République et canton de Genève

Grand Conseil

Chargement en cours ...

R 850
Proposition de résolution de Mmes et MM. Delphine Klopfenstein Broggini, François Lefort, Yves de Matteis, Sarah Klopmann, Mathias Buschbeck, Frédérique Perler, Guillaume Käser, Emilie Flamand-Lew, Boris Calame, Jocelyne Haller, Jean-Charles Rielle, Olivier Baud, Lydia Schneider Hausser, Isabelle Brunier, Christian Frey, Nicole Valiquer Grecuccio : Pas de nouveaux allégements en matière d'exportation de matériel de guerre
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session I des 24 et 25 mai 2018.

Débat

Le président. Nous avons quatre urgences à traiter. (Un instant s'écoule.) La première d'entre elles est la R 850. Nous la traiterons en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole à Mme la députée Klopfenstein Broggini.

Mme Delphine Klopfenstein Broggini (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, l'administration fédérale vient de l'annoncer: elle veut réviser l'ordonnance sur le matériel de guerre en assouplissant les règles... (Brouhaha.) ...en assouplissant les règles sur l'exportation... (Brouhaha.)

Le président. Une seconde, Madame. S'il vous plaît, ceux qui veulent discuter sont priés de sortir. (Un instant s'écoule.) Je vous remercie. Désolé, Madame, c'est à vous.

Mme Delphine Klopfenstein Broggini. Je vous remercie, Monsieur le président. Je le disais: l'administration fédérale vient d'annoncer qu'elle veut réviser l'ordonnance sur le matériel de guerre en assouplissant les règles sur l'exportation d'armes. En deux mots, cela signifie que la Suisse pourrait exporter des armes dans des pays en guerre. Pour les Verts, cette démarche n'est évidemment pas digne d'un pays neutre qui dit oeuvrer pour la paix. La Suisse doit au contraire exporter son aide et des solutions pacifistes et ne doit évidemment pas, en aucun cas, exporter la guerre.

Le phénomène n'est malheureusement pas nouveau; la Suisse joue un sale jeu, et ce depuis plusieurs années. En 2016 déjà, le Conseil fédéral mettait fin au moratoire sur les exportations d'armes au Proche-Orient, permettant ainsi aux entreprises suisses de vendre du matériel de guerre à l'Arabie saoudite, alors directement liée au conflit armé au Yémen. En 2017, nous exportions pour plus de 87 millions de francs d'armement en Thaïlande, pays alors traversé par un conflit armé interne. Sans parler de la Turquie, pays impliqué dans le conflit en Syrie mais également bénéficiaire des exportations d'armes suisses. Sous la pression de certaines industries d'armement - une pression toujours plus forte - la Suisse a augmenté de 8% son exportation de matériel de guerre, soit a exporté pour 450 millions de francs d'armes et se situe glorieusement aujourd'hui en quatorzième position des pays exportateurs d'armes à travers le monde.

Les Verts ne veulent être ni témoins ni, encore moins, complices; ils refusent de menacer des populations entières sur pression des lobbies et de favoriser ainsi la violation des droits humains. Le Conseil fédéral s'exprimera avant l'été, c'est la raison pour laquelle ce sujet doit être traité aujourd'hui, en urgence. Nous devons mettre le Conseil fédéral devant ses responsabilités puisqu'il a déclaré - et il l'a dit à réitérées reprises - qu'au lieu de faire venir des gens en Suisse, il faut les aider sur place. Eh bien, vendre des armes à des pays problématiques, ce n'est évidemment pas une solution pour soutenir leur population ! Ce n'est pas en vendant des armes que nous contribuerons à améliorer leur quotidien; bien au contraire, cela ne fera qu'attiser la haine ! Parce que nous devons envoyer un message de paix et ne pas cautionner les guerres dans le monde, les Verts vous encouragent vivement à soutenir cette résolution et par là à inciter le Conseil fédéral à refuser catégoriquement l'assouplissement de cette ordonnance. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

Mme Nicole Valiquer Grecuccio (S). Mesdames et Messieurs les députés, vous l'aurez compris: si en ma qualité de socialiste j'ai signé cette proposition de résolution, c'est que les socialistes - tout comme moi et j'espère une majorité de députés - apporteront leur soutien à cet objet pour éviter que notre pays participe à une exportation massive de matériel de guerre. Pour la femme que je suis, c'est aussi exprimer une posture en faveur de la paix, car il est tout simplement beaucoup plus facile de faire la guerre que de faire la paix. Si l'on pense à Genève et à l'esprit de Genève, eh bien, nous devons porter la voix de notre canton qui accueille les organisations internationales, qui accueille des ONG; nous devons porter la voix de la paix. Nous devons montrer que, dans l'intérêt de la paix, il est certes plus difficile mais bien plus important d'entendre, de comprendre, de négocier, de chercher des compromis entre belligérants. Notre pays - et Genève en particulier - a souvent servi de médiateur pour contribuer à l'effort de paix. Et il y a encore un aspect qui, en tant que socialiste, est pour moi tout aussi important et que je voudrais rappeler: malheureusement, les femmes et les enfants sont souvent des victimes encore plus marquées par la guerre. Quand on donne la vie, on a beaucoup de peine à comprendre pourquoi la guerre la retire. C'est donc une posture forte et engagée que nous vous demandons d'adopter en acceptant cette résolution. (Quelques applaudissements.)

M. Bertrand Buchs (PDC). Le parti démocrate-chrétien va soutenir cette résolution. Pourquoi ? Quand on discute année après année avec les responsables du CICR, à chaque fois ils nous racontent la difficulté de faire appliquer les Conventions de Genève parce que les conflits actuels ne sont plus comme ceux qu'il y avait dans le temps - si on peut dire qu'il y a de bons et de mauvais conflits. Les choses sont extrêmement compliquées, intriquées, avec la participation de certains pays à des conflits sur d'autres terrains, comme on le voit avec l'Arabie saoudite et le Yémen. Les armes suisses, qui peuvent être vendues d'une façon tout à fait légale dans certaines conditions, sont susceptibles de se retrouver ailleurs et dans des conflits où le CICR intervient, comme au Yémen. Le Yémen, vous savez, c'est une sale guerre, et il faut vraiment, là, faire extrêmement attention. Je pense donc qu'on doit plutôt être strict sur l'exportation de matériel de guerre, même si c'est une industrie qui peut rapporter de l'argent au pays. Mais je ne pense pas que ça doive être l'industrie la plus rentable pour le pays. Il faut être très strict, parce que si on peut admettre que ces armes soient vendues aux Etats européens, il faut faire attention à certains pays qui utilisent leur influence pour faire la guerre ailleurs. La Turquie qui fait la guerre en Syrie, même à bas bruit, est un exemple parfait. Il faut donc faire attention; je crois que ce n'est pas utile d'assouplir les règles actuellement - il faut être strict plutôt que de les assouplir. Merci. (Quelques applaudissements.)

M. Pablo Cruchon (EAG). Mesdames et Messieurs, chers collègues, le groupe Ensemble à Gauche vous invite aussi à soutenir cette proposition de résolution déposée par les Verts. Nous vous appelons à la soutenir dans l'urgence, puisque urgence il y a. En effet, la commission concernée du Conseil des Etats a écrit au Conseil fédéral pour lui demander d'assouplir l'ordonnance sur le matériel de guerre, en particulier envers les pays impliqués dans des conflits armés. Pourtant, malgré le fait que l'ordonnance soit restrictive, on voit déjà que des armes se retrouvent au Bahreïn pour réprimer les mouvements sociaux, qu'elles se retrouvent dans le conflit avec l'Etat islamique en Turquie, qu'elles se retrouvent au Yémen. L'industrie de l'armement en Suisse pèse de tout son poids mais, au Conseil fédéral, M. Burkhalter faisait jusqu'à maintenant de la résistance à M. Schneider-Ammann et permettait qu'il y ait, disons, une certaine modération dans ces aspirations. Or, M. Burkhalter n'étant plus là, un véritable boulevard s'est ouvert pour l'industrie de l'armement au Conseil fédéral et on peut vraiment craindre une multiplication des ventes d'armes à des pays impliqués dans des conflits armés.

Je pense qu'il faut donner un signal très clair face à cette politique complètement schizophrénique de la Suisse. Pourquoi schizophrénique ? Parce que d'un côté on veut limiter le flux d'étrangers qui entrent sur notre territoire, on envoie l'armée aux frontières tessinoises, et que, de l'autre, on fournit en armes ces pays impliqués dans des conflits qui alimentent les guerres et forcent les gens à fuir ces régions. Nous avons en plus une politique fiscale qui soutient des entreprises particulièrement prédatrices dans les pays du Sud et qui font des ravages notamment environnementaux et sociaux, forçant de nouveau les gens à migrer, à quitter leur pays pour venir trouver refuge en Europe.

Pour mettre fin à cette politique schizophrène et pour dire très clairement qu'à Genève nous ne voulons pas que le matériel de guerre soit exporté dans des pays en conflit, ni d'ailleurs dans d'autres pays, nous vous appelons donc à accepter cette résolution. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, la parole n'étant plus demandée, je vais vous faire voter... (Commentaires.) La parole est à M. le député Serge Hiltpold.

M. Serge Hiltpold (PLR). Merci, Monsieur le président. Excusez ma demande relativement tardive. Je suis obligé de prendre position sur cette résolution qui est traitée en urgence. Tout d'abord, il me faut faire le constat qu'on s'occupe de nouveau, sur le plan cantonal, d'un thème réservé aux Chambres fédérales; ce n'est tout simplement pas de notre compétence. On peut marquer une volonté, c'est très bien. Mais j'aimerais aussi, dans une réflexion d'ensemble sur la politique économique, énoncer un positionnement par rapport aux secteurs industriel et aéronautique liés aux armes - ce n'est pas un tabou - qui sont très réglementés: il faut aussi penser à l'emploi et à la formation quand on évoque ces secteurs liés à l'armement, un domaine important de notre économie en Suisse. Pas à Genève, certes, mais il est important sur le plan fédéral et, considérant le développement industriel, je ne pense pas qu'il faille soutenir cette résolution. Ce n'est peut-être pas une position très sympathique, mais ça fait à mon avis partie de notre rôle. Merci. (Quelques applaudissements.)

Une voix. Bravo !

Le président. Merci, Monsieur le député. Je crois que cette fois-ci la parole n'est plus demandée; je vais faire voter l'assemblée sur l'adoption de la résolution.

Mise aux voix, la résolution 850 est adoptée et renvoyée au Conseil fédéral et au Conseil d'Etat par 49 oui contre 33 non et 9 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Une voix. Bravo !

Résolution 850