République et canton de Genève

Grand Conseil

P 1088-A
13. Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition concernant le renvoi de Daniel Girma. ( -)P1088
Rapport de Mme Mireille Gossauer-Zurcher (S), commission des pétitions

Le 22 septembre 1995, le Grand Conseil a reçu une pétition, signée par plus de 340 personnes, dont voici le texte:

PÉTITION

contre le renvoi de Daniel Girma

Nous soussignés réprouvons la décision très tardive de renvoyer M. Daniel Girma, demandeur d'asile éthiopien de 36 ans, dans son pays (où il n'a plus de liens familiaux), après cinq ans de résidence en Suisse.

Très bien intégré chez nous où il n'a que des amis, M. Girma se comporte de manière exemplaire avec tous les villageois. Depuis plusieurs années, il travaille à l'épicerie du village, où tous les Troinésiens l'apprécient pour sa gentillesse et son honnêteté.

M. Girma est en possession d'un passeport, ce qui rend son renvoi pratiquement possible. Sa droiture est de la sorte sanctionnée, puisque d'autres demandeurs d'asile ne peuvent pas être renvoyés, uniquement parce qu'ils ont «égaré» leur passeport.

C'est pourquoi nous vous demandons d'intervenir auprès de l'autorité compétente afin d'étudier toutes les possibilités d'accorder à M. Girma un permis de séjour à titre humanitaire.

Au cas où ce ne serait absolument pas possible, il serait indispensable qu'il obtienne un sursis suffisamment important pour chercher un autre pays d'accueil. Nous nourrissons en effet quelques inquiétudes à propos de son retour en Ethiopie. Et il semblerait que M. Girma puisse un jour s'installer aux Etats-Unis, où résident sa mère et son frère.

N. B.: 340 signatures

M. .

8, Grand-Cour

1256 Troinex

Dans ses séances des 9 et 23 octobre, la commission des pétitions, sous la présidence de Mme Liliane Johner, a traité la pétition 1088.

Auditions

Elle a entendu les pétitionnaires, soit Mme Béatrice Lüscher, maire de Troinex, et M. Yves Meynard, vice-président du conseil municipal de Troinex et épicier du village. Au nom de nombreux habitants de leur commune, ils ont réitéré leur souhait de voir rester M. Girma dans leur commune. Comme le mentionne le texte de la pétition, M. Girma est très bien intégré à Troinex où il travaille à raison de 6 demi-journées par semaine à l'épicerie. Il est donc financièrement indépendant puisqu'il fait encore des heures de nettoyage dans une entreprise locale (3 heures, 5 jours par semaine). Il paie régulièrement ses redevances à Berne sur son salaire (10%) ainsi que le loyer de l'appartement de 2 pièces qu'il loue dans un immeuble de la commune. Il aurait pu épouser une Suissesse afin de rester en Suisse, mais par souci d'honnêteté il a toujours refusé un mariage de convenance. Lorsqu'il a été informé de son renvoi pour la fin du mois d'octobre, il s'est spontanément présenté à l'office de la population où il lui a été proposé de faire une demande d'émigration pour les Etats-Unis, en vue d'un regroupement familial. Le bureau d'aide au départ de la Croix-Rouge a fait toutes les démarches utiles pour son départ aux USA afin qu'il ne soit pas refoulé en Ethiopie, où en aucun cas il ne souhaite aller. Les pétitionnaires insistent sur ce dernier point: en effet, M. Girma souhaite avant tout pouvoir rester à Genève où il est heureux. S'il ne pouvait obtenir un permis humanitaire, il préférerait rejoindre sa famille plutôt que son pays.

M. Bernard Gut, secrétaire adjoint du département de justice et police et des transports, a expliqué à la commission la situation de M. D. Girma. Il est arrivé à Genève le 6 mai 1990, au bénéfice d'un visa de touriste, il a fait une demande d'asile le 3 juillet de la même année. Son intention première était de rejoindre aux Etats-Unis sa famille (son frère jumeau et sa mère) mais il n'a pas pu obtenir de visa. La première décision de refus a été prise le 6 mars 1991, puis, suite à un recours, une confirmation de renvoi pour la fin du mois d'octobre est parvenue le 31 juillet 1995. Toutefois les autorités fédérales ont prolongé les autorisations de séjour de tous les Erythréens et Ethiopiens jusqu'au 30 juin 1996. Ce délai devrait permettre à M. Girma, et avec l'aide de la Croix-Rouge, d'obtenir un visa pour les Etats-Unis.

Discussion de la commission

La commission a constaté une nouvelle fois que le canton doit se soumettre aux décisions fédérales et qu'elle est bien impuissante devant la difficile situation de M. Girma.

Elle souhaite que M. Girma puisse obtenir un visa pour les Etats-Unis à défaut de pouvoir rester à Genève.

C'est à l'unanimité des membres présents qu'elle vous recommande, Mesdames et Messieurs les députés, le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.

Débat

Mme Mireille Gossauer-Zurcher (S), rapporteuse. Nous sommes confrontés à ce type de situation pénible à cause de la lenteur des autorités fédérales à prendre des décisions.

M. Girma a dû attendre plus de cinq ans avant de se voir signifier son refus. Ce long laps de temps lui a permis de s'intégrer pleinement à notre société et, aujourd'hui, il doit repartir pour un pays inconnu.

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Je remercie Mme Gossauer-Zurcher de son rapport qui a toute mon adhésion, à l'exception de sa conclusion qui me semble erronée. En effet, elle recommande le dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil, alors que ce dernier est d'accord pour que M. Girma reste à Genève.

Par conséquent, je propose le renvoi de la pétition au Conseil d'Etat.

Mme Claire Chalut (AdG). Cette pétition se termine en constatant «...que le canton doit se soumettre aux décisions fédérales et que la commission est bien impuissante devant la difficile situation de M. Girma».

Au mois de décembre 1995, M. Segond, à la faveur d'un coup médiatique réussi et tout à son honneur, était parvenu à attendrir les autorités fédérales. Grâce à son intervention, une famille a obtenu son autorisation de séjour, alors qu'elle figurait sur la liste des expulsions.

Ne pensez-vous pas qu'une démarche similaire pourrait être entreprise dans le cas présent ?

Une autre famille étrangère - surnommée «les rois de la fondue» par le voisinage - a été sauvée de même.

Il est donc probable que l'on n'est pas complètement impuissant et dépourvu de tout moyen d'action devant les autorités fédérales.

M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Il est vrai, Madame la députée, que nous obtenu, avec la délégation du Conseil d'Etat aux réfugiés, une autorisation de séjour pour la famille Prieto, mais il va de soi que nous ne pouvons pas multiplier les exceptions.

La problématique du cas de M. Girma est différente. En effet, M. Girma est éthiopien et, à l'instar de tous ses compatriotes dont la demande d'asile a été refusée, il bénéficie d'une tolérance de séjour venant à échéance le 30 juin 1996.

La réalité est que M. Girma ne travaille pas pour rester en Suisse. Il continue ses démarches pour rejoindre sa famille aux Etats-Unis. Le bureau d'aide au départ de la Croix-Rouge genevoise suit le dossier de M. Girma pour que ce transfert ait lieu.

Par conséquent, nous pouvons imaginer qu'à terme, si possible dans les délais, M. Girma réussisse à gagner les Etats-Unis. Dans ce cas, il sera aidé, pour son départ, par la Croix-Rouge. Nous pouvons aussi imaginer qu'il ne puisse pas s'en aller à la date sus-indiquée, auquel cas nous interviendrons pour qu'un délai lui soit accordé.

A la différence de M. Prieto, M. Girma ne veut pas rester en Suisse, mais aller aux Etats-Unis.

Mme Mireille Gossauer-Zurcher (S), rapporteuse. Je serais sensible aux arguments de M. Ramseyer s'il ne se trouvait que M. Girma voulait d'abord rester en Suisse. C'est parce qu'il est contraint de partir qu'il a demandé un visa pour les USA.

S'il est vrai que M. Segond a du pouvoir sur les autorités fédérales, je soutiens le renvoi de la pétition au Conseil d'Etat.

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Les propos de M. Ramseyer m'ont convaincue. Le Conseil d'Etat est prêt à aider M. Girma à rester en Suisse, le cas échéant. Je maintiens ma demande de renvoyer la pétition au Conseil d'Etat.

Mise aux voix, la proposition de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat est adoptée.