République et canton de Genève

Grand Conseil

P 1405-A
Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition concernant la sauvegarde de 3 chênes à Lully - Commune de Bernex
Rapport de majorité de Mme Jacqueline Pla (S)
Rapport de minorité de M. Pierre Weiss (L)
Renvoi en commission: Mémorial 2001, p. 5693

Débat

Mme Jacqueline Pla (S), rapporteuse de majorité. Le rapporteur de minorité a surtout axé son rapport sur le problème du droit des pétitionnaires. J'ai donc recherché un article traitant précisément de ce droit, article que je vais vous lire: «L'histoire genevoise a connu une date charnière, à savoir l'année 1841, qui fut marquée par une agitation politique importante. En date du 22 novembre 1841, le conseil représentatif vota une loi intitulée «Loi qui décrète une assemblée constituante pour la révision de la constitution». Ainsi vit le jour l'assemblée constituante. Cette dernière, le 29 décembre 1841, adopta un règlement pour l'assemblée constituante dont le chapitre 10 était intitulé «Des pétitions». Quelques articles traitent de ce domaine:

Article 65, alinéa 1: les citoyens genevois ont seuls le droit d'adresser des pétitions à l'assemblée constituante.

Article 67: Il sera nommé une commission qui sera chargée d'examiner toutes les pétitions et qui devra faire son rapport sur chacune d'elles. Après ce rapport, la lecture de la pétition pourra être demandée. Si cette demande est appuyée par cinq membres, la pétition devra être lue. La commission pourra proposer le renvoi à une commission spéciale ou aux diverses commissions qui pourraient être chargées de travaux préparatoires sur les objets auxquels se rapporte la pétition. Elle pourra aussi proposer que la pétition soit simplement déposée sur le bureau à titre de renseignement ou écartée par l'ordre du jour si elle ne porte pas sur des sujets qui soient du ressort de l'assemblée constituante. L'assemblée statuera sur le rapport de la commission.

Par ailleurs, la constitution de 1842 a garanti le droit de pétition. Enfin, le 14 septembre 1842, le premier règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève a consacré un chapitre dénommé «Les pétitions». Cette commission peut, pour chaque pétition, proposer le renvoi à une commission spéciale ou le renvoi aux diverses commissions chargées des travaux préparatoires sur les objets auxquels se rapporte la pétition. Elle peut aussi proposer, entre autres, qu'elle soit déposée sur le bureau à titre de renseignement.»

C'est cette décision que la commission a prise à la majorité. Nous avons décidé de prendre en considération cette pétition en la déposant sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement.

M. Pierre Weiss (L), rapporteur de minorité. Je tiens en premier lieu à remercier Mme Pla tant pour son rapport que pour les compléments qu'elle vient d'y apporter. Il est toujours bon de se replonger dans l'histoire de nos droits démocratiques.

Il est également bon de se rappeler qu'il y a près de cinquante ans Maurice Battelli écrivait qu'il serait contraire au principe de la séparation des pouvoirs de transformer le droit de contrôle du Grand Conseil en un pouvoir de révision. Or, le Conseil d'Etat a pris la décision de permettre l'abattage de trois chênes lorsque les conditions de l'opération immobilière seront réunies. Soulignons par ailleurs qu'il ne s'agit que de trois chênes sur les quelque deux cent mille que comptait notre canton lors de l'inventaire de 1974.

D'autre part, je rappelle que les pétitionnaires ont été déboutés suite au recours qu'ils avaient déposé. En outre, alors que ces derniers auraient pu engager une nouvelle procédure sur le plan juridique, ils ne l'ont pas fait, et cela pour des motifs peu clairs tant pour le service de l'Etat compétent que pour certains commissaires. Il est dès lors légitime de se demander s'il y a, dans ce cas précis, un abus du droit de pétition. Il est en tout cas certain qu'il y a non-utilisation des voies de droit, notamment au Tribunal administratif. Une autre possibilité doit en outre être signalée: l'un des deux terrains concernés appartenant à l'Etat, il devra être aliéné par une décision de notre Grand Conseil. Lorsque le projet de construction viendra devant notre parlement, nous pourrons dès lors nous pencher de façon valable sur la question posée par les pétitionnaires.

Je propose le classement de cette pétition, afin que nous ne donnions pas de fausses indications aux citoyens quant aux possibilités d'utilisation du droit de pétition. En revanche, lorsque le dossier arrivera au moment opportun devant le Grand Conseil, nous pourrons donner une réponse compte tenu de nos préférences et de nos convictions sur les questions indirectement posées par cette pétition. Telles sont les raisons qui devraient nous conduire à classer aujourd'hui, mais à examiner demain la question qui nous est posée.

Le président. La liste des intervenants s'est allongée durant l'intervention de M. Weiss. Je clos maintenant cette liste, qui comprend Mmes et MM. von Arx-Vernon, Etienne, Wisard-Blum et Rodrik.

Mme Anne-Marie Von Arx-Vernon (PDC). On peut penser que toute pétition suppose des attentes réalistes ou démesurées de la part des auteurs. On peut également penser que toute prise de position de la commission des pétitions est frustrante et décevante pour les pétitionnaires. Le grand intérêt du travail en commission des pétitions réside toutefois dans la compréhension des préoccupations de citoyens qui n'ont pas eu le sentiment d'être entendus par d'autres instances.

C'est dans ce contexte profondément respectueux des pétitionnaires et de leurs motivations - contexte qui est toutefois très limité dans ses outils opératoires par rapport aux souhaits et aux attentes des pétitionnaires - que nous souhaitons le renvoi de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.

M. Alain Etienne (S). Il convient de rappeler que l'autorisation de construire n'est pas encore en force. Nous ne sommes nullement opposés à cette construction, puisqu'il s'agit d'une zone villas et qu'une dérogation a préalablement été acceptée. Toujours est-il qu'un bon projet est requis pour cela.

Voici la cause de notre surprise à propos de ces chênes: lors de l'étude de la nouvelle loi sur les forêts au sein de la commission de l'environnement, il avait précisément été question des arbres isolés. Le département nous avait, à cette occasion, affirmé qu'une excellente loi cantonale assurait la protection des arbres. Or, la pesée des intérêts se fait désormais directement au sein du DIAE. Cette procédure ne manque pas de nous surprendre car, si le département s'engage dans la pesée des intérêts, comment pourra-t-il donner un avis sur la santé des arbres à préserver - notamment les arbres isolés ? Le site de Lully étant de bonne qualité, nous proposons, non pas un renvoi au Conseil d'Etat, mais le dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil.

Quant au rapport de minorité, nous le jugeons plutôt déplacé. En effet, comme l'a souligné Mme von Arx-Vernon, le droit de pétition existe et, comme l'a rappelé le rapporteur de majorité, l'avis des habitants du quartier doit être pris en compte. Il est possible que le recours de certaines personnes soit motivé par le désir d'éviter l'apparition de nouvelles constructions dans le secteur. Cependant, une association de défense de la nature s'est également engagée dans cette pétition, association dont nous devrions être à l'écoute. Pour ce faire, je vous suggère donc de renvoyer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.

Mme Ariane Wisard-Blum (Ve). Comme vous l'aurez compris, cette pétition concerne la sauvegarde de trois chênes séparant deux parcelles, dont l'une appartient encore à l'Etat. Un promoteur envisage effectivement de construire plusieurs villas, sans pour autant avoir déjà acheté la parcelle de l'Etat. Pour rentabiliser son opération, il faut faire table rase de trois beaux arbres.

Peut-on blâmer des habitants de s'être opposés à ces abattages ? Assurément non. Déboutés de leur action en justice, ils ont utilisé la voie politique pour se faire entendre. Or, chaque citoyen dispose du droit de faire usage d'une telle voie quand il le juge nécessaire.

Nous avons décidé de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil pour information. Si nous ne pouvons pas remettre en question la décision de justice et les préavis des différents départements intéressés, nous comprenons pleinement la tristesse des pétitionnaires de voir disparaître de magnifiques vieux arbres en pleine santé et abritant une multitude d'espèces animales.

Je terminerai mon intervention par une question et un souhait. Je me demande en premier lieu pourquoi il est si difficile de construire en ne maintenant que trois arbres, alors qu'en d'autres lieux les architectes s'en accommodent et embellissent leurs projets en intégrant la végétation environnante.

Nous souhaiterions que, dorénavant, aucune autorisation d'abattage ne soit délivrée avant que le promoteur ne soit propriétaire de la totalité des terrains.

M. Albert Rodrik (S). Puisque le rapporteur de minorité a cité mon maître de droit public et administratif, Maurice Battelli, je me permets de prendre la parole pour rappeler un certain nombre de notions de base.

Je signale en premier lieu que le droit de pétition est, dans ce canton, très large, sans formalité aucune et peut ne porter, à la limite, qu'une seule signature. Le Grand Conseil ne dispose que de trois possibilités lorsqu'il reçoit une pétition: l'envoi au Conseil d'Etat, le dépôt sur le bureau du Grand Conseil pour information ou le classement. Il a donc dû se faire une «religion» sur l'utilisation des pétitions, lesquelles nous apportent, comme des alluvions, des éléments fort divers: si une affaire s'avère fondée et mérite une action gouvernementale, elle est envoyée au Conseil d'Etat. La différence pratique entre les deux autres voies est ténue. Le Grand Conseil ayant toutefois constaté des pétitions relevant de l'absurdité, du mensonge, de l'affabulation ou de l'insulte, il a progressivement réservé le classement vertical à ce type d'affaires, réservant le dépôt sur le bureau du Grand Conseil à des affaires louables et généreuses, mais ne devant entraîner aucune conséquence.

On ne peut cependant à la fois bénéficier d'un droit extrêmement large et non-formaliste et s'appliquer à mettre toutes les pétitions possibles aux oubliettes. Je m'étais d'ailleurs permis, en début de législature, de l'expliquer à la commission des pétitions: il s'agit d'une question de gradation et d'égard pour les citoyens. Le classement doit, à mon sens, être réservé à des pétitions telles que celle, récente, d'un groupe étranger qui insultait l'instruction publique. Certains pères de famille étaient tellement obnubilés par leur amour pour leur enfant handicapé mental qu'ils ne savaient plus de quoi ils parlaient. Pour les autres cas dans lesquels l'action gouvernementale n'est pas requise, nous disposons de cette voie plus simple, plus honorable et plus agréable qu'est le dépôt sur le bureau du Grand Conseil.

Si nous pouvions nous en tenir à ces quelques modulations, je pense que nous vivrions bien !

Le président. Je ne suis pas certain que le temps consacré aux extraits doive être dédié à des explications sur les différents types de pétitions...

M. le député Weiss souhaite répondre à M. le député Rodrik.

M. Pierre Weiss (L), rapporteur de minorité. Je remercie le député Rodrik de ses précisions quant à la façon d'entendre le droit de pétition et me permets de signaler que je n'ai tenu aucune parole susceptible de contredire ses propos. Il nous faut néanmoins examiner les conséquences pratiques du dépôt d'une pétition sur le bureau du Grand Conseil. Or, ces conséquences sont nulles ! En d'autres termes, déposer sur le bureau du Grand Conseil équivaut simplement à donner de la considération, mais n'aboutit à aucune traduction dans les faits de la demande des pétitionnaires.

Dans l'affaire qui nous occupe - peut-être exagérément aux oreilles du président - il s'agit, dans le fond, de s'interroger sur la possibilité d'explorer d'autres voies. J'en ai pour ma part indiqué deux. La première voie consiste, pour les pétitionnaires, à recourir contre la décision négative à leur encontre. La deuxième voie réside, pour le Grand Conseil, dans une prise de décision en toute responsabilité. En déposant aujourd'hui cette pétition sur le bureau du Grand Conseil, nous nous bornons à laisser s'évanouir dans la mémoire du Mémorial - mais nulle part ailleurs - cette demande. Le problème posé méritant à mon sens davantage d'attention, je suggère de le traiter concrètement. Telle est la voie que je propose. Je conçois cependant que nous puissions diverger sur la solution à choisir.

Le président. Je mets aux voix les conclusions du rapport de majorité, à savoir le dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil. Si ce dépôt est rejeté, nous voterons les conclusions du rapport de minorité.

Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (dépôt de la pétition 1405 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 38 oui contre 12 non et 3 abstentions.