République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 21 septembre 2006 à 20h30
56e législature - 1re année - 11e session - 53e séance
PL 9625-A
Premier débat
Le président. Le rapport de minorité est repris par M. Deneys. La parole n'est pas demandée... Ah si ! Monsieur le rapporteur de minorité, vous la demandez: vous l'avez !
M. Roger Deneys (S), rapporteur de minorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Vous n'avez pas entendu M. Kunz dire qu'il souhaitait que je m'exprime en premier.
Ce projet de loi consiste à introduire une mesure spéciale en termes d'emplois temporaires cantonaux pour les chômeurs de longue durée. Il faut bien comprendre ici de quoi nous parlons: il s'agit des personnes qui ont déjà effectué deux ans de chômage fédéral et qui rentrent dans le dispositif du chômage cantonal, spécificité genevoise qui permet d'occuper un emploi pendant une année au sein d'une administration, au sein d'une association ou d'un autre organisme.
Ce projet de loi a été déposé à l'époque par l'Alliance de gauche. Il visait à ce que, en cas de chômage élevé à Genève, un minimum de 3% des postes de travail soit accordé à des emplois temporaires dans les administrations publiques. C'était un objectif ambitieux et généreux - je mets cela à l'imparfait. Fondamentalement, le problème de soutenir ou non ce projet de loi s'est posé au groupe socialiste parce que tout le monde, je dois le dire, souhaite réformer les emplois temporaires cantonaux. «Réformer les emplois temporaires cantonaux», est-ce que cela veut dire les supprimer, comme le souhaite M. Kunz ? Est-ce que cela veut dire les transformer, essayer de les rendre plus efficaces et plus pertinents ? C'est la position qui est défendue par les socialistes. Et c'est certainement le rapport de majorité de M Kunz qui a incité les socialistes à reprendre ce rapport de minorité, je vais vous expliquer pourquoi.
D'abord, ce projet de loi a été traité en commission de l'économie en septembre et en octobre 2005. Il y a eu un certain nombre d'auditions. Si je lis le rapport de M. Kunz, je vois qu'il y a eu onze auditions par rapport à cet objet. Le problème, c'est que M. Kunz, opposé aux emplois temporaires cantonaux, fait son rapport de majorité en résumant cela sur deux pages. Alors, je trouve que ce n'est pas très respectueux du travail qui a été fourni par la commission de l'économie, d'une part, et des chômeurs, des demandeurs d'emploi, d'autre part. Quand plus de 20 000 personnes sont concernées par une problématique, il me semble léger de résumer l'opposition de M. Kunz en particulier à cinq citations de personnes qui ont été auditionnées alors qu'elles sont onze à avoir été entendues.
Il y a peut-être des arguments pour et des arguments contre cette proposition. M. Kunz est bien entendu libre d'y être opposé, mais son rapport n'est fondamentalement pas objectif. J'en veux pour preuve ce qu'il affirme à la page 3: «Plus personne de raisonnable à Genève ne défend encore les OTC dans leur forme actuelle.» Ce n'est pas vrai: les emplois temporaires, ce n'est peut-être pas la meilleure mesure, la mesure la plus efficace que l'on peut prendre, il n'empêche que, si l'on pense en termes de personnes au chômage, il faut bien se rendre compte que, pour la majorité de ces personnes, c'est quand même la première occasion de se remettre au travail après deux ans d'inactivité. Bien entendu, c'est beaucoup trop tard; bien entendu, des mesures auraient dû être prises avant ! Mais de là à dire que c'est inutile ! C'est peut-être trop cher pour l'Etat, ce n'est peut-être pas la meilleure mesure, mais pensez aux personnes concernées !
Je trouve que ce n'est pas les respecter que de formuler ainsi cette remarque sur les emplois temporaires. D'autant moins que le peuple, Monsieur Kunz, vous le savez très bien, avait justement refusé le 24 avril 2005 la proposition qui consistait à réduire ces emplois temporaires à six mois. C'est pourquoi je pense que ce raisonnement ne tient pas la route.
Pour le reste, c'est vrai qu'on a un autre problème, c'est qu'il n'y a pas eu d'entrée en matière de la commission de l'économie. Les socialistes n'étaient pas forcément acquis à l'idée qu'il fallait augmenter à 3% stricto sensu les emplois temporaires cantonaux dans les administrations publiques en cas de chômage élevé. Par contre, ce qu'il y a de vrai, c'est que, du point de vue de la pratique parlementaire, on peut se dire que, pour les socialistes, il était en tout cas intéressant d'étudier cette piste, dans la mesure où les collectivités publiques doivent, elles aussi, fournir un effort quand le taux de chômage est élevé. Il ne s'agit pas de dire que c'est forcément 3%, il s'agit de savoir si la collectivité peut faire un effort supplémentaire pour remettre des personnes dans un dispositif de travail au sein des administrations publiques ou des associations après deux ans de chômage !
Qu'est-ce qu'on peut faire ? Est-ce que, moralement, c'est nécessaire de faire un effort supplémentaire ? Pour nous, socialistes, oui, bien entendu. Les chômeurs sont des personnes exclues du travail pour des raisons très diverses et bien entendu, après deux ans de chômage, retrouver du travail, c'est extrêmement difficile. On sait bien que plus on est inactif longtemps, plus il est difficile de retrouver du travail. C'est pourquoi, pour nous, c'est en tout cas raisonnable d'étudier cette proposition.
Alors, pour les socialistes, la démarche qui consistait à refuser l'entrée en matière est fort dommageable. On ne partage pas le point de vue de M. Kunz, qui souhaite supprimer les emplois temporaires, par contre les socialistes ont toujours soutenu le principe de les réformer, de les faire évoluer. Déjà, à l'époque, il aurait été possible de trouver des solutions, qui ne duraient pas automatiquement une année, mais le principe parlementaire de base aurait consisté à entrer en matière et à amender ce projet de loi, à essayer de voir comment on pouvait le rendre pertinent par rapport aux remarques qui ont été faites. Et cela n'a pas été le cas. Ce projet de loi a donné lieu à des auditions et cela n'a débouché sur rien. Cela, pour nous, ce n'est absolument pas acceptable.
Je vous demande donc de renvoyer ce projet de loi à la commission de l'économie, cela ira compléter d'ailleurs les nouvelles propositions de M. Longchamp. De toute façon, il va falloir parler de l'évolution des emplois temporaires cantonaux.
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Je serai brève, parce que M. Deneys a été très complet. Les Verts partagent tout à fait son analyse. En effet, les mesures proposées par ce projet n'étaient peut-être pas la meilleure solution, mais elles avaient au moins le mérite d'être une proposition.
Les emplois temporaires, qui sont fort souvent critiqués, ont quand même aidé des centaines de personnes à retrouver une dignité par le travail et à ne pas tomber dans l'exclusion sociale. C'est vrai, par ailleurs, comme l'a dit M. Deneys, le ton et la forme du rapport étaient méprisants par rapport au problème soulevé: la problématique du chômage.
Les Verts se seraient de toute façon abstenus, vu qu'on attend un projet de loi sur le chômage, qui a été promis par le Conseil d'Etat, et que cette solution ne sera peut-être pas reprise telle quelle. La voter ainsi ne serait peut-être pas la bonne solution, mais, puisque M Deneys propose de renvoyer le projet de loi en commission de l'économie, je pense que ce serait une bonne idée de le faire, pour alimenter le débat sur le chômage. Nous soutiendrons le renvoi à la commission de l'économie.
M. Eric Stauffer (MCG). Le groupe MCG va s'opposer à ce projet...
Une voix. Sur le renvoi en commission !
M. Eric Stauffer. Il va s'opposer au renvoi en commission ! Il va s'opposer à ce projet pour un motif très simple: les mesures cantonales, c'est une nouvelle forme d'exploitation. Parce qu'on crée des emplois et l'administration elle-même en profite en payant 80% de la dernière indemnité chômage reçue. Donc, c'est vraiment un nivellement qui paupérise les employés.
Partant de ce principe, nous nous sommes aperçus dans différentes commissions que certains départements de l'Etat employaient jusqu'à 25 «chômeurs» en mesures cantonales et qu'ils comptaient dessus. Aujourd'hui, cette réforme arrive, et c'est sain de supprimer ces mesures cantonales, mais le problème se pose de qui va les remplacer. Vous voyez l'effet pervers, Mesdames et Messieurs les députés: on devrait augmenter les budgets dans certains départements de l'Etat, parce qu'ils ont besoin de personnel, et ils se sont appuyés sur ces mesures cantonales. Et cela, ce n'est pas sain.
Ce n'est pas sain, parce que vous parlez de dignité. Et le Mouvement Citoyens Genevois est ô combien sensible à la dignité des chômeurs ! Comme je l'ai dit précédemment, nous nous battrons contre vents et marées pour les défendre et faire en sorte qu'ils retrouvent un emploi. Mais un vrai emploi, pas des mesures cantonales fictives ! Où on les place dans un département... Pour faire parfois du travail très astreignant et en les sous-payant... Non, Mesdames et Messieurs les députés !
Il aurait fallu accepter précédemment la motion du MCG pour le renvoi en commission, pour dynamiser l'office cantonal de l'emploi. Parce que c'est au départ qu'il faut intervenir et mettre toute notre énergie, ce n'est pas après.
Ensuite, j'inviterais nos conseillers d'Etat à revoir certains budgets dans certains départements, où ces employés en mesures cantonales sont très fortement mis à contribution. Ces sont les raisons pour lesquelles, avec tout le respect qui est dévolu à nos chômeurs, nous nous opposerons à ce projet défendeur de cette nouvelle forme d'exploitation.
M. Edouard Cuendet (L). J'aimerais évoquer trois points par rapport à ce projet de loi. Tout d'abord, l'inefficacité des emplois temporaires a été reconnue par toutes les personnes auditionnées. Je m'étonne donc que M. Deneys ose encore parler de ces emplois-là, qui ont prouvé qu'ils stigmatisaient les chômeurs plutôt que d'aider à leur réinsertion. C'est un premier élément.
Deuxième élément, on constate qu'on propose 3% supplémentaires de postes de travail dans l'administration: cela va clairement à l'encontre des plans du Conseil d'Etat pour tenter de restaurer les finances cantonales. Pour ma part, je les trouve très modestes, mais en plus, si on les grève de la sorte, on n'arrivera jamais au but atteint.
Enfin, jusqu'à présent, je n'ai entendu personne évoquer l'article 2 du projet de loi en question, qui parle du financement. Comme couverture financière, on veut introduire un nouvel impôt pour toute entreprise qui réalise un million de francs de bénéfices ou plus. C'est incroyable ! D'une part, on augmente les emplois inefficaces en matière de réinsertion dans l'administration et, d'autre part, on ponctionne les entreprises qui, elles, sont en mesure de créer de vrais emplois qui peuvent amener la réinsertion ! Donc, je vous invite à rejeter ce projet avec la plus grande vigueur.
Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC). Pour le parti démocrate chrétien, ce projet de loi n'est pas d'actualité dans cette forme-là. Bien sûr que nous n'entrerons bien sûr pas en matière, et nous ne souhaitons pas qu'il soit renvoyé à la commission de l'économie. Parce que, sans aucune arrogance et sans aucun mépris pour les auteurs du projet de loi, il n'empêche qu'aujourd'hui, avec les propositions qui vont être présentées par M. Longchamp, nous pourrons enfin travailler d'une manière globale.
Il n'apparaît absolument pas nécessaire aujourd'hui d'entrer en matière sur un projet de loi qui ne traite que d'un seul phénomène du problème du chômage, et c'est pour toutes ces raisons que nous vous recommandons de le rejeter.
M. Alain Charbonnier (S). J'aimerais d'abord remettre un peu ce projet de loi dans le contexte de l'époque où il a été écrit. Je vous rappelle qu'il a été déposé - je n'ai plus la date exacte, ce devait être en septembre ou octobre 2005 - après le passage de 520 à 420 jours d'indemnités fédérales, décidé par le Conseil fédéral. Il faut bien s'imaginer qu'à cette époque-là, même le département était complètement dépassé par le nombre de chômeurs de longue durée qui arrivaient hors du cadre fédéral.
Il se trouvait qu'il n'y avait effectivement plus assez d'emplois temporaires, avec la législation actuelle qui veut que les mesures cantonales servent à retrouver un deuxième délai-cadre. En effet, si l'on relit comme il faut cette loi sur les mesures cantonales, on voit que chaque mesure a pour but de permettre de retrouver un deuxième délai-cadre fédéral. Je crois que dans cette salle chacun a un peu progressé dans sa pensée et sa réflexion et en vient à se demander si l'automaticité de cette mesure, de ce deuxième délai-cadre, est une mesure de réinsertion. Assurément non. D'ailleurs, le parti socialiste va venir la semaine prochaine avec des propositions par rapport à cette loi, en suggérant une révision totale de ces mesures.
L'idée, c'est que les mesures cantonales doivent évidemment servir d'abord de réinsertion et non d'occupation - puisque l'ancien terme des emplois temporaires cantonaux était «occupation temporaire»... Cela voulait bien dire ce que cela voulait dire. Il est tout à fait clair qu'il faut que les choses progressent. On pourra toujours faire progresser la réinsertion, imaginer plein de mesures cantonales, investir beaucoup d'argent comme aujourd'hui, il restera malheureusement toujours des gens avec des problèmes de réinsertion, qui ne trouveront pas de travail malgré tous les beaux programmes d'encadrement et de formation que l'on pourra imaginer.
Et pour cela, quoi de plus utile à la réinsertion que le travail ? Les emplois temporaires, malgré toutes les critiques que l'on peut en faire aujourd'hui, ont quand même démontré qu'une partie des gens en emploi temporaire retrouvaient un emploi grâce au fait qu'ils se remettaient dans le marché du travail, même si c'était parfois plus un travail d'occupation que de réinsertion. Et le fait de reprendre un rythme redonne aussi des habitudes que le chômeur a perdues très rapidement; encore plus après deux ans et demi, puisque avant la durée des indemnités était de deux ans et demi avec les 540 jours d'indemnités fédérales.
Donc, pour ces gens qui ont aujourd'hui beaucoup de peine à se réinsérer, il semblerait qu'il y ait quand même des mesures que l'on pourrait leur proposer. Peut-être pas sous la forme des emplois temporaires cantonaux, mais sous une autre forme ou sous plusieurs autres formes, de façon à leur redonner une chance un peu plus longue que le premier délai cadre fédéral de 18 mois, ce qui est extrêmement court pour retrouver du travail.
Je salue les intentions du Conseil d'Etat de vouloir dynamiser l'office cantonal de l'emploi, parce qu'il en a grand besoin au vu du rythme auquel travaillent certains conseillers en placement avec les chômeurs. Effectivement, il faut que la vitesse augmente grandement pour qu'en 18 mois les personnes au chômage puissent retrouver du travail. Je rappelle que 22 000 à 23 000 personnes sont des demandeurs d'emploi et que 17 000 sont des chômeurs: ce sont des chiffres faramineux et il sera difficile de trouver du travail pour tout le monde. Alors donnons, par des mesures diverses, du temps à ceux qui en ont besoin !
Et les emplois temporaires ne sont pas à jeter à la poubelle comme cela, en mettant une grosse croix dessus... Evidemment que le rapporteur de majorité, lui, c'est depuis 1997 qu'il est contre et qu'il le crie haut et fort ! Il a son opinion, et on la respecte, mais ce n'est pas étonnant qu'il nous fasse aujourd'hui un rapport de majorité aussi maigre, aussi succinct, sans arguments réels par rapport à la situation actuelle. Monsieur Kunz, la situation actuelle, c'est le passage de 520 à 400 jours, et je crois que cela n'est même pas mentionné dans votre rapport de majorité !
Voilà, j'ai terminé. Nous soutiendrons le renvoi en commission uniquement pour revoir cette loi des mesures cantonales, en gardant toujours à l'esprit que, malgré toutes les belles mesures et tout l'argent qu'on pourra investir, il y aura toujours des gens qui auront beaucoup de peine à se réinsérer dans le marché du travail. Donc, laissons-leur un peu de temps, laissons-leur leur rythme pour retrouver du travail.
M. Gilbert Catelain (UDC). Ce projet de loi déposé par l'Alliance de gauche a en fait été traité de manière conjointe avec le projet de loi 9624, «Luttons pour l'emploi contre le chômage». Puisque ces deux projets de lois sont liés et que nous avons déjà refusé dans cette enceinte le PL 9624 qui était la source de financement pour le PL 9625, ce projet de loi n'a plus de raison d'être ! Techniquement, ce projet de loi est déjà mort ! Ou alors, cette assemblée se contredirait par rapport à un vote précédent et mettrait la commission de l'économie en difficulté: elle devrait à nouveau rendre un rapport, qui conclurait à l'impossibilité matérielle de mettre en oeuvre ce projet de loi.
Au demeurant, tout le monde était d'accord en commission, à part l'Alliance de gauche - mais lorsqu'on a traité cet objet, ses membres n'étaient déjà plus là - pour dire que les emplois temporaires étaient peu efficaces: lorsque nous avons, je le répète, auditionné le professeur Flückiger et qu'il a déclaré que les emplois temporaires étaient un arrangement de l'ensemble de la classe politique pour permettre à un chômeur de bénéficier d'un deuxième délai-cadre, aucun commissaire n'a levé la main pour le contredire ! Sur le fond, nous sommes donc tous d'accord ! Après, on varie sur la question de savoir s'il faut laisser des délais plus longs, etc. Mais sur les emplois temporaires et leur peu d'efficacité jusqu'à présent, je crois que les débats de commission ont très bien démontré qu'il était inutile d'aller plus loin.
De plus, reprendre ce projet de loi en commission mettrait d'autres commissaires en difficulté: je pense simplement aux membres de la commission des transports qui traitent actuellement un objet sur le contrat de prestations des TPG... Or, vu les conditions drastiques qui sont fixées par le Conseil d'Etat pour que les TPG offrent davantage de prestations à un moindre coût, le vote du projet de loi mettrait les TPG dans une situation financière difficile, puisqu'il n'y a pas de financement. Ce serait donc à eux de financer les emplois temporaires, et ils ne pourraient pas engager des employés avec des contrats à durée indéterminée parce qu'ils devraient engager des bénéficiaires des emplois temporaires à renouveler tous les deux ans... On alimenterait finalement un chômage par l'engagement temporaire, puisque ces entreprises devraient, en raison de leurs ressources financières généralement en diminution, renoncer à engager du personnel. C'est déjà le cas à l'Etat, puisqu'il y a des services de l'Etat qui renoncent à engager parce qu'ils doivent travailler avec des ressources financières limitées et rémunérer ces emplois temporaires.
C'est donc, à mon avis, une mauvaise solution que de renvoyer ce projet de loi en commission puisqu'il impliquerait, notamment pour les établissements autonomes, de renoncer à engager de vrais employés pour de vrais emplois, alors même qu'on demande à ces établissements de faire plus, généralement avec les mêmes moyens. Par défaut de financement, il me semble totalement inutile de vouloir renvoyer ce projet de loi en commission.
M. Jacques Jeannerat (R). Ce projet de loi, avec son parfum de contentement, équivaut au fond à mettre un emplâtre sur une jambe de bois. En réalité, il y a un paradoxe à Genève depuis plusieurs années: Genève est la région de Suisse qui crée le plus d'emplois, mais c'est la région de Suisse qui n'arrive pas à descendre son taux de chômage. Il y a donc un problème. Mais on ne va pas le résoudre avec des projets de lois du type de celui qu'on nous présente ce soir.
En réalité, il y a inadéquation entre le besoin des entreprises qui créent des emplois et les compétences des demandeurs d'emploi qui sont sur le marché; le problème est au niveau de la formation. Le groupe radical va refuser ce projet de loi parce qu'il attend beaucoup, Mesdames et Messieurs les députés, du projet de loi qui va venir du gouvernement pour que l'on réponde mieux aux besoins des entreprises, par une formation plus adéquate, plus précise, et aussi en valorisant en amont l'apprentissage ! On a perdu depuis quelques années à Genève la notion de valeur de l'apprentissage.
A Genève, je crois que la question du chômage doit être réglée sur dix ou quinze ans: par une meilleure adéquation entre les demandeurs d'emploi et les entreprises, par une meilleure adéquation avec la formation des jeunes qui vont occuper les emplois dans cinq ou dix ans. Ce projet de loi est donc un emplâtre sur une jambe de bois. Le groupe radical vous recommande de le refuser.
M. Roger Deneys (S), rapporteur de minorité ad interim. Messieurs Stauffer, Catelain et Jeannerat, je prends acte de ce que vous venez de dire. Pour répondre à vos propos, ce projet de loi ne vise pas à résoudre le problème du chômage à Genève. S'il suffisait d'un projet de loi pour résoudre le problème du chômage dans notre société, cela ferait longtemps qu'il serait réglé.
Ici, on essaie de trouver des solutions humaines par rapport au chômage de longue durée. Le dispositif cantonal, après deux ans ou 18 mois de chômage fédéral, c'est en fait déjà un projet de loi fondé sur un constat d'échec ! Il concerne des personnes qui n'ont pas retrouvé de travail pendant 18 mois, et c'est extrêmement grave et dommageable pour elles. Dire que les emplois temporaires, c'est n'importe quoi et que cela ne sert à rien, c'est un énorme manque de respect par rapport aux personnes concernées qui ont tout à coup l'occasion, après deux ans ou 18 mois d'inactivité, de travailler. Le travail des emplois temporaires cantonaux est peut-être de durée limitée, mais il n'empêche que c'est un vrai travail, qui est utilisé par les collectivités publiques.
Et là, je prends acte des déclarations de M. Stauffer, notamment. Il dit qu'il ne faut pas soutenir les emplois temporaires parce que c'est une sorte d'esclavagisme et qu'il faut engager des personnes... Monsieur Stauffer, j'attends que le MCG tienne compte de cela lorsqu'il s'agira de voter des crédits supplémentaires pour les services de l'administration, pour les régies - Hôpital, TPG, etc. - et pour que les emplois qui sont actuellement en emplois temporaires cantonaux soient de vrais postes ! On vous attendra au tournant et on verra ce que vous faites ! Vous lancez de belles paroles, alors que vous n'étiez même pas en commission et que vous n'avez même pas suivi les débats...
Je trouve que ce projet de loi mériterait un petit retour en commission pour regarder de près ce que cela veut dire, combien cela va coûter, comment cela va fonctionner, est-ce que c'est si simple que cela... Est-ce que l'Etat va engager des personnes qui ont été 18 mois au chômage ?
J'attends des actes, et, à mon avis, cela aurait mérité une étude précise, poussée. En commission ! Et j'invite le MCG, l'UDC et les radicaux à montrer concrètement ce qu'ils vont faire contre le problème du chômage de longue durée au lieu de simplement s'opposer aux coûts de cette lutte. C'est cela le problème ! C'est que vous essayez de faire des économies sur le dos des chômeurs de longue durée et ce n'est pas acceptable.
M. Pierre Kunz (R), rapporteur de majorité. D'abord, j'aimerais dire que respecter les chômeurs, Monsieur Deneys... (Brouhaha.) ... ce n'est pas, comme vous semblez le faire, les prendre pour des zombies.
Je pourrais le faire, mais je me refuse à répondre une fois encore aux griefs que l'on m'exprime pour la quatrième fois à ce sujet. M. Deneys et d'autres les formulent à mon égard parce qu'au fond ils sont incapables de présenter des arguments sérieux. Par contre, je ne me priverai pas de relever que, si le parti socialiste et les Verts en sont réduits à défendre, semble-t-il pour se donner une âme ou pour justifier leur existence dans ce parlement, les idées aussi bizarres et inefficaces de la désormais «A gauche toute», je les plains !
Cela dit, je vous engage tous à ne pas accepter le renvoi en commission.
M. David Hiler, conseiller d'Etat. Je remercie tout d'abord le député Charbonnier d'avoir rappelé le contexte. Ce contexte, je pense que nous devons prendre une minute ou deux pour l'évoquer, parce que, de ce point de vue, notre Etat n'est pas tout à fait à l'abri de la critique.
Le fait que le délai fédéral allait être raccourci était connu. Le fait que nous allions avoir un afflux assez fort de personnes qui auraient besoin d'un emploi temporaire et qui y auraient droit était connu également. Or, que s'est-il passé ? L'Etat, nous allons en reparler, a pratiquement fait en sorte de rendre ce projet de loi fondamentalement inutile, parce que l'augmentation du nombre d'emplois temporaires a été extrêmement forte dès l'automne 2005 et encore au début de 2006. Mais, pendant quelques mois, des centaines de personnes se sont retrouvées dans l'alternative suivante: aller à l'Hospice en perdant les droits à l'emploi temporaire ou accepter de vivre sur leurs réserves. Ensuite, il y a eu des correctifs, mais tout ceci a créé une émotion que je trouve justifiée et qui a amené un florilège de propositions. Si l'émotion est justifiée, cela ne rend pas forcément la proposition efficace par rapport au but poursuivi.
En outre, les raisonnements globaux en termes de pourcentage pour l'Etat de Genève ont un sens, à vrai dire, assez limité. C'est en cela que je comprends mal ceux qui font de la sensiblerie par rapport à ce projet. Croyez-vous vraiment que l'on puisse offrir l'équivalent de 3% du corps enseignant, qui compose le très gros des effectifs du «petit Etat», comme on l'appelle, aux chômeurs de longue durée ? Pensez-vous qu'il y a adéquation ? Non, malheureusement non ! Il en est de même à l'Hôpital. Il y a un volant qui peut se dégager, bien sûr, et il a été utilisé. Qu'est-ce que cela signifie ? Que l'effort de l'Etat a été concentré sur un certain nombre de départements qui, de par leurs tâches administratives, peuvent accueillir un peu plus de personnes, sans forcément, d'ailleurs, offrir un travail extrêmement intéressant. De l'équivalent, si vous voulez, de 5% d'occupation temporaire, le département dont j'ai la charge est passé à 10%. Est-ce une bonne chose, Mesdames et Messieurs ? Non ! Ce que nous avons gagné pour un temps, le temps d'absorber la vague, nous l'avons, à l'évidence, perdu en qualité d'accueil à l'égard de ces personnes. Il y a un taux où l'on peut imaginer que l'emploi temporaire ait une valeur de réinsertion. Et à partir d'un certain taux, ce n'est plus un emploi, c'est une occupation.
En outre, cela a été dit: dans certains services, et de façon chronique depuis près de dix ans, le quart de l'effectif est composé de personnes en occupation temporaire. Ce n'est pas n'importe quel département - j'adore ces approximations - c'est le département des institutions, hors les policiers, qui sont le gros de ses effectifs, et hors les gardiens de prison, qui représentent également une part importante des effectifs. Il s'agit donc exclusivement des services administratifs du DI.
Mais, là encore, que se passe-t-il ? Les personnes sont formées à un travail, vous l'avez compris, à l'office cantonal de la population ou à l'office des poursuites et faillites. Lorsqu'elles sont formées à ce travail, on leur dit: «Au revoir ! Vous n'étiez pas si mal, mais au revoir quand même, nous n'avons pas de poste !» Et cela recommence. La prestation en pâtit et la personne aussi, quelque part. A un moment donné, on n'est plus dans une politique de réinsertion, et c'est là que le problème se pose. Parce que, ce qui est vrai - et cela, personne ne peut le nier ici - c'est que, dans le cas où il n'y a pas de projet de réinsertion lié à un emploi temporaire, c'est la dernière marche avant l'Hospice, malgré le deuxième délai-cadre.
C'est à partir de là qu'entre en jeu le pronostic statistique de M. Flückiger: à la fin de l'emploi temporaire, s'il n'y a pas eu réinsertion, la descente aux enfers va bel et bien commencer. Il y a donc plusieurs choses à dire. La première, c'est que l'Etat, qui était entièrement préparé à un vote positif sur la loi qui avait été proposée lors de l'ancienne législature, a agi sur le plan humain d'une façon dont nous ne pouvons pas être fiers, puisque la loi était là et qu'on n'a pas vraiment réussi à l'appliquer par rapport à des gens qui n'y étaient pour rien.
Par ailleurs, nous devons admettre que les solutions proposées ici ont un caractère irréaliste, on s'en aperçoit dès qu'on les confronte à la réalité des services et à la réalité de ce qu'est l'Etat de Genève. L'Etat de Genève, c'est d'abord des enseignants, ensuite des infirmiers, ensuite des policiers. Ce sont les gros effectifs de l'Etat de Genève ! Et là, malheureusement, la capacité d'intégrer à certaines de ces fonctions des personnes en emploi temporaire ne sont pas nulles, mais faibles. Donc, ce n'est pas la bonne voie. Mais je souscris à tout ce qui a été dit: ce n'est pas parce que ce n'est pas la meilleure solution qu'il ne faut pas en trouver une.
Je me réjouis d'entendre les propositions venant du parti socialiste, puisqu'elles nous ont été annoncées. Le Conseil d'Etat a les siennes, il ne prétend pas qu'elles sont exhaustives, mais qu'elles sont une amélioration de la situation actuelle. Nous devons trouver mieux, mais, je vous en conjure, considérez qu'il est inutile aujourd'hui de charger, pour des raisons un tout petit peu liées à l'activité parlementaire ou à l'un ou l'autre de ses dysfonctionnements, la commission de l'économie d'un projet supplémentaire. En effet, si j'ai compris, nous aurons au moins deux projets, dont j'espère qu'ils seront novateurs à armes égales, si je puis m'exprimer ainsi: celui du Conseil d'Etat et celui du parti socialiste. Et cela devrait suffire pour nourrir notre réflexion.
J'ajoute une chose: un emploi temporaire, en effet, est moins payé et la productivité de la personne est moindre, mais, Mesdames et Messieurs, lorsque nous reparlerons de ces emplois temporaires, sachons que, comme collectivité publique, nous devons respecter le contrat. Le contrat, c'est: vous venez travailler, mais ce que vous ferez à l'Etat de Genève va renforcer votre employabilité. Et derrière les grands discours de gauche comme de droite, je n'ai pas l'impression qu'on se soit beaucoup occupé de l'efficacité de cet engagement. Lorsqu'il nous est dit par M. Flückiger que nous avons fait un arrangement - j'ai collaboré à cet arrangement comme député - je crois que c'est vrai. Je crois que plus les années ont passé, plus cet arrangement a montré ses limites.
Il faut aujourd'hui partir sur des bases nouvelles. Ce projet de loi n'est en réalité qu'une tentative finale pour sauver un système qui doit maintenant être remplacé. Nous avons besoin d'un système meilleur du point de vue de la réinsertion, meilleur du point de vue du respect du chômeur et qui, fondamentalement, nous rende des disponibilités financières pour créer des postes là où nous savons que nous emploierons des gens plutôt que de les faire tourner incessamment, de les faire travailler dans des postes qui devraient exister mais sans jamais pouvoir les engager parce que, de fait, les postes n'existent pas.
J'espère que vous vous en rappellerez quand nous viendrons vous expliquer pourquoi nous avons dépassé le 1% de croissance des charges du personnel. C'est notamment parce qu'en dehors des besoins de la justice nous avons noté que plusieurs services au département des institutions devaient maintenant avoir des postes stabilisés, de sorte à pouvoir une fois capitaliser tout l'effort de formation qui est fourni et cesser la valse infernale. (Applaudissements.)
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 9625 à la commission de l'économie est rejeté par 56 non contre 13 oui et 6 abstentions.
Mis aux voix, le projet de loi 9625 est rejeté en premier débat par 45 non et 30 abstentions.