République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 10079-A
Rapport de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi constitutionnelle de MM. Eric Stauffer, Roger Golay, Sébastien Brunny modifiant la Constitution de la République et canton de Genève (A 2 00) (Obligation de résidence sur le canton de Genève pour les conseillers d'Etat et les députés au Grand Conseil)

Premier débat

Mme Emilie Flamand (Ve), rapporteuse. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi a déjà quelques années, et la rapporteure a pris un peu son temps pour faire son travail. Ce projet concerne les droits politiques, et plus précisément le fait que, actuellement, notre constitution permet aux citoyens vivant à l'étranger d'être élus à Genève. Les auteurs de ce projet de loi considèrent que c'est inacceptable, ils ont donc rédigé un projet pour modifier la constitution. La commission des droits politiques l'a étudié avec intérêt, car la question est intéressante: c'est effectivement une particularité genevoise, qui est peut-être due à la configuration géographique de notre canton.

Suite aux auditions, le conseiller d'Etat Laurent Moutinot a proposé de modifier le règlement d'application de la loi sur l'exercice des droits politiques, en y ajoutant l'exigence d'annoncer le lieu de domicile des candidats dans la «Feuille d'avis officielle», les bulletins de vote et les listes officielles de candidats. Ainsi, les électeurs peuvent faire leur choix en toute connaissance de cause.

A l'exception de celui qui a déposé ce projet de loi, tous les groupes se sont déclarés satisfaits par cette solution, qui a d'ailleurs été mise en oeuvre depuis. Je vous engage donc à suivre l'exemple de la commission des droits politiques et à refuser ce projet de loi.

Présidence de M. Pierre Losio, premier vice-président

M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, il y a quelque chose qui ne joue pas dans notre Constitution fédérale. La preuve, c'est le projet de loi que le MCG a déposé. Prenons en considération - par pure hypothèse - qu'à Genève il n'y ait plus assez de logements et qu'un citoyen genevois doive aller habiter juste à la frontière genevoise, mais dans le canton de Vaud. Il a donc son centre d'intérêt sur Genève, il est actif en politique et désire se présenter comme candidat à la députation pour siéger parmi nous. Eh bien, il ne serait pas éligible ! Pourquoi ? Parce qu'il réside dans le canton de Vaud. C'est la Constitution fédérale ! En revanche, le même citoyen qui habiterait à Annemasse, Annecy ou Grenoble, qui serait donc un citoyen «frontalier» - entre guillemets - pourrait, lui, se présenter et siéger dans notre Grand Conseil en qualité de député.

Nous trouvons donc que la situation actuelle est discriminatoire par rapport aux Suisses qui habiteraient juste à côté de Genève, mais dans le canton de Vaud, et qui ne pourraient pas se présenter au Grand Conseil genevois, alors qu'une personne qui habiterait en France et qui aurait donc son centre d'intérêt dans un pays étranger, avec une législation qui n'a rien à voir avec les Genevois, pourrait être élue. Voilà aujourd'hui le bug que le MCG porte à votre connaissance.

Nous exigeons donc simplement que tout député et/ou conseiller d'Etat ait l'obligation de résider auprès de ses électeurs, pour être au plus proche de leurs préoccupations. (Brouhaha.) Cette démarche est légitime ! On voit déjà, Mesdames et Messieurs, que, bien que certains membres du gouvernement habitent dans le canton, ils ne sont plus du tout proches des préoccupations des Genevois, notamment... (Brouhaha.) Monsieur le président, il y a un peu de bruit, on entend des vélos dans la salle des Pas-Perdus; c'est assez désagréable, je dois dire, d'entendre des gens qui crient ! Mais bon, c'est égal, je peux aussi parler un peu plus fort.

Donc résultat des courses, Mesdames et Messieurs, nous demandons simplement une équité de traitement vis-à-vis de tous les Suisses qui sont éligibles, qu'ils résident sur le canton de Genève, près de leurs électeurs; et ne fabriquons pas des députés qui pourraient être influencés par le système français, favorisant ainsi l'arrivée encore plus massive de frontaliers et d'automobilistes qui viendront causer de plus nombreux bouchons encore à Genève. En effet, on l'a vu, il fut dans l'autre législature un député qui habitait en France et avait déposé une motion ou une résolution - je ne me souviens plus - afin que la route de Meyrin soit élargie, parce que, le pauvre, quand il venait le matin, il se retrouvait dans les bouchons... Alors on ne citera pas de noms, vous aurez tous compris...

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député !

M. Eric Stauffer. Je conclus, Monsieur le président ! Donc je vous demande simplement une équité de traitement. On est des élus, on s'occupe des Genevois, on habite sur le canton de Genève. J'y vis, j'y vote et je suis un élu !

Une voix. Bravo !

M. Serge Hiltpold (L). Mesdames et Messieurs les députés, initié il y a plus de quatre ans, ce projet de loi demandant une modification constitutionnelle a déjà trouvé sa réponse dans la pratique, soit dans le règlement d'application de la loi sur l'exercice des droits politiques, comme l'a précisé la rapporteure. Désormais, lors d'une élection, il est exigé de la part des candidats d'annoncer au service des votations le lieu de leur domicile dans la «Feuille d'avis officielle», sur les listes de candidats et sur les bulletins électoraux. Sur ces bases, les partis politiques prennent leurs responsabilités sur le choix de porter tel ou tel candidat sur leur liste. De même, il échoit à l'électeur de faire son choix en toute connaissance de cause dans l'exercice de ses droits démocratiques.

En conclusion, Mesdames et Messieurs les députés, le groupe libéral refusera l'entrée en matière de ce projet de loi.

M. Patrick Saudan (R). Mesdames et Messieurs les députés, je ne reviendrai pas sur ce que vient de dire mon préopinant concernant la réponse tout à fait intelligente qu'a apportée le Conseil d'Etat à ce projet de loi constitutionnelle. Je mentionnerai simplement que, dans l'avant-projet de la Constituante, nos constituants reprennent plus ou moins la pratique actuelle, puisque l'article 47, alinéa 1, stipule ceci: «Sont titulaires des droits politiques sur le plan cantonal les personnes de nationalité suisse âgées de 18 ans révolus domiciliées dans le canton, ainsi que les personnes domiciliées à l'étranger qui exercent leurs droits politiques fédéraux dans le canton.» En effet, voyez-vous, l'ensemble des partis politiques - à l'exception du MCG, dont la région n'est pas la tasse de thé, et on l'a compris depuis fort longtemps - ont admis l'idée que nous vivons dans un environnement qui dépasse un peu nos frontières cantonales. Et par rapport à l'exemple qu'a donné M. Stauffer, il existe une petite différence, mais de taille, entre un résident suisse dans le canton de Vaud et un résident suisse qui vit dans la région frontalière, c'est que la résidence fiscale est à Genève. Vous savez, ces fameux frontaliers qui nous apportent 800 millions d'impôts par an, avec lesquels nous pouvons en partie financer notre Etat social ! C'est pour cela que le parti radical, à l'instar des autres formations, hormis le MCG, ne soutiendra pas ce projet de loi et suivra l'avis de la commission.

M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, relevons d'emblée - cela a été dit - que ce projet de loi, déposé le 17 juillet 2007, a été renvoyé sans débat à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil lors de la séance du 20 septembre 2007. Ce n'est pas récent. Cela témoigne aussi, à l'époque, des piques que lançait contre l'UDC le parti rédacteur de ce projet de loi. A l'issue des travaux en commission, les commissaires UDC avaient refusé l'entrée en matière, s'intégrant au groupe majoritaire dont vous venez d'entendre le rapporteur de majorité - excusez-moi, Madame, mais je préfère cette expression.

Ce soir, le groupe UDC entend soutenir l'entrée en matière de ce projet de loi et vous inciter à voter cette conclusion pour les quelques raisons suivantes. Premièrement: la cohésion et l'unité de principe. Ne nous autorisons pas ce que l'on interdit aux autres ! Un élu municipal ne peut siéger s'il réside dans une autre commune et doit donc démissionner s'il change de domicile en cours de législature. La raison est pertinente: il faut vivre dans son espace politique municipal pour le comprendre et vouloir oeuvrer à son amélioration. Alors je vous pose la question: quelle raison suprême un député élu dans ce Grand Conseil peut-il invoquer pour déroger à l'obligation de vivre dans l'espace de frontières politiques où il exerce ses fonctions et prérogatives ? Vous me permettrez d'exclure la difficulté à trouver un logement, car, à mon sens, cette réalité doit être de nature à affûter votre sagacité politique dans l'esprit d'obtenir rapidement des solutions. Le groupe UDC estime que ce ne sont pas les quelques heures passées sur un lieu de travail qui vous permettent de comprendre, apprécier, défendre et proposer des solutions améliorant la situation de la population qui vous a élus, mais bien l'immersion, au sein des frontières politiques, de votre mandat, le soir, lors de vos congés, etc. En parlant de frontières politiques, vous aurez compris que, pour le groupe UDC, le canton de Vaud n'est pas non plus un lieu de domicile possible pour un élu siégeant à Genève.

Deuxième raison: l'information ne peut se comparer à une interdiction légale. Le rapport indique que le Conseil d'Etat de l'époque avait fait la proposition de modifier le règlement d'application de la loi sur l'exercice des droits politiques. Cette modification touchait les articles 9, lettre b, et 10, lettre b, et consistait à ajouter la mention «et communes de domicile». Ces modifications sont effectivement entrées en force le 17 janvier 2008, mais elles ne concernent que l'information par l'affichage, c'est-à-dire les publications dans la «Feuille d'avis officielle», et l'article 10, «Affichage», n'implique que l'affichage sur la voie publique, dans les locaux de vote et dans les isoloirs.

Le président. Monsieur le député, vous allez épuiser votre temps de parole !

M. Patrick Lussi. Je conclus. Cela amène la deuxième question, Mesdames et Messieurs les députés: l'information précisant que l'on réside hors des frontières politiques de son mandat peut-elle combler l'obligation de résidence sur son lieu de mandat ? L'UDC ne le pense pas, Mesdames et Messieurs les députés, et vous demande d'entrer en matière et d'accepter le projet de loi 10079. En définitive, faites un élu pour le bénéfice des citoyens.

Mme Anne Emery-Torracinta (S). Mesdames et Messieurs les députés, quelle belle déclaration: j'y vis, j'y vote ! J'espère que le MCG soutiendra dorénavant le droit de vote pour tous les étrangers dans ce canton. Effectivement, le MCG a posé une vraie question, c'est celle de la place et de l'ancrage des députés dans la cité. Et personnellement, je comprends très bien que l'on n'ait pas envie du système français, où les députés sont parachutés de Paris à l'autre bout d'une circonscription française, parce qu'il faut bien être le député de quelque part.

Cela dit, Mesdames et Messieurs les députés, je ne crois pas que ce projet de loi peut résoudre la question qui nous est posée. Pourquoi ? Tout d'abord - et nous aurons certainement l'occasion d'utiliser cet argument au point suivant de l'ordre du jour - on ne fait pas une loi pour des cas particuliers. En l'occurrence, lorsque le MCG a déposé son projet de loi, il visait très clairement un ou deux députés de l'UDC qui, à l'époque, habitaient la France voisine. Alors, à partir du moment où l'on ne fait pas des projets de lois pour une ou deux personnes, on doit plutôt se demander quelle est l'ampleur de la problématique, et surtout comment la résoudre. Personnellement, je pense qu'il est plus intéressant de suivre le Conseil d'Etat et la proposition qui nous avait été faite en commission d'indiquer le domicile des candidats sur les listes électorales. Pour ma part, je trouve plus intéressant que l'électorat de l'UDC ait pu apprendre qu'éventuellement l'un de ses candidats ou futurs élus habitait dans un pays européen qui n'est pas notre mère patrie. En conséquence, Mesdames et Messieurs les députés, au nom de la transparence, je vous invite à refuser ce projet de loi.

Mme Catherine Baud (Ve). Bien entendu, les Verts refuseront également l'entrée en matière de ce projet de loi, pour les raisons qui ont déjà été évoquées. J'aimerais juste donner encore quelques explications. Lorsqu'on parle des personnes qui résident en France, il est évident que les Genevois habitant en France exercent leurs droits politiques à Genève, et c'est la raison pour laquelle ils peuvent être éligibles dans notre canton. Ils n'ont aucun rapport avec la France, hormis le fait d'y habiter; ils ne peuvent pas y être éligibles. C'est un point important. En revanche, s'il s'agit de Genevois qui seraient domiciliés dans le canton de Vaud, alors la situation change, car ils peuvent y être éligibles. La situation est donc très différente, et l'on ne peut ainsi pas faire d'amalgame.

En conséquence, nous avons été tout à fait satisfaits par la proposition faite par le Conseil d'Etat, puisque c'est l'électeur qui doit choisir: si jamais cela lui pose un problème, il peut tout à fait biffer le nom de la personne. En effet, à partir de maintenant, le lieu de domicile du candidat figure sur les listes, sur les bulletins de vote et également dans la «Feuille d'avis officielle». En conséquence, il est tout à fait inutile de légiférer sur ce point, et c'est la raison pour laquelle nous n'entrerons pas en matière.

M. Michel Forni (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, la Constituante permettra probablement de statuer sur le lieu de résidence des conseillers d'Etat et des députés, et elle permettra - Monsieur le président, vous pourrez le transmettre à M. Stauffer - de vivre en symbiose avec des électeurs qui résident hors de Genève, comme il peut y avoir également des électeurs qui habitent en Suisse. Il est toujours difficile de ne pas surfer sur des chemins où la médiatisation peut nous rapporter quelques électeurs, car depuis que l'humanité a su cultiver l'art de raconter des histoires, les logiques de la communication et de l'interprétation sont devenues des armes aux mains de certains et permettent non pas de choisir des députés, mais de faire des hold-up sur l'imagination, de formater et finalement d'encadrer des comportements et des idées, et pourquoi pas des domiciles et des droits d'éligibilité.

Mais ce qui est un peu plus dangereux, c'est d'utiliser l'opinion publique pour essayer d'obtenir une interaction entre l'individu, son environnement, son logement, et il en va de même pour les élus. Nous sommes exactement ce soir dans le cas d'un concept d'opinion publique qui slalome sur un cas particulier. Eh bien, cette sensibilisation transculturelle, qui est assez le propre du management du MCG, permet d'aborder ce soir un tournant narratif, comme elle a permis d'ailleurs à Jules César d'avoir son quartier général et ses légions, à Napoléon de posséder sa grande armée, et au MCG d'avoir ses divisions, ses télévisions, ses informateurs et ses magazines. Ceci n'est qu'un pur produit de propagande, et cela permet aux électeurs de recruter, comme Rabelais qui tenait Gargantua par la main au milieu de la foule des saints, des rois et des poètes. La machine à fabriquer des histoires se désynchronise et touche l'émotionnel. J'y vis, j'y vois... Non, j'y vote, excusez-moi ! Et je n'y vois plus rien du tout !

Mesdames et Messieurs les députés, ce concept de marketing élaboré par un patron d'un parti plié à la consigne de ses conseillers en communication ne doit pas repartir dans la conquête de l'histoire, ni de ses écrans. Il doit trouver une trajectoire dans les placards et les fonds de notre Grand Conseil, et c'est la raison pour laquelle je vous propose de refuser d'entrer en matière sur ce projet et de le classer. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Eric Bertinat... (Remarque.) Ah non, M. Bertinat ne peut plus s'exprimer, puisque le groupe UDC a épuisé son temps de parole, de même que le groupe MCG... (Protestations. Commentaires.) Non, c'est le cas pour les motions, mais pas pour les projets de lois ! La parole est à M. Roger Deneys, à qui il reste une minute vingt. (Remarque.) Il renonce ? Très bien. Si le Conseil d'Etat ne souhaite pas s'exprimer, nous allons procéder au vote d'entrée en matière.

Une voix. Vote nominal !

Le président. Etes-vous soutenu, Monsieur le député ? (Des mains se lèvent.) Oui, c'est le cas.

Mis aux voix à l'appel nominal, le projet de loi 10079 est rejeté en premier débat par 62 non contre 22 oui.

Appel nominal