République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 7573
13. Projet de loi de MM. Christian Ferrazino et René Ecuyer modifiant la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 (D 3 05). ( )PL7573

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article unique

La loi générale sur les contributions publiques, du 9 novembre 1887, est modifiée comme suit:

Art. 294A (nouveau)

1 Le nombre des centimes additionnels des communes ayant fixé un nombre de centimes inférieur au taux moyen de 45 est augmenté de la moitié de la différence entre ce nombre et le taux moyen à titre de contribution au fonds de péréquation intercommunale.

2 Cette contribution sert au financement d'équipements communaux ou intercommunaux et d'activités culturelles, sportives ou touristiques intéressant l'ensemble du canton ou certaines communes.

Art. 334 (nouvelle teneur)

Les administrations municipales peuvent être appelées à seconder le département dans l'examen des déclarations des contribuables domiciliés sur leur territoire et chargées à cet effet de procéder à des enquêtes sur la situation de ceux-ci. Elles peuvent également demander à pouvoir examiner toutes déclarations de contribuables domiciliés sur leur territoire ou dont l'entreprise est située sur leur territoire et sont en droit de porter à la connaissance de l'administration fiscale toute anomalie qu'elles pourraient constater.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Comme chacun le sait, on paie plus ou moins d'impôts selon où l'on habite dans le canton, puisque le montant des impôts communaux sur le revenu et la fortune varie en fonction du nombre de centimes additionnels fixé par les communes. Le taux des centimes varie de 31 (pour les communes ultra-privilégiées de Cologny et Collonge-Bellerive) à 52 pour Onex. La plupart des communes ont des centimes additionnels supérieurs à 45. C'est tout particulièrement le cas pour les grandes communes, à l'exception de celle de Carouge (38 centimes additionnels) et, dans une moindre mesure, celle du Grand-Saconnex (44 centimes).

Cette situation est totalement inéquitable. Elle est mal ressentie par de nombreux contribuables. Elle heurte le principe de l'égalité devant la loi et plus particulièrement de l'égalité devant l'impôt. Elle résulte du fait que certaines communes ont la chance d'avoir des contribuables aisés et peu de frais d'infrastructure. Or, un certain nombre de communes, tout particulièrement la Ville de Genève, fournissent des infrastructures ou des prestations coûteuses qui bénéficient à l'ensemble de la population de notre canton ou du moins à une partie de celle-ci, tels que les équipements sportifs (piscines, patinoires, stades de football ou d'athlétisme), culturelles (opéra, théâtres, musées) ou touristiques (accueil, office du tourisme).

La loi sur les contributions publiques a certes instauré une péréquation fiscale intercommunale pour corriger partiellement les inégalités entre communes en matière de charges et de recettes fiscales, mais cette péréquation n'a pas éliminé l'inégalité fiscale qui existe dans notre canton, qui est d'autant plus choquante vu les dimensions modestes de celui-ci et plus particulièrement de ses 45 communes. C'est la raison pour laquelle le présent projet de loi propose de majorer les bordereaux des contribuables résidant dans des communes où le nombre des centimes additionnels est inférieur au taux moyen de 45 centimes, qui est en fait inférieur au taux moyen réel. Dans ces communes qui représentent seulement un tiers des communes genevoises, le nombre des centimes additionnels serait augmenté de la moitié de la différence entre ce nombre et le taux moyen de 45 sous forme d'une contribution destinée au fonds de péréquation intercommunale.

Cette contribution corrigerait partiellement l'inégalité fiscale qui existe sur le plan communal et permettrait surtout de faciliter le financement d'équipements communaux d'intérêt cantonal ou régional, tels ceux rappelés ci-dessus. La décision de la Ville de Genève, en raison de ses difficultés financières, de se dégager de certaines institutions comme l'office du tourisme (où elle était, sauf erreur, la seule commune avec celle de Meyrin à verser une contribution) ou du Théâtre de Carouge est une illustration de plus du caractère insatisfaisant de la répartition actuelle des charges inhérentes à certains équipements d'intérêt cantonal.

Enfin, le présent projet de loi vise à conférer le droit aux communes de demander à pouvoir consulter les déclarations des contribuables domiciliés sur leur territoire ou qui y ont une entreprise, ce qui paraît d'autant plus normal que l'article 334 de la loi prévoit déjà que l'administration municipale peut être appelée à seconder le département des finances dans l'examen des déclarations des contribuables domiciliés sur son territoire et être chargée à cette fin d'enquêtes sur la situation de ces derniers.

Au bénéfice des explications qui précèdent, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à réserver un bon accueil au présent projet de loi.

ANNEXE

Préconsultation

M. Christian Ferrazino (AdG). Comme chacun le sait, l'inégalité devant l'impôt est particulièrement criante en matière d'impôts communaux. En effet, le taux des centimes additionnels varie pour certaines communes les mieux loties, Collonge-Bellerive, Cologny, de 31 centimes jusqu'à 50 centimes et davantage, à Vernier et Onex, en particulier.

Tout le monde s'accorde à reconnaître que cette disparité, inéquitable pour le citoyen habitant une commune au centime additionnel élevé, doit être révisée.

La solution que nous avons imaginée - il y en a certainement d'autres - fera sûrement l'objet de critiques, mais elle a le mérite d'exister. Le projet de loi que nous vous présentons ce soir prévoit la constitution d'un fonds alimenté de la façon suivante : les contribuables résidant dans des communes où le nombre de centimes additionnels est inférieur à 45 centimes subiraient une augmentation d'impôts correspondant à la moitié de la différence entre le nombre de centimes additionnels fixés par leur commune et le taux moyen de 45 centimes que nous avons retenu.

Si ce projet de loi était accepté, ne seraient touchés que les contribuables résidant dans des communes qui ont un centime additionnel inférieur à 45, soit le tiers des communes genevoises. Ce fonds ainsi constitué servirait à financer des équipements communaux ou intercommunaux, ainsi que des activités culturelles et sportives intéressant l'ensemble du canton.

Comme je l'ai dit à certains députés qui s'interrogeaient au sujet de son affectation au fonds existant, on n'a pas voulu proposer d'emblée la création d'un nouveau fonds. Mais il est important de relever que ce projet assigne une affectation particulière à l'argent ainsi récolté. Que ceux qui s'inquiètent se rassurent, nous ne sommes pas opposés à envisager la création d'un fonds spécial. Cette question pourra être examinée à la commission fiscale où nous vous remercions de renvoyer ce projet de loi.

La modification de l'article 334 que nous vous proposons permettrait aux communes d'avoir accès aux déclarations fiscales de leurs communiers. Les communes se verraient ainsi confier un droit d'intervention qui pourrait se révéler précieux pour l'administration fiscale. Au moment où les caisses publiques se portent comme on le sait, toute solution visant à limiter l'hémorragie devrait rencontrer - nous l'espérons - non seulement l'approbation de tous les députés mais également du président du département des finances.

M. Alain-Dominique Mauris (L). Si le projet précédent révélait une certaine dérive, celui-ci est certainement une violation grave du principe de l'autonomie communale. Il a toujours été admis que les communes règlent entre elles les questions de péréquation. Cette volonté manifestée par la majorité d'entre elles est garantie par un règlement du Conseil d'Etat. Cette collaboration a toujours bien fonctionné.

Il y a quelque temps, un quotidien de la place a fait paraître un article intéressant dont le titre était : «Les communes les plus riches se saignent pour aider les autres.» En effet, une étude confidentielle du département de l'intérieur relevait à quel point certaines communes riches paient chèrement le prix de la solidarité financière avec les communes les plus pauvres.

La commune de Corsier, par exemple, s'est privée de 55% de son revenu pour le reverser aux communes les plus pauvres. La Ville de Genève est la grande bénéficiaire de cette péréquation : elle touche environ 30 millions, soit 4,4% de ses revenus. Un groupe de travail se penche actuellement sur la péréquation financière, afin de l'adapter au mieux aux réalités actuelles.

En 1997, il y a eu une miniréforme séparant les communes en trois catégories : les plus riches, les plus pauvres et les communes moyennes. Les premières n'ont rien reçu. Les plus pauvres : Avully, Chancy, Onex et Russin, aux centimes additionnels supérieurs à 50, ont reçu une subvention extraordinaire. Par ailleurs, les villes de Genève, de Vernier, d'Onex, de Versoix, de Meyrin et la commune de Bernex figurent parmi les plus gros bénéficiaires de la péréquation. Parmi les communes qui ont versé le plus d'argent, on trouve Cologny - plus de 7 millions - Chêne-Bougeries, Collonge-Bellerive, etc.

Quant à l'idée de créer un fonds, nous n'avons absolument aucun renseignement sur son mode de répartition et les structures de sa gestion. De plus, n'y a-t-il pas un risque de voir les communes riches augmenter leurs centimes pour éviter de verser de l'argent à un fonds dont la gestion leur échapperait complètement ?

Je crains également que ce projet de loi ne soit une étape vers l'uniformisation des centimes du canton et ne porte atteinte à l'autonomie communale.

Concernant les déclarations, les communes ont déjà sollicité le département des finances pour obtenir la liste nominative des contribuables assujettis à leur territoire. Cette information paraît totalement suffisante pour le contrôle souhaité. Par ailleurs, un modèle des statistiques détaillé concernant les personnes physiques est en cours d'élaboration. Cet élément permettra aux communes de mieux appréhender l'évolution de la recette fiscale.

En conclusion, je vous propose de retenir ces différents éléments et de soutenir le renvoi à la commission fiscale.

Mme Vesca Olsommer (Ve). Pour autant que j'aie bien compris ce projet de loi, il nous place vraiment devant une mission impossible ! D'une part, on ne peut qu'être d'accord avec l'un de ses objectifs qui consisterait à faciliter le financement d'équipements communaux d'intérêt cantonal ou régional, mais, d'autre part, pour faciliter ce financement, il faut alimenter davantage le fonds de péréquation intercommunal. Pour ce faire, on prélèverait des centimes additionnels dans treize communes aisées, semble-t-il.

La population genevoise, il est vrai, ne veut plus d'augmentation d'impôts. Mais il s'agit de montants peu importants, prélevés dans des communes relativement aisées. Il serait important d'examiner cette série de paramètres en commission où nous serions très heureux de voir ce projet renvoyé.

M. Daniel Ducommun (R). MM. Ecuyer et Ferrazino ont un registre de compétences qui nous impressionne ! S'attaquer à la péréquation intercommunale n'est pas une mince affaire. Les spécialistes de l'Etat et des communes s'y attellent depuis pas mal de temps, ainsi qu'un groupe de travail.

Alors, de grâce... (Brouhaha. L'orateur est interpellé.) ...laissons les communes régler entre elles leur système de péréquation ! Cette collaboration fonctionne bien. Il suffit de réactualiser régulièrement les normes de références. Les effets de redistribution sont importants et répondent globalement aux intérêts des collectivités communales.

Quant à l'examen des déclarations, nous le considérons comme totalement inutile, Monsieur Ferrazino ! Nous savons que des statistiques en cours d'élaboration permettront aux communes de mieux appréhender l'évaluation de leurs recettes fiscales.

Bien que ce projet viole l'autonomie communale, nous sommes ce soir très «social» pour vous, Monsieur Ferrazino ! Mais c'est du bout des lèvres que nous sommes disposés au renvoi à la commission fiscale !

M. Laurent Moutinot (S). Je suis un peu surpris des interventions de MM. Mauris et Ducommun. Donner comme prétexte de refus de ce projet que la péréquation fiscale entre les communes fonctionne ne justifie pas la différence d'impôts que paient des contribuables habitant à quelque dizaines de mètres les uns des autres. Ces deux questions sont fondamentalement différentes.

Ce projet de loi veut que, sur le territoire de notre petite République, le régime fiscal de chaque contribuable soit le plus égal possible, indépendamment de son lieu de domicile. Lorsque les communes étaient des entités particulièrement fermées dont les infrastructures ne profitaient qu'aux communiers, les avantages offerts par les communes pouvaient justifier les grandes différences d'impôts.

Actuellement, le cercle communal n'a plus la même importance : on habite à Genève, on va faire du sport à Versoix et on travaille à Meyrin. Certaines communes font de gros efforts pour réaliser des investissements qui profitent à des gens n'habitant pas la commune. C'est une justification supplémentaire pour des impôts égaux, malgré le bon fonctionnement de la péréquation intercommunale.

Comme vous, Monsieur Mauris, je fais un lien entre le projet précédent et celui-ci, car le rôle attribué aux communes est déterminant, je ne le minimise pas. Toutefois, l'existence même des communes contrecarre des principes tels que l'égalité devant l'impôt ou l'intérêt général.

Ce projet de loi va dans la bonne direction, mais, comme l'a rappelé M. Ducommun, le sujet est complexe. Certains points devront être discutés en commission, en particulier l'affectation du produit ainsi réalisé qu'il serait peut-être plus judicieux d'affecter à une réduction de la dette publique plutôt qu'à un fonds d'équipement, à l'heure où l'on cherche à réduire cette dette.

Le droit des communes de consulter les déclarations et de participer est évidemment un principe positif. Malheureusement, certaines petites communes ne sont pas en mesure de le faire, mais elles pourraient s'en donner les moyens. De toute façon, ce n'est pas une raison suffisante pour ne pas en accepter le principe.

M. Claude Blanc (PDC). Sous le prétexte de vouloir améliorer la péréquation intercommunale, vous vous attaquez à ce qu'il reste d'autonomie communale.

Dans notre système politique, la commune est l'échelon de base de toute action politique. Permettez à un ancien magistrat de vous dire combien il est important que les élus, les électeurs et les contribuables - qui doivent être les mêmes - puissent discuter de l'affectation de l'argent des impôts ! D'une manière générale, ceux qui paient sont ceux qui votent. Il me paraît donc inconvenant que ce ne soit pas les électeurs qui prennent de telles décisions.

Genève est le canton où les communes ont le moins d'autonomie. Elle est déjà à l'état de croupion, si vous me passez l'expression. Entrer dans votre jeu signifierait la suppression des administrations communales.

Moi qui ai déjà quelques cheveux blancs, je me souviens qu'au début un des objectifs de Vigilance, ce parti fondé en 1964 qui nous a tant fait souffrir, était d'unifier l'Etat et les communes en supprimant les administrations communales et cantonales sous prétexte de réaliser des économies.

Si l'on avait une seule administration comme à Bâle, on économiserait beaucoup d'argent. Sur le plan économique, cela représenterait un gain, mais si les communes se trouvaient réduites à l'état de circonscriptions administratives sans pouvoir réel et que les élus ne se sentent pas directement responsables face aux contribuables, ce serait grave pour la vie politique du pays. A vouloir tout unifier, vous allez supprimer un des derniers chaînons du bon fonctionnement de notre système démocratique, et je le regretterais profondément.

Dans l'exposé des motifs, vous faites allusion à certaines communes, notamment à la Ville de Genève, fournissant des infrastructures et des prestations à l'ensemble de la population. Mais, Mesdames et Messieurs les députés, vous oubliez facilement que si la Ville de Genève joue un rôle cantonal dans de nombreux secteurs comme les secteurs culturel et sportif - bien qu'elle tente de se défiler et qu'elle ait une attitude frileuse face au nouveau stade - elle a obtenu le privilège exorbitant de pouvoir prélever un impôt au lieu de travail et au lieu de domicile.

C'est un cas unique en Suisse, dans tous les autres cantons - nos amis vaudois connaissent bien ce problème - l'impôt est versé exclusivement au lieu de domicile, car c'est là que les gens vont à l'école, qu'il faut assurer la voirie et entretenir le cimetière. Dire que la Ville de Genève souffre d'être obligée d'assumer des tâches cantonales en oubliant qu'elle bénéficie de l'impôt au lieu de travail est un faux procès. Si l'on veut poursuivre votre théorie, il faudrait modifier plus profondément la loi fiscale, afin que les communes encaissent l'impôt au lieu de domicile...

M. Christian Grobet. Et les frontaliers ?

M. Claude Blanc. Eh bien ! Les frontaliers... Dans le canton de Vaud, ça se passe comme ça. Mais l'Etat n'y perd rien, puisque de toute manière nous rendons l'argent que nous prélevons... (Brouhaha.) Oui, nous rendons une partie de l'argent que nous prélevons ! Enfin, on n'en est pas encore là. Le fait est que votre projet de loi va dans le mauvais sens et s'inspire de mauvais principes.

Ce projet est renvoyé à la commission fiscale.