République et canton de Genève

Grand Conseil

R 662
Proposition de résolution de Mmes et MM. Anne Emery-Torracinta, Lydia Schneider Hausser, Prunella Carrard, Irène Buche, Christine Serdaly Morgan, Loly Bolay, Marie Salima Moyard, Christian Dandrès, Roger Deneys, Antoine Droin, Jean-Louis Fazio, Aurélie Gavillet, Manuel Tornare du Grand Conseil genevois aux autorités fédérales exerçant son droit d'initiative cantonal en vue de demander la modification de la loi sur la réforme II de l'imposition des entreprises (Initiative cantonale)

Débat

Le président. Nous sommes en catégorie II - trois minutes par groupe - et la parole est à Mme la députée Anne Emery-Torracinta.

Mme Anne Emery-Torracinta (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, il n'est quand même pas courant que le Conseil fédéral se fasse taper sur les doigts par le Tribunal fédéral. Effectivement, c'était le 20 décembre dernier, à l'occasion d'un communiqué de presse qui faisait allusion à la votation populaire du 24 février 2008 concernant la réforme II de l'imposition des entreprises. Que dit le Tribunal fédéral ? Il dit: «[...] il manquait aux électeurs des informations importantes pour se forger une opinion étayée leur permettant de comparer les avantages des allégements fiscaux et les inconvénients des pertes fiscales.»

En effet, dans la brochure des votations qui a précédé le vote populaire, le Conseil fédéral avait vanté cette réforme en faveur soi-disant des petites et moyennes entreprises et avait annoncé de légères pertes fiscales de l'ordre de 83 millions de francs pour la Confédération et de 300 à 500 millions pour les cantons. Surprise ! Une fois que la réforme est entrée en vigueur, eh bien ce fut beaucoup plus que cela. Et Mme Widmer-Schlumpf a dû reconnaître que ce serait au moins 1,2 milliard de francs en moins en 2011 sur l'impôt anticipé, puis, pour les dix ans à venir, chaque année, de l'ordre de 400 à 600 millions en moins pour les cantons et la Confédération.

Alors que s'est-il passé ? C'est tout simplement que la réforme - et je ne vais pas faire un débat technique sur ce qu'était cette réforme - a permis d'empêcher de taxer les dividendes issus de l'apport en capital. Et il se trouve que certaines entreprises - notamment le Crédit Suisse, par exemple - ont profité du nouveau système, c'est-à-dire qu'au lieu d'allouer des dividendes à leurs actionnaires, dividendes qui sont eux taxés, elles ont préféré distribuer ces apports en capital, qui eux ne le sont pas. Résultat des courses: les pertes sont beaucoup plus importantes que prévues.

Dans toute cette affaire, on ne sait pas très bien si c'était l'incompétence du conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz qui est responsable de ce gâchis ou si c'est une tromperie volontaire. Je n'irai pas jusque-là, mais toujours est-il qu'il est certain que l'électeur a été mal informé. Or le résultat du vote a été extrêmement serré, puisque la population suisse a accepté la réforme à 50,5% des voix. Ainsi, vraisemblablement, si l'information avait été meilleure, on peut imaginer que le vote aurait été différent, d'où un certain nombre de propositions soumises au Parlement fédéral, qui ont toutes été refusées, propositions qui émanaient des socialistes, mais aussi, pour l'une d'entre elles, du PDC - faut-il le rappeler - et qui demandaient qu'on revienne en arrière, qu'on évite que cette loi ne soit rétroactive...

Le président. Il vous faut conclure.

Mme Anne Emery-Torracinta. Je peux mordre sur le temps de mon groupe, Monsieur le président.

Le président. Il vous faut conclure, Madame la députée.

Mme Anne Emery-Torracinta. Je peux mordre sur le temps de mon groupe, Monsieur le président !

Le président. Ah, si vous prenez sur le temps de votre groupe, alors vous vous arrangez avec vos collègues !

Mme Anne Emery-Torracinta. Oui, Monsieur le président !

On aurait parfaitement pu revenir en arrière, le Parlement fédéral ne l'a pas voulu. Et même si, Mesdames et Messieurs les députés, vous avez refusé de voter l'urgence pour cette résolution lorsque c'était nécessaire, je pense qu'elle reste totalement d'actualité et je vous invite à la renvoyer au Parlement fédéral.

Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve). Les Verts regrettent vraiment que nous n'ayons pas pu discuter de cette résolution en temps utile, parce qu'en effet elle arrive fort tardivement, vu que le Tribunal fédéral s'est déjà prononcé. Cette résolution soulève des questions très importantes et met le doigt sur un véritable scandale. La désinformation, voire la non-information du Conseil fédéral sur les questions de recettes fiscales est à dénoncer ici. Alors que le Conseil fédéral avait indiqué que la réforme allait coûter quelque 500 millions de francs aux collectivités publiques, aujourd'hui c'est en milliards que la facture s'allonge. Le Tribunal fédéral a d'ailleurs dénoncé ces méthodes et blâmé le Conseil fédéral pour ce qu'il a fait. Les Verts soutiendront donc la résolution, même si malheureusement nous nous retrouvons aujourd'hui devant le fait accompli. Merci.

M. Claude Jeanneret (MCG). Le groupe MCG va accepter cette proposition de résolution, surtout pour une raison fondamentale. En effet, actuellement il arrive trop souvent que l'on fasse prendre des décisions au peuple sans l'informer comme il se doit de tous les tenants et aboutissants de ce que l'on va entreprendre. Et je crois sincèrement que les déclarations de Mme Widmer-Schlumpf prouvent que le parlement n'a pas diffusé toutes les informations nécessaires au peuple qui a voté la loi. C'est la raison pour laquelle, même si rien n'empêche qu'on revote celle-ci un jour, il faut en tout cas pour l'heure renvoyer cette résolution là où il convient pour faire respecter l'équité vis-à-vis du peuple qui décide.

Mme Loly Bolay (S). Mesdames et Messieurs les députés, ma collègue l'a dit tout à l'heure: le peuple a été totalement trompé en 2008. La réforme d'imposition des entreprises que le peuple a votée induit des pertes considérables pour la Confédération - alors qu'elles étaient estimées à 80 millions de francs - et pour les cantons. C'était estimé à quatre fois 80 millions, mais les pertes se chiffreront en milliards, désormais nous le savons. Mais en quoi consiste la réforme ? Le problème tient dans l'imposition partielle des dividendes, c'est-à-dire que toute personne qui possède 10% des actions dans une société ne sera imposée qu'à 60% - à 60%, Mesdames et Messieurs ! De plus, il y a un effet rétroactif. Cette réforme touche une toute petite minorité, 1% de la population, c'est-à-dire que les quatre millions de salariés et les deux millions de retraités devront payer à 100% leurs impôts. Par ailleurs, elle est totalement contraire à la Constitution fédérale.

Du point de vue social - et c'est cela aussi qu'il faut relever, Monsieur le président - le projet va créer un trou dans l'AVS. Il est estimé à 150 millions de francs par an. A l'heure où le financement de l'AVS fait débat, cette réforme est une véritable catastrophe et c'est inacceptable. Pourquoi fera-t-elle un trou dans l'AVS ? Parce que les employés de ces sociétés - qui sont aussi des salariés - préféreront être rémunérés en dividendes. Pourquoi ? Parce que se faire payer en dividendes n'est pas sanctionné par l'AVS, c'est-à-dire que l'on ne paie pas les cotisations sociales. Ainsi, en percevant des dividendes, non seulement ils ne paient pas l'AVS, mais en plus ils ne s'acquitteront qu'à 60% de leurs impôts.

Alors, Mesdames et Messieurs les députés, cette réforme favorise les grosses entreprises, au détriment de qui ? Au détriment des PME, des sociétés moyennes qui ne sont ni des SA, ni des SARL. Celles-ci ne sont pas cotées en bourse ou, si elles le sont, ne pourront pas payer les dividendes comme les grandes sociétés.

Le président. Il vous faut conclure !

Mme Loly Bolay. Je vais conclure, Monsieur le président, en disant que c'est toujours la même chose ! C'est la politique des caisses vides, et quand on a moins d'argent et qu'on accorde des privilèges aux nantis de notre société, alors il y aura bien moins de moyens pour le social et l'AVS. C'est inacceptable pour les socialistes, raison pour laquelle nous vous demandons de voter la résolution pour l'envoyer à Berne.

M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, ne nous laissons pas aveugler par une description certes fort intelligente produite par les bancs d'en face, et regardons plutôt la situation générale. Car il y a des chiffres qui ne trompent pas, Madame ma préopinante. Entre 2000 et 2010, les dépenses de la Confédération ont augmenté de 28%. Dans la même période, les recettes n'ont accusé que 14% d'augmentation. Ce qui occasionne déjà un déficit. De 2010 à 2014, il est prévu une augmentation des dépenses à nouveau de 12%. Mesdames et Messieurs les députés, l'UDC n'a pas honte de dire que l'Etat, les cantons vivent au-dessus de leurs moyens, avec une palme spéciale pour le canton de Genève !

Depuis 1980, la Suisse n'a cessé de régresser au classement des revenus par habitant. En clair, les citoyens ont un revenu qui baisse et les impôts - tous confondus - ne cessent de croître. L'UDC considère les baisses d'impôts comme un encouragement à la consommation et soutient tout ce qui peut aller dans le sens d'une diminution d'impôts. Le peuple s'est prononcé; on vient maintenant ergoter sur ce qui s'est passé; on prétend que l'information n'était pas là. Ne regardons pas le particulier, regardons le général. Nous nous endettons; la crise de la dette est partout. Mesdames et Messieurs les députés, ayons le courage de refuser ces augmentations déguisées sous des arguments fallacieux ! L'UDC vous demande de refuser la résolution 662.

M. Mauro Poggia (MCG). Monsieur le président, je serai bref. Je crois qu'il en va de la bonne foi du gouvernement fédéral à l'égard des citoyens. Nous avons malheureusement de plus en plus l'habitude de voir des campagnes électorales dans lesquelles le Conseil fédéral lui-même - voire le Conseil d'Etat dans notre canton - utilise des arguments fallacieux pour amener la population à voter dans le sens qu'il souhaiterait. Nous ne pouvons pas accepter ce mode de faire. Les exemples sont légion.

Ici nous en avons un de taille, puisque l'on a délibérément trompé les électeurs sur les conséquences du vote qu'on leur soumettait. Alors la question n'est pas de savoir s'il fallait voter dans un sens ou dans l'autre, mais il s'agit de dire que l'on remet les compteurs à zéro. S'il faut qu'il y ait une nouvelle votation sur le sujet, elle aura lieu le cas échéant et la minorité se pliera à l'avis de la majorité. Mais il n'est pas question de faire croire aux électeurs de ce pays que leur voix va les amener dans un sens, alors qu'elle les conduira dans l'autre. Comme l'a dit très justement Mme Emery-Torracinta, nous ne savons pas si c'est l'incompétence ou la volonté de tromper les électeurs qui a débouché sur ce résultat, mais il est là et nous ne pouvons pas l'accepter. Le MCG ne peut pas accepter que les électeurs de ce pays soient trompés volontairement ou par négligence. Nous allons donc soutenir cette résolution.

M. Guillaume Barazzone (PDC). Il y a un problème de forme et un problème de fond. Le premier concerne la votation et l'information fournie par le Conseil fédéral au peuple; puis vient le problème de fond qui relève du principe sur lequel les gens - le peuple suisse - ont voté. De quoi était-il question ? De manière schématique, il s'agissait de savoir si l'apport en capital ou en espèces des actionnaires à la société, lorsqu'il était restitué à ces derniers, devait être taxé comme des dividendes ou être franc d'impôts. Et c'est sur ce principe que la population suisse s'est exprimée, en effet, avec un certain nombre d'informations qui se sont révélées incorrectes par la suite. Les informations portaient sur des chiffres.

Cependant, Madame Bolay, ne faites pas croire que le Conseil fédéral est venu en disant: «Vous allez voter pour plus ou moins tant de millions et sur une imposition de tant.» Ce n'est pas de cela qu'il était question. Il s'agissait de principes de droit. Puis, le Conseil fédéral a «mal fait son travail» - entre guillemets - puisqu'il n'est pas allé examiner dans toutes les sociétés la manière dont elles avaient provisionné leurs comptes. Et je peux vous dire que les professionnels savaient à quoi allait mener la réforme qui était rétroactive; et c'est la raison pour laquelle un certain nombre de sociétés se sont arrangées avant l'entrée en vigueur du texte pour structurer leur capital d'une certaine manière, afin que, une fois la réforme entrée en vigueur, elles puissent distribuer le montant aux actionnaires franc d'impôts.

Et, Madame la députée, quand je vous entends parler d'employés et de PME, de choses qui n'ont rien à voir avec la réforme, là aussi vous trompez la population. Certes, le Conseil fédéral a péché par négligence parce qu'il n'a certainement pas assez estimé les effets de la rétroactivité de la loi. Mais maintenant, quand bien même cette résolution serait votée et envoyée à Berne, le Parlement fédéral s'est prononcé, il ne souhaite pas revenir en arrière. Notre groupe avait demandé que cette réforme ne concerne pas les faits rétroactifs à l'entrée en vigueur de celle-ci. Or le parlement n'en a pas voulu. Donc ne faites pas croire à la population genevoise, ni à ce Grand Conseil, que cela servira à quelque chose. Le parlement a tranché, malheureusement on ne peut plus revenir en arrière. Notre groupe ne soutiendra donc pas la demande de renvoi de la résolution à Berne. Je vous remercie.

M. Jacques Jeannerat (R). Je vais être très bref. La question a déjà été amenée sur le plan fédéral, le Tribunal fédéral a été saisi, il a tranché et a déclaré qu'aucun vice de forme n'avait été constaté. Ce texte est donc sans objet, et je vous invite tous à refuser cette résolution.

M. David Hiler, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je n'entends pas intervenir dans un débat sur une résolution, mais j'aimerais simplement préciser une petite chose à l'intention du député Poggia. Le Conseil d'Etat, avez-vous laissé entendre, ferait comme le Conseil fédéral. Je souhaiterais simplement vous rappeler tout d'abord, Monsieur le député, que les brochures envoyées aux électeurs sont sous la responsabilité de votre Grand Conseil et de son Bureau, puisqu'elles expriment les positions des groupes. Cela fait plusieurs années que le Conseil d'Etat n'a d'autres facultés, lorsqu'il n'est pas d'accord avec le parlement, que de l'exprimer en dix lignes. De plus, nous avons une réglementation extrêmement précise, qui fixe à peu près cinq semaines avant la votation la dernière possibilité que nous ayons d'intervenir sur un objet.

Alors, Monsieur le député, si vous avez quelques inquiétudes sur l'objectivité des textes genevois qui sont envoyés à l'électeur, je vous renvoie au Bureau du Grand Conseil qui saura très certainement vous répondre.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons passer au vote. (Un instant s'écoule.) Celles et ceux qui acceptent de renvoyer cette proposition de résolution tant au Conseil d'Etat qu'à l'Assemblée fédérale votent oui, les autres non ou s'abstiennent. Le vote est lancé.

M. Eric Stauffer. Ça marche pas ! (Commentaires.)

Le président. Avant d'annoncer les résultats, je vous informe qu'on m'interpelle en me disant que cela ne marche pas, mais moi j'ignore ce qui ne fonctionne pas ! (Remarque. Commentaires. Un bouton de vote ne fonctionne pas.) J'invite M. le député Stauffer à... (Remarque.) Il semble que la place de M. Droin ne fonctionne pas non plus. A votre place dans l'assemblée non plus ? (Remarque. Commentaires. Brouhaha.) Il est inutile de s'énerver pour une broutille ! Nous allons savoir ce qui s'est passé; on n'écarte pas les bras, on ne monte pas aux poutres ! (Rires.)

Nous vous proposons de procéder à nouveau au vote et les deux députés ne pouvant pas voter nous indiqueront leur position sur cet objet. Est-ce que cela vous semble correct et démocratique ? (Commentaires.) Nous passons donc au vote.

Mise aux voix, la proposition de résolution 662 est rejetée par 47 non contre 43 oui.