République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 8 juin 2012 à 15h
57e législature - 3e année - 9e session - 49e séance
PL 10868-A
Premier débat
Le président. Je donne la parole à Mme le rapporteur Nathalie Fontanet, si elle souhaite la prendre. (Remarque.) Comme ce n'est pas le cas, je la donne à M. Eric Bertinat.
M. Eric Bertinat (UDC). Si je n'ai pas retiré ce point de l'ordre du jour - aux extraits - c'est parce qu'il y a eu une majorité pour le refuser, et je ne conteste évidemment pas l'opinion ainsi exprimée par la commission. Ce qui me pose infiniment plus de problèmes c'est le rapport en lui-même, qui est finalement un rapport concernant la prostitution, même pas la prostitution sur la voie publique, qui était le sujet que je voulais aborder, mais sur la prostitution en général. Et ce rapport nous donne une vision quasi angélique de la prostitution à Genève. On a reçu en commission une représentante d'une association de prostituées. Dans le rapport, on y trouve une déclaration, qui est presque un document officiel, d'une prostituée; on y trouve des déclarations assez surprenantes, comme celles de la dame représentant les associations de prostituées, qui relève que les enfants lui adressent un salut lorsqu'ils la croisent dans la rue; le représentant de la police, lui, relève que, à l'occasion, les prostituées peuvent servir d'indics. Les directeurs d'établissement scolaire qui ont été questionnés n'ont pas de réponse à donner, comme si le sujet, pour eux, était soit un sujet interdit, soit un sujet sur lequel ils n'exprimaient aucun avis. Donc, je suis quand même très surpris d'avoir une vingtaine de pages nous dressant le portrait d'un monde où tout se passe bien, où Mmes les prostituées sont de bonnes copines et où les clients sont tous sympas.
Ce qui me surprend encore le plus, finalement, c'est qu'il y avait des députées - «ées» - dans cette commission et qu'il n'y ait pas eu, au moins, des commentaires sur la profession elle-même, qui, jusqu'à preuve du contraire, n'est pas celle que l'on souhaiterait voir pratiquer par sa fille ou par sa femme... (Brouhaha.) ...mais qui reste quelque chose, visiblement, d'intouchable... (Remarque.) ...je dis bien d'«intouchable», contre lequel il n'y aurait aucune critique à apporter. Voilà les raisons pour lesquelles, à titre personnel, je refuserai ce rapport.
M. Roger Golay (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe MCG avait refusé ce projet de loi, non pas que le MCG soutienne la prostitution, loin de là, simplement, il est évident que ce qui est demandé dans le projet, soit interdire toute forme de prostitution à moins de 500 mètres d'une école, est irréaliste. On peut imaginer que, sur la ville de Genève, à n'importe quel endroit, on ne serait jamais dans un rayon de 500 mètres. C'était l'une des raisons qui a motivé le refus du MCG, puisqu'il a été dit... Et je tiens aussi à corriger ce qui a été indiqué par M. Bertinat. Parce que, au niveau de la police, un meilleur contrôle de la prostitution ne s'effectue pas dans la forêt, comme cela se passe dans certains parcs de Paris, dans des endroits reculés où il y a des échappatoires, où il n'y a aucun contrôle, et puis, aussi, où la prostitution se pratique dans des lieux, disons, hors-normes en ce qui concerne le logement, etc. Donc, pour nous, la question était celle de la distance - 500 mètres - et rien d'autre.
Pour que la police puisse contrôler la prostitution, il vaut mieux que ce soit dans un endroit précis, dans un périmètre bien défini par la police, et par, justement, les personnes qui pratiquent cette activité. Voilà donc les raisons du refus du MCG d'entrer en matière sur cet objet.
Mme Anne-Marie von Arx-Vernon (PDC). Puisqu'il faut mettre les points sur les «i», si le parti démocrate-chrétien a refusé ce projet de loi, je relèverai ceci: ce n'est pas pour mettre en valeur la prostitution, c'est simplement parce qu'il ne s'agit pas - et je remercie Mme Fontanet pour son excellent rapport - de la prostitution telle qu'elle est citée par M. Bertinat, qui est dangereuse et qui traumatise les enfants. La prostitution qui est dangereuse, c'est la prostitution qui est liée à la traite des êtres humains et la prostitution forcée ! Ce qui n'a rien à voir avec cela. Et, effectivement, ce n'est pas de voir des prostituées dans la rue qui traumatise les enfants; il y a bien d'autres violences qui traumatisent les enfants, et ça, c'est quand même un autre problème !
Nous ne pouvons donc pas adhérer à ce genre de stigmatisation de personnes - et d'une profession qui est reconnue - c'est comme ça ! Ce n'est pas une question de moralité, c'est une évidence. Par contre, nous devons tout mettre en oeuvre pour que les personnes, travailleurs et travailleuses du sexe, soient protégées et que leurs droits soient défendus - c'est le terme consacré. Et pour cela, il ne s'agit pas, dans ce projet de loi, de mieux les protéger et de mieux les préserver, mais il s'agit seulement de stigmatiser une population, ce qui n'est pas acceptable !
M. Michel Ducret (R). Mesdames et Messieurs les députés, c'est très simple, la demande de distance minimale émise dans ce projet de loi reléguerait loin de tout lieu habité de notre canton l'exercice de la prostitution. Ce que sous-tendrait finalement cette mesure, c'est que la prostitution serait rendue impossible dans le canton, avec les problèmes inhérents qui découleraient de ce genre d'approche. La prohibition n'a jamais amené de solutions, n'est-ce pas ? En réalité, ce n'est pas un projet d'éloignement qui nous est soumis là, mais un projet de prohibition.
Ensuite, c'est assez grave, car la proposition sous-tend que la prostitution est égale au trafic de drogue ! Mesdames et Messieurs les députés, ce n'est justement pas ça, au contraire ! Il ressort de l'étude de cette proposition que les prostituées seraient des victimes collatérales de la lutte contre le «deal» ! Ce serait plutôt ça qui ressort ! Donc, Mesdames et Messieurs, il n'y a aucune raison d'accepter ce projet de loi qui prétend supprimer un problème, mais qui, par son application, en générerait d'autres bien plus graves.
L'action à Genève pour réguler la prostitution se fait extrêmement bien par la police, notamment pour lutter contre tout ce qui touche aux réseaux mafieux et à l'exploitation des femmes par des maquereaux. Ça, ce sont les choses les plus importantes contre lesquelles il faut lutter ! Et ça doit continuer dans ce sens-là. D'autre part, la lutte contre le trafic de drogue n'a rien à voir avec la prostitution elle-même. La confusion amenée ici par ce projet de loi est inadmissible et nous ne pouvons accepter cette proposition !
M. Renaud Gautier (L). Mesdames et Messieurs les députés, laissez-moi, en ce début de séance des extraits, relever l'unanimité de ce parlement sur la défense de la prostitution. On n'a pas souvent l'occasion de relever ici la manière dont tout un chacun partage la même idée, mais je constate que nous avons eu l'occasion de parler de copines, de préserver, de partager... Tout cela, afin de défendre un métier qui, dit-on, est le plus vieux du monde. Et je me plais à relever, pour une fois, cette unanimité partagée par tous les partis quant à la défense de la prostitution, ce qui nous réserve, je crois, des lendemains brillants !
Mme Loly Bolay (S). Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi a été travaillé avec véritablement beaucoup de minutie en commission. Le rapport de Mme Fontanet l'atteste, la commission judiciaire et de police a fait un travail sérieux. Et qu'est-ce qu'on a eu comme réponse à ce projet de loi ? Tous les protagonistes, que ce soit Aspasie - l'association qui s'occupe des prostituées et qui connaît extrêmement bien le terrain - ou la police présente aux Pâquis, nous ont dit qu'il n'y avait pas de problèmes. On n'a jamais reçu de plaintes de parents et des associations de parents - alors que vous savez que celles-ci sont très actives pour dénoncer tel ou tel problème; nous n'avons pas, non plus, reçu de plaintes de professeurs. Il n'y a que l'UDC pour vouloir nous faire une ville de la prohibition, comme il y a longtemps ! C'est la même UDC qui a eu l'outrance d'éditer une affiche scandaleuse - qu'il faut dénoncer - contre une femme du gouvernement ! Je regrette, Messieurs les députés de l'UDC, mais il faudra placer votre curseur là où il est vraiment nécessaire d'avoir de l'éthique et de la morale ! La prostitution aux Pâquis ne pose pas de problèmes aux alentours des écoles, et moi je vous demande encore de retirer ce projet de loi, parce qu'il n'y a véritablement aucune raison pour qu'on perde encore du temps à en discuter.
Une voix. Bravo !
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à Mme le rapporteur Nathalie Fontanet.
Mme Nathalie Fontanet (L), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. Je comprends le courroux du député Bertinat. Effectivement, la commission n'est pas arrivée aux mêmes conclusions que lui. Après avoir entendu la police et les responsables des associations sur la prostitution, nous sommes arrivés à la conclusion que, contrairement à ce qu'indiquait le député Bertinat, eh bien, la prostitution n'était pas la source de tous les problèmes de sécurité publique aux Pâquis ! La prostitution n'est pas la source des traumatismes de nos enfants; la prostitution n'est pas la source des scènes de la drogue aux Pâquis, et ceci a été attesté par la police !
Alors, Mesdames et Messieurs, nous ne souhaitons pas, nous, aujourd'hui, agir pour défendre la prostitution; ce que nous souhaitons, c'est que la prostitution reste telle qu'elle est à Genève, c'est-à-dire sous contrôle; nous souhaitons que les travailleuses soient protégées de la traite des êtres humains, que la police ait un accès direct à ce qui se passe en la matière et que, de cette façon, nous continuions à protéger les femmes et les hommes qui exercent ce métier. Le refus de ce projet de loi n'est pas, contrairement à ce qui a été dit, un plébiscite de la prostitution, mais bien d'une sauvegarde, que la commission judiciaire et de police a estimé être importante, à savoir le maintien de la loi actuelle qui permet un contrôle, et non d'abolir à tout prix du plus vieux métier du monde.
Pour ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, la commission judiciaire vous demande de soutenir ce rapport tel qu'il est issu de ses travaux. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame le rapporteur. La parole est à Mme la conseillère d'Etat Isabel Rochat.
Mme Isabel Rochat, conseillère d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je voudrais vous dire que, lorsque nous avons discuté de ce projet de loi, il a été beaucoup question de topographie et de la géographie des lieux, de même que de protéger les uns et les autres, soit de prévenir que la prostitution soit marginalisée et, aussi, d'empêcher qu'elle puisse se retrouver aux abords d'endroits dits sensibles. Nous avons largement évoqué ces aspects au Conseil d'Etat. Je vous rappelle que M. le président - qui est ici présent - a largement été témoin de ces discussions quant aux abords des endroits sensibles. C'est donc une question qui mérite d'être soulevée et je remercie la députée auteure du rapport, lequel reflète fidèlement les discussions ayant eu lieu en commission.
Il est vrai que la question se pose. La question se pose de protéger, d'une part, les prostituées, car il s'agit effectivement de rendre à la loi son objectif premier, c'est-à-dire protéger cette population qui, encore une fois, a besoin d'un endroit qui est clairement identifié. Reléguer les lieux de prostitution en zones, on va dire, campagnardes, dans des fourgons sordides, et de ne pas pouvoir contrôler ces lieux poseraient un problème.
Donc, en clair et très brièvement, l'adoption de ce projet de loi affaiblirait considérablement l'action de la police sur ce secteur d'activité et, en gros, cela reviendrait à marginaliser, à criminaliser, à fragiliser et à pousser dans la clandestinité un métier qui doit avoir la visibilité voulue, de façon que les uns et les autres puissent être protégés.
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Nous allons passer au vote sur l'entrée en matière de ce projet de loi. (Brouhaha durant la procédure de vote.)
Mis aux voix, le projet de loi 10868 est rejeté en premier débat par 46 non contre 2 oui et 4 abstentions.