République et canton de Genève

Grand Conseil

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M 2506
Proposition de motion de Mmes et MM. Adrienne Sordet, Alessandra Oriolo, Katia Leonelli, Paloma Tschudi, Jean Rossiaud, Yves de Matteis, Delphine Klopfenstein Broggini, Frédérique Perler, Philippe Poget, Mathias Buschbeck, François Lefort, Yvan Rochat, Pierre Eckert, Marjorie de Chastonay, Isabelle Pasquier, Jocelyne Haller, Pierre Vanek, Romain de Sainte Marie, Caroline Marti, Nicole Valiquer Grecuccio, Salima Moyard, Christian Dandrès, Jean-Charles Rielle, Léna Strasser : Pour permettre aux apprenties, collégiennes et étudiantes de participer à la grève des femmes le 14 juin 2019 : pas d'examens ce jour-là !
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IV des 11 et 12 octobre 2018.

Débat

Le président. Nous abordons la sixième urgence que nous avons votée hier. Il s'agit de la M 2506, qui sera traitée en catégorie II, trente minutes. Je passe immédiatement la parole à la première signatrice, Mme Adrienne Sordet.

Mme Adrienne Sordet (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, il y a trente-sept ans l'égalité entre femmes et hommes faisait son entrée dans la Constitution, et en 1996 la loi sur l'égalité entre femmes et hommes entrait en vigueur. C'était il y a vingt-deux ans. Depuis lors, pour ceux et celles qui auraient un peu de mal à se le représenter, j'ai eu le temps, ou plutôt mon frère jumeau et moi, devrais-je dire, avons eu le temps de naître, de grandir et d'aller à l'école ensemble, or si à l'heure actuelle nous occupions le même poste, munis des mêmes papiers et des mêmes compétences, je travaillerais gratuitement pendant un mois et demi alors que lui serait payé. Pourquoi ? J'espère sincèrement que dans vingt-deux ans la nouvelle génération ne se posera plus cette question que je me pose aujourd'hui: pourquoi mon genre définit-il mes compétences aux yeux de la société ? Je pense véritablement que les femmes sont en colère et qu'elles en ont marre car le canton ne prend pas encore assez ses responsabilités envers elles, alors qu'elles subissent de nos jours encore des inégalités au niveau salarial, mais aussi des discriminations, du harcèlement dans la rue et au travail, des violences, des viols, et je pourrais vous citer de nombreux autres exemples, car la liste est très longue. Et si dans un monde idéal tout cela ne se produit pas, eh bien je vous invite, chères et chers collègues, à questionner votre femme, votre soeur, votre mère ou votre fille en rentrant chez vous. Elles auront toutes une histoire à raconter et des choses à revendiquer. Alors si tout cela ne semble qu'agitation aux yeux de certains et certaines, soit, mais ils sont un peu en retard sur leur temps.

Le 14 juin, soutenons les femmes qui sont encore en études, en apprentissage, celles qui représentent aussi l'avenir de notre société. Soutenons les femmes pour qu'elles puissent faire partie de ce mouvement et se mobiliser pour leurs droits. En effet - et je vais poser une question peut-être un peu naïve - au regard de toutes les demandes de crédit et d'investissement, de toutes les sommes qui passent devant ce parlement, que vous coûte la requête que nous formulons ? Je répète: que vous coûte cette solidarité du gouvernement envers son peuple, dans la mesure où la question de l'égalité nous concerne tous et toutes ? Vous qui êtes en train de m'écouter savez que l'égalité n'a pas de couleur ni de parti. Cela étant, Mesdames et Messieurs, j'ai conscience que ce qui vous retient, c'est sans doute cette notion de grève. Mais nous pourrions voir cette grève comme une tempête en forêt, une tempête qui fait peut-être tomber de grands arbres, ceux des préjugés, des idées reçues, des injustices, des discriminations et des violences, mais qui permet aussi aux petits arbres de recevoir de la lumière, de grandir, de s'émanciper et de semer des graines à leur tour, de façon que la forêt se renouvelle et se refaçonne. Pour toutes ces raisons, je vous en conjure, soyons pour une fois des gestionnaires judicieux, judicieuses et alertes pour notre avenir, et permettons à l'égalité de fleurir et de se répandre en réservant un accueil favorable à cette motion. Je vous remercie. (Applaudissements. Exclamations.)

Des voix. Bravo !

Le président. Je vous remercie. La parole est à Mme Delphine Bachmann. (Brouhaha. Un instant s'écoule.)

Mme Delphine Bachmann (PDC). On ne me cède pas la parole ? (Exclamations.)

Le président. Je vous l'ai cédée, mais il semble qu'il y ait eu un peu de bruit !

Mme Delphine Bachmann. Merci, Monsieur le président ! Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais ici dépasser la réplique à cette motion selon laquelle pour faire grève, il faut avoir un travail, et ce pour plusieurs raisons. Déjà, les étudiantes d'aujourd'hui sont les travailleuses de demain. Elles ont donc le droit de s'exprimer et de s'impliquer pour que l'égalité de traitement leur soit un jour garantie quand elles seront sur le marché du travail. La rectrice de la HES-SO a d'ailleurs pris position dans ce sens, comme d'autres cantons l'ont fait. Cette grève, comme on l'appelle, est plutôt une manifestation d'envergure nationale, dont la date a été fixée sur le plan suisse. Ce sera l'occasion pour toutes les femmes - et pour les hommes aussi, car l'égalité est l'affaire de tous, à l'image de mon collègue Bertrand Buchs qui fermera son cabinet - de faire passer un message nécessaire. En effet, on a certes un peu progressé en matière d'égalité, mais j'aimerais souligner que nous n'y sommes toujours pas. Ainsi, cette année les femmes ont travaillé gratuitement jusqu'au 22 février. J'ai parfois l'impression que la tendance actuelle sous-entend qu'on peut voter, qu'on peut travailler, qu'on peut même ouvrir un compte en banque, et que c'est déjà pas mal. Eh bien non, Mesdames et Messieurs: l'égalité, il va falloir s'y mettre sérieusement, et ce dans les deux sens, car le parti démocrate-chrétien défend avec ferveur l'égalité pour les femmes et les hommes dans les différents aspects de la vie, notamment tout ce qui touche à la conciliation entre vies professionnelle et familiale. Je rends du reste hommage à la conseillère d'Etat Nathalie Fontanet, qui s'est engagée en faveur de la parité dans les conseils d'administration, et j'espère que Mme Emery-Torracinta fera également un geste dans le même sens car, oui, le geste et le symbole de cette journée vont compter. L'égalité, c'est maintenant, ce n'est pas dans quarante ans ! Je vous remercie. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

Mme Amanda Gavilanes (S). Mesdames et Messieurs les députés, le parti socialiste soutiendra bien évidemment cette motion, qui est plus qu'essentielle pour la participation de chacune à cette journée d'action cantonale et nationale. En effet, mes préopinantes l'ont bien expliqué, les femmes feront grève le 14 juin prochain, comme en 1991 et 2011; elles feront grève, nous ferons grève, car nous n'en pouvons plus d'attendre que l'égalité entre femmes et hommes soit atteinte. Son inscription dans la Constitution fédérale remonte à 1981, sa loi d'application à 1996, et depuis les choses avancent à pas de fourmis et reculent au gré des crises politiques et économiques dont les femmes sont malheureusement les premières victimes. Est-il réellement nécessaire de rappeler que la Suisse est l'un des derniers pays d'Europe à ne pas avoir de congé paternité digne de ce nom ? Est-il nécessaire de rappeler que les femmes de ce pays gagnent environ 20% de moins que les hommes ? Doit-on encore dire et redire que 86% des tâches domestiques et éducatives sont assurées par les femmes ? Que 80% d'entre nous ont subi du harcèlement et/ou des violences sexuelles ? Que la majorité des femmes de ce pays exercent un travail à temps partiel, ce qui les précarise ? La réponse à toutes ces questions est bien évidemment oui. Oui, car la parole des femmes est trop souvent remise en question. Oui, car en matière d'égalité il n'existe pas de cercle vertueux: la seule main invisible que connaissent les femmes est celle qui vient se poser sur leurs fesses. Il faut que cela change. Si la patience est la mère des vertus, elle n'est plus l'amie des femmes. Il est donc important que l'on donne la parole à ces dernières et que chacune d'entre elles puisse faire grève, la grève étant l'instrument idéal pour réunir les femmes de ce pays et de ce canton. Le temps de la sororité et de la solidarité est arrivé ! Merci de votre écoute. (Applaudissements.)

Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, il est inacceptable qu'en 2019 les femmes gagnent encore près de 20% de moins que les hommes. Il est tout aussi inacceptable que leurs rentes AVS soient inférieures de 37% en moyenne. Il est tout aussi affligeant que le partage traditionnel des rôles prévale encore et que le sexisme décomplexé règne impunément. Ainsi, en 2019, l'égalité femmes-hommes n'est toujours pas acquise, quand bien même elle est dûment inscrite dans la législation. Tant s'en faut. Face à ce constat, notamment en matière d'inégalité salariale, on aurait pu en toute logique s'attendre à ce que les Chambres fédérales sanctionnent les manquements à la loi sur l'égalité et à la disposition constitutionnelle. Eh bien non. Non seulement elles ne l'ont pas fait, mais elles ont qui plus est cautionné, voire légitimé ce déni de droit en ne condamnant pas les manquements à l'égalité salariale et en misant sur des mesures dérisoires d'auto-analyse des entreprises, et cela uniquement pour celles qui comptent plus de cent employés. C'est dérisoire, en particulier parce que l'auto-analyse pourrait laisser accroire que les entreprises ne sont pas conscientes de leur propre politique salariale. Or si elles ne le sont pas, qui le serait ? Dérisoire parce que les résultats de l'analyse en question ne sont destinés à être diffusés qu'à l'interne. Dérisoire encore parce qu'aucune sanction ne serait prise en cas de non-respect avéré de la loi. Dérisoire aussi parce que les entreprises de plus de cent employés ne représentent que 2% de l'ensemble des sociétés de notre pays. Et plus dérisoire encore parce que toutes les analyses révèlent que c'est dans les entreprises de moins de vingt employés que se situent majoritairement les inégalités salariales.

En 1991, la grève des femmes a amené plus de 500 000 femmes dans la rue. Cette mobilisation a largement contribué à faire progresser la situation, mais il reste du chemin à parcourir, nous le savons tous et toutes. Les femmes en ont pris la pleine mesure et s'apprêtent à retourner dans la rue pour faire entendre leurs revendications et faire valoir leurs droits. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Le rendez-vous est pris, mais pour qu'il ait un grand retentissement, il faut que toutes les femmes puissent être présentes dans la rue; nous soutenons donc cette motion afin que les apprenties, les étudiantes, les collégiennes et les enseignantes puissent également venir dans la rue le 14 juin, sans être prises en otage par le risque de manquer un examen. Pour toutes ces raisons, nous vous appelons à adopter cette motion...

Le président. Voilà, c'est terminé, Madame !

Mme Jocelyne Haller. ...car plus que jamais la participation à la grève du 14 juin sera un acte citoyen...

Le président. Je suis obligé de passer la parole à M. Thomas Bläsi.

Mme Jocelyne Haller. ...et un moyen de contribuer à la justice sociale. (Applaudissements.)

M. Thomas Bläsi (UDC). Merci, Monsieur le président. Au vu des arguments des auteurs de ce texte et de mes divers préopinants... (Commentaires. Exclamations.)

Une voix. Préopinantes !

M. Thomas Bläsi. De mes diverses préopinantes ! ...mais aussi par conviction personnelle, puisque en tant que chef d'entreprise je mets beaucoup de soin à ce que ces règles d'équité soient strictement appliquées dans ma société, j'annonce qu'en ma qualité de chef de groupe UDC j'accorde à mon groupe la liberté de vote sur cette motion... (Exclamations.) ...car je considère que c'est un sujet qui touche à la conviction personnelle de chacun. Merci, Monsieur le président. (Brouhaha.)

Mme Anne Emery-Torracinta, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, vous pouvez bien imaginer que la personne qui vous parle - avec à ses côtés une autre conseillère d'Etat ainsi qu'un magistrat lui aussi tout à fait ouvert à ces questions - est très sensible à la cause des femmes. A titre personnel, je pourrais vous raconter la grève des femmes de 1991, à laquelle j'ai participé avec mes deux fils tout de fuchsia vêtus pendant que mon mari s'occupait des tâches ménagères et gardait ma fille handicapée. C'est donc bien sûr avec sympathie que nous accueillons cette proposition de motion, mais il n'en reste pas moins que, dans les faits, l'organisation des examens est extrêmement complexe, Mesdames et Messieurs les députés, et ce serait vous mentir que de dire qu'il suffit de déclarer - il y a trois mois, aujourd'hui ou dans deux mois - qu'il n'y aura pas d'examens, de semestrielles et d'épreuves de fin d'année le 14 juin pour que ce soit facilement réalisable. En effet, vous le savez, certaines écoles sont de grands établissements qui peuvent compter 2000 élèves et plusieurs filières - professionnelles, gymnasiales, ECG, etc. De plus, les examens des filières professionnelles ne sont pas forcément planifiés par le département, puisqu'ils peuvent l'être aussi par les associations professionnelles. C'est donc extrêmement complexe. Sachant cela, les écoles ont commencé à s'organiser il y a plusieurs mois déjà, et j'ai demandé que les prémices de ces calendriers soient transmises au département afin que nous puissions voir si oui ou non il nous était possible d'éviter de placer des examens ou des évaluations de fin d'année ce jour-là.

Eh bien sur cette base, je vous annonce aujourd'hui qu'il doit être possible de ne pas organiser d'examens le 14 juin, et les directions d'établissement ont reçu des instructions dans ce sens il y a déjà plusieurs semaines. Cependant, cela entraînera probablement - en tout cas dans les grandes écoles - un déplacement de la session d'examens, avec la possibilité que celle-ci soit prolongée d'un jour. Nous n'allons pas l'anticiper et supprimer des cours, rassurez-vous, mais il est probable que dans certains cas il faille prolonger la session d'une journée ou programmer deux examens le même jour - je pense notamment aux oraux. Cela dit, ce genre de pratique où les élèves ont quatre ou cinq examens le même jour existe déjà pour la maturité fédérale, par exemple, de même que pour les CFC en formation professionnelle.

En l'état, Mesdames et Messieurs les députés, voici donc ce que je peux vous dire: l'organisation des sessions d'examens n'est pas encore totalement sous toit, mais des instructions ont été données et d'ici quelques semaines on pourra vous confirmer qu'il n'y aura pas d'examens probablement dans la majorité des établissements concernés, avec sans doute quelques exceptions ici ou là.

J'aimerais maintenant revenir sur la question des enseignants qui a été abordée. Vous parlez ici des enseignants, mais actuellement le Conseil d'Etat réfléchit à la façon de gérer la question au niveau du personnel de l'administration d'une manière générale, car au sens strict du terme ce n'est a priori pas une grève, ce n'est pas un conflit entre employeur et employés. Nous devons donc voir - avec les associations professionnelles concernées, d'ailleurs - quelle est la meilleure solution pour gérer la question des employés de l'Etat, et non plus des examens. Voilà l'état de la situation, et nous vous tiendrons bien sûr au courant de l'évolution de cette dernière. Merci de votre attention.

Le président. Je vous remercie. (Le président est interpellé.) Non, vous ne pouvez pas prendre la parole après la magistrate ! Je la cède en revanche à Mme Marti, car elle veut formuler une demande. C'est au sujet du vote nominal, j'imagine ?

Mme Caroline Marti. Oui, merci, Monsieur le président !

Le président. Très bien. Etes-vous soutenue ? (Plusieurs mains se lèvent.) C'est le cas. Nous passons donc au vote nominal sur la prise en considération de cette motion.

Mise aux voix, la motion 2506 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 64 oui contre 12 non et 9 abstentions (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Motion 2506 Vote nominal