République et canton de Genève

Grand Conseil

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PL 11838-A
Rapport de la commission des travaux chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Roger Deneys, Salima Moyard, Christian Frey, Isabelle Brunier, Cyril Mizrahi, Caroline Marti, Lydia Schneider Hausser, Jean Batou, Pierre Vanek, Jocelyne Haller, Olivier Baud abrogeant la loi 11254 ouvrant un crédit d'étude de 16'500'000F en vue de la réalisation et l'équipement d'un établissement fermé d'exécution de sanctions pénales de 450 places (Etablissement Les Dardelles) sur le site pénitentiaire rive gauche (Fin immédiate de l'étude d'une nouvelle prison dite des Dardelles)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VI des 21 et 22 septembre 2017.
Rapport de majorité de M. Jacques Béné (PLR)
Rapport de première minorité de M. François Lefort (Ve)
Rapport de deuxième minorité de Mme Lydia Schneider Hausser (S)
Rapport de troisième minorité de M. Olivier Baud (EAG)
M 2220-A
Rapport de la commission des travaux chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et MM. François Lefort, Martine Roset, Sophie Forster Carbonnier, Bertrand Buchs, Lisa Mazzone, Emilie Flamand-Lew, Jean-Luc Forni, Roger Deneys, Bernhard Riedweg, Jean-Charles Rielle, Jean-Marc Guinchard, Olivier Cerutti, Anne Marie von Arx-Vernon, Isabelle Brunier, Boris Calame, Jean-Michel Bugnion, Christian Frey, Philippe Morel, Irène Buche, Mathias Buschbeck, Frédérique Perler pour une prison intercantonale : abandonnons le projet de la prison des Dardelles !
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VI des 21 et 22 septembre 2017.
Rapport de majorité de M. Jacques Béné (PLR)
Rapport de première minorité de M. François Lefort (Ve)
Rapport de deuxième minorité de Mme Lydia Schneider Hausser (S)
Rapport de troisième minorité de M. Olivier Baud (EAG)

Premier débat

Le président. Nous passons maintenant, chers collègues, à la suite de notre ordre du jour ordinaire: nous abordons le PL 11838-A et la M 2220-A en catégorie II, quarante minutes. Je cède la parole au rapporteur de majorité, M. le député Jacques Béné.

M. Jacques Béné (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, je ne sais pas si c'est le moment d'avoir un débat sur ces objets, sachant que le vrai débat devra avoir lieu dans le cadre du crédit d'investissement de 258 millions qui est actuellement pendant devant la commission des travaux. C'est clair que ces deux textes, traités pendant douze séances, ont permis de faire un large tour d'horizon du sujet, et que le rapport sera très utile à la commission des travaux dans le cadre de l'étude du crédit d'investissement.

Il est évident que plusieurs groupes politiques ne veulent pas entendre parler de construire une prison, encore moins de détention administrative. On a essayé de demander que ces deux objets soient retirés; ça n'a malheureusement pas été le cas. Pourquoi les retirer ? Eh bien, parce que le crédit d'étude a été dépensé et que le débat doit maintenant avoir lieu sur les 258 millions du crédit d'investissement. Défendre la construction d'une prison n'est pas vraiment intéressant politiquement, encore moins électoralement. Ce n'est pas vraiment porteur: il est question non seulement de coûts d'investissement mais ensuite de coûts de fonctionnement importants. Certains veulent continuer à mettre dans la balance la détention administrative et le fait de créer des prisons inutilement pour essayer de torpiller ce genre de projet. Ce qui est gênant, c'est que les opposants n'apportent strictement aucune solution en ce qui concerne la planification pénitentiaire, déjà présentée à moult reprises en commission.

J'aimerais vous rappeler ici les arguments qui plaident en faveur de ce futur crédit d'investissement. La première raison, c'est que les cantons de Vaud et de Fribourg, contrairement à ce qui a été dit, ont clairement refusé d'entrer en matière quant à une construction sur leurs territoires. Le projet retenu dans le cadre de l'appel d'offres est par ailleurs le moins cher qui a été présenté, et il fait aujourd'hui l'objet du crédit d'investissement. Ce projet est également le plus dense et le moins gourmand en surface d'assolement, ce qui devrait plutôt être un argument pour les Verts.

La construction des Dardelles est incontournable pour permettre la réhabilitation de Champ-Dollon. La densification de Champ-Dollon n'est malheureusement pas envisageable et Les Dardelles mettront fin à sa surpopulation - Champ-Dollon est occupé à 170% à fin mai 2018. En outre, on pourra enfin avoir un véritable déploiement du concept de réinsertion des détenus puisque le nombre de places de travail à disposition permettra d'occuper tout le monde. Enfin, La Brenaz sera effectivement affectée à la détention administrative, et on pourra réclamer la subvention fédérale de 40 millions. Je pense que nous aurons tout le loisir de revenir sur ces projets dans le cadre des travaux sur le crédit d'investissement; la majorité de la commission vous invite à refuser les deux objets qui vous sont présentés aujourd'hui. Je vous remercie.

M. François Lefort (Ve), rapporteur de première minorité. Mesdames et Messieurs les députés, le 18 septembre 2014, nous mettions en exergue le coût très élevé de ce projet, un établissement d'exécution de peine de 450 places sur le site de Champ-Dollon. Ce coût, supporté principalement par Genève, sera d'ailleurs alourdi du coût de fonctionnement annuel d'une prison d'une telle taille, qui pèsera pour de nombreuses années sur tous les futurs budgets de l'Etat de Genève. Alors que la rénovation de la prison existante de Champ-Dollon apparaît, elle, comme une vraie priorité ! L'emprise sur la zone agricole, même si elle a été réduite dans le projet proposé et financé par le crédit d'étude, reste importante. Enfin, la population des environs, et surtout celle de Puplinge, n'est pas favorable à ce projet en raison de nuisances accrues par rapport à celles qui existent.

Il y a quatre ans, nous invitions principalement le Conseil d'Etat à abandonner l'étude de ce projet de prison des Dardelles et à étudier, en collaboration avec les cantons romands, un projet de construction de prison intercantonale sur les terrains disponibles des sites pénitentiaires d'autres cantons romands. Les auditions, de même que la présentation du projet de prison des Dardelles par le département, ne nous ont nullement convaincus de la nécessité de construire cet établissement d'exécution de peine à Genève; aujourd'hui, nous maintenons nos demandes telles que rappelées. Nous les rappelons par cette motion avant bien sûr d'aborder, si nécessaire, la discussion sur le crédit d'investissement. Nous demandons au Conseil d'Etat de s'engager maintenant avec volonté - ce qu'il n'a pas fait jusqu'à présent - dans des projets intercantonaux, pour le futur, et non dans des aventures solitaires et coûteuses pour notre canton. Aventures coûteuses qui se réaliseront au détriment d'autres priorités !

Il existe un concordat latin sur la détention pénale des adultes qui préconise la construction de prisons concordataires, et c'est évidemment ce que nous demandons. Entre 2014 et 2016, il y a d'ailleurs eu quelques contacts entre le Conseil d'Etat et d'autres cantons; leurs réponses sibyllines ont permis de comprendre qu'aucun ne veut souscrire aux engagements pris dans le cadre du concordat latin. Eh bien, il faudra que ça change ! A chacun sa politique de planification pénitentiaire ! Voilà la réalité: à chacun sa prison ! Voilà le programme, voilà la conclusion ! Ce serait risible si on ne parlait pas ici de centaines de millions dépensés pour des prisons dans les différents cantons au détriment d'autres domaines où cet argent est nécessaire, c'est-à-dire l'enseignement, la santé, l'aménagement et les transports.

Pendant le même temps, le crédit d'étude de 16 millions et quelques a été dépensé. Il a abouti à un projet remanié, réduit d'un coup de quelques millions: nous héritons maintenant d'un projet à 258 millions de francs. Subventionné à hauteur de 69 millions, le coût pour le canton s'élève à 189 millions - le prix, en gros, de trois collèges. Il faudra rajouter la même somme d'ici peu pour rénover Champ-Dollon, car il ne faut pas l'oublier, Champ-Dollon doit absolument être rénové. Malgré les démonstrations qui le minimisaient, il est par ailleurs clair que le coût de fonctionnement va augmenter une fois que Champ-Dollon aura été rénové et aura retrouvé sa pleine affectation, et que Les Dardelles fonctionneront pour les exécutions de peines.

Avec le taux d'encadrement genevois de 0,49 gardien par place de prison, ce sont 220 gardiens, au moins, qu'il faudra engager. Lors de l'audition de l'Union du personnel du corps de police du canton de Genève, ce syndicat a d'ailleurs regretté un changement: le personnel des prisons avait été associé aux anciens projets tels que Cento Rapido 1, Cento Rapido 2 et Juridico - ces deux derniers projets, que vous ne connaissez pas, ayant d'ailleurs été abandonnés en 2013 en faveur des Dardelles. Le personnel n'a en effet pas été associé à ce nouveau projet; il n'a pas eu son mot à dire sur la faisabilité de ce dernier. Le service technique et sécurité de Champ-Dollon n'a jamais été associé au projet des Dardelles, pas plus que l'ancien directeur de la prison ! Alors que Cento Rapido 1 avait précisément été géré directement par Champ-Dollon et par le service technique et sécurité !

Le président. Vous parlez sur le temps de votre groupe, Monsieur le député.

M. François Lefort. Oui, merci. Il est très surprenant de mener un projet pénitentiaire sans y associer les personnes qui travaillent sur le terrain et les cadres de la prison. Ces anciens projets, qui avaient été développés rationnellement et se concentraient sur le périmètre existant de Champ-Dollon, ont été rayés de la carte en 2013 pour faire place à ce somptueux et coûteux projet. Alors qu'il était si urgent à ce moment-là, il a finalement retardé la rénovation de Champ-Dollon et l'amélioration des conditions de détention, puisqu'il ne s'est rien passé pendant cinq ans.

Nous restons persuadés que la solution d'une prison intercantonale n'a pas été suffisamment évoquée avec les cantons concordataires, alors qu'elle s'avère la meilleure solution pour tous les signataires. Enfin, dans le contexte budgétaire actuel - le PF 17 compris - il faut avoir le courage de dire que Genève n'a plus les moyens financiers et territoriaux pour ce projet; il y a d'autres priorités dans les transports publics, dans la construction de collèges, dans l'entretien et l'assainissement énergétique des bâtiments publics et dans la construction de logements. Genève ne peut plus tout faire et une prison de 450 places n'est pas la priorité. Il faut aujourd'hui faire passer ce message en votant la motion et le projet de loi; il faut donner le signal que nous ne voulons pas de cette prison à Genève, qu'il y a d'autres solutions plus rationnelles et qu'il faut maintenant les étudier. Merci. (Quelques applaudissements.)

Mme Marion Sobanek (S), rapporteuse de deuxième minorité ad interim. Après l'intervention très complète de mon collègue, je vais tenter de donner un autre éclairage. J'aimerais bien préciser que les socialistes ne veulent pas torpiller des projets de lieux de détention à dimension humaine et permettant une réinsertion réussie. Mais pour les socialistes, le projet de prison d'exécution de peine des Dardelles, dans les dimensions, aux coûts de construction et avec des frais de fonctionnement tels qu'exposés en commission, est à abandonner. Nous ne cautionnons évidemment pas la surpopulation carcérale, néfaste pour les détenus et le personnel, mais nous sommes d'avis qu'il existe d'autres réponses à apporter plutôt que d'ériger de nouvelles prisons.

Dans le nord de l'Europe - par exemple en Hollande, en Finlande, en Suède - on privilégie des sanctions comme les arrêts domiciliaires, le travail d'intérêt général ou le bracelet électronique. Les juges y ont moins recours à la détention provisoire dont la durée peut être limitée. Résultat: les prisons hollandaises sont vides, faute de clients. Or en Suisse, on a choisi de rallonger les peines privatives et on a plus facilement recours à la détention provisoire. De même, l'emploi du bracelet électronique semble très restreint. Par ailleurs, on trouve une grande différence entre la Suisse alémanique et la Suisse romande. De Bâle, canton frontalier, à Genève, canton qui l'est également, le nombre de détenus par habitant augmente: vous avez 68 détenus pour 100 000 habitants à Bâle alors que vous en avez 109 à Genève, ce qui est pire que le taux de détention aux Emirats arabes unis, mais, je vous rassure, correspond au taux de la Corée du Sud ! Pour la détention préventive, c'est exactement pareil: 25 en Suisse alémanique contre 45 ici. L'argument de la frontière n'explique donc pas tout, puisque Bâle est bel et bien un canton frontalier. Nous n'avons pas épuisé les possibilités d'autres sanctions que l'incarcération pour diminuer le nombre de détenus. Notre appareil judiciaire doit pouvoir prononcer les jugements plus rapidement et être doté du personnel nécessaire pour le faire, car il y a trop de personnes en préventive et elles y restent souvent trop longtemps. Actuellement, 33 personnes sont en détention préventive depuis plus d'une année !

La promesse publicitaire pour Les Dardelles - un détenu, une place de travail - semble également bien difficile à tenir. Pourquoi ? La majorité des détenus parle souvent mal le français et ne peut exercer qu'un travail dans l'agriculture, comme c'est le cas dans de grandes prisons suisses d'exécution de peine. Or à Genève, vous le savez, nous n'avons pas de terrains à disposition pour offrir cette possibilité. D'autres projets se heurtent souvent à l'opposition des entrepreneurs locaux. Cette promesse est donc difficile à tenir !

Une «superprison» de 450 places, une cité pénitentiaire gigantesque, nous n'en voulons pas ! La population de Puplinge n'en veut pas non plus. La fermeture de plus petites unités, davantage à échelle humaine et souvent propices à des projets novateurs, ne nous semble pas opportune. Le lieu dédié à la détention administrative devrait par ailleurs rester près de l'aéroport. En outre, dans cette «superprison», il manque toujours une place pour les femmes. A Genève, chaque fois qu'on a érigé une prison, on a fait des économies au lieu de prévoir des lieux décents pour la détention des femmes. C'est un point qui me semble vraiment à discuter dans ce type de projet.

Concernant les coûts et les détails, je crois que mon collègue vous a donné tous les chiffres nécessaires. Nous devons plutôt interroger à court et moyen terme notre arsenal juridique et la politique pénitentiaire qui en découle. Nous devons renoncer à construire un mastodonte de la détention et dire oui à ce projet de loi et à la motion. Je vous remercie.

M. Olivier Baud (EAG), député suppléant et rapporteur de troisième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, au moment où le projet de loi visant à supprimer le crédit d'étude de 16 millions de francs a été déposé, ce montant était à peine entamé d'un quart ! Le texte se justifiait donc amplement pour arrêter les frais tant qu'il en était encore temps. Evidemment, la majorité a un peu joué la montre - il suffit de regarder les dates de dépôt des rapports de minorité et du rapport de majorité - et pour finir, on se retrouve un peu mis devant le fait accompli. Il faut bien y aller, Champ-Dollon se remplit, on a besoin d'une nouvelle prison; ce sont toujours les mêmes arguments qui sont mis en avant, et qui peinent toujours à convaincre ! C'est dommage qu'on ait laissé le temps s'écouler de la sorte au lieu de prendre une mesure radicale et de revoir complètement le projet, car quand un projet n'est pas bon, il faut pouvoir l'admettre et le redimensionner.

J'aimerais porter ici la voix du syndicat de la police - l'Union du personnel du corps de police, l'UPCP - car il a été longuement auditionné par la commission des travaux et son témoignage est tout à fait éclairant. Il défend les gardiens de prison, le personnel pénitentiaire, qui sont quand même les premiers concernés. Il est apparu très clairement et sans aucune nuance que ce projet de prison des Dardelles n'est pas nécessaire, qu'il est surdimensionné et mal conçu. Il y a deux aspects: d'abord une mauvaise conception et puis aussi la menace écologique qu'a rappelée ma collègue - une pétition s'appelle «Menace sur la zone agricole de Puplinge». On ne peut pas, à Genève, sur un territoire aussi exigu que le nôtre, sacrifier des hectares de terres agricoles pour une prison mal fichue qui, au mieux, sera remplie le temps qu'on rénove Champ-Dollon. Et une fois que les prisonniers auront réintégré Champ-Dollon, eh bien, elle sera de nouveau vide ! On n'a ni l'occasion ni les moyens de s'offrir le luxe de construire une prison qui resterait inoccupée ! Il faut revoir la politique pénitentiaire d'une manière générale. Mesdames et Messieurs, la voix de la raison appelle à accepter ce projet de loi, c'est-à-dire à refuser le crédit d'étude de 16 millions. Je vous remercie.

Mme Nicole Valiquer Grecuccio (S). Vous aurez bien sûr remarqué à la lecture des rapports de minorité les réserves émises par le groupe socialiste sur la dimension de ce projet de 450 places. Sans reprendre l'intégralité de ces rapports - ma collègue en a exposé certains éléments tout à l'heure - nous tenons à relever qu'il est important que les projets dans le domaine pénitentiaire ne s'élaborent pas de manière «top-down», je dirais, c'est-à-dire sans que les collaborateurs de terrain y soient associés, ou en les y associant peu ou mal. Nous avons effectivement entendu des représentants des agents de détention émettre des critiques, mais aussi regretter le fait qu'ils n'aient pas été consultés sur leurs compétences métier. Ça peut paraître trivial, mais ce sont eux qui tous les jours ouvrent et ferment les portes de Champ-Dollon, qui savent comment se passe le travail sur le terrain. Ce sont eux aussi qui endurent des conditions de travail qui comportent les risques que l'on peut imaginer, comme à Curabilis ou dans d'autres établissements pénitentiaires. Pour nous, il est donc important que les collaborateurs puissent dire ce qui est utile pour leur métier lors de l'élaboration d'un projet - non seulement pour leur propre sécurité mais également pour celle des personnes détenues.

D'autre part, il nous semble essentiel aussi d'étudier de manière plus sérieuse la rénovation de la prison de Champ-Dollon avant de se lancer dans un projet de grande envergure. Les collaborateurs ont dit que l'extérieur présente de graves défauts d'entretien - les moyens qui y étaient destinés ont été affectés ailleurs - mais que l'intérieur correspond aux besoins de leur travail. Il est selon nous important d'étudier ce projet, comme il est important de se pencher sur l'ensemble de la politique pénitentiaire. Est-ce qu'il est juste que des gens restent en préventive de manière trop prolongée ? On devrait également avoir une discussion avec le ministère public. Etant donné le coût que représente le maintien en détention d'une personne, et par conséquent son coût pour la collectivité, est-ce qu'il est juste que des personnes qui doivent exécuter de courtes peines ne puissent pas avoir des peines alternatives ?

Parler de politique pénitentiaire, c'est aussi remettre au centre des discussions ce qui concerne la prévention et l'éducation, comme l'ont montré les agents de détention eux-mêmes. Selon les socialistes, vous l'aurez compris, le projet tel que présenté aujourd'hui doit impérativement être revu, aussi bien dans l'intérêt des collaborateurs que des personnes détenues. Il va notamment falloir répondre au besoin d'un lieu plus adapté pour les femmes. Oui, il y a des problèmes, nous ne le nions pas, mais il faut travailler en commun. Je vous remercie.

M. Jean-Luc Forni (PDC). Monsieur le président, après avoir entendu le rapporteur de majorité, les trois rapporteurs de minorité ainsi que l'excellente intervention de ma collègue précédente, Mme Nicole Valiquer Grecuccio, le parti démocrate-chrétien pense qu'il y a encore beaucoup de questions en suspens sur ce sujet. Les arguments des uns et des autres ne sont de loin pas convergents; il nous paraît prématuré à l'heure actuelle de prendre une décision. Je demande donc, au nom du parti démocrate-chrétien, de renvoyer ces deux objets en commission.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Je donne la parole aux rapporteurs s'ils veulent s'exprimer, mais uniquement sur cette question. Monsieur François Lefort, c'est à vous.

M. François Lefort (Ve), rapporteur de première minorité. Merci, Monsieur le président. Ecoutez, il n'y a pas matière à un renvoi en commission ! A la commission d'aménagement, il y a un projet de loi pour une modification de zone; à la commission des travaux, un projet de loi pour le crédit d'investissement. Nous devons aujourd'hui donner un message. Est-ce que vous voulez prendre la responsabilité, dans ce parlement, de laisser le Conseil d'Etat continuer avec ce projet ? Ou est-ce que vous lui dites: non, maintenant il faut trouver une autre solution ? Voilà la question ! Il ne faut donc pas renvoyer ces objets en commission mais au Conseil d'Etat. Merci.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Aucun autre rapporteur ne demandant la parole... (Remarque.) Le Conseil d'Etat veut dire quelques mots au sujet de cette demande de renvoi, je passe la parole à M. Maudet.

M. Pierre Maudet, président du Conseil d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous parlons ici de l'abrogation d'un crédit d'étude qui, et ce n'est pas le moindre des paradoxes, a en réalité été entièrement utilisé. Au vu de la teneur des discussions et notamment du propos de la préopinante socialiste - qui relevait elle-même à quel point il est nécessaire d'étudier et d'approfondir la question - le renvoi en commission semble particulièrement pertinent au Conseil d'Etat. Il est pertinent, parce que verser au dossier les éléments collectés dans le cadre de l'étude de ces deux objets sera assurément de nature à conforter la commission des travaux et la commission d'aménagement dans leur étude d'un projet cette fois-ci beaucoup plus concret et précis que celui voté par votre Grand Conseil en novembre 2013 - ce crédit d'étude a en effet été voté il y a maintenant cinq ans.

Puisque les discussions sont entamées dans ces deux commissions, Mesdames et Messieurs, et qu'à la faveur du renvoi on pourra verser au dossier les éléments du débat relatifs à ce crédit d'étude, nous vous recommandons, nous, Conseil d'Etat, de renvoyer ces deux objets en commission. (Remarque.) Vraisemblablement à la commission des travaux, dès lors que le crédit d'étude portait sur la construction et que la jonction se fera naturellement entre la commission d'aménagement qui étudie les questions de surfaces d'assolement et celle des travaux qui, elle, porte son regard sur le crédit. On l'a compris à l'écoute des orateurs, ce sont notamment le coût et la dimension du bâtiment - donc les travaux - qui sont les plus concernés. La recommandation du Conseil d'Etat est donc de renvoyer ces objets à la commission des travaux.

Le président. Merci, Monsieur le magistrat. Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes en procédure de vote: je vous demande de vous prononcer sur le renvoi du PL 11838-A à la commission des travaux.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 11838 et sur la proposition de motion 2220 à la commission des travaux est rejeté par 60 non contre 31 oui.

Le président. Nous continuons notre débat avec Mme la députée Danièle Magnin à qui je passe la parole.

Mme Danièle Magnin (MCG). Je vous remercie, Monsieur le président. Je voudrais parler de la surpopulation carcérale, qui doit nous conduire à décider si oui ou non on veut construire cette fameuse prison des Dardelles. Or pour le groupe MCG, une meilleure gestion de la justice pénale - et en premier lieu de la rapidité dans les décisions - viderait la prison de Champ-Dollon de ceux qui y sont détenus préventivement. Je me permets une toute petite incise s'agissant de la gestion de la justice proprement dite: il y a des affaires simples qui mettent plusieurs années à être jugées sans qu'il y ait de détention préventive, mais qui pèsent terriblement sur le quotidien des personnes, qui se retrouvent avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Elles ne savent pas si elles vont oui ou non avoir un casier judiciaire, oui ou non avoir une condamnation. Ça leur pourrit la vie ! C'est extrêmement regrettable, et ça l'est encore bien plus quand des gens détenus préventivement sont ensuite libérés parce que leur cas a été relativement mal instruit. Il y a donc vraiment une demande très très forte pour que la justice pénale soit mieux gérée.

De la même manière, je voudrais signaler qu'il y a de plus en plus de gens qui se retrouvent condamnés à exécuter des peines de prison pour de simples amendes de stationnement, parce qu'ils ont dépassé d'une heure le temps qui leur était imparti. Pour de simples amendes de stationnement à 40 F, qui se sont éventuellement accumulées s'ils sont dans la précarité - ils ont une vieille voiture qui ne vaut pas grand-chose mais qui leur sert quand même à transporter leurs enfants, à se rendre à tel ou tel cours avec eux, etc. ! Et je trouve que c'est un scandale absolu, Mesdames et Messieurs ! Je trouve que ce n'est pas éthique et que ça ne devrait pas arriver dans notre république ! Il y a certes des moyens d'obtenir des aides, mais lorsqu'une mère de famille seule avec deux enfants, qui est à l'aide sociale, se retrouve à devoir purger une peine de prison parce qu'elle n'a pas pu payer ses amendes, je vous dis qu'il faut trouver d'autres solutions ! Et si on n'emprisonne pas ces gens-là pour ces motifs-là, on aura plus de place à Champ-Dollon ! On pourra donc libérer de la place inutilement occupée et on évitera une partie de la surpopulation.

Je voudrais encore signaler que si les personnes en détention préventive obtiennent, une fois jugées, le sursis ou des peines de jours-amende et qu'elles n'ont pas la citoyenneté suisse, eh bien, le mieux est de les reconduire à la frontière en les priant, comme par le passé, de ne pas revenir si on ne veut pas qu'elles occupent à nouveau des places dans notre prison de Champ-Dollon. C'est pour ça, pour toutes ces raisons et certainement d'autres encore, que le groupe MCG vous invite à voter l'abrogation du crédit d'étude. Merci.

M. Christian Bavarel (Ve), député suppléant. Mesdames et Messieurs les députés, le groupe des Verts s'est déjà exprimé par le biais du rapporteur de minorité, François Lefort, mais il aimerait rappeler deux ou trois choses. Godard disait que c'est la marge qui tient les pages du livre. Pendant longtemps, Genève a oublié, dans sa politique carcérale... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...de faire attention aux victimes, et de garder à l'esprit que lorsqu'il y a des délits, il y a souvent des victimes - nous le reconnaissons volontiers et il y a eu un durcissement de la politique pénale. Nous avons par contre oublié les rôles de la prison.

Les rôles de la prison, quels sont-ils ? Punir, protéger la société, mais aussi réinsérer. Cette partie-là de notre politique carcérale, nous l'avons un peu oubliée et nous avons enfermé beaucoup trop de personnes. Nous avons des personnes avec des jours-amende à 30 F qu'on enferme pour un coût de 300 F - soit dix fois ce qu'elles auraient dû payer. Il se trouve que les parties au concordat romand, Vaudois, Fribourgeois, etc., disent: commencez par avoir une politique pénale raisonnable et puis peut-être qu'après nous serons d'accord de discuter avec vous. Nous vous demandons donc de commencer par établir cette politique pénale raisonnable parce que les coûts d'investissement sont extrêmement importants pour Genève, et ils induisent ensuite des coûts de fonctionnement.

Le coût humain est de plus très élevé avec cette politique carcérale beaucoup plus sévère à Genève. Je vous rappelle que nous avons encore passablement de gens sous détention administrative; la détention administrative, ça veut dire que l'on enferme des gens qui ne sont pas en règle au niveau administratif mais qui n'ont commis aucun délit. J'entends bien qu'on ne sépare pas les enfants des parents, mais nous avons quand même la grande joie d'avoir des places de détention administrative pour des enfants. Une fois que nous aurons libéré ces places-là, nous aurons peut-être plus de places pour l'exécution de peine dans le canton de Genève. Merci. (Quelques applaudissements.)

M. Christo Ivanov (UDC). Je rappelle que le PL 11254 prévoyait, de mémoire, 19,5 millions pour le projet de Pré-Marquis, projet initial de nouvelle prison qui est devenu celui des Dardelles. Le PL 11838 abroge le PL 11254, avec une économie au passage de 3 millions de francs. Le crédit d'étude de 16,5 millions a été quasi totalement dépensé; ce projet de loi devient par conséquent obsolète.

Il y a surpopulation à Champ-Dollon ! Il ne faut pas se voiler la face ! A fin mai, le taux d'occupation y était de +170% ! Avec 92% d'étrangers, n'en déplaise à certains. Il convient d'étudier toutes les pistes pour construire une nouvelle prison et envisager toutes les possibilités dans notre canton. Champ-Dollon, je le rappelle, est une prison préventive et non une prison d'exécution de peine comme l'ont dit mes préopinants.

Pour le groupe UDC, il est capital que le personnel pénitentiaire soit partie intégrante des négociations et du processus de décision afin d'apporter sa vision, son expertise et son expérience, capitales, et qu'il soit vraiment intégré à tous les niveaux des processus. Eux vivent au quotidien tout ce qui se passe dans la prison: les souffrances, les problèmes de sécurité, les problèmes de santé. Lorsqu'on voit que le taux d'absentéisme à Champ-Dollon a été de l'ordre de plus de 12%, je pense qu'il y a une souffrance réelle parmi le personnel de cet établissement. Merci, Monsieur le magistrat, d'intégrer donc les syndicats et le personnel dans vos futurs travaux.

La commission des travaux devra étudier le crédit d'investissement afin d'optimiser la réflexion - et pas seulement en ce qui concerne Champ-Dollon ou Les Dardelles, mais toute la problématique des prisons, je dirais. Pour toutes ces raisons, le groupe UDC refusera le PL 11838 et également la M 2220, qui n'a pas lieu d'être. Je vous remercie, Monsieur le président.

M. Serge Hiltpold (PLR). Mesdames et Messieurs, chers collègues, tout d'abord, ce crédit d'investissement est en cours de traitement à la commission des travaux. 250 millions de francs, c'est un montant important ! Comme l'a dit mon collègue Christo Ivanov, ces deux objets n'ont plus de sens. Par contre, votre argumentation garde tout son sens, puisque c'est une responsabilité pour le parlement que de répondre au problème général de l'occupation du sol et des conditions de détention.

Parmi les thématiques qui ont alimenté les campagnes électorales, vous avez vu que la sécurité n'était plus une des priorités: la situation s'est quelque peu apaisée, notamment parce que le Conseil d'Etat - pas seulement le magistrat Pierre Maudet - a préparé un programme de législature dans lequel cet établissement pénitentiaire forme un des maillons de la chaîne. Des investissements sont prévus au plan décennal, ce n'est donc pas une surprise. La responsabilité parlementaire est assez simple: depuis plus de dix ans, on a la chance que les choses se passent relativement bien à Champ-Dollon, avec le travail des gardiens, avec le travail de la direction, grâce à une espèce d'alchimie complexe qui fait qu'il n'y a pas de mutinerie, qu'il n'y a pas de meurtres. Tout se passe plus ou moins bien, on a de la chance ! Mais on ne peut pas miser une action politique sur la chance, et là, la responsabilité impose de toute façon de rafraîchir et d'améliorer les conditions de détention. Celles et ceux qui font partie de la commission des visiteurs ont lu moult rapports qui traitaient des conditions de détention ainsi que les nombreuses motions de la gauche qui fustigeait la surpopulation et les cellules de moins de 12 mètres carrés. Cette problématique va revenir de toute façon ! Il faut juste être efficient. Est-ce qu'on rénove Champ-Dollon ? Est-ce que cette prison ferme ? Est-ce qu'elle reste en exploitation ou est-ce qu'on va vers un nouveau projet ? Soyez rassurés, la commission des travaux travaillera en toute objectivité.

On parle beaucoup, en général, des prestations à la population. Même s'il s'agit d'une population étrangère ou marginale, celle-ci mérite aussi un traitement digne, et il faut que le cadre de travail pour le personnel soit en adéquation. Maintenant, c'est aussi se défausser que d'exporter ces fameuses prestations dans les autres cantons, et je suis assez satisfait de voir que, tout d'un coup, le parlement - cette majorité qui semble se dessiner - parle de «benchmarking» et de comparaisons. Faisons la même chose pour les écoles ou d'autres choses ! Je me réjouis de voir cette même analyse et ces comparaisons intercantonales dans d'autres secteurs, en plus du secteur pénitentiaire.

Vous avez refusé le renvoi en commission: c'est fort dommage, mais cela ne change pas grand-chose. Comme l'a dit mon collègue Christo Ivanov, le crédit est déjà épuisé et sachez que le véritable travail se fera à propos du crédit d'investissement de 250 millions de francs; raison pour laquelle le PLR vous invite à refuser et la motion et le projet de loi.

M. Guy Mettan (PDC). Chers collègues, notre groupe vous invite à refuser le projet de loi 11838 et il laissera la liberté de vote sur la motion 2220. Le parti démocrate-chrétien aimerait, comme sans doute la plupart d'entre vous, vivre dans un monde idéal dans lequel il n'y aurait aucune criminalité, pas de voleurs, pas de tueurs: on n'aurait donc pas besoin de prisons ! Ça, c'est le monde idéal. Malheureusement, les choses ne sont pas tout à fait comme cela, et il se trouve que nous vivons dans le monde réel, qui comprend malheureusement une part de criminels qu'il s'agit de poursuivre et, le cas échéant, d'incarcérer. Or, ça fait maintenant plus de quarante ans - presque une cinquantaine d'années - que nous n'avons fait pratiquement aucun investissement dans le domaine carcéral. On a bien construit Curabilis pour les cas extrêmes, mais on a complètement sous-investi pendant des dizaines d'années. On connaît le problème de la surpopulation de Champ-Dollon; on sait que cette prison est un scandale du point de vue humanitaire; on sait qu'on doit même rembourser certains détenus parce que leurs conditions de détention ne correspondent pas aux normes. C'est quand même un comble ! Donc, selon certains qui nous y invitent, on va continuer dans cette voie politique et on va devoir de plus en plus souvent rembourser les prisonniers parce qu'ils ont été détenus dans des conditions inacceptables ! Je vous le demande: dans quel monde vit-on ? Il faut qu'on change cette manière de faire et que nous acceptions de prendre la responsabilité évidente de construire de nouvelles cellules, déjà rien que pour que les conditions de détention soient aux normes internationales. C'est un comble pour Genève, alors qu'on a tout à l'heure accepté une motion sur les organisations internationales, humanitaires, etc. Quelques heures après avoir accepté cette motion, on se plaît à violer ces normes internationales !

Ma deuxième remarque, c'est que la population de Genève a pratiquement doublé depuis quarante ans: on est passé de 300 000 à 500 000 habitants, mais les places d'incarcération, elles, n'ont pratiquement pas augmenté. Il ne s'agit, là aussi, que d'accompagner l'augmentation démographique en fournissant une possibilité d'agrandir notre prison. Bref, voilà pour la question de fond. Quant à la forme, je vous invite à refuser ce projet de loi. Personnellement, je voterai pour le rejet de la motion, mais notre groupe étant divisé, ses membres auront la liberté de vote sur ce point.

M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Monsieur le président, je ne sais pas si l'on m'entend quand je parle debout, mais je vais essayer. Mon groupe vous invite à accepter tant le projet de loi que la motion. Il s'agit aujourd'hui de montrer de manière ferme quelle planification pénitentiaire nous voulons pour l'avenir. On nous dit qu'il y aura d'autres échéances, je l'entends très bien, mais aujourd'hui, nous avons l'occasion de dire stop à cette planification de folie. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, il faut se rendre compte qu'à travers l'Europe, il y a actuellement un trend de diminution de la criminalité; les prisons se vident. Or nous, à Genève, nous sommes sur une pente inverse; à Genève, nous emprisonnons plus que partout ailleurs en Suisse. Les statistiques fédérales montrent que les cantons latins - et Genève est à la pointe - ont en moyenne 109 détenus pour 100 000 habitants alors qu'en Suisse centrale et orientale, on est à 71 détenus pour 100 000 habitants. Il y a donc un tiers de détenus par habitant en plus à Genève par rapport à la Suisse centrale et orientale ! Pourquoi ? Parce que nous avons une tradition d'emprisonnement ! Bien sûr, certains disent que le parlement et le Conseil d'Etat ont les pieds et poings liés par les décisions judiciaires: j'entends bien cet argument, mais ce n'est pas une raison pour apporter notre caution à cet état de fait ! Et refuser la construction d'une nouvelle prison est aussi une manière de dire stop aux magistrats du pouvoir judiciaire et que nous ne tolérons pas cette tradition d'emprisonnement systématique !

Il y a encore quelques éléments très factuels que j'aimerais relever. Premièrement, à Genève, les juges pénaux ont l'habitude de ne pas condamner par contumace, ce qui est pourtant une habitude dans tous les pays d'Europe - en France, on le voit très souvent. Si une personne s'enfuit, part en cavale, eh bien, on la condamne quand même et, le jour où on l'arrête, elle subit la sanction décidée - et si elle veut obtenir un nouveau jugement, elle peut le faire. A Genève, on a l'habitude de garder les gens en détention jusqu'au jour du jugement pour éviter cette procédure, qui existe pourtant. Il n'y a donc pas d'obligation de garder les gens en détention jusqu'au jugement de crainte qu'ils ne s'enfuient. On peut très bien - excusez-moi ! - les laisser s'enfuir, s'ils le veulent, puis les rattraper pour qu'ils exécutent leur peine ensuite.

Deuxièmement, nous avons lu dans la presse récemment, à propos de l'agression sauvage contre cinq femmes à côté du Petit Palace, que la poursuite de ces infractions avait été déléguée à la France. Donc, c'est aussi une possibilité qui existe. On nous dit qu'on est en zone frontalière et qu'il est tout à fait nécessaire de garder les gens sous la main en prison, parce que, sinon, ils s'enfuient en France et ne reviennent pas s'ils sont français. Je vous rappelle toutefois qu'il y a une solution très simple, Mesdames et Messieurs les députés: c'est de demander aux autorités françaises de poursuivre les Français qui restent sur sol français ! C'est quelque chose qui se fait et il n'y a pas de raison de ne plus y avoir recours.

Encore une chose, pour la détention préventive. Il y a un moyen qui n'est que très peu utilisé: c'est le bracelet électronique. Il n'y en a que deux, à ma connaissance: le cas de M. Sperisen dont on a beaucoup entendu parler et un deuxième...

Le président. Une seconde, Monsieur le député. Je demande à ceux qui tiennent à plein temps un conciliabule au milieu de bien vouloir sortir pour continuer leur discussion à l'extérieur ! Merci beaucoup. Monsieur le député, vous avez la parole.

M. Pierre Bayenet. Il est nécessaire d'utiliser beaucoup plus ces moyens de contrainte alternatifs !

Au sujet de l'exécution des sanctions, là aussi, quelque chose doit être fait pour favoriser le travail d'intérêt général et le travail externe comme sanctions choisies par les juges et par le service d'application des peines. Vous savez peut-être qu'actuellement, seuls les citoyens suisses ou les personnes bénéficiaires d'un permis de séjour ou d'établissement se voient accorder la possibilité d'exécuter une peine sous forme de travail d'intérêt général ou de travail externe. Il faut étendre cette possibilité également aux personnes qui n'ont pas de titre de séjour. Ainsi, on diminuera d'un tiers au moins, si ce n'est de moitié, le nombre de personnes détenues dans le canton de Genève ! (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole pour une minute à Mme la députée Danièle Magnin.

Mme Danièle Magnin (MCG). Monsieur le président, je voulais simplement signaler que si, dans le canton de Genève, il y a parmi les personnes détenues un nombre particulièrement grand d'étrangers, c'est parce qu'il y en a beaucoup chez nous. Si on va à Uri, Schwytz ou Unterwald, cela ne va pas être le cas, voilà. Du coup, la comparaison était oiseuse et inutile !

M. Olivier Baud (EAG), député suppléant et rapporteur de troisième minorité. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, j'ai bien écouté l'ensemble des interventions, je crois que la situation est assez claire maintenant et il y aurait presque un consensus sur le fait que beaucoup trop de personnes sont emprisonnées pour rien à Genève ! Donc, créer une prison de 450 places pour y mettre, par exemple, comme l'a dit la députée Magnin, des personnes qui sont en exécution de peine à cause de jours-amende, cela frise le ridicule.

Contrairement à ce qu'a dit M. Ivanov, Les Dardelles sont bien conçues pour des exécutions de peine et non pas pour de la préventive. Je pense qu'il faut le préciser - ou j'ai mal compris ce que vous avez dit ?

Je crois qu'il faut retenir l'excellente intervention de mon collègue Bayenet: à Genève, nous mettons trop de personnes en prison pour rien. Il est temps de changer notre politique carcérale et le seul moyen aujourd'hui à notre disposition, Mesdames et Messieurs les députés, c'est d'accepter tant ce projet de loi que la motion.

Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de troisième minorité. Je passe maintenant la parole, pour la quarantaine de secondes qui lui restent, à M. Jacques Béné.

M. Jacques Béné (PLR), rapporteur de majorité. Monsieur le président, ce n'est pas beaucoup, vous auriez pu être un peu plus sympa avec moi ! Je voulais juste vous dire une chose. Le projet de loi qui vise à abroger le crédit d'étude aura une conséquence: il n'y aura malheureusement pas de projet de loi de bouclement puisqu'il n'y aura plus de loi pour le crédit d'étude. Il sera intéressant de voir comment le Conseil d'Etat traitera cela.

Malheureusement, toutes les invites de la proposition de motion n'ont strictement aucune utilité du fait qu'il faudra de toute façon se prononcer lors de l'étude du crédit d'investissement actuellement pendant à la commission des travaux. Je vous invite donc bien évidemment à refuser ces deux objets, essentiellement le projet de loi qui abroge le crédit d'étude.

Le président. C'est terminé, Monsieur le député. On a bien compris votre message. Je passe la parole à M. Pierre Maudet.

M. Pierre Maudet, président du Conseil d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je rejoins les propos du rapporteur qui vient de s'exprimer: il y a quelque chose d'aberrant à avoir fait le travail puis à refuser de verser le résultat de ce travail à l'ensemble du dossier. Parce que si quelque chose ressort bien du débat auquel nous venons d'assister, c'est que nous avons besoin à Genève d'ouvrir plus largement la discussion sur la politique pénitentiaire. Cela passe évidemment par l'idée qu'on ne refuse pas par anticipation une extension du nombre de places. On peut redimensionner le projet des Dardelles - vous savez que c'est un projet modulaire, qui offre la possibilité de restreindre l'emprise, les murs d'enceinte, le nombre de places du dispositif prévu - ou envisager une augmentation du nombre de bracelets électroniques mis à disposition et le travail d'intérêt général - je rejoins là certains des préopinants - mais comme vous le savez, et cela a été dit tout à l'heure, la proportion de personnes étrangères en situation irrégulière incarcérées à Genève - une population par définition inéligible pour les bracelets électroniques - est telle que nous devrons malgré tout compenser la situation catastrophique dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, avec quelque trois cents détenus de trop en permanence à Champ-Dollon.

J'ai entendu çà et là que le système des jours-amende est critiqué - par ceux-là mêmes qui l'ont voulu ! Ce système unanimement décrié comme étant laxiste nécessite quand même, pour être un minimum crédible, qu'on puisse convertir à la fin ces amendes en jours, pour celles et ceux qui ne paient pas, ce que nous ne pourrions pas réaliser sans Les Dardelles. Bien évidemment, s'agissant du système des jours-amende, c'est la crédibilité de l'Etat qui est engagée ! De la même façon, les peines alternatives ne sont possibles que si elles représentent précisément une alternative à un dispositif capable d'accueillir des gens dans un système carcéral qui, par définition, prévoit de l'exécution de peine stricte.

Troisième élément: ce n'est pas le moindre des paradoxes, mais je me plais à le souligner ici, un parlement comme un gouvernement peuvent disserter à loisir sur la politique du pouvoir judiciaire, mais l'indépendance de la justice est un principe sacré ! Et ce principe-là nécessite que nous offrions à notre parquet, à nos cours, comme dans les autres cantons du reste, une capacité de concrétiser ce pour quoi la constitution et les lois leur attribuent des missions bien particulières. J'aimerais souligner ici l'acuité de cet enjeu pour l'ensemble des cantons romands. On a parlé du canton de Vaud: dans ce canton, Mesdames et Messieurs, ce sont près de quatre cents places qui vont être construites ces cinq prochaines années, pour le coup essentiellement dans le domaine de la détention préventive, puisque c'est là qu'il y a un manque particulier. A Genève, le manque concerne l'exécution de peine - et je passe sur les injonctions faites par Berne de réaliser des places de détention administrative ! Monsieur Bavarel, vous savez que ce n'est pas pour des gens qui ont des problèmes administratifs, c'est pour des gens que nous devons malheureusement priver de leur liberté en vue de leur renvoi. Plusieurs votations populaires l'ont confirmé au niveau fédéral. C'est ainsi qu'il faut également, du côté de Fribourg, du Valais, de Neuchâtel et du Jura, réaliser un certain nombre de places. L'ensemble des cantons romands doit donc faire face aussi à ce phénomène de croissance et concrétiser ces espaces pénitentiaires. Encore une fois, nous pouvons discuter du nombre, nous pouvons discuter de la qualité, mais le coût des cellules ici est parfaitement comparable à celui d'autres réalisations récentes, et nous devons simplement ne pas esquiver le débat. C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat vous demande de refuser ce projet de loi et cette proposition de motion ou, à tout le moins, si vous le souhaitez encore, de les renvoyer en commission.

Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Nous passons au vote sur ces deux objets, en commençant par l'entrée en matière sur le projet de loi 11838.

Mis aux voix, le projet de loi 11838 est adopté en premier débat par 52 oui contre 40 non.

Deuxième débat

Le projet de loi 11838 est adopté article par article en deuxième débat.

Le président. Le troisième débat est-il demandé ? (Remarque.) C'est le cas. Je passe auparavant la parole à M. le député Serge Hiltpold.

M. Serge Hiltpold (PLR). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le groupe PLR demande le renvoi à la commission des travaux.

Le président. Merci, Monsieur le député. Nous votons sur votre demande.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 11838 et sur la proposition de motion 2220 à la commission des travaux est rejeté par 51 non contre 41 oui.

Troisième débat

Le président. Nous sommes donc au troisième débat. Je vous fais voter sur l'entier de ce projet de loi, après quoi nous passerons à la motion.

Mise aux voix, la loi 11838 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 52 oui contre 39 non. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Loi 11838

Mise aux voix, la motion 2220 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 58 oui contre 34 non.

Motion 2220