République et canton de Genève

Grand Conseil

R 645
Proposition de résolution de Mme et MM. Stéphane Florey, Patrick Lussi, Céline Amaudruz, Marc Falquet, Antoine Bertschy, Eric Bertinat du Grand Conseil genevois à l'Assemblée fédérale exerçant le droit d'initiative cantonal pour demander le maintien des moyens de lutte contre les pédophiles sur internet (Investigation secrète en cas de soupçons fondés que des infractions pourraient être commises)

Débat

Le président. Je donne la parole à M. le député Stéphane Florey.

M. Stéphane Florey (UDC). Merci, Monsieur le président. Autre sujet sensible: la pédophilie sur internet. Vous l'avez certainement appris par la presse, il y a eu modification du code pénal au niveau fédéral, modification qui interdit les investigations secrètes en cas de soupçon fondé que des infractions pourraient être commises. Ce qui veut dire que la pratique de la nouvelle loi veut qu'un policier qui soupçonnerait quelqu'un de commettre ou de pouvoir commettre des actes pédophiles sur internet doit attendre l'infraction et ne peut plus agir en amont. Ceci est assez dommageable, puisque, en fait, quand le policier pourra arrêter une personne étant en infraction, eh bien, malheureusement, l'acte sera commis ! Et néfaste pour le jeune qui sera pris dans les filets d'un pédophile et d'un prédateur sexuel.

C'est pourquoi nous demandons à l'Assemblée fédérale de revenir en arrière et, dans un premier temps, de réintroduire ce droit d'investigation et peut-être, pourquoi pas, par la suite, de durcir encore la loi en introduisant de nouvelles possibilités permettant d'aller plus loin dans la lutte contre les prédateurs sexuels sur internet. Je vous remercie de traiter cette résolution avec diligence.

M. Manuel Tornare (S). Là aussi, je m'adresse à mon collègue Florey. Sujet extrêmement délicat, il l'a dit, mon collègue député. Bon, il faut relever - je pense que Mme la conseillère d'Etat le fera - que, au niveau cantonal, on peut faire des enquêtes aussi et que cela perdure; je ne crois pas que Mme la conseillère d'Etat dira le contraire.

En ce moment, il y a une réflexion, ce n'est pas aussi noir et blanc que vous l'avez dit, Monsieur le député. Au niveau du Conseil national, il y a un éminent professeur de droit pénal, de Zurich, conseiller national socialiste, qui s'appelle Daniel Jositsch, qui mène une réflexion, avec un groupe de travail du Conseil national, pour trouver des solutions allant plutôt dans votre sens. Donc, je pense qu'il faut donner un peu de temps au temps et attendre que les conclusions de ce groupe de travail soient écrites et que l'on puisse les consulter.

J'aimerais aussi parler brièvement de la prévention. En tant qu'ancien magistrat de la Ville j'ai toujours été un peu déçu de voir que certaines communes ou le canton n'étaient pas assez parties prenantes en ce qui concerne le subventionnement d'associations luttant contre la pédophilie sur internet. Un seul exemple d'association - je l'ai beaucoup soutenue au nom de la Ville, quand j'étais maire et conseiller administratif - c'est Action Innocence. L'association fait un magnifique travail en collaboration avec la police cantonale. Mme la conseillère d'Etat soutient Action Innocence, son prédécesseur aussi. Mais je crois qu'on pourrait faire plus. Et là, il pourrait y avoir une prise de conscience du Grand Conseil, au moment du budget 2012, pour donner des sommes supplémentaires adéquates et, aussi, pour qu'il y ait un engagement encore plus fort de tous les départements ! Pas seulement celui de Mme Rochat, mais aussi celui de M. Beer, et d'autres départements, pour faire de la prévention et mettre en garde les enfants, les ados, les jeunes, contre cette criminalité qui malheureusement, de plus en plus - on n'en parle pas assez - prend de l'importance dans notre société.

M. Bertrand Buchs (PDC). Le groupe PDC va demander le renvoi de cette résolution à la commission judiciaire, car il y a beaucoup de choses dont il faut parler; il faut écouter les gens, il faut proposer des solutions. Il est extrêmement important que l'on fasse très attention à l'utilisation d'internet. C'est quelque chose de fantastique à utiliser, mais de tout à fait dangereux. Et il est vrai que la police a très peu de moyens pour intervenir. Ces moyens sont compliqués, il est très difficile de trouver les gens pour cela. Mais il faut faire particulièrement attention à notre jeunesse, et l'on doit agir. Donc, des investigations secrètes doivent être effectuées, car il ne faut pas, pour arrêter la personne coupable, attendre que quelqu'un se soit fait tuer ou violer, sachant que, la plupart du temps, les gens qui commettent cela, eh bien, on a de la peine à les reconnaître dans la rue. Donc il faut absolument que l'on fasse quelque chose. Je partage l'avis de M. Tornare lorsqu'il dit qu'il faut que l'on soutienne les associations qui se battent pour défendre l'internet contre tous les prédateurs pouvant s'y trouver. Le PDC soutient cette résolution et demande le renvoi de cet objet à la commission judiciaire.

M. Pascal Spuhler (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, cette résolution touche un sujet très délicat, ce sont les enfants. Et qui a envie de voir un enfant victime d'un pédophile ? Personne, ici. Personne ici n'aurait le courage de s'opposer à une telle résolution. Personne n'en aurait le courage ! Et pourquoi la renvoyer en commission judiciaire ? Pour discuter encore combien de temps ? Non ! Le message est clair: on doit pouvoir donner à la police la possibilité et les moyens d'investiguer sur ces réseaux pédophiles. On doit donner toute l'énergie et la force des hommes et des femmes politiques de ce pays pour combattre ce crime immonde ! Mais je vois que cela en intéresse beaucoup, même les socialistes...

Donc, je vous recommande, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer directement ce message au Conseil fédéral. Il faut que l'on donne les moyens à la police ! L'UDC a eu une très bonne initiative avec cette résolution, je ne peux que l'approuver à 100%. Les enfants ne doivent pas être victimes des pédophiles. C'est immonde ! C'est un crime qui est... Je n'arrive même pas à trouver de mots, tellement c'est immonde. Enfin voilà, je ne peux que vous recommander... Evidemment, on soutiendra le renvoi en commission - si la majorité l'emporte, bien sûr - mais je ne peux que vous recommander d'adresser ce message directement au Conseil fédéral. Merci.

M. Olivier Jornot (L). Mesdames et Messieurs, la question qui a été soulevée par ce texte est sérieuse. Et le manquement que le texte met en évidence existe et est connu. En effet, un certain nombre d'intellectuels qui n'ont pas souvent mis le nez dehors ont imaginé devoir restreindre, au nom des libertés individuelles, qui nous sont chères d'ailleurs, la possibilité de mener des investigations secrètes, notamment sur internet. Donc, on ne peut évidemment que soutenir ce texte. Cela ne fait pas l'ombre d'un pli, si l'on est un tant soit peu, comme chacun d'entre nous, touché par cette problématique et soucieux de faire en sorte qu'internet ne soit pas un gigantesque lieu de perversions et d'infractions.

Ce qui me gêne, Mesdames et Messieurs, chers collègues, je vais vous le dire franchement. Ce qui me gêne, c'est qu'au moment où ce texte a été rédigé, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur du CPP, on pouvait s'imaginer qu'effectivement on avait un problème, c'était celui des investigations secrètes, et notamment celles sur internet. Depuis lors, on sait que ce CPP est un désastre du début à la fin ! On sait que c'est un texte qui est inspiré par une idéologie soixante-huitarde; on sait en effet qu'on a, avec quarante ans de décalage sur les faits, adopté une loi qui empêche les autorités de police et les autorités de justice de faire leur travail. Et quel est le message qu'on va donner ? On va envoyer un texte à l'Assemblée fédérale en disant: «Nous, à Genève, on a un seul problème, c'est l'investigation secrète sur internet.» Et ça, c'est problématique, parce qu'il y a un tas de choses qui nous embêtent !

Le fait que la détention préventive soit cent fois plus difficile qu'avant, cela nous embête ! Le fait qu'avec ce texte, quand on condamne quelqu'un par ordonnance pénale, on soit obligé de le relâcher immédiatement et de lui écrire ensuite une lettre à la maison, cela nous embête... Si l'on sait où est sa maison. Donc, cela veut dire, Mesdames et Messieurs, que - pour ma part, je me le demande - qu'il faudrait examiner si l'on ne devrait pas avoir une réflexion un peu plus large ! Et si l'on a un message du canton de Genève à faire passer, s'il ne devrait pas aller au-delà de cette question-là ?

Mais cette question mérite en effet d'être étudiée. C'est la raison pour laquelle le groupe PLR soutient la proposition de renvoi en commission, pour qu'on puisse non seulement examiner cela, mais voir aussi si nous n'avons pas autre chose à dire aux autorités fédérales.

M. Stéphane Florey (UDC). Juste pour préciser qu'il est clair que dans les faits, quand on rédige une résolution destinée à l'Assemblée fédérale, le premier souhait du rédacteur est de la voir être renvoyée directement au Conseil fédéral, sans passer par la case «commission». Toutefois, nous ne serons pas opposés à un renvoi en commission.

Et j'aimerais saluer également ce qu'a dit M. Manuel Tornare: effectivement, la prévention pose problème. Je suggère au groupe socialiste et à ses représentants en commission de venir justement, éventuellement concernant ce texte, avec des amendements pour accentuer la prévention sur internet. Je vous remercie.

M. Christian Bavarel (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, comme tous les groupes, les Verts considèrent que les crimes pédophiles sont abominables. Je rappelle que simplement le fait de produire des images pédophiles génère généralement des victimes. Donc nous sommes tout à fait pour qu'il y ait lutte contre ce type de crimes.

Mais nous souhaitons aussi que l'on soit attentifs à divers autres droits fondamentaux et que l'on réfléchisse bien aux différentes portes que nous ouvrons. Ce n'est pas parce que le crime est horrible que, à un certain moment, il faut perdre le reste des libertés. Nous avons été très fortement choqués, chez nous, par ce qui s'est passé aux Etats-Unis après le 11 septembre, où, face à certaines attaques extrêmement dures, on restreint les libertés de tout le monde. Ici, bien évidemment qu'il faut des moyens: il faut certainement des moyens de prévention beaucoup plus forts; il faut que différents types de moyens soient mis en place; mais il faut que la réflexion soit menée jusqu'au bout sur l'adéquation de ces moyens et sur la manière dont nous allons les instaurer. C'est pourquoi nous ne nous opposerons pas au renvoi en commission, afin qu'il y ait une réflexion globale sur le sujet.

Toutefois, nous avons un peu peur qu'en disant simplement deux ou trois choses sur des crimes... Le peuple a voté l'imprescriptibilité des crimes pédophiles, parce que tout le monde reconnaît qu'ils sont abominables. Mais, très honnêtement, est-ce que vous conseilleriez aujourd'hui à un jeune-homme de devenir instituteur ? Car vous savez que, dans quarante ou cinquante ans, si par hasard l'un de ses élèves lui en voulait, ce dernier pourrait intenter une procédure contre lui; il serait alors dans l'incapacité de se défendre. Ainsi, vous avez actuellement certaines professions - vous pouvez le regretter - qui auront tendance à se féminiser. Je ne suis pas sûr que, pour un jeune-homme, être éducateur de la petite enfance soit quelque chose de raisonnable - je le dis aussi durement que cela - et que de devenir instituteur soit toujours exempt de risques. Faisons très très attention. A un moment, nous avons voulu protéger les enfants les plus faibles, mais attention aux mesures prises; elles posent d'autres problèmes ! Et je ne suis pas sûr aujourd'hui que j'accepterais d'accompagner une classe en camp de ski ou en classe de neige, avec des enfants mineurs, car les risques deviennent de plus en plus compliqués pour un homme et sont imprescriptibles. Celui qui est entraîneur de football de nos jours a bien du courage ! Donc, faisons attention. Les crimes sont abominables, mais gardons à l'esprit que certaines mesures peuvent également avoir des conséquences dramatiques.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je découvre avec un certain étonnement que vous êtes capable de raisonnements parfaitement sexistes. (Rires. Commentaires.) La parole est à M. le député Pascal Spuhler, à qui il reste une minute trente.

M. Pascal Spuhler (MCG). Merci, Monsieur le président, ça ira. Je m'étonne des propos de M. Bavarel qui demande une grande prudence. En effet, il faut de la prudence; dans ces crimes pédophiles, c'est toujours délicat. Il peut y avoir des accusations mensongères, mais le message n'est pas là, Monsieur Bavarel. On ne demande pas de juger quelqu'un ! On demande de donner à la police les moyens d'investigations secrètes ! Ce qui lui a été enlevé jusqu'à maintenant.

Le système internet permet tous les délires et les dérapages des pédophiles... Et les enfants accèdent aux moyens internet ! Ils accèdent de plus en plus jeunes aux médias, et c'est dangereux ! C'est dangereux ! Il faut éduquer les enfants. M. Tornare nous l'a bien dit, il y a des associations - comment s'appelle-t-elle... (Remarque.) Il y a Action Innocence. Et il y a la Marche Blanche, qui fait également un travail important dans ce domaine. C'est vraiment une nécessité d'informer, de prévenir les enfants. Mais, malgré tout, des pédophiles profitent d'internet et de tous ces moyens ! Et aussi de la barrière légale que la police doit contourner pour pouvoir travailler; cette barrière-là, il faut la supprimer ! Donnons le droit à la police d'investiguer, de faire des investigations secrètes. Il n'y a pas besoin d'y réfléchir en commission ou de revoir tout le code de procédure pénale, c'est juste un message clair sur une action ! Merci.

M. Patrick Lussi (UDC). J'essaierai d'être court. On nous reproche souvent de mélanger les genres, de faire des amalgames. Monsieur Bavarel, vous faites un amalgame quand vous parlez de cela. Vous parlez de quarante ans... Il y a vingt ans, dans un excellent film, dont j'ai oublié l'auteur mais dont l'acteur principal était Jacques Brel, dans ce film qui s'appelait: «Les risques du métier», eh bien, ce que vous venez de décrire était déjà d'actualité. Ici, nous parlons de l'internet, c'est-à-dire... Internet, je veux bien comprendre. Je sais que vous êtes très attaché à certains droits fondamentaux et libertés individuelles, or internet dépasse largement, par cette virtualité, par cette mouvance de pays où il n'y a même plus de législation en la matière, raison pour laquelle il nous semblait important... Je remercie mon préopinant libéral pour son discours. Lorsqu'il dit: «Pouvons-nous étendre cette résolution ?», c'est aussi un voeu de l'UDC, en raison duquel nous ne refuserons pas le renvoi en commission. Mais, de grâce, ne mélangeons pas les choses ! Pour une fois que c'est moi qui vous fait la leçon... Le virtuel d'internet est très dangereux. Et, en pédophilie, il ne souffre d'aucune exception !

Mme Isabel Rochat, conseillère d'Etat. C'est vrai que de mettre sur un pied d'égalité la recherche secrète et l'investigation secrète n'a pas clarifié et, surtout, n'a pas facilité le travail du policier. Et c'est dans ce sens que le Conseil d'Etat a répondu à la consultation fédérale et à la commission des affaires juridiques du Conseil national, en approuvant le contreprojet, afin de permettre à un policier de faire un achat virtuel - de drogue, par exemple - pour confondre un trafiquant ou d'entrer dans un chatroom, s'il s'agit de confondre un réseau pédophile.

J'ai eu l'occasion de me rendre chez Interpol, à Lyon, et j'ai vu des spécialistes faire un travail extraordinaire - le spécialiste mondial, si ça se trouve - un travail de recherche de pédophiles sur internet. Il y a des choses magnifiques qui se réalisent, et il n'y a aucune raison de ne pas donner à notre police les moyens de le faire ! J'encourage vivement le renvoi de cette résolution en commission, dans la mesure où, encore une fois, et au risque de me répéter, mon département prépare un projet de loi dans ce sens.

Le président. Je vous remercie, Madame la conseillère d'Etat. Nous sommes en procédure de vote. Nous allons nous prononcer sur le renvoi de la résolution 645 à la commission judiciaire et de la police.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 645 à la commission judiciaire et de la police est adopté par 65 oui contre 1 non et 9 abstentions.