République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 21 septembre 2006 à 20h30
56e législature - 1re année - 11e session - 53e séance
M 1694
Débat
M. Christian Brunier (S). Je crois, je l'espère en tout cas, que l'ensemble de ce parlement condamne l'excision, qui est un acte inacceptable, assimilable bien entendu à une torture. Je rappelle que ces mutilations sexuelles sont illégales dans notre pays au sens de l'article 22 du code pénal suisse, qu'elles sont bien sûr contraires aussi à la Convention européenne des droits de l'homme et que, alors que beaucoup ont l'impression que l'excision, cela ne se fait qu'ailleurs, l'Unicef considère qu'il y a près de sept mille femmes et jeunes filles excisées qui vivent aujourd'hui en Suisse. Que des femmes excisées vivent sur notre territoire, c'est évident, mais il est fort probable que l'excision se pratique aussi sur notre territoire ou dans des territoires très proches de Genève... (Commentaires.) Monsieur Weiss, c'est un sujet très important !
Une voix. On n'a rien dit ! Vous avez probablement de mauvaises oreilles !
Le président. Est-ce que je peux vous demander d'éviter les apartés ? Je vous rappelle, Monsieur le député, que c'est à la présidence que vous vous adressez.
M. Christian Brunier. Tout à fait, Monsieur le président, mais je crois que c'est un sujet suffisamment grave pour qu'on ait un climat serein dans ce parlement.
Dans une ville internationale comme Genève, on ne peut pas rester les yeux fermés et se dire que ce n'est qu'un problème qui se passe ailleurs. S'il y a potentiellement problème, nous devons le savoir et agir. Il y a d'ailleurs eu un certain nombre de témoignages ces dernières semaines dans les médias. Les femmes qui ont subi cet acte de torture commencent à parler et il faut les féliciter pour leur courage.
Il faut dire également qu'un colloque a été organisé par le service de l'Etat de Genève pour la promotion de l'égalité entre hommes et femmes. Il y a été dit clairement que l'Etat devait s'engager dans la lutte contre ce fléau. C'est dans cette perspective que cette motion s'inscrit. Je crois que c'est le devoir des autorités d'agir, et c'est là l'impulsion que nous voulons donner.
Je rappelle aussi, et c'est important, que cette mutilation n'a rien à voir avec un fait culturel ou avec un rite religieux, comme certains le prétendent de temps en temps. Dernièrement le secrétaire général de l'association des imams du Sénégal, un pays très touché par ce drame, a déclaré: «Il n'y a rien dans le Coran qui impose l'excision».
Que demande cette motion, qui est très simple ? Elle demande d'essayer d'enquêter pour savoir exactement, en toute transparence, ce qui se passe à Genève et dans les zones voisines, je le redis, mais aussi dans les lieux de vacances des jeunes filles vivant à Genève, qui partent des fois dans des pays étrangers et reviennent excisées. Nous devons connaître la vérité pour savoir comment agir contre ce fléau.
Bien sûr, il faut faire appliquer la loi strictement; s'il y a des actes d'excision à Genève, il faut que les bourreaux soient arrêtés et, bien entendu, condamnés. Il faut prendre des mesures de prévention, notamment par rapport aux personnes cibles, aux victimes potentielles, c'est-à-dire les jeunes filles qui sont à l'école primaire. Il doit y avoir des campagnes d'information auprès des personnes susceptibles d'être touchées par ce drame, auprès des familles aussi, puisqu'il y a des croyances, des mythes qui poussent les familles à continuer de faire pratiquer cet acte sur leurs filles. Et puis, il faut former les professionnels de la santé, du social et de la psychologie, car ils sont aujourd'hui mal armés pour répondre à cette problématique. J'ai eu à ce sujet des échanges avec M. Unger, par rapport à la chirurgie de reconstruction.
Genève, capitale des droits de la personne, doit agir au niveau de la solidarité internationale. La Suisse s'est engagée dans certains programmes pour lutter contre l'excision dans des pays qui sont très touchés par ce fléau et il faut que Genève participe à cette dynamique tant au niveau local qu'international. C'est pour cela que nous vous proposons d'envoyer cette motion directement au Conseil d'Etat, je ne pense pas qu'une commission améliorera le texte... (Protestations.) ... je crois qu'il faut vraiment l'envoyer directement au Conseil d'Etat pour qu'il puisse agir et je vous invite toutes et tous à dire unanimement stop à ce genre de cruauté.
Mme Beatriz de Candolle (L). Fort de la défense des droits de l'homme et de la femme, le groupe libéral soutient cette proposition de motion. L'excision est une pratique révoltante dont les conséquences sont terribles tant du point de vue psychologique que physique. C'est une pratique qui doit être interdite puisqu'il s'agit d'une mutilation. Elle doit disparaître du globe.
Si vraiment cela se passe à Genève ou dans la région, nous devons le savoir pour pouvoir sanctionner. Toutefois, il faut évoluer avec une grande prudence afin d'éviter de créer à ces jeunes filles des problèmes d'intégration dans leur milieu d'origine. Il faudra faire un travail d'information auprès des communautés concernées et demander l'avis des professionnels, notamment des ethnopsychiatres, pour prévenir et supprimer cet acte ignoble.
Mme Brigitte Schneider-Bidaux (Ve). Je vais être relativement brève. L'excision s'inscrit dans l'oppression des femmes. C'est un acte inhumain qui se pratique sur des enfants. Comme vous le savez, les mutilations sexuelles, cela a déjà été dit, sont illégales en Suisse et dans la plupart des pays du monde. Même si ces mutilations sont pratiquées, on le sait, elles sont illégales dans presque tous les pays. Ceci pose un problème, comme cela a été dit par M. Brunier, par rapport aux personnes qui rentrent dans leur pays pour les vacances.
Il y a effectivement des jeunes filles qui sont contraintes à subir ces mutilations. Même si on le sait, on ne peut actuellement pas agir pour les protéger contre ces actions. Cette motion est donc extrêmement importante pour faire un état des lieux et voir quels sont les moyens possibles pour les protéger et pour défendre et les droits de l'homme, les droits de l'humain, les droits de l'enfant.
Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC). Bien sûr, le parti démocrate chrétien soutiendra cette motion. Je peux en profiter pour rendre hommage à Mme Martine Brunschwig Graf qui, le 25 novembre 2005, dans le cadre du colloque sur les mutilations génitales féminines auquel M. Brunier a fait référence, s'est engagée officiellement en tant que présidente du Conseil d'Etat, en tant que conseillère nationale, à ouvrir un vaste chantier avec l'Unicef et avec toutes les forces politiques pour lutter contre ces horreurs faites aux femmes et aux petites filles.
Je crois qu'il est très important de dépasser les clivages politiques. A l'occasion de ce 25 novembre, qui a été un moment déterminant, Mme Anne Mahrer et moi avons pu rencontrer des jeunes filles de la communauté somalienne qui s'engageaient contre l'excision. Il y a donc des ressources ici à Genève, des personnes qui sont prêtes à s'engager et qui n'auront plus peur si elles se savent soutenues par nous, surtout si nous les soutenons au-delà de tous les clivages politiques.
M. Pierre Weiss (L). Comme l'a dit ma collègue, c'est plein de conviction que le groupe libéral va soutenir cette proposition de motion. Nous avons tout de même un regret: que lorsque l'on proclame vouloir dépasser les barrières de partis, l'on ne propose pas à l'ensemble des partis de ce Grand Conseil, à l'ensemble des députés, de signer la motion lorsqu'elle est rédigée.
Il y a eu d'autres circonstances où des propositions de motions ont circulé dans tous les groupes. Il est étonnant que dans ce cas-ci, précisément puisque l'auteur a indiqué d'emblée qu'il voulait se situer au-dessus des partis, il n'ait pas eu cette courtoisie, ni la volonté de nous réunir tous dans la lutte contre une pratique barbare. Je ne saurais y voir une intention maligne. Je me permets toutefois de le regretter.
M. Gilbert Catelain (UDC). L'objet de cette motion traite un thème grave, extrêmement grave, puisqu'il ne s'agit pas de savoir si cela ne devrait pas se passer ou si cela se passe ou si cela doit se passer, mais qu'il s'agit tout simplement au minimum d'un délit, voire d'un crime. En effet, le code pénal suisse réprime les lésions corporelles et la mise en danger de la vie.
Ce type d'opération, faite contre la volonté des jeunes filles, est une infraction pénale poursuivie par la loi en Suisse et pour des ressortissants de Suisse qui commettraient cet acte à l'étranger. Cela peut être le cas si ces personnes ont été naturalisées, parce qu'effectivement des personnes bien intégrées ont obtenu la naturalisation et le feraient à l'étranger. Nous avons donc un outil qui est le code pénal qui permet déjà aujourd'hui de réprimer ce type d'infraction. Encore faudrait-il que le personnel qui observe ces crimes les dénonce !
Cette motion part d'un article de journal paru dans «20 Minutes», qui dénonce des choses effectivement graves. Elle part aussi d'une hypothèse: on nous dit que l'excision «serait» aussi pratiquée à Genève. On n'a donc aucune certitude. On nous donne ce commentaire d'une jeune fille qui dit: «A 4 ans, j'ai commencé à étudier le Coran, et j'ai vite compris que ce que l'on faisait à mes soeurs n'était écrit nulle part. A 7 ans, mon tour était venu d'être excisée. J'ai refusé. Mais ma mère, contre l'avis de mon père et cédant à la pression sociale, a fait appel à un homme qui a procédé à une excision pharaonique - ablation du clitoris, coupure des petites lèvres et sutures entre elles - après que mon cousin et mon frère eurent été circoncis avec le même ustensile.» C'est la citation qui figure dans la motion et, à la fin de cet article, on nous dit que le docteur des Hôpitaux universitaires de Genève confirme en avoir observé, mais, selon lui, elles auraient été pratiquées à l'étranger. Selon lui ! Aucune preuve ! Peut-être qu'elles ont été faites à Genève, on n'en sait rien. Mais ces cas-là devraient être dénoncés par le personnel soignant qui observe ce genre d'ablation ! C'est là que quelque chose ne fonctionne plus dans notre société.
La motion prévoit un certain nombre d'invites sur lesquelles on est d'accord. Il y a juste un problème juridique qui se pose à la deuxième invite, parce que je ne vois pas, même si ce serait souhaitable, comment le Conseil d'Etat pourrait investiguer sur les mutilations sexuelles qui pourraient se pratiquer sur des jeunes filles qui résident dans des zones voisines où à l'étranger. Je parle donc des zones à l'étranger ou des camps de vacances qui pourraient avoir lieu à l'étranger. Je ne vois pas quelle est la base légale qui va permettre au Conseil d'Etat d'investiguer sur ce type d'opération qui se fait à l'étranger, puisqu'il s'agirait d'une violation de souveraineté.
Pour le reste, effectivement, il n'y a pas forcément d'amendement à apporter. Il serait quand même, à mon avis, sain d'avoir un point de la situation sur la question de l'excision, sur les observations du département par rapport à cet objet-là, puisque, de toute manière, les hôpitaux dépendent du département de l'économie et de la santé. Cela permettrait au Conseil d'Etat de nous brosser un topo de la situation puisque ces faits sont connus du département. Cela permettrait déjà au Conseil d'Etat d'agir !
Ensuite seulement, on pourrait renvoyer cette motion éventuellement amendée au Conseil d'Etat, de façon qu'elle recueille un très large soutien. Je vous propose le renvoi de cette motion en commission de la santé.
Mme Michèle Ducret (R). Permettez-moi d'exprimer ici l'avis du groupe radical qui, naturellement, s'oppose totalement à ce genre de pratiques inhumaines. Permettez-moi aussi d'exprimer un regret: j'aurais aimé signer moi aussi cette motion. Malheureusement, personne ne me l'a proposé. C'est dommage parce qu'on aurait pu être encore plus unis autour du combat contre l'excision.
Une voix. Il y a peut-être une raison !
Mme Sandra Borgeaud (MCG). Le groupe MCG va soutenir cette motion car il est bien évidemment inacceptable de tolérer ces cruautés, ces mutilations faites aux jeunes filles. Cela se passe souvent dans la famille même. Ce sont les parents proches qui procèdent eux-mêmes à cette mutilation. Il y a donc souvent des problèmes très importants par la suite, des infections et autres, et il faut que cela s'arrête. Nous avons un code pénal, il faut l'utiliser et respecter les droits de l'homme, de la femme et de l'enfant.
M. Pierre-François Unger, président du Conseil d'Etat. C'est bien entendu volontiers que le Conseil d'Etat acceptera cette motion qui aborde un sujet absolument cardinal sur des mutilations faites dans des conditions réellement effroyables. Ce problème n'a rien perdu de son acuité ni de son actualité.
Néanmoins, nous ne pourrons pas répondre à l'ensemble des invites. M. Catelain a soulevé à juste titre le problème pour nous, le cas échéant, d'aller enquêter à l'extérieur, ce qui sera tout simplement d'une certaine vanité. Nous interrogerons le département de l'instruction publique sur l'opportunité de faire de la prévention à l'école primaire à Genève.
En revanche, il est fondamental de trouver un moyen - ce n'est probablement pas le cas maintenant, et c'est un comble - d'au moins considérer que l'excision est une maltraitance. J'en veux pour preuve les moyens qu'il y a non pas de court-circuiter le secret médical, mais de passer au-delà de lui, dans un certain nombre de circonstances qui imposent la protection de l'enfant. C'est typique pour les maltraitances «de chez nous», et pour celles-ci, au prétexte qu'elles sont curieuses, insolites, peut-être rituelles ou religieuses, on ne franchirait pas ce pas !
Ne serait-ce que pour cela, nous aimerions recevoir cette motion pour vous dire que nous mettrons en oeuvre, au-delà du dépistage des différentes invites qui nous sont faites, les moyens de laisser les professionnels agir au moins comme pour les maltraitances, puisqu'il semble que ce n'est pas le cas maintenant.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1694 à la commission de la santé est rejeté par 57 non contre 6 oui et 1 abstention.
Mise aux voix, la motion 1694 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 65 oui (unanimité des votants).