République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 1 septembre 2011 à 8h
57e législature - 2e année - 10e session - 62e séance
M 1998
Débat
Le président. Je donne la parole à M. le député Antoine Droin.
M. Antoine Droin (S). Je me fais le porte-parole de M. Charbonnier - qui n'a pas encore pu assister à notre séance et nous rejoindra tout à l'heure - et je vous présente cette motion.
Le nombre de divorces a été en hausse en 2010: 11%, avec un total de 21 500 en Suisse. Le pays compte ainsi plus d'un divorce pour deux mariages, selon les chiffres publiés ce printemps par l'Office fédéral de la statistique. En 2009, c'est 8500 divorces qui ont touché en Suisse des ménages avec des enfants mineurs, ce qui fait qu'environ 14 000 d'entre eux sont concernés par le divorce de leurs parents. Entre 1969 et 2006, le nombre de mariages pour 1000 habitants a passé de 8,2 à 6,2 dans le canton de Genève. Mais, dans le même temps, le nombre de divorces pour 1000 habitants a passé de 1,8 à 3. Pourtant, les procédures de séparation et de divorce ne tiennent pas compte de cette évolution de la société, elles restent très juridiques, engendrent beaucoup d'affrontements et de tensions dans les familles concernées, ce qui est très douloureux, particulièrement pour les enfants. Trop souvent les avocats s'affrontent, les parents se disputent et les juges tranchent. Les décisions aboutissent fréquemment à des situations déséquilibrées pour les enfants et les parents, et coûteuses pour l'ensemble de la société. (Brouhaha. Le président agite la cloche.)
Or, des solutions existent pour instaurer une pratique focalisée sur le bien-être et l'intérêt des familles et des enfants. De bonnes pratiques existent en Suisse, en Europe et dans le monde. A ce titre, j'aimerais citer l'exemple de Cochem, en Allemagne, où depuis plus de quinze ans une coopération a été instaurée dans l'arrondissement de Cochem-Zell - entre les autorités juridiques, l'Ordre des avocats, le service de la protection des mineurs et les services spécialisés dans l'aide aux familles - pour amener les parents en conflit à trouver des solutions à l'amiable. L'utilisation des méthodes de résolution de conflits et la médiation sont les clés de ces procédures plus souples, beaucoup plus rapides et axées sur le bon sens et l'humain. Les institutions ne sont là que pour encourager les parents à assumer pleinement leurs responsabilités parentales conjointes. Grâce à un travail interdisciplinaire, le destin des enfants est mieux protégé et les heurts entre les parents diminuent de façon spectaculaire. On trouve à disposition des parents, dans ce réseau de compétences qui est spécialisé, des juristes, des psychologues, des travailleurs sociaux, des médiateurs et médiatrices. Grâce à ce dispositif, les enfants évoluent dans un cadre largement apaisé, malgré la séparation de leurs parents; ils gardent contact et sont associés au réaménagement de leur nouveau cadre de vie.
En Norvège, la médiation concernant les questions touchant à la famille est obligatoire lorsque des enfants de moins de 16 ans sont concernés. Les 80% de ces médiations mènent au succès. Un essai en Hollande a montré qu'un accord avait été trouvé, dans 61% des cas, par une médiation ordonnée.
Le président. Il vous reste dix secondes, Monsieur le député !
M. Antoine Droin. Oui, Monsieur le président ! En Amérique du Nord, une compilation d'études a démontré que, durant les vingt dernières années, 50% à 75% des procédures de médiation ont permis de trouver une entente entre les parents en rupture. Donc, à l'image du Tribunal des baux et loyers - je vais conclure par là - la création d'un Tribunal de la famille au sein du Tribunal civil ne demanderait pas l'élaboration d'une usine à gaz.
Dans cet esprit, nous vous recommandons d'accepter cette motion et de la renvoyer à la commission judiciaire, qui nous fera un rapport afin qu'on puisse reprendre ce sujet en plénière, au retour des travaux de la commission. Je vous remercie.
M. Guillaume Barazzone (PDC). Merci, Monsieur le président, de me donner l'occasion de remplacer mon collègue Vincent Maitre, pour vous parler de cette motion.
Le groupe démocrate-chrétien est opposé à cette motion et à son traitement en commission, pour trois raisons. La première, c'est que, vous le savez, la commission ad hoc Justice 2011 a traité de la question de la réorganisation judiciaire durant un certain nombre d'années, or le parti socialiste aurait eu tout loisir de faire cette proposition en temps voulu; l'organigramme de la justice est désormais définitif et cette motion arrive donc bien trop tard.
Sur le fond maintenant, deux raisons nous poussent à refuser cette motion. La première, c'est que, lorsque la droite proposait que l'on instaure un tribunal spécialisé dans le domaine des affaires, la gauche, et le parti socialiste en particulier, nous a dit qu'il ne voulait pas de spécialisation des tribunaux, qu'il voulait un Tribunal de première instance généraliste. Or, cette motion vient contredire la position du parti socialiste durant nos travaux en commission.
La deuxième raison, Mesdames et Messieurs, c'est que, par exemple, le parti socialiste mentionne la médiation. Il n'y a pas besoin de créer un Tribunal de la famille pour en faire usage. La législation actuelle et la pratique permettent déjà au juge de faire de la médiation, qui est en effet un instrument très utile pour régler les litiges et pour en prévenir un certain nombre. C'est pour cette raison que nous refuserons cette motion qui est en réalité une espèce de motion-gadget politique, puisque, sur le fond, je ne vois pas quels seraient véritablement les avantages qu'elle pourrait amener à notre système judiciaire et au règlement des litiges. Je vous invite donc, Mesdames et Messieurs, à refuser la motion.
M. Eric Bertinat (UDC). Si l'idée d'avoir un Tribunal de la famille paraît séduisante, je pense sincèrement qu'il ne faut pas tomber dans ce piège. Le Tribunal de la famille aurait pour but de s'occuper des affaires propres à la famille, soit des divorces, en grande majorité; il serait là pour prévenir des affrontements et des tensions dans les familles. Je crois que c'est là le problème. Le rôle du juge est de faire du droit, et non pas d'être un psychiatre. Il doit pouvoir rester neutre. Un divorce est une étape difficile dans la vie: pour les parents, parce que c'est un échec; pour les enfants, parce qu'ils voient leurs parents se séparer. Mais ce n'est pas au juge de se substituer au médecin, aux aides et aux autres personnes touchées par ce problème.
Dans la motion qu'a déposée notre collègue Charbonnier, il cite deux exemples: celui du Jura et celui de Fribourg. J'ai pris contact avec mes collègues UDC de ces deux cantons et j'ai obtenu les réponses suivantes. Pour le Jura, c'est le conseiller national Baettig qui me répond, lui-même psychiatre. Il m'explique avoir soutenu avec une conviction bien naïve un projet similaire, parce qu'il croyait que cela allait désengorger les tribunaux et faire baisser les coûts. Or il n'en est rien. Il me dit assister depuis 2010, depuis l'acceptation de cette loi par le parlement jurassien, à une nouvelle possibilité d'ingérence non responsabilisatrice de l'Etat.
Quant à Fribourg, le problème est encore plus simple, puisque c'est le parlement qui a refusé cette proposition, cela parce que le système en place fonctionne à satisfaction, voire très bien, de l'avis de la majorité. Selon les renseignements pris auprès des instances concernées, il n'y a pas de problème dans plus de 80% des procédures matrimoniales. Toutes ces raisons font que l'UDC refusera ce projet.
M. Olivier Jornot (L). Mesdames et Messieurs les députés, voilà un sujet extrêmement important que celui de savoir comment l'Etat, par le biais du système judiciaire, peut venir en aide aux familles qui éclatent et, surtout, comment il peut venir en aide aux enfants, qui sont évidemment les premiers touchés par les conséquences des séparations en question. C'est un sujet extrêmement important sur lequel nous avons déjà beaucoup évolué au cours des dernières années; l'idée selon laquelle le divorce est un combat qui vise à déterminer un vainqueur et un vaincu a été abandonnée depuis longtemps. Cela fait belle lurette que les tribunaux s'efforcent justement de travailler dans l'idée qu'il s'agit de faire en sorte qu'il y ait le moins de victimes possible et que l'enfant soit au centre de la solution qui sera trouvée.
Cette motion, qui vient donc renforcer par une goutte d'eau un torrent qui coule à flots depuis bien longtemps, commence par enfoncer des portes ouvertes. Elle nous dit qu'il faut qu'il y ait des services sociaux qui travaillent conjointement avec les tribunaux. C'est ce qui existe dans notre canton; les tribunaux sont assistés dans ce domaine, notamment par le service de protection des mineurs qui présente, comme de nombreux services de l'Etat, des carences, mais qui, dans tous les cas, par rapport au but recherché par la motion, concourt précisément à aider le juge à trouver la meilleure solution.
Cette motion enfonce une deuxième porte ouverte - c'est ce que mon collègue Guillaume Barazzone disait à l'instant - au moment où l'on vient d'avoir l'entrée en vigueur, au 1er janvier, d'un code de procédure civile qui met la résolution alternative des litiges, par la conciliation et la médiation, au coeur du processus; c'est un peu étrange de venir ensuite dire: «Nous, on trouverait sympa que l'on procède d'abord par le biais de la médiation.» Alors, autant on a un code de procédure pénale qui est un échec, autant celui de procédure civile, lui, dans ce sens, est une réussite, puisqu'il favorise non pas la solution tranchée, mais d'abord la solution négociée.
Enfin, Mesdames et Messieurs, à côté de ces portes ouvertes, cette motion vient trop tard. Elle vient trop tard, parce que nous avons largement réfléchi, au cours des dernières années, à l'organisation judiciaire de ce canton - je n'ai pas besoin de vous rappeler la saga que cela a représenté. Personnellement, s'il faut recommencer une commission ad hoc, je suis volontaire, mais je ne suis pas sûr que la volonté de ce parlement soit de s'y replonger et de refaire une réforme de l'organisation judiciaire genevoise.
Souvenez-vous, Mesdames et Messieurs, lorsqu'à l'époque nous avons suggéré de spécialiser une partie du Tribunal civil pour s'occuper des affaires économiques, eh bien, en effet, le parti socialiste nous a expliqué qu'il ne fallait surtout pas exagérer la spécialisation. Alors aujourd'hui, si l'on enlève du Tribunal civil les baux et loyers et, d'une manière générale, les prud'hommes...
Le président. Il vous reste dix secondes, Monsieur le député.
M. Olivier Jornot. ... de l'ensemble de la matière civile, il nous reste quoi ? Il nous reste un Tribunal de première instance qui est très largement un Tribunal de la famille, la moitié des causes qui y sont portées concernent ce domaine.
Bref, Mesdames et Messieurs, il n'est pas utile d'accepter cette motion. Je vous invite donc à la rejeter.
Mme Irène Buche (S). Je suis étonnée d'entendre dans la bouche de certains que cette motion serait un gadget politique, qu'on enfoncerait des portes ouvertes, alors que l'on sait très bien que la situation à Genève n'est pas satisfaisante. Actuellement, les juges qui s'occupent des affaires de la famille, au sein du Tribunal de première instance, font ce qu'ils peuvent avec les moyens qu'ils ont. Mais on sait très bien que la médiation et la conciliation prévues par le nouveau code de procédure civile ne sont pas obligatoires. On sait très bien aussi que les procédures continuent à se dérouler dans une logique de conflit et que rien n'est fait pour aider les parents ayant des discordes importantes à régler leurs rancoeurs et pouvoir envisager l'avenir. En fait, l'idée d'un Tribunal de la famille n'aurait pas comme but d'obliger les juges à ne faire que cela - car je crois que c'était aussi l'un des soucis de certains. Les juges pourraient très bien, à mon avis, dans le cadre de l'organisation du Tribunal civil, continuer à s'occuper d'autres affaires. Mais l'idée serait d'instaurer un travail vraiment multidisciplinaire au sein même du tribunal pour que, dès le départ et dans les plus brefs délais, une médiation soit instaurée de manière quasi obligatoire, sauf évidemment dans les cas où il n'y a pas de problème.
Aujourd'hui, il y a trop d'enfants qui souffrent de ces séparations; il y a trop d'enfants qui ne voient plus leurs parents et trop de parents, en particulier des pères, qui ne voient plus leurs enfants parce que les rancoeurs du passé n'ont pas été réglées. Aujourd'hui, la situation n'est pas satisfaisante, je vous le redis. Et il n'y a pas de problème à revenir sur une organisation, même si elle a été décidée il y a moins d'une année. Pourquoi ne pas remettre l'ouvrage sur le métier et se poser la question de l'instauration de mesures plus efficaces pour les procédures de divorce et de séparation ! Ce que je vous demande donc, c'est de renvoyer cette motion à la commission judiciaire, de sorte que cette dernière puisse l'examiner et faire un rapport au Grand Conseil, afin de voir si tout cela est faisable. Je vous demande donc le renvoi en commission. Je vous remercie.
Le président. Madame la députée, vous parlez d'un renvoi à la commission judiciaire ? (Mme Irène Buche acquiesce.) La parole est à Mme la députée Mathilde Captyn.
Mme Mathilde Captyn (Ve). Quelques mots par rapport à ma préopinante et à l'intervention de M. Droin. Vous avez mentionné la médiation, et la question que je me pose aujourd'hui est de savoir... Indépendamment de l'organisation de la justice, je crois qu'il faut prendre acte qu'un divorce ou qu'une séparation est toujours difficile. Je me demande bien, en fait, s'il est possible de forcer des gens à sortir d'un conflit. Est-ce qu'on peut obliger des gens, par la médiation, à régler des conflits ? Je ne le crois pas. Ou, en tout cas, cela me semble extrêmement délicat.
Quoi qu'il en soit, sur la question d'ouvrir le débat d'un Tribunal de la famille, eh bien, les Verts ont une position qui a déjà été exprimée par d'autres ici, c'est-à-dire que le débat a eu lieu en commission Justice 2011, il y a peu de temps. A l'époque, nous n'avions pas gardé cette solution parce que nous estimions que ce n'était pas la meilleure. C'est la raison pour laquelle nous ne renverrons pas cette motion à la commission judiciaire.
M. Mauro Poggia (MCG). Le groupe MCG a effectivement des doutes sur la nécessité d'instaurer un Tribunal de la famille. En tant que praticien du droit, j'ai quelques doutes également, puisque les tribunaux actuels travaillent, à mon avis, assez bien dans ce domaine. Mais ce n'est pas une raison, à mon sens, pour rejeter cette proposition, comme certains le font. Et je suis particulièrement surpris que le parti démocrate-chrétien considère que le sujet de la famille ne mérite pas quelque attention.
Il est vrai que, récemment, une commission ad hoc s'est penchée sur l'adaptation de notre droit cantonal au droit fédéral et que l'organisation des tribunaux, en particulier, a été examinée. Mais, contrairement à ce que nous a dit le représentant du PLR, je ne crois pas, pour avoir fait partie de cette commission, que la question d'un Tribunal de la famille ait été tout particulièrement examinée. Il s'agissait plutôt d'adapter le droit cantonal au nouveau droit fédéral; et l'instauration d'un nouveau tribunal, puisque c'est ce qu'on nous demande en matière de droit de la famille, n'a pas fait l'objet d'examen.
C'est la raison pour laquelle, compte tenu de l'importance de ce sujet, nous considérons ne pas pouvoir le balayer d'un revers de main - comme le font certains - et que cela mérite évidemment que l'on s'y penche, en entendant des praticiens, des spécialistes et - pour répondre à l'UDC - aussi, effectivement, des psychologues, ce que ne doivent pas être les juges. Mais nous savons que, dans ce domaine, ces derniers doivent s'aider de l'avis de psychologues.
Voilà pourquoi le groupe MCG demandera le renvoi de cette proposition de motion à la commission judiciaire. Je vous remercie.
Le président. La parole n'étant plus demandée, nous allons, dans un premier temps, nous prononcer sur le renvoi de cette motion à la commission judiciaire.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1998 à la commission judiciaire et de la police est rejeté par 47 non contre 27 oui et 1 abstention.
Le président. Nous passons au vote sur la motion 1998.
Mise aux voix, la proposition de motion 1998 est rejetée par 51 non contre 26 oui et 1 abstention.