République et canton de Genève

Grand Conseil

P 1643-B
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la pétition en faveur de l'augmentation des revenus sociaux de toutes les personnes de condition modeste et de l'application d'une politique de progrès social garantissant des conditions de vie décentes et dignes à tous les habitants de Genève

Débat

M. Manuel Tornare (S). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, pour rappel, cette pétition de l'AVIVO date de début décembre 2010; elle a été renvoyée au Grand Conseil. Vous avez sous les yeux le rapport du Conseil d'Etat - la réponse de celui-ci - datant du 28 juillet 2011. Pour rappel, cette pétition de l'AVIVO, qui était signée par de nombreuses personnes, se prononçait pour le maintien des prestations municipales complémentaires. Je vous rappelle que, à un moment donné, il y avait 17 communes - sur les 45 du canton - qui distribuaient cette manne, plus ou moins grande selon les communes. Mais la dernière à avoir voulu - c'est une volonté politique - maintenir ces prestations municipales complémentaires, c'est bien évidemment la plus grande des communes, la Ville de Genève, une commune de 185 000 habitants.

Ces prestations municipales complémentaires sont toujours de 185 F par personne - 265 F pour un couple. Il y a environ 11 000 personnes en ville de Genève, à l'heure actuelle - je parle d'aujourd'hui - qui pourraient les demander, mais c'est comme pour l'AVS, il faut écrire à la Ville pour les obtenir. Et à l'heure actuelle, si ma mémoire est bonne, si les chiffres que l'on m'a donnés cet après-midi sont bons, ce sont à peu près 4600 personnes qui en ont fait la demande. Ce sont des gens précarisés; ce sont des gens qui ont des problèmes de loyer; ce sont des gens qui souffrent de la crise financière et économique que nous vivons chez nous aussi. Parmi ces 4600 et quelques personnes, il y a peu près 60% d'AVS et 40% d'AI, mais il y a de plus en plus d'AI qui font la demande, puisque, avec le deuxième pilier, il y a de moins en moins d'aînés qui demandent ces prestations municipales complémentaires.

Vous savez qu'elles avaient été créées en 1987 par un excellent conseiller administratif de l'époque, qui a eu une carrière glorieuse par la suite: Guy-Olivier Segond. Il avait voulu faire cela, parce qu'avant lui ses prédécesseurs avaient des magasins dans toute la ville de Genève, où l'on distribuait gratuitement du charbon, des tomates, des poires, etc. Bref, c'était digne d'Eugène Sue, de Jules Vallès et d'Emile Zola. Et il avait voulu, en bon réformateur qu'il fut et qu'il est toujours, changer ce système. Or, depuis quelques années, des conseillers d'Etat - ils sont tous les deux présents ici - M. Pierre-François Unger, puis M. François Longchamp - le premier ayant auparavant été responsable du social, et maintenant c'est le deuxième - ont rappelé à la Ville de Genève que le Conseil d'Etat ne désirait plus que celle-ci, au nom de l'égalité de traitement d'une commune à l'autre, octroie ses prestations municipales complémentaires.

Vous avez tous entendu parler de cette bataille Ville-Etat, une de plus ! Bon. Et vous vous souvenez que, concernant le budget 2011 de la Ville de Genève, le Conseil d'Etat l'avait approuvé. Mais il avait spécifié à la Ville que la ligne de 10,5 millions était bloquée et qu'on ne pouvait donc plus octroyer de prestations municipales complémentaires à de nouveaux bénéficiaires. La Ville, en bon élève - et votre serviteur, à l'époque - avait obéi. Mais nous avions fait recours ! Mon département d'alors - cohésion sociale, jeunesse et sports - avait en effet déposé un recours au nom du Conseil administratif, l'exécutif de la Ville, auprès de la chambre administrative. Je vous rappelle aussi - je fais une petite parenthèse - que deux projets de lois de 2009 présentés par Véronique Pürro, au nom du groupe socialiste, étaient pendants devant la commission des affaires sociales du Grand Conseil; j'avais même, comme conseiller administratif, été convoqué par M. François Longchamp pour y être auditionné. Ces deux projets de lois, le PL 10438 et le PL 10439 - je n'entre pas dans les détails - attribuaient en quelque sorte aux communes la possibilité de mener cette politique sociale d'octroi des prestations municipales complémentaires; eh bien, tous les partis, sauf les Verts et les socialistes, en avaient malheureusement refusé l'entrée en matière. Cela, je le dis pour ceux qui nous écoutent.

Donc, on doit recevoir prochainement un rapport. On devra en rediscuter devant le Grand Conseil. Mais il faut le dire, pendant l'été - certains étaient peut-être à St-Tropez, en Turquie ou ailleurs, en juillet-août - fin juillet, dis-je, la chambre administrative, sur tous les points - pratiquement tous les points - a donné raison à la Ville de Genève. Donc, si vous lisez le rapport du 31 juillet signé par Mark Muller, président du Conseil d'Etat, et par la chancelière, il est écrit ceci - je cite: «Telle est la situation connue à ce jour. Le Conseil d'Etat réexaminera cette affaire lorsque la chambre administrative de la Cour de justice aura tranché le recours déposé par la Ville de Genève.» Eh bien, c'est fait ! Donc, ce rapport est caduc.

Par conséquent, la question que je pose à nos deux conseillers d'Etat, mais surtout à François Longchamp, est: que va faire l'Etat ? Parce que je vois mal, maintenant, l'Etat, le canton - franchement, alors qu'on nous a dit pendant des années que nous avions tort sur le plan juridique et politique - eh bien, je vois mal le Conseil d'Etat contredire à la fois les politiques et les juristes ! Je vous remercie.

Le président. Ceux qui nous regardent vous remercient, Monsieur le député. La parole est à M. le conseiller d'Etat François Longchamp.

M. François Longchamp, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, à l'explication donnée par M. Tornare, qui indiquait la position de mon collègue Pierre-François Unger, j'ajouterai la mienne et celle de l'ensemble du Conseil d'Etat. Il y avait dans cette affaire un autre magistrat qui était également partisan de cette adaptation. Je dois vous le rappeler, Monsieur Tornare, c'était vous-même, puisque la Ville de Genève, pendant une année, par votre intermédiaire, a admis l'idée que ces prestations complémentaires n'étaient ni très justes, ni très compatibles avec la loi. Elle a d'ailleurs produit quelques avis de droit - vous vous en souvenez - de gens qu'on peut difficilement accuser d'être à la solde des conseillers d'Etat qui viennent d'être cités et de tous les autres. L'un d'entre eux émanait de Mme Christiane Brunner. Le deuxième émanait du Conseil d'Etat, de l'ancien président du Tribunal fédéral qui se trouvait être aussi d'obédience socialiste.

Je vous rappelle, Monsieur Tornare, qu'il fut une époque où vous admettiez que les effets de seuil, dans le cadre des prestations complémentaires, heurtaient l'égalité républicaine. Il y a, Monsieur Tornare, dans votre ville, pas parmi les 4500 personnes qui connaissent les prestations complémentaires sur les 11 000 qui devraient les connaître, il y a une famille, un couple plus exactement, qui, pour 34 francs suisses de deuxième pilier, a un effet de seuil de 1400 francs suisses, simplement à cause de ce système.

Nous avions proposé - nous avions convenu, vous et nous, Conseil d'Etat et Ville de Genève - d'y mettre fin, sans toucher aux prestations de ceux qui les recevaient, car nous avions admis qu'il y avait un droit acquis pour ces personnes. Vous vous étiez rangé, ainsi que l'ensemble du Conseil administratif, à cette opinion. Quatre jours avant l'entrée en vigueur de cette décision, vous avez changé d'avis. Vous êtes partis dans une bataille juridique à peu près sans fin, avec des recours interminables. Je pourrais vous lire toute la prose d'autres recours du Tribunal que vous avez parfaitement perdus.

En ce qui concerne le Conseil d'Etat, puisque c'est de cela que vous parlez, quelle sera sa position ? Le Conseil d'Etat - et Mme Michèle Künzler pourra le confirmer, mais s'agissant de la partie des communes - a décidé qu'il était temps d'y mettre fin. On vous a reproché pendant des années de faire des procédures parfaitement inutiles. Ce n'est pas pour que nous les fassions. Le problème demeure. Il y a une atteinte à l'égalité républicaine, lorsque des personnes âgées qui, pour 34 F, subissent un effet de seuil de 1400 F lorsqu'elles ont le droit à 3000 F de prestations. C'est l'avis du Conseil d'Etat - le vôtre il fut un temps. Nous le ferons entendre à l'ensemble des communes qui auront peut-être la vocation à faire autre chose que de l'agitation sur ce sujet. En ce qui concerne le Conseil d'Etat, c'en est terminé. (Applaudissements.)

Le président. La parole n'étant plus demandée, il est pris acte de ce rapport.

Le Grand Conseil prend acte du rapport du Conseil d'Etat sur la pétition 1643.