République et canton de Genève

Grand Conseil

R 466
Proposition de résolution de Mmes et MM. Ueli Leuenberger, Françoise Schenk-Gottret, Jeannine De Haller, Renaud Gautier, John Dupraz, Patrick Schmied pour un appel aux citoyens genevois à rejeter l'initiative populaire dite "contre les abus de l'asile"

Débat

M. Ueli Leuenberger (Ve). Je sais que les conditions d'écoute ne sont plus optimales, et je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'argumenter longtemps sur le bien-fondé de notre résolution. Ce n'est pas l'endroit non plus pour convaincre les députés de changer leur position.

Si nous proposons cette résolution, c'est pour que les Genevois qui sont encore hésitants sur le vote sachent clairement que toutes les formations politiques raisonnables du Grand Conseil genevois rejettent l'initiative intitulée «contre les abus de l'asile».

La tradition et la vocation humanitaire de Genève, cité de refuge, entre autres, siège du CICR, du Haut Commissariat pour les réfugiés de l'ONU et du Haut Commissariat pour les droits de l'homme de l'ONU, demandent que les citoyens rejettent massivement cette initiative xénophobe et trompeuse. Il ne faut pas que les gens se réveillent au moment de l'annonce du verdict populaire avec une Constitution fédérale modifiée et marquée au fer rouge.

Rappelons-nous, chers collègues, que notre Constitution fédérale commence par le préambule suivant: «Au nom de Dieu Tout-Puissant ! Le peuple et les cantons suisses, conscients de leur responsabilité envers la Création, résolus à renouveler leur alliance pour renforcer la liberté, la démocratie, l'indépendance et la paix dans un esprit de solidarité et d'ouverture au monde, déterminés à vivre ensemble leurs diversités dans le respect de l'autre et l'équité, conscients des acquis communs et de leur devoir d'assumer leurs responsabilités envers les générations futures, sachant que seul est libre qui use de sa liberté et que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres...»

Mesdames et Messieurs, chers collègues, je vous demande de voter cette résolution.

Le président. Il y a beaucoup d'orateurs inscrits, aussi le Bureau vous propose de clore la liste des intervenants que vous pourrez lire près de notre procès-verbaliste-teneur d'écran...

Mise aux voix, cette proposition est adoptée.

Le président. Je demande à tous les intervenants de bien vouloir être relativement brefs.

Madame Françoise Schenk-Gottret, vous avez la parole.

Mme Françoise Schenk-Gottret (S). Cette initiative est trompeuse... Elle prétend lutter contre de soi-disant abus du droit d'asile, alors qu'en réalité elle remet en question le droit d'asile lui-même et ceci dans une Constitution qui vient d'être révisée !

Je n'argumenterai pas en droit. Au nom du Conseil fédéral, la conseillère fédérale, Mme Metzler l'a fait. Trop tard, mais elle l'a fait !

Je préfère rappeler certaines valeurs fondamentales et ce qu'est l'esprit de Genève en Suisse et dans le monde pour montrer combien cette initiative doit être refusée. M. Leuenberger a lu le préambule de la Constitution dans le brouhaha.

Au titre II, chapitre I, aux articles 7 et 36, sont énumérés les droits fondamentaux. (Brouhaha.)Je n'en citerai que quelques-uns pour ne pas être trop longue:

- droit à la dignité humaine;

- à l'égalité;

- à la protection contre l'arbitraire et à la protection de la bonne foi;

- droit à la vie et à la liberté personnelle;

- droit d'obtenir de l'aide dans des situations de détresse.

En regard de ce préambule et de ces droits fondamentaux, on voudrait:

- introduire la clause de l'Etat tiers qui verrait des candidats à l'asile revenir en Suisse clandestinement et vivre de façon marginalisée et précarisée;

- refuser l'asile aux personnes persécutées, aux victimes de tortures et de viols;

- déléguer la responsabilité du contrôle aux frontières à des tiers - compagnies d'aviation ou privés - en dehors du territoire helvétique;

- limiter les soins médicaux aux urgences, fournir un hébergement et une nourriture des plus simples, alors qu'un requérant d'asile touche trois fois moins que ce que reçoit une personne à l'aide sociale... (Brouhaha.)

- que la Suisse n'attire pas les réfugiés... Je rappelle que durant la guerre en Irak des millions de réfugiés sont allés en Iran, en Turquie et en Syrie et non pas en Suisse.

Genève est la patrie d'Henri Dunant, le siège du Comité International de la Croix-Rouge et de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge... (Brouhaha.)...le siège d'organisations internationales à vocation humanitaire comme le HCR, par exemple... Monsieur le président, je vous demande d'obtenir le silence, s'il vous plaît ! (Le président agite la cloche.)

Le président. Madame Schenk-Gottret, il y a quatorze députés inscrits, alors je vous demande de conclure !

Mme Françoise Schenk-Gottret. C'est pour cela que je vous demande le silence !

Au nom du Dieu invoqué dans la Constitution, au nom des principes humanitaires qui nous animent tous, n'entachons pas notre Constitution avec l'article proposé par l'UDC.

Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. Schifferli.

M. Pierre Schifferli (UDC). Par rapport à sa population, notre pays reçoit plus de demandeurs d'asile que n'importe quel autre pays européen. La géographie aidant, ceux qui arrivent par voie terrestre auront forcément transité par un pays démocratique, où ils auraient pu déposer une demande d'asile. S'ils ne l'ont pas fait, c'est par convenance personnelle et non pas par nécessité... Or, un demandeur d'asile est censé déposer sa demande dans le premier pays sûr dans lequel il arrive. Car le statut de réfugié a été conçu pour protéger des gens qui doivent impérativement fuir un danger concret et immédiat et non pour promouvoir un asile à la carte. C'est pour préserver ce principe que les renvois vers le premier pays d'arrivée commencent à entrer en pratique dans le système européen.

Vous dites que ce n'est pas vrai, mais ce que je viens de vous lire, ce n'est pas M. Schifferli qui l'a écrit, c'est M. Alexandre Casella, ancien directeur du Haut Commissariat aux réfugiés, et cela a paru dans la «Tribune de Genève», il y a deux ou trois ans. Cela fait plus de dix ans que l'administration fédérale, les oeuvres d'entraide et les médias tentent de nier ou de minimiser les dysfonctionnements dans le domaine de l'asile. Le cartel des oeuvres d'entraide a évidemment un intérêt vital à ce que ce businesssoit florissant... Des centaines de millions de francs, des milliards, disparaissent ainsi chaque année dans un appareil administratif boursouflé. Notre législation, et plus particulièrement la jurisprudence de la commission de recours en matière d'asile, favorise une immigration clandestine, un tourisme de l'asile, et partant les abus dans le droit d'asile. La population dont c'est notre mission de sauvegarder les intérêts en paye les frais, et les vrais réfugiés en pâtissent.

Avec son initiative l'UDC ne vise nullement à empêcher l'entrée en Suisse de personnes persécutées, elle vise à stopper légalement et politiquement les recours abusifs à l'asile, cela après avoir combattu depuis dix ans les excès dans le secteur de l'asile et alors que ses propositions ont toujours été refusées. Seuls 5 à 10% des requérants sont de vrais réfugiés. C'est déjà le cas aujourd'hui.

Une voix. C'est faux !

M. Pierre Schifferli. C'est le cas aujourd'hui, et, au fond, notre initiative aura pour effet, tout simplement, que les 90% qui seront refusés n'auront pas à subir une procédure longue, coûteuse et inutile. Pour ces cas, il n'y aura pas d'entrée en matière, bien que la notion de réfugié ait été systématiquement étendue pour forcer le taux d'admission. Quand une loi n'est pas respectée, c'est-à-dire qu'elle ne s'applique plus à 90% des personnes qu'elle est censée concerner, on doit se poser deux questions. Premièrement, cette loi est-elle utile ? Deuxièmement, les lois sont-elles encore appliquées ?

L'initiative UDC sur l'asile réduira le pouvoir d'attraction que la Suisse exerce sur les demandeurs. Elle stoppera le tourisme de l'asile, réduira le nombre de faux réfugiés, donc des coûts excessifs. Elle met en place une base légale efficace contre les abus. Il est vrai que les lois ne résolvent pas le problème politique, à savoir que le Conseil fédéral et le Parlement n'ont pas la volonté d'appliquer les lois existantes. En plus d'une réforme légale constitutionnelle en matière d'asile, c'est-à-dire le retour aux vrais principes du proscrit, du réfugié politique, de celui qui avait une activité politique à qui il convient de donner l'asile, la Suisse a besoin d'une réorientation politique dans ce domaine. Le peuple suisse a la possibilité de corriger ce tir: il le fera, et je pense que les citoyens genevois - d'ailleurs, beaucoup d'entre eux ont déjà voté sur ce sujet - n'ont pas besoin des leçons du Conseil d'Etat. Cette résolution qui nous est présentée en urgence arrive trop tard...

J'aimerais juste encore lire le premier paragraphe de l'initiative, parce que je pense que vous êtes opposés à cette initiative, je suppose que vous n'en connaissez même pas le texte...

Il est simplement dit que, pour empêcher le recours abusif au droit d'asile, la Confédération observe notamment les principes suivants: «Sous réserve des obligations découlant du droit international public, l'autorité - et c'est le point essentiel de cette initiative - n'entre pas en matière sur une demande d'asile présentée par une personne entrée en Suisse au départ d'un Etat tiers réputé sûr, lorsque - et j'insiste sur le mot «lorsque» - cette personne a déjà déposé ou aurait pu déposer une demande dans cet Etat.»

En d'autres termes, la personne originaire d'un Etat peu sûr, où il y a une situation de répression politique, qui se trouve depuis un mois, deux mois, six mois, en Italie ou en France, a eu le loisir de déposer une demande d'asile dans ce pays. Il est donc normal de ne pas entrer en matière, plutôt que d'entrer en matière pour signifier à un demandeur d'asile, après deux ans de procédure, qu'on ne peut pas lui accorder l'asile, car il ne remplit pas les critères requis. Aujourd'hui, l'administration est ainsi encombrée de façon totalement inutile. C'est comme si, au moment de déposer un recours manifestement irrecevable devant un tribunal, on devait juger le fond avant de juger la recevabilité.

Le président. Il vous faut conclure; vous avez déjà parlé sept minutes.

M. Pierre Schifferli. C'est la situation dans laquelle nous sommes maintenant.

J'écoute les arguments de ceux qui sont opposés à cette initiative, et je ne mets pas en doute leur bonne foi, mais j'estime que le texte qui nous a été présenté est insultant, parce qu'il sous-tend que nous sommes menteurs et que nous sommes xénophobes, ce que nous ne sommes pas. Nous voulons simplement régler d'une façon normale la situation par rapport aux abus s'agissant des demandes d'asile et faire en sorte que les procédures puissent être menées de façon correcte. (Applaudissements.)

Le président. Monsieur Iselin, la parole est à vous, mais il faut cesser d'applaudir si vous voulez parler !

M. Robert Iselin (UDC). Mon collègue Schifferli a dit l'essentiel de ce que je voulais dire.

J'aimerais simplement ajouter que l'initiative déposée par l'UDC ne créera aucun problème supplémentaire. Elle n'est pas contraire, comme vient de le démontrer M. Schifferli à la tradition humanitaire de Genève ou de la Suisse, qui n'ont jamais obligé la population de ce canton à héberger n'importe qui et à entretenir des étrangers qui se livrent au trafic de la drogue... Il n'y aura aucune conséquence désastreuse pour les personnes vraiment persécutées qui, si elles ne peuvent pas trouver asile parce qu'elles ne transitent pas par des pays sûrs, trouveront toujours une place chez nous. Mais elle empêchera la masse des requérants qui se livrent à ce qu'on appelle les demandes d'asile économiques.

Le peuple suisse en a assez de la politique laxiste de Berne. Je ne sais pas si vous réalisez que le résultat, c'est qu'il y a dans un village de Suisse allemande un Libanais qui a assassiné un de ses compatriotes et qui se promène en toute liberté et qu'on ne peut même pas le flanquer à la porte de la Suisse !

Tout ce qu'on cherche à faire, avec la proposition de résolution qui nous est soumise, c'est de prendre ce Grand Conseil en otage !

M. Christian Brunier (S). Il est maintenant 23h05. Nous débattons depuis près de neuf heures. Je crois que l'opinion de chacune et chacun est arrêtée sur le sujet qui nous est soumis. Deux personnes se sont exprimées en faveur de l'initiative, deux se sont exprimées contre. De ce fait, nous demandons l'application de l'article 79 qui permet d'arrêter les débats et de passer immédiatement au vote. (Applaudissements.)

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, comme vous ne connaissez pas tous le règlement par coeur, je vous lis l'article 79, alinéa 1, lettre a), que vient d'invoquer M. Brunier. «Clôture des débats: le Bureau ou un député - en l'occurrence M. Brunier - peut proposer d'interrompre immédiatement le débat - ce qu'il vient de faire - et, le cas échéant, de passer au vote;»

En revanche, l'alinéa 2 du même article précise: «La motion d'ordre doit être immédiatement mise aux voix sans débat - ce que je vais faire - et ne peut être acceptée qu'à la majorité des deux tiers des députés présents.»

Je prie donc chaque député de bien vouloir s'asseoir à sa place. Nous voterons au moyen du vote électronique. La sonnette est en train de sonner, et je prie les huissiers de bien vouloir fermer les portes. Je voudrais que tous les députés soient assis avant que le vote ne soit lancé, de façon qu'il n'y ait pas de contestation sur les résultats.

Monsieur Grobet, je vous prie de bien vouloir voter depuis votre place. Vous le savez, Monsieur le conseiller... (Rires.)Monsieur le député, vous m'embrouillez !

Que celles et ceux qui acceptent la motion d'ordre votent oui, les autres votent non. Si les deux tiers sont atteints, le débat sera clos, et nous voterons sur la résolution.

Mise aux voix, cette proposition est adoptée par 51 oui, contre 12 non et 4 abstentions.

Le président. La majorité des deux tiers sur 67 votants est de 45, si je calcule bien. Les débats sont donc clos. En conséquence, et en application de l'article 79, je vous propose de voter, toujours au moyen du vote électronique, sur la résolution pour un appel aux citoyens genevois à rejeter l'initiative populaire dite «contre les abus de l'asile». Que celles et ceux qui l'acceptent votent oui, que celles et ceux qui la refusent votent non ! Le vote nominal a été demandé. (Appuyé.)

Mise aux voix à l'appel nomimal, la résolution 466 est adoptée par 54 oui contre 12 non.

Appel nominal