République et canton de Genève

Grand Conseil

Discours du procureur général

Discours du procureur général

(Un huissier du Pouvoir judiciaire accompagne le procureur général au micro et se tient à côté de lui pendant l'allocution.)

M. Daniel Zappelli, procureur général. Madame la présidente du Grand Conseil,

Mesdames et Messieurs les représentants des autorités,

Chères concitoyennes, chers concitoyens,

Légitimité

Pour la quatrième fois d'affilée de notre histoire récente, les citoyennes et citoyens de Genève ont été amenés à se prononcer dans le cadre d'une élection judiciaire. Par une participation unique dans son ampleur pour ce genre d'élections, la population a très clairement exprimé l'intérêt qu'elle porte à la justice, à sa justice.

D'aucuns, du fait d'une certaine rugosité électorale, ont exprimé ci et là qu'il faudrait modifier le mode d'élection des juges et retirer au peuple ce pouvoir qui est sien. Je reste persuadé du contraire. Ne confondons pas le principe et la manière de l'appliquer. Si, à la manière, il est exact que la campagne doit être la plus courtoise et digne possible, le principe même de l'élection par le peuple doit demeurer intangible, tant il est vrai que les pouvoirs de l'Etat doivent recueillir leur légitimité à la même source, celle de l'élection populaire en tant que de besoin.

C'est à ce prix que le Pouvoir judiciaire pourra réellement être indépendant. Et c'est à cette aune-ci que les pouvoirs pourront être réellement égaux, et ainsi mieux servir les citoyennes et citoyens.

Politique criminelle

Je suis très attaché à notre ville et à notre canton. Je suis très fier d'être le procureur général d'une ville internationale, multiculturelle, à la fois centre financier pluricentenaire et dépositaire de la charte des droits de l'Homme. Je suis fier de la réputation de Genève et j'entends faire tout ce qui est en mon pouvoir pour la préserver.

Le sentiment d'injustice est atteint à chaque fois que la délinquance et la criminalité, que l'égoïsme et le lucre s'attaquent aux habitants de notre canton. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour préserver nos citoyennes et citoyens du fléau de la criminalité, petite ou grande, et rappeler à chacun que la force est un monopole de l'Etat.

Toutes les infractions doivent être poursuivies, en application du serment que les magistrats viennent de prêter. Toutefois, la société évolue et les formes de criminalité aussi. Certaines priorités dans l'exercice de l'action publique doivent périodiquement être mises en exergue; c'est le lieu de le faire aujourd'hui.

Une société juste et démocratique a pour corollaire l'accès universel au domaine public. Or force est d'admettre que les habitantes et habitants de la ville de Genève renoncent de plus en plus souvent à fréquenter certains lieux publics de la cité, voire même à sortir le soir. Je n'admettrai jamais que la cité ou d'autres agglomérations du canton comportent des zones de non-droit, à l'image de coupe-gorge moyenâgeux. Des endroits comme la gare, les Pâquis ou les Eaux-Vives commencent à devenir interdits à nos citoyens. Les habitantes et habitants de ces quartiers voient leurs conditions de vie décliner avec l'accroissement de la présence des dealers. Le sentiment d'insécurité croît en eux.

C'est pourquoi il s'impose de renforcer la lutte contre le trafic de drogue et contre les agressions dans l'espace public. J'ai à cet égard instruit Mme la cheffe de la police de me présenter un plan concret de lutte contre le trafic de drogue. Le plan précité devra être mis en oeuvre dès la fin de l'Euro 2008 et je veux que la police en soit l'élément charnière. Il faut pour cela que des moyens suffisants soient donnés aux forces de l'ordre et que tous les acteurs étatiques les soutiennent afin de pleinement les légitimer.

La lutte contre le fléau du trafic des stupéfiants doit ainsi être aussi globale que les réseaux criminels sont pour leur part ramifiés. Ne s'attaquer qu'à une catégorie d'acteurs déterminés du marché des stupéfiants constituerait une action incomplète et donc inefficace. Il convient ainsi en priorité d'assurer une présence policière accrue sur le terrain et de pratiquer un légitime et systématique harcèlement des trafiquants permettant à la justice de mieux les sanctionner. Grâce à ce point de départ, l'on combattra le trafic de rue et l'on se donnera les moyens de parvenir au démantèlement des réseaux et de leur financement.

La sécurité de la rue passe également par une entraide accrue avec la justice et la police françaises. Le bassin géographique franco-genevois ne connaît de frontières que pour les juges et les citoyens, mais guère pour les criminels et les délinquants. Or certains rapports qui me sont parvenus laissent craindre que la politique criminelle française, par le biais de nouvelles lois en matière de peines planchers pour récidivistes, est suffisamment dissuasive pour inciter certains criminels et délinquants à quitter la France pour se rendre en Suisse. Nous devons être prêts à affronter avec rigueur un tel éventuel afflux.

Autre axe de ma politique criminelle: la lutte contre les violences domestiques et le désastre humain et social que ce type de délits engendre. Il n'est pas inutile de rappeler que depuis quelques années ce type d'actes se poursuit d'office et que plusieurs cantons, dont Genève, ont en plus prévu des lois d'éloignement immédiat de l'auteur. Je constate que dans ce domaine particulier la protection des victimes comme la punition ou la thérapie des auteurs ne fonctionnent qu'imparfaitement. Il est temps de se donner les moyens d'une réforme simple mais pragmatique qui devra être menée sous l'égide de nos pouvoirs respectifs, ce dans la perspective d'une efficacité renforcée.

Finalement, j'entends poursuivre et accroître l'action de la justice et de la police dans les domaines suivants:

-en matière de répression de la criminalité économique, dans la mesure où la crédibilité de la place financière genevoise repose sur la capacité à sanctionner les auteurs de ce type d'infractions, qui souvent abusent de la grande confiance que leurs clients placent justement en eux;

-en matière de criminalité routière, parce que j'entends continuer à adhérer à la tendance européenne actuelle qui soutient que les conducteurs auteurs de certains comportements graves ne doivent plus bénéficier de l'élément atténuant de la négligence mais doivent répondre de leurs actes commis volontairement.

-en matière d'agressions physiques - dont sexuelles - engendrant des lésions corporelles graves ou des dommages psychiques, car la négation de l'autre commence par la violation de son intégrité physique ou intime.

La justice doit être rigoureuse avec ceux qui violent la loi. Rigoureuse, certes, et humaine aussi. La justice se doit d'être humaine dans le traitement réservé à ceux qui sont sanctionnés, et ce pour peu que l'amendement de ces derniers soit sincère et que la volonté de réparation de la faute soit réelle. La justice doit être humaine et protectrice en ce sens qu'elle doit se préoccuper du sort et des souffrances des victimes en apprenant à mieux écouter celles-ci et en expliquant mieux ses décisions.

La justice ne doit jamais être exemplative, car l'on juge un homme ou une femme à travers ses actes et non sur le socle friable de la vindicte populaire. Le difficile exercice de justice est réalisé au quotidien par tous les magistrats qui oeuvrent en pleine indépendance au sein du Pouvoir judiciaire: qu'ils soient remerciés et honorés pour leur dévouement aujourd'hui.

Une justice proche des justiciables

J'ai toujours abhorré l'image d'une justice hautaine qui évolue au sein d'une tour d'ivoire capitonnée, rendue par les membres d'une caste inaccessible et dont les décisions se doivent d'être inintelligibles pour être crédibles. La justice ne peut être cela car, si elle est certes un pouvoir, elle doit être le pouvoir de la sagesse et de l'écoute. La justice n'oublie jamais qu'elle existe par et pour les citoyennes et les citoyens. Y parvient-elle toujours ? Sans doute non, mais la remise en question du fonctionnement du Pouvoir judiciaire doit être permanente; le Pouvoir judiciaire doit savoir s'inscrire, quand il le faut et avec la rigueur qui est la sienne, dans une dynamique de transformation qui se distingue clairement de la rigidité sclérosée dont certains pourraient le soupçonner.

C'est dans cette optique que s'inscrit la dernière enquête de satisfaction du Pouvoir judiciaire, qui vise précisément à donner à la justice un angle de vue sur son action émanant d'autres que soi, à savoir des usagers de la justice que sont les avocats et les justiciables. Cette enquête n'est pas un exercice alibi mais est destinée à tirer des conclusions claires, lesquelles devront déboucher sur des mesures concrètes permettant la réalisation de cet objectif qui m'est cher: une justice de proximité, efficace et abordable.

Autre mise en mouvement du Pouvoir judiciaire: «Justice 2010». Nous le savons, la criminalité ne connaît plus les frontières. Les litiges civils, quant à eux, comportent de plus en plus souvent une composante intercantonale, voire sont de nature transnationale. Le législateur fédéral, sur mandat du peuple suisse, a ainsi sagement décidé d'unifier enfin les procédures civiles et pénales et de revisiter certaines exigences en matière administrative.

Le projet «Justice 2010» (2009 pour le volet administratif) constitue d'une part la transposition genevoise de ces nouvelles lois mais aussi un formidable changement culturel qui va nous donner l'occasion de nous doter d'une justice plus moderne, plus efficace et bien plus proche des besoins des citoyens.

Indépendance mais collaboration

Les pouvoirs sont indépendants et le Pouvoir judiciaire revendique légitimement son indépendance. Mais le Pouvoir judiciaire n'oublie pas non plus que, sans concertation, il ne pourra pas utilement mener à bien les réformes nécessaires à la justice. Qu'il me soit permis de saluer dans ce contexte les interventions de plusieurs présidente et présidents du Grand Conseil qui ont oeuvré en ce sens: Pascal Pétroz, qui a écrit au Conseil d'Etat, conjointement avec le Pouvoir judiciaire en 2004 déjà, pour rappeler la nécessité de travailler de concert sur la réforme fédérale de la justice 2010; Michel Halpérin, qui a lancé le débat sur l'indépendance du Pouvoir judiciaire; et notre actuelle première citoyenne du canton, Loly Bolay, qui a su dans un laps de temps remarquablement court constituer une commission parlementaire appelée à traiter la question des réformes de la justice 2010. C'est l'occasion aussi d'adresser une pensée émue à celui qui était le président du Grand Conseil il y a six ans: Bernard Annen reste dans nos mémoires comme un homme épris de justice et respectueux du troisième pouvoir. Qu'il soit honoré aujourd'hui.

Conclusion

Il y a six ans, lors du discours de Saint-Pierre, j'avais annoncé que la première tâche à laquelle je comptais m'atteler était de demander au Grand Conseil et au Conseil d'Etat des moyens accrus, de sorte que la justice puisse effectuer son travail de manière adéquate.

Le Grand Conseil a su traiter, parfois avec une rapidité et une efficacité remarquables, les projets de lois qui lui ont été soumis. C'est ainsi qu'un nombre important de magistrats, presque vingt, ont pu être élus, dans les domaines pénaux, au Parquet, à l'Instruction, au Tribunal de police, aux Cours pénales, au Tribunal de la jeunesse, mais aussi dans les domaines civils, au Tribunal de première instance surchargé d'affaires familiales, et administratifs, notamment avec le Tribunal des assurances sociales.

L'ère qui s'ouvre sur une nouvelle législature est annonciatrice de grands changements pour le Pouvoir judiciaire. On ne peut qu'éprouver un sentiment d'enthousiasme devant les défis sociaux et organisationnels qui attendent le Pouvoir judiciaire, dont la finalité est de répondre aux attentes des citoyennes et citoyens et de remplir le mandat qui est le nôtre: pacifier autant que faire se peut notre société.

Que vive Genève et que vive sa justice ! (Applaudissements.)

(Le choeur de gospel One Step interprète «King Jesus is a listening». Applaudissements.)