République et canton de Genève

Grand Conseil

R 316
23. Proposition de résolution de Mmes et MM. Bernard Lescaze, Hervé Burdet, Elisabeth Reusse-Decrey, Fabienne Bugnon, Christian Ferrazino et Philippe Schaller concernant le journal Le Courrier. ( )R316

Débat

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Que l'on apprécie ou non «Le Courrier», il faut reconnaître que ce journal sait faire preuve de rigueur professionnelle et d'indépendance d'esprit. Il a choisi, depuis plus de quinze ans, d'être la voix des sans-voix, de défendre les minorités et de privilégier les plus faibles. C'est son choix.

Cette approche du travail journalistique démontre une volonté de se mettre au service de l'éthique, aussi bien de celle qui régit les mouvements humanistes que de celle qui s'inspire de l'Evangile, puisque ce journal est subventionné aussi par l'église catholique.

Certes, l'orientation sociale du «Courrier» peut déplaire à certains, mais il n'y a pas une sensibilité unique à Genève. Il est essentiel qu'un quotidien se fasse le porte-parole de préoccupations qui sont laissées à l'écart par d'autres.

Cette résolution tient à apporter notre soutien au «Courrier», à rappeler notre attachement à une presse libre et diversifiée qui reflète, et c'est important, toutes les tendances de la vie genevoise, véritable lieu d'expression et richesse d'une démocratie.

Cette pluralité, nous l'avons déjà dit dans nos débats lors de l'affaire de «La Suisse», est essentielle, et nous y tenons tout particulièrement. Lier l'octroi d'une subvention à une ligne rédactionnelle est, à nos yeux, quelles que soient les instances, inadmissible.

C'est pourquoi cette résolution, dont je relève qu'elle a été signée par un représentant de chaque parti de ce Grand Conseil, tient à apporter son soutien à la pluralité de la presse et, donc, à la poursuite du travail du «Courrier», et je vous remercie d'y faire bon accueil.

M. Bénédict Fontanet (PDC). J'appartiens à un parti politique pour lequel il n'est pas facile de prendre position sur cette affaire du «Courrier». Je rappelle tout de même que, à Genève, l'église est séparée de l'Etat, certains ayant parfois tendance à l'oublier ! Je ne parle pas de vous, Madame Reusse-Decrey. En effet, certaines personnes font partie des instances du «Courrier», d'autres se trouvent dans la société catholique romaine. Ce sujet est délicat, mais il ne sera pas dit que les représentants du parti démocrate-chrétien n'ont pas le courage de s'exprimer sur ce sujet.

Madame Reusse-Decrey, chacun écrit ce qu'il veut, quand il veut et comme il veut, car nous sommes dans une démocratie. La liberté de la presse est consacrée par la constitution genevoise et également par la Constitution fédérale. Précédemment, vous avez presque dit, mais pas tout à fait, qu'il était inadmissible de lier l'octroi d'une subvention au départ d'une personne pour laquelle, par ailleurs, j'ai beaucoup de respect dans le cadre de son engagement politique.

Je trouve un peu particulier de nous demander, de manière indirecte, par le biais d'une résolution soumise à ce Grand Conseil, de nous prononcer sur une décision prise par la société catholique romaine - je ne la juge pas - alors que dans ce canton église et Etat devraient être séparés. A mon avis, ce problème se situe entre «Le Courrier», sa rédaction et l'une des instances, tout à fait légitime, de l'église catholique romaine. D'ailleurs, personne dans cette enceinte - je l'espère - ne songerait à la remettre en cause ! Le problème doit se régler entre cette instance et, respectivement, «Le Courrier», la nouvelle association du «Courrier», et à l'intérieur de l'église aussi.

Personnellement, je n'ai pas contresigné cette résolution, car, à mon sens, il s'agit de prendre position dans un débat qui, à ce stade, s'agissant de l'aspect subvention, n'est pas le nôtre. Même si la résolution, soumise très habilement à nos suffrages, ne parle pas de cet aspect des choses, elle le laisse - vous me permettrez de le dire - subodorer !

Alors, déclarer, comme chacun le fait dans ce Grand Conseil, la main sur le coeur... (L'orateur met la main sur son coeur.) - je ne me suis pas trompé cette fois, il est du bon côté : à gauche, même si j'essaie parfois de faire en sorte qu'il batte au centre ! - ...que nous sommes tous attachés à la pluralité de la presse... J'espère bien que, dans ce Grand Conseil, nous sommes tous des démocrates ! Bien entendu, un journaliste, rédacteur en chef de journal, peut faire entendre la voix qu'il souhaite faire entendre, cela fait partie de sa liberté ! Mais la liberté conduit parfois à subir certaines contraintes sur le plan financier. Il faut savoir assumer les conséquences de ses choix !

Il m'apparaît que des éléments sont biaisés dans le débat sur «Le Courrier». D'une part, on prétend être libre de s'exprimer comme on le souhaite et ne pas avoir de comptes à rendre et, d'autre part, cela doit pouvoir se faire aux frais des autres ! Après tout, les lecteurs et leur nombre attestent de la qualité d'un journal ! A ce sujet, on peut regretter que «Le Courrier» n'ait peut-être pas la place qu'il mérite dans le coeur des Genevois.

En résumé, je ne soutiens pas cette résolution, non pas parce que j'approuve la décision de la société catholique romaine mais simplement parce que ce n'est pas le lieu pour déterminer si l'église ou ses instances ont ou n'ont pas à soutenir un journal en lui octroyant une subvention. Que les gens du «Courrier» écrivent ce qu'ils souhaitent, c'est leur droit le plus strict; leur ligne rédactionnelle a souvent été courageuse ou originale. Quant à moi, j'ai fait le choix, dans l'étude d'avocats où je travaille, de soutenir «Le Courrier» et de l'offrir à mes lecteurs tous les matins. Mais, à mon avis, «Le Courrier» ne peut pas revendiquer d'écrire ce qu'il veut sans avoir forcément à rendre de comptes à ceux qui le soutiennent financièrement. C'est une forme de contradiction qui m'échappe.

Voici les quelques remarques que je voulais faire au sujet de cette affaire. Je ne suis pas certain de représenter l'unique opinion de mon parti, mais je souhaitais m'exprimer, ne voulant pas entendre que mon parti était mal à l'aise sur cette question. Il n'est pas vrai que nous n'avons pas d'opinion à ce sujet, que nous nous cachons et que nous n'entendons pas nous exprimer.

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Notre groupe soutiendra «Le Courrier» comme il a soutenu, en son temps, «La Suisse». Nous sommes scandalisés que l'octroi d'une subvention dépende de la tête d'un rédacteur en chef. A nos yeux, il s'agit d'un odieux chantage que, par le biais de cette résolution, nous souhaitons condamner avec vigueur. Nous soutenons le journal «Le Courrier», et nous l'assurons de notre admiration pour le combat qu'il mène depuis plusieurs années pour survivre et offrir aux Genevois la pluralité de la presse.

C'est, Monsieur Fontanet, le sens de cette résolution, et pour ces raisons, notre groupe vous demande de la soutenir.

Mise aux voix, cette résolution est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

(R 316)

rÉsolution

concernant le journal «Le Courrier»

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- l'importance de maintenir et de soutenir le principe fondamental de l'indépendance et de la liberté de la presse;

- la nécessité de conserver à Genève une pluralité de quotidiens déjà restreinte par la disparition de «La Suisse»;

- le rôle particulier que joue «Le Courrier» auprès de tout un secteur de la vie genevoise: monde associatif, humaniste et chrétien,

déclare

- son respect à la rédaction du «Courrier» et à son rédacteur en chef;

- son attachement à une presse libre exempte de toutes pressions politiques ou économiques;

- son soutien au pluralisme de la presse qui, reflétant toutes les tendances de la vie genevoise, est une richesse de notre démocratie.

 

 La séance est levée à 23 h 35.