nominal).
Le président. S'agissant de la proposition de résolution 812, nous avons été saisis d'une demande de renvoi à la commission des Droits de l'Homme...
Des voix. Non, non !
D'autres voix. Elle a été retirée ! (Commentaires.)
Le président. Excusez-moi, Madame Klopfenstein Broggini, vous avez retiré votre requête ? (Remarque.) Très bien, merci. Dans ce cas, je prie l'assemblée de se prononcer sur le renvoi de cet objet au Conseil d'Etat.
Mise aux voix, la résolution 812 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 60 oui contre 27 non et 1 abstention. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)