République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 6 juin 2013 à 20h30
57e législature - 4e année - 9e session - 51e séance
IN 149-C
Débat
Le président. Les trois rapporteurs sont à leur place. Le débat est libre: catégorie I ! (Brouhaha.) S'il vous plaît ! S'il vous plaît ! La parole est à M. le rapporteur de majorité Christophe Aumeunier.
M. Christophe Aumeunier (L), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Mesdames et Messieurs les députés... (Brouhaha.)
Le président. S'il vous plaît, Mesdames et Messieurs les députés ! Nous avons un point extrêmement important à l'ordre du jour; je souhaiterais que vous soyez attentifs ! Allez-y, Monsieur le rapporteur !
M. Christophe Aumeunier. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, l'initiative intitulée «Pas de cadeaux aux millionnaires» a choqué... (Brouhaha.)
Le président. Chut !
M. Christophe Aumeunier. Le titre «cadeaux» est particulièrement choquant lorsque l'on sait que notre Etat de Genève est le plus dépensier par tête, qu'il est un Etat endetté à raison de plus de 12 milliards et que la moyenne des conventions d'imposition à la dépense à Genève s'élève à 583 000 F de dépenses pour - est-ce un cadeau, Mesdames et Messieurs les députés ? - 195 000 F d'impôts payés. Les recettes de l'Etat qui font suite à l'imposition à la dépense... (Brouhaha.)
Une voix. Chut !
M. Christophe Aumeunier. ...s'élèvent à 116 millions, auxquels il faut évidemment ajouter les recettes fiscales liées aux droits de succession. C'est donc de 150 millions que nous parlons, et non pas seulement de 116 millions. Il s'agit de 150 millions, alors que nous venons de nous écharper sur le budget de l'Etat, pour lequel le Conseil d'Etat nous indique qu'il n'y a plus aucune économie à faire et pour lequel les initiants et leurs tenants nous disent qu'il ne faut pas réduire le train de dépenses de l'Etat. Et on nous propose - les mêmes initiants - de réduire les recettes de l'Etat !
Décidément, cette politique est totalement illisible, elle est quasi risible, mais au fond très triste. Si nous supprimons les forfaits, eh bien nous paierons. C'est nous, Genevois, qui paierons la différence, parce qu'il n'y a aujourd'hui aucune alternative et aucun système fiscal qui soit en place pour pallier cela. C'est nous qui passerons à la caisse.
Après tout, les forfaits ne représentent pas seulement 150 millions de rentrées fiscales, mais sont aussi un apport pour l'économie genevoise. Les forfaitaires achètent, en effet, dans les commerces genevois, ils sont des clients de la restauration genevoise, ils sont des clients de l'immobilier genevois, et une étude fédérale nous indique que 22 500 emplois sont liés aux forfaitaires en Suisse.
Alors, là où le bât blesse, c'est que nous savons effectivement peu ce qu'est l'imposition à la dépense. Qu'est-ce que l'imposition à la dépense ? C'est un formulaire de déclaration fiscale, qui est rempli par un contribuable. Il y a une estimation des revenus mondiaux et cette dernière est signée par le contribuable ! C'est dire que, si cette estimation est fausse, c'est un faux dans les titres au sens pénal du terme. Il peut y avoir reprise d'impôts, il peut y avoir enquête fiscale et il peut y avoir correction de l'imposition, tout comme l'imposition ordinaire, avec les mêmes moyens complets d'investigations. C'est quelque chose de sérieux, ce n'est pas quelque chose qui se négocie sur le coin d'une table avec un verre de blanc ! Ce n'est pas ça l'imposition à la dépense ! (Brouhaha.) C'est une forme d'imposition qui est une forme d'imposition distincte, une imposition différente, qui...
Le président. Monsieur le rapporteur de majorité, excusez-moi de vous interrompre, mais il y a quelques nids bruyants dans cette salle... (Brouhaha.) ...notamment du côté du PLR. Je suis désolé !
Des voix. Ah ! (Commentaires.)
Le président. Donc, chers collègues du PLR, si vous m'entendez, j'aimerais que vous soyez plus respectueux du rapporteur de majorité, qui défend votre point de vue. (Brouhaha.) Poursuivez, Monsieur le rapporteur.
M. Christophe Aumeunier. Je vous remercie, Monsieur le président. Je disais donc qu'il s'agit d'une forme d'imposition qui est différente, une forme d'imposition distincte, qui s'adresse à des contribuables différents et à des contribuables distincts. Ces contribuables doivent être étrangers, ils n'ont pas le droit de travailler en Suisse et, parce qu'ils n'ont pas le droit de travailler en Suisse, ils travaillent forcément à l'étranger - ils ont des relations avec l'étranger qui sont des relations étroites. Ils sont ainsi relativement riches, ils sont aisés, ils sont mobiles et ils voyagent beaucoup. C'est dire qu'ils peuvent donc se domicilier là où ils le souhaitent, là où c'est le plus agréable pour eux. S'ils vont à Londres, ils auront dix-sept années devant eux pour ne rien payer - rien du tout pendant sept ans, puis presque rien pendant dix ans - et s'ils vont au Portugal, ils ont dix ans devant eux pour ne rien payer. (Brouhaha.)
Une voix. Chut !
M. Christophe Aumeunier. Il faut signaler qu'ils peuvent aussi aller à 20 kilomètres d'ici, dans le canton de Vaud, qui maintiendra le système des forfaits fiscaux. Alors on nous parle d'égalité de traitement, mais il n'y aucune inégalité de traitement dans des situations qui ne sont en aucun cas comparables ! L'on vient nous dire, dans les rapports de minorité, qu'il faut comparer l'usage que l'on fait des infrastructures publiques genevoises. Mais ce n'est pas cela dont on parle ! On parle d'un usage d'infrastructures publiques genevoises pour tous, c'est clair ! Mais on parle de situations différentes, puisqu'il s'agit d'une interdiction d'exercer une activité lucrative en Suisse et d'une difficulté d'évaluer un revenu.
Concernant la difficulté d'évaluer un revenu, on se pose quelques fois la question: mais pourquoi ? Parce que ce sont véritablement des gens dont les revenus sont difficilement appréhendables, parce qu'il s'agit d'artistes fiscalisés sur le lieu de prestation ou de sportifs fiscalisés sur le lieu de compétition, non seulement pour les gains qu'ils perçoivent dans ces lieux de prestations directement des organisateurs, mais aussi de leurs sponsors principaux pendant toute l'année.
Il s'agit donc tant des revenus mondiaux que d'une fiscalisation mondiale qu'il faut appréhender. Ce n'est pas si simple, cela se fait de manière très stricte en Suisse, et c'est la raison pour laquelle il n'y a pas de comparaison possible avec une personne domiciliée en Suisse et qui est fiscalisée de manière ordinaire.
Quant à la contre-vérité selon laquelle, au fond, ces forfaitaires ne partiraient pas si l'on supprime les forfaits fiscaux, eh bien il faut citer le cas de Zurich, qui sera abondamment détaillé ici. Il ne faut pas oublier que ce canton a fait deux choses simultanées: il a baissé le taux d'imposition pour les tranches élevées, puis ensuite, dans le même temps, il a supprimé les forfaits fiscaux.
L'imposition sur la fortune zurichoise est dix fois moindre que l'imposition sur la fortune genevoise ! En 2011, le canton de Zurich sera finalement en déficit par rapport à la situation initiale, parce que 97 départs ont eu lieu, dont 26 à l'étranger - cela est perdu pour tout le monde en Suisse. L'équilibre n'a existé en 2010 qu'avec une seule succession, et c'est un seul départ qui, en 2011, causera ce déficit à Zurich.
C'est un déficit, et cela va continuer. A Genève on est dans une situation différente: Zurich avait 201 contribuables fiscalisés à la dépense, nous en avons 700 à Genève - 700 pour 150 millions ! - c'est quelque chose d'important. Alors au fond, on voit très bien que les initiants nient totalement la concurrence fiscale. Ils nourrissent le fantasme d'une «Internationale du fisc» avec un taux mondial unique, des échanges d'informations...
Le président. Il vous reste vingt secondes, Monsieur le rapporteur !
M. Christophe Aumeunier. ...complets dans le monde entier, et il s'agit d'une conception qui est une conception naïve, qui est une conception hors de la réalité, puisque la réalité c'est, au contraire, d'avoir une concurrence fiscale exacerbée, qui n'est pas critiquée par les autres Etats, pour laquelle nous n'avons pas de pression fiscale, contrairement à la fiscalité des entreprises. Je vous dirai tout à l'heure pourquoi nous refuserons cette initiative et accepterons un contre-projet. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de majorité. La parole est à Mme la rapporteure de minorité - de première minorité - Sophie Forster Carbonnier.
Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve), rapporteuse de première minorité. Merci, Monsieur le président. Comme l'a indiqué M. Aumeunier, la commission fiscale a étudié de manière très approfondie le système dit «des forfaits fiscaux» - donc de l'imposition selon la dépense - et le groupe des Verts est arrivé à une conclusion complétement opposée évidemment à celle de M. Aumeunier, à savoir que nous jugions la suppression des forfaits fiscaux tout à fait supportable pour le canton de Genève.
Je vais donc commencer par détailler un peu les arguments que nous avons mis en exergue dans notre rapport et qui militent pour la suppression de cet impôt spécial. Tout d'abord, je ne suis pas d'accord avec la vision de M. Aumeunier, selon laquelle les forfaits fiscaux ne constitueraient pas une inégalité devant l'impôt. Au contraire, pour moi, les forfaits fiscaux constituent une véritable inégalité de traitement ! En effet, si nous prenions le cas de deux personnes, une suisse et une étrangère avec des fortunes égales et des revenus comparables, on pourrait tout à fait se trouver dans la situation où la personne suisse paierait beaucoup plus d'impôts que la personne étrangère. Il est vrai que l'administration cantonale demande aux futurs forfaitaires de déclarer leur fortune, mais, comme nous avons pu le constater, dans le questionnaire qui leur est soumis, les demandes sont assez succinctes et minimes: on leur demande s'ils disposent d'une fortune entre 0 et 40 millions, entre 40 et 100 millions ou plus de 100 millions. Vous voyez, on est donc très loin d'une évaluation sérieuse de la fortune des personnes qui viennent ici.
Ensuite, cela nuit aussi au principe d'imposition selon la capacité économique des gens. Normalement, c'est un principe fondamental en droit fédéral ainsi qu'en droit cantonal, ce qui a d'ailleurs été répété dans notre nouvelle constitution cantonale: les gens doivent être imposés selon leur capacité économique, ce qui n'est pas le cas ici, ou, en tout cas, très partiellement. (Brouhaha.)
La deuxième chose que j'aimerais souligner est que ce système avait été, au départ, conçu pour quelques riches retraités britanniques qui venaient profiter des bienfaits de la Riviera, et qu'on assiste aujourd'hui, en tout cas dans les cantons romands - dans les cantons latins - à une certaine dérive du système. Certes, Genève est encore un relativement bon élève en la matière, puisque nous n'acceptons normalement plus des personnes aux forfaits inférieurs à une dépense annoncée de 300 000 F; mais on voit que les cantons voisins ne sont pas aussi regardants en la matière. On est donc aujourd'hui témoins d'une véritable dérive du système, preuve en est qu'actuellement, à Genève, près de la moitié des forfaitaires ont moins de 60 ans. Mesdames et Messieurs les députés, on peut donc quand même se poser la question: est-ce que tous ces jeunes forfaitaires ne travaillent véritablement pas ? Est-ce que, d'une façon ou d'une autre, ils n'exercent quand même pas de manière cachée leur profession depuis la Suisse ? Je vous rappelle qu'à Zurich il avait été prouvé qu'une personne en tout cas était à la tête d'une holding ainsi qu'au bénéfice de forfait fiscal, et qu'elle avait donc bel et bien contourné la loi. (Remarque.)
Une voix. Chut !
Mme Sophie Forster Carbonnier. Nous ne savons pas... On a en effet eu la preuve pour une personne, mais cela veut dire qu'on peut tout à fait imaginer que d'autres personnes sont dans ce cas-là.
Ensuite, la troisième chose que je voudrais souligner est que si Genève abolissait les forfaits fiscaux, nous ne serions pas une exception. En effet, les cantons de Zurich, Schaffhouse, Bâle-Ville, Bâle-Campagne et Appenzell Rhodes-Extérieures ont déjà aboli les forfaits fiscaux et ont donc déjà pris ce risque-là. Je voudrais dire que cette abolition ne serait pas non plus un drame pour Genève, car il existe aussi à l'heure actuelle une initiative fédérale qui vise à abolir les forfaits fiscaux sur le plan fédéral. On peut ainsi imaginer que si Genève abolissait les forfaits fiscaux, une grande majorité de la population suisse serait certainement d'accord avec cette abolition. (Brouhaha.) Nous pensons que la concurrence avec le canton de Vaud serait donc inexistante, puisque nous serions tous logés à la même enseigne.
Je trouve que, dans cette salle, on se fait un peu des illusions. En effet, si vous regardez les chiffres fédéraux, 76% des forfaitaires vivent dans quatre cantons - quatre cantons latins. Combien de temps pensez-vous que nos collègues suisses alémaniques vont protéger ce système-là, système dont ils ne tirent en fait que peu de profits, puisque c'est surtout nous qui en tirons. Là, je pense qu'il faut faire un peu de Realpolitik et voir les choses de manière prospective. Certes, Zurich a aboli les forfaits fiscaux, et il est vrai que la moitié des forfaitaires sont partis, mais, en tout cas pour ce qui est des deux premières années, l'exercice est encore bénéficiaire, parce que, contrairement à ce qu'on essaie de nous faire croire, la fiscalité n'est qu'un des éléments qui incitent les gens à venir en Suisse. Il y a d'autres éléments qui attirent les fortunes dans ce pays, à savoir la stabilité politique, une stabilité économique aussi, un certain cadre de vie et une qualité de vie également.
Nous, ce que nous aurions voulu, c'est qu'on parle déjà d'un contre-projet. Mais en fait, nous aurions tout à fait pu prévoir un contre-projet avec une abolition progressive - et non pas radicale comme l'a fait Zurich - en l'échelonnant, par exemple, sur dix ou quinze ans, de manière à amortir le choc et à faire en sorte que les gens restent le temps qu'il faut ici ainsi que le temps de se retourner - ce qui est aussi une façon de les traiter de manière plus élégante, j'imagine. Encore une fois, je regrette que la commission fiscale n'ait pas réfléchi un peu plus à la question de comment on pouvait sortir d'un système particulièrement injuste et qui ne devrait plus exister, je pense.
J'en viens en effet à un argument qui pour moi pèse énormément. Je trouve que si, disons, il y a quelques années, quelqu'un dans cette salle avait dit qu'un jour le secret bancaire disparaîtrait et qu'un jour nous serions attaqués sur la fiscalité des entreprises, vous nous auriez tous traités de fous et d'inconscients. M. Aumeunier me fait ce soir cette remarque: «Mais ce système n'est pas attaqué par nos voisins, donc nous pouvons continuer à l'utiliser comme bon nous semble !» Je pense que nous nous faisons là de sérieuses illusions.
En effet, on nous a montré, à la commission fiscale, que nous avons déjà subi des attaques sur ces systèmes-là. Je vous rappelle qu'à la fin de l'année passée, quand le gouvernement français avait dénoncé une clause dans le rapport de double imposition, beaucoup d'inquiétudes s'étaient exprimées à la commission fiscale et aussi à Genève; on se demandait si cela allait nous toucher ou pas. Là, on sentait donc déjà une amorce...
Le président. Il vous faut conclure, Madame le rapporteur.
Mme Sophie Forster Carbonnier. Oui, alors je conclus rapidement et je reprendrai la parole par la suite. (Brouhaha.) En commission, il nous a également été indiqué que l'OCDE travaillait maintenant sur l'abolition de ces forfaits-là. Je pense donc que ce n'est qu'une question de temps et qu'il faudrait prévoir cette disparition.
Le président. Merci, Madame le rapporteur. (Remarque.) M. l'ancien président du Grand Conseil a anticipé l'intervention que je voulais faire - il fait chaud... - en autorisant la gent masculine dans cette salle à se mettre à l'aise. (Commentaires.)
La parole est à Mme la rapporteure de seconde minorité Aurélie Gavillet.
Mme Aurélie Gavillet (S), rapporteuse de deuxième minorité. Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le traitement de cet objet... (Brouhaha.)
Une voix. Chut !
Mme Aurélie Gavillet. ...lors de la première séance de notre parlement, qui suit l'entrée en vigueur de la nouvelle constitution, nous permet de nous prononcer sur la compatibilité au droit de certains mécanismes fiscaux avec une norme fondamentale toute neuve et un texte constitutionnel nouveau.
Le système de l'imposition selon la dépense pose des problèmes graves de justice et d'équité. Il pose en premier lieu un problème d'égalité de traitement, parce qu'il est injuste que des contribuables puissent être moins imposés que d'autres au seul motif qu'ils sont étrangers. Il pose ensuite un problème de transparence, puisque la dépense des contribuables est un mécanisme extrêmement difficile à évaluer et que - nous l'avons vu en commission et cela figure dans votre rapport de majorité - en réalité, la dépense qui est déclarée par les contribuables, son estimation, tend à s'équilibrer avec le minimum qui est admis dans chaque canton.
On nous explique qu'il est fondamental de maintenir ce système, car les personnes qui en bénéficient sont des retraités ayant une énorme fortune et très peu de revenus, et donc qu'il est injuste d'imposer comme les autres ces personnes. Alors, nous l'avons vu - et Mme le rapporteur de première minorité l'a rappelé - en réalité, si l'on examine les âges de ces personnes, dans le canton de Genève près de 50% de ces dernières ont moins de 60 ans. Il y en a même qui ont moins de 30 ans ! (Brouhaha.) Il est peut-être étrange de dire que ces personnes ne travaillent pas, et j'aimerais bien... (Brouhaha.)
Une voix. Chut !
Mme Aurélie Gavillet. ...qu'on nous énonce - et j'espère que M. le rapporteur de majorité pourra le faire tout à l'heure - les pays dans lesquels on peut partir à la retraite à partir de 30 ans... Personnellement, cela me surprend. (Remarque.)
Le président. Chut ! Monsieur le député, s'il vous plaît !
Mme Aurélie Gavillet. Ensuite, on nous dit que ces personnes ne travaillent pas... Là aussi, il ne faut pas être naïfs. Avec les moyens de communication dont nous disposons actuellement, on peut très bien imaginer que des personnes travaillent depuis la Suisse, même si ce travail est ensuite fiscalement vu comme étant effectué à l'étranger. C'est d'ailleurs un cas comme celui-ci qui a, dans le canton de Zurich, conduit à l'abolition de l'imposition selon la dépense, et cela montre que les Zurichois, manifestement, n'ont pas été aussi naïfs que les Genevois.
Mesdames et Messieurs les députés, le système de l'imposition selon la dépense donne lieu à des abus, et personne ne peut le contester. Cela signifie qu'il faut accepter cette initiative et refuser le principe d'un contre-projet. (Applaudissements.)
M. Christo Ivanov (UDC). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, nous traitons ce soir l'initiative 149, initiative visant à supprimer les forfaits fiscaux. Cette pratique fiscale a été imaginée par les Vaudois dans les années 1880-1890, afin de déterminer la base imposable des retraités étrangers venant s'installer sur la Riviera vaudoise. Elle s'est étendue à toute la Suisse, spécialement en Suisse romande - on peut parler de Genève, Vaud, du Valais - mais elle est pratiquée par une vingtaine de cantons et demi-cantons en Suisse.
Pour Genève, cette manne financière représente plus de 116 millions par année pour les caisses publiques, soit environ 150 millions si on y inclut les droits de succession. Chaque année, c'est extrêmement profitable pour nos finances publiques. A l'heure de la réforme du taux d'imposition des entreprises, qui devrait se situer à 13%, le manque à gagner pour l'Etat sera de l'ordre de 300 millions, sans compter la réforme de la taxe professionnelle et sa suppression qui pénaliseront également les communes genevoises, et spécialement la Ville de Genève, d'un montant entre 80 et 100 millions de francs. Pour faire du social, si cher à la gauche - aux Verts et aux socialistes - il faut de l'argent dans les caisses. Or l'initiative 149, si elle est votée et acceptée par le peuple, représentera une perte fiscale importante pour notre canton.
Il ne faut pas se leurrer... (Brouhaha.)
Une voix. Chut !
M. Christo Ivanov. ...les personnes aux bénéfices des forfaits fiscaux ne travaillent pas, car elles ne le peuvent pas. Par conséquent, elles sont extrêmement flexibles et peuvent déménager du jour au lendemain... Pas loin de Genève, puisque Founex ou Coppet sont à 8 kilomètres de Genève, tout comme Terre-Sainte, Crans-près-Céligny et j'en passe ! Monaco est à une heure de Genève: quarante-cinq minutes d'avion, Monsieur le président, jusqu'à Nice, et même pas quinze minutes en hélicoptère ! (Brouhaha.) Jersey et Guernesey, c'est au grand maximum à une heure et quart ou une heure et demie d'avion ! Par conséquent, vous voyez, si l'IN 149 est votée et acceptée, les forfaitaires n'auront aucun problème pour trouver un nouveau lieu de domicile.
Comment ferez-vous, Mesdames et Messieurs de la gauche, pour financer les 6,2 milliards de francs votés par ce parlement pour financer les retraites de la fonction publique ? Sans parler du PLEND ! Il n'y a qu'à voir les récentes démissions, soit près de 1100 personnes uniquement pour l'année 2012 qui prendront leur retraite en 2013, ce qui nous coûtera une petite fortune. Nous avons la chance d'avoir des taux d'intérêts les plus bas, historiquement. Alors comment financerez-vous les hausses des taux d'intérêts à venir ? Un demi-point, un point, 50 ou 100 millions de plus à financer; il nous manquera au minimum 500 millions pour équilibrer les finances publiques de ce canton.
Oui, Mesdames et Messieurs les députés, demain les vaches seront maigres ! Cette initiative est un Hara-Kiri, mais aussi un «Hara-qui-pleure». (Rires.) «Hara» veut dire «ventre» en japonais; je vous laisse l'interprétation de cette affaire !
L'IN 149 est la grenouille qui se veut aussi grosse que le boeuf ! L'Union démocratique du centre refusera l'IN 149, car si elle est votée et acceptée par le peuple, elle plombera encore un peu plus les finances publiques et cantonales, sans parler de notre dette.
Des voix. Bravo ! (Commentaires.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à votre collègue, M. Bernard Riedweg.
M. Bernhard Riedweg (UDC). Merci, Monsieur le président. Les contribuables dont il est question dans cette initiative ont emménagé dans notre canton, car ils pouvaient bénéficier de forfaits fiscaux. Si les forfaits fiscaux n'existaient pas, ces contribuables ne seraient pas venus à Genève. Les riches viennent à Genève pour bénéficier de la sécurité financière, de la stabilité politique, d'un certain confort et de la beauté des lieux, entre autres. La consommation des personnes au bénéfice d'une imposition sur la dépense est généralement très élevée; elles engagent essentiellement du personnel de maison, mais aussi des banquiers privés, des avocats et des courtiers. A Genève, on estime que 3000 personnes sont au service des 710 contribuables imposés sur la base de forfaits fiscaux.
Suite à l'abolition des forfaits fiscaux à Zurich, 50% des riches contribuables ont quitté le canton et cet exode a été très rapide. Ils ont déménagé dans les cantons des Grisons, de Schwyz, de Zoug et quelques-uns dans celui de Saint-Gall. Seuls 102 contribuables imposés auparavant sur la dépense sont restés. Après l'abolition, 55 contribuables ont payé plus d'impôts que lorsqu'ils étaient imposés au forfait fiscal, et 47 en ont payé moins. Comprendra qui pourra ! (Brouhaha.)
A Zurich, le département des finances constate, une année après l'abolition, se trouver en situation de perte à la suite des départs des contribuables imposés à la dépense. Il est vrai que Zurich a baissé le taux d'imposition sur les hauts revenus en même temps que l'abolition des forfaits fiscaux. Si, à Genève, on abolissait l'imposition sur la dépense et que ces 710 contribuables quittaient le canton, il y aurait un manque à gagner de 86 millions pour les impôts cantonaux et de 28 millions pour les communes genevoises - on ne compte pas l'impôt fédéral direct, qui est de 46 millions. Au total, ces 114 millions représentent 1,6% des impôts totaux encaissés par l'Etat.
Ces contribuables ne doivent déménager que de 20 kilomètres pour aller dans le canton de Vaud, où il y a déjà 1400 contribuables au bénéfice de forfaits fiscaux: ce canton a décidé de maintenir l'imposition à la dépense. Les personnes imposées aux forfaits fiscaux sont, pour une grande partie d'entre elles, de généreux donateurs, pour la culture, le sport et les institutions sociales, et un auditionné a estimé à 470 millions par année le montant de leurs dons !
A Genève, la dépense minimale des personnes bénéficiant du forfait fiscal doit être de 300 000 F - elle est de 400 000F au niveau fédéral. Le chef du département des finances - qui n'est pas là - M. Hiler, prône un contre-projet dans lequel ce montant de 300 000 F serait augmenté à 400 000 F et s'alignerait ainsi sur le niveau fédéral. Genève a décidé de maintenir le système de l'imposition sur la dépense. Le Conseil d'Etat s'est prononcé en défaveur de l'initiative et souhaite élaborer un contre-projet qui pourrait entrer en vigueur le 1er janvier 2016.
En guise de complément, sachez que si l'on abolissait l'impôt sur la dépense, il faudrait probablement, à Genève, supprimer l'impôt sur la fortune, impôt qui est déjà l'un des plus élevés de Suisse ! (Remarque.) Les contribuables imposés au forfait fiscal sont très volatils, surtout les plus jeunes. Les retraités ne partiraient peut-être pas, mais ils sont aussi moins imposés. Les contribuables au bénéfice de l'imposition sur la dépense ont pris des risques: ils font travailler des collaborateurs dans leurs pays d'origine, dans des usines, dans l'industrie, et les banques leur accordent des crédits. Voulez-vous connaître les noms des gens qui bénéficient des forfaits fiscaux ?
Des voix. Oui !
M. Bernhard Riedweg. Cela satisferait le voyeurisme de certains ! (Commentaires.) La liste est à votre disposition: à ma place... (Commentaires.) ...dans cet hémicycle, place numéro 43, côté Bastions, à côté du député Marc Falquet. Vous ne pouvez pas nous manquer ! (Rires.)
Au lieu de s'attaquer aux forfaits fiscaux, ne vaudrait-il pas mieux s'attarder sur les moyens de diminuer les dépenses sociales ? (Commentaires.)
En parlant d'égalité de traitement sur le plan fiscal, ne pensez-vous pas que les gens qui bénéficient de subventions pour l'assurance-maladie et pour leur logement, et qui n'ont pas ou qui n'ont qu'un petit revenu imposable, sont traités de manière égale avec les contribuables ayant un revenu suffisant pour vivre à Genève et qui sont taxés normalement ? Une abolition du forfait fiscal risque de se répercuter sur les autres contribuables genevois, respectivement sur les contribuables disposant de revenus plus faibles ! Le groupe UDC est très favorable à un contre-projet du conseil d'Etat, et nous l'attendons avec impatience. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Mauro Poggia (MCG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, chers collègues, s'il y a bien un parti populiste en Suisse aujourd'hui, c'est le parti socialiste ! D'ailleurs, la rime est déjà un début de démonstration. Avant eux, il y avait encore les communistes; ils ont eu la décence de changer de nom. Vous, par insulte pour l'Histoire, vous continuez à vous appeler socialistes.
Populiste, pourquoi ? Populiste, parce que par une succession d'initiatives vous êtes en train de ruiner notre économie qui a fait la force de la Suisse durant toutes ces années. Vous faites des riches vos ennemis, alors que la paix sociale a été un garant de notre essor. Nous avons construit le niveau de vie de nos salariés, précisément grâce à cette paix sociale que vous êtes en train de ruiner. Pire que tout, vous recréez l'imprévisibilité. Vous avez fait de la Suisse un terrain de sables mouvants. Or, les gens qui ont de l'argent et qui veulent s'installer quelque part veulent voir où ils vont, ils veulent voir loin et ils veulent s'installer pour longtemps.
Avec vos initiatives, «1:12», «Réintroduction de l'impôt sur les successions», vous voulez tout simplement singer nos voisins français. Or, vous voyez très bien quel est le résultat de la France et de sa politique socialiste: les riches s'en vont, et ils s'en vont de plus en plus. S'ils ne viennent pas chez nous, ils iront ailleurs, rassurez-vous ! Personne n'est inquiet pour eux ! Il n'y a pas plus mobile qu'un riche - je l'ai déjà dit - il n'y a pas plus sédentaire qu'un pauvre !
Vous ruinez notre économie, parce que vous voulez faire de la Suisse un peuple d'assistés, ces assistés qui sont vos électeurs. Or, bientôt, sur quoi allez-vous régner ? Vous allez régner sur le néant, Mesdames et Messieurs les socialistes ! Parce qu'à force de tirer sur les riches, où allez-vous prendre l'argent pour faire le social que vous devez et que nous devons faire ? Vous allez le prendre dans la poche des pauvres ! Et votre argument sur l'égalité de traitement... (Remarque.) Mais un peu de rigueur ! (Brouhaha.)
Une voix. Chut !
M. Mauro Poggia. L'égalité de traitement, c'est traiter de manière similaire des situations identiques.
Le président. Monsieur le député, pourriez-vous plutôt vous adresser au président ? (L'orateur se tourne vers le président.)
M. Mauro Poggia. Oui, Monsieur le président ! (Rires.) Voilà, cela évitera des remarques directes ! J'aime bien, en principe, parler en regardant dans les yeux de ceux... (Commentaires.) ...dont je fais bien modestement «le procès» - entre guillemets !
Je disais, Monsieur le président, que ces pauvres, auprès desquels on veut aller chercher les impôts pour faire du social, ils n'en ont bien évidemment pas les moyens ! Et cette égalité de traitement qu'on nous sert à toutes les sauces et qui devrait servir à faire fuir ces contribuables dont le seul le tort est de venir chez nous dépenser leur argent - puisque ces gens ne font pas travailler nos écoles publiques, ils ne font pas travailler nos hôpitaux publics; ils font, au contraire, travailler du personnel, ils viennent dépenser - et, généralement, beaucoup d'argent... Ces gens viennent payer des impôts !
Alors, que voulez-vous comparer ? On ne va pas dire à des gens qui sont ici: «Vous êtes très riche, Monsieur - ou Madame - et dorénavant vous devriez payer un peu moins» ! Non ! On dit à des gens qui sont ailleurs, parce que c'est la politique de chez nous: «Si vous venez chez nous uniquement pour dépenser, eh bien nous allons vous taxer selon ce que vous dépensez. Alors, si vous voulez venir, vous êtes les bienvenus» ! Ces gens sont venus comme ça ! Ce ne sont pas des gens qui viennent d'ici, ne les comparez pas avec nos contribuables ! Ces gens-là ne resteront pas ici si vous changez l'imposition et si vous supprimez cette imposition à la source. Ils iront tout simplement ailleurs ! Il ne s'agit donc pas de les mettre au même niveau que les contribuables que nous sommes vous et moi ! Il s'agit de savoir si nous les voulons ou si nous ne les voulons pas !
Alors, je vous l'ai dit, l'expérience a effectivement déjà été faite dans d'autres cantons. Certains - puisqu'on peut faire dire tout ce que l'on veut aux chiffres - considèrent que, finalement, on n'a pas perdu beaucoup. On nous dit également que tout cela a été déclenché par un cas qui était une fraude à la loi... Je n'ai jamais vu qu'on change les lois parce qu'il y aurait eu fraude - par une personne ! - à la loi concernée.
Je vous dis que nous n'avons pas à copier les erreurs des autres ! Mesdames et Messieurs les socialistes, si Darwin vous avait connus, je pense qu'il aurait hésité à publier sa théorie, parce que, véritablement, vous ne comprenez rien aux leçons de l'Histoire ! (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
Mme Lydia Schneider Hausser (S). Certains nous... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...donnent des qualificatifs; je dirais que le MCG est bien opportuniste ce soir !
Mais, pour en revenir au sujet... (Brouhaha.) ...l'initiative 149 a été lancée par le parti socialiste; elle a ramassé 14 000 signatures à Genève, ce qui n'est pas rien.
Si les forfaits fiscaux étaient à l'origine une manière de fidéliser une clientèle touristique riche et plus particulièrement anglaise, ils sont aujourd'hui devenus un instrument fiscal, un instrument parmi d'autres allègements fiscaux, si ce n'est pas plus. Ce que le parti socialiste combat ici - oui, par cette initiative - c'est une logique de privilèges fiscaux.
Genève va être obligé de réviser l'imposition sur les bénéfices des entreprises, parce que, à un moment donné, nous avons alloué des statuts fiscaux spéciaux à des sociétés mixtes. Pour réparer la mise en place de ces rabais fiscaux, nous - le peuple - allons payer. La facture se montera certainement autour des 400 ou 500 millions de revenus par année pour Genève. Le peuple va donc perdre 500 millions de prestations cantonales - et je ne parle pas au niveau fédéral...
Genève sera touché de plein fouet par cette réforme, puisque nous étions un des cantons les plus actifs dans cette manière de sous-taxer les entreprises. Cela parce qu'un jour, Mesdames et Messieurs, le politique s'est écarté d'une des règles de base de la démocratie: l'égalité devant l'impôt, une participation proportionnée à l'Etat. Il est bien connu que tout se paie, mais, dans ce système d'allègements fiscaux, la classe moyenne paie triplement; elle le fait en payant à la place des plus riches. (Remarque.) Elle paie en perdant des revenus et en devant effacer l'ardoise laissée.
Cette initiative pose la question fondamentale de la justice devant le devoir du contribuable, et cela selon la capacité de contribuer de chacun. Si nous acceptons le postulat de la droite, qui dit qu'il ne faut pas taxer les moyens de production - donc les entreprises - et qu'il faut taxer les revenus découlant de cette production - donc les personnes physiques - Mesdames et Messieurs de la droite, en refusant la suppression des forfaits fiscaux, vous allez à l'encontre de cette idée et de ce concept.
Avec les forfaits fiscaux, Genève et la Suisse offrent des privilèges importants à de riches étrangers. Le privilège, par exemple, de payer des impôts au rabais par rapport à ce que ces contribuables devraient verser dans leur pays. Nous attirons ainsi des revenus qui, quelque part, ne nous sont normalement pas dédiés ! Mais en plus, au passage, nous arbitrons ainsi les fuites fiscales des pays voisins, voire des pays du monde.
Cela va même plus loin ! Par les cadeaux, les défiscalisations que nous octroyons aux forfaitaires... (Remarque.) ...nous soldons, nous privons d'autres pays de leurs revenus, donc de prestations souvent primordiales qui devraient normalement être données pour ces communautés. Qui d'entre vous n'a pas réagi quand on a parlé des pirates somaliens dans le Golfe d'Aden ? Mais, quelque part, avec ces forfaits, nous faisons la même chose ! (Remarque.) Comment ne pas penser aux besoins actuels urgents, en termes d'infrastructures sociales, sanitaires et d'éducation... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...de la Grèce, de l'Espagne, des pays du Sud et de l'Est ? Comment expliquer que nous recevons à bras ouverts des personnes millionnaires - ou en tout cas très riches - de ces pays exsangues, et cela sans osciller ? Et que nous défendons ces personnes, même face à leur pays d'origine ? Comment ne pas nous soucier de notre image ? de notre réputation ? de l'image, qui colle de plus en plus, d'une Suisse s'enrichissant ? A terme, les forfaits fiscaux nous coûteront plus que ce qu'ils nous rapportent actuellement. Et c'est pourquoi, Mesdames et Messieurs, les socialistes... (Remarque.) ...vous demandent d'accepter cette initiative, sans contre-projet. (Quelques applaudissements. Brouhaha.)
M. Alain Meylan (L). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, le groupe libéral PLR est résolument en faveur du système de l'imposition d'après la dépense, et de son maintien. Certes, il convient d'en fixer les règles d'octroi, peut-être de façon plus transparente, plus claire, plus restrictive, et probablement également de façon à permettre son acceptabilité auprès de nos concitoyens de manière plus importante.
Nous sommes conscients que ces modifications sont nécessaires, justement dans ce but-là. C'est la raison pour laquelle nous soutenons le contre-projet, de façon à entrer dans le système que souhaite la Confédération. Celle-ci a en effet décidé, pas plus tard qu'au début de cette année, de mettre en place ce système, par un projet de loi qui va entrer en vigueur le 1er janvier 2014 et qui laisse aux cantons - puisque c'est réglé par la LHID - la faculté d'adapter leur législation cantonale au cadre qui est défini par la Confédération. On voit que l'on entre donc dans une logique tout à fait claire et fédéraliste du système d'imposition que l'on connaît. On devra donc, et on doit - c'est pour cela que nous soutenons le contre-projet et son principe - entrer dans ce système fédéraliste.
Mesdames et Messieurs, le forfait fiscal tel qu'on le connaît à Genève s'inscrit dans un système genevois - notre argentier le dit régulièrement - qui est de niche et qui est articulé autour de plusieurs situations, de plusieurs comportements, de plusieurs catégories de contribuables qui, d'une manière ou d'une autre, participent grandement à la vie de notre Etat, et on peut tout à fait leur en être reconnaissants. Enlever le principe même du forfait fiscal, c'est déséquilibrer notre système fiscal ! Je vous rappelle que la LIPP, que l'on a votée il y a quelques années, tient compte, justement, de ces différences et de ces équilibres.
Le taux d'imposition de certaines catégories à Genève a été indiqué. Je crois, sauf erreur, que vous avez aussi pu le lire dans la presse récemment. Grosso modo, entre 30 et 35% de nos contribuables à Genève ne paient pas d'impôts ! Avec une famille et un revenu jusqu'à 80 000 F, vous ne payez pratiquement aucun impôt à Genève, contrairement aux autres cantons.
Mais, Mesdames et Messieurs, supprimez les forfaits fiscaux, supprimez ces 100, 150 ou 200 millions annuels ! On parle, en effet, de 100 millions, mais il faut aussi ajouter le fait que, quand il y a une succession, cette dernière est imposée ! On a donc également des revenus fiscaux qui tombent annuellement à ce titre-là. Et ces 100, 150 ou 200 millions annuels, il faudra bien aller les trouver ailleurs ! Et cet équilibre fiscal qu'on a réussi à avoir, qu'on maintient... Je vous dis très clairement que le groupe PLR n'est pas satisfait et n'est pas content que 35% des personnes ne paient pas d'impôts et bénéficient, précisément, de prestations de l'Etat ! Mais enfin, c'est notre système, on l'a voulu et on l'a accepté avec la LIPP. C'est notre système, et on doit le maintenir. Si on ne le maintient pas, ces gens-là - pour une grande majorité d'entre eux, cela été dit - vont très clairement partir; et où faudra-t-il ensuite aller chercher cet argent ? Ce sera précisément vers ces 30 ou 35% de personnes qui sont probablement des gens plus proches de vous, Mesdames et Messieurs les socialistes ! C'est vers eux qu'il faudra aller chercher cet argent, alors qu'ils ont déjà peut-être de la peine à finir le mois !... Non ! C'est vraiment manquer de discernement, c'est ne pas voir la réalité économique et c'est manquer de cohérence par rapport à notre système fiscal. Il s'agit de nos revenus, de tout ce qu'on utilise et de ce pourquoi on l'utilise dans notre canton, à savoir notre système social, notre système d'aide, qui n'est, je crois, pas contestable à ce niveau et en comparaison cantonale.
A propos de comparaison cantonale, on parle beaucoup de Zurich, canton dans lequel pratiquement 50% des contribuables aux forfaits fiscaux sont partis; il y en a encore un qui va partir mais qui ne rentre pas dans les statistiques. Cela va faire un grand trou au canton de Zurich, puisqu'il va partir et laisser un important manque au niveau des recettes fiscales de ce canton. On l'a vu, les recettes fiscales du canton de Zurich ont fortement diminué et vont encore fortement diminuer, alors même que le canton de Zurich a une fiscalité, au niveau de son imposition sur la fortune, moitié moins grande que celle de Genève ! A Genève, on est, concernant l'imposition sur la fortune, le canton le plus élevé de Suisse avec un taux marginal de 1% - un taux moyen de 8,69 pour mille. On voit ainsi que l'effet du départ, ou en tout cas l'effet de la décision de partir de quelqu'un qui serait au bénéfice d'un forfait fiscal, est amplifié à Genève, puisqu'on a une imposition sur la fortune qui est carrément le double de celle du canton de Zurich. On voit que l'effet négatif, si on devait entrer dans cette voie-là, serait très clairement catastrophique pour notre canton.
Nous disons donc non, parce qu'il en va de l'équilibre de nos finances et il en va de l'équilibre de notre système fiscal. Nous disons non à cette initiative, mais nous privilégions nettement que lui soit opposé un contre-projet qui fixe clairement - de manière transparente et cohérente - un système de forfait fiscal; un système d'imposition à la dépense qui soit clair, crédible, transparent, et que l'on puisse, avec ce système-là, bénéficier de l'apport fiscal de ces personnes au bien de notre population. C'est notre position. (Applaudissements.)
M. Hugo Zbinden (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, moi je n'oserais pas prétendre que je suis un grand spécialiste du droit fiscal. Je sais, franchement, tout juste remplir ma déclaration d'impôts ! (Commentaires.) Mais, comme nous tous, je la remplis chaque année. Et je vous pose la question: est-ce vraiment juste si des gens qui habitent à Genève ne remplissent pas leur déclaration d'impôts ? Et non seulement ils ne remplissent pas leur déclaration d'impôts, mais ils paient encore moins d'impôts que les autres, simplement parce qu'ils sont étrangers... (Commentaires.) ...et parce qu'ils ont gagné une fois - ou toujours - beaucoup d'argent. (Brouhaha.)
Une voix. Chut !
M. Hugo Zbinden. Il n'en est pas question, c'est une inégalité de traitement, c'est une injustice ! Après, évidemment, on peut dire: «Ouais, bon, en droit il ne faut pas seulement traiter de manière égale ce qui présente des conditions égales, il faut aussi traiter autrement des situations qui sont différentes.» A mon avis, ce sont des âneries !
Il suffit de lire le rapport de l'administration fiscale fédérale, où il est clairement indiqué que le forfait fiscal viole le principe de justice fiscale - horizontale et verticale, comme ils appellent ça - tout simplement parce que les intéressés peuvent choisir leur régime fiscal. Cela ne sert donc à rien qu'on discute s'il y a une injustice ou pas, c'est clair et net qu'il y en a une.
Cela dit, il ne faut pas être angélique - il ne faut pas être hypocrite non plus - il y a aussi beaucoup d'injustices à Genève. Pour tout le monde, il y a un prix à payer. La question se pose de savoir, en quelque sorte, à quel prix on veut vendre notre âme... On est dans la même situation que les habitants de Güllen dans «La Visite de la Vieille Dame» de Dürrenmatt - non ? - qui doivent décider s'ils acceptent l'argent de la vieille dame, qui demande en échange qu'on sacrifie le maire de Güllen, parce qu'il a fait un gosse à la dame quand il était jeune et qu'il n'a pas assumé sa paternité... C'est donc une question de sous ! (Remarque.) C'est une question de sous, donc du prix, non ? Alors parlons du prix. Vous, vous annoncez 100 millions. Ce chiffre de 100 millions me semble très spéculatif, parce que vous assumez, quelque part, que tout le monde va partir. Certes, des gens vont partir... (L'orateur est interpellé.)
Une voix. Chut !
M. Hugo Zbinden. ...mais des gens vont également arriver ! (Commentaires.) Et les gens riches n'habitent pas les HLM, mais de jolies villas au bord du lac. Des gens vont ainsi arriver, avec forcément pas mal de moyens, et ils vont payer des impôts - parce que ce seront peut-être des Suisses qui paieront des impôts normalement, comme nous tous. Parler de 100 millions est donc de la pure spéculation ! Nous estimons que la perte va être beaucoup plus faible. (Brouhaha.)
Si vous vous rappelez la fin de l'histoire de Dürrenmatt, n'est-ce pas... (Remarque.) ...les habitants de Güllen ont choisi l'argent. Nous, les Verts, nous estimons qu'il est temps que Genève choisisse la justice ! (Remarque.) On va donc refuser... Non, on ne va pas refuser... (Rires.) ...on va évidemment accepter cette initiative et on ne va pas entrer en matière sur un contre-projet. (Applaudissements.)
Mme Anne Emery-Torracinta (S). Monsieur le rapporteur de majorité, si vous me le permettez, j'aimerais quand même d'abord m'adresser à vous. Vous nous avez dit, et vous avez quasi pleuré... (Remarque.) Vous nous avez dit que les forfaitaires, en moyenne... (Remarque.)
Une voix. Chut !
Mme Anne Emery-Torracinta. ...étaient taxés sur la dépense... (Remarque.) ...pour 583 000 F, et vous avez pleuré ! Vous nous avez dit: «Mais enfin, pourquoi est-ce que vous vous inquiétez de personnes qui ont des dépenses estimées à 583 000 F ?» Eh bien, Monsieur le rapporteur de majorité, et Mesdames et Messieurs les députés, ici, de la majorité, combien parmi les Genevoises et le Genevois dépensent près de 600 000 F par année ? Quasi personne ! Certainement très peu d'entre nous - en tout cas pas moi, ni personne dans le groupe socialiste, d'ailleurs.
Savez-vous, Mesdames et Messieurs les députés, que pratiquement un quart de la population genevoise est subventionné pour son assurance-maladie ? (Brouhaha.) Savez-vous que l'Hospice général a vu une augmentation de 52% de ses dossiers financiers en quatre ans ? C'est ça la réalité de notre canton !
Des voix. Eh bien justement ! (Commentaires. Protestations.)
Mme Anne Emery-Torracinta. Alors justement... (Commentaires. Le président agite la cloche.) Je vais y venir ! (Chahut. Applaudissements.)
Le président. Non, attendez ! Madame la députée... (Brouhaha.) Madame la députée, un instant. J'aimerais...
Mme Anne Emery-Torracinta. J'apprécie beaucoup que la droite de ce parlement s'intéresse au social !
Le président. Jusqu'à maintenant on s'est respecté, chacun s'est écouté. Il est vrai, Madame la députée, que si vous vous adressez à moi, cela ira peut-être mieux, parce que... On va donc continuer sur cet excellent niveau ! Poursuivez, Madame la députée.
Mme Anne Emery-Torracinta. Alors pourquoi les socialistes défendent cette initiative ? Parce que les socialistes, en définitive, défendent des valeurs. Quelles valeurs, me direz-vous ? Eh bien des valeurs suisses ! Celles de la Constitution fédérale ! Parce que qui sont les plus Suisses des Suisses dans ce parlement aujourd'hui ? Eh bien ce sont les membres de l'Alternative qui défendent l'article 127 de notre Constitution fédérale, qui dit que l'impôt doit se fonder sur l'égalité de traitement et la capacité économique de chacun.
Mesdames et Messieurs les députés, vous avez également une fausse idée des bénéficiaires de ces forfaits fiscaux. Les bénéficiaires ne sont pas ces retraités qui viennent profiter du soleil, des Alpes ou éventuellement de la beauté de nos lacs. (Remarque.) En réalité, ce sont des gens qui, à l'heure des smartphones, à l'heure d'internet, profitent de faire un certain nombre d'affaires - plus ou moins douteuses d'ailleurs - et qui profitent même parfois de leur fortune immobilière. Notre collègue, Mme Bolay, a récemment posé une question urgente au Conseil d'Etat à propos d'une personne qui, d'après la «Tribune», aurait loué un appartement à des prostituées ou des appartements à des taux aisés. (Brouhaha.)
Alors, Mesdames et Messieurs les députés, ce que nous souhaitons, nous, c'est simplement regarder ce qui se passe dans les faits, et non pas défendre des utopies ! Les faits, c'est quoi ? C'est qu'à Zurich, et certains d'entre vous l'ont rappelé, la moitié des personnes sont effectivement parties. Mais où sont-elles parties ? Pour l'essentiel, elles sont parties... (Remarque.) ...dans les cantons voisins ! Ce pour quoi on doit donc se battre, c'est pour qu'il y ait une équité fiscale entre les cantons ! (Remarque.) On doit se battre pour soutenir l'initiative fédérale qui a été déposée en novembre dernier et qui demande, justement, la suppression des forfaits fiscaux dans l'ensemble de la Suisse.
Ce que nous vous demandons de faire, c'est de ne plus avoir la tête dans le sac ! Parce qu'à force de nous avoir dit pendant des années que l'évasion fiscale et la soustraction fiscale ce n'est pas la même chose, qu'il faut maintenir le secret bancaire... Qui est en train de nous l'imposer aujourd'hui ?! L'étranger ! Et qui nous imposera - vous imposera - la suppression des forfaits fiscaux dans quelques années ? D'ailleurs la France est déjà en train d'essayer de l'effectuer par d'autres biais, en tentant de dénoncer la convention de double imposition... Eh bien, qui viendra imposer à la Suisse ce genre de choses ? L'étranger ! Alors aujourd'hui, simplement pour défendre les valeurs suisses, je vous invite à soutenir cette initiative, et surtout à soutenir l'initiative fédérale qui demande exactement la même chose. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. Roger Golay.
Une voix. Vas-y Roger !
M. Roger Golay (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, cela a été dit et je le répète, le titre de cette initiative est trompeur ! Cette initiative est intitulée: «Pas de cadeaux aux millionnaires: Initiative pour la suppression des forfaits fiscaux», alors que, vous le savez tous, la législation cantonale a une disposition qui prévoit justement ces possibilités de forfaits fiscaux. «Pas de cadeaux» veut dire qu'il s'agit d'un privilège sans droit; il est donc clair que vous avez pu réunir 14 000 signatures de la sorte, en trompant la personne qui s'est arrêtée à votre stand pour signer votre initiative. (Brouhaha.)
Aujourd'hui je constate une chose, c'est que Genève est en train de souffrir de plus en plus par manque de moyens financiers à cause de votre politique ! On n'a actuellement plus les moyens de rénover des cycles d'orientation, de se payer des crèches, et on n'a même plus les moyens de se payer un bâtiment des archives de l'Etat... (Brouhaha.) ...en sachant bien que ces dernières prennent l'eau... (Brouhaha.)
Une voix. Chut !
M. Roger Golay. ...et que notre patrimoine est en danger ! Nous n'avons également plus les moyens de payer et de finir les réseaux de transports publics... Et voilà la politique financière qu'on a maintenant, et cela à cause de vous, car vous tirez continuellement à boulets rouges contre toutes les ressources de notre économie... (Remarque.) ...qui nous permettent des recettes indispensables pour le bon fonctionnement de l'Etat.
Aujourd'hui - ou hier ! - qu'avez-vous fait ? Vous avez tiré sur les multinationales ! Vous avez tiré sur la place financière et les banques en Suisse, avec en tout cas 20 000 emplois perdus ! Vous avez tiré sur l'industrie militaire: on a perdu des milliers d'emplois dans des zones de montagne et rurales. Voilà ce qu'est votre politique, votre politique de l'emploi, c'est la perte de milliers - de dizaines de milliers ! - d'emplois en Suisse, car vous privez l'économie de moyens substantiels pour que celle-ci permette une bonne redistribution de cette richesse aux personnes qui en ont le plus besoin, celles que vous êtes soi-disant censés défendre.
Aujourd'hui, vous défendez quoi ? Précisément qu'il n'y ait plus rien pour ces gens, car vous êtes en train de priver notre Etat des seuls moyens de pouvoir produire une richesse grâce à ces multinationales - toutes ces institutions que j'ai citées avant. Vous faites quoi ? Vous êtes, je dirai, comme des bandits de grands chemins, ne pensant qu'à faire les poches des gens qui ont encore quelques pièces dans celles-ci ! C'est tellement facile de se servir chez les autres, quand vous, vous ne produisez rien que la destruction de notre économie ! (Brouhaha.) Moi je pense que vous, vous souhaitez simplement recevoir toute la misère du monde, mais que vous n'acceptez pas qu'une partie de la richesse de ce dernier...
Le président. Monsieur le député !
M. Roger Golay. ...arrive...
Le président. Monsieur le député, regardez...
M. Roger Golay. ...dans notre pays.
Le président. Monsieur le député, oh oh ! Regardez-moi, ça ira mieux ! (L'orateur se tourne vers le président.) Mais oui ! (Rires. Commentaires.)
M. Roger Golay. Oui, oui, mais... (Commentaires.) ...c'est un sujet très émotionnel ! Cela concerne la survie des gens qui sont le plus dans le besoin, dans notre pays. Mais je dirai, pour finir, que c'est précisément ceci qui est regrettable: vous n'acceptez que cette misère et refusez la richesse qui peut venir d'ailleurs. Mais nous - en tout cas le MCG - nous n'accepterons pas votre politique destructrice et nous soutiendrons le contre-projet du Conseil d'Etat. (Commentaires.)
Une voix. Bravo !
Le président. Merci, Monsieur le député. Avec l'accord du Bureau, je clos la liste. Doivent encore s'exprimer les députés Maitre, Lussi, Deneys, Dal Busco, Zweifel, Forni, Spuhler, Özden, Gautier, Conne, Riedweg, Stauffer... (Remarque.) Attendez, ne bougez plus - cela va trop vite ! ...Florey, Weiss, de même que M. Unger - qui s'exprimera à la fin du débat - Mme la députée Sobanek, M. Cerutti, et M. Sauty. Il y a donc encore du travail ! La parole est à M. le Vincent Maitre.
M. Vincent Maitre (PDC). Je vous remercie, Monsieur le président. Je tâcherai d'avoir des propos peut-être un peu moins injurieux que ceux que j'ai entendu précédemment, tout simplement pour rappeler les faits, la stricte réalité de la fiscalité suisse: les plus grands spécialistes que nous avons auditionnés en commission nous ont dit que, finalement, ce forfait fiscal, même s'il peut, sous certains aspects, paraître à première vue - et je précise bien: «à première vue» - inéquitable, voire injuste... (Brouhaha.) ...en réalité, il se justifie totalement sur un caractère, une structure fiscale... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Je vous remercie. Il se justifie pour pallier toutes les carences du système fiscal suisse, et en particulier le système fiscal genevois, qui, dans sa globalité, est pour le moins archaïque, raison pour laquelle, au fil des années ou des décennies, nous avons dû trouver quelques moyens pour rendre cette fiscalité plus attractive. Le forfait fiscal en est, parmi tant d'autres, l'un des résultats.
J'ai beaucoup entendu parler de la justice fiscale et de son corollaire, le fameux principe d'égalité de traitement. J'ai bien peur que les initiants ne se trompent d'interprétation dans ces principes-là, en particulier dans celui de l'égalité de traitement, puisqu'ils oublient de vous dire, lorsqu'ils prétendent qu'il convient de traiter des situations identiques de la même façon, eh bien ils oublient de vous dire qu'il convient également - en tout cas tout autant - de traiter les situations différentes de façon distincte.
Les forfaitaires fiscaux ne sont pas des contribuables comme les autres: ce sont - on l'a dit - des personnes qui n'ont plus de revenus en Suisse, ce qui ne veut toujours pas dire qu'ils n'ont plus de revenus ailleurs dans le monde, et ce sont des contribuables très aisés qui n'utilisent quasiment aucune infrastructure de notre territoire. Ce sont évidemment des gens qui ne placent pas, ou rarement, leurs enfants en école publique, mais qui les mettront plutôt en école privée, et ce sont des gens qui font appel, lorsqu'ils ont besoin de soins médicaux, à des cliniques privées, et non pas à l'Hôpital cantonal. (Remarque.) Pardon ?
M. Roger Deneys. En hélicoptère au travail !
M. Vincent Maitre. Mais libre à eux ! (Commentaires.) Monsieur Deneys, il ne faut jamais...
Le président. Poursuivez, Monsieur le député !
M. Vincent Maitre. Il ne faut jamais... (Brouhaha. Remarque de M. Roger Deneys.)
Le président. Monsieur le député Deneys, s'il vous plaît !
M. Vincent Maitre. Je me permets de répondre...
Le président. On continue !
M. Vincent Maitre. Ne critiquez pas les riches, Monsieur Deneys, on ne sait pas ce qui peut vous arriver un jour ! (Rires. Applaudissements.)
Ce que je peux vous dire, Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, c'est qu'en supprimant le forfait fiscal à Genève il faudra se préparer à remplacer les quelque 155 millions de recettes que cela génère chaque année pour notre canton. Sur ces 155 millions, grosso modo, c'est à peu près 90 millions qui reviennent au canton et 30 millions aux communes.
Je le disais tout à l'heure, les contribuables - et c'était en relation avec le principe de l'égalité de traitement - au bénéfice d'un forfait fiscal ne sont pas des contribuables comme vous et moi, et ce sont... Alors j'entendais dire, de part et d'autre, que ces gens-là ne sont pas de riches retraités qui finalement passent leurs vieux jours paisiblement dans leur palace au bord du lac... Vous avez parfaitement raison, Madame Gavillet, puisque c'était vous qui teniez ces propos: il y a effectivement de jeunes forfaitaires fiscaux, des gens de moins de 30 ans, vous l'avez dit. Ce sont évidemment - évidemment ! - des sportifs d'élite ou encore des artistes qui gagnent énormément d'argent, mais énormément d'argent en dehors de la Suisse ! Et dans ces autres pays où ils génèrent de l'argent, eh bien ils sont imposés, et parfois imposés à des taux absolument démentiels - on parle parfois de 80 ou 85%, en particulier pour des sportifs, par exemple anglais. Je m'explique: lorsqu'un tennisman ou un golfeur effectue des tournois et engrange passablement d'argent aux quatre coins du monde, cette personne-là sera payée non seulement par le biais des revenus - c'est ce qu'on appelle les «prize money» - de ces tournois, de ces événements sportifs, pour lesquels elle sera imposée dans chaque pays concerné par la prestation, mais elle sera évidemment aussi imposée sur les revenus provenant de son sponsoring dans son pays d'origine. C'est la raison pour laquelle vous avez des sportifs qui ont décidé - et je dois le dire presque ironiquement - de façon assez généreuse, de venir encore payer des impôts en Suisse, alors qu'ils n'y seraient pas tenus, puisqu'ils paient déjà généralement 80 à 85% d'impôts autour du globe. Alors dites-moi où est l'iniquité ? Où est l'injustice ? J'ai l'impression qu'elle n'est pas tellement là où vous la décrivez.
Je reprends un argument que notre collègue, Mme Schneider Hausser, a donné tout à l'heure, à savoir que, finalement, avec cette attractivité fiscale outrancière, eh bien nous pillons des pays au bord de la faillite. J'entendais notamment citer de sa bouche l'Espagne: bien mauvais exemple, puisque l'Espagne en particulier consacre des lois spéciales pour des contribuables bien spécifiques. Les commissaires ayant participé aux travaux de la commission fiscale savent évidemment de quoi je parle. Il s'agit, par exemple, du célèbre footballeur David Beckham; il a fait l'objet d'un arrêt de la Cour suprême espagnole, qui a validé une loi fiscale espagnole, laquelle n'était destinée qu'à lui uniquement. C'était évidemment pour l'attirer sur le territoire espagnol et qu'il y paie des impôts. Tout cela pour dire, Mesdames et Messieurs, que la concurrence fiscale est malheureusement une réalité globale, une réalité mondiale que nous devons...
Mme Loly Bolay. L'Espagne est au bord du gouffre !
M. Vincent Maitre. Mais oui, Madame Bolay, elle est au bord du gouffre, vous avez raison ! Mais sans ce genre de lois, elle serait peut-être déjà en faillite ! Tout cela pour dire, je le répète, que la concurrence fiscale - on peut le regretter ou pas - se place sur le plan mondial, se place sur le plan international, et que Genève, avec un système fiscal fondamental aussi archaïque, doit rester attractif, nous en avons réellement besoin.
Je vous rappelle notamment que le montant moyen de l'impôt payé à Genève par les contribuables s'élève à 8200 F par année, ce qui représente, entre parenthèses, le double de l'impôt moyen payé dans le reste de la Suisse. C'est donc la preuve - s'il était encore besoin de le dire - que Genève a déjà une fiscalité particulièrement lourde ! Il faut savoir que ces forfaitaires fiscaux font partie des seulement 5% de la population qui paie plus d'impôts que cet impôt moyen de 8200 F.
Le président. Encore trente seconde, Monsieur le député.
M. Vincent Maitre. En d'autres termes, et je finirai là, 95% de la population paient moins que cet impôt moyen. La conclusion est toute trouvée: si vous supprimez le forfait fiscal à Genève, vous priverez notre canton de recettes manifestement très importantes et vitales. (Quelques applaudissements.)
Des voix. Bravo !
Présidence de M. Antoine Droin, premier vice-président
M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, j'avais pris quelques notes pour rappeler le brio, surtout de ce côté-ci de l'hémicycle, avec lequel a été relevée l'ineptie de cette initiative. Mais vous me permettrez peut-être - et certains vont ricaner, voire huer - de partir dans quelques considérations politiques qui me sont chères. Parce qu'il y a ce que l'on lit dans l'énoncé - quelqu'un l'a dit - et puis il y a ce qui est caché derrière.
Personnellement, comme élu de l'Union démocratique du centre, je remarque que le parti socialiste définit des bons et des mauvais étrangers ! Les bons étrangers, pour eux, sont ceux qui viennent, qui sont logés, qui émargent de nos institutions sociales et qui nous coûtent des sous, et les mauvais sont ceux qui nous ramènent de l'argent ! (Brouhaha.) Malheureusement pour nous, il y en a tellement peu qui nous ramènent de l'argent que, on l'a vu ce soir, l'exercice est nettement déficitaire quand on regarde les comptes de l'Hospice général.
Mesdames et Messieurs les députés, sachons un peu raison garder et sachons aussi quand même reconnaître que si des gens viennent chez nous - pour le moment ! on ne sait pas si cela va durer - c'est également pour une question de bien-être; pour une question de sécurité - qui est en train de partir, bref ! Parce qu'il fait bon être en Suisse; parce que, comme certains le disent, c'est tranquille et c'est agréable.
Cette initiative évoque pour moi un aspect électoraliste dont, certes, on dira qu'il est aussi utilisé par l'Union démocratique du centre, mais, dans le cas précis, il est dit que la gloire - c'est un grand philosophe qui le pense - n'est qu'une fausse monnaie contre laquelle nous sacrifions aux autres notre propre bonheur... Mon Dieu que cela me semble juste, ce soir !
Pour quelques principes désuets, pour quelques dogmes de la grande répartition, dont les autres, par ailleurs - je parle des autres pays - se fichent complètement, on est en train de nous culpabiliser et de nous dire: «Mais attendez, vous faites des cadeaux aux millionnaires»... Alors que ces gens arrivent, ils paient pas mal de taxes - même beaucoup plus que vous n'en payez - et on ose leur faire un procès d'intention ! Cela me dérange énormément !
Pour finir, vous me permettrez encore, puisque j'ai dit que je restais dans les considérations, d'ajouter ceci - ce n'est pas de moi - car il est vrai que nos amis du côté de l'Inde, ou les hindous, font preuve de sagesse quand ils disent: «La parole est d'argent» - vous êtes en train de le gaspiller, ce soir ! - et que «Le silence est d'or»... Gardez-le, il va nous amener des sous !
M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, je crois que nous assistons ce soir à une classique démonstration de la droite, par l'absurde, à savoir que cette initiative mettrait en péril l'équilibre des finances publiques genevoises. (Brouhaha.) Si vous lisez le rapport sur cette initiative, à la page 24 on trouve quelques explications et quelques commentaires assez intéressants des libéraux, parce qu'il est écrit au milieu de la page: «Un député (L) rappelle que les baisses d'impôts dont a bénéficié le peuple genevois n'ont jamais eu comme conséquence une baisse des recettes. Au contraire, elles ont augmenté les ressources.» (Commentaires.) Heureusement, vous êtes déjà assis, et j'espère que les téléspectatrices et téléspectateurs sont également déjà assis, voire couchés, pour entendre des sornettes pareilles... (Brouhaha.) Parce que, Mesdames et Messieurs, depuis la votation de ce Grand Conseil d'une baisse d'impôt en 2009, les recettes fiscales ont diminué de 400 millions de francs par an à Genève.
Des voix. C'est faux !
M. Roger Deneys. C'est totalement vrai ! Ce sont des chiffres confirmés... (Brouhaha.)
Le président. Chut !
M. Roger Deneys. ...par le Conseil d'Etat, cela figure dans le rapport sur la fusion des caisses de pension, et toutes les citoyennes et tous les citoyens de ce canton peuvent vérifier ce chiffre. C'était le chiffre évoqué à l'époque, vous avez voté cette baisse des recettes fiscales en connaissance de cause, et puis, aujourd'hui, vous venez nous dire: «Ah non, non, non, on ne pourrait pas accepter cette initiative, parce que cela risque de faire baisser les recettes fiscales !» Mais ce n'est pas du tout l'argument ! Ce n'est bien entendu pas l'argument ! Le seul argument qui vous intéresse, c'est de protéger, une fois de plus, les plus privilégiés... (Brouhaha.) ...dans cette république, qu'ils soient suisses ou étrangers, et c'est comme ça que vous fonctionnez année après année !
J'ai aussi entendu, tout à l'heure, que votre souci c'était de maintenir l'équilibre des finances publiques... Mais vous voulez rire ! L'équilibre est déjà rompu depuis bien longtemps, depuis 2009, depuis 2010 ! On l'a encore vu lors du dernier budget ! Vous avez proposé, précisément, d'aller chercher de l'argent chez les pauvres, chez les bas revenus, en augmentant la taxe personnelle ! En la faisant passer de 25 F à 365 F ! Et c'est donc ça ! C'est prendre 80 millions de francs sur les plus bas revenus, afin de protéger les plus riches !
Vous êtes contre l'abolition du bouclier fiscal, vous êtes contre la suppression des forfaits fiscaux, et la seule proposition que vous faites c'est de prendre l'argent chez les bas revenus ! Chez les plus pauvres ! On l'a encore vu dans ce Grand Conseil la dernière fois, quand vous avez demandé de diminuer le taux d'encadrement dans les crèches ! Et qui va dans les crèches ? Ce ne sont évidemment pas les bénéficiaires de forfaits fiscaux - M. Vincent Maitre l'a rappelé tout à l'heure - ce sont assurément les familles défavorisées, la classe moyenne, qui travaille... (Remarque.) ...qui travaille dur ! et qui paie beaucoup d'impôts ! Et je pense qu'il faut en être conscient.
Une voix. Ce n'est pas vrai ! Mais non !
M. Roger Deneys. Alors, Mesdames et Messieurs les députés, je crois qu'il ne faut pas se tromper de débat aujourd'hui. Certes, abolir les forfaits fiscaux est un changement de paradigme important qui n'est pas forcément sans conséquences; certes, des bénéficiaires de forfaits fiscaux peuvent décider de quitter Genève; et, certes, il se peut que cela diminue les recettes fiscales. Mais, en même temps, je pense qu'il faut envisager le canton de Genève et notre république dans une vision à plus long terme.
Quel est le risque le plus grand ? Des contribuables qui peuvent partir n'importe quand, du jour au lendemain, parce que des conditions plus attractives sont tout à coup offertes dans un autre canton ou dans un autre pays, ou bien des contribuables qui savent pourquoi ils sont là ? M. Lussi l'a évoqué tout à l'heure, certains contribuables peuvent rester en Suisse, parce qu'ils s'y sentent très bien, parce que la qualité de vie est bonne - en tout cas en comparaison internationale - parce que la sécurité y règne, et en outre, quand on a des revenus importants, la sécurité y règne d'autant plus. Et pour toutes ces raisons, l'aspect fiscal est l'un des paramètres parmi d'autres, mais pas le seul ! Nous ne pouvons donc pas prétendre qu'en votant cette initiative tous les bénéficiaires de forfaits fiscaux quitteront le canton de Genève. C'est tout simplement mensonger ! Nous ne pouvons pas connaître l'impact fiscal, contrairement à la baisse d'impôts de 2009, dont on savait qu'elle allait coûter 400 millions de francs par an au canton de Genève, et que vous avez acceptée avec enthousiasme ! Alors maintenant, ne venez pas nous dire que c'est votre souci ! (Commentaires.)
Et puis, Mesdames et Messieurs les députés, je crois que cette initiative a une autre vertu, c'est une vertu de moralité: notre société - et la société capitaliste en général - a besoin de davantage de moralité dans son fonctionnement, et le fait de payer l'impôt, c'est aussi la reconnaissance qu'on a envers la société qui nous a fait grandir, qui nous a logés, qui nous a éduqués, et qui nous a permis de transmettre, peut-être, un patrimoine important à nos héritiers.
Mesdames et Messieurs, je crois que les forfaits fiscaux sont la preuve parfaite de l'iniquité de notre système, quand nous permettons à des personnes qui ont suivi leur formation dans les pays voisins - et qui ont bénéficié des infrastructures des pays voisins - de venir ensuite ne pas payer d'impôts dans ces pays voisins en s'installant en Suisse. C'est tout simplement injuste envers les pays d'où ils viennent; c'est tout simplement injuste au niveau international, et nous le payons parce que, évidemment, ces pays sont ensuite victimes d'un manque de recettes fiscales ! Et que font ces pays ? Eh bien, ils font comme les Etats-Unis aujourd'hui, comme l'Allemagne, comme la France actuellement. Ils viennent chercher l'argent là où il se trouve: dans les banques suisses ! La pression... (Brouhaha.) La pression que nous connaissons au niveau du système bancaire, Mesdames et Messieurs les députés, est directement liée à notre politique d'autruche égoïste, que nous pratiquons en maintenant ce système qui appauvrit le reste du monde.
Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite donc à voter l'initiative socialiste avec enthousiasme ! (Applaudissements.)
M. Serge Dal Busco (PDC). Mesdames et Messieurs, chers collègues, alors parler après M. Deneys, qui, comme chacun le sait, a des ambitions pour cet automne, notamment pour peut-être... (Rires. Exclamations.) ...s'occuper... (Brouhaha.) Non, non ! Mais laissez-moi terminer ma phrase ! ...notamment pour être en charge des finances cantonales, moi je ne peux pas m'empêcher, en intervenant ici, d'avoir effectivement cette responsabilité et cette pensée à l'esprit. On ne peut pas raconter des choses comme celles qu'on vient d'entendre, si on aspire à gouverner cette république ! Parce qu'il y a des responsabilités qu'on ne peut pas ignorer.
C'est bien joli d'évoquer la morale ! Alors, bien évidemment, c'est un démocrate-chrétien qui relève cela; on évoque souvent la morale, mais il faut aussi ne pas l'évoquer à tort et à travers. Et là, en l'occurrence, après ce que j'ai entendu ce soir en matière de fiscalité, cette morale est de très mauvais aloi.
On évoque des questions, on fait une abstraction totale des réalités et on nous explique que, finalement, ces réalités ne sont absolument pas importantes, et que ces 150 millions qu'on va perdre, ce n'est pas si grave... Au contraire, à entendre certains qui sont intervenus, on pourrait croire que la suppression des forfaits fiscaux pourrait même générer des recettes supplémentaires ! Enfin bref, on nage en plein... - non, j'allais dire quelque chose de pas très sympathique - ...en pleine contradiction !
Si cette initiative est acceptée à Genève, Mesdames et Messieurs, il est absolument clair qu'elle serait acceptée en tout cas avant le Pays de Vaud, et je peux m'imaginer que les Vaudois, dans le pragmatisme terrien qui les caractérise, éviteront de se livrer à de telles extrémités avant bien longtemps ! Les gens qui bénéficient de cette situation ne manqueront pas - cela a été dit et redit, mais je le répète, parce que c'est une réalité, à mon avis, incontournable - de franchir très rapidement la Versoix, et ce seront des pertes sèches, Mesdames et Messieurs, de 150 millions par année, c'est-à-dire environ ce que va nous coûter chaque année le renflouement de la caisse de pension pendant de longues décennies. On ne sait d'ailleurs pas si on va pouvoir bénéficier des recettes, à l'avenir, pour pouvoir le faire. C'est également 3000 emplois directs et indirects qui seraient mis en péril - et des emplois de gens modestes, Monsieur Deneys - des employés de maison, des gens qui entretiennent les propriétés de ces personnes. Enfin bref, c'est quelque chose qui est tout à fait appréciable.
Et puis surtout, Mesdames et Messieurs, outre le fait que d'avoir résidé ou de résider à Genève apporte évidemment, lorsque ces personnes décèdent, des droits de succession qui sont très importants, il faut savoir - cela a peu été dit ici, et ces gens sont évidemment probablement très discrets sur ces situations - que nous avons affaire à des gens qui sont, pour certains, des philanthropes ainsi que des mécènes tout à fait considérables qui financent et qui portent souvent à bout de bras certaines institutions ici, à Genève, et franchement, il faut faire très attention à ce que l'on peut produire avec des initiatives aussi dévastatrices.
Je voulais vous dire encore, en tant que personne peut-être appelée à assumer des responsabilités à l'avenir, en particulier dans le domaine des finances, que je ne sais pas comment on peut proposer ou défendre dans ce parlement une position qui consiste à faire totalement fi des conséquences financières de cette proposition, alors que notre situation financière, dans ce canton, est pour le moins délicate. Je pense que la simple nécessité d'une responsabilité, celle qui sied à des personnes qui veulent gouverner cette république, devrait nous inciter à faire preuve de raison et de bon sens.
Mesdames et Messieurs, personnellement, je n'espère pas qu'une initiative au niveau fédéral puisse aboutir. Car, certes, on éliminerait la concurrence entre les cantons, mais en aucun cas la concurrence internationale, alors que celle-ci se déploie, se développe: on a vu des dispositions, notamment au Portugal, qui sont très importantes. Le Royaume-Uni qui reste, comme à l'accoutumée, bien sage et ne fait pas trop de publicité sur les conditions extrêmement favorables qu'il offre à des étrangers non résidents, eh bien il empocherait, il engrangerait très probablement les bénéfices d'initiatives aussi dangereuses que celle dont nous discutons ce soir.
Mesdames et Messieurs, je suis intervenu après mon excellent collègue Vincent Maitre, il avait déjà tout dit, mais je ne pouvais pas m'empêcher d'en «rajouter une couche», si vous me pardonnez l'expression, parce que la situation est délicate, et assurément l'adoption d'une telle initiative serait vraiment - franchement - dangereuse.
Alors je vous invite encore une fois, au nom du groupe démocrate-chrétien, à la refuser et à, ensuite, accepter un contre-projet tel qu'il est envisagé par le Conseil d'Etat, parce qu'une harmonisation des règles peut être faite à un niveau comparable à celui de la Confédération; eh bien, ce contre-projet sera accueilli avec beaucoup de bienveillance de la part de notre groupe. Donc, non à cette initiative et oui à un contre-projet. (Applaudissements.)
M. Yvan Zweifel (L). J'aimerais revenir sur quelques arguments, particulièrement sur ceux de l'équité ou de l'injustice, qui ont été brandis par les rangs de gauche, et notamment par les rapporteurs de minorité. Pour moi, il s'agit tout simplement d'un faux problème. Pourquoi ? Parce qu'on est en train de comparer deux systèmes totalement différents: celui de l'imposition aux forfaits et celui de l'imposition ordinaire. Vous pouvez comparer les contribuables à l'intérieur de chacun des systèmes si cela vous chante, mais on ne peut pas comparer entre eux des contribuables de deux systèmes différents. Cela reviendrait tout simplement à comparer des pommes et des poires, et vous m'excuserez de dire - les Verts ne me diront pas le contraire - qu'une pomme n'est pas égale à une poire, et vice-versa ! En conséquence de quoi, il s'agit de comparer des choses différentes, et on ne peut pas ici parler d'inégalité de traitement. D'ailleurs, ce n'est pas seulement moi qui le dis, il y a également les experts fiscaux et les avocats fiscalistes qui ont été auditionnés par la commission. Il n'y a donc pas que moi qui le dis, tous les experts en la matière vous l'ont indiqué en commission: il s'agit de deux systèmes différents, il n'y a pas d'inégalité de traitement ! Cela est même inscrit dans la loi ! Relisez l'article 14 de la LIFD et l'article 6 de la LHID: l'imposition à la dépense, qui est un système différent de l'imposition ordinaire, y est clairement inscrite !
Et puis, j'aimerais partir sur un autre élément: ce sont les conséquences réelles de votre initiative, Mesdames et Messieurs du parti socialiste - Monsieur le président, vous transmettrez. Vous me permettrez de faire une petite métaphore pâtissière en vous rappelant que la fiscalité, c'est comme un gros gâteau, et puis que ce gâteau est confectionné par plusieurs pâtissiers différents. Certains confectionnent de plus grandes parts que d'autres, parce qu'ils ont plus de moyens ou parce qu'ils ont plus de matériel. Et, par-dessus tout, on ajoute une petite couche de pâtissiers étrangers, ceux, par exemple, qui viennent des forfaits; on pourra appeler ça du glaçage ou des fruits - je suis sûr que ça plaira aux Verts - ou de l'alcool - ça plaira peut-être à d'autres - ou encore d'autres choses qui donnent de la saveur à ce gâteau fiscal ! Gâteau fiscal qui peut ensuite être redistribué à un maximum de personnes, et en particulier à ceux, Mesdames et Messieurs des bancs de gauche, que vous prétendez vouloir systématiquement défendre, ce que vous ne faites précisément pas ce soir.
Avec votre initiative, ce qu'il va se passer, c'est que ce gâteau fiscal se réduira tout simplement ! Il va d'abord se réduire en quantité ! Parce que certains de ces pâtissiers diront: «Mais à quoi bon, finalement, toujours vouloir me demander de faire plus avec les mêmes moyens, alors que d'autres se partagent ce gâteau, et moi je n'en ai plus grand-chose à la fin ?» Ce que vous essayez de faire ici, c'est de faire fuir ceux qui ajoutent un petit peu de saveur à ce gâteau, via les forfaits fiscaux. Ce gâteau va rapetisser, nous aurons moins de moyens - c'est la réalité, Monsieur Deneys - pour ceux que vous prétendez vouloir défendre. Il s'agit donc d'une absurdité totale que de vouloir soutenir cette initiative.
Deuxième conséquence néfaste, c'est évidemment de nous priver de l'outil de promotion économique exceptionnel - et ce n'est pas le conseiller d'Etat Unger qui dira le contraire - que constituent ces forfaits fiscaux. Alors vous nous dites, là aussi: «Il y a une inégalité, on prend dans les poches des autres pays»... Mais il suffit de voir - et le rapporteur de majorité l'a déjà évoqué, M. Poggia aussi d'ailleurs - qu'il y a d'autres pays qui ont également des systèmes permettant soit l'imposition à la dépense, soit d'autres avantages fiscaux. On peut citer la Grande-Bretagne, évidemment, avec son système de «resident non-domiciled»; on peut citer les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, l'Autriche, Monaco, Malte ou le Liechtenstein. Vous me permettrez de remarquer que, dans la liste que je viens de citer, il y a comme par hasard les pays qui sont dans la meilleure situation financière en Europe. Si l'on y ajoute la Suisse, pays qui est dans la meilleure situation financière, on se rend compte que ceux qui sont en bonne situation économique et financière sont justement ceux qui ont des outils de promotion économique et des outils fiscaux à disposition !
Ce que vous voulez faire, par votre initiative et toutes les autres que vous avez encore dans le tiroir, c'est tout simplement nous priver de ces outils de promotion économique et classer la Suisse dans la catégorie des pays comme la France ou l'Italie, qui, aux dernières nouvelles, ne sont pas les rois de la gestion financière, bien au contraire !
Vous nous dites: «On veut l'égalité, comme en France»... La France est au bord de la ruine et a des déficits chroniques depuis 1976 - je n'étais même pas né, d'ailleurs - alors que la Suisse, depuis 2003, n'a que des excédents, notamment grâce à sa promotion économique et notamment aussi grâce à ce genre d'outils fiscaux. Vous voulez ruiner le pays, et c'est vraiment dommage !
Monsieur Deneys, vous nous dites que les baisses d'impôts font, in fine, diminuer les recettes fiscales, alors que, en 1999, l'initiative du parti libéral qui a demandé la baisse de 12% a permis d'accroître de 36% les recettes fiscales en dix ans ! Ce que vous racontez est un mensonge, il suffit de regarder les chiffres et la réalité !
Vous me permettrez de conclure, Monsieur le président, toujours avec ma petite métaphore pâtissière, pour vous dire - vous l'aurez compris - que cette initiative est néfaste pour le gâteau fiscal, et donc pour l'entier des contribuables ainsi que l'entier de la population genevoise - qu'elle soit suisse ou non, d'ailleurs. Et cerise sur le gâteau, Mesdames et Messieurs du parti socialiste, avec ce genre d'initiatives, en réalité vous roulez vos propres électeurs dans la farine, puisque vous allez enlever des moyens à ceux que vous prétendez vouloir défendre.
En conclusion, Mesdames et Messieurs, l'immense différence entre vous et nous, c'est que le parti socialiste veut combattre la richesse, alors que le PLR et les partis raisonnables de ce Grand Conseil veulent combattre la pauvreté ! (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Michel Forni (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, tout a été dit ce soir, puisque nous sommes face à un dossier explosif, mais, chose importante, il engage l'art et la manière d'accepter et de présenter une réforme, c'est-à-dire avec une apparente contradiction, puisqu'on ne demande pas de surtaxer les riches, mais, bizarrement, de supprimer les forfaits. Ceci reste moralement douteux, mais en plus, on imprègne les concitoyens d'une forme, appelons-la, de «détestation du riche», et du riche étranger, et ça c'est une forme de lynchage qui découle d'une efficacité due à une révolution copernicienne actuellement engagée par la gauche.
Ce qui pose problème dans cette loi, c'est le préjudice ! Le préjudice qu'elle peut causer par des effets pervers sur le plan économique. Et prétendre réhabiliter la morale, l'éthique et la déontologie, avec des chiffres douteux, je vous en laisse l'entière responsabilité.
Mais ce qui est difficile à comprendre pour le citoyen, c'est la forme d'enlisement de la dynamique économique de Genève, c'est-à-dire le prix à payer pour un matraquage d'une petite partie d'une population qui, de toute évidence, sera tentée par d'autres cieux fiscaux plus cléments, car, reconnaissons-le, la concurrence féroce existe - et vous le savez bien !
Alors parler comme on l'a fait ce soir, de ces fortunés, ces quelques centaines de personnes fortunées... J'ai la chance d'en connaître quelques-unes et je peux vous dire que ce ne sont pas des voyous, ce ne sont pas des gens qui se sont enrichis d'une façon tout à fait bizarre; ils ont une forme de travail, une capacité de travail, une inventivité, une opiniâtreté, et ce sont des gens qui savent payer quand le moment est là. Et ils paient bien: ils paient pour des fondations, ils paient pour des projets, et ils nous rendent service. Il est vrai que certains sont extravagants, que d'autres ont des privilèges, des mythes, des mérites... Mais enfin, ceci n'est qu'une façade ! Ce qui compte, c'est que nous puissions maintenir un climat social qui permet aux uns d'apporter de l'argent et aux autres de le dépenser.
Nous, nous sommes en faveur d'une politique de prudence, qui évite cette forme de radicalité et qui renonce à ces principes de défiance. Nous nous refusons à entrer dans ces philosophies consistant à détester le riche et préférons imposer une idéologie de respect. Vous l'avez compris, cela a été dit, nous refuserons et nous vous demandons également de refuser cette initiative, et nous attendons avec impatience le contre-projet. (Applaudissements.)
Une voix. Très bien !
Présidence de M. Gabriel Barrillier, président
M. Pascal Spuhler (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, vous aurez compris, après ces multiples interventions, que cette initiative est complètement malhonnête; malhonnête par les propos qui figurent dans l'exposé des motifs, dans lequel on accuse ces gens bénéficiaires d'une législation fiscale; on les traite de pirates, de parasites - eh oui, ces termes sont employés - et de fraudeurs ! Mesdames et Messieurs, non seulement cette initiative est malhonnête, mais, en plus, on a affaire à des gens qui essaient de la défendre en nous présentant des mensonges. (Brouhaha.) Des mensonges, proférés entre autres par M. Deneys - vous transmettrez, Monsieur le président - qui ose, dans son argumentation, prétendre que la baisse d'impôts a entraîné des pertes fiscales... Alors qu'il était lui-même présent - si je ne me trompe pas - lors de la présentation des comptes 2012, quand on nous a quand même annoncé 3% de rentrées fiscales supplémentaires, précisément suite à cette baisse d'impôts. Donc, effectivement: initiative malhonnête et mensonges ! (Remarque.)
On peut également préciser que ces forfaits fiscaux sont relatifs à des gens n'ayant pas d'activité en Suisse - on parle quand même de plus de 50% de personnes qui ont... (Brouhaha. Remarque.) ...plus de 60 ans ! Je ne crois pas que ce sont de grands actifs, et, dans ces 50%, on parle tout de même de plus de 5% de personnes ayant plus de 90 ans. Je vous demande donc un peu de respect dans la présentation de vos arguments, Mesdames et Messieurs, vis-à-vis de ces gens qui, en plus, sont là honnêtement en Suisse !
Enfin, il faut quand même relever l'hypocrisie de la gauche, qui veut prétendre à une défense sociale: lorsqu'on veut supprimer des rentrées fiscales aussi importantes, et qu'on met en comparaison, évidemment, les conséquences fiscales occasionnées à Zurich par l'abolition des forfaits... Il faut comparer ce qui est comparable ! A Zurich, il y avait environ 150 ou 200 forfaitaires; ici, on parle de trois fois, voire quatre fois ce nombre. Pour commencer, les conséquences risquent déjà d'être importantes dans le résultat des budgets à venir.
Je dirai également que prétendre que ces forfaits fiscaux sont une injustice et une inégalité fiscale, c'est faux ! Parce que, précisément, les gens n'ayant pas plus de 60 ans sont peut-être aussi des artistes ou des sportifs qui sont largement plus taxés fiscalement à l'étranger, lors de leurs prestations.
Je vous renvoie également à l'excellente audition de M. le professeur Xavier Oberson, professeur de droit fiscal éminemment connu, qui nous rappelle certaines fiscalités - ou certaines fiscalités spécifiques - qui ont été mises en place. M. Zweifel y a fait une brève allusion, mais il a oublié de parler, par exemple, de l'Espagne, qui a instauré une loi spéciale, la «Loi Beckham», justement, pour attribuer un forfait spécifique à certaines personnes.
Mesdames et Messieurs, la Suisse n'est ainsi pas moins bien ou meilleure qu'ailleurs: nous appliquons des possibilités de traitement. Et, moi aussi, je rappelle les propos de M. Oberson: on doit traiter de manière différente ce qui est différent.
Mesdames et Messieurs, le MCG, lui, est pour une économie forte, pour un social efficace, et je dirai aux socialistes qu'il n'y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. En conséquence, je vous prie, Mesdames et Messieurs, de renoncer à adopter cette initiative.
Présidence de M. Fabiano Forte, deuxième vice-président
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole... (Commentaires. Applaudissements.) La parole est à M. Melik Özden.
M. Melik Özden (S). Merci, Monsieur le président. J'ai entendu, dans cette enceinte, des propos inacceptables de la part de certains députés. Il s'agit de propos inacceptables puisque nous sommes dans un débat d'idées. Je ne vais pas me mettre à leur niveau, je retourne simplement ces propos inacceptables à leurs auteurs. Cela montre aussi que ces personnes manquent d'arguments contre l'initiative socialiste 149.
Cela dit, Monsieur le président, nous ne le répéterons jamais assez: sur le plan légal, les forfaits fiscaux vont à l'encontre du principe universel de l'égalité devant la loi. C'est le fondement même de la démocratie ! Les forfaits fiscaux vont également à l'encontre des principes inscrits dans la nouvelle constitution, entrée en vigueur il y a une semaine. Il vaut la peine d'en rappeler un ici. L'article 155 de cette constitution précise: «Les principes régissant le régime fiscal sont la légalité, l'universalité, l'égalité et la capacité économique.»
Sur le plan international, les forfaits fiscaux sont un obstacle à la lutte contre la criminalité internationale et le blanchiment d'argent sale. (Brouhaha.)
Une voix. Evidemment !
M. Melik Özden. Evidemment ! Ils empêchent aussi la Suisse d'honorer ses obligations internationales pour réprimer la fraude et l'évasion fiscales. Sur le plan éthique, il n'est pas normal que des personnes qui gagnent de l'argent dans un pays donné ne paient pas leurs impôts sur place. Sur le plan politique, mettre en concurrence les cantons suisses ou les Etats entre eux en matière fiscale n'a pas de sens. Cette concurrence absurde prive les collectivités publiques d'une manne indispensable pour honorer leurs obligations à l'égard de leurs citoyens, en particulier dans le domaine social, économique et culturel. Sur le plan procédural, si la majorité de ce parlement est sûre de ses arguments, elle doit laisser le peuple s'exprimer sur cette question importante en acceptant l'initiative 149.
Pour terminer, Monsieur le Président, M. Zweifel nous dit qu'il n'est pas possible de comparer des pommes et des poires. Cela voudrait dire qu'il y a des citoyens contribuables pommes et des citoyens contribuables poires ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Renaud Gautier.
Une voix. T'es pomme ?
M. Renaud Gautier (L). Merci, Monsieur le président. Je ne peux m'empêcher, ici, de citer celle qui vient de quitter notre parlement, Fabienne Gautier, qui aimait à parler, dans le cadre du petit commerce de détail, de la «semaine du blanc». Ce soir, dans ce parlement, nous connaissons la «soirée de la morale», avec tout ce que ça veut dire. Alors très bien, parlons morale ! Et je vous citerai en passant Aristote et l'un de ses plus célèbres livres, qui est «L'Ethique à Sophie et à Aurélie». (Rires.) Dans ce célèbre livre, Aristote parle de la morale, et donc de l'égalité. Alors qu'ici on a beaucoup parlé de morale... Enfin, certains entendent nous donner beaucoup de leçons de morale - comme quoi il y a passablement de pasteurs dans cette salle... - tout en oubliant le principe de l'égalité; il s'agit donc de corriger une inégalité en faisant payer «à donf» ceux qui ne paient pas assez. Et, dans le cadre de l'égalité, on oublie les 30% de résidents genevois qui ne paient pas un kopeck d'impôt ! L'égalité voudrait, Messieurs et Mesdames des bancs d'en face, si vous étiez cohérents jusqu'au bout, que vous établissiez une fiscalité qui touche effectivement tout le monde !
M. Deneys nous a dit tout à l'heure, dans des envolées lyriques dont il a le secret, que la honte suprême était quand le parti libéral-radical a proposé d'augmenter la taxe fixe. C'est vrai qu'on a vu, à l'époque, un flot d'étonnements et d'injures fleurir sur les réseaux sociaux: «Comment peut-on taxer ceux qui ne gagnent rien et qui profitent de l'entier de ce que l'Etat met à disposition ?» Où est l'égalité ? Où est la morale ? Moi je veux bien qu'on parle fiscalité morale - ce sont des sujets un peu compliqués à régler ensemble, mais on devrait trouver des terrains d'entente - mais alors parlons-en totalement et globalement, et parlons d'une fiscalité qui s'adresse à tout le monde ! Et pas seulement un peu plus à certains qu'à d'autres ! Ce d'autant plus que Genève est effectivement le canton de Suisse où le taux de ceux qui ne paient pas d'impôts est largement le plus élevé ! (Remarque.)
Donc parlons morale, parlons égalité, écoutons avec toute l'attention requise celle qui descend de Neuchâtel, canton chargé d'Histoire, nous expliquer que depuis qu'elle est à Genève, somme toute, elle est contre ces forfaits. Eh bien soit ! Mais alors faisons-le dans un débat global, qui traite de l'entier de la fiscalité, et non pas d'un petit bout de cette dernière. (Applaudissements.)
M. Pierre Conne (R). Le débat est clairement idéologique ce soir... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...et l'idéologie résiste aux faits. Je ne vais donc pas m'engager sur le domaine des faits, qui ont été largement rappelés jusqu'à maintenant, mais peut-être sur le terrain des valeurs. Je vais poser la question suivante et y répondre: est-ce que, dans le fond, ces deux systèmes de taxation... (Remarque.)
Une voix. Chut !
M. Pierre Conne. ...ordinaire... (Remarque de M. Christo Ivanov.)
Une voix. Chut !
Le président. Monsieur l'orateur, excusez-moi de vous interrompre. Monsieur le député Ivanov, je vous prie de garder votre calme ! (Commentaires.) Le président Barrillier a annoncé que la liste était close, donc la liste est close... (Le président est interpellé par M. Christo Ivanov.) ...et il n'y a plus moyen d'appuyer sur le bouton ! (Remarque. Brouhaha.) Je vous remercie ! Monsieur le député Conne, je vous prie de poursuivre.
M. Pierre Conne. La question à laquelle je me proposais de répondre devant vous est la suivante: est-ce que, dans le fond, ces deux systèmes de taxation sont justes ? Et je vais vous démontrer qu'ils le sont. Pourquoi ? Premier système: je travaille dans une entreprise qui me paie, et je paie mes impôts sur la base de mes revenus; la source de mes revenus, c'est l'entreprise. Deuxième système: je touche mes revenus, non pas d'une entreprise, mais de ma fortune. La source des revenus est, pour l'un, l'entreprise; pour l'autre, la fortune. A partir du moment où on a établi le revenu, pour celui qui est salarié, c'est évidemment la déclaration de salaire qu'il faut prendre. Pour celui qui touche un revenu de sa fortune, c'est l'estimation des gains que la fortune lui procure, par le calcul de ses dépenses. Et une fois que nous avons calculé les dépenses que la fortune du détenteur en question lui permet de réaliser, cette personne est taxée. Les personnes, dans les deux modèles, sont taxées au même taux. Si ça devait être le taux maximum pour l'un, ce serait 41,5% sur le revenu; et si c'était pour l'autre, sur sa fortune, ce serait également le taux maximum de 41,5%.
Donc on est vraiment aujourd'hui dans une conjoncture où nous avons des contribuables qui vivent des situations personnelles différentes, et, à partir du moment où la situation est différente, nous allons établir, pour l'un, les revenus du salaire, pour l'autre les revenus de la fortune, et les taxer de manière comparable. C'est la première étape.
Pour ce qui est de la deuxième étape, il est vrai que celui qui tire ses revenus de sa fortune est protégé, dans une certaine mesure, de pouvoir conserver sa fortune, puisque c'est la source de son revenu. Imaginez que, dans l'autre modèle, on vous dise demain: «Ecoutez, on est désolé, mais voilà, on a changé la loi, on a adopté l'initiative 149 et vous devez malheureusement payer des impôts également en vivant sur votre fortune»... On va donc vous dire: «Ecoutez, ce que vous touchez comme revenu ne vous permet malheureusement pas de payer tout ce que vous devez payer, donc on vous propose, tous les jours, de partir avec un petit bout de l'entreprise: un jour vous partirez avec un bureau, le lendemain avec un ordinateur»... Qu'est-ce qui va se passer ? Vous allez, à un moment donné, détruire l'entreprise.
Si l'on introduisait une suppression de l'impôt sur la dépense concernant les personnes qui vivent des revenus de leur fortune, ce qui les obligerait à vivre de leur fortune, cette dernière disparaîtrait. A partir du moment où l'on considère ces deux éléments - la sauvegarde de la capacité de l'entreprise à générer des revenus, pour l'un, et la sauvegarde de l'existence de la fortune également pour conserver les revenus, pour l'autre - on peut considérer que ces deux modèles sont justes et qu'ils doivent être maintenus !
Présidence de M. Gabriel Barrillier, président
M. Bernhard Riedweg (UDC). Les contribuables bénéficiant des forfaits fiscaux habitent, pour la plupart, dans des maisons cossues et des appartements de luxe dont le prix est au-delà des 10 millions de francs, ce qui n'influence aucunement les prix des objets immobiliers destinés au commun des mortels. (Brouhaha.) Il n'y a donc pas de concurrence sur ce plan !
Il faut savoir qu'à Zurich il est encore possible, au niveau de l'impôt fédéral direct, d'être imposé sur la dépense. En 2011, le canton de Zurich a subi une perte fiscale pour cette catégorie de contribuables. L'impôt résultant des forfaits fiscaux ne représente que 0,3% du total des impôts prélevés, ce qui est insignifiant. La moitié des cantons pour la plupart ayant peu de contribuables au bénéfice de l'impôt sur la dépense ont déjà supprimé les forfaits fiscaux; l'autre moitié en durcit les conditions et/ou les a maintenus.
Il faut aussi savoir que 35 millions ont été encaissés à Genève pour l'impôt sur les successions des personnes au bénéfice des forfaits fiscaux. A Genève, la fortune des personnes au bénéfice de l'imposition sur la dépense n'est pas imposée, sauf si les revenus et la fortune sont de source suisse ! Dans la grande majorité des cas, les artistes et les sportifs étrangers au bénéfice d'un forfait fiscal sont taxés à la source sur leurs cachets dans les pays où ils se produisent. Dans le domaine des forfaits fiscaux, la concurrence internationale est élevée concernant le lieu de résidence des contribuables qui travaillent un peu partout. L'imposition à la dépense constitue un élément de compétitivité pour Genève. On pense que les pays de l'OCDE vont aussi attaquer les forfaits fiscaux suisses, ceci pour satisfaire à leur jalousie. Ces pays cherchent de l'argent où il y en a encore, au lieu de s'attaquer à leur politique sociale généreuse.
C'est la deuxième fois, Mesdames et Messieurs, en l'espace de deux mois, que la gauche essaie de titiller les sujets qui agacent ! (Commentaires.) On l'a vu lors de la négociation du budget 2013, avec le bouclier fiscal, et maintenant avec les forfaits fiscaux. S'attaquer aux rentrées d'argent dont nous avons tellement besoin dans notre canton est dangereux. Je citerai un article de la «Tribune de Genève» d'aujourd'hui - cela vaut la peine d'écouter peut-être encore cela - qui indique que, selon les statistiques fiscales, les dépenses annuelles des étrangers bénéficiaires du forfait fiscal tournaient autour des 595 000 F en 2010 et que leurs impôts atteignaient les 160 000 F par contribuable. Ce sont 9900 F de moins que l'impôt payé par un contribuable genevois ayant deux enfants et déclarant un revenu du même montant, ou 18 000 F de moins pour un célibataire sans enfant par rapport à un contribuable local ayant le même profil mais n'étant pas bénéficiaire du forfait fiscal.
Le groupe UDC est favorable à un contre-projet du Conseil d'Etat, et nous l'attendons avec impatience !
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Eric Stauffer.
M. Eric Stauffer (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, aujourd'hui le parti socialiste démontre qu'il veut le suicide collectif de l'économie genevoise. (Commentaires.) J'en veux pour preuve, Mesdames et Messieurs, la liste des paradis fiscaux - les dix premiers paradis fiscaux au monde ! - qui a été publiée aujourd'hui; vous pouvez la retrouver en ligne sur internet. Premier paradis fiscal: la République d'Andorre - il faudra m'expliquer où c'est. Je crois que c'est en Europe - vous savez, chez vos amis socialistes, là, en France, vers la frontière espagnole. Alors, «Impôts sur les personnes physiques... (Commentaires.) ...statuts de "résident passif" n'ayant pas d'activité commerciale à Andorre: 0%» - d'impôts ! On ne parle pas de forfait fiscal, là il n'y en a carrément pas !
Numéro deux, Monaco: «Impôt sur les personnes physiques: 0% sauf pour les Français...» - Merci les socialistes ! - «...qui doivent continuer à payer leurs impôts en France. Ces derniers doivent donc au préalable changer de nationalité puis renoncer à leur nationalité française, afin de bénéficier de la fiscalité monégasque.» Je le répète: 0% ! Je continue ! La Suisse est bien loin...
Numéro trois: Bahamas. Ah, Bahamas ! Bonjour Dominique Warluzel ! (Rires.) «Impôts sur les personnes physiques: 0%» ! Ile Maurice, numéro quatre: impôts sur les personnes physiques...
Des voix. Ah ! (Chahut. Exclamations.)
M. Eric Stauffer. Ah oui ! Bonjour Xavier Duval ! (Commentaires.)
Une voix. Bonjour Eric Stauffer !
M. Eric Stauffer. «Impôts sur les personnes physiques: maximum 15% mais nombreuses déductions possibles.» (Commentaires.) Numéro cinq: Malte ! Malte, rappelez-moi, c'est en Europe, déjà, si je ne m'abuse ? «Impôts sur les personnes physiques retraitées: 15%». Numéro six - et alors là, c'est le «must» ! - Royaume-Uni, Mesdames et Messieurs !
Une voix. Oh !
M. Eric Stauffer. L'Angleterre ! «Possibilité de n'être imposé que sur les revenus locaux via le statut de résident "non dom"» - non domicilié. Extraordinaire !
Numéro sept, Panama - on connaît aussi. «Impôt sur les personnes physiques: grâce à un coût de la vie peu élevé et à une exemption d'imposition [...]», bref, c'est zéro ! Numéro huit: Gibraltar. Rappelez-moi, c'est où Gibraltar ?
Une voix. C'est en Afrique ! (Brouhaha.)
M. Eric Stauffer. «C'est en Afrique !», c'est ça ! Donc, c'est en Europe ! «Impôts sur les personnes physiques: en l'absence d'activités sur place, l'imposition annuelle est très limitée avec une imposition annuelle maximale fixée à environ 30 000 £ par an» - 35 000 euros, forfaitaires ! (Commentaires.)
Numéro neuf: Canada ! Le Canada, Mesdames et Messieurs... (Remarque.) ...à côté des grands donneurs de leçons sur le secret bancaire et le secret fiscal suisses ! «Impôts sur les personnes physiques: pour les personnes ayant un patrimoine financier hors du Canada, il est possible d'être exonéré d'impôts sur ces fonds durant les cinq premières années [...]» ! Et enfin, numéro dix: la Suisse !
Des voix. Ah !
M. Eric Stauffer. En dixième position !
Une voix. C'est où ?
M. Eric Stauffer. Mesdames et Messieurs les socialistes, vous êtes en train de tuer l'économie de la Suisse et du canton de Genève, avec votre initiative !
Et je conclurai, Monsieur le président, en disant ce qui pour moi représente le mieux, aujourd'hui, le parti socialiste dans le domaine financier. Les soc... (Remarque.) J'y viens ! Eh bien, je vais vous dire ce que c'est ! Mieux que l'image du PS. C'est quelque chose qui tolère l'inflation, vide les bourses, ralentit la production, détruit la prochaine génération et protège les glands ! (Brouhaha.) Enfin, il vous donne un sentiment de sécurité alors que vous vous faites baiser: c'est le préservatif, Mesdames et Messieurs ! (Exclamations. Commentaires.)
Le président. Bon, Monsieur le député... c'était limite ! C'était vraiment limite. La parole est à M. Stéphane Florey. (Brouhaha.)
M. Stéphane Florey (UDC). Merci, Monsieur le président. Cela fait, grosso modo... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...un peu moins de deux heures que les initiants de l'initiative 149 tentent de nous faire croire que notre système fiscal actuel est une vraie inégalité de traitement. Eh bien, permettez-moi de vous faire part d'une vraie inégalité de traitement. Je prends mon exemple: je travaille, je paie des impôts, je participe à l'effort commun, qui subventionne les écoles, les hôpitaux, les transports publics, etc., alors qu'il y a une catégorie dont personne n'a parlé ici ce soir et qui constitue une vraie inégalité de traitement, Mesdames et Messieurs les initiants, ce sont les sans-papiers ! Alors moi, je vous invite à retirer votre initiative, à arrêter votre cirque... (Brouhaha.) ...et à faire une initiative pour obliger les sans-papiers de ce canton à payer des impôts et à rétablir l'équilibre fiscal ! (Commentaires.)
Le président. Merci, Monsieur le député et membre du Bureau. Là, vous étiez aussi un peu limite dans la manière de vous exprimer... La parole est maintenant à M. Pierre Weiss.
M. Pierre Weiss (L). Merci, Monsieur le président. Vous m'excuserez si j'essaie de rester sérieux. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, l'URSS est aujourd'hui morte... (Rires.) ...mais elle avait, jusqu'en 1982, un idéologue qui s'appelait Mikhaïl Souslov. Il avait étudié à l'Institut économique des professeurs rouges - c'était le titre officiel. Le parti socialiste est bien vivant, il a un autre idéologue, je ne sais pas où il a étudié.
Ce que je voulais vous dire sur cette initiative, je vais vous le dire en tant que sociologue. L'un de mes maîtres, c'est Max Weber. Max Weber considère qu'il faut comprendre, comprendre les autres pour ensuite expliquer. Je vais alors essayer de comprendre, de me mettre dans la compréhension empathique, je vais essayer de me mettre dans la peau de l'Alternative pour expliquer où on va en arriver. (Commentaires.)
Une voix. Ça va être dur !
M. Pierre Weiss. Supposons, Monsieur le président... Soyons simples. Monsieur le président, je fais deux hypothèses - d'abord généreuses - que l'initiative genevoise va passer devant le peuple, qu'elle sera acceptée, et qu'ensuite l'initiative fédérale sera elle aussi acceptée. Que va-t-il alors se passer ? Eh bien, c'est simple ! L'Alternative aura réussi son programme, elle aura réussi, d'une part, à faire partir les riches et, d'autre part, à faire payer les pauvres. Voilà le but qu'elle recherche ! Moi, je ne sais pas si ça doit me déranger, j'essaie de me mettre à leur place, mais voilà les conséquences concrètes de leur proposition. J'allais dire... Je n'ai pas à prendre position, je n'ai pas à savoir si j'aime ou si je n'aime pas, je voterai non, mais voilà... Et où partiront-ils ? M. Stauffer a eu raison, avec sa liste, de nous énumérer ces dix pays. Or il en a oublié un ! Qui concerne la plus grande minorité linguistique à Genève: le Portugal.
Depuis le 1er janvier 2013, si vous n'avez pas, auparavant, habité pendant cinq ans au Portugal et que vous vous y établissez, vous ne payez aucun impôt sur vos revenus qui ne sont pas portugais et aucun impôt sur votre fortune qui n'est pas portugaise ! Il n'y a pas d'impôt sur les donations, pas d'impôts sur les successions !
Le Portugal, qui est dans une situation économique grave, a compris qu'il fallait attirer des riches ! Voilà les leçons que les Portugais ont comprises au début de cette année; alors qu'ils sont dans une situation désespérée, eh bien ils introduisent une incitation fiscale en disant aux riches: «Venez chez nous» ! Nous, nous avons trop de riches, nous voulons les faire partir, l'Alternative s'en occupe. Et quand elle s'en sera occupée, les pauvres trinqueront ! (Applaudissements.)
Mme Marion Sobanek (S). C'est une séance très intéressante que nous faisons ce soir, parce qu'on entend vraiment de tout. On a entendu des attaques tous azimuts envers l'idéologie ou les positions des uns et des autres, et ça n'apporte strictement rien. J'ai surtout entendu une chose qui m'a beaucoup choquée: c'est un mépris du pauvre, surtout de la part d'un parti qui prétend précisément représenter ces pauvres ! (Remarque.) J'ai également constaté du mépris à l'encontre des gens qui reçoivent des allocations. J'aimerais simplement dire ici que personne n'aime bien recevoir une allocation pour quoi que ce soit ! La majorité des gens préfèrent se débrouiller sans cela ! Et si le niveau des salaires et celui des loyers ne permettent pas à une majorité de Genevois de vivre et de payer des impôts à un taux fort, eh bien c'est dommage !
Mais revenons maintenant à cette prétendue haine des riches qui anime les socialistes... Ce n'est pas le cas ! Ce que nous voulons, c'est que riches et pauvres vivent ensemble en harmonie, comme c'est quand même le cas à Genève, ce qui fait justement l'attractivité de la Suisse et de Genève. Mais comment obtenez-vous cette paix et cette attractivité ? C'est précisément quand il n'y a pas de sentiment d'iniquité et d'injustice.
Genève restera encore attractive si nous n'avons pas besoin de construire notre économie sur les paradis fiscaux - sur les forfaits fiscaux. Quand vous dites que le monde s'écroulera si l'on abolit les forfaits fiscaux, excusez-moi, mais j'ai rigolé car je trouve que c'est ridicule ! Le monde ne va pas s'écrouler ! Si nous avons une économie forte à Genève, si nous soutenons les PME et si nous commençons localement, je suis sûre et certaine que Genève restera aussi économiquement attractive.
De toute façon, l'initiative ne fera qu'avancer d'une année ce qui va être réglé au niveau fédéral, car le temps est à l'harmonisation: l'ère des paradis fiscaux, qu'un député nous a égrenés comme un petit chapelet à l'église, est terminée ! Et si nous, à Genève et en Suisse, nous ne commençons pas à légaliser et à tempérer ce genre de phénomènes, eh bien c'est l'étranger qui va nous l'imposer. Mais là, nous n'aurions plus aucun choix et ce serait beaucoup plus douloureux.
C'est pour cela que je vous propose d'accepter cette initiative, Mesdames et Messieurs les députés, et aussi de nous parler, peut-être, de manière un peu plus respectueuse... Parce qu'on est dans différents partis, on le sait ! Je vous remercie beaucoup de votre attention et réitère ma demande: acceptez l'initiative !
Le président. Merci, Madame la députée. On organise maintenant la fin de notre débat: les trois rapporteurs auront la parole, puis M. le conseiller d'Etat - vous vous êtes inscrits, Mesdames et Messieurs - mais, avant cela, pour une rectification ou une indication de page, je passe le micro à M. Deneys. (Brouhaha.)
M. Roger Deneys (S). Merci, Monsieur le président. A la page 779 du rapport sur le projet de loi 10847, celui qui concerne donc la fusion des caisses de pension, on lit que le département des finances, dans un e-mail daté du 11 juin 2012, a indiqué que, si la baisse d'impôts n'avait pas été acceptée, l'impôt 2010 aurait été plus élevé de 262 millions pour les personnes physiques imposées au barème ordinaire, ce qui fait bien 400 millions de baisse suite à la baisse d'impôts de 2009.
Une voix. Ce n'est pas normal, Monsieur le président ! (Brouhaha.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme Forster Carbonnier, rapporteuse de première minorité.
Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve), rapporteuse de première minorité. Merci, Monsieur le président. Je vais être brève car, vu l'heure tardive, je crois que nous sommes tous un peu fatigués, et la plupart des arguments ont été répétés maintes fois ce soir. Je voudrais juste revenir sur trois petits points. Premièrement, j'aimerais répondre à M. Florey qui s'insurge contre les sans-papiers qui ne paient pas d'impôts. J'ai la solution pour vous, Monsieur Florey: régularisons-les, ils seront ravis de payer des impôts !
Deuxième point. Certes, 30% de la population ne paient pas d'impôts, mais, encore une fois, je pense que cette population serait assez heureuse de pouvoir en payer un jour. On m'a appris dans ma famille qu'il était plutôt bon signe de payer des impôts, et que ne pas en payer était plutôt inquiétant pour sa situation financière personnelle !
Enfin, oui, c'est vrai, il existe des paradis fiscaux partout dans le monde, et la Suisse n'est pas un mauvais élève par rapport aux autres - on ne fait pas pire que les autres, ces derniers font parfois même des cadeaux fiscaux beaucoup plus grands. Ce que je veux dire, c'est qu'aujourd'hui, avec la crise que connaissent nos voisins européens et avec l'isolement politique de la Suisse, il est utopique de croire qu'on va nous laisser agir de la sorte plus longtemps ! Tôt ou tard, certains pays voudront nous sanctionner, et nous paierons notre isolement politique.
Il faut savoir qu'il en a été de même pour le secret bancaire. Je veux dire que d'autres pays ont des pratiques tout aussi contestables - et ceux-là ont été, pour l'instant, peu attaqués - mais nous, nous payons parce que nous sommes politiquement isolés.
Ce qui qui serait donc assez intéressant, c'est que la Suisse prenne conscience de cela, prenne les devants et initie des discussions, par exemple à l'OCDE, sur ces questions-là. (Quelques applaudissements.)
Mme Aurélie Gavillet (S), rapporteuse de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais revenir sur les conséquences de l'acceptation de l'initiative 149. On nous a dit: «Si on accepte cette initiative, alors tous les riches partiront, il n'y aura plus que des pauvres dans notre canton, l'Etat va perdre énormément d'argent, il n'y aura plus d'écoles, plus d'hôpitaux, plus de crèches, on va perdre des emplois et c'est la ruine totale» ! On nous a même parlé d'un «suicide collectif» et de «la perte totale de notre canton». Apparemment, plus rien n'existera si on accepte cette initiative.
Mesdames et Messieurs les députés, je trouve que cela relève d'une vision véritablement pessimiste du potentiel de notre canton. Si quelques forfaitaires partent à la suite de l'acceptation de cette initiative, eh bien cela ne signifie pas la ruine de notre économie. Cela signifie simplement qu'ils seront remplacés, non pas par des personnes pauvres, et pas forcément par des personnes moins riches non plus, mais simplement par des personnes qui sont d'accord de payer leurs impôts comme tout le monde. Et il me semble que du point de vue d'un Etat de droit, c'est ce que nous devons viser. (Remarque.) Je vous demande donc d'accepter cette initiative et de refuser le principe d'un contre-projet. (Quelques applaudissements.)
M. Christophe Aumeunier (L), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, une question m'a été posée par les tenants de l'initiative: «Qui, à Genève, peut dépenser 583 000 F par année ?» Eh bien, je retourne cette question aux tenants de l'initiative: qui, à Genève, paie 195 000 F d'impôts par année ? Est-ce là un cadeau, Mesdames et Messieurs les députés ? Certainement pas ! On vous l'a dit tout à l'heure, c'est le fruit d'un système d'imposition qui est réglé et normé.
Vous dites ensuite que l'on tend aux forfaits minimaux. C'est parfaitement faux, puisque la moyenne est à 583 000 F pour les conventions qui ont été établies en 2011, alors que le minimum légal est à 300 000 F ! Vous supputez des abus et vous alléguez sans preuve aucune qu'en réalité ces personnes imposées à la dépense travailleraient. Mais, au fond, c'est de la pure spéculation ! C'est de la calomnie pour des gens qui ont ici des systèmes dont je prétends qu'ils sont normés, réglés, qu'il y a des conventions d'imposition et dont j'ai dit tout à l'heure qu'il y a des vérifications possibles.
Alors après tout, pourquoi un contre-projet ? Eh bien parce que, c'est vrai, il faut rassurer nos citoyens: le mécanisme est très mal connu du public et des députés, on en a eu la preuve ce soir. Il est également mal connu des médias, et je dois ici relever que la «Tribune de Genève» a fait une petite erreur de calcul - M. Riedweg vous l'a lue tout à l'heure. (Brouhaha.) Je vous affirme que lorsqu'on a la même assiette fiscale... (Brouhaha.)
Une voix. Chut !
M. Christophe Aumeunier. ...soit 583 000 F de dépenses ou 583 000 F de revenus - que l'on soit imposé à la dépense ou au revenu - l'on paiera le même impôt ! Il n'est pas question qu'un forfaitaire paie un impôt différent lorsque l'assiette est la même et lorsque la situation est comparable, c'est simplement erroné.
Alors en guise de conclusion, évidemment, Monsieur Deneys, que les baisses fiscales, qui ont été votées à Genève à l'initiative du PLR, ont mené à des hausses de recettes, évidemment que vous menez dogmatiquement une guerre aux riches, évidemment que vous mettez en péril 150 millions de recettes fiscales, évidemment que nous risquons, nous les autres contribuables, de devoir assumer ces 150 millions à la place des forfaitaires, évidemment que 2% des personnes physiques contribuables apportent 30% des recettes fiscales, évidemment que 30% des personnes physiques ne paient d'impôts, et que, dès lors, il y a un intérêt public majeur cantonal à ce que l'imposition à la dépense soit préservée à Genève.
En cela, la majorité vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à refuser l'initiative 149 et à accepter le principe d'un contre-projet - ce faisant, renvoyer l'objet à la commission fiscale pour rédiger le contre-projet. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de majorité. La parole est maintenant à M. le conseiller d'Etat Pierre-François Unger.
M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, conformément à l'article 314 de la nouvelle constitution, le Conseil d'Etat dispose du même temps pour intervenir que l'ensemble des députés préalablement... (Rires.) J'interviendrai donc pendant deux heures dix, mais... pas plus ! (Rires.) En réalité, bien sûr, j'essaierai d'être bref...
Une voix. Promesse !
M. Pierre-François Unger. ...et je commencerai peut-être par cette notion d'égalité de traitement qu'on a entendue de part et d'autre, dans des formes assez différentes, alors même qu'il y a des juristes d'un côté et de l'autre. Et aucun juriste dans cette salle ne peut prétendre que l'égalité de traitement en droit signifie qu'il faut traiter tout le monde de la même manière ! Il faut traiter de la même manière des situations identiques, mais l'égalité de traitement impose également de traiter de manière différente des situations distinctes. Ce problème est donc réglé.
Je vais essayer de résumer un certain nombre des contre-vérités que j'ai entendues, puis un certain nombre des vérités que j'ai entendues, pour vous dire, au fond, à quel point les conclusions sont simples. Les conclusions sont simples: vous imaginez lesquelles et vous saurez pourquoi.
Dans les contre-vérités, j'ai entendu dire que les gens imposés aux forfaits étaient des gens qui ne remplissaient pas de déclaration. C'est évidemment faux ! Et non seulement ils remplissent une déclaration mais, en plus, ce n'est pas simplement une espèce de feuillet multicopié qu'on remplit avec trois chiffres et qu'on envoie par la poste ! C'est quelque chose qui se fait en tête à tête avec un employé de l'administration fiscale, en général quelqu'un qui s'y connaît bien, parce que pour évaluer le périmètre des revenus lorsque ceux-ci ne sont pas situés en Suisse par exemple, vous imaginez bien que ce n'est pas un débutant qui peut le faire !
Deuxième contre-vérité, je n'y vais pas par ordre d'importance, mais elle m'a fait beaucoup rire: «Il faut supprimer l'imposition sur la dépense, parce qu'il y a eu un tricheur à Zurich !»... Well, ça veut dire qu'on ne va plus du tout payer d'impôts, nulle part ! Parce que si chaque fois qu'il y a un tricheur vis-à-vis d'un impôt on le supprime, chers amis... (Rires.) ...on se promet des fins d'année heureuses ! (Rires. Applaudissements.)
Troisièmement - et j'ai été plus choqué par ceux-là; je ne suis pas sûr que ce soit volontaire, mais si c'est involontaire, c'est au fond tout aussi grave - on a, sur certains bancs, continué à mélanger sciemment le forfait dont on parle ce soir, l'allègement dont on parle de temps en temps pour des entreprises, avec des critères extrêmement stricts à Genève qui concernent notamment le potentiel d'innovation, etc., et le statut fiscal. Cela n'est pas acceptable, sciemment ou non consciemment, de faire des erreurs pareilles à l'heure où nous devons nous battre sur ces trois terrains qui, de toute évidence, n'imposent ni les mêmes mesures, ni les mêmes consensus ! Alors nous donnons volontiers des cours pour ceux qui ont de la peine; que les autres soient honnêtes et ne mélangent pas ces problèmes ! (Applaudissements.)
Quatrième contre-vérité: «Ils ne vont pas partir». Non, il est vrai qu'à Zurich ils ne sont pas tous partis, parce que certains ont eu le bonheur de se rendre compte que cela faisait des années qu'ils payaient trop par rapport à une imposition normale. (Rires.) On ne peut pas en vouloir aux gens de disposer d'un certain bon sens. (Rires.) Il se trouve que, à Genève, les conditions d'octroi de l'imposition à la dépense, sur une base qui est une base beaucoup plus élevée que ce qu'on connaît dans d'autres cantons, font qu'il y en a beaucoup qui partiront ! Et alors même, on l'a entendu, cela a été susurré: «Ils partiront, mais c'est un bien, car ils libèreront du logement !»... (Rires. Commentaires.) J'aimerais tout de même rappeler qu'ils sont 710 ! Alors 710 logements c'est mieux que zéro, hein, mais à des prix qui ne correspondent pas aux besoins prépondérants de la population... (Rires.) ...je vous rassure tout de suite !
J'ai encore entendu quelque chose qui est faux, mais qui venait de ces bancs-là. (M. Pierre-François Unger désigne les bancs sur sa droite.) «On va perdre 110 millions»... On perdra peut-être 160 millions, ou on fera une perte de plus de 300 millions, avec les effets collatéraux, on n'en sait rien ! La seule chose dont on est sûrs, c'est de perdre ! (Rires.) Mais on ne peut pas encore faire le pari du «combien». Vraisemblablement que le minimum c'est une centaine de millions. (Commentaires.)
Mais vous savez, dans ce long débat que j'ai écouté de part en part, j'ai entendu un certain nombre de vérités !
Des voix. Ah !
M. Pierre-François Unger. Et j'y viens ! (Remarque.) Oui, ces personnes, souvent âgées; ces artistes, parfois; ces sportifs, occasionnellement, eh bien, elles paient des impôts ! Ces personnes ne paient pas aucun impôt: elles paient des impôts d'une autre manière que les autres. Oui, nous sommes le seul canton qui a maintenu un impôt sur les successions, pour ces gens imposés sur la dépense - si vous voyez ce que je veux dire. Il est donc utile qu'ils restent chez nous ! (Rires. Commentaires.)
Deuxième vérité: ce sont des gens qui consomment, qui consomment en règle générale beaucoup, et d'ailleurs, plus ils consomment, plus ils paient d'impôts à la dépense, donc l'affaire est assez logique. Ils donnent également du travail et ils nourrissent l'importante caisse de la TVA.
Troisième vérité: «Ils n'utilisent que peu les infrastructures». La plupart sont au moins des adultes et souvent des personnes âgées qui n'utilisent ni les écoles, ni les universités - lesquelles représentent tout de même une part considérable dans le budget de l'Etat - ni les hôpitaux publics, ni l'aide à domicile. Ce sont des gens qui s'offrent des personnes les accompagnant à domicile, et qui, souvent, préfèrent aller dans une clinique privée pour des questions de confort personnel.
Une autre vérité que j'ai entendue, sur laquelle on n'a pas assez insisté de mon point de vue, c'est l'importance de ces personnes dans le volume du mécénat genevois. Aucune de nos grandes institutions artistiques et culturelles - je dis bien «aucune» ! - ne vivrait sans l'aide de personnes au bénéfice du forfait à Genève. (Applaudissements.)
Dernière vérité, pour rester synthétique: Genève est le canton le plus dur ! Il est plus cher, il est plus transparent, et quand on paie quelque chose sur la fortune, c'est vraiment plus élevé que partout ailleurs en Suisse.
Alors des vérités et des contre-vérités... J'ai entendu une chose encourageante dans la bouche de la rapporteure de première minorité, c'est qu'au fond elle regrettait que le travail n'ait pas été fait plus à fond en commission, notamment sur la possibilité d'un éteignoir dans le temps. Mais vous allez être comblée, Madame la députée: l'initiative va être refusée, le projet va repartir en commission pour l'élaboration d'un contre-projet et vous aurez quatorze mois pour discuter de tous ces points sur lesquels... (Remarque.) ...vous aurez, à n'en pas douter, une influence, puisque pendant ce temps-là nous saurons exactement ce qu'il adviendra de l'initiative fédérale.
En conclusion, une chose est sûre, et elle tient en deux points. Les menaces que nous subissons ces temps sur le plan économique et sur le plan politique sont extrêmement douloureuses, elles sont très délétères pour la Suisse et elles imposent de nous tous, tous bords confondus, du courage et de l'union ! Nous ne pourrons pas continuer à nous montrer comme nous nous sommes montrés ce soir - et je fais partie du groupe - devant le monde entier, alors même qu'il s'aperçoit, ce monde, qu'en glissant une idée saugrenue, puisqu'elle vient... Enfin, pas tellement saugrenue, puisqu'elle revient tous les quatre ans depuis quarante ans ! Cette initiative est toujours discutée à la veille des élections cantonales, vous pouvez reprendre le Mémorial; quelques arguments n'ont d'ailleurs pas été cités, arguments que l'on retrouve en 1952, en 1956, en 1960... (Rires.) Cela revient chaque fois, et chaque fois du même groupe, en général d'un groupe plus à gauche que le groupe socialiste, mais ce groupe a, pour le moment en tout cas, disparu de l'échiquier politique. (Remarque.)
Les conditions-cadres, Mesdames et Messieurs, qui vont nous permettre de négocier avec les gens qui exercent des pressions sur nous, sont des conditions-cadres qui imposent de la réflexion, du courage et une forme d'union. Mais nous sommes nous-mêmes responsables de ces conditions-cadres, puisque ces dernières, celles qui font de nous un pays envié - et qui est moins envié depuis que nous gesticulons - sont à la fois la prévisibilité fiscale et la stabilité politique. En conséquence, Mesdames et Messieurs, nous vous proposons, dans le plus grand apaisement, de refuser cette initiative et de retourner en commission pour l'établissement d'un contre-projet ! (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat.
Une voix. Vote nominal !
Le président. Le vote nominal est demandé. Est-il soutenu ? (Plusieurs mains se lèvent.)
Des voix. Oui !
Le président. Largement !
M. Eric Stauffer. Qui sont les pourfendeurs de l'économie ?
Le président. Mais... Chut ! Monsieur le membre du Bureau... (Rires.)
M. Roger Deneys. T'as jamais travaillé ! (Brouhaha.)
Le président. Attention, premier vote ! Mesdames et Messieurs, je vous fais voter la prise en considération de l'initiative 149.
Mise aux voix à l'appel nominal, l'initiative 149 est refusée par 61 non contre 31 oui.
Le président. Et maintenant, je vous fais voter le principe d'un contre-projet.
Mis aux voix à l'appel nominal, le principe d'un contre-projet est accepté par 57 oui contre 32 non et 2 abstentions.
Le président. Il incombera donc à la commission fiscale de préparer ce contre-projet.
L'initiative 149 est renvoyée à la commission fiscale pour l'élaboration du contre-projet.
Le Grand Conseil prend acte du rapport de commission IN 149-C.