République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1737-B
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Mmes et MM. Anne-Marie von Arx-Vernon, Béatrice Hirsch Aellen, Mario Cavaleri, François Gillet, Guy Mettan, Véronique Schmied, Luc Barthassat, Michel Forni, Pascal Pétroz, Guillaume Barazzone, Jacques Baudit, Jean-Claude Ducrot : Dignité ! pour donner la possibilité aux personnes frappées de NEM (Non Entrée en Matière) d'exercer une activité d'intérêt général

Débat

Mme Anne-Marie von Arx-Vernon (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, le parti démocrate-chrétien est insatisfait de la réponse du Conseil d'Etat. Pourquoi ? Evidemment, je vois d'ici les arguments de certains: on ne peut pas opposer la misère et la précarité vécues par les Genevois à la précarité et à la misère vécues par les personnes étrangères frappées par une non-entrée en matière ! La grande majorité de ces dernières sont en réel danger en cas de retour dans leur pays. Ce ne sont donc pas des criminels, mais nous les rendons parfois criminels. Vous savez pourquoi ? Ces personnes sont d'abord bien souvent victimes de trafiquants d'êtres humains qui, comme passeurs, gagnent beaucoup d'argent sur le dos de ces personnes. Plus nous aurons, nous, un statut de pays privilégié, plus les pays du Sud exploiteront des personnes en grande précarité. Ça fait le jeu des passeurs, ça fait le jeu des mafias et nous, nous sommes au bout de la chaîne, l'endroit où les mafias et leurs trafiquants peuvent continuer à gagner beaucoup d'argent.

Le problème majeur dénoncé par notre modeste motion concerne donc les personnes frappées de non-entrée en matière qui ne sont pas renvoyables. On sait que certaines de ces personnes vont errer à Genève, pendant des années, comme des zombies. Elles vont être en situation de totale dépendance et précarité, et ce n'est pas avec 50 F par mois qu'elles ne seront pas incitées, qu'elles vont pouvoir résister aux tentations et aux trafics en tous genres qui leur sont proposés par les réseaux mafieux.

Alors ce que nous demandions, très simplement, c'est un dédommagement digne pour des activités d'intérêt général. Car, à nos yeux, 50 F par mois ne constituent pas un dédommagement digne !

On a donné l'exemple de la ville de Zurich, qui a réussi à faire baisser sa criminalité... Oui, c'était avec des requérants d'asile, mais qu'importe le statut des personnes ! On parle des personnes qui ne seront pas renvoyables. On ne peut pas faire comme si elles n'étaient pas là ! On ne peut pas faire comme si elles avaient été effacées d'un coup de gomme ! Ces personnes vont rester là et nous ne voulons pas qu'elles travaillent au noir, nous ne voulons pas qu'elles trafiquent, nous ne voulons pas qu'elles créent des problèmes et qu'elles contribuent à l'augmentation de la criminalité à Genève. Au départ, ces gens ne sont pas des criminels, ils le deviennent à cause de notre hypocrisie.

Ce que nous voulons, c'est éviter que ces personnes deviennent une fois de plus des victimes des réseaux de traite des êtres humains. Ces réseaux sont très contents quand nos lois permettent de tels espaces qui ont pour conséquence de faire de ces personnes des zombies. Nous ne sommes pas satisfaits, nous nous permettons de le dire au Conseil d'Etat et nous vous demandons de bien vouloir lui renvoyer ce rapport.

Mme Anne Emery-Torracinta (S). Mesdames et Messieurs les députés, on croit rêver ! Où sommes-nous ? Il y a quelques secondes, le PDC dans son ensemble a refusé un projet de loi qui demandait exactement la même chose que cette motion ! Je dois dire que j'ai vraiment du mal à comprendre l'attitude de certains partis dans ce parlement ! Bien entendu, Madame von Arx-Vernon, nous allons soutenir votre motion et votre demande de renvoi au Conseil d'Etat, mais je dois dire que je me pose un certain nombre de questions !

Deuxièmement, Mesdames et Messieurs les députés, quoi que vous pensiez du fond du sujet et de la question des personnes en situation de NEM, vous devez impérativement soutenir la proposition du PDC et renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat, parce que le gouvernement s'est assis sur une décision du parlement. Le printemps dernier, le parlement a voté à la majorité une demande d'augmentation de la rémunération des travaux d'utilité communautaire. Très clairement, quand on reprend le Mémorial, on voit que Mme von Arx-Vernon l'a dit à plusieurs reprises: 50 F ce n'est pas suffisant ! Il faut prendre l'exemple du canton de Zurich, où les jobs sont rémunérés 1000 F, etc.

Tout cela a été dit très clairement il y a quelques mois, mais le Conseil d'Etat s'est assis sur une décision du parlement. Si vous voulez simplement que nous soyons crédibles en tant que députés, vous devez accepter le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport ! (Applaudissements.)

M. Eric Stauffer (MCG). Madame la députée Emery-Torracinta, vous m'avez ôté les mots de la bouche, j'allais faire la même remarque à nos collègues du PDC. Toutefois, on sait que le PDC, c'est un peu comme les coqs en haut des clochers. Monsieur le président, ce n'est pas vous qui allez me contredire...

Le président. Je transmettrai, ne vous inquiétez pas ! (Rires.)

M. Eric Stauffer. Ça tourne selon le vent, une fois à gauche, une fois à droite. Enfin, ce que je voulais dire sur ce rapport, c'est qu'il faut simplement en prendre acte. Notre parlement a renvoyé cette motion au Conseil d'Etat, qui avait légalement six mois pour nous rendre son rapport. Il l'a fait, on en prend acte et c'est tout ! Maintenant, à vous écouter, 50 F, ça ne paraît pas assez. Vous avez raison, donnons-leur 1000 F ! Mais on ne donnerait pas cela à quelqu'un de chez nous, donc il faut au moins accorder le minimum prévu par le département des affaires sociales. Pour une personne avec un enfant, c'est 4860 F, donc donnons-leur cette somme ! Il faut aussi scolariser les enfants... Faisons une annonce, que tout le monde vienne ici, parce qu'ici, on donne, on offre ! On donne des boulots, on scolarise les enfants ! Mais je vous le demande: êtes-vous prêts à partager votre domicile ? Parce qu'on aura un problème de logement, vous imaginez bien, s'ils viennent tous ici ! Etes-vous prêts à partager vos logements familiaux ?

Des voix. Oui !

M. Eric Stauffer. Mais alors, faites-le ! Faites une motion en ce sens ! Déposez une motion et vous verrez que le modèle de société que vous proposez va provoquer une anarchie totale. C'est pour cette raison que l'Europe a érigé des frontières, c'est pour cette raison que l'Europe a investi dans les pays en voie de développement, pour éviter ces flux migratoires. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Mais ça, vous ne voulez pas le comprendre ! Mesdames et Messieurs les PDC, les Verts et les socialistes, on dirait que cette soirée est dédiée à tous les illégaux qui veulent venir en Suisse. On dirait qu'on a complètement oublié les résidents genevois qui, eux, vivent dans la précarité, n'arrivent plus à payer leurs factures, ne trouvent plus de travail, font l'objet de mesures cantonales et ont des emplois de solidarité où ils sont payés 1800 F pour des jobs à 100% ! Réveillez-vous, bon sang de bonsoir ! On est des élus du peuple genevois, nous ne sommes pas élus ici pour l'Afrique ou pour les pays en voie de développement ! La Confédération s'en occupe ! Ce n'est pas à nous, parlement cantonal, d'interférer dans les dispositions fédérales.

Alors, non, nous ne renverrons pas le rapport sur cette motion au Conseil d'Etat. Ce dernier a fait son job, il nous a rendu un rapport, on en prend acte et on passe à autre chose, qui concerne les Genevois !

Mme Mathilde Captyn (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, je vais essayer de baisser un petit peu le ton. Vous me fatiguez, ce soir, Monsieur Stauffer ! (Brouhaha. Exclamations.) Je voulais simplement dire que les Verts ne sont pas d'accord avec le rapport du Conseil d'Etat sur cette motion, dans lequel il est indiqué que les invites ont trouvé réponse depuis plus de trois ans. Ce n'est pas vrai, on n'a toujours pas renforcé les travaux d'utilité collective ou d'intérêt communautaire à Genève. Or c'est ce que nous souhaitons. C'est la seule manière d'améliorer la dignité de ces personnes. Nous vous demandons donc d'accepter à la majorité de ce parlement le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport, pour qu'il puisse répondre convenablement à la demande qui a déjà été faite par le parlement afin d'améliorer les dispositions pour ces travaux d'intérêt communautaire.

M. François Gillet (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais répondre à quelques remarques émises sur la position du groupe démocrate-chrétien. Il y a, Mesdames et Messieurs les députés, une différence fondamentale entre le projet de loi qui nous a occupés tout à l'heure et le rapport sur la motion démocrate-chrétienne dont nous parlons maintenant. C'est que le projet de loi se focalisait sur l'amélioration des prestations en tant que telles. Nous nous focalisons sur le travail d'intérêt général qui, lui, mérite effectivement d'être indemnisé correctement. C'est une chose fondamentalement assez différente. Sur le fond, il est évident que la population qui est touchée est la même, mais l'objectif et la cible de l'action ne sont pas identiques.

Nous étions d'accord tout à l'heure de renvoyer le projet de loi en commission. Une majorité de ce parlement n'a pas voulu en faire ainsi. Nous pensions effectivement que l'évolution des normes fédérales méritait que ce projet de loi soit réétudié car, dans cette forme, il ne nous satisfait pas.

Maintenant, nous parlons plutôt de ce qui pourrait être introduit dans ce canton pour éviter, Mesdames et Messieurs les députés, que des dizaines de personnes soient inactives dans nos rues, pour éviter l'amalgame qui est trop facile aujourd'hui, celui de considérer tous les étrangers, de couleur notamment, comme des délinquants ou des trafiquants, alors que certains ne demanderaient pas mieux que d'être actifs dans notre république. C'est sur ce point que nous sommes insatisfaits et nous pensons réellement qu'il y a possibilité de faire mieux. C'est la raison pour laquelle nous vous demandons de renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat.

M. Pierre Weiss (L). Je crois que M. Gillet a dit beaucoup de choses qui sont pertinentes, en particulier au sujet des différences entre cette motion et le projet de loi socialiste. S'agissant de l'objet précédent, certains membres de la commission avaient souhaité qu'il fût déposé sous forme de motion. Eh bien, les PDC ont fait ce que les socialistes n'ont pas fait, et ils méritent d'être félicités pour cela !

Maintenant, en ce qui concerne le renvoi au Conseil d'Etat, puisque ce dernier nous donne une réponse fort précise aux questions qui sont posées par la motion démocrate-chrétienne, en tant que parti gouvernemental, le groupe libéral soutiendra évidemment la réponse qui a été donnée par le Conseil d'Etat et s'en satisfera.

M. Stéphane Florey (UDC). Pour sa part, l'UDC genevoise trouve la réponse du Conseil d'Etat parfaitement acceptable. Nous refuserons bien évidemment de renvoyer au Conseil d'Etat son rapport et nous prendrons acte de sa réponse.

Mme Lydia Schneider Hausser (S). Je ne peux pas m'empêcher pour une fois... Vous communiquerez à M. Stauffer qui n'est pas là...

M. Eric Stauffer. Si !

Mme Lydia Schneider Hausser. Je ne l'avais pas vu derrière l'ordinateur, excusez-moi ! (Rires.)

Le président. Mais je ne manquerai pas de le lui communiquer. Grâce à M. Stauffer, je joue le rôle de boîte aux lettres très volontiers !

Mme Lydia Schneider Hausser. Alors justement je voulais dire à M. Stauffer, ne lui en déplaise, qu'on peut aimer beaucoup les Genevois, mais que les Genevois ne font pas le monde entier. Malheureusement, les Genevois n'habitent pas le monde entier et le monde entier n'est pas habité uniquement par les Genevois ! De ce fait, je crois qu'il n'est pas contradictoire, pour un parti comme le parti socialiste, de vouloir d'une part défendre des droits pour des gens venant d'autres pays et demandant l'asile - même si, à un moment donné, ils sont déboutés et frappés par une non-entrée en matière - et d'autre part s'occuper aussi des Genevois, comme nous le faisons très souvent, au travers de projets de lois, de propositions de motions et de tous les objets parlementaires que nous pouvons déposer. Cela n'est pas contradictoire, n'en déplaise à M. Stauffer !

Ensuite, je voudrais dire aussi que je suis très étonnée du grand écart du PDC. Si je relis les rapports qui nous ont été présentés sur le projet de loi précédent, je vois que le PDC avait accepté une entrée en matière par rapport aux travaux d'utilité communautaire - TUC. Je rappelle que cette motion est importante, que ce rapport doit être renvoyé au Conseil d'Etat, parce qu'il doit y avoir une réflexion. Actuellement, il n'y a même pas assez de TUC. Il faut mener une réflexion de base, et elle n'est pas contradictoire avec les normes fédérales qui préconisent ces emplois le plus souvent possible et ne les limitent pas à une rémunération de 50 F.

Le président. Merci, Madame la députée. Nous sommes donc saisis d'une demande de renvoi au Conseil d'Etat de son rapport. Si le renvoi n'est pas accepté, je vous ferai voter la prise d'acte.

Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport sur la motion 1737 est rejeté par 52 non contre 38 oui et 1 abstention.

Le Grand Conseil prend acte du rapport du Conseil d'Etat sur la motion 1737 par 53 oui contre 38 non.