République et canton de Genève

Grand Conseil

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PL 12589-A
Rapport de la commission de l'environnement et de l'agriculture chargée d'étudier le projet de loi constitutionnelle de MM. Guy Mettan, François Baertschi, Patrick Dimier, Marc Falquet modifiant la constitution de la République et canton de Genève (Cst-GE) (A 2 00) (Les patrimoines naturel et architectural sont déclarés d'utilité publique)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session I des 11 et 12 mai 2020.
Rapport de majorité de Mme Claude Bocquet (PDC)
Rapport de minorité de M. Guy Mettan (HP)

Premier débat

Le président. A présent, nous traitons le PL 12589-A en catégorie II, trente minutes. Le rapport de majorité est de Mme Claude Bocquet, à qui je cède la parole.

Mme Claude Bocquet (PDC), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Je ne pensais pas qu'on avancerait si vite ! Alors... Pour les mêmes raisons que précédemment, Mesdames et Messieurs, il ne faut pas adopter ce projet de loi qui vise à modifier la constitution en déclarant l'utilité publique de la faune, de la flore et des bâtiments datant de plus de 75 ans. En gros, ce texte mélange les pommes, les poires et les choux, si vous voulez. On ne peut pas décider que tous les immeubles de plus de 75 ans sont des biens communs, certains sont très moches et ne le méritent vraiment pas. Bon, je vous dis les choses comme ça, parce que je n'ai pas trop eu le temps de préparer mon intervention... (L'oratrice rit.)

Une voix. Mais c'est bien !

Mme Claude Bocquet. Concernant l'intérêt public de la faune, on va devoir déterminer quelles bêtes valent... (Commentaires. L'oratrice rit.)

Le président. Un instant, Madame ! (Commentaires. Rires.)

Une voix. Reprends-toi, Claude !

Une autre voix. Tu as tout le temps, il te reste trois minutes.

Une autre voix. Tu t'en sors très bien !

Le président. Il n'y a aucun problème avec ce que vous dites, Madame, il y a un problème avec le fait que je ne vous entends pas. (Commentaires.) Aussi, je remercie les personnes qui se trouvent autour de la rapporteure de majorité, y compris sa présidente de parti, de bien vouloir respecter sa prise de parole. Poursuivez, Madame Bocquet.

Mme Claude Bocquet. Merci. Octroyer l'utilité publique à la faune et à la flore posera des problèmes d'arbitrage, il va falloir définir si un sanglier a plus d'importance qu'un champ de colza, des choses comme ça. Enfin, l'utilité publique permet l'expropriation, ce qui représente une grave atteinte à la propriété. Par conséquent, je vous conseille de refuser ce projet de loi. (Applaudissements.)

Une voix. C'était sympathique !

M. Guy Mettan (HP), rapporteur de minorité. Autant en ce qui concernait le PL 12410-A, c'est-à-dire l'objet sur le cinéma Plaza, il n'était pas recommandé de déclarer l'utilité publique pour les raisons invoquées, autant s'agissant de ce projet de loi, il paraît judicieux de le faire pour l'eau du lac, des cours d'eau, des nappes d'eau et des zones humides ainsi que pour la faune et la flore. En effet, si ces éléments-là ne sont pas des biens communs, alors je me demande ce qui peut l'être ! Si l'eau que nous buvons, si le lac que nous fréquentons, si les cours d'eau, l'Allondon et les autres rivières genevoises ne relèvent pas de l'intérêt public, qu'est-ce qui peut bien l'être dans ce canton ?

A mon sens, ce serait un geste positif, un acte de responsabilité citoyenne pour les générations futures que de considérer l'ensemble du patrimoine naturel et culturel - mais surtout naturel - comme étant d'utilité publique, ce serait une démarche que l'Etat consentirait pour protéger davantage la faune et la flore. Après, évidemment, on peut toujours ergoter, demander si le colza, telle ou telle plante est d'intérêt public ou pas... Je m'excuse, mais c'est juste du chipotage, c'est juste du jésuitisme. Au vu de l'urgence climatique actuelle, je pense qu'on devrait octroyer à l'ensemble du domaine naturel la qualité d'utilité publique, le canton ferait un pas dans la bonne direction.

De plus, il n'y a aucune obligation financière, c'est juste une reconnaissance - je reprends le terme utilisé dans le débat sur le Plaza - de l'importance qu'on accorde au patrimoine sauvage. Personnellement, je ne vois pas quels arguments concrets - d'ailleurs, je n'en ai entendu aucun jusqu'à maintenant - on peut opposer à la prise en considération de ce projet de loi et à la déclaration d'utilité publique de l'ensemble de la faune et de la flore de notre canton.

M. Patrick Dimier (MCG). En quelques mots, on observe depuis longtemps une destruction assez systématique de notre environnement, ce qui est d'autant plus étonnant que ceux qui gèrent le département concerné disent défendre notre patrimoine. L'environnement, ce n'est pas seulement les petites forêts, les herbes vertes, c'est un tout; et dans l'environnement urbain, il y a les édifices, le bâti.

Trop souvent, on oublie le bâti dans ce qu'on appelle la protection de l'environnement. Je sais que le président du dicastère tient un discours très axé sur la construction, et il va certainement nous le prouver tout à l'heure encore, je n'ai aucun doute à ce sujet. Il n'en demeure pas moins que la politique du département est généralement en écart avec ce qui est dit.

On ne demande pas grand-chose dans ce projet de loi, on souhaite simplement que les bâtiments de plus de 75 ans fassent automatiquement l'objet d'une observation et d'une procédure afin de déterminer s'ils sont d'intérêt public ou pas; il ne convient pas de les démanteler simplement parce que ça ne fait pas plaisir de les garder. On connaît tous la musique, puisqu'on aura bientôt une cité dédiée à celle-ci, elle aussi faisant la part belle à la démolition d'un magnifique endroit. Merci.

M. Jean Burgermeister (EAG). En ce qui me concerne et au nom d'Ensemble à Gauche, j'ai quelques critiques à émettre sur ce projet de loi, même si je peux comprendre certaines de ses intentions. Chaque fois que j'entends la rapporteure de majorité, elle me convainc presque de le voter ! Surtout quand elle s'exclame: «Mais enfin, tout de même, imaginez: l'utilité publique permet l'expropriation, et il faut défendre la propriété !» Eh bien c'est précisément là tout son intérêt, à savoir qu'il fait prédominer ce qui relève du bien commun élémentaire, Mesdames et Messieurs: l'environnement dans lequel nous vivons, les milieux naturels, la faune et la flore, les cours d'eau, le lac ! Tout cela l'emporte sur la propriété privée, et nous devons nous donner les moyens de faire primer ces éléments, qui font partie du bien commun, qui sont fondamentaux pour préserver l'environnement, sur les besoins des propriétaires.

En ce sens, le texte est intéressant, et je suis d'ailleurs étonné d'entendre M. Dimier le soutenir, lui qui annonçait tout à l'heure: «Il faut défendre l'essence de la propriété privée, les propriétaires doivent pouvoir construire des murs quand et où ils le souhaitent, qu'importent les questions environnementales qui pourraient être soulevées, c'est la construction des murs et la propriété privée qui doivent primer.» Bon, voilà une contradiction supplémentaire du MCG.

Le texte est donc intéressant, et je trouve même, à vrai dire, qu'il faudrait aller plus loin et réfléchir à la manière d'ancrer les milieux naturels, cours d'eau et rivières dans la loi, pas seulement comme biens d'utilité publique, mais comme biens communs, voire leur accorder un certain nombre de droits juridiques pour les protéger contre leur dégradation systématique par l'activité humaine.

On sait par exemple, Mesdames et Messieurs, que le lac est pollué par des munitions de l'armée: il y a quelques années, ne sachant trop qu'en faire, l'armée avait décidé de les jeter à l'eau, elle en avait trop et, dans un de ces éclairs de génie qui la caractérisent si souvent, s'en est débarrassée au fond du lac en se disant que personne ne s'en rendrait compte ou alors qu'il serait trop tard. Aujourd'hui, non seulement c'est embêtant de dépolluer le lac, mais en plus l'armée nous explique que ce n'est pas à elle de le faire, que c'est à une entreprise d'armement qui par-dessus le marché n'existe plus, enfin que tout cela est trop compliqué et qu'il vaut mieux les laisser là et puis tant pis. A cet égard, on voit bien qu'il est nécessaire d'élaborer des lois qui protègent ces milieux.

Maintenant, le fait d'intégrer parallèlement dans la déclaration d'utilité publique les bâtiments de plus de 75 ans...

Le président. Merci...

M. Jean Burgermeister. ...cela n'a aucun sens ! On ne peut pas mettre sur un même niveau le patrimoine bâti et le lac !

Le président. Merci !

M. Jean Burgermeister. Par conséquent, nous rejetterons ce projet de loi. Je me tiens toutefois à disposition, avec d'autres, pour proposer une formule améliorée...

Le président. C'est terminé.

M. Jean Burgermeister. ...des idées énoncées ici. Je vous remercie, Monsieur le président. (Applaudissements.)

M. Christo Ivanov (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, comme l'ont indiqué certains de mes préopinants, l'article 217, alinéa 1, pose problème. Il stipule ceci: «Le patrimoine architectural datant de plus de 75 ans est déclaré d'utilité publique. Toute atteinte à son intégrité fait l'objet d'une expertise publique et motivée.» Il convient de souligner ici que la mise en place de la nouvelle constitution a pris quelque quatre ans et a coûté extrêmement cher; nous devons prendre garde au dépôt récurrent de projets de lois qui tendent à modifier notre charte fondamentale depuis son entrée en vigueur. Ce texte est excessif, sans parler du fait qu'il existe déjà énormément de lois sur l'environnement. Il conviendrait, dans un premier temps, de s'efforcer de les faire respecter avant d'en créer de nouvelles. Pour ces raisons, le groupe UDC refusera l'entrée en matière sur ce projet de loi. J'ai dit, Monsieur le président, merci.

M. Philippe Poget (Ve). Chers collègues, lors des auditions, plusieurs intervenants ont indiqué que la législation protégeant les biens des patrimoines tant naturel qu'architectural était suffisante, pour autant qu'elle soit correctement appliquée. On nous a également rappelé que ce sont les députés qui attribuent ou pas les moyens pour mettre les lois à exécution. En même temps, certains ont reconnu un caractère quelque peu visionnaire à ce projet, les questions qu'il soulève devenant de plus en plus prégnantes dans nos sociétés.

En ce qui concerne l'eau, par exemple, nous sommes persuadés de la nécessité de sa protection renforcée, car il s'agit tout de même, disons-le, d'un bien commun qui fait l'objet de nombreux usages, ce qui implique forcément des arbitrages. Ce projet de loi évoque d'éventuelles lacunes dans notre constitution eu égard à la prise de conscience des citoyens autour de la protection de notre environnement.

Cependant, les personnes entendues ont aussi mis en avant la difficulté de définir juridiquement des notions comme l'utilité publique et l'atteinte à l'intégrité. Un flou subsiste, et nous nous demandons comment inscrire dans notre charte fondamentale des concepts dont on peine encore à définir les effets concrets.

Nous vous demandons de refuser ce texte, mais nous nous engageons toutefois, comme le collègue Burgermeister, à poursuivre la réflexion sur le sujet. On constate dans plusieurs pays une évolution juridique de ces notions; mentionnons à cet égard l'Appel du Rhône qui milite pour qu'une personnalité juridique soit reconnue au fleuve. Il s'agit là d'une piste qu'on pourrait suivre pour aboutir à une proposition différente et, cette fois, acceptable. Je vous remercie.

Mme Helena Verissimo de Freitas (S). Le présent projet de loi est intéressant, notamment en ce qui concerne l'eau, un bien commun qu'il faut naturellement protéger. Par contre, les auditions en commission ont mis en lumière plusieurs problèmes à différents niveaux. S'agissant du patrimoine bâti, il ne propose pas de vision globale et ne tient compte ni de l'historique ni de l'activité des édifices, alors que ce serait nécessaire. Quant à la faune, à la flore et à la forêt, il existe aujourd'hui suffisamment de lois qui les protègent. Pour finir, le risque est grand d'empêcher une pesée des intérêts lors des procédures de consultation si les préavis des différents offices divergent. Pour ces raisons, le parti socialiste ne votera pas ce texte. Il rejoint toutefois la proposition de M. Jean Burgermeister de travailler à d'autres objets parlementaires. Merci beaucoup. (Applaudissements.)

Le président. Merci à vous, Madame la députée. Je passe maintenant la parole à M. François Baertschi pour une minute douze.

M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. Ce projet de loi a émergé suite au traumatisme de la démolition des Allières, un site où on a détruit une superbe maison, de grands arbres, tout un biotope. A l'heure où tout le monde parle de réchauffement climatique et de problèmes environnementaux, voilà qu'on faisait disparaître l'un de nos joyaux locaux en termes de nature, un espace très bien situé au centre de Genève. Nous l'avions dénoncé à l'époque, et un groupe de députés s'était formé afin de déterminer ce qu'il était possible de faire en se basant sur la constitution; de là est né le projet de loi que nous examinons aujourd'hui. Je déplore que la commission n'ait pas compris l'intérêt de la chose au moment où chacun, quel que soit son parti politique, s'enorgueillit d'empoigner la question du changement climatique. Quand un projet concret est proposé, on ne fait rien, c'est ce qu'il faut malheureusement constater aujourd'hui alors que ce serait le moment d'agir pratiquement, de sauver des arbres, d'oeuvrer pour un cadre de vie agréable. Merci, Monsieur le président.

Mme Céline Zuber-Roy (PLR). Le groupe PLR s'opposera à ce projet de loi pour les raisons développées précédemment, notamment par la rapporteure de majorité. Je ne vais pas revenir sur le fond, mais j'aimerais réagir à l'intervention de M. Baertschi, qui constate une situation problématique et se demande comment il est possible d'agir: en tant que députés, nous ne sommes pas obligés de modifier la constitution, nous avons la chance de pouvoir présenter un projet de loi ou, si nous ne souhaitons pas rédiger un texte légal en entier, nous pouvons déposer une proposition de motion invitant le Conseil d'Etat à élaborer lui-même un projet de loi.

Venir ici avec un texte très général de modification de la constitution, lequel soulève par ailleurs des tonnes d'interrogations quant à l'application juridique des notions évoquées, cela n'a pas de sens ! Il s'agirait d'une initiative populaire, on comprendrait, mais ce n'est pas le cas. Sérieusement, arrêtons de chercher à modifier en permanence cette constitution. Genève a réécrit sa charte fondamentale à grands frais, la précédente relevant davantage du domaine législatif que constitutionnel. Mettons dans les lois ce qui doit figurer dans les lois ! Il s'agit d'un détail, ce n'est pas à cause de cela que nous refuserons cet objet - nous le faisons pour des questions de fond -, mais j'avais envie de le souligner. Je vous remercie.

Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. J'ajouterai qu'il est également possible de déposer un postulat devant ce Grand Conseil, mais ce genre d'objet n'est généralement pas très populaire. Monsieur Jean Burgermeister, le groupe Ensemble à Gauche n'a plus de temps de parole. Plus personne ne souhaitant s'exprimer, je soumets ce projet de loi au vote d'entrée en matière.

Mis aux voix, le projet de loi 12589 est rejeté en premier débat par 73 non contre 14 oui et 1 abstention.