République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 7418
5. Projet de loi du Conseil d'Etat modifiant la loi d'application de la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers (F 2 2). ( )PL7418

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article 1

La loi d'application de la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers, du 16 juin 1988 (ci-après: loi fédérale), est modifiée comme suit :

CHAPITRE I

Dispositions générales

Article 1 (nouvelle teneur)

Autorité cantonale de police des étrangers

1 Le Conseil d'Etat désigne l'autorité cantonale de police des étrangers (ci-après: le département).

2 Cette dernière exerce toutes les fonctions relatives à la police des étrangers qui ne sont pas dévolues à une autorité fédérale ou que la législation cantonale n'attribue pas à une autre autorité (art. 15 de la loi fédérale).

Art. 2 (nouvelle teneur)

Délégation de compétence

Dans les limites fixées à l'article 1, alinéa 2, le département peut déléguer à un service de l'administration (ci-après: office) la compétence de prendre toutes les mesures de police des étrangers, à l'exception des décisions d'expulsion et de levée d'expulsion.

Art. 3 (nouvelle teneur)

Recours

1 Les décisions que le département ou l'office prennent en matière de police des étrangers sont susceptibles de faire l'objet d'un recours à la commission cantonale de recours de police des étrangers.

2 Les dispositions sur les mesures de contrainte sont réservées.

Art. 4 (nouvelle teneur)

Commission cantonale de recours de police des étrangers

1 La commission cantonale de recours de police des étrangers (ci-après: la commission) se compose de 3 mem-bres nommés par le Conseil d'Etat pour 4 ans au début de chaque législature.

2 Le Conseil d'Etat nomme un titulaire et un suppléant pour chacun des 3 sièges de la commission, dont il désigne également le président, qui doit être de formation juridique. Le président de la commission peut être suppléé par chacun des deux autres membres titulaires de la commission.

3 La commission est soumise pour le surplus à la loi concernant les membres des commissions officielles, du 24 septembre 1965.

4 Elle applique la loi sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985. Elle est compétente pour apprécier l'opportunité des décisions portées devant elle.

5 Le greffe de la commission est assuré par la chancellerie d'Etat.

Art. 5 (abrogé)

Art. 2

Entrée en vigueur

Le Conseil d'Etat fixe la date d'entrée en vigueur de la présente loi.

Art. 3

Disposition transitoire

La commission cantonale de recours de police des étrangers prévue à l'article 4 connaît de tous les recours entrant dans ses attributions déposés dès l'entrée en vigueur de la présente loi. Les recours déposés avant cette date restent traités par le Conseil d'Etat, sur préavis de la commission prévue par l'article 4 de la loi dans son ancienne teneur; toutefois, dès le 15 février 1997, les recours non encore traités par le Conseil d'Etat passent dans la compétence de la commission cantonale de recours de police des étrangers.

Art. 4

Modification à une autre loi

(A 2 5)

La loi concernant les membres des commissions officielles, du 24 septembre 1965, est modifiée comme suit:

Art. 2A (nouveau)

Durée

Pour les commissions élues ou nommées pour une durée déterminée, les membres élus ou nommés au cours de cette période ne le sont que jusqu'à l'expiration de cette dernière.

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

I. Introduction

Le présent projet de loi vise à transférer à une commission de recours indépendante la compétence, dévolue jusqu'à présent au Conseil d'Etat, de statuer sur les recours interjetés en matière de police des étrangers.

Il répond à un impératif juridique combiné à l'opportunité de maintenir l'unité de traitement de ce type de recours, ainsi qu'à la volonté du Conseil d'Etat de promouvoir l'indépendance de la juridiction administrative et de se décharger d'une tâche juridictionnelle de plus en plus absorbante.

II. Brève description du contentieux de la police des étrangers

1. La loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers, du 26 mars 1931 (en abrégé : LSEE, RS 142.20), charge les cantons de désigner une autorité cantonale de police des étrangers, à laquelle doit être en principe conféré le droit d'octroyer ou de maintenir les autorisations de séjour ou d'établissement et d'expulser les étrangers (art. 15 LSEE). Lorsque cette compétence n'est pas réservée au gouvernement cantonal ou à un chef de département ou qu'il n'existe pas de droit de recours à l'autorité fédérale, la législation cantonale doit prévoir une possibilité de recours à une autorité cantonale supérieure (art. 19 LSEE).

 Dans le canton de Genève, l'autorité cantonale de police des étrangers est le département de justice et police et des transports, qui, pour nombre de décisions, est habilité à déléguer ses compétences à l'office cantonal de la population. Et c'est le Conseil d'Etat qui est autorité de recours. Les recours interjetés en cette matière sont instruits par une commission composée de deux conseillers d'Etat et du chancelier, qui entendent les recourants et font rapport au Conseil d'Etat (art. 1 à 5 de la loi d'application de la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers, du 16 juin 1988, en abrégé : LALSEE, F 2 2, qui a repris la solution retenue déjà par la loi d'application dans le canton de Genève de la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers, du 21 février 1934, ROLG 1934, p. 34). Cette commission est assistée d'un greffe juridique et administratif rattaché à la chancellerie d'Etat.

2. Tant l'autorité décisionnaire que le Conseil d'Etat dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour statuer respectivement sur les requêtes et les recours de police des étrangers. En effet, sauf prescription particulière de la loi ou d'un traité international, l'étranger n'a aucun droit à la délivrance d'une autorisation de séjour ou d'établissement (art. 4 et 16 LSEE; ATF 118 Ib 145, cons. 1a).

 Il s'ensuit que, dans ce domaine, les possibilités de recours au Tribunal fédéral sont limitées. Le recours de droit administratif au Tribunal fédéral n'est pas recevable contre l'octroi ou le refus d'autorisations de police des étrangers auxquelles le droit fédéral ne confère pas un droit (art. 100, lettre b, ch. 3 de la loi fédérale d'organisation judiciaire, en abrégé : LFOJ, RS 173.110; ATF 120 Ib 360). Quant à lui, le recours de droit public au Tribunal fédéral reste en principe fermé, faute pour les recourants de pouvoir invoquer la lésion d'un intérêt juridiquement protégé (art. 88 LFOJ; ATF 99 Ia 317).

 Toutefois, à certaines conditions, le droit fédéral fonde une prétention à la délivrance d'une autorisation de police des étrangers, notamment en matière de regroupement familial. C'est le cas, de façon certes pas inconditionnelle, en faveur du conjoint étranger d'un ressortissant suisse (art. 7 LSEE) ou titulaire d'une autorisation d'établissement (art. 17, al. 2 LSEE), ainsi qu'en faveur de leurs enfants célibataires âgés en principe de moins de dix-huit ans (art. 17, al. 2 LSEE; ATF 119 Ib 81; ATF S. G.du 13 juillet 1992). Le droit au respect de la vie familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme confère une protection analogue. Dans ces cas, le recours de droit administratif au Tribunal fédéral est ouvert, de même d'ailleurs qu'en cas d'expulsion (art. 10 LSEE).

3. Il faut encore préciser que certaines autorisations de séjour délivrées par les cantons sont soumises à l'approbation de l'office fédéral des étrangers (art. 18 LSEE). Cette autorité fédérale détient par ailleurs des compétences décisionnaires propres, comme en matière d'interdiction d'entrée (art. 13 LSEE) ou d'exceptions aux mesures de limitation du nombre des étrangers (art. 13 et 52 de l'ordonnance limitant le nombre des étrangers, du 6 octobre 1986, en abrégé : OLE, RS 823.21).

 Les décisions de l'office fédéral des étrangers sont alors susceptibles de faire l'objet d'un recours au département fédéral de justice et police, puis, pour certaines d'entre elles, d'un recours de droit administratif au Tribunal fédéral (art. 20 LSEE; art. 100, let. b LFOJ; ATF 111 Ib 169).

III. Nécessité et opportunité de créer une commission cantonale de recours indépendante

1. Le 4 octobre 1991, dans le cadre d'une réforme visant à décharger le Tribunal fédéral, le législateur fédéral a adopté un article 98a LFOJ, qui fait obligation aux cantons d'instituer «des autorités judiciaires statuant en dernière instance cantonale, dans la mesure où leurs décisions peuvent directement faire l'objet d'un recours de droit administratif devant le Tribunal fédéral». Ce doit être chose faite avant le 15 février 1997 (voir ch. 1, al. 1 des dispositions finales de cette modification du 4 octobre 1991, entrée en vigueur le 15 février 1992).

 C'est dire qu'au plus tard à partir de cette date, le Conseil d'Etat ne saurait plus être l'instance de recours exigée par l'article 19, alinéa 1 LSEE dans les cas où le droit fédéral confère un droit à l'obtention d'autorisations de police des étrangers, car il n'est pas une autorité judiciaire au sens de l'article 98a LFOJ.

 Certes, il pourrait rester autorité de recours dans les autres cas. Le résultat en serait toutefois que le contentieux de la police des étrangers serait réparti entre des juridictions différentes selon que le droit fédéral fonde ou non un droit à la délivrance de l'autorisation considérée. Dans cette hypothèse, il n'y aurait donc pas unité de traitement des recours de police des étrangers. L'insécurité juridique s'installerait, d'autant plus que les litiges peuvent porter précisément sur le point de savoir si et dans quelle mesure le droit fédéral confère ou non un droit à l'intéressé; or, ce doit être là une question de fond, et non de recevabilité des recours. Il se pourrait même que certaines facettes d'un cas soient du ressort de l'autorité judiciaire à créer, à l'exclusion d'autres, qu'il appartiendrait au Conseil d'Etat d'examiner. Les procédures s'en trouveraient ralenties.

 L'opportunité commande donc d'aller au-delà des exigences que le législateur fédéral a pu poser, et de confier le contentieux de la police des étrangers à une seule et même autorité judiciaire, pour des motifs de simplification et d'accélération des procédures.

 Un tel transfert de compétence est d'ailleurs conforme à la tendance moderne consistant à confier le contrôle des décisions administratives à des juridictions administratives indépendantes.

 Il aura aussi le mérite de décharger le Conseil d'Etat, singulièrement les deux conseillers d'Etat et le chancelier formant la commission d'examen des recours. Le nombre annuel des recours de police des étrangers s'est en effet multiplié depuis le début de la présente décennie, passant de 102 en 1990 à 267 en 1995. La structure actuelle de traitement de ce type de recours a atteint sa limite, en dépit d'adéquates mesures de rationalisation.

 Le gouvernement conservera en revanche la responsabilité des décisions prises par les autorités en procédure non contentieuse. En effet, il lui sera loisible, au besoin, d'évoquer à lui les affaires de police des étrangers, et de donner auxdites autorités les instructions utiles et les moyens nécessaires pour que ces affaires soient traitées avec diligence et conformément aux principes et valeurs honorant notre République (article unique de la loi sur l'exercice des compétences du Conseil d'Etat et l'organisation de l'administration, du 16 septembre 1993, B 1 2,5).

2. L'autorité judiciaire dont parle l'article 98a LFOJ doit être une juridiction indépendante, c'est-à-dire une instance de recours «statuant à l'abri de toute instruction, sans être soumise dans l'exercice de sa compétence à aucun pouvoir hiérarchique» (Pierre MOOR, Juridiction de droit public, in L'organisation judiciaire et les procédures fédérales. Le point sur les révisions récentes, CEDIDAC 1992, p. 67-99, not. 80; FF 1991 II 518).

 La notion d'autorité judiciaire figurant à l'article 98a LFOJ s'apparente à celle de tribunal indépendant prévue à l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme, ou à celle de commission de recours indépendante à laquelle d'autres dispositions de droit fédéral se réfère, comme l'article 105, alinéa 2 LFOJ, dans sa teneur antérieure à la modification de 1991 (Pierre MOOR, op. cit., p. 80; ATF 106 Ib 199 et 287). Cette autorité doit donc être indépendante à l'égard de l'exécutif et des parties, à l'égard du Parlement ainsi qu'à l'égard des pouvoirs de faits (Jacques VELU/Rusen ERGEC, La convention européenne des droits de l'homme, 1990, n° 538 ss.).

 Peu importe en revanche l'autorité de nomination, comme le Conseil fédéral l'a relevé lui-même dans son message à l'appui du projet de révision de la LFOJ (FF 1991 II 518). En effet, on ne saurait inférer un manque d'indépendance de la seule circonstance que les membres de l'autorité judiciaire considérée seraient désignés par décision ou sur recommandation du pouvoir exécutif ou du Parlement. Il faut cependant que ces membres, qui ne doivent pas nécessairement être des magistrats professionnels, jouissent d'un statut propre à les prémunir contre les pressions extérieures. Cette indépendance résulte de la durée de leur mandat, de leur inamovibilité en cours de mandat et de l'impossibilité de leur adresser des injonctions ou même des recommandations au sujet de leur activité juridictionnelle (ATF 114 Ia 182, cons. 3b; ATF 108 Ia 178, cons. 4; Jacques VELU/Rusen ERGEC, op. cit., n° 539; Pierre MOOR, op. cit, p. 80).

3. Eu égard à l'étendue du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité en matière de police des étrangers, il importe que l'autorité judiciaire appelée à contrôler les décisions prises dans ce domaine puisse être saisie non seulement des griefs de violation du droit et de constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents, mais aussi du grief d'inopportunité.

 C'est d'ailleurs le motif principal pour lequel le Conseil d'Etat est resté jusqu'à ce jour autorité de recours en matière de police des étrangers, et qu'il faut qu'il le reste dans le domaine de la main-d'oeuvre étrangère dans la mesure où les contestations susceptibles de surgir en cette matière ne peuvent donner lieu à un recours de droit administratif au Tribunal fédéral (ATF F. du 2 février 1993; ATF T. du 6 mars 1989). En effet, à la différence des autres juridictions administratives, et notamment du Tribunal administratif, le Conseil d'Etat peut, sur recours, apprécier l'opportunité des décisions attaquées devant lui (art. 61 de la loi sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985, en abrégé : LPA,E 3,5 3).

 Aussi y a-t-il lieu, de l'avis du Conseil d'Etat d'ailleurs partagé par le Tribunal administratif, de confier le contentieux de la police des étrangers à une commission de recours indépendante, en étendant son pouvoir d'examen aux questions d'opportunité.

IV. Commentaire article par article

Article 1 Autorité cantonale de police des étrangers

Sous réserve de l'organisation de la disposition en deux alinéas,l'article 1 reprend en fait l'article 1 actuel de la LALSEE, en prévoyant simplement qu'il appartient au Conseil d'Etat de désigner l'autorité cantonale de police des étrangers, la désignation des autorités compétentes étant du ressort du Conseil d'Etat. L'autorité que celui-ci désignera en l'occurrence sera évidemment le département de justice et police et des transports.

Article 2    Délégation de compétence

Comme l'article 2 actuel de la LALSEE, cette disposition réserve à l'autorité cantonale de police des étrangers la compétence de prononcer les décisions d'expulsion et de levée d'expulsion, et elle l'habilite pour le surplus à déléguer à un service de l'administration - soit à l'office cantonal de la population - celle de prendre les autres décisions de police des étrangers, telles que l'octroi, le refus ou la révocation des autorisations de séjour ou d'établissement.

Seulement, sans rien changer à la pratique actuelle, la disposition proposée est plus complète, dans sa formulation, que l'article 2 actuel, puisqu'à l'exception précisément des décisions d'expulsion et de levée d'expulsion, elle vise «toutes les mesures de police des étrangers», plutôt que simplement «l'octroi, le refus ou la révocation d'autorisations de séjour ou d'établissement», qui sont les principales décisions de police des étrangers que l'office cantonal de la population est amené à prendre. Cet office rend cependant encore d'autres décisions, telles que des constats de caducité d'autorisations de séjour ou d'établissement (voir art. 9, al. 1 et 3 LSEE), et il prend diverses mesures qui, à proprement parler, ne sont pas ou que partiellement des décisions administratives (art. 4 LPA), telles que des mesures de renvoi (voir art. 12 LSEE).

Evidemment, le département considéré ne saurait déléguer des compétences qu'il n'a pas, parce qu'elles sont dévolues à une autorité fédérale ou à une autre autorité cantonale. C'est ce qu'expriment les mots «Dans les limites fixées à l'article 1, alinéa 2».

Par ailleurs, la disposition proposée ne reprend pas l'article 2, alinéa 3 actuel de la LALSEE, aux termes duquel le département précité est l'organe de surveillance de l'office cantonal de la population. Il y a à cela une double raison. D'une part, cette phrase n'ajoute rien à une réalité tant juridique que pratique (qu'il faudrait sinon répéter pour chacun des services de chacun des départements). D'autre part, l'expression est inadéquate, car du moins en droit genevois, on parle de surveillance à propos des entités de l'administration cantonale décentralisée, et non à propos des services intégrés dans l'administration cantonale centrale, sur lesquels les départements concernés et le Conseil d'Etat exercent un pouvoir hiérarchique direct plus incisif (voirart. 3, al. 2, art. 4, al. 2, art. 5, al. 3, art. 8, al. 2, art. 9, al. 2 et art. 10, al. 2 du règlement sur l'organisation de l'administration cantonale, du 22 décembre 1993, B 4 1). Or, l'office cantonal de la population est placé non seulement sous la simple «surveillance» du département de justice et police et des transports, dont il est un service (art. 5, al. 1, lettre d du règlement précité), mais directement sous ses ordres. Au demeurant, toute délégation de compétence implique le pouvoir et le devoir pour l'autorité déléguante de contrôler l'utilisation que l'organe délégataire fait des compétences qui lui sont déléguées (Blaise KNAPP, Précis de droit administratif, 4e éd., 1991,n° 25 ss.).

Article 3 Recours

Alinéa 1

Cette disposition crée une nouvelle voie et autorité de recours contre les décisions que le département de justice et police et des transports ou l'office cantonal de la population sont amenés à prendre en matière de police des étrangers dans leur sphère de compétence respective.

Cette juridiction, appelée à se substituer en cette matière au Conseil d'Etat (voir art. 3 actuel de la LALSEE), est désignée sous le nom de commission cantonale de recours de police des étrangers.

Alinéa 2

Les dispositions sur les mesures de contrainte restent réservées. Elles figurent actuellement au chapitre IV A (art. 17 A à 17 C) du règlement d'application des dispositions sur le séjour et l'établissement des étrangers, du 8 février 1989 (F 2 3), dans sa teneur du 15 février 1995. De nouvelles dispositions de rang légal devront être adoptées d'ici quelques mois.

Article 4 Commission cantonale de recours de police des étrangers

Alinéa 1

Cette disposition fixe à trois le nombre de membres devant constituer la commission cantonale de recours de police des étrangers. La solution d'un juge unique doit être écartée pour un double motif. Premièrement, la matière considérée requiert souvent une appréciation en opportunité; or, une pluralité de personnes offre à cet égard davantage de garanties d'équité et d'égalité de traitement qu'une seule personne. En second lieu, cette commission n'est pas simplement une juridiction de première instance; elle doit statuer en dernière instance cantonale.

Le Conseil d'Etat est désigné comme autorité de nomination des membres de cette commission, sans que cela n'affecte en rien l'indépendance de cette dernière (voir ci-dessus III. 2).

Comme pour les autres commissions officielles dépendant de l'Etat, la durée du mandat des commissaires est fixée à quatre ans pour une période correspondant, avec un décalage d'environ quatre mois, à la durée de chaque législature (voir règlement relatif à la durée du mandat des commissions dépendantes de l'Etat, du 27 décembre 1961, A 2 7). Cette durée contribue à marquer l'indépendance de la commission, qui se trouve d'ailleurs soulignée encore par l'article 4 de la loi concernant les membres des commissions officielles, du 24 septembre 1965 (A 2 5), aux termes duquel les «membres des commissions exerçant un pouvoir juridictionnel doivent apporter à l'exercice de leurs fonctions les qualités d'impartialité, d'assiduité et d'intégrité qui sont exigées des magistrats du pouvoir judiciaire et des juges prud'hommes».

Il sied de rappeler qu'en vertu de l'article 3, alinéa 1 de cette même loi, les commissaires sont tenus au secret de fonction.

Alinéa 2

Courante déjà pour les tribunaux, la désignation de suppléants se justifie d'autant plus pour une commission qui n'est pas composée de magistrats professionnels, mais de membres ayant d'autres activités ne leur laissant pas une pleine disponibilité.

En principe, des suppléants ne doivent être appelés à siéger qu'en cas d'empêchement des titulaires. La formule proposée doit cependant aussi permettre à la commission de faire face à un afflux plus important de recours, grâce à la possibilité qu'elle offre de réunir la commission dans trois compositions différentes, en fonction de la disponibilité de chacun de ses membres titulaires et suppléants.

Dans sa composition ordinaire, la commission est formée des trois titulaires réunis sous la présidence de l'un d'eux désigné président de la commission par le Conseil d'Etat. Selon une première variante, l'un ou l'autre des titulaires peut être remplacé par l'un ou l'autre des suppléants, sous la présidence du président de la commission ou, et si c'est lui qui doit être remplacé, sous celle de l'un des deux autres titulaires. Une seconde variante consisterait au besoin à faire siéger la commission réunie en la personne de deux suppléants et d'un des trois titulaires, sous la présidence du titulaire présent. La commission ne saurait en revanche être valablement constituée exclusivement de ses trois membres suppléants.

C'est au président de la commission que revient naturellement la compétence et la charge de faire fonctionner la commission, en particulier de la réunir, au gré des besoins, dans l'une ou/et l'autre des compositions susmentionnées. Il dispose à cette fin de l'appui d'un greffe (voir al. 5).

Alinéa 3

Il est opportun de rappeler la soumission de la commission à la loi précitée concernant les membres des commissions officielles.

Alinéa 4

En tant que juridiction administrative, la commission cantonale de recours de police des étrangers doit appliquer la loi sur la procédure administrative (voir art. 1 LPA), qui contient toutes les règles nécessaires à une saine administration de la justice en matière administrative, telles que les dispositions sur la représentation et l'assistance des parties (art. 9), l'établissement des faits (art. 18 ss.), le droit d'être entendu (art. 41 ss.), les actes susceptibles de recours (art. 4 et 57 ss.), la qualité pour recourir (art. 60), les délais de recours (art. 63), la forme et le contenu des recours (art. 64 s.), les effets des recours (art. 66 s.), le pouvoir de décision (art. 69).

Comme déjà indiqué (voir point III.3), il faut que la commission cantonale de recours de police des étrangers puisse apprécier l'opportunité des décisions portées devant elle. Cette extension de pouvoir d'examen doit être prévue par la loi (voir art. 61, al. 2 in fine LPA).

Alinéa 5

La commission a besoin d'un greffe, que la chancellerie d'Etat a vocation d'assurer, comme elle le fait déjà non seulement pour l'actuelle commission d'examen des recours de police des étrangers, mais aussi pour des commissions de recours indépendantes, telles que les commissions cantonales de recours en matière d'impôts et la commission de recours en matière de constructions, ou encore pour la commission d'experts en matière de liquidation des sociétés immobilières non agricoles.

Article 5 Abrogé

L'article 5 actuel de la LALSEE est repris à l'article 4, alinéa 4 proposé. Il doit donc être abrogé.

Dispositions finales

Art. 2 Entrée en vigueur

Le Conseil d'Etat souhaite pouvoir fixer l'entrée en vigueur de la présente loi le plus vite possible, pour les motifs développés ci-après.

Art. 3 Disposition transitoire

Au 31 décembre 1995, 276 recours étaient inscrits au rôle des recours au Conseil d'Etat dans le seul domaine de la police des étrangers. Durant l'année 1995, le Conseil d'Etat avait été saisi de 267 recours de ce type, alors qu'il n'avait pu en liquider que 229, soit déjà sensiblement plus que les années précédentes.

C'est dire que jusqu'à l'entrée en fonction de la commission cantonale de recours de police des étrangers, le Conseil d'Etat pourra traiter, dans la meilleure des hypothèses, un nombre de recours à peu près équivalent à celui des nouveaux recours qui seront déposés d'ici là. Le nombre de recours à traiter sera donc sans doute de l'ordre de 280 à ce moment-là.

Soucieux de permettre à la nouvelle commission de commencer son activité sous les meilleurs auspices possibles, le Conseil d'Etat estime qu'il serait préférable de ne lui confier, à tout le moins dans un premier temps, que les recours déposés dès son entrée en fonction, et de continuer à traiter lui-même les recours déjà inscrits au rôle jusqu'à la veille de cette date. Cela n'est toutefois possible que jusqu'au 14 février 1997, du moins dans les affaires susceptibles de faire ensuite l'objet d'un recours de droit administratif au Tribunal fédéral.

Plus le temps durant lequel l'ancienne et la nouvelle juridiction pourraient coexister serait long, moins le rôle de la commission cantonale de recours de police des étrangers serait chargé d'anciennes affaires, et mieux cette dernière pourrait traiter les recours, au surplus avec la diligence qui, semble-t-il, serait propre à réduire le nombre de recours déposés dans le but principal de bénéficier d'un effet suspensif ou d'une mesure provisionnelle permettant une prolongation de séjour dans notre canton.

C'est pourquoi le Conseil d'Etat propose l'adoption d'une disposition transitoire permettant une coexistence temporaire de l'ancienne et de la nouvelle juridiction, avec un critère simple et précis d'attribution des recours à l'une ou l'autre d'entre elles, en réitérant son souhait de pouvoir faire entrer en fonction la nouvelle commission le plus vite possible.

Art. 4 Modification à une autre loi

Il se justifie d'inscrire dans la loi concernant les membres des commissions officielles, plutôt que dans la LALSEE elle-même, que les membres nommés en cours de législature ne le sont que jusqu'à l'expiration de cette dernière. Il s'agit là, en effet, d'une règle valable généralement pour l'ensemble des commissions élues ou nommées pour une durée déterminée, qui est généralement la durée de la législature décalée d'environ quatre mois. Une telle règle s'appliquera alors évidemment aussi à la commission cantonale de recours de police des étrangers, d'autant plus que l'article 4, alinéa 3 proposé prévoit explicitement la soumission de cette commission à la loi concernant les membres des commissions officielles.

V. Incidence financière

Sur la base des expériences faites durant les années écoulées, on peut estimer que les membres titulaires et suppléants devront consacrer au total près de 600 heures de travail par année à l'exercice de leur mandat. Autrement dit, chacun des trois membres titulaires de la commission serait occupé à cette tâche à raison d'environ 200 heures par année, à supposer qu'il ne soit pas fait appel aux suppléants; c'est l'équivalent d'un bon 10% d'activité.

Eu égard au tarif fixé par le Conseil d'Etat pour la rémunération des membres des commissions judiciaires, la rémunération des membres de la commission cantonale de recours de police des étrangers s'élèverait ainsi au total à près de 70 000 F par année, en partant de l'idée raisonnable que chacun des trois membres de la commission serait rapporteur dans un tiers des affaires, y compris le président, et qu'en plus du rapporteur il y aurait toujours un président et un membre pour chaque séance. L'intervention de suppléants en lieu et place de titulaires resterait sans incidence sur le résultat du calcul.

Il s'agirait là des frais de fonctionnement supplémentaires qu'impliquerait la création d'une telle commission de recours indépendante. Cette somme correspondrait approximativement au tiers du traitement d'un juge, charges sociales comprises, le total de 600 heures de travail pris en considération représentant quant à lui approximativement un tiers-temps d'activité. Les frais de fonctionnement du greffe sur lequel la commission pourrait s'appuyer seraient sensiblement les mêmes que les frais de fonctionnement actuels de ce greffe, dès lors que ce dernier serait appelé à fournir le même type et la même quantité de prestations qu'il est appelé à fournir à l'heure actuelle pour la commission d'examen des recours de police des étrangers.

VI. Conclusion

Le présent projet de loi doit donc permettre à notre canton de s'adapter opportunément à l'évolution du droit fédéral.

Nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les députés, de lui réserver un accueil favorable.

Préconsultation

M. Laurent Moutinot (S). Obéissant aux nouvelles exigences du droit fédéral, le Conseil d'Etat propose de se dessaisir de sa compétence en matière de recours sur le séjour et l'établissement des étrangers.

En réalité, le Conseil d'Etat va plus loin que ce que demande le droit fédéral, puisqu'il propose à une instance de recours indépendante de s'occuper de l'ensemble des problèmes liés à l'attribution des permis. Cette proposition est positive. Toutefois, ce projet de loi comporte un certain nombre de points obscurs qu'il conviendra d'éclaircir en commission.

En premier lieu, nous ne comprenons pas l'utilité d'une commission de recours supplémentaire spécialisée, alors que le Tribunal administratif pourrait jouer ce rôle. Il faudra que le choix entre ces deux instances soit soigneusement opéré.

En second lieu, si on adopte la solution d'une commission de recours, il conviendra d'examiner sa composition, et qui, du Conseil d'Etat ou du Grand Conseil, désignera et décidera de sa proportionnalité.

En troisième lieu, nous devrons nous interroger sur l'articulation entre ce projet de loi et le projet de loi d'application de la loi fédérale sur les mesures de contraintes, car, manifestement, les deux sujets sont proches, voire interdépendants. Il ne serait pas logique d'avoir deux voies de recours pour les mêmes problèmes. Il faut harmoniser ce projet, ainsi que celui concernant les mesures de contrainte.

Un quatrième point devra également être précisé. En matière de droit des étrangers, le canton a souvent l'occasion de s'exprimer, non pas par décision mais par préavis. Ces préavis, qui sont des décisions de droit cantonal, sont-ils soumis à recours ? La commission judiciaire aura un travail intéressant à fournir pour aboutir à un contrôle juridictionnel satisfaisant, car, à l'heure actuelle, le droit des étrangers est soumis au Conseil d'Etat et l'apparition d'un contrôle juridictionnel dans ce domaine est une chose nécessaire et conforme aux principes démocratiques.

M. Bernard Lescaze (R). Nous ferons diligence en tenant compte, si possible, des remarques de M. Moutinot, car plusieurs centaines de recours sont actuellement pendants. Je signale qu'une commission indépendante de trois membres travaillera plus vite qu'un tribunal administratif de cinq membres, surchargé d'autres besognes, comme on n'a pas manqué de nous le dire à plusieurs reprises.

En tout cas, nous saluons avec satisfaction ce projet de loi, tout en étant bien conscients qu'il ne s'agit que d'une première partie de la législation concernant les requérants d'asile.

En conséquence, nous examinerons ce projet le plus rapidement possible.

Ce projet est renvoyé à la commission judiciaire.