République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 10783-A
Rapport de la commission ad hoc Justice 2011 chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Christian Dandrès, Irène Buche, Loly Bolay, Roger Deneys, Anne Emery-Torracinta, Jean-Louis Fazio modifiant la loi d'application du code civil suisse et autres lois fédérales en matière civile (LaCC) (E 1 05)

Premier débat

Mme Mathilde Captyn (Ve), rapporteuse. Puisque cette procédure de traitement accélérée de nos objets s'éternise un peu, je vais en profiter aussi pour faire la lumière sur le projet de loi 10783, car, me semble-t-il, le sujet politique en vaut le détour.

Je vais retracer brièvement l'historique de ce projet de loi. La question de la publication des transactions immobilières dans la FAO a été abordée au moment de l'étude de la loi d'application du nouveau code civil, l'automne dernier, dans le cadre des travaux de la commission ad hoc Justice 2011. Or, une partie de la commission a pensé qu'elle avait été induite en erreur quant au fait de pouvoir toujours avoir accès aux montants des transactions immobilières publiés dans la FAO. C'est pour cela que, malgré quelques abstentions à ce moment-là, les publications des transactions immobilières n'ont plus eu de base légale dès l'entrée en vigueur de la loi d'application du code civil, le 1er janvier 2011. Elles ont ainsi disparu et un article dans la «Tribune de Genève» a mis le feu aux poudres, ce qui a abouti, très peu de temps après, au dépôt du présent projet de loi, par les socialistes, afin de revenir sur la question.

La commission, pour étudier ce projet de loi, a procédé à diverses auditions; évidemment, les auteurs du projet de loi, l'Office cantonal de la statistique, la Chambre immobilière genevoise, le Ministère public, le département des constructions et des technologies de l'information et le département de la sécurité, de la police et de l'environnement. Ces auditions nous ont permis de constater que les publications des transactions immobilières dans la FAO étaient un outil utile, principalement aux yeux des défenseurs des locataires, du Ministère public et de l'OCSTAT. Mis à part les défenseurs des locataires, les auditionnés ont aussi indiqué qu'ils pourraient s'en passer sans dysfonctionnement majeur de leurs activités.

Trois arguments principaux ont été avancés dans la volonté de revenir à la publication des transactions immobilières. D'abord, la défense des locataires, car les publications permettent d'évaluer si le loyer est potentiellement abusif ou pas. Elles permettent aussi de déterminer si une procédure judiciaire est utile ou non, ce qui fait économiser, bien sûr, de l'argent aux locataires et du temps aux juridictions concernées. Ensuite, il y a l'importance des statistiques sur le marché de l'immobilier, pour lutter contre la cherté des prix; la publication a donc un effet antispéculatif. Enfin, il y a la lutte contre le blanchiment, les publications immobilières permettant en effet de détecter des indices potentiels de criminalité financière.

Les personnes qui n'étaient pas convaincues par le retour aux publications des transactions immobilières ont fait remarquer que, dans les trois cas où la publication de ces transactions paraissait utile aux uns, il était possible de trouver les informations recherchées ailleurs que dans la FAO. En effet, sur la question du blanchiment d'argent, les enquêtes sont principalement menées grâce au travail des intermédiaires financiers, et non pas par l'information de la FAO. Dans le cas de la défense des locataires, il ne leur a pas paru possible de vérifier le rendement potentiellement excessif d'un immeuble grâce à la publication des transactions immobilières. Quant à la question de la transparence du marché de l'immobilier, elle est rendue possible grâce au travail de l'OCSTAT.

Ainsi, la plupart des groupes étaient, dans un premier temps, opposés au retour aux publications, mais, au fur et à mesure de l'avancement de nos travaux, une majorité s'est dessinée en faveur du retour aux publications des transactions immobilières dans la FAO, avec seulement, pour terminer, trois abstentions.

Pour conclure sur une métaphore qui résume bien ce débat, je me permettrai de citer les termes d'un commissaire qui se reconnaîtra: «Par analogie, tous les prix sont affichés à la Migros. La transparence des prix est donc un élément fondamental dans la lutte contre la cherté. Or, dans l'immobilier, il n'y a pas de prix affiché. La seule manière de le faire est de les publier dans la FAO. Autrement dit, dans le magasin de l'immobilier, il faut pratiquer l'affichage des prix comme dans tous les magasins de la planète.»

C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs les députés, la majorité de la commission ad hoc Justice 2011 vous engage à accepter ce projet de loi.

M. Christian Dandrès (S). Comme le Conseil d'Etat s'impatiente, je serai bref. Le parcours de ce projet de loi, Mesdames et Messieurs les députés, cela a été dit, est une véritable saga... Vous vous souvenez de ce qu'il y a bientôt une année, la majorité de la commission ad hoc Justice 2011 avait, sur demande et sur proposition de la Chambre immobilière genevoise, supprimé l'obligation de publier les transactions immobilières dans la «Feuille d'avis officielle». Lorsqu'on connaît le poids politique de cette institution, on comprend qu'il y a eu un effet d'aubaine ! La Chambre, d'ordinaire, sait effectivement récompenser ses loyaux sujets...

En supprimant la publication des transactions immobilières, la majorité de la commission a jeté un voile pudique sur la situation catastrophique du marché immobilier genevois et sur la bulle spéculative qui est en train de se dessiner. Or, nul besoin d'être grand prophète pour deviner l'impact de cette décision sur la protection des locataires, cela a été dit, et sur la poursuite de la délinquance en col blanc.

Et c'est en sens, Mesdames et Messieurs les députés, que ce projet est un symbole de la revanche d'une certaine droite qui n'hésite pas à sacrifier les fondements de sa pensée économique sur l'autel du syndicalisme politique. Invoquer la protection de la sphère privée pour refuser la transparence du marché, c'est ranger Smith au vestiaire !

Mesdames et Messieurs les députés, je tiens encore à signaler que, dans cette affaire, les fondamentaux politiques ne sont pas les seuls à avoir souffert. J'aimerais préciser à cet égard que notre collègue Loly Bolay a fait injustement les frais d'un choix politique scandaleux qu'elle avait combattu, et je voudrais lui rendre hommage et la remercier pour le travail admirable qu'elle a effectué en faveur des locataires, au sein de la commission ad hoc Justice 2011. (Applaudissements.)

Le président. Après ce vibrant plaidoyer, la parole est à M. le député Mauro Poggia.

M. Mauro Poggia (MCG). Je vous remercie, Monsieur le président. Chers collègues, le MCG soutiendra évidemment la réintroduction de la publication des ventes immobilières dans la FAO, mais nous devons néanmoins à l'honnêteté de reconnaître que nous sommes perplexes. Nous n'avons pas l'habitude de manier la langue de bois, et nous vous dirons exactement ce que nous pensons de la méthode politique qui vise à faire plaisir aux électeurs en introduisant une disposition alors que tous ceux qui ont réellement examiné la chose sont intimement convaincus que cette publication ne résoudra pas les problèmes qu'elle est censée résoudre.

Eviter l'augmentation des prix dans le marché immobilier... Au contraire ! Si vous savez que votre voisin a vendu sa parcelle à un prix surfait, vous allez essayer de faire encore mieux que lui et demander un montant plus élevé à celui qui serait intéressé par la vôtre. Donc, effet contraire !

Lutte contre le blanchiment. Si notre procureur, qui, en commission, nous a indiqué n'avoir jamais interpellé le Registre foncier pour obtenir des renseignements sur une vente, attend les dénonciations de quidams internautes pour essayer d'épingler des blanchisseurs d'argent, où va notre société ? Manifestement, ce but n'est pas atteint par cette publication.

Enfin, protection des locataires. Mesdames et Messieurs les défenseurs des locataires, vous savez comme moi, à moins de lire la FAO et de tenir des registres privés dans vos ordinateurs, que lorsqu'une hausse de loyer est présentée par un client, vous allez demander au Tribunal, au bailleur, qu'ils produisent l'acte d'acquisition du bien, et quelle est la part des fonds propres qui ont été investis pour l'acquisition de ce bien, afin de vérifier que le rendement n'est pas excessif. Donc, ce n'est pas en regardant la FAO que vous allez savoir - puisque les hypothèques qui sont souscrites pour cette acquisition n'y sont pas mentionnées - si le propriétaire a réalisé un bénéfice qui serait immoral, choquant, excessif, en tout cas selon la loi.

Donc, cette disposition va servir les courtiers immobiliers, qui pourront s'assurer, une fois effectuée la résiliation de leur mandat, que le vendeur ne leur est pas passé par-dessus la tête pour vendre malgré tout ce bien immobilier. Elle va servir les mêmes courtiers immobiliers, qui pourront sonder le marché immobilier et proposer des prix de vente pour les terrains ou biens immobiliers qui leur sont proposés, mais, pour le reste, elle ne servira à rien, si ce n'est à assouvir la curiosité de certains.

Peut-être pourrait-on aussi introduire dans la FAO l'obligation de mentionner les personnes qui achètent des voitures de luxe et les moyens avec lesquels elles le font.

M. Guy Mettan (PDC). Je voulais compléter le rapport - excellent, au demeurant, naturellement - de Mme Captyn, qui explique beaucoup de choses intéressantes.

Il faut peut-être rappeler que, au début, ce projet de loi était assez mal parti, car il n'y avait pas de majorité évidente pour le soutenir et que, s'il est bien arrivé, c'est surtout grâce au parti démocrate-chrétien... (Rires. Exclamations.) ...qui, je le précise pour M. Jornot aussi... (L'orateur est interpellé.) Je savais qu'en disant cela j'allais tout de suite capter votre intérêt ! Merci de l'avoir relevé ! En effet, dès le départ, notre parti a affiché son soutien à la transparence des prix et à la publication des noms. C'est une décision d'ensemble, et Mme Bolay peut aussi confirmer ce point de vue. Nous avons été le défendre en commission et nous avons, ensemble, réussi à convaincre une majorité de cette commission qu'il fallait soutenir la publication des noms.

Ce n'est pas pour satisfaire la vilaine curiosité des gens que nous avons voulu cela, mais, au contraire, pour défendre deux principes. Le premier, c'est la transparence des prix, la transparence du marché. Dans une économie authentiquement libérale - il faut relire Adam Smith pour le savoir, et je vous recommande de le faire - il faut que les marchés soient complètement transparents. Et la condition de la transparence d'un marché - Mesdames et Messieurs, vous le savez comme moi - c'est l'affichage des prix ! A la Migros, effectivement, les prix sont affichés; et il n'y a pas de raison que les prix soient affichés dans tous les domaines sauf dans le domaine immobilier ! Cela parce que, justement, nous croyons aux vertus de l'économie libérale authentique.

La deuxième chose, c'est que cette mesure a également un effet antispéculatif. Cela avait été rétabli à la fin des années 80, lorsque la spéculation immobilière était prépondérante à Genève - c'était une des raisons, ce n'était pas la seule effectivement, et ce n'était peut-être pas la plus efficace. Quoi qu'il en soit, la transparence des prix et l'affichage des noms des personnes concernées - qui achètent des biens à des prix que l'on peut estimer surfaits ou qui revendent le même objet immobilier six mois après, en réalisant une plus-value de 30%, comme c'était le cas à la fin des années 80 - ont un effet modérateur. Et alors même que certaines banques - la Banque nationale, en particulier - s'inquiètent d'une éventuelle surchauffe du marché immobilier, le retour à cette transparence est un élément qui nous paraît intéressant. Voilà pourquoi nous avons soutenu ce projet de loi.

Mme Isabel Rochat, conseillère d'Etat. Je serai très brève. Je ne suis pas compétente en matière de protection des locataires, d'autres le font bien mieux que moi. En revanche, j'aimerais tout de suite vous dire qu'il est illusoire de penser - cela a été dit précédemment - que la publication des transactions immobilières dans la FAO aura le moindre effet en matière de blanchiment ou de défense des locataires.

Pour ce qui est de la publication en elle-même, on n'a pas besoin de la FAO. Puisque l'autre un jour, en pleine page de la «Tribune de Genève» du week-end, on a appris qu'une commune avait, sur son territoire, un nouvel acquéreur. Cet article a eu des effets désastreux en termes de politique pénale, sachant que le frère de cet acquéreur avait été pris à partie, et son neveu pris en otage, il y a de cela une dizaine d'années. Bien entendu, cela a énormément inquiété lesdits propriétaires. Donc, toute publication n'est pas souhaitable. Dans un tel cas, je ne la soutiendrai évidemment pas.

Cette publication me paraît totalement inutile, mais si cela peut rassurer...

Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous soumets la prise en considération du projet de loi 10783.

Mis aux voix, le projet de loi 10783 est adopté en premier débat par 55 oui contre 13 non et 6 abstentions.

La loi 10783 est adoptée article par article en deuxième débat et en troisième débat.

Mise aux voix, la loi 10783 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 56 oui contre 12 non et 6 abstentions.

Loi 10783