République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1984
Proposition de motion de Mmes et MM. Jacques Jeannerat, Michel Ducret, Jean Romain, Pierre Conne, Frédéric Hohl, Patricia Läser, François Haldemann, Gabriel Barrillier, Pierre Weiss, Francis Walpen, Nathalie Schneuwly, Fabienne Gautier pour une loi sur l'intégration fondée sur l'équilibre des droits et devoirs et sur l'adhésion aux valeurs fondamentales de Genève

Débat

M. Jacques Jeannerat (R). Mesdames et Messieurs les députés, Genève est une terre d'immigration, mais elle ne l'a pas toujours été. La Genève de Calvin n'a ouvert ses portes qu'aux Huguenots, donc à des personnes qui avaient en partage avec Genève une même religion. Qui plus est, ce furent surtout des Huguenots argentés qui trouvèrent portes ouvertes. Pour les autres, on accordait un asile de trois jours, après quoi ils devaient quitter la cité. Nous n'en sommes plus là, heureusement. Ce ne sont pas moins de 21 000 permis B et C qui ont été délivrés à Genève ces quatre dernières années. Nous avons besoin, comme toute l'Europe, de cet apport. Sans immigration, notre économie ne tournerait pas, nos assurances sociales seraient en faillite.

Avec la globalisation, les immigrés proviennent désormais de pays et de cultures très éloignés des nôtres. Migrer n'est jamais une chose simple. Cela nécessite de s'adapter à la législation, à la langue, au système scolaire et au système de santé. Notre loi sur l'intégration a un mérite: celui d'avoir institué le Bureau de l'intégration des étrangers, qui fournit un travail important. Mais comme l'a dit André Castella, délégué à l'intégration, devant la commission des Droits de l'Homme, il manque toujours une véritable politique d'intégration cantonale visant à une organisation transversale dans l'ensemble des départements de l'Etat et impliquant les entreprises et la société civile. En d'autres termes, la loi actuelle ne définit aucune politique. Elle ne décrit pas ce qu'est concrètement l'intégration.

Les principes qu'énonce cette motion nous concernent tous: le respect de la démocratie, l'égalité hommes-femmes, le libre choix de sa religion, de son mode de vie, etc. Autre lacune: le Bureau de l'intégration dépend du département de la sécurité et de la police... C'est révélateur. En travaillant à une refonte de la loi sur l'intégration, comme le propose notre motion, le Conseil d'Etat pourrait enfin s'apercevoir que l'intégration n'est pas un travail de police. Cette dernière ne doit intervenir que lorsque l'intégration a échoué.

Mesdames et Messieurs, le contrat d'intégration, qui est l'une des possibilités évoquées par la motion, aurait le mérite de faire comme l'Hospice général depuis 2007, via le contrat d'aide sociale individuel, soit de demander à chaque personne les efforts qu'elle est en mesure de fournir et de lui proposer l'aide dont elle a besoin.

En demandant à notre commission des Droits de l'Homme d'étudier cette motion, vous reconnaîtrez deux choses: d'abord, que l'immigration est essentielle pour notre canton; ensuite, qu'elle suppose que l'on définisse une véritable politique d'intégration.

Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, la proposition de motion présentée aujourd'hui ne rencontre pas du tout le soutien des Verts. En effet, si nous pensons que l'accueil des nouveaux migrants devrait être amélioré, le dispositif présenté ne nous semble pas adéquat, et nous jugeons ces propositions trop stigmatisantes et peu réalistes. Cette motion recommande notamment de conclure des contrats d'intégration avec les nouveaux arrivants ou avec des personnes établies ne maîtrisant pas le français... Certes, nous sommes convaincus que l'apprentissage du français est un facteur d'intégration important pour tout migrant, mais la contrainte et la menace, via le permis d'établissement, ne sont pas des méthodes que nous approuvons.

De plus, Mesdames et Messieurs les motionnaires, comment pensez-vous convaincre les employés des multinationales ne parlant que l'anglais de prendre des cours de français ? Ou encore les employés de l'ONU ? Il faut être réaliste, cela n'est guère faisable. La structure même de l'immigration à Genève rend fort difficile la conclusion de tels contrats. Mais vous, les motionnaires, le savez fort bien ! Et cette motion vise donc uniquement les migrants pauvres, en les stigmatisant davantage. Ceci n'est pas acceptable pour les Verts.

La motion parle encore de déficit d'intégration. Certes, il existe des personnes souffrant de problèmes d'intégration dans notre société, mais cela peut concerner également des Suisses, et pas uniquement des étrangers. Les Verts sont donc en faveur de mesures bénéficiant à tous, et pas seulement à une catégorie de personnes.

Pour toutes les raisons évoquées, les Verts ne peuvent soutenir cette motion et demandent son renvoi à la commission des Droits de l'Homme. En effet, nous aimerions entendre le Bureau de l'intégration sur ce sujet, ainsi que les associations travaillant avec les migrants. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. Juste pour votre information, Mesdames et Messieurs, le renvoi à la commission des Droits de l'Homme a déjà été demandé. Alors si chaque intervenant présente cette même demande... On va gagner du temps ! La parole est à Mme la députée Irène Buche.

Mme Irène Buche (S). Merci, Monsieur le président. Les socialistes appuient bien évidemment toute mesure pouvant favoriser l'intégration des étrangers à Genève, en particulier par l'apprentissage du français. Il nous est toutefois impossible d'accepter une telle motion, qui repose sur des bases inadmissibles. Elle préconise en particulier l'obligation de conclure des conventions d'intégration entre l'Etat de Genève et les migrants, je cite, «présentant un potentiel accru de déficit d'intégration, à savoir les nouveaux migrants et les migrants établis ne maîtrisant pas encore le français». D'autre part, dans l'exposé des motifs, il est question de migrants au profil caractérisé par les termes «chômage», «aide sociale», «criminalité», «surendettement», «problèmes scolaires». (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Ces propos sont stigmatisants, discriminatoires et inacceptables. Ils sont, de surcroît, contradictoires et incompréhensibles, du moins à première vue.

A lire la première invite, les motionnaires semblent considérer que tous les nouveaux migrants et les migrants établis ne maîtrisant pas encore le français présentent un potentiel accru de déficit d'intégration. Les motionnaires veulent-ils donc dire qu'il faut également faire conclure des conventions d'intégration aux employés de multinationales ou aux fonctionnaires internationaux ? Bien sûr que non ! Leur réponse est claire: le secrétaire général du parti radical a déclaré, dans la «Tribune de Genève» du 14 janvier 2011, qu'un tel dispositif ne saurait s'appliquer aux ressortissants de l'Union européenne... (Brouhaha.) ...et que seuls seraient concernés les Extra-Européens. Mais pas tous, bien évidemment ! Car il n'est pas question de contraindre les membres de la Genève internationale à passer de telles conventions... On est donc confrontés à une discrimination entre deux catégories d'étrangers: ceux en provenance des pays riches et ceux en provenance des pays pauvres. C'est inacceptable.

Il faut par ailleurs rappeler que le PL 10144, proposant la conclusion de conventions d'intégration avec les nouveaux arrivants de l'étranger, a été refusé par ce parlement, à une claire majorité, il y a peu de temps, soit en janvier 2011. Devant la commission des Droits de l'Homme, le délégué à l'intégration avait expliqué ne pas être favorable à une telle proposition et avait plutôt recommandé des mesures incitatives fortes, ce qu'il est d'ailleurs en train de mettre en place. De nombreuses actions sont en cours, et le Bureau de l'intégration des étrangers fait un excellent travail. Le délégué avait également jugé le dispositif trop contraignant et son application onéreuse et compliquée.

Le président. Il vous reste quinze secondes, Madame la députée.

Mme Irène Buche. Cela va être très rapide. Les socialistes vous invitent simplement à refuser cette motion.

M. Eric Bertinat (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, la notion d'intégration, telle que pratiquée à Genève depuis plusieurs années, me semble complètement dépassée. Les grandes explications que vient de nous donner notre collègue socialiste m'invitent vraiment à le penser. Cette vision de l'intégration, voulant absolument aller au-devant des étrangers, n'a plus sa raison d'être aujourd'hui dans notre canton, vu l'importance qu'y a prise l'immigration.

Quand on veut parler d'intégration, il faut avoir la possibilité de s'intégrer. Avec un grand nombre d'étrangers tel que nous le connaissons aujourd'hui à Genève, ces étrangers - pour certains d'entre eux, je veux quand même le préciser - ont toutes les possibilités pour ne pas s'intégrer. En effet, ils ont un nombre suffisant de collègues, d'amis et de la famille provenant de leur milieu; ils peuvent regarder les chaînes de télévision propres à leur culture ou à leur nationalité; leurs enfants, qui fréquentent nos écoles, retrouvent leur communauté une fois qu'ils sont chez eux. Car il y a maintenant vraiment des communautés à Genève ! Ainsi, ils ont tout sauf la possibilité, la facilité de s'intégrer, comme on pouvait encore l'imaginer il y a quelques années.

Devant ce fait assez nouveau - et il nous prendra certainement des années avant de l'admettre et de trouver des solutions - la motion présentée peut en offrir une qui permettrait de sortir du carcan de l'intégration telle qu'on la conçoit aujourd'hui et qu'on pense être la bonne solution pour tous les étrangers vivant à Genève. On se flatte de pouvoir faire les choses, alors que, sincèrement, l'intégration ici à Genève ne fonctionne pas. Une intégration qui fonctionne, pour l'UDC, reste une assimilation: c'est, à la longue, des étrangers qui s'adaptent réellement à nos us et coutumes et qui ont envie de devenir suisses. Or, jusqu'à présent, je prétends que l'intégration, telle qu'elle est pratiquée, empêche de parvenir à cette assimilation, que la gauche, en particulier, ne veut pas.

Alors, ce que nous proposent nos collègues libéraux - si mes souvenirs sont bons, il y a quatre ou cinq ans, c'est Me Halpérin qui l'avait suggéré, du moins nous en avions discuté en commission des Droits de l'Homme, et cela n'avait pas rencontré, il faut l'avouer, une réponse très favorable...

Le président. Il vous reste quinze secondes, Monsieur le député !

M. Eric Bertinat. ...au point que nous avions gelé cette idée. Or elle revient à présent, plusieurs années après. L'UDC votera favorablement le renvoi de cet objet à la commission des Droits de l'Homme, tel que demandé.

M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, nous assistons ce soir au plus grand tour d'hypocrite de ces deux jours de session parlementaire. Le PLR, fraîchement né sur la scène politique, a déposé cette motion pour l'intégration. Or il y a exactement un an, lors de l'examen du budget du Grand Conseil en commission des finances, le MCG a demandé d'augmenter de manière drastique les sommes allouées à l'intégration des nouveaux migrants: cela a été refusé. Devinez par qui ! Vous avez trouvé ? (Remarque.) Le PLR ! Le PLR s'est opposé... (Brouhaha. Le président agite la cloche. Commentaires.) Oui, excusez-moi... Excusez-moi ! Ceux qui sont, du reste, aujourd'hui un peu illégaux ! Donc cela a été refusé par les radicaux et les libéraux ! (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Et aujourd'hui, ils viennent nous servir la soupe, en disant qu'il faut mettre les moyens pour intégrer les nouveaux migrants ! Mais franchement, quelle hypocrisie ! Reprenez le Mémorial ! Pour ceux qui nous écoutent, c'est facile: sur le site internet de l'Etat de Genève, vous tapez «Mémorial du Grand Conseil», puis vous consultez les séances consacrées au budget 2011. Même en plénière, nous sommes venus renégocier cela pour augmenter les crédits pour l'intégration. Et qui s'y est opposé ? Eh bien, vous le verrez sur le site du Mémorial du Grand Conseil ! Vous êtes des hypocrites ! (Exclamations. Commentaires.) C'est tout ce que vous êtes ! Mais écoutez, quand on veut faire de l'intégration, il faut s'en donner les moyens ! Alors, quand on vous donne la possibilité d'augmenter les crédits, ne faites pas - excusez-moi - les «culs pincés», les radins... (Exclamations. Le président agite la cloche.) Et ce n'est pas dans le sens péjoratif, bien sûr, c'est imagé ! Alors donnez cette possibilité ! A Genève, il y a plus de 40% d'étrangers: donnons les moyens de l'intégration. L'intégration, cela passe par l'apprentissage de la langue française. Eh bien, au risque de vous surprendre - car nous, nous ne sommes pas dogmatiques - nous allons soutenir votre motion et le renvoi en commission. (Brouhaha.)

Par contre, je mettrai quand même un carton rouge aux socialistes, qui eux prônent l'intégration. Si ce texte des radicaux-libéraux - du PLR, peu importe - a des relents... Comment avez-vous dit ?

Une voix. Nauséabonds !

M. Eric Stauffer. ...des relents nauséabonds, ou je ne sais plus quel terme vous avez employé...

Le président. Il vous reste vingt secondes, Monsieur le député !

M. Eric Stauffer. Eh bien franchement, les socialistes, je pense que, là, vous décevez directement votre électorat ! Cette motion doit aboutir ! Même si je viens de mettre en évidence la contradiction des libéraux et des radicaux.

Le président. Il vous reste dix secondes, Monsieur le député.

M. Eric Stauffer. Je conclus. Donc je vous demande, pour la solidarité et l'intégration, de soutenir aussi cette motion, de même que son renvoi en commission, afin qu'on puisse l'étudier et peut-être remettre encore une fois face à leurs contradictions ces deux partis aujourd'hui mariés, pour le meilleur mais surtout pour le pire !

Des voix. Bravo !

Mme Anne-Marie von Arx-Vernon (PDC). Comme vous le savez, Mesdames et Messieurs les députés, parler de l'intégration, pour le parti démocrate-chrétien, est tout à fait aisé: nous avons un très bel historique, grâce à des personnes comme Guy Fontanet, Dominique Föllmi ou Denise Kessler. Depuis plus de quarante ans, l'intégration a été globalement réussie grâce à tout ce qui a été mis à disposition. Néanmoins, des éléments nous intéressent dans cette motion, et je vais vous dire pourquoi. (Brouhaha.) Le principe de contrat d'intégration n'est pas discriminatoire ou désobligeant. Beaucoup de migrants eux-mêmes le demandent, parce que certains se trouvent en difficulté lorsqu'ils n'ont pas été suffisamment accompagnés et lorsqu'ils n'ont pas compris que cela pouvait être parfois même une obligation.

Les éléments les plus déterminants se trouvent généralement au niveau des familles et des parents, lorsque les enfants - qui eux vont à l'école - bénéficient de l'apprentissage de la langue, et que leurs parents n'ont pas accès à cette connaissance linguistique, ni surtout à celle de nos institutions. Alors les enfants deviennent les parents de leurs parents, et l'on se trouve dans un système devenu extrêmement pervers et inversé: ce sont les enfants qui commandent à la maison, car ils ont la maîtrise de la langue et la connaissance de nos institutions; cela entraîne un décalage dont les parents migrants sont les premiers à se plaindre. Et lorsqu'on leur explique que cela peut être mis à leur disposition, ils demandent que ce soit obligatoire. Vous savez qui le demande ? Ce sont les femmes ! Parce qu'en ce moment deux éléments particulièrement complexes interviennent dans le processus d'intégration, devenu difficile. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Merci, Monsieur le président ! C'est qu'aujourd'hui, dans certains cas, l'égalité hommes-femmes n'est absolument pas comprise comme nous le souhaitons dans nos valeurs. Et il y a une émergence de mariages forcés existant dans certaines communautés, ce que nous ne pouvons pas tolérer, bien évidemment. Donc nous avions déposé un projet de loi, qui n'a peut-être pas été suffisamment bien compris, et nous sommes ravis que les radicaux reprennent des éléments qui nous tiennent effectivement très à coeur.

Le président. Il vous reste vingt secondes, Madame la députée.

Mme Anne-Marie von Arx-Vernon. Pour conclure, nous souhaitons renvoyer la motion à la commission des Droits de l'Homme pour que, cette fois, incitation et obligation ne soient pas opposées, mais qu'on se rende compte que, dans certains cas, l'obligation est un moyen de soutenir les gens qui ne peuvent pas le demander eux-mêmes.

Mme Isabel Rochat, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je ne peux que saluer la décision de renvoi en commission. Si, effectivement, la politique d'intégration nécessite un cadre fédéral, et à cet effet, pour le 1er janvier 2014, une convention-cadre d'intégration spécifique - je dis bien «spécifique», et non globale - devra être élaborée, je crois qu'il faut insister sur le fait que l'intégration passe avant tout par une politique qui est menée au niveau des cantons. C'est en tout cas la position de la CdC de janvier 2011.

J'aimerais aussi rappeler une chose. Je ne peux pas laisser dire que la politique d'intégration du canton de Genève est mauvaise. C'est une bonne politique d'intégration, mais, au vu des nouvelles réglementations fédérales, il est important de pouvoir étudier ce problème en commission, et je vous en remercie.

Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Nous sommes donc saisis de multiples demandes de renvoi à la commission des Droits de l'Homme.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1984 à la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) est adopté par 70 oui contre 5 non et 7 abstentions.