République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 19 décembre 2003 à 8h
55e législature - 3e année - 3e session - 12e séance
M 1328-B
Débat
M. Gabriel Barrillier (R), rapporteur de majorité. Je suis optimiste de nature, je pense donc que ce débat sera plus court que le précédent, sur les incubateurs... (Commentaires.)
Cette motion illustre bien les difficultés que nous avons à aborder le problème du logement. Sur mon trajet de ce matin, à la place du Bourg-de-Four, j'ai vu la manchette du GHI... (Exclamations.)...qui titrait: «Le logement victime de lois dépassées...» (Exclamations.)Cela m'a inspiré...
Cette motion date de l'an 2000. Il a fallu à peu près trois ans, pour des raisons assez obscures - j'en prends à témoin les membres de la commission du logement - pour obtenir ce rapport. Nous avions voté le premier rapport à l'unanimité lors de la séance de commission du 27 novembre 2000. Mais nous mettons tellement de temps pour effectuer nos travaux que la situation s'est dégradée entre-temps et la pénurie de logements encore plus importante qu'avant. C'est la raison pour laquelle, lors de la séance plénière du 29 août 2003, nous avons renvoyé cette motion à la commission du logement, et cette dernière y a ajouté une invite, votée à la majorité, demandant au Conseil d'Etat, je cite: «d'assouplir sa pratique en matière de répartition entre logements subventionnés et logements non subventionnés de manière à favoriser la relance de la construction de logements.» Je veux parler de la célèbre règle dite des «deux tiers/un tiers», qui nous occupe depuis très longtemps...
J'aimerais tout de même vous rappeler que nous avons fait un progrès... En effet, au début de cette législature, nous avons dû examiner deux projets de lois symétriquement opposés: un de la droite, qui demandait d'inscrire dans la loi deux tiers de logements du secteur libre et un tiers de logements sociaux - je simplifie... - et un de la gauche qui demandait le contraire, soit d'inscrire dans la loi un rapport rigide: deux tiers de logements sociaux et un tiers de logements dans le secteur libre, ce qui était tout à fait défavorable à l'évolution du marché. Les deux blocs - gauche et droite - se sont entendus pour retirer leurs projets de lois, faisant ainsi preuve d'un certain pragmatisme.
Lors de nos derniers travaux de commission, vous n'avez effectivement pas voulu de cette nouvelle invite... Ce n'est pourtant qu'une invite qui demande au gouvernement d'assouplir sa position dans les zones de développement par rapport à cette règle. Ce n'est certes pas la panacée, qui va, à elle seule, résoudre la pénurie de logements, mais c'est une des mesures, qui, ajoutées les unes aux autres, pourrait permettre d'améliorer la situation.
Mesdames et Messieurs les députés, aujourd'hui, je vous propose de voter les conclusions de la majorité.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de minorité. Comme vous l'avez dit, Monsieur Barrillier, cette motion date de l'an 2000... Mais ce qui a changé entre-temps, ce ne sont pas du tout les conditions de logement... Ce qui a changé, c'est la majorité ! A l'époque, nous étions majoritaires, et, suite au changement de majorité, vous en avez profité pour revenir sur le vote de la motion. C'est cela qu'il faut dire ! Les conditions dans ce domaine n'ont pas changé. On ne peut pas dire qu'il y avait beaucoup de logements libres en 2000 et qu'il n'y en a plus en 2003: ce n'est pas du tout ça ! Comme je viens de le dire, vous êtes revenus sur le vote de cette motion parce que vous étiez devenus majoritaires ! Et c'est bien dommage !
Deuxième point. En effet, Monsieur Barrillêt...
Une voix. Barrillier !
M. Alberto Velasco. Barrillier... Parfait, je corrige ! (Rires.)...un consensus avait été trouvé, ici en plénière, entre la gauche et la droite, pour retirer simultanément les projets de lois 8498 et 8527 - comme vous l'avez évoqué. Et je trouve que vous faites preuve d'une certaine mauvaise foi en revenant sur cette motion en donnant le même argument, après que nous avons accepté, de part et d'autre, de retirer ces deux projets de lois !
Je cite l'invite qui figure à la fin de votre rapport: «invite le Conseil d'Etat à assouplir sa pratique actuelle de répartition entre logements subventionnés et logements non subventionnés de manière à favoriser la relance de la construction de logements». En effet, vous ne mentionnez pas que vous voulez un tiers de logements sociaux et deux tiers de logements dans le secteur libre, mais vous savez bien que c'est l'idée de votre invite !
Vous vous demandez pourquoi nous nous opposons à cette répartition, l'important étant de construire des logements... C'est votre argument, n'est-ce pas ? (Commentaires.)Seulement, nous pensons qu'étant donné la répartition sociale des habitants de ce canton et leur revenu, cette répartition devrait être inversée. En effet, une large majorité de la population genevoise n'a pas accès aux logements du marché libre. Celui-ci ne répond donc pas aux besoins de la population, car il ne correspond pas à la demande. Et d'ailleurs, vous voyez bien que les chiffres, qui nous ont été fournis en commission par le département et qui figurent dans mon rapport, le montrent ! 63,66% des demandeurs ont un revenu inférieur à 60 000 F et 24% ont un revenu qui se situe entre 60 et 90 000 F. Et vous savez très bien que les prix des logements qui se construisent dans le marché libre ne correspondent pas à ce type de revenus ! A partir de là, nous disons simplement qu'il faut construire des logements pour les personnes qui en ont besoin, à des prix qui correspondent à leurs possibilités financières.
D'autres chiffres intéressants qui nous ont été fournis en commission montrent que dix mille neuf cent soixante-trois logements ont été mis en location au bénéfice de la LGL entre 1992 et 2002 et, pour la même période, vingt mille quatre cent cinquante-deux logements libres ont été construits ! Et, si vous faites le rapport, Monsieur Barrillêt...
Des voix. ...llier !
M. Alberto Velasco. ...llêt... Je n'y arrive pas ! (Exclamations. L'orateur est interpellé.)Si vous faites le rapport, cher collègue... C'est plus facile, n'est-ce pas ? (Rires.)...sur le total des logements mis en location durant cette période: cela donne 35% de logements au bénéfice de la LGL et 65% de logements dans le secteur libre. Le département a bien appliqué la répartition des deux tiers/un tiers, durant cette période, mais dans l'autre sens ! Et vous vous plaignez ? Je ne vois vraiment pas de quoi vous vous plaignez ! C'est nous qui devrions nous plaindre, parce que la répartition de deux tiers de logements sociaux pour un tiers de logements dans le secteur libre n'est pas appliquée !
En ce qui nous concerne et par gain de paix - puisque les deux projets de lois ont été retirés - je vous propose de rejeter la motion telle qu'elle nous est soumise aujourd'hui et de voter la motion d'origine.
Mme Michèle Künzler (Ve). Faut-il le rappeler encore une fois: cette motion a été votée à l'unanimité ! Elle invite le Conseil d'Etat à procéder à une analyse de la demande de logements et de définir une politique adéquate en matière de production et de rénovation de logements. Tout le monde peut être d'accord sur ces points.
Mais, en fait, un oeuf de coucou a été déposé dans cette motion, puisqu'on y a ajouté une invite qui n'est pas anodine... En effet, nous avions demandé que soient étudiés les besoins en logements... Eh bien, on nous donne déjà la réponse: la suppression de la répartition des deux tiers/un tiers, ou, pour le moins, l'assouplissement de cette règle ! Et on explique dans l'exposé des motifs que: tout le monde devrait être d'accord sur ce point, car, en retirant simultanément les deux projets de lois en question, les deux blocs reconnaissaient implicitement la nécessité d'introduire plus de souplesse dans la répartition entre les deux catégories de logements... Ce n'est pas le cas, et c'est préjuger de notre réponse ! Pour nous - et pour la gauche qui a accepté de retirer ces projets - cela veut dire que ce n'est pas une bonne chose d'inscrire cette règle dans la loi...
Et je rappelle que les Verts n'ont signé ni l'un ni l'autre de ces projets ! Car, pour nous, ce n'est pas le fond du problème... En effet, le problème du logement ne se résume pas à: logements subventionnés et logements du secteur libre et à la règle des deux tiers/un tiers. C'est un problème beaucoup plus vaste dans lequel il faut inclure la PPE, les coopératives, les HM, etc.
En ce qui nous concerne, nous refuserons cette motion telle qu'elle est proposée, d'une part, parce qu'elle n'apporte rien et, d'autre part, parce qu'il ne faut pas supprimer la règle des deux tiers/un tiers, qui n'est du reste pas strictement appliquée, comme l'a rappelé M. Velasco. En effet, on construit bien plus de logements dans le secteur libre que de logements subventionnés. En zones de développement, le rapport est de 50%, mais, dans toutes les autres zones, tous les logements sont sur le marché libre. Le nombre de logements sur le marché libre est donc bien plus élevé.
Tant que ne sera pas résolue la question d'un socle de logements à loyers modérés, nous pensons qu'il ne faut pas changer les règles actuelles. Quand on aura trouvé un nouveau projet qui nous rassemble, nous le voterons.
Mme Françoise Schenk-Gottret (S). Lors de son premier passage en commission, cette motion avait fait l'objet d'une sage unanimité, comme cela a été dit plusieurs fois...
Le Conseil d'Etat, dans sa pratique en matière de logements sociaux, a toujours fait preuve de pragmatisme et non d'une attitude doctrinaire, ce qui montre une sagesse certaine...
L'excellent rapport de M. Velasco montre, chiffres à l'appui, de façon argumentée, étayée, combien il était utile que la pratique actuelle soit maintenue pour permettre la construction de logements pour tous.
L'invite nouvellement ajoutée vient rallumer vainement le feu. En effet, une motion n'a aucune force contraignante, et le Conseil d'Etat peut en faire ce qu'il veut... Je ne doute pas que, sur ce sujet, il ne variera pas dans sa pratique qui est frappée au coin du bon sens.
Les députés de l'Entente, qui sont figés dans leur logique, voteront cette motion, mais d'autres projets, ô combien importants et contraignants, les attendent ! Des lois, des initiatives, qui, elles, auront une force. Citons, l'initiative 120, la loi 8884 sur les transports publics, pour exemples ! Pourquoi déclarer la guerre aux locataires, aux usagers des transports publics ? Ce sont des combats perdus d'avance !
En votant cette motion, les députés de l'Entente contribuent à devenir les fossoyeurs de leur propre majorité, à terme... Ce qui ne peut que nous réjouir, mais ne m'empêche pas de regretter l'unanimité qui avait été trouvée autour de la proposition de motion, dans sa version première et consensuelle.
M. René Ecuyer (AdG). Je vous invite à suivre les conclusions du rapport de minorité...
C'est l'envers du bon sens, Monsieur Barrillêt ou Monsieur Barrillier... (Rires et exclamations)Barrillier, d'accord ! (Commentaires.)Vous dites dans votre rapport que le nombre de logements construits a diminué entre 1997 et 2002... C'est une lapalissade ! On ne peut que le constater ! Et pour pouvoir construire davantage de logements, vous avez trouvé la solution: une plus grande souplesse dans l'application des quotas de logements sociaux et de logements du marché libre !
M. Velasco compare le nombre de logements sociaux mis sur le marché en 1997 et en 2002... Eh bien, il y a infiniment moins de logements sociaux mis sur le marché en 2002 - la moitié - qu'il n'y en avait en 1997 !
Monsieur Barrillier, vous prétendez que votre amendement va permettre de construire plus de logements... D'abord, vous n'en avez pas la preuve ! Vous dites que la construction de logements sera favorisée par une application plus souple de la règle des deux tiers/un tiers... Rien ne nous le prouve !
Ce qui est vrai, c'est que la demande de logements concerne essentiellement les logements sociaux ! Et vous, vous proposez de diminuer la contrainte pour les promoteurs ! Mais, ce faisant, vous allez augmenter la contrainte pour les locataires, qui seront obligés de se rabattre sur des logements à des prix élevés, trop élevés pour eux ! Allez à l'office des poursuites et des faillites ou au Tribunal des baux et loyers, et vous verrez le nombre de personnes qui ne sont pas en mesure de payer leur logement ! C'est bien cette catégorie de logements - les logements sociaux - qui fait cruellement défaut à ces personnes.
Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à refuser cette motion telle qu'amendée. Je pense qu'il conviendrait de garder la règle de la répartition des deux tiers/un tiers, qui n'est qu'une intention, puisqu'on vient de nous dire qu'une motion n'avait pas force de loi, pour montrer notre intention.
Moralité: je vous propose de suivre les conclusions du rapport de minorité !
M. Hugues Hiltpold (R). Il me semble utile de rappeler en préambule - ce qui a été fait par le rapporteur de majorité - que deux projets de lois, un émanant de l'Entente et l'autre de l'Alternative, relatifs à la problématique de la règle de répartition des deux tiers/un tiers, ont été retirés parce nous étions partis du principe qu'il ne fallait précisément pas légiférer en la matière. Mais cela ne veut pas dire que la pratique courante appliquée par le Conseil d'Etat, qui prévoit deux tiers de logements subventionnés et un tiers de logements dans le secteur libre construits dans les zones de développement, est cautionnée par l'ensemble de ce parlement. Elle ne l'est pas !
Partant de là, l'invite qui est ajoutée dans cette motion demande simplement au Conseil d'Etat d'assouplir la pratique en cours: ni plus ni moins ! Elle n'a aucune force contraignante ! Elle ne fixe aucun plafond, aucun plancher. Elle demande juste que cette pratique soit assouplie ! Il faut prendre cette nouvelle invite comme un signal politique.
C'est la raison pour laquelle le groupe radical vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à renvoyer cette motion au Conseil d'Etat et à voter le rapport de majorité.
M. Pierre-Louis Portier (PDC). Pour les démocrates-chrétiens, l'aller-retour de cette motion en commission du logement était tout à fait salutaire. En effet, il nous paraît indispensable que le gouvernement assouplisse sa politique en matière de logements sociaux, soit la fameuse règle des deux tiers/un tiers.
Madame la députée Künzler, vous dites que le problème du logement ne se résume pas à cela, vous avez certainement raison... Mais il en est incontestablement une des composantes importantes. Toute une série de contraintes et de conditions doivent être réunies pour permettre la construction de logements, et cette règle de répartition en est une.
C'est un problème important non seulement pour les investisseurs - cela a été dit - mais aussi pour certaines communes. A cet égard, j'aimerais vous demander de vous projeter un peu dans le temps, puisque nous serons amenés à examiner prochainement le rapport divers 513 - au point 125 de notre ordre du jour - rapport du Conseil d'Etat qui traite du quartier de la Pralée, chemin des Bossons, et, notamment - notamment - de la fameuse opposition de la commune d'Onex pour l'aménagement de ce quartier... Si je félicite le Conseil d'Etat d'être ferme dans ce dossier, car les conditions idéales sont réunies pour y construire des logements, et notamment parce que l'Etat possède un certain nombre des parcelles concernées, le point de vue de la commune d'Onex doit être retenu: c'est incontestable ! Or, l'opposition formulée par la commune d'Onex se base essentiellement sur la problématique de la répartition des catégories de logements. Car, s'il y a une commune à Genève qui a déjà fait des efforts considérables en matière de logements sociaux, c'est bien la commune d'Onex ! Cela mérite d'être souligné ! Alors, quand la commune exprime son souhait de voir diversifier l'habitat qu'elle est prête à recevoir, je pense que cette demande est parfaitement légitime.
En ce qui nous concerne, nous étudierons cette demande avec attention en commission d'aménagement, sans pour autant renoncer - je l'annonce d'ores et déjà, de façon que nos propos ne soient pas mal interprétés: n'est-ce pas, Monsieur Pagani ? - à la construction de logements. Merci: j'aimerais bien que cela soit noté !
Je le répète, nous pensons qu'un assouplissement dans ce domaine est indispensable non seulement pour répondre aux voeux de certains investisseurs, aux voeux de certains propriétaires, mais, également, pour répondre aux voeux de certaines communes.
M. Rémy Pagani (AdG). Il m'arrive de rêver, mais il m'arrive aussi de cauchemarder...
En l'occurrence, cette motion ne fait qu'alimenter les cauchemars qui m'accablent de temps en temps en constatant que la ville - et sa périphérie - est réservée aux riches, à ceux qui ont les moyens de se payer des logements au centre-ville. (Brouhaha.)Les pauvres étant éjectés non pas à la périphérie mais à l'extérieur de nos frontières, c'est-à-dire en zone frontalière... (Le président agite la cloche.)
Mesdames et Messieurs les députés, c'est bien le risque que prend notre collectivité en portant atteinte à un des rôles de l'Etat qui consiste à maintenir un équilibre dans la population. Même si j'en conviens, Monsieur Portier, dans certains secteurs il y a des déséquilibres - qui ont été créés parce que d'autres communes n'ont pas voulu faire les efforts nécessaires: je pense par exemple à Cologny - en supprimant la règle de répartition des deux tiers/un tiers, vous voulez donner un signe politique au gouvernement qui revient à dire que le rôle essentiel de l'Etat qui consiste à maintenir l'équilibre des populations en ville n'est plus de mise... En ajoutant cette invite, vous dites que l'Etat ne doit plus laisser construire, de manière déterminée, deux tiers de logements pour la majorité de la population - je ne parle même pas des pauvres - et un tiers pour la minorité.
Même si vous avez accepté de retirer votre projet de loi qui légiférait en matière de répartition, nous estimons que cette motion amendée exprime votre volonté politique - qui sera bien évidemment ratifiée ce matin par votre majorité - de faire en sorte que la ville soit essentiellement habitée par les riches - voire des moins riches - et d'en exclure les pauvres. Il n'y aura pas de mur dressé entre les pauvres et le reste de la population, mais il y aura une zone étanche - la zone agricole qui sera appelée zone de verdure - et les pauvres auront le loisir d'habiter à l'extérieur de nos frontières...
Mon cauchemar se terminait de la manière suivante - c'est déjà en partie le cas: les pauvres - c'est-à-dire la majorité de la population - descendaient en ville pour faire des razzias... Expulsés de la ville, tous devaient habiter de l'autre côté de la frontière... Je ne pourrai que le déplorer !
M. Jacques Baud (UDC). Deux tiers/un tiers... Pourquoi pas vingt-quatre tiers ! (L'orateur est interpellé.)Tu te tais ! (Rires et exclamations.)C'est une aberration totale !
On se rend compte d'une chose dans le monde entier, tous les quartiers dits «sociaux» sont un échec absolu ! C'est prouvé, que ce soit en France, aux Etats-Unis, et, même en Suisse: le logement social devient une monstruosité ! C'est l'exclusion des pauvres qui sont parqués... C'est inadmissible ! C'est inacceptable ! Les pauvres ont le droit d'être logés comme tout un chacun ! Faire du logement dit «social», c'est vouloir les mettre à l'écart, les regrouper pour mieux les surveiller ! C'est cela votre vision de la société ? Non, Mesdames et Messieurs les députés, la règle de répartition des deux tiers/un tiers n'est pas une bonne chose, ni moralement ni physiquement ! Parce que construire pour les pauvres, cela signifie construire bon marché ! Je le répète, cela revient à les parquer !
Cette motion n'est certes pas le paradis, mais nous la suivrons: elle est un moindre mal...
M. Olivier Vaucher (L). Tout à l'heure, le rapporteur de minorité, M. Velasco, expliquait que ce qui avait changé depuis le premier dépôt de cette motion, c'était la majorité de ce parlement...
Certes, il a raison - la majorité a changé - mais j'aimerais tout de même dire à M. le député Velasco qu'entre-temps la situation du logement à Genève a aussi changé... Elle a même dramatiquement changé ! Jour après jour, la situation est de plus en plus tendue, et les problèmes sont beaucoup plus aigus.
Mme la députée Künzler dit qu'il faut demander que soient faites des études sur les possibilités dans ce domaine... Mesdames et Messieurs les députés, je pense, pour ma part, qu'il est temps d'agir ! Ce n'est plus le moment de faire des études en long, en large et en travers ! Je sais que certains, même au sein des comités des fondations HBM, se font un plaisir de faire des études «sur le dos» du logement social, ce qui est inacceptable ! On ne peut pas freiner la construction de logements sociaux, sous prétexte de faire des études démographiques, architecturales, etc.
Mesdames et Messieurs les députés, il faut agir aujourd'hui et vite ! Une chose est certaine... (L'orateur est interpellé.)Vous me laissez parler, Monsieur ? Cela ne vous dérange pas ? Merci beaucoup ! Une chose est certaine, c'est que les promoteurs - nous le savons - ne veulent malheureusement plus construire de logements HLM, car ils ne sont plus en mesure de le faire, financièrement parlant: c'est un état de fait !
Nous devons donc trouver des solutions pour permettre non seulement à l'Etat de construire des logements sociaux mais aussi à des privés. Il faut donc rééquilibrer l'application de la règle de répartition des deux tiers/un tiers, pour permettre à d'autres que l'Etat de construire. Comme vous le savez Mesdames et Messieurs les députés, la situation des finances de l'Etat n'est pas particulièrement saine et il ne peut pas se substituer à l'ensemble des constructeurs de la République.
Je rappelle que l'année prochaine de très nombreux logements sociaux vont enfin être mis sur le marché: c'est l'aboutissement d'opérations immobilières qui ont pris une dizaine d'années. La proportion des logements sociaux va s'en trouver améliorée. Cet aspect a en effet été évoqué par certains intervenants qui ont insisté sur le faible nombre de logements sociaux qui avaient été mis sur le marché... C'est vrai jusqu'en 2000, mais la tendance s'inverse depuis deux ou trois ans, et l'équilibre sera rétabli ces prochaines années.
Je prétends, Mesdames et Messieurs les députés - je l'ai déjà dit, mais je pourrai l'enregistrer pour vous le répéter encore et encore - que nous avons besoin aujourd'hui de toutes les catégories de logements, et ce, de manière égale. Je vous donne un simple exemple: les internationaux ! Nous sommes régulièrement interpellés par les internationaux qui nous disent que, si nous ne leur trouvons pas de logements, ils seront obligés de quitter Genève... Monsieur Pagani, est-ce ce que vous souhaitez ? Soyez raisonnable, cette invite est normale, elle est d'actualité !
Je vous invite à voter ce projet aujourd'hui, pour que nous puissions agir dans les plus brefs délais.
M. René Ecuyer (AdG). Nous avons entendu quelques monstruosités à propos desquelles je ne peux pas ne pas réagir...
Il faudrait déjà expliquer à M. Baud ce que sont des logements sociaux... Ce ne sont pas des logements pour pauvres! Ce sont des logements qui correspondent aux possibilités des familles qui vont y loger. Il ne s'agit pas de les parquer ! Et il faut bien qu'ils puissent se loger: c'est un minimum ! Les logements sociaux, ce sont des logements pas cher: tout simplement !
Je suis tout de même sidéré d'entendre M. Portier s'exprimer au nom des communes et dire qu'elles devraient pouvoir construire des logements dans le secteur libre... Mais la vocation des collectivités publiques, c'est de mettre des logements à la disposition de ceux qui en cherchent, à la portée de tous !
Or, j'ai entendu M. Olivier Vauthier, Vaudier, Vaucher - je ne sais plus (Rires.): il y a Barrillier et il y a Vaucher ! (Commentaires.)- parler d'égalité entre logements du secteur libre et logements sociaux... Mais la demande est bien plus forte pour les logements sociaux ! Deux tiers: on ne demande pas plus ! Renseignez-vous auprès de l'office cantonal du logement: les demandeurs de logements sociaux, je le répète, sont plus nombreux. En disant que les besoins sont aussi grands en logements sociaux qu'en logements du secteur libre, vous dites une contrevérité !
Monsieur Portier, vous prétendez défendre les communes qui veulent construire des logements dans le secteur libre... Je ne vois pas quelles sont les communes qui vont en construire ! C'est votre intention, à Veyrier ? Vous voulez mettre des logements à disposition des personnes qui ont les moyens de se payer des logements dans le secteur libre, alors qu'il y a des gens, dans votre commune, qui cherchent des appartements bon marché ? Je suis sidéré par vos propos !
Je le répète, je soutiens le rapport de minorité.
M. Alain Etienne (S). J'aimerais également revenir sur l'intervention de M. Pierre-Louis Portier...
Il parle du cas d'Onex, sur lequel nous pourrions être bien évidemment d'accord, car cette commune a déjà fait un effort considérable en la matière, comme d'autres communes suburbaines, du reste. Mais je rappelle que cet effort en matière de logements sociaux doit être équitablement réparti sur l'ensemble du territoire - point auquel nous sommes attentifs. Je constate que certaines communes de notre canton ne font pas toujours l'effort demandé.
Nous avons eu tout un débat au sujet des secteurs de Cologny - Frontenex la Tulette - où nous aurions pu créer une zone de développement sur laquelle auraient pu être construits de nombreux logements, car le potentiel à bâtir était important... Mais vous vous êtes opposés à ce projet et vous avez décidé d'y laisser construire des villas !
Alors, je vous renvoie à vos contradictions !
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de minorité. J'aimerais vous dire, Monsieur Portier, que je suis tout à fait d'accord avec votre position selon laquelle il faudrait assouplir la politique en matière de logements sociaux. Seulement l'invite de la motion ne demande pas cela: elle demande d'assouplir la politique en matière de logements du marché libre, ce qui n'est pas la même chose ! Mais je veux bien l'accepter...
Monsieur Baud, vous avez parlé de vingt-quatre tiers... Or, ça fait huit entiers, soit 800%... Et nous, nous ne demandons que 75% !
Vous dites aussi qu'il ne faut pas parquer les pauvres n'importe où... Je suis d'accord avec vous: il faut les parquer chez les riches ! (Rires et exclamations.)Notre conseiller d'Etat a voulu parquer des pauvres à Cologny, et vous avez pu voir ce qui s'est passé... Je suis d'accord avec vous sur ce point ! Alors, faites une motion et faites campagne pour que les déclassements proposés par M. Moutinot dans certains secteurs du canton soient acceptés ! Les pauvres ne doivent en effet pas forcément être logés à Vernier ou ailleurs, rassemblés comme dans une réserve ! Nous sommes opposés à de telles réserves pour pauvres, tout comme vous, Monsieur !
Monsieur... Comment s'appelle-t-il, déjà ?
Une voix. Vaucher !
M. Alberto Velasco. Monsieur Vaucher, vous dites que nous avons besoin de toutes catégories de logements... Je suis également d'accord avec vous, Monsieur Vaucher, seulement il y a un petit problème: c'est que tout le monde, quel que soit son revenu - je dis bien: quel que soit son revenu - a droit à un logement, pour respecter l'égalité de traitement... Mais il se trouve - je l'ai dit tout à l'heure - que les deux tiers de la population ont des revenus qui ne leur permettent pas d'accéder à n'importe quel loyer... C'est la raison pour laquelle nous devons appliquer la règle de la répartition !
Monsieur Vaucher, je préférerai que la République de Genève n'ait pas de politique sociale en matière de logement et que tout le monde ait un emploi et un salaire convenable qui permette à chacun d'avoir accès à un logement du marché libre, sans avoir besoin de recourir à l'aide sociale. C'est bien parce qu'il y a des problèmes en matière de salaires et que les gens n'y arrivent pas que l'Etat doit les aider sur le plan social !
Le jour où chaque citoyen de ce canton... (Exclamations.)...aura un revenu acceptable, j'en serai heureux, car l'Etat fera des économies, et son budget s'en trouvera allégé... Mais nous n'en sommes pas encore là, Monsieur Vaucher ! Pour l'instant, l'Etat doit faire en sorte de protéger les pauvres et les personnes les plus fragiles. Leur procurer un logement en fonction de leur revenu est justement une de ses missions, en regard de l'égalité de traitement !
Je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, évidemment, à refuser les modifications qui ont été apportées à la motion 1328.
M. Gabriel Barrillier (R), rapporteur de majorité. Je suis surpris en bien de la modération des débats de ce matin... Je ne sais pas si c'est parce qu'il est tôt, mais j'ai trouvé qu'il était plutôt confortable de discuter dans ces conditions - ce qui n'est pas habituel en matière de logement...
Je distribue un bon point à Mme Künzler - c'est le privilège des rapporteurs de pouvoir commenter et apprécier les interventions... - qui a rappelé à juste titre que la politique du logement devait être pensée globalement. Pour trouver des solutions et mener une bonne politique en matière de logement, plusieurs instruments existent et il ne faut en négliger aucun, notamment l'aménagement du territoire. Mais nous n'allons pas refaire tout le débat, maintenant...
L'invite que la majorité de la commission vous propose d'accepter n'est qu'un des éléments susceptibles d'améliorer la situation: elle demande un peu plus de souplesse, ce qui permettrait effectivement d'éviter les ghettos en favorisant la mixité et d'éviter d'avoir une vision manichéenne des pauvres... A vous entendre, on dirait que tout le monde est pauvre dans cette République ! Je vous rappellerai juste en passant, mon cher collègue, que 1% des contribuables, dont le revenu est de 300 000 F et plus, payent 70% des impôts, ce qui permet aussi d'alimenter la politique sociale du logement !
Je vous invite donc à voter le rapport de majorité. Tout a été dit, ce matin...
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Les grands axes de la politique du logement ont été définis dans le discours de Saint-Pierre, qui rappelait l'importance d'un logement pour tous, respectant le principe d'une mixité, que l'effort de l'Etat doit porter sur le logement bon marché, notamment le logement coopératif, pour la bonne et simple raison que le rôle de l'Etat est forcément de venir en aide à ceux qui en ont besoin, par conséquent à ceux qui ne peuvent pas se loger au prix du marché sans cette aide.
A partir de là, si on veut obtenir cette mixité, cela implique que l'on ne suive pas strictement les lois du marché. Parce que, très naturellement, les lois du marché imposent aux promoteurs-constructeurs de construire, au moment où ils démarrent leurs projets, ce qui leur paraît le plus intéressant. C'est normal de leur part, et c'est normal que l'Etat intervienne pour veiller à ce que la production de logements réponde à l'ensemble des besoins. Or, la règle des deux tiers/un tiers - dont je ne suis pas l'auteur et qui remonte à plus d'un quart de siècle, qui a été appliquée systématiquement par tous mes prédécesseurs et par tous les Conseils d'Etat, dans toutes les compositions qu'ils ont connues depuis vingt-cinq ans - a précisément pour but d'éviter les ghettos, contre lesquels M. Baud s'insurge, comme moi et comme vous tous ici.
Il faut rappeler que cette règle ne s'applique évidemment qu'en zone de développement, et c'est la raison pour laquelle, si l'on cumule la totalité des logements construits, on arrive grosso modo à l'inverse - comme l'a démontré M. le rapporteur de minorité - parce que, dans les zones villas ou les zones primaires, il n'y a en général pas de logements subventionnés.
Si la règle des deux tiers/un tiers devait par trop être assouplie, on arriverait à produire un seul type de logements, ce qui n'est socialement pas acceptable. D'autre part, cette règle comporte beaucoup d'exceptions, ce qui explique pourquoi on construit beaucoup moins de logements sociaux qu'on veut bien le dire... En effet, lorsque trois immeubles sont construits sur un périmètre, il est relativement facile d'en destiner deux au logement social et un au logement du secteur libre. Lorsqu'il n'y a que deux immeubles construits sur une parcelle, on fait moitié-moitié. Et s'il n'y en a qu'un, il n'est parfois pas destiné au logement social.
Mesdames et Messieurs les députés, si - et là je vous prends tous au mot - vous êtes attachés à la mixité, il ne faut pas, ou en tout cas pas trop, assouplir la règle des deux tiers/un tiers.
La remarque de Mme Künzler est évidemment extrêmement pertinente: je veux parler de la pérennité du logement social. Vous vous en souvenez, j'avais lancé le projet des logements locatifs sociaux pérennes. Compte tenu d'avis très divergents, lors de la consultation, j'ai sollicité la fondation, présidée par M. Barro, d'examiner les résultats de cette consultation et de faire des propositions. M. Barro me les promet pour «tout de suite»... J'espère que cette promesse sera tenue et que nous pourrons reprendre ce débat rapidement.
En ce qui concerne la parcelle d'Onex sur laquelle nous reviendrons, la difficulté réside, Monsieur Portier, dans le fait que la plupart de ces terrains sont en main publique. Or, on me dit - en tout cas, dans vos rangs - qu'il appartient à l'Etat de s'occuper du logement social, de manière que les privés soient plus libres... A ce niveau, vous allez rencontrer une difficulté sur ce périmètre !
Cela pour vous dire, Mesdames et Messieurs les députés, que ce n'est pas par dogmatisme que je défends la règle traditionnelle des deux tiers/un tiers. C'est simplement pour répondre à votre souhait à tous d'une véritable mixité dans la production de logements et dans leur répartition géographique sur le territoire cantonal. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Pour que les choses soient claires, nous avons, d'une part, la motion telle qu'issue des travaux de la commission et, d'autre part, la motion annexée au rapport de minorité. Je vais d'abord vous soumettre la motion telle qu'issue des travaux de la commission. Si elle est acceptée, le deuxième vote sera sans objet, et vice versa. Nous procédons donc au vote de la motion telle qu'issue des travaux de la commission au moyen du vote électronique. Le vote est lancé. Monsieur Velasco ? (Commentaires.)Je l'ai dit clairement !
Cette motion est acceptée par 32 oui contre 23 non. (Exclamations.)
Des voix. On n'a pas voté!
Le président. Ecoutez, lorsqu'on est en procédure de vote, ce serait bien de voter ! (Exclamations.)Attendez un peu ! On va commencer par se calmer, et, une fois que tout le monde sera calmé, on pourra discuter ! (Exclamations.)Monsieur Velasco j'ai clairement dit que le vote portait sur la motion telle qu'issue des travaux de la commission. Je l'ai dit deux fois, c'est maintenant la troisième, et je n'aimerais pas avoir à le dire une quatrième fois ! Nous allons donc procéder à ce vote une nouvelle fois, et ce sera la dernière, toujours au moyen du vote électronique. Le vote est lancé.
Mise aux voix, la motion 1328 est adoptée par 36 oui contre 32 non.