République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1827
Proposition de motion de Mmes et MM. Laurence Fehlmann Rielle, Alain Charbonnier, Mathilde Captyn, Pablo Garcia, Michèle Künzler, Jean Rossiaud : Pour des logements sociaux à la Tannerie

Débat

Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Je vais essayer de résumer brièvement cette affaire... Il s'agit en fait d'un périmètre où se trouvent plusieurs bâtiments appartenant à différents propriétaires... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Merci ! ...et il fait l'objet d'un PLQ depuis à peu près vingt-cinq ans. Certains de ces bâtiments sont voués à la démolition, notamment le 3, rue de la Tannerie, qui est actuellement occupé par des habitants - disons - «tolérés». D'autres sont occupés par des propriétaires ou des locataires tout à fait licites. Il est prévu de reconstruire environ cent vingt logements à la place de ces bâtiments destinés à être démolis. Mais, pour l'instant, c'est encore extrêmement vague...

Le problème, c'est que le site est assez gravement contaminé. Il faut néanmoins rappeler que, depuis 2001, le site a été assaini - en tout cas provisoirement - par un confinement hydraulique, ce qui fait que, pour le moment, il n'est pas réellement urgent de le traiter. Il faut aussi indiquer que, depuis 2002, le CSD - l'entreprise chargée de la dépollution du site - a rendu des rapports réguliers et, notamment, établi des relevés chaque mois pour indiquer s'il y a un danger immédiat ou non que des personnes vivent dans ce périmètre. Nous savons donc que la pollution ne s'est pas aggravée et que l'assainissement provisoire est toujours efficace.

L'objet de la motion n'est pas de s'opposer à la décontamination du site - il doit, bien sûr, faire l'objet d'un assainissement à moyen terme - mais, plutôt, de coupler cette démolition en vue d'un assainissement à la reconstruction d'un certain nombre de logements. Or, pour l'instant, non seulement l'Etat n'a contacté aucun propriétaire voisin en vue d'assainir ce périmètre, mais, en plus, il envisage de démolir le 3, rue de la Tannerie, ce qui aura pour conséquence de mettre à la rue une quinzaine d'habitants. Et, en période de pénurie de logements... (Brouhaha.)

Le président. Madame la députée, excusez-moi ! S'il vous plaît, Mesdames et Messieurs les députés, un peu de courtoisie, un peu de silence ! Merci !

M. Laurence Fehlmann Rielle. Merci, Monsieur le président ! En période de pénurie de logements, chaque logement est précieux. Il faut donc conserver les logements existants ou, en tout cas, envisager de reconstruire ceux qui doivent être démolis, comme la LDTR l'exige. Et il faut savoir qu'actuellement l'Etat ne maîtrise que 40% des terrains alentours et les autres sont en mains de propriétaires privés. Parmi ces propriétaires privés, il y a la marbrerie Rossi, qui est un acteur clé dans cette affaire. En effet, non seulement son propriétaire ne veut pas vendre, mais il ne veut pas être déplacé - ce qui est bien compréhensible, dans la mesure où sa société est connue et qu'elle prend de la place. C'est également un acteur-clé, parce qu'aucun assainissement ne pourra être effectué s'il ne donne pas son autorisation.

Si le danger était imminent, il faudrait bien sûr faire partir tout le monde: pour l'instant, ce n'est pas le cas, mais le problème, c'est que l'Etat, notamment le DCTI, n'a pas pris beaucoup de contacts pour l'instant...

Le président. Il faudra terminer, Madame, et reprendre la parole après.

M. Laurence Fehlmann Rielle. J'ai droit à six minutes, Monsieur le président ! Je suis déjà au bout ?

Le président. Vous avez droit à trois minutes, Madame ! Mais, comme vous êtes l'auteur de la motion, vous pourrez encore vous exprimer trois minutes, mais lors d'une autre intervention.

M. Laurence Fehlmann Rielle. Bien, alors je vais abréger ! Pour le moment, nous pensons qu'il n'est pas crédible de prévoir une démolition en vue d'assainissement, alors qu'il n'y a pas de danger imminent dans la mesure où aucun projet n'est prévu. Nous avons eu une information de dernière minute: les habitants du 3, rue de la Tannerie ont été entendus aujourd'hui même par la commission de recours en matière de construction et ils ont entendu des fonctionnaires du DCTI affirmer qu'aucun projet de reconstruction n'était prévu.

Dans ces conditions, nous pensons qu'il n'est pas acceptable de persister à vouloir démolir ces bâtiments et mettre à la rue une quinzaine d'habitants s'il n'y a pas de projet crédible et pour se retrouver avec une friche au milieu de Carouge ! Je vous propose, par conséquent, d'étudier cette motion à la commission des travaux - qui, d'ailleurs, avait déjà été saisie d'un projet similaire - pour pouvoir continuer à en discuter, entendre le Conseil d'Etat et, en particulier, le chef du DCTI. Cela permettra peut-être de booster un peu ce dossier.

Le président. Merci, Madame la députée. Si vous voulez reprendre la parole, il vous restera une minute trente. Madame Künzler, je vous donne la parole.

Mme Michèle Künzler (Ve). C'est vrai, notre groupe est partagé sur ce sujet, mais, au fond, l'objectif reste toujours la dépollution de ce site, qui est absolument nécessaire.

Ce qui nous gêne dans cette histoire, c'est que l'on ne profite pas de l'occasion pour élaborer un projet de construction qui pourrait être mis en oeuvre après la dépollution. Il est tout simplement inadmissible que les propriétaires voisins n'aient pas été contactés ! Et que ce terrain, qui appartient à l'Etat depuis fort longtemps, ne soit pas confié à une fondation pour réaliser un projet ! Cela fait au moins cinq ans que nous réfléchissons à ce que nous voulons faire sur le site d'Artamis... Pour ce périmètre, un vague PLQ a été élaboré il y a au moins quinze ans, mais, en réalité, rien n'a été fait !

En ce qui nous concerne, nous voulons éviter que la dépollution soit effectuée, ce qui signifie des trajets de camions, et que le site reste en l'état ou, ce qui serait pire, que le trou soit rebouché et que, cela fait, l'on envisage seulement un projet de construction. Il faut absolument que le Conseil d'Etat confie ce terrain à une fondation immobilière de droit public ou à une coopérative, pour qu'un projet puisse démarrer. Connaissant la lenteur des procédures et constatant que l'on n'a même pas encore commencé à réfléchir à ce que l'on voulait y ériger, je pense qu'il y a vraiment un problème ! Cela fait tout de même cinq ans qu'un projet de loi de dépollution a été déposé, et c'est bien sur ce point que nous souhaitons intervenir: nous voulons que ce site soit dépollué, mais nous voulons aussi qu'un projet de construction soit mis en route juste après !

C'est pour cela que nous vous invitons à adresser ce projet de motion au Conseil d'Etat, pour qu'il fournisse une réponse circonstanciée et rapide, et qu'il mette en oeuvre, enfin, un projet de logements sur ce site !

M. Mario Cavaleri (PDC). Le groupe démocrate-chrétien, s'il peut évidemment comprendre la démarche des motionnaires, par rapport à la situation, ne peut partager leurs conclusions. Pour quelle raison ? Parce que nous avons des lois et qu'elles s'appliquent quelles que soient les circonstances !

D'ailleurs, Mme Künzler n'a pas dit le contraire, puisque, pour dépolluer, il faut d'abord déconstruire, c'est-à-dire démolir. Nous ne voyons donc pas pourquoi il ne serait pas possible de démolir pour dépolluer et d'envisager ensuite un projet.

Toutefois, le problème qui se pose - Madame Künzler, je vous rejoins - c'est que l'on a beaucoup tardé à mettre en place un réel projet de reconstruction.

Cela étant, nous sommes censés savoir que la LDTR - chère à l'Alternative - impose de reconstruire, lorsque du logement existant est démoli, du logement répondant aux besoins prépondérants de la population aujourd'hui. Et c'est bien la raison pour laquelle cette motion n'est pas indispensable ! Les choses sont réglées par notre système législatif: alors, à quoi cela sert-il d'en «remettre une couche» ? Pour sensibiliser le Conseil d'Etat ? Mais il en a pris acte !

Pour ma part, je crois savoir que, au niveau des requêtes en autorisation, un projet a été déposé. Je me réjouis donc d'entendre le conseiller d'Etat en charge du DCTI nous préciser quelles sont les procédures en cours.

En conclusion, je dirai que le groupe démocrate-chrétien, bien que tout à fait acquis à un projet de reconstruction, sur ce site, de logements répondant, au sens de la LDTR, aux besoins prépondérants de la population, est d'avis que cette motion n'est pas indispensable, dans la mesure où toutes les barrières légales existent.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme Fehlmann Rielle, à qui il reste une minute trente.

Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Merci, Monsieur le président ! Je suis tout à fait satisfaite d'entendre M. Cavaleri nous rappeler les mesures imposées par la LDTR...

Cela dit, cela fait tout de même déjà vingt-cinq ans qu'un PLQ existe pour ce périmètre. Certes, depuis 2001, des efforts d'assainissement provisoire ont été effectués, mais il n'y a toujours pas de projet prévu: c'est ce qui a été entendu à la commission de recours en matière de construction. Dans ces conditions, il est utile d'adresser des motions au Conseil d'Etat pour le pousser à être davantage volontariste. Je suis désolée ! Même si les quinze personnes concernées sont des squatters - elles étaient tolérées - elles vont se retrouver à la rue ! Et il y a eu des précédents: notamment, le California, le Carlton - même si le contexte était totalement différent - où il a fallu attendre trois, quatre ou cinq ans, avant que quelque chose ne bouge ! C'est dans ce sens que cette motion est utile !

M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Je m'exprimerai brièvement, en tout cas sur le premier point de cette motion, dont je dois vous dire qu'il est totalement inacceptable...

Il est inacceptable parce que, par le biais de cette motion, vous entendez politiser des décisions administratives ! Au fond, vous nous demandez de donner des instructions au Service de géologie, sols et déchets afin qu'il prenne des décisions...

A Genève, ce n'est pas comme cela que les choses fonctionnent - ni à Genève ni dans les autres cantons suisses ! Les décisions administratives sont prises en toute indépendance par les fonctionnaires qui en sont chargés et qui les prennent sur la base de leur expertise. Et les décisions en matière de décontamination des sols sont prises par des fonctionnaires qui jugent de la nécessité ou non de les décontaminer, le plus souvent à la suite d'une expertise. Ils jugent ensuite de l'urgence de cette opération et, enfin, ils répartissent les frais. De plus, ces décisions sont sujettes à recours, et, depuis que je suis magistrat, jamais - au grand jamais - je ne me suis permis de donner la moindre instruction dans ce domaine ! Il importe de garantir une parfaite indépendance à celles et à ceux qui doivent prendre ces décisions.

Je trouve irresponsable de proposer une telle démarche par la voie d'une motion. Voilà pourquoi c'est, à mes yeux - en tout cas la première invite - totalement inacceptable ! Elle remet en cause des principes extrêmement importants au niveau de notre politique environnementale.

Pour le surplus, en ce qui concerne les projets de logements, je pense que mon collègue Mark Muller sera en mesure de vous donner un certain nombre d'informations. (Applaudissements.)

M. Mark Muller, conseiller d'Etat. Je ne crois pas que les socialistes ou les Verts puissent nous donner des leçons de volontarisme quant à la construction de logements dans ce canton. Des déclarations ont été faites à l'instant sur cette motion, qui prouvent une totale méconnaissance de cette affaire, puisque le dossier d'autorisation de construire sera déposé au mois de décembre et qu'il prévoit la construction des logements sociaux. Pourtant, vous prétendez que rien ne se passe... Alors évidemment, Madame Künzler, les fondations HBM ne sont pas concernées par ce dossier, mais, à Genève, d'autres opérateurs que les fondations HBM font du logement social et un projet est en cours.

Par ailleurs, si du retard a été pris, c'est en raison des entreprises se trouvant sur le site et qu'il faut déplacer dans le cadre d'une négociation. Et la dernière de ces entreprises, une entreprise de marbrerie établie sur le site depuis des dizaines d'années, a enfin, avec l'aide de l'Etat - l'aide active de l'Etat... - trouvé à proximité un nouvel emplacement qui lui convient. Pourtant, je peux vous dire que ce n'était pas gagné d'avance, car, lors de la première entrevue avec l'entrepreneur en question, le fonctionnaire a été accueilli avec un objet particulièrement menaçant posé sur la table...

Alors, certes, il y a des difficultés, mais le Conseil d'Etat prend toutes les mesures nécessaires pour aller le plus vite possible dans cette affaire. Par conséquent, avant d'accuser le Conseil d'Etat de négligence ou d'indolence, je vous prierai de prendre connaissance des faits ! (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat ! Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes saisis d'une demande de renvoi de cette proposition de motion à la commission des travaux.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1827 à la commission des travaux est rejeté par 45 non contre 20 oui.

Le président. Je vous soumets maintenant le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat.

Mise aux voix, la proposition de motion 1827 est rejetée par 46 non contre 17 oui.