République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 22 avril 2005 à 20h30
55e législature - 4e année - 7e session - 38e séance
P 1421-A
Débat
M. Souhail Mouhanna (AdG). La pétition déposée par les étudiants de l'ESBA - l'Ecole supérieure des beaux-arts - date de quelque temps... Déjà presque deux ans !
Cette pétition exprimait les inquiétudes de ces étudiants quant au sort réservé à leur école. Cette école est unique en son genre en Suisse: elle a une très bonne réputation aussi bien à l'intérieur de nos frontières qu'à l'extérieur; elle offre une formation de qualité reconnue dont la durée est de quatre ans; elle pratique une pédagogie qui accorde une très large place à l'inventivité, à la créativité, à la liberté d'expression et à l'esprit critique, sur le plan artistique en particulier. Il était donc tout à fait normal que les étudiants - et pas seulement eux, mais aussi les enseignants - de cette école se soucient de projets comme, par exemple, la fusion de cette école avec la Haute école d'arts appliqués, dont la culture diffère. Chacune de ces écoles ayant ses spécificités, ils craignaient de perdre, précisément, ce qui a fait jusqu'à présent la réputation et la qualité de l'Ecole supérieure des beaux-arts.
Je vous rappelle que la formation dans cette école se déroulait sur quatre ans et que les changements proposés, c'est-à-dire transformations et intégration dans le système HES, allaient se traduire par la réduction de la durée des études d'une année. Les étudiants et les enseignants craignaient donc de voir la qualité de l'enseignement baisser en conséquence. J'aurai l'occasion d'intervenir sur le sujet des HES en tant que rapporteur de minorité: je ne vais donc pas allonger le débat maintenant.
Je dirai simplement que, depuis, beaucoup de choses ont changé. Je signale qu'au niveau de la commission, nous avons été quelques-uns à voter pour que cette pétition ne soit pas classée et pour qu'elle suive un cours un peu plus efficace que le simple dépôt sur le bureau du Grand Conseil: nous en souhaitions le renvoi au Conseil d'Etat.
Il est peut-être trop tard aujourd'hui pour demander un certain nombre de choses qui pourraient donner satisfaction aux signataires de cette pétition, même si certaines décisions leur ont donné en partie satisfaction. Toutefois, beaucoup d'autres éléments restent en suspens. Dans ce cadre, je propose que cette pétition soit malgré tout renvoyée au Conseil d'Etat, tout en gardant présent à l'esprit qu'un certain nombre de réponses ont déjà été données sur quelques points de cette pétition. Mais, je le répète, il reste encore beaucoup de points à examiner, notamment - j'en parle, puisqu'elle est annexée à ce rapport - la déclaration commune des enseignants de l'Ecole supérieure des beaux-arts, dont je vais vous lire le dernier paragraphe: «Nous accueillerons favorablement tout ce qui, dans le changement de statut en cours, contribuera à préserver ou à rehausser la liberté de pensée et d'action, la diversité, l'ouverture et l'esprit critique. Nous combattrons, en revanche, toute réforme dont l'effet prévisible serait d'étouffer la liberté, de restreindre la diversité ou d'appauvrir la fonction esthétique et critique de l'art». Je crois qu'un tel message doit être envoyé au Conseil d'Etat pour que ce dernier traite encore tous les éléments qui méritent réponse, sans remettre en cause - bien entendu - ce qui a été fait au niveau de l'ESBA jusqu'à présent. Un certain nombre d'éléments devraient inspirer le Conseil d'Etat. C'est la raison pour laquelle je propose que cette pétition lui soit renvoyée.
M. Thierry Charollais (S). La pétition des élèves de l'Ecole supérieure des beaux-arts de Genève nous a permis de débattre de points essentiels tels que:
- La valeur de la formation artistique: peut-on considérer cette formation comme une formation professionnelle comme une autre ? C'est une question qui concerne la «valeur» - mot ô combien ambigu - de l'enseignement de l'art au regard d'autres enseignements prodigués par les HES.
- L'intégration de l'ESBA dans le paysage des HES genevoises: quel doit être son mode de fonctionnement, ses collaborations et son mode de gouvernance ? Ce sont des questions concernant le statut de cette école par rapport aux autres écoles déjà intégrées dans le système HES.
- L'accès aux études, autrement dit la démocratisation de l'enseignement. Les socialistes tiennent à cet aspect - nous avons eu l'occasion de le souligner à plusieurs occasions.
On le voit, ce sont des questions importantes. De ce point de vue, nous remercions les étudiants de l'ESBA d'avoir déposé cette pétition. En effet, ils ont exprimé leur inquiétude tôt, à savoir en 2002. Ainsi, l'étude de leur pétition a pu se dérouler en filigrane du débat sur la loi sur l'enseignement supérieur. Il y avait donc ces deux aspects qui manquent hélas parfois dans le débat: d'une part, l'aspect concret, qui concerne à proprement parler les étudiants et l'enseignement qui leur est offert; d'autre part, la législation fixant les règles cantonales relatives aux écoles dans le paysage de la formation professionnelle supérieure.
Du point de vue de la gouvernance de l'école - aspect ne relevant pas de la commission - l'ESBA a bénéficié, depuis le dépôt de la pétition, de développements intéressants. Des axes de recherche ont été développés, des collaborations - notamment avec le MAMCO - ont été trouvées. Le cursus élaboré a pour objectif de permettre la transversalité entre les disciplines et, surtout, de respecter l'identité des futurs artistes au regard de leur propre discipline. Cela est un aspect positif pour le développement non seulement de l'ESBA, mais aussi de l'art à Genève. Gageons que les futurs artistes qui sortiront de cette école pourront s'épanouir pleinement dans leur art et nous offrir leur message de la manière la plus libre qui soit.
Quant au processus de Bologne, indispensable pour que l'ESBA obtienne le statut de HES, force est de reconnaître que tout n'est pas réglé. Citons la question de la place du master dans une formation artistique: est-il nécessaire de l'obtenir pour l'enseignement artistique ou pour s'offrir sur le «marché de l'art» - et les guillemets sont de circonstance pour mettre en relation «marché» et «art» ? Autre question: quelle sera la place de l'ESBA vis-à-vis de la Haute école d'arts appliqués et, par extension, dans les HES romandes ?
Nous serons très attentifs sur tous ces points. Surtout, n'oublions pas que, dans le système très complexe des HES, il existe des critères très stricts qui sont communs à toutes les filières. Le nombre des étudiants permettant la survie de la filière - nombre appelé «masse critique» - est assurément celui qui est le plus palpable et sujet à toutes les réserves. La pétition des étudiants de l'ESBA met indirectement le doigt sur cet aspect et nous met en garde: peut-on appliquer les mêmes critères pour se prononcer sur des filières aussi différentes que l'information documentaire, la gestion, le cinéma, la peinture ou le dessin ? Comme cela est dit dans le rapport - je cite - «des dispositions particulières doivent être édictées pour tenir compte des spécificités des filières artistiques».
Classer cette pétition ne signifiera pas l'oublier. Mais nous nous préoccuperons de prendre en considération son message avec le plus grand soin. Si la loi sur l'enseignement supérieur que nous avons votée a permis d'intégrer certains aspects du message des étudiants de l'ESBA, d'autres restent encore sans réponse et vont au-delà de cette école. Nous devons donc nous montrer prudents et attentifs.
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Etant donné que M. Charollais a été extrêmement complet, je m'en tiendrai à vous dire que nous soutenons toutes les préoccupations qu'il a évoquées. Toutefois, nous allons accepter le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil, car l'Ecole supérieure des beaux-arts est entre-temps devenue une HES et elle n'a pas été fusionnée avec la Haute école d'arts appliqués. Cela veut dire qu'il a été répondu favorablement à cette inquiétude à ce sujet. Un directeur a par ailleurs été engagé. Je le répète: les pétitionnaires ayant obtenu satisfaction sur certains points, nous accepterons le dépôt de cette pétition, même si nous rejoignons pleinement vos préoccupations, car il est effectivement important de soutenir l'art. C'est un domaine très particulier qui a du mal à s'adapter et à se plier aux contraintes des HES. Il faut que nous restions très attentifs, car l'art est l'expression d'une société.
M. Hugues Hiltpold (R), rapporteur ad interim. Je rappelle que la majorité de la commission a décidé de classer cette pétition et qu'à l'époque, seules deux personnes issues de l'Alliance de gauche s'opposaient à son classement. C'est vous dire si la majorité était très nette en commission. J'enjoins donc les groupes qui auraient changé d'avis de rejoindre la majorité de l'époque et de classer cette pétition.
M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Je serai bref, non pas que la matière ne vaille pas quelques commentaires appuyés et détaillés, mais tout simplement parce que M. Charollais a été relativement complet et qu'il ne sert à rien de paraphraser ce qui a déjà été dit avec pertinence quelques minutes auparavant.
J'insisterai sur trois points. Le premier concerne la nomination d'un directeur en la personne de M. Jean-Pierre Greff, qui est une personnalité reconnue dans le domaine de la formation, des beaux-arts et, plus généralement, de l'art contemporain et qui est en train de faire à nouveau de l'Ecole supérieure des beaux-arts de Genève une référence, tant il est vrai que celle-ci était entrée dans une phase de léger déclin.
Deuxième élément important: l'adaptation au système HES. Ce qui est important dans cette adaptation, c'est de ne pas y perdre son âme. C'est de ne pas entrer dans une logique de fusion avec les arts appliqués. C'est de ne pas entrer dans une logique d'«employeurs», entre guillemets... (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)C'est de défendre, au niveau de l'application de la Déclaration de Bologne, le principe du master qui n'est pas forcément acquis pour l'ensemble des HES. Il va de soi que le sens de l'adhésion au régime HES par la loi ouvrant son champ aux beaux-arts passe par la reconnaissance du master comme référence pour les beaux-arts à partir du moment où il n'y a pas de débouché sur le marché du travail.
Troisième point, qui me paraît également important... (Brouhaha. La présidente agite la cloche avec vigueur.)Merci beaucoup, Madame la présidente ! ...c'est la reconnaissance de la Conférence des directeurs de l'instruction publique et, plus généralement, le fait qu'une école d'art comme celle-ci puisse s'adapter à un mouvement qui ne concerne pas seulement la Suisse mais l'ensemble des Hautes écoles d'art en Europe, ce qui instaure un mouvement modulaire qui rompt avec le schéma de l'académie. Et c'est bien cette voie que nous suivons, notamment en choisissant avec Jean-Pierre Greff l'adaptation au système HES et, plus généralement, en nous engageant dans la Déclaration de Bologne, en défendant les valeurs de l'Ecole supérieure des beaux-arts.
La présidente. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous soumets les conclusions de la commission des pétitions, soit le classement de la pétition, au moyen du vote électronique. Le vote est lancé.
Mises aux voix, les conclusions de la commission de l'enseignement supérieur (classement de la pétition) sont adoptées par 56 oui contre 7 non.