République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 14 juin 2002 à 20h15
55e législature - 1re année - 9e session - 46e séance -autres séances de la session
La séance est ouverte à 20 h 15, sous la présidence de M. Bernard Annen, président.
Assistent à la séance: Mme et MM. Robert Cramer, Micheline Spoerri et Pierre-François Unger, conseillers d'Etat.
Exhortation
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mmes et MM. Micheline Calmy-Rey, présidente du Conseil d'Etat, Laurent Moutinot, Martine Brunschwig Graf, Carlo Lamprecht, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Erica Deuber Ziegler, Yvan Galeotto, Alexandra Gobet Winiger, Janine Hagmann, Michel Halpérin, André Hediger, Georges Letellier, Jacques Pagan, Pierre Schifferli et Carlo Sommaruga, députés.
Annonces et dépôts
Néant.
Débat
Mme Ariane Wisard (Ve). La commission judiciaire a abordé le PL 8633 relatif à la violence conjugale et y a consacré quatre séances très enrichissantes. Les commissaires ont pu ainsi entrevoir l'ampleur du problème de la maltraitance dans le couple, un phénomène qui affecte 20% des femmes dans notre pays. En effet, une femme sur cinq subit des violences physiques et/ou sexuelles. La commission a auditionné les principaux services et associations concernés. Tous avaient collaboré au sein d'un groupe de travail intitulé «Prévention et maîtrise de la violence conjugale», mandaté par le Conseil d'Etat entre 1995 et 1997. En 1997, à l'unanimité du groupe, on avait adopté un catalogue de recommandations permettant de lutter contre la violence conjugale, largement repris par le PL 8633. Tous sont venus devant la commission nous affirmer à quel point la situation était préoccupante, voire alarmante : les associations manquent de moyens et ne peuvent pas prendre en compte la totalité des cas qui leur parviennent; la police a dit être souvent débordée et nous a avoué se sentir isolée face à ces délits, et décontenancée par l'attitude versatile des victimes par rapport à leur agresseur. La représentante du pouvoir judiciaire nous a décrit un tableau inquiétant quant aux suites judiciaires possibles données aux femmes violentées, car la simple allégation de violence ne suffit pas, et les traces de coups sont souvent liées ou imputées à d'autres causes par l'agresseur présumé. Elle se dit également tout spécialement préoccupée par les femmes en situation illégale ou précaire, qui n'osent pas porter plainte. Tous ces professionnels nous ont affirmé soutenir ce projet de loi et approuver la mise en réseau des différents acteurs concernés, afin d'apporter des réponses cohérentes aux victimes. Ce protocole de coordination est déjà appliqué dans plusieurs cantons.
Malgré tous ces constats, ce projet de loi n'a pas réussi à réunir une majorité de la commission. Le fait qu'il s'adresse principalement aux femmes victimes n'a pas plu. Il convient de relever qu'à chaque séance certains se sentaient obligés de rappeler que les hommes peuvent également être battus; ce qui est vrai: 5 à 10% des violences concernent les hommes. Il n'en demeure pas moins que 90 à 95% des victimes sont des femmes. Certains commissaires ont préféré le terme de violence domestique à celui de violence conjugale, pourtant usité par la plupart des professionnels. Mais ce terme de violence domestique a séduit certains, car il permettait d'englober les femmes, les hommes, les enfants, les personnes du troisième âge vivant au sein de la famille.
Finalement, il a été décidé à l'unanimité de proposer la motion adressée au Conseil d'Etat que l'on vous soumet ce soir, et ce texte a été élaboré dans un esprit constructif. Nous sommes sûrs que Mme Spoerri accordera à cette motion toute l'attention qu'elle mérite et nous attendons qu'elle apporte des réponses concrètes et rapides, au vu de l'énergie déjà dépensée par le groupe de travail et par les intervenants sur le terrain et, surtout, au vu de l'ampleur du problème que la motion aborde.
Les Verts sont convaincus que la violence conjugale ne doit plus rester dans la sphère privée, mais doit entrer de plain-pied dans la sphère publique. Les victimes doivent être reconnues comme telles par la société, à commencer par nous, les politiques. A ce titre, la violence conjugale doit être considérée comme un problème de santé publique et les Verts vous proposent donc de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat. (Applaudissements.)
Mme Anne-Marie Von Arx-Vernon (PDC). Le parti démocrate-chrétien ne peut que s'associer à ce qui a été dit précédemment. Il est évident que, lorsqu'on affirme vouloir élargir la notion de violence domestique, ce n'est pas pour mésestimer ou sous-estimer la violence faite aux femmes, mais c'est pour pouvoir l'englober dans une politique de lutte contre la violence plus générale, dont tout le monde peut être bénéficiaire. En effet, l'on sait bien que, lorsqu'il y a violence, les enfants en subissent très vite les conséquences, et c'est pour enrayer cette spirale qu'il est important que la motion soit un peu élargie. Nous ne pouvons que vous recommander de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat et nous sommes persuadés que le Conseil d'Etat saura faire au mieux pour que ce tabou, ce fléau continue à être combattu.
Mme Loly Bolay (S). Le groupe socialiste s'associe bien évidemment à ce qui a été dit par nos camarades du groupe des Verts et du PDC. Mesdames et Messieurs les députés, la violence est aujourd'hui un véritable problème de société. L'OMS a déclaré que la violence contre les femmes était un réel problème de santé publique. On assiste aujourd'hui à une prise de conscience de plus en plus fine des injustices et des inégalités qui affectent certains groupes, comme les femmes, les enfants ou les personnes âgées.
Il existe plusieurs formes de violence: la violence verbale, la violence physique, la violence sexuelle et la violence économique. La violence faite aux femmes est la plus courante, mais elle n'est que la pointe de l'iceberg des inégalités qui, aujourd'hui encore, frappent les femmes dans de nombreux pays. Certains pays, et non des moindres, connaissent de véritables drames, notamment l'Espagne, un pays que je connais bien. Dans certaines cultures, battre une femme n'est pas un délit: la femme est considérée comme inférieure à l'homme, comme un objet, voire une marchandise. Certaines femmes ont payé de leur vie leur choix de se battre, de se rebeller contre cette ignoble injustice.
Mesdames et Messieurs les députés, la violence est un problème de société et demande une solution de société. En 1995, à Pékin, la Suisse s'est engagée dans un plan d'action pour lutter contre la violence faite aux femmes. Dans les faits, ces bonnes intentions sont restées lettre morte. C'est pourquoi je vous demande de voter pour cette motion, qui va dans le bon sens et demande au Conseil d'Etat de prendre toutes les mesures pour véritablement s'attaquer à ce fléau.
M. Jean-Michel Gros (L). La commission judiciaire a été tout à fait consciente de la gravité du problème soulevé par les auteurs du projet de loi. Les auditions nous ont davantage encore montré tout ce que certains d'entre nous pouvaient ignorer, car il s'agit d'un sujet qui reste très souvent caché, il est vrai, puisque se passant dans la sphère privée. La commission a cependant considéré, comme Mme Wisard l'a dit, que le projet 8633 ne répondait pas vraiment au problème posé, qu'il avait surtout un caractère déclamatoire et n'envisageait pas tous les cas de violence domestique. Je vous demande de croire - Madame Wisard en particulier, mais vous le savez, puisque vous avez conclu ainsi votre intervention - que cette motion n'est pas faite pour esquiver le débat, mais bien pour demander au Conseil d'Etat une étude plus approfondie et surtout, bien sûr, des solutions. Faut-il, par exemple, poursuivre d'office le délit de lésions corporelles simples ? Faut-il, par exemple, inverser la procédure actuelle, qui consiste souvent à retirer la victime de son domicile pour la placer dans un foyer ? Ne vaudrait-il pas mieux éloigner l'agresseur du domicile et lui trouver des structures adaptées pour le soigner ou, en tout cas, pour l'empêcher de nuire davantage ? Nous avons la chance ou plutôt l'avantage d'avoir de nouveaux conseillers d'Etat aux départements concernés, à savoir la justice et police et la santé publique. Je crois que cette motion leur donnera l'occasion de définir la politique qu'ils entendent mener concernant ce problème douloureux. Cette motion, le groupe libéral la soutiendra et vous demande de l'envoyer au Conseil d'Etat, en espérant aussi que, très rapidement, des solutions soient proposées.
M. Thierry Apothéloz (S). Le sujet est suffisamment important pour que les arguments qui ont été évoqués par les différents préopinants soient relevés. En effet, le groupe socialiste appuiera la demande de renvoi au Conseil d'Etat, avec un souhait particulier, celui que ce dernier réponde bien évidemment aux invites de la motion, mais sans oublier que la commission ad hoc formée en son temps au sein du département de justice et police avait émis un certain nombre de recommandations. Force est de constater à ce jour qu'elles n'ont pas été suivies. Nous pouvons donc encourager la cheffe du département à tout mettre en oeuvre pour que ces recommandations puissent être mises en place rapidement.
Par ailleurs, et M. Gros l'a relevé, il est urgent d'évoquer la possibilité de créer une structure pour les hommes qui rencontrent un certain nombre de difficultés avec la violence. En effet, il n'est plus tolérable, il n'est plus tolérable, Mesdames et Messieurs les députés, que des familles, que des femmes et leurs enfants soient obligés de quitter leur foyer, leur appartement, pour entrer dans un autre foyer, qu'il s'agisse d'un foyer d'accueil d'urgence ou d'un lieu de vie à plus long terme. Ceci déracine les enfants, les coupe de leurs structures sociales, culturelles et sportives. Aussi, je souhaiterais effectivement profiter de la présence de la présidente du département pour l'inviter également à la réflexion sur ce point-là.
Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je suis extrêmement touchée, permettez-moi de vous le dire, par l'unanimité qui règne dans ce parlement et je tiens à m'y associer. Plus consciente de la complexité du problème en tant que conseillère d'Etat, même si je ne le suis que depuis récemment, je suis totalement déterminée à tout mettre en oeuvre pour que non seulement ce qui est demandé dans la motion, mais évidemment ce qui était visé par le projet de loi 8633, puisse être, si j'ose dire, satisfait.
En l'occurrence, lorsque vous m'avez auditionnée, Mesdames et Messieurs les députés, à la commission judiciaire, je vous ai fait part de mes réticences par rapport au projet de loi 8633. Non que son objectif ne me paraisse pas opportun et largement important, mais comme je suis arrivée au département précisément en 2002 et que je n'ai pas eu à disposition un bilan actualisé de ce groupe de travail - groupe qui, d'ailleurs, a fait un excellent travail, mais en 1997 ! - je n'aurais pas trouvé très sérieux de ma part de considérer que l'hypothèse de travail, si bonne soit-elle, ait été vraiment avalisée. A ce titre-là, j'ai dit aux commissaires de cette commission que, d'abord, le problème s'était largement aggravé entre-temps. Vous me direz que ce n'est pas une raison pour attendre plus longtemps. Je considère la motion comme contraignante. Je préfère attendre un peu plus longtemps, mais être sûre de détenir tous les éléments et, par conséquent, de mettre en oeuvre des actions qui soient suffisamment bien adaptées, suffisamment bien coordonnées. Je vous rappelle en effet qu'entre 1997 et 2002 la complexité des statuts familiaux est devenue tellement grande que nous ne pouvons plus partir des hypothèses de départ qui avaient été établies. Donc, si nous voulons - et je le veux comme vous - être efficaces en la matière, nous devons absolument être conscients que le partenariat qui devra travailler sur ce sujet, les moyens qui devront être engagés, devront vraiment être faits, je dirais presque sur mesure de cas en cas, faute de quoi, Mesdames et Messieurs, nous aurons tous eu de belles intentions, mais nous aurons eu peu de résultats. Or, comme vous, je ne participe pas de cette politique qui consiste à parler et ne rien faire. Je vous remercie donc infiniment ce soir de me renvoyer cette motion et je vous dis à mon tour que, avec le concours du Conseil d'Etat et, notamment, du département de la santé, je m'engage à ce que cette motion soit suivie d'effets et rejoigne à son tour l'objectif du projet de loi 8633.
Mise aux voix, la motion 1456 est adoptée.
Débat
M. Jacques Follonier (R), rapporteur. Tout d'abord, il est clair que la drogue est un problème important, par sa complexité et par l'insécurité qu'elle engendre, et il est évident que malheureusement notre canton n'y échappe pas. Nous avons réalisé un travail vraiment important en commission, parce que nous avons pu déterminer une filière différente de celle que nous avions pensé trouver, concernant le travail réel des dealers. Jusqu'à maintenant, nous pensions que les dealers étaient des personnes qui consommaient et, en même temps, revendaient de la drogue. Or, dans le cadre de nos auditions, nous nous sommes aperçus qu'une grande partie des dealers avaient complètement changé de «métier», si j'ose m'exprimer ainsi, et qu'ils étaient devenus des financiers, c'est-à-dire des non-consommateurs. Dès lors, nous avons mis au point ce qu'on appelle une nouvelle nomenclature, qui est celle des «dealers dealers». Et si on peut avoir beaucoup de sympathie, voire de compréhension, pour les personnes qui ont un problème de drogue et qui en consomment, il ne peut malheureusement pas en être de même pour les gens qui vivent de ça et qui en font du business.
Concernant ces problèmes d'insécurité, notre commission a montré une volonté réelle de trouver des solutions. Ces solutions ont été rapidement trouvées, puisque le département a déjà pris certaines mesures dans le cadre d'actions judiciaires et policières et dans le cadre des assignations territoriales. Cependant, j'aimerais souligner que, dans le cas des assignations territoriales, nous nous sommes aperçus que, s'il y avait une amélioration, elle était malheureusement passagère et qu'il s'agissait bien souvent d'une amélioration de transfert, c'est-à-dire que les lieux de revente changeaient et que les assignations n'avaient dès lors plus beaucoup de réalité.
En l'occurrrence, je crois qu'il est important que le département de justice et police puisse sereinement, clairement et nettement déterminer quelles sont les possibilités à sa disposition, pour qu'on puisse rapidement endiguer cette pandémie de la drogue, pour que notre canton ne devienne pas un lieu vraiment privilégié de revente de drogue.
Mme Esther Alder (Ve). Entre le dépôt de ces différentes pétitions et le présent rapport, la situation a passablement évolué. En effet, entre-temps, le département de justice et police a été repris par Mme Spoerri, pour qui les problèmes liés au trafic de drogue ont d'emblée été une priorité. Ainsi, grâce à une politique concertée avec les différents partenaires et grâce à la mise sur pied d'un dispositif conséquent sur le terrain, l'on peut dire que, concernant la place des Volontaires, la population revit et la situation n'a plus rien à voir avec ce qui se passait il y a encore quelques mois. Mais si, aujourd'hui, le vide a en quelque sorte été fait, il est primordial d'agir au niveau des aménagements et de l'animation du quartier. Les idées ne manquent pas et les habitants appellent de leurs voeux des places de jeux, des marchés permanents, et attendent que l'espace public soit véritablement revitalisé.
Dans le quartier de Cornavin, la situation est plus complexe. Il s'agit là de poursuivre les efforts sur des axes pluriels: la répression, certes, mais surtout la prévention et l'aide à la survie, avec des intervenants de proximité, à l'instar de ce qui s'est fait par exemple à Zurich et qui va être repris par Lausanne, à savoir des équipes qui ont pour tâche d'officier comme médiateurs sur la scène de la drogue, afin de désamorcer les violences et de tenter de remettre les toxicomanes en relation avec les structures de prise en charge existantes. Par ailleurs, j'en profite pour rappeler que les Verts ont soutenu la création de locaux d'injection et que si, aujourd'hui, ce dispositif existe, nous sommes convaincus que les horaires d'ouverture devraient être plus larges et ne pas se résumer aux après-midi.
Aborder la question des stupéfiants n'est pas simple et demande une réflexion constante avec tous les partenaires. Malheureusement, le trafic est très flexible et, découragé ici, il renaît aussitôt ailleurs, car la demande existe. La consommation de produits stupéfiants est un drame qui touche de plus en plus de personnes, toutes couches sociales confondues. On constate par ailleurs une explosion dramatique dans la consommation d'ecstasy et de cocaïne.
Pour conclure, je rappellerai que la politique de la Confédération en matière de drogue repose sur quatre piliers, soit la prévention, la thérapie et la réinsertion, la réduction des risques et l'aide à la survie et, enfin, la répression et le contrôle. Cette politique est partagée par les Verts, car nous sommes convaincus que c'est la meilleure manière de faire face à cette problématique complexe. Enfin, nous sommes pour le renvoi de ces différentes pétitions au Conseil d'Etat.
M. Gabriel Barrillier (R). Je ne partage pas l'optimisme de ma préopinante. Je reconnais que la commission avait une tâche difficile, celle d'examiner ces trois pétitions qui proviennent de citoyennes, de citoyens, de commerçants, d'habitants, qui pâtissent quotidiennement de la situation que nous connaissons à Genève. Dix auditions ont été conduites, extrêmement intéressantes les unes et les autres. Je pense que la commission a fait un travail d'inventaire extrêmement intéressant, un diagnostic qui, bien évidemment, confirme ce que nous connaissons et ce que nous voyons tous les jours, je veux parler de la scène ouverte de la drogue. Car il faut parler de «scène ouverte»! Je ne vais pas refaire le débat, je ne veux pas dramatiser la situation, mais, je le répète, je ne peux pas partager l'optimisme de ma préopinante. On lit les lettres de lecteurs, la presse se fait l'écho de l'inquiétude de la population, d'une majorité de nos concitoyens, des habitants de Genève, concernant la dégradation de cette situation. Alors, une fois de plus, jusqu'ici on n'a pas fait tout faux, mais on n'a pas fait tout juste. Prévention, répression. Je pense qu'il y a là un équilibre délicat à maintenir.
Ce que je regrette profondément, Mesdames et Messieurs les députés, c'est que cette commission, qui a fait un excellent travail de diagnostic, conclut sur un compromis mou. En quoi est-ce un compromis mou ? Aucune injonction, aucune mesure proposée, aucune ligne politique claire à l'intention du gouvernement et de la population, de nos concitoyennes et concitoyens. Aucune mesure n'est proposée ! Les pétitionnaires attendent du législatif, de leurs représentants au plus haut niveau, qu'ils prennent des mesures pour changer cette situation inadmissible. Puisqu'on en est à la Coupe du monde de football, je dirais que la commission «a botté en touche» cette question, et moi, je souhaiterais que l'on reprenne la partie et que l'on joue les prolongations.
Ainsi, Mesdames et Messieurs les députés, je souhaiterais que la belle unanimité de la commission soit utilisée pour donner un signal clair au gouvernement, pour lui signifier qu'il va dans le bon sens, Madame la présidente, mais qu'il doit accélérer le mouvement. Et cela servirait aussi à montrer à la population qu'on ne se désintéresse pas de cette question. Pour cette raison, j'aimerais que l'on renvoie ce rapport en commission, en l'invitant à finir le travail.
M. Alain Etienne (S). Je suis opposé au renvoi en commission. Je ne sais pas si je peux poursuivre sur ce que j'avais l'intention de dire...
Le président. Vous pouvez continuer sur le fond, si vous le voulez, mais il n'y aura qu'une seule intervention par groupe. Vous conclurez sur le refus du renvoi en commission.
M. Alain Etienne. Le parti socialiste soutient les conclusions du rapport. Nous pensons, en effet, qu'il faut aborder ce sujet avec précautions. Or, je vois que M. Barrillier a mis le feu aux poudres. Cette problématique repose sur trois piliers, Mme Alder l'a dit: la prévention, les soins et la répression. Aborder ce sujet uniquement sous l'angle de la répression ne peut que renforcer le sentiment d'insécurité. Il s'agit de faire travailler ensemble la police, la justice, les organismes de prévention, les éducateurs de rue, les associations de quartier et d'habitants. Nous avons déjà pu avoir quelques éléments de réponse, suite aux interpellations faites dans ce parlement, et Mme Spoerri s'est déjà exprimée à ce sujet. Des mesures ont déjà été énoncées, Monsieur Barrillier, et sont mise en oeuvre, comme l'assignation territoriale ou locale. A ce stade, je me demande à quoi servirait le renvoi en commission ! On peut du reste se demander comment cela se passait auparavant, car ces moyens existaient déjà avant l'arrivée de Mme Spoerri.
Ce que nous avons pu constater tout d'abord lors des travaux de la commission, c'est toujours cette opposition entre la justice, la police et la politique menée au niveau de la Confédération. Chacun se rejette la balle. La police nous dit qu'elle manque d'effectifs, la justice nous dit qu'il y a un manque de place en prison et qu'elle a des difficultés à appliquer les mesures de contrainte. Je dirais à cet égard que la proposition des libéraux de baisser toujours plus les impôts va à contre-sens de ces besoins qui sont signalés.
Il faut également prendre garde au déplacement de la scène de la drogue et là, Monsieur Barrillier, il est faux de parler de «scène ouverte» de la drogue. Il n'est pas question pour nous de favoriser certains quartiers par rapport à d'autres, ou de répondre aux préoccupations de certaines catégories socio-professionnelles dans certains quartiers seulement. Il faut prendre garde également à ne pas focaliser notre attention sur telle ou telle catégorie de la population, sur des origines particulières ou sur les requérants d'asile. Montrer du doigt telle nationalité particulière - cela a été évoqué en commission - jette le discrédit sur l'ensemble de la communauté qui s'intègre dans notre canton et qui en fait toute la richesse et la diversité. Concernant les requérants d'asile, il a été question de leur donner la possibilité de travailler et nous attendons, là aussi, une réponse à ce sujet de la part du Conseil d'Etat, même si cela est de la compétence fédérale.
Dans le problème du trafic, on reconnaît qu'il y a des vendeurs, mais il y a aussi des acheteurs. Je ne suis pas sûr que le consommateur soit toujours celui que l'on imagine. Je relève qu'il nous a été dit qu'une grande partie du deal se faisait en voiture. Qui sont ces gens? D'où viennent-ils? Concernant la place des Volontaires, il a été question, en Ville de Genève, de fermer la rue à la circulation. C'est là aussi une mesure que Mme Alder a évoquée tout à l'heure. Mais, au vu des réactions souvent négatives des milieux pro-voitures soutenus par les partis de l'Entente, cette mesure sera certainement difficile à mettre en place.
La question de la légalisation de certaines drogues a également été posée lors des auditions. Je ne veux pas ouvrir ici le débat, peut-être que la réponse du Conseil d'Etat fera le point sur la question, même via les discussions actuelles au niveau fédéral.
Concernant la sécurité, les socialistes tiennent à rappeler que ce sont souvent les politiques néolibérales qui constituent les causes premières de l'insécurité publique... (Brouhaha.)
Le président. Continuez à provoquer et on va pouvoir lever la séance bientôt !
M. Alain Etienne. La sécurité publique doit être garantie, mais la répression à elle seule ne suffit pas. L'urbanisme est aussi important: il faut rechercher la mixité dans les quartiers et permettre des animations, qui renforcent le tissu social. Les quartiers changent et le quartier de la place des Volontaires en est un bon exemple par l'attention particulière qu'on lui accorde en ce moment.
Le parti socialiste est donc favorable au renvoi au Conseil d'Etat et non pas à un renvoi en commission. Nous attendons avec impatience la réponse du Conseil d'Etat afin, d'une part, de rassurer la population et, d'autre part, de contrecarrer les amalgames et les caricatures trop faciles.
M. Claude Aubert (L). Lorsqu'on s'occupe de problèmes de toxicomanie et qu'on s'en occupe correctement, il y a en tout cas deux concepts qu'on doit retenir. Le premier concept est celui de la cohérence; la prise en charge de patients ou de familles qui souffrent de toxicomanie exige une cohérence dans la pensée et une cohérence dans l'action. Par conséquent, il est extraordinairement difficile de travailler actuellement, alors que l'on dit tout et son contraire. On peut et on ne peut pas fumer du hasch, le hasch cause et ne cause pas de dégâts, on va le libéraliser et ne pas le libéraliser. Il faut se rendre compte qu'au niveau des praticiens, soit ceux qui travaillent sur le terrain, ce qui est décidé au niveau politique a des répercussions directes. La commission - M. Barrillier pourrait, dès lors, s'apaiser - a remarqué qu'il fallait introduire de la cohérence et que cette cohérence nécessite d'avoir une ou quelques idées, qu'il faut faire durer très longtemps.
Le deuxième concept est un concept japonais qui s'appelle l'izuzu et qui demande d'avoir de la constance dans l'action, sur des mois et des années, et de la cohérence. C'est pour cela qu'il faut éviter des volte-face incessants dans la conduite d'une politique. Dans ce sens, le fait que le département s'engage dans quelque chose de constant et de cohérent sur de nombreux mois est une bonne chose. C'est seulement après coup qu'on verra une certaine stabilisation.
Je vous rappelle que la question de la toxicomanie ne date pas de ces derniers mois, mais que cela fait quarante ou cinquante ans qu'on s'en occupe. Si quelqu'un savait exactement comment faire, on le saurait. En ce qui me concerne, je pense que le fait qu'il y ait une politique qui commence à devenir cohérente, le fait qu'au niveau national on se décide à dire que oui, on légalise, ou que non, on ne légalise pas, le fait qu'on ne soit pas sans cesse entre l'un et l'autre, c'est là quelque chose d'extrêmement important, qu'il faut continuer. Par conséquent, il ne faut pas renvoyer ce rapport en commission mais, au contraire, laisser le département travailler.
M. Gilbert Catelain (UDC). Je tiens d'abord à féliciter Mme la conseillère d'Etat, qui a très rapidement pris des mesures pour tenter d'apporter une réponse à cette problématique du trafic de drogue, sur les différents lieux exposés dans cette pétition. Comme l'a dit M. Barrillier, cette pétition a eu le grand mérite d'exposer un problème connu de tous et, surtout, de dévoiler les failles dans la cuirasse. M. Bertossa, pourtant de l'Alliance de gauche, me semble-t-il, a clairement dit lors des auditions, je le cite, «qu'il mettait en cause le discours politique qui empêcherait selon lui de trouver de bonnes solutions. Il nous confirme que les peines privatives de liberté, lors de l'arrestation d'un dealer, ne peuvent pas être appliquées par manque de place dans les prisons. Enfin, l'établissement de l'identité des dealers est complexe, ce qui rend l'application de mesures de contraintes souvent impossible.» Concernant les auteurs de ces deals, le représentant de l'office cantonal de la population a été très clair: pour la place des Volontaires, il s'agit, je cite, «de ressortissants du Maghreb pour une part et pour l'autre de requérants d'asile provenant d'Afrique de l'Ouest. Malgré le fait que ces personnes sont notoirement connues, il est extrêmement difficile de les expulser, dans la mesure où même si, d'aventure, leur pays d'origine est connu, ces pays n'en veulent pas».
On se rend effectivement compte que, pendant plusieurs années, la loi n'a pas été appliquée ou n'a pas pu l'être. Depuis les assignations territoriales, la situation est certes en amélioration, mais je rappellerai à cette assemblée que pour faire appliquer les assignations territoriales, il faut des moyens. Donc, pour rejoindre le principe de cohérence évoqué tout à l'heure, il faudra également que, dans ce domaine, ce parlement vote les crédits nécessaires pour faire appliquer les mesures que décidera de prendre le Conseil d'Etat.
J'ai été surpris tout à l'heure d'entendre qu'on apprenait, dans le cadre du traitement de ces pétitions, que le deal avait changé de forme. Je reviens donc à la proposition du groupe UDC, celle de créer une commission de sécurité, qui aurait permis de traiter bien plus tôt ce problème de la place des Volontaires, avant que la population ne doive agir par voie de pétition pour montrer ce qui ne fonctionne pas dans cette République.
Mme Anita Cuénod (AdG). Ce serait bien la première fois, Mesdames et Messieurs les députés, qu'on renverrait un rapport de la commission des pétitions à la commission des pétitions. Il faut savoir, pour ceux qui n'auraient pas eu le temps de lire ce rapport, que nous avons travaillé pendant quatre mois, que nous avons consacré énormément de temps et accordé une priorité à ces trois pétitions. Nous avons même auditionné Mme Cohen-Dumani, directrice de la sécurité publique à Lausanne, ainsi que le commandant de la police de Lausanne, pour avoir leurs témoignages et connaître leur façon de faire. Nous avons évidemment aussi auditionné en fin de travaux Mme la cheffe du département, Micheline Spoerri. Cette commission ne s'est cependant pas muée en commission d'experts donnant des recommandations sur le sujet et elle a, évidemment, voté à l'unanimité le renvoi de ces pétitions au Conseil d'Etat. Voilà ce que je voulais préciser.
M. Jacques Follonier (R), rapporteur. C'est un sujet qui prend aux tripes. On le voit ce soir et c'est exactement ce qui nous est arrivé en commission, lorsque nous avons commencé à traiter ces pétitions. C'est un sujet qui est difficile à aborder. Lorsqu'on apprend que les filières de la drogue sont connues, que ceux qui dirigent ce deal le sont aussi, lorsqu'on voit qu'un dealer est arrêté et effectivement relaxé, quelles qu'en soient les raisons, il est vrai que cela fait mal. Et, lorsqu'on est parent, on se pose des questions pour nos enfants; c'est normal. Cela, je pense, justifie le débat relativement chaud que nous avons ce soir.
Néanmoins, et pour calmer un peu les ardeurs, je crois que la commission a fait un travail exemplaire; nous avons effectivement, comme l'a souligné la présidente de la commission, auditionné un nombre suffisant de gens, qui nous ont permis de nous représenter très clairement ce qui se passait actuellement à Genève. Le message que nous avons transmis à travers ce rapport et que la commission a souhaité donner à Mme la cheffe du département de justice et police est à mon sens suffisamment clair; je crois qu'elle a maintenant largement compris, qu'elle sait parfaitement où elle doit aller. Je pense donc que c'est directement au Conseil d'Etat que nous devons envoyer ces pétitions.
Mme Anne-Marie Von Arx-Vernon (PDC). Le parti démocrate-chrétien est aussi extrêmement préoccupé et attentif au contenu de ces pétitions et il reconnaît que le travail fourni par la commission est tout à fait conséquent. Pour rester dans la notion de cohérence, qui est effectivement très importante, nous renverrons ce rapport au Conseil d'Etat. Il y a au moins une bonne raison de le faire: celle de dire que nous faisons confiance au Conseil d'Etat, que nous sommes extrêmement respectueux du courage politique de la cheffe du département de justice, police et sécurité, et que ce n'est qu'ainsi, par notre cohérence, que nous pouvons contribuer à soutenir cette politique, qui ne peut être que bénéfique pour la population.
Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Merci, Mesdames et Messieurs les députés, qui vous passionnez à juste titre pour un débat beaucoup plus douloureux que ce qu'on peut penser. Plus on y entre, plus on s'en aperçoit et plus on a la conviction qu'il faut agir. Monsieur le député Barrillier, ne me donnez pas trop souvent l'occasion de vous dire qu'auparavant les mesures qui auraient pu être prises ne l'ont pas été. Ma patience a des limites et, si l'on veut être sérieux et conséquent, on doit admettre une première chose, dite par M. le rapporteur: nous sommes dans une première phase de travail. Mais je ne dirai pas, Monsieur le député Follonier, qu'il s'agit là d'une amélioration passagère. Ce n'est en tout cas pas ainsi que je l'entends. Il s'agit d'une première amélioration, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Certains d'entre vous ont souligné l'importance de la cohérence, du travail à long terme: j'ajouterai qu'il faudra que je n'aie jamais, à aucun moment, à reculer dans la politique qui a été entamée. Si tel devait être le cas, le travail entrepris aurait fait plus de mal que de bien.
C'est dire la détermination, Mesdames et Messieurs les députés, qui m'habite. Je vous le redis ce soir et je le redis à la population genevoise tout entière: c'est chaque jour qu'on me dit à la fois que c'est bien, qu'il faut faire mieux et qu'il faut continuer. Je suis, je crois, totalement et parfaitement consciente du problème. J'en profite aussi pour remercier la police, tous services confondus, et je corrigerai un peu le tir en disant que l'action coordonnée de la justice et de la police est beaucoup plus intense que vous ne pouvez le soupçonner. Mais il est vrai que, tant que ne se met pas en route un travail de réseau, on ne peut pas, du jour au lendemain, espérer des résultats. Quoi qu'il en soit, sachez que les premières mesures sont très encourageantes, compte tenu, naturellement, de la complexité du problème. On ne peut pas travailler de façon tout à fait linéaire. Je veux dire par là que les mêmes mesures ne donnent pas, à la place des Volontaires par exemple, les mêmes résultats qu'à Cornavin ou dans un autre quartier. Cela veut dire aussi qu'à la stratégie contre le deal doit se juxtaposer une stratégie beaucoup plus généralisée, à laquelle tels et tels partenaires doivent prendre part. C'est la raison pour laquelle nous travaillons constamment en réunissant autour de la table les gens concernés. La dernière rencontre de ce type s'est tenue à propos de Cornavin. Nous avons conclu ensemble, avec ceux qui étaient autour de la table, que nous ne pourrions pas stabiliser la situation à Cornavin, si nous n'y installions pas un véritable poste de police, actualisé aux besoins d'aujourd'hui. Et c'est un premier message, Mesdames et Messieurs les députés, que je vous adresse.
Je ne veux pas allonger mon propos aujourd'hui, car nous ferons, à la rentrée, un bilan des mesures prises. Je veux simplement revenir sur le fait que les travaux de la commission des pétitions ont complété l'analyse que nous avions faite; je veux surtout rassurer les uns et les autres, les différentes institutions, les établissements d'enseignement, les parents, toutes les victimes du deal, en leur disant que je suis fermement déterminée à continuer dans ce sens-là. Nous ferons une évaluation et ajusterons nos stratégies d'année en année, sans quoi il ne sera pas possible de venir à bout de ce problème.
M. Gabriel Barrillier (R). Suite à la déclaration, je dirais pleine de dignité, mais aussi de fermeté, de la présidente du département de justice et police, et étant donné sa volonté de continuer son action avec le Grand Conseil pour assainir cette situation, je retire ma proposition de renvoi en commission.
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (renvoi des pétitions 1371, 1379 et 1381 au Conseil d'Etat) sont adoptées.
M. Antonio Hodgers (Ve). Je laisse ceux que ce sujet n'intéresse pas quitter la salle. Allez-y! Je ne m'adresse qu'à Mme Spoerri. Concernant la Critical Mass, un petit rappel des faits: ce mouvement existe à Genève depuis environ quatre ans. Il y a deux ans environ, suite à une confrontation entre la Critical Mass et la police, qui avait donné lieu à des arrestations, à un certain nombre d'amendes et surtout lors de laquelle plusieurs dizaines de policiers avaient été mobilisés, M. Ramseyer, Mme Jeannine de Haller et moi-même avions convenu d'un accord oral. Celui-ci impliquait une présence discrète de la police, une police à vélo, qui ne devait intervenir qu'en cas de dommages à la propriété publique ou privée, et qui devait surtout s'abstenir de verbaliser les participants pour des motifs tels que «participation à une manifestation interdite», «n'a pas mis sa sonnette au bon endroit» ou ce genre de choses. L'accord portait d'abord sur trois mois, mais suite au succès reconnu tant par la police que par le Conseil d'Etat, et également par Mme de Haller et moi-même, il se prolongea bien au-delà de cette première échéance.
Malheureusement, depuis la nouvelle législature et, notamment, depuis votre entrée en fonction, Madame, les choses ont changé à la Critical Mass. Le cortège a toujours lieu, mais il est accompagné, non plus par des gendarmes à vélo, mais par une fourgonnette avec des policiers en tenue anti-manifestation. Vous la connaissez: le casque, la matraque... Des jeunes ont de nouveau été verbalisés à la fin du cortège de façon discriminatoire - j'ai les amendes ici - pour des motifs du style «participation à une manifestation non-autorisée», «en tant que piéton, a gêné la circulation». Il faut dire que ces verbalisations ont eu lieu une demi-heure après la fin du cortège.
Je constate que, tant que les policiers étaient à vélo dans ce rendez-vous cycliste, ils se chargeaient d'une certaine médiation. En effet, il arrive parfois que des automobilistes s'échauffent et heurtent les vélos, ce qui entraîne toute une discussion qui dure vingt minutes et bloque les carrefours. Mais la police, à l'époque de l'accord mentionné tout à l'heure, faisait son travail de médiation, calmait les gens, ce qui permettait une plus grande fluidité du cortège et, donc, des véhicules. Depuis qu'elle n'a plus ce rôle, les chocs sont toujours là et il me semble que le trafic est plus perturbé qu'auparavant, ce qui m'a été confirmé notamment par les services des TPG.
Voici mes questions: pourquoi, alors que l'accord précité semblait offrir des avantages aux parties en présence, tant aux forces de l'ordre qu'aux participants, cet accord a-t-il été remis en cause ? Pensez-vous réellement que l'attitude de la police, qui consiste à prendre des jeunes isolés, après et non pendant la manifestation, de manière discriminatoire - ceux qui ont les cheveux d'une certaine couleur et pas d'autres - et à les verbaliser pour des objets anodins, soit de nature à régler la situation et à calmer les esprits ? Enfin, en criminalisant un mouvement par essence pacifiste et festif - qui, je le rappelle pour cette assemblée, existe dans la plupart des villes européennes et nord-américaines et qui a lieu partout à la même heure, le dernier vendredi du mois - le Conseil d'Etat ne prend-il pas le risque de le radicaliser et de le rendre plus agressif ?
Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Monsieur le député, j'ai l'impression que nous faisons presque le même constat, mais que nous n'en tirons pas tout à fait les mêmes conclusions. Comme vous le savez, les temps changent et la Critical Mass aussi; je vous dirai pourquoi tout à l'heure, mais je crois que vous le savez déjà. Permettez-moi de préciser que ce qui me préoccupe actuellement, ce n'est pas la confrontation entre la Critical Mass et la police, mais c'est bel et bien la confrontation entre les adeptes de la Critical Mass et la population genevoise. Et c'est donc sous cet angle-là qu'en effet je répondrai à votre question.
J'ai envisagé de nouvelles dispositions, mais je vous rappelle que nous nous sommes rencontrés il y a six mois, et que je vous ai fait part de mes craintes; Mme Jeannine de Haller, votre collègue, était d'ailleurs avec nous. Ce n'est donc sans doute pas une surprise aujourd'hui pour vous que de voir l'approche du Conseil d'Etat changer. Soit la Critical Mass est une manifestation dûment autorisée et elle bénéficiera notamment d'un encadrement lui permettant de se déployer conformément aux règles de sécurité habituelles, tout en préservant la fluidité du trafic. Dans ce contexte, je vous rappelle que l'instauration d'une brigade interne de sécurité, dont vous êtes également demandeur, voire auteur, aurait tout son sens et répondrait indirectement à l'esprit de la motion 1435 que le Grand Conseil a par ailleurs refusée le 22 mars dernier. Soit, au contraire, la Critical Mass n'est pas autorisée... Or, c'est le cas, il faut quand même le savoir, puisque la Critical Mass n'a jamais fait l'objet d'une demande d'autorisation et qu'elle se veut une manifestation hors normes, qui préconise et privilégie l'usage des vélos.
Cet événement mensuel, nous devons le reconnaître, perturbe fortement la circulation routière, déjà très problématique à Genève. Elle menace de surcroît, et c'est bien là mon souci, la sécurité des jeunes mineurs, vous avez évoqué leur présence. De jeunes piétons fréquentent en effet de plus en plus la Critical Mass et s'exposent de plus en plus à l'exaspération des autres usagers de la voie publique. La présence de jeunes mineurs à pied, c'est précisément la nouveauté de la Critical Mass et c'est notamment à ce titre que j'entends changer d'approche. Il est aisé de comprendre que ce mouvement mensuel, Monsieur le député, pourrait dégénérer à tout moment, au gré des événements, mettant en péril de façon répétée les uns ou les autres. Je ne peux, vous me l'accorderez, cautionner d'aucune façon ce risque. La présence des policiers cyclistes était une présence «sympa», comme on dit, escortant la manifestation, malheureusement elle n'a fait qu'entretenir la confusion, laissant croire à un cadre légitime qui n'existe pas. Cette brigade à vélo n'est en outre pas adaptée au nécessaire maintien de l'ordre et de la sécurité, puisque nous avons malheureusement constaté un certain nombre d'événements violents lors de la Critical Mass, un certain nombre de victimes, avec des lésions corporelles. C'est donc un dispositif adapté, en périphérie de la manifestation, que nous avons activé, en fonction du principe de l'opportunité et de la proportionnalité, et c'est ce que j'ai demandé que l'on mette en place. Je précise, par ailleurs, que c'est bien après la dislocation de la Critical Mass, dans un contexte totalement différent, que l'attitude provocatrice de certains a pu créer problème et que c'est à ce moment-là que la police est intervenue pour verbaliser. Voilà, aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les députés, la situation.
En réponse à votre question, Monsieur, il ne s'agit pas de prendre des jeunes à partie alors qu'ils sont isolés, il ne s'agit évidemment pas de criminaliser le mouvement de la Critical Mass, mais cet événement festif, au même titre que des centaines de manifestations festives qui se déroulent chaque année à Genève, aurait, si vous voulez mon point de vue, tout à gagner en s'inscrivant dans le cadre légitime de nos usages. C'est la raison pour laquelle je vous encourage à tout mettre en oeuvre pour que la Critical Mass conserve cet esprit de convivialité, et je serais prête à vous y aider.
M. Antonio Hodgers (Ve). Je répliquerai lors de la prochaine séance, Monsieur le président.
Débat
M. Pierre Froidevaux (R). Je me sens un peu seul sur cette motion... Je l'ai effectivement rédigée, mais je l'avais fait circuler parmi mes collègues de l'Entente et j'avais obtenu de nombreuses signatures. Malheureusement, le document que j'ai mis à disposition du service du Grand Conseil par messagerie n'a pas suivi, raison pour laquelle mon nom est un peu isolé. Cela dit, comme j'ai pu, durant ces derniers mois, travailler avec le DASS pour préparer cette motion, j'ai estimé qu'il ne fallait pas retarder son dépôt, afin que le travail déjà accompli puisse faire l'objet d'une réponse.
Cette motion concerne une partie de la population à faibles revenus qui doit être soutenue par l'Etat sur le plan de l'assurance-maladie. L'Etat finance en effet complètement les primes d'assurance-maladie de certaines personnes. Or, ces personnes ont parfois une tendance plus importante que d'autres à profiter des prestations servies, à encaisser l'argent de l'assurance et à ne pas payer ce qu'elles doivent. Ceci a deux désavantages: d'une part, cela entraîne une rupture de confiance avec les thérapeutes et, d'autre part, ces personnes, qui se retrouvent souvent sans liens sociaux, perdent, petit à petit, pied dans la société. Or, le législateur cantonal, à travers l'article 10 de la loi d'application de la LAMal, avait précisément demandé que ces personnes soient au bénéfice du système du tiers payant. Autrement dit, que l'assurance paie directement les prestations aux prestataires de soins. Il s'avère que cet article 10 de la loi d'application est malheureusement contré par la LAMal. Ainsi, notre bonne volonté ne peut pas s'exercer.
Je propose donc au DASS de trouver une solution pour essayer de rendre cet article 10 performant. En essayant de me renseigner, Monsieur le président, je me suis rendu compte qu'il y avait eu un arrêt du Tribunal fédéral concernant un pharmacien, dont le patient démuni avait des frais de médicaments extrêmement élevés. Cet arrêt permettait à ce pharmacien de profiter d'un transfert de la créance et de devenir, à titre de prestataire, le créancier de l'assurance. Je vous propose donc, Monsieur le président, d'être imaginatif, d'être inventif, pour que la volonté du législateur cantonal puisse s'exercer pour ce type de population.
M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Monsieur le député, votre motion vise au fond deux objectifs qui, vous me permettrez de l'imaginer, sont de niveaux différents. Le premier, fondamental et évidemment respectable, est celui de l'égalité d'accès aux soins. Le deuxième objectif, qui est aussi respectable mais à un autre niveau, est que les prestataires de soins soient payés. Comme vous l'avez déjà dit, la LAMal nous empêche d'appliquer complètement l'article 10 de la loi d'application cantonale de la LAMal. Vous avez, avec beaucoup de gentillesse, fait allusion à mon inventivité, mais vous savez que l'inventivité en matière d'extrapolation de nos droits par rapport à la LAMal est discrète. Néanmoins, j'ai envisagé une solution possible qui serait d'interdire aux assureurs de compenser les primes impayées par le non-remboursement des prestataires de soins. C'est peut-être par cette voie-là que nous pourrons parvenir à quelque chose. Pour ne pas perdre de temps en commission, je vous propose, Mesdames et Messieurs les députés, de me saisir directement de cette motion, de rechercher toutes les voies de droit possibles et de vous rendre réponse dans le délai imparti par le règlement.
Mise aux voix, la motion 1454 est adoptée.
Débat
M. Charles Beer (S). Mesdames et Messieurs les députés, la motion que nous vous proposons d'examiner et de renvoyer au Conseil d'Etat s'inscrit dans la lignée des travaux que nous avons organisés, suite à notre décision de subventionner un film participant à l'oeuvre de capitalisation de notre mémoire, concernant les tragiques événements de la Seconde Guerre mondiale et le rôle de notre pays. Plus précisément, nous pouvons dire que ce film s'insère dans un dispositif beaucoup plus large, qui a amené la Suisse à revisiter son passé, tant sur un plan politique que sur un plan économique - je pense ici aux banques de notre pays. Le Grand Conseil et le Conseil d'Etat ont misé sur la qualité d'une équipe pour réaliser un tel film, qui s'est tourné sans la moindre pression politique, ni du Conseil d'Etat, ni du Grand Conseil, même si certains auraient bien entendu aimé qu'il en soit différemment.
Cela dit, ce film est l'oeuvre de réalisateurs, de journalistes, d'historiens et de témoins de qualité. Cela en fait quelque chose d'unique, puisque le canton de Genève aura ainsi subventionné un travail historique qui interroge notre passé. Est-il pour autant acceptable que le Grand Conseil s'ingère dans les compétences du département de l'instruction publique, en disant ce que celui-ci devrait faire et, plus grave, en disant ce que les enseignants devraient enseigner ? Quoi qu'il en soit, les quelques pressions que nous avons subies au moment où nous rédigions la motion m'amènent à poser cette question. Nous tenons à remarquer que ce film doit nous aider non pas à dire ce qu'il faut faire, non pas à modifier la loi sur l'instruction publique, non pas à modifier tel ou tel règlement, encore moins à modifier les plans d'étude. Il s'agit plutôt ici d'aider le département de l'instruction publique à concrétiser le plan d'étude, en donnant notamment à l'éducation citoyenne toute la place qui lui revient à l'intérieur du cycle d'orientation, une place que, tout le monde ici le sait, la grille horaire ne garantit plus.
Notre volonté ici est donc une concrétisation du plan d'étude, plutôt qu'une quelconque ingérence dans les affaires du département de l'instruction publique. Nous connaissons un peu les réactions de ce département et, à cet égard, j'aurais préféré que Mme Brunschwig Graf soit là, non pas que M. Unger qui la remplace ne soit pas à la hauteur, mais tout simplement parce que nous avons l'habitude de la rhétorique de Mme Brunschwig Graf, qui régulièrement nous dit que tel projet de loi concernant l'instruction publique est inacceptable, qu'il existe deux sortes de motions, celles dont elle nous dit: «Nous ne vous avons pas attendus pour traiter ce sujet», et celles: «Vous n'y pensez pas, il n'est pas question que nous le traitions»... A partir de là, il est difficile aujourd'hui de discuter d'instruction publique dans cette enceinte. C'est pourtant ce que les motionnaires vous invitent à faire, en renvoyant la motion au Conseil d'Etat, parce qu'il s'agit ici d'entretenir le souvenir de ce qui s'est passé, non pas comme le ferait un musée, mais bien pour faire vivre les interrogations, sachant que ces interrogations déploient leurs effets jusque dans notre présent. Nous aurons d'ailleurs encore l'occasion d'en parler au point suivant de notre ordre du jour, à propos d'une pétition qui ne concerne pas une question d'histoire, mais une question d'actualité. L'éducation citoyenne dans l'instruction publique joue aujourd'hui un rôle absolument incontournable, non seulement pour permettre d'interroger notre passé, mais également pour questionner notre présent et pour assurer, d'une manière plus générale, l'esprit critique que la loi sur l'instruction publique propose de promouvoir.
M. Patrick Schmied (PDC). En règle générale, nous sommes bien évidemment opposés à l'idée que le Grand Conseil se mêle des programmes de l'institution scolaire. Cependant, vu l'importance du sujet et le fait qu'il a fait l'objet d'un débat national auquel nul n'a pu échapper, nous soutiendrons cette motion. Car, enfin, ce Grand Conseil doit être cohérent: si nous avons accepté de soutenir la réalisation de ce film, c'est que nous pensons qu'il doit être diffusé. D'ailleurs, on nous annonce logiquement qu'il sera mis à disposition de tous les cycles d'orientation. Ainsi, Mesdames et Messieurs les députés, si nous ne rendons pas sa diffusion obligatoire, cela signifiera que nous abandonnons la responsabilité de cette diffusion aux enseignants et aux directions des cycles, et cela ne serait pas juste.
Nous aurions volontiers signé cette motion, si elle n'avait pas été encombrée, dans ses considérants et dans l'exposé des motifs, par tout un salmigondis sur la notion de citoyen opposé à la notion d'homme, qui nous paraissait tout à fait hors sujet. Par ailleurs, nous supportions assez mal, il est vrai, l'invocation de M. Jack Lang, personnage certes fort amusant à la télévision dans sa version des Guignols, mais très peu convaincant quant à l'efficacité de son action, au-delà des salons parisiens.
Cela dit et sans rancune, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs, à soutenir cette motion.
M. Pierre Kunz (R). Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi en préambule de rappeler, à l'attention des motionnaires, une sentence forte, exprimée par Arthur Koestler. Il notait que «les aberrations intellectuelles les plus fréquentes sont dues à la poursuite obsessionnelle d'une vérité partielle, traitée comme une vérité suprême».
Mesdames et Messieurs les députés, la plus grande partie des députés radicaux ont vu le film «Mémoire de la frontière» et ils sont unanimes pour juger cette oeuvre bien faite, intéressante, émouvante. Mais ils sont unanimes aussi, ou presque, pour considérer qu'il ne s'agit pas d'un film historique, retraçant tous les aspects d'un événement ou d'une période de notre histoire. Il s'agit d'un film dont l'objectif est de mettre en évidence des erreurs, des erreurs organisationnelles et opérationnelles plus que regrettables, très lourdes de conséquences, dans les directives de Berne en matière d'accueil des réfugiés, durant la Deuxième Guerre mondiale. Il n'y a rien à redire à cet objectif, à ce parti pris clairement exprimé et précisé par les auteurs du film, mais il est malhonnête de faire croire que la politique de la Confédération en matière de réfugiés fut lamentable et scandaleuse. Cette politique, dans un contexte militaire, économique, social extraordinairement lourd et dangereux pour notre pays, fut aussi, avant tout peut-être, fondée sur la générosité, même si cette générosité fut bridée par un réalisme politique que les soixante années qui se sont écoulées depuis cette époque nous empêchent aujourd'hui de juger avec objectivité, en toute connaissance de cause. C'est pourquoi nous considérons inappropriée la volonté des motionnaires de rendre obligatoire, au prétexte de l'éducation citoyenne, la diffusion de ce film à tous les élèves du cycle d'orientation.
Mesdames et Messieurs les députés, une vraie éducation citoyenne commande en effet qu'un problème ou un événement historique soit présenté et expliqué dans son contexte. S'agissant de ce film, l'honnêteté exige que tout professeur qui décide de montrer «Mémoire de la frontière» à sa classe accompagne cette présentation des explications requises par l'objectivité. Si la présentation est obligatoire, rien n'assure que ces explications seront données. De surcroît, rien ne permet de penser que tous les professeurs d'histoire et de géographie considèrent comme essentiel, prioritaire, de diffuser ce film en complément de leur enseignement. Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, et contrairement à ce que vient de proposer M. Schmied, nous préconisons - et ceci ne requiert aucun texte législatif - que ce film soit diffusé aux élèves à la décision des enseignants, des directeurs de cycle, comme ceux-ci le ressentent, car c'est bien la moindre des choses que de leur faire confiance. Finalement, nous leur faisons confiance dans bien d'autres occasions, et je crois que là aussi nous pouvons le faire. Les radicaux vous conseillent donc le rejet de cette motion ou, en tout cas, le rejet de la motion dans sa forme actuelle.
M. Blaise Matthey (L). Je m'associe aux propos de M. Kunz en ce qui concerne la façon dont ce film devrait être diffusé. A tout le moins, on devrait regretter de vouloir, comme le désirent clairement les motionnaires, diffuser ce film alors qu'il n'y a pas de dossier pédagogique. Je crois donc qu'il y a un premier manque en ce qui concerne le dossier qui devrait entourer ce film et que, par ailleurs, ce n'est pas aux députés de dire aux enseignants, qui font extrêmement bien leur travail d'éducation citoyenne, ce qu'ils doivent faire. Vous savez que ce film est à la disposition de tous et que les enseignants qui souhaitent diffuser des informations disponibles autour des problèmes rencontrés lors de la Seconde Guerre mondiale en Suisse le feront à l'appui de ce film, que nous avons tous vu et qui est remarquable. Je suis convaincu que beaucoup d'élèves de ce canton ont déjà vu ce film, étant donné qu'il a été diffusé à des heures qui leur permettaient de le voir.
J'aimerais tout de même souligner une chose, par rapport à l'exposé des motifs des motionnaires: il n'y a pas eu des milliers de morts dus au refoulement pratiqué à la frontière genevoise. Selon les archives genevoises, - et notre canton est le seul à disposer d'archives - 884 personnes de confession juive ont été refoulées. Et, le film le dit, sur ce chiffre il n'y a eu que 117 déportations. Bien sûr, c'est trop, c'est beaucoup trop. Il n'y aurait eu qu'une seule déportation, elle aurait été de trop. Mais ce ne sont pas des milliers de morts qui sont dus au refoulement pratiqué à la frontière genevoise.
Mesdames et Messieurs, si l'on veut soutenir l'éducation citoyenne et le faire de manière responsable, la moindre des choses, c'est de ne pas le faire en déformant les chiffres. Et si l'on veut analyser le passé, il n'est pas interdit non plus d'aller rechercher les chiffres dans les nombreux ouvrages qui viennent de paraître sur cette question. Je citerai à cet égard l'ouvrage de Marc-André Charguéraud, intitulé «La Suisse présumée coupable», que l'on devrait distribuer comme manuel d'histoire, si l'on voulait illustrer ces dramatiques événements que notre pays a connus à l'époque, pour les raisons que M. Kunz a expliquées. Pour cette raison, Mesdames et Messieurs, le groupe libéral refusera cette motion.
M. Robert Iselin (UDC). Je voudrais en premier lieu remercier mes collègues Kunz et Matthey de ce qu'ils ont dit, car ils ont en quelque sorte remis l'église au milieu du village. J'ai déposé un amendement, non pas parce que je suis contre la diffusion de ce film, mais parce que je suis contre la pollution de l'esprit de notre jeunesse. Je me sépare de M. Kunz et de M. Matthey sur un point: je pense que si le film projeté est supportable, il est relativement unilatéral. Moi qui ai vécu cette période, je n'y ai pas reconnu l'atmosphère des années 39-45. Et je n'y ai pas vu la résistance du peuple suisse, dont Churchill a pu dire : «Ils ont peut-être fait quelques affaires avec les Allemands, mais ils ont maintenu, au milieu de l'Europe, leur résistance et les idéaux démocratiques.» Et je voudrais dire à M. Beer et à ses collègues que c'est grâce à leurs ancêtres, grâce aux miens, un tout petit peu grâce à moi et grâce à mes compatriotes, que vous n'êtes pas obligés aujourd'hui de dire «Heil Deutschland» ou «Deutschland über alles»!
Une voix. Oh là...
M. Robert Iselin. Oui, Monsieur, oh là ! Il faut que vous sachiez que la vieille génération est choquée, qu'elle est meurtrie par ce qu'on a dit. Car nous nous sommes battus comme des fous. Et quant à l'attitude de la jeune génération, qui consiste à nous lancer des pierres, c'est dégueulasse ! Je regrette de le dire, c'est dégueulasse.
Je demande donc, dans la mesure où ce film est projeté, qu'on fasse appel à des représentants de ma génération, pour qu'ils aient le droit d'expliquer aux jeunes ce qui, vraiment, s'est passé. C'est tout ce que je demande. L'amendement que j'ai présenté peut être corrigé, je m'en remets à votre Grand Conseil. Je trouve celui proposée par M. Hodgers - qui a été mon mentor lors d'un discours mémorable - un peu faible, mais, si vous le préférez, je m'en accommoderai.
Le président. Je vous rappelle, Mesdames et Messieurs, que nous passerons ensuite au point 34, pétition 1380-A, puis au point 34bis, motion concernant les camps de vacances, que vous avez accepté d'introduire dans notre ordre du jour. La parole est à M. Apothéloz.
M. Thierry Apothéloz (S). Je ne peux évidemment pas être d'accord avec l'orateur précédent, avec les termes qu'il a utilisés, ni dans le fond, ni dans la forme. Le parlement a voté, il y a quelques années, l'option au sein du département de l'instruction publique de l'éducation citoyenne. Pour cela, des enseignants, principalement en histoire et en géographie, ont été formés, afin de sensibiliser leurs élèves à la notion de citoyenneté au sens large. Notre proposition ne vise qu'à proposer aux enseignants un outil, afin de développer cette éducation citoyenne. Pour celles et ceux qui auraient du mal à lire la page 2, la motion invite simplement le Conseil d'Etat «à assurer la diffusion du film «Mémoire de la frontière». Pour ceux qui souhaiteraient se plonger dans un dictionnaire, la définition du mot «assurer» est la suivante: «Faire qu'une chose fonctionne.» En effet, le sens de cette motion est de permettre aux enseignants et aux directions des différents établissements scolaires d'utiliser ce film dans le cadre de l'éducation citoyenne, et c'est à ce titre uniquement que je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à soutenir cette motion et à l'envoyer au Conseil d'Etat.
Le président. Mesdames et Messieurs, le Bureau vous propose de clore la liste des intervenants. Sont inscrits : M. Christian Grobet, M. Antonio Hodgers, M. Christian Brunier, M. René Koechlin et M. Pierre-François Unger pour terminer.
Mise aux voix, cette proposition est adoptée.
M. Christian Grobet (AdG). Monsieur Iselin, je n'ai pas votre âge, mais je suis tout de même né au début de la Guerre et, comme petit enfant, j'ai été confronté à tout ce qui s'est passé durant la Guerre. Je tiens à dire que je ne mets pas en doute votre sincérité, je doute tout au plus que des jeunes vous jettent des pierres... C'est peut-être l'impression que vous avez, je le regrette.
Ici, je voudrais rappeler que la dernière Guerre a quand même produit quelque chose de tout à fait particulier, c'est l'Holocauste. Aujourd'hui, il y a des gens qui nient l'existence de ce fait épouvantable de l'histoire contemporaine. Les négationistes, ça existe. Pour ma part, je me souviens qu'on disait, au lendemain de la Guerre: «Plus jamais ça ! Plus jamais ça !» A noter qu'il y a eu ces dernières années, dans certains pays, qui plus est en Europe, en ex-Yougoslavie, des événements épouvantables qui ont rappelé ces tragédies de la dernière Guerre. Je crois qu'une des leçons que toutes les démocraties ont apprise au sujet de cette tragédie, c'est qu'on doit en parler, qu'on doit informer la jeunesse. Elle doit savoir ce qui s'est passé et ce que représentait «Deutschland über alles», que vous rappeliez effectivement, Monsieur Iselin. Quand je vois aujourd'hui des jeunes qui, sans connaître précisément cette partie de l'histoire, glorifient les emblèmes nazis, je trouve ça épouvantable ! Mais je me dis que ces jeunes ne sont pas au courant...
Nous avons donc un devoir de faire connaître à la jeunesse ce qui s'est passé. Vous avez raison sur un point: face à ces faits historiques qui ont forcément touché également notre pays, il n'y a pas qu'une vérité. Mais il faut quand même faire connaître un certain nombre de choses, et je pense que notre pays a eu tort de ne pas mettre en évidence certains actes également commis en Suisse. Je me souviens qu'on nous apprenait, enfants, que la Suisse avait été parfaite durant la dernière Guerre. Or ce n'est pas le cas ! Mais je ne veux pas mettre tout le monde dans le même sac, car il y a des gens ici dont la famille a été active dans l'autre camp et il y a aussi beaucoup de Suisses qui se sont battus pour aider ceux qui fuyaient la botte hitlérienne.
Je ne vois pas, pour répondre à ceux qui s'opposent à cette motion, ce qui vous empêche de l'accepter. J'ai entendu tout à l'heure un député dire: «On ne va pas obliger chaque enseignant à présenter ce film.» Mais je ne vois pas dans le texte de la motion une obligation pour chaque enseignant de présenter ce film !
M. Pierre Kunz. Si, c'est exactement ça !
M. Christian Grobet. Laissez-moi finir, Monsieur Kunz ! Dans la motion, on invite le Conseil d'Etat à assurer la diffusion du film «Mémoire de la frontière» à l'ensemble des élèves. Oui, assurer, c'est-à-dire tenter de faire en sorte que le film parvienne partout. Mais on ne va pas donner un ordre de marche à chacun ! Du reste, une motion est un voeu et le Conseil d'Etat saura l'interpréter d'une manière raisonnable. Quand vous dites qu'il devrait y avoir des explications en relation avec ce film, je suis tout à fait d'accord avec vous. On ne peut pas simplement présenter ce film sans autre.
Je crois que vous avez une drôle d'opinion du département de l'instruction publique et tout particulièrement de sa présidente qui, je crois, face à ce film-là, saura prendre les mesures nécessaires pour que, lorsque le film sera envoyé dans les écoles, il y ait des documents d'accompagnement, qu'on explique comment ce film doit être présenté. Je ne peux pas concevoir que tel ne sera pas le cas. Et je ne vois pas Mme Brunschwig Graf faire ce que, selon vous, la motion lui demande de faire. Vraiment, Mesdames et Messieurs les députés, ayez confiance dans la sagesse et le savoir-faire du Conseil d'Etat ! (Rires.)Mais oui, parfaitement, je trouve déplorable, Monsieur Kunz, que sur une question aussi grave que celle-ci, sur notre devoir, je dis bien notre devoir, de faire connaître aux jeunes générations ce qui s'est passé durant la dernière Guerre pour que cela ne se reproduise pas, je déplore que vous ne fassiez pas confiance au Conseil d'Etat, et tout particulièrement à Mme Brunschwig Graf.
M. Antonio Hodgers (Ve). Le devoir de mémoire est indispensable à chaque peuple, pour qu'il comprenne d'où il vient. Il est d'autant plus important lorsque ce devoir de mémoire s'adresse aux jeunes générations, qui n'ont pas vécu ces événements qui sont, à l'échelle de l'histoire, récents et que certains dans cet hémicycle ont vécus dans leur chair. Il me semble effectivement que cette motion est particulièrement intéressante à ce niveau-là. La diffusion de ce film dans l'ensemble des cycles d'orientation devrait permettre aux enseignants, à la direction des cycles, d'organiser des débats. Car l'histoire, si elle est le fait d'historiens, est toujours le fait d'hommes qui l'interprètent, à partir de documents, à partir de témoignages, et elle peut toujours, finalement, être discutée. Tous ses aspects ne peuvent pas l'être, car il y a des faits historiques incontestables, mais, dans ses nuances, l'histoire peut toujours donner lieu à des discussions. C'est pourquoi, même si je ne partage évidemment pas le sentiment de M. Iselin, son intervention et la subjectivité dont elle est empreinte font également partie de notre histoire. Et il me semble que discuter, partager ces réflexions, tant avec des personnes comme M. Iselin qu'avec d'autres personnes qui ont vu d'autres réalités à la même époque... (Brouhaha, exclamations.)
Mesdames et Messieurs les députés, il y a un martinet dans la salle, mais est-ce un mâle ou une femelle ?
Une voix. Eteignez la lumière !
Une voix. C'est une Martine ?
Le président. Continuez, Monsieur Hodgers, je suis sûr que vous n'avez pas besoin de notes...
M. Antonio Hodgers. Le martinet est dans la salle, pas Martine. Martine n'est pas dans la salle... (Rires.)
Le président. J'espère que ce n'est pas un oiseau de mauvais augure...
M. Antonio Hodgers. Voilà, le martinet est sorti !
A l'invite de M. Iselin, je fais donc une contre-proposition qui viendrait s'adjoindre à l'invite actuelle et qui dirait: «...à inviter le corps enseignant à organiser des débats enrichis de témoignages de personnes ayant vécu cette époque». J'espère que vous pourrez accepter cet amendement et la motion dans son ensemble.
M. Christian Brunier (S). Mesdames et Messieurs les députés, je ne sais pas qui a vu ce film, mais ceux qui l'ont vu pourront dire que ce film ne juge pas. Il parle bien sûr d'erreurs, de situations scandaleuses, mais ce film parle aussi de la complexité de l'époque et salue aussi des actes de générosité. Ce film montre vraiment la large palette d'attitudes que la population genevoise a eues. Et donc, Monsieur Kunz, il faut faire attention lorsqu'on utilise certains mots pour parler de situations extrêmes, scandaleuses. Vous parlez d'«erreurs organisationnelles plus que regrettables», or on ne peut pas réduire ceci à une erreur organisationnelle. Il y a eu des erreurs politiques scandaleuses, odieuses.
Au niveau de l'historique du film, Charles Beer l'a dit, ce film a échappé au contrôle politique. C'est vrai et c'est tant mieux. Mais si on reprend l'histoire de l'élaboration du film, on peut dire qu'on a eu chaud ! Une partie de celles et ceux qui, en commission, au tout début des travaux, voulaient instaurer un contrôle politique, demandaient une commission de suivi du film, demandaient de pouvoir, en commission parlementaire, choisir les experts de ce film, contrôler le scénario. Ces personnes ont échoué en plénière, parce qu'en plénière aucune d'elles n'a osé dire ce qu'elle avait dit en commission, loin des caméras, loin des journalistes, loin du public. Ce film a donc pu voir le jour et c'est tant mieux. Aujourd'hui, plus ou moins les mêmes personnes essaient d'empêcher la diffusion de ce film. Elles ne sont pas arrivées à empêcher sa réalisation, elles veulent donc empêcher sa diffusion: on retombe dans une moralisation et un contrôle politique inacceptables.
Monsieur Iselin, vous avez raison: beaucoup de personnes de votre âge ont été remarquables, ont lutté contre le nazisme, ont donné leur vie pour lutter contre ces thèses intolérantes. Mes grands-parents sont d'ailleurs morts dans la lutte contre ces horreurs nazies. Mais je pense qu'aujourd'hui ce film permet justement de dire aussi aux jeunes générations qu'il ne faut pas oublier cette période dramatique, qu'il y a un devoir de mémoire. Finalement, je dirai une chose: je pense qu'il y a un parti qui ne peut pas revendiquer ce soir les idées de résistance contre le nazisme, alors qu'on a entendu ce même parti, il y a vingt-quatre heures, faire des déclarations odieuses en interpellation urgente, qui rappellent malheureusement un triste passé !
M. René Koechlin (L). Je ne pensais pas prendre la parole, mais j'aime la proposition d'amendement de M. Hodgers. C'est en tant que témoin de cette époque que je m'adresse à vous. D'aucuns savent que j'ai vécu la débâcle, que j'ai vécu à Paris jusqu'en 1944, que j'ai eu plusieurs fois l'occasion de passer la frontière suisse avec des convois de la Croix-Rouge réservés aux enfants, que j'ai vécu pendant trois ans à côté d'une compagnie de SS. En 1944, nous avons dû quitter Paris précipitamment et demander d'être rapatriés d'urgence, parce que ma mère avait participé à des réseaux de résistance, parce que nous avions hébergé, à la barbe de ces SS, un certain nombre de juifs ou de résistants, un parachutiste même, et parce que le réseau auquel ma mère appartenait avait été démantelé fin 1943.
Le devoir de mémoire est indiscutable. Il faut que les jeunes générations sachent quels ont été, dans les moindres détails, les événements dramatiques que l'Europe et le monde ont connus pendant ces années difficiles, ces années noires. Mais il faut que ces témoignages soient absolument objectifs et c'est là toute la difficulté. Je n'ai pas vu le film en cause, de sorte que je m'abstiendrai sur celui-ci. Mais je romps une lance concernant les témoignages et l'information, aussi objective que possible, à l'intention de la jeune génération. Je crois que cela est extrêmement important. Il faut que les jeunes réalisent dans quelle situation délicate se trouvait la Suisse, complètement encerclée, comme un îlot dans la tempête. Elle accueillait chaque année des dizaines de milliers de personnes qui cherchaient refuge, mais elle en refoulait aussi, pour des raisons que je ne suis pas en mesure de pouvoir expliquer ni analyser. Il n'y a donc pas de doute quant à l'attitude pour le moins ambiguë de notre pays à cette époque. Mais elle était ambiguë aussi de par la situation dans laquelle la Suisse se trouvait, une situation évidemment très difficile, car notre patrie devait maintenir son indépendance, bien sûr toute relative puisqu'elle était matériellement dépendante des nazis qui l'entouraient. Cela n'était donc pas si simple. L'éclairage que l'on doit apporter sur cette période doit être extrêmement complet et relater la complexité des problèmes auxquels notre pays était confronté, ainsi que la diversité des opinions. Parce qu'il y avait des nazis convaincus en Suisse, et nous en avons connu ! Il y avait à côté de mes grands-parents à Blonay, où je passais mes vacances grâce à la Croix-Rouge, qui nous convoyait chaque été pour trois mois, une villa occupée par un agent de la Cinquième colonne. Je pense qu'il n'est pas nécessaire de vous expliquer ce qu'était la Cinquième colonne: c'était les espions nazis. Or, ils habitaient là en toute impunité, en toute tranquillité, ils avaient même une antenne dans le peuplier à côté de la maison, qui leur permettait de communiquer avec leurs commanditaires. Et, contraste frappant, dans la maison voisine, de l'autre côté de la route, il y avait un juif réfugié, un dénommé Oppenheim. Et ces gens coexistaient, là. On ne savait pas très bien comment les choses allaient se passer. Il y avait une espèce de suspense entre ces entités totalement antagonistes, qui vivaient comme cela, en voisinage, sous nos yeux.
Ceci n'est qu'un exemple, mais qui illustre les contradictions que l'on trouvait dans absolument tous les recoins de notre pays. Il sera toujours extrêmement difficile de relater ces événements paradoxaux sous leur vrai jour et dans toute leur complexité.
Ce que je voulais dire, c'est que face à une motion comme celle-ci, je salue l'amendement de M. Hodgers, parce que si un film a peut-être sa raison d'être - je répète que je ne l'ai pas vu, je ne peux pas le juger - il me paraît extrêmement important d'organiser des débats enrichis de témoignages de personnes qui ont vécu cette époque. Parce qu'ils constituent un des biens les plus précieux. C'est précisément un modeste témoignage que, ce soir, j'ai tenté de vous présenter.
M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Tout a été dit s'agissant des émotions que les uns et les autres peuvent ressentir: les plus âgés se souviennent simplement d'une période qu'ils ont vécue, avec tous ses troubles, toutes ses complexités, toutes ses ambiguïtés, toutes ses ambivalences, toutes ses dualités, tandis que les plus jeunes soulignent à juste titre l'impératif de mémoire que notre peuple doit avoir sur cette période d'une extrême complication. Personne dans ce parlement ne songerait à interdire les émotions, pas plus que nous ne songerions à autoriser l'oubli de ce pan d'histoire que nous avons découvert, certains plus tardivement que d'autres, il est vrai. Néanmoins, la question que pose votre motion, mais peut-être l'ai-je mal lue ou mal interprétée, va un peu au-delà. Il n'y aurait aucune difficulté si la formulation, comme je la comprends tout du moins, n'imposait pas une démarche et un outil pédagogique uniques pour aborder un pan particulier de l'histoire. Notre parlement n'a jamais fait ce type d'erreur et il ferait bien de s'en garder.
M. le député Beer a raillé Mme Brunschwig Graf avec un certain talent, mais sans élégance, vu l'absence de celle-ci. Si M. Beer avait connu - mais il est vrai qu'il est un peu jeune - l'acharnement de M. Chavanne, pendant plus de vingt ans, à refuser que les libéraux se mêlent du matériel pédagogique que l'on voulait imposer à l'instruction publique, il serait bien inspiré de se rappeler de la protection que tous les parlementaires avaient offerte à M. Chavanne...
Monsieur Hausser, vous feriez mieux de sortir, plutôt que de vous comporter comme un singe !
Une voix. Bien dit ! (Applaudissements.)
M. Pierre-François Unger. Je le répète : il ne fait aucun doute pour le Conseil d'Etat que ce document représente un des documents fondamentaux pour témoigner de la période de l'histoire dont vous avez beaucoup parlé ce soir. Mais il en existe d'autres. Saviez-vous qu'un professeur du cycle d'orientation a rédigé un livre qui s'intitule «Le Rapport Bergier à usage des jeunes adolescents», revu par M. Bergier qui le trouve remarquable ? Allez-vous, Monsieur Beer, en rendre la lecture obligatoire ? Et jusqu'où pousserez-vous cette manie d'imposer du matériel pédagogique là où personne ne conteste la qualité de celui qui est à disposition, là où personne ne conteste l'importance de sa mise à disposition, mais là où le Conseil d'Etat n'entend pas se faire imposer un matériel unique par le parlement ?
Le président. Trois amendements ont été déposés: je propose aux trois auteurs de prendre quelques minutes pour les présenter.
M. Pierre Kunz (R). J'ai été très heureux d'entendre M. le conseiller d'Etat Unger s'exprimer parce que, si j'ose dire, les Laconnésiens se rencontrent. En effet, je vous ai présenté un amendement qui, me semble-t-il, va dans le sens de ce qu'il disait et pourrait recueillir l'assentiment général. Dans cet amendement, l'invite est remplacée par: «...à mettre le film Mémoire de la frontièreà disposition de tous les enseignants d'histoire et de géographie des degrés secondaires - car il n'y a pas de raison d'exclure le collège - qui en feront la demande, en vue de sa diffusion dans leurs classes».
Une voix. Mais c'était clair comme ça !
M. Pierre Kunz. Eh bien, puisque c'est clair, il vaut mieux que ce soit clair de cette manière, plutôt que de la vôtre.
M. Robert Iselin (UDC). Je l'ai dit tout à l'heure: vu les relations amicales que j'ai avec M. Hodgers et comme j'apprécie la proposition qu'il a faite, cela m'importe peu que l'amendement de M. Hodgers soit préféré au mien par ce Grand Conseil. Cela dit, je voudrais simplement préciser, parce qu'il m'a semblé comprendre que M. Grobet pensait que j'étais opposé à la diffusion de ce film, que ce n'est absolument pas le cas ! Je pense qu'il doit être vu, mais je pense en même temps que les élèves de nos écoles doivent entendre les gens de ma génération, qu'ils sachent ce que nous avons vécu et combien nous avons lutté. J'aimerais qu'on aille leur dire aussi que la Suisse a sauvé deux cent vingt mille juifs pendant la guerre, alors que les Etats-Unis en ont sauvé vingt mille. Après cela, on a osé nous cracher dessus. Je regrette, vous permettrez que je sois indigné.
Le président. Monsieur Hodgers, vous voulez présenter votre amendement? Non, votre amendement est clair...
M. Jean Spielmann (AdG). Je ferai une intervention très rapide par rapport aux amendements et à la motion. Lorsque nous avions présenté et débattu de ce film dans ce Grand Conseil, j'avais fait un amendement, en demandant que ce parlement renonce à contrôler ou à mettre en place des mesures qui auraient permis de vérifier le contenu du film. Je pensais qu'il était normal qu'un tel film soit librement tourné par les responsables, qui avaient choisi les thèmes et les personnes à auditionner. Cela étant, je considère pour ma part que de grands volets de l'histoire ne sont pas contenus dans ce film, notamment une certaine réalité politique de ce canton, durant les années trente et quarante. A cette période, des gens ont été chassés de ce parlement, précisément parce qu'ils avaient face à eux suffisamment de personnes influentes désirant instaurer un certain ordre, qui puisse davantage plaire aux Allemands. Il faut savoir, par ailleurs, que deux cents personnes ont été déclarées inéligibles et interdites de droits politiques dans ce pays, que beaucoup d'entre elles ont été emprisonnées parce qu'elles avaient aidé des résistants, que beaucoup d'entre elles ont subi des dommages très importants du point de vue professionnel, qu'on leur a supprimé le droit au logement, le droit de faire de la politique, le droit d'association. Tout cela est ignoré dans le film et ignoré volontairement, pour des raisons politiques.
J'ai dit que je ne demandais pas de contrôle: laissons la liberté aux gens de dire ce qu'ils ont à dire et de faire le film qu'ils veulent faire. Mais, aujourd'hui, je pense qu'il n'est pas juste d'imposer une seule version de l'histoire, d'imposer ce film qui occulte une bonne partie de la réalité. Je me permets tout de même de rappeler que dans cette enceinte siégeaient à l'époque des personnes qui venaient en chemises noires et en chemises grises, et qui défendaient les idées fascistes. Ces parlementaires ont décidé de chasser ceux qui pensaient différemment; ils ont essayé de faire place nette pour mieux préparer le pays à se soumettre aux Allemands ou, éventuellement, à ne pas subir trop de dommages si ces derniers venaient. En occultant toute cette partie de l'histoire, qui a tout de même considérablement chamboulé la Genève des années trente et quarante, le film donne une image historiquement incorrecte et injuste de ces événements. Je ne dis pas qu'il ne doit pas être diffusé: je l'ai déjà dit, je me battrai pour la liberté d'expression. Mais imposer aux enseignants ce film qui occulte une partie de la réalité, c'est aussi une manière plus ou moins discutable de présenter l'histoire.
Par ailleurs, certains ici présentent des amendements qui parlent «d'imposer aux maîtres de classe, aux responsables de l'enseignement de l'éducation citoyenne respectivement, de faire...», alors que ce n'est pas le rôle du parlement d'imposer, d'exiger une orientation des enseignants, une orientation de l'histoire ! Je pense qu'il appartient effectivement à chacun de choisir les témoins qu'il entend écouter. Certains témoins qui ont été emprisonnés à cette période-là sont toujours en vie. Je pense notamment aux résistants qui, à l'époque, sont allés aider la République espagnole et qui, aujourd'hui, ne sont toujours pas amnistiés et qui subissent encore les conséquences de leur engagement. Ils avaient tout quitté pour aller défendre la République espagnole, car ils avaient bien compris à ce moment-là que c'était contre le fascisme qu'il fallait se battre. Tout cela, Mesdames et Messieurs les députés, fait aussi partie de notre histoire, cela fait aussi partie de la réalité, et il faut donc que cette réalité soit plurielle, que les gens s'expriment. Quand on veut être historien et faire la leçon aux autres, il faut au moins avoir l'honnêteté de présenter un volet complet de ce dont on parle. Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs, je ne voterai pas cette motion.
Le président. Je suis navré, ce débat commence à prendre du temps et je ne suis pas sûr qu'on arrivera au bout... Comme je vous l'ai annoncé, après le vote sur cette motion, nous passerons à la motion sur les camps de vacances que vous vouliez traiter impérativement ce soir, parce qu'elle concerne une subvention et qu'il est important de décider rapidement si cette somme doit être débloquée ou non.
Je vais maintenant vous faire voter sur les amendements; il y en a trois. Celui de M. Kunz n'est pas très clair : je ne sais pas s'il s'agit d'une invite supplémentaire ou si cet amendement remplace l'invite actuelle. Monsieur Kunz, j'aimerais avoir cette précision pour faire voter, s'il vous plaît. Ce n'est pas la peine de développer, précisez simplement votre pensée.
M. Pierre Kunz (R). Monsieur le président, dans mon esprit, l'invite proposée remplace celle de la motion. Ceci dit, pour mettre les choses au point, je suis prêt à la modifier de la manière suivante. A la place de «...à mettre le film Mémoire de la frontièreà disposition...», je suis prêt à écrire: «...à recommander la diffusion du film Mémoire de la frontièreet à le mettre à disposition de tous les enseignants». Deuxièmement, les radicaux seront prêts à accepter, à la suite de cette invite, celle proposée par M. Hodgers.
Le président. Mesdames et Messieurs, tous les amendements sont à peu près équivalents du point de vue de leur éloignement d'avec le texte d'origine. Dès lors, si, comme M. Kunz vient de le dire, il y a une condition à l'invite des radicaux, je vous suggère de voter d'abord l'invite de M. Hodgers. Monsieur Unger, vous avez la parole.
M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. La formulation proposée par le député Kunz paraît effectivement correspondre exactement à ce que nous pouvons non seulement accepter, mais souhaiter. A titre personnel, je vous recommanderais également d'adopter l'amendement de M. Hodgers, qui complète de manière heureuse la vision d'une pédagogie critique et non monolithique. Je vous remercie.
Une voix. Monsieur Iselin retire son amendement.
Le président. Je vous remercie, Monsieur Iselin.
M. Charles Beer (S). Il est vrai qu'il y a parfois des divisions stériles, mais il y a parfois une hystérie du consensus qui trouble. En l'occurrence, nous nous trouvons ce soir dans la deuxième situation. J'aimerais dire que, s'il s'agit d'«encourager la diffusion de ce film», nous serons bien entendu dans le cas de figure que j'évoquais tout à l'heure, c'est-à-dire que le DIP nous répondra: «Nous y avions déjà pensé, nous n'avons pas besoin de vous.» En outre, quand on ajoute à cet amendement celui proposé par M. Hodgers, soit la nécessité d'organiser, en plus, des débats avec des témoins, il y a fort à parier que ce sera plutôt une difficulté supplémentaire pour la diffusion du film. A force d'amendements pour rallier tout le monde, nous pouvons être sûrs d'une chose, c'est que cette motion n'aura plus aucun sens.
Le président. Bien, je fais voter l'amendement de M. Kunz: «à recommander la diffusion du film « Mémoire de la frontière » et à le mettre à disposition de tous les enseignants d'histoire et de géographie des degrés secondaires qui en feront la demande en vue de sa diffusion dans leurs classes».
Mis aux voix, cet amendement est adopté.
Le président. Nous mettons maintenant aux voix l'amendement de M. Hodgers, qui s'ajouterait à celui que nous venons de voter. Il se formule ainsi : «à inviter le corps enseignant à organiser des débats enrichis de témoignages de personnes ayant vécu cette époque».
Mis aux voix, cet amendement est adopté.
Mise aux voix, la motion 1452 ainsi amendée est adoptée.
Débat
M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je ne voudrais évidemment pas vous priver d'un débat, mais la question qui est posée est importante. Nous sommes le 15 juin et, s'il faut débloquer une somme supplémentaire, il faut le savoir vite. Ma collègue Martine Brunschwig Graf m'a dit qu'elle n'avait pas pu obtenir tous les renseignements souhaités. C'est la raison pour laquelle, sans vouloir, je le répète, vous priver d'un débat, je vous propose de nous adresser directement cette motion, de manière à ce que le crédit puisse être débloqué, dès que nous aurons pu vérifier la pertinence de ce que vous nous dites.
M. Pierre Weiss (L). J'ai fort bien compris ce que nous a dit le chef du DASS, qui remplace ce soir Mme la conseillère d'Etat Martine Brunschwig Graf, néanmoins cette proposition de motion traite d'un problème sérieux, même si des indications manquent effectivement. Je m'étonne, d'ailleurs, qu'il n'y ait pas davantage de nos collègues qui soient désireux de s'exprimer sur la question fondamentale posée par les motionnaires et, à ce propos, j'aurai quelques remarques à faire.
Je crois qu'il aurait été bon de se limiter à la première invite, parce que la deuxième pose un certain nombre de problèmes, et je voudrais en illustrer quelques-uns. D'abord, on nous dit que le Conseil d'Etat est invité à verser une subvention complémentaire. Pour un député membre de la commission des finances, la question du montant du complément se pose immédiatement. Alors que, dans la première invite, l'on nous parle d'un montant de 100 000 F, on ne nous renseigne nullement dans la deuxième sur le supplément qui sera nécessaire. De cette façon-là, il serait, je crois, hasardeux de s'engager sur une voie dont nous ne connaissons pas exactement ni la largeur, ni la longueur, ni le terme.
Deuxièmement, dans cette deuxième invite, il est également demandé de verser une subvention aux «associations susceptibles d'organiser des camps de vacances supplémentaires». Cette définition me semble particulièrement large. Elle est même extensible ad libitum. Qu'est-ce que sont ces «associations susceptibles d'organiser des camps de vacances supplémentaires» ? Je crois qu'il serait bon que les motionnaires nous précisent leurs intentions sur ce point, pour que nous puissions prendre en considération la motion.
Il y a un troisième point, qui n'est peut-être pas le plus grave, mais qui me semble être mis ici par analogie avec une situation qui existe sur le marché du logement, à savoir la pénurie. On nous parle de «listes d'attente». Or, nous savons fort bien que les listes d'attente ne sont pas en soi un critère qui garantit l'exactitude d'un besoin. On peut être inscrit sur plusieurs listes d'attente. Je serais heureux que les motionnaires nous indiquent également de quelle façon ils entendent discriminer les listes d'attente, procéder à une analyse soignée de ces listes, pour précisément pouvoir nous indiquer les besoins qu'il s'agira de combler et les associations auxquelles il s'agira de répondre.
C'est sur ces trois questions, à la fois l'imprécision des chiffres, le caractère extensible de la définition et, finalement, le caractère arbitraire des listes d'attente, que je souhaiterais des précisions de la part des motionnaires.
M. Thierry Apothéloz (S). Peut-être ne vais-je pas pouvoir répondre à toutes vos interrogations, Monsieur Weiss; je souhaiterais néanmoins apporter quelques éclaircissements quant à la deuxième invite de cette motion, puisqu'elle semble troubler certaines et certains d'entre vous. En effet, 2500 enfants partent généralement en vacances durant les périodes de vacances scolaires, et force est de constater que les listes d'attente sont de plus en plus longues dans les différents organismes qui proposent des camps de vacances. Pourquoi ? A la demande du département de l'instruction publique, ces organismes de vacances ont été amenés à organiser des camps plus courts et avec un nombre de participants moindre. Souvenez-vous des grandes colonies de vacances de notre enfance, réunissant soixante gamins à la montagne. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas : on demande aux organismes tels que le CPV, Caritas, Vacances nouvelles et autres, d'organiser des camps courts, d'une à deux semaines au maximum, avec un minimum d'enfants, afin de garantir, il est vrai, une certaine sécurité. Par ailleurs, la structure même de ces associations a évolué: le service des loisirs, via le département de l'instruction publique, demande un encadrement renforcé, autant par le nombre de moniteurs que par leur formation. Bien évidemment, tout ceci a un coût. Or, nous ne pouvons effectivement pas connaître le montant exact de ces besoins, c'est pourquoi j'appuie la proposition du président Unger concernant le déblocage de ces 100 000 F et une étude plus précise.
Les listes d'attente, Mesdames et Messieurs les députés, nous interpellent car il y a lieu, en effet, de se demander pourquoi les parents ont besoin de mettre leurs enfants dans des camps de vacances. Pour certains, il s'agit d'un plus dans la vie d'un enfant ou d'un adolescent: c'est vivre une aventure avec des pairs, avec tout ce que cela peut comporter d'avantages socio-culturels et socio-éducatifs. Mais il existe aussi un certain nombre de parents qui ne peuvent pas partir en vacances et qui choisissent donc d'envoyer leurs enfants en camps de vacances, parce qu'ils n'ont pas d'autre alternative. Il y a par ailleurs une différence énorme entre les moniteurs: à la FASe (Fondation pour l'animation socio-culturelle) ou au service des loisirs, l'indemnité pour les moniteurs est d'environ 90 F par jour, alors qu'au CPV ou à Vacances nouvelles, pour ne citer qu'eux, elle est de 25 à 35 F par jour. Dès lors, il est difficile pour ces derniers de trouver des moniteurs qui soient d'accord de s'engager vingt-quatre heures sur vingt-quatre pendant une semaine, voire quinze jours, auprès d'enfants et d'adolescents.
La deuxième invite, Mesdames et Messieurs, propose au Conseil d'Etat de réfléchir à tous les aspects des problèmes que je viens de soulever et d'y apporter une solution par une subvention supplémentaire, que la présidente du département de l'instruction publique pourra évaluer, en concertation avec les divers organismes et le GLAJ (Groupement de liaison des activités de jeunesse). Pour ces différentes raisons, je pense que nous devons voter la motion avec ses deux invites.
Le président. Mesdames et Messieurs, il reste six intervenants: je vous propose de clore la liste et je vous signale qu'à 23 h la séance sera levée.
Mme Anne-Marie Von Arx-Vernon (PDC). Cette motion retient bien évidemment toute l'attention du PDC, car les camps de vacances remplissent un rôle essentiel auprès des enfants et de leurs familles. Si l'on ne comprend pas pourquoi le solde, à hauteur de 100 000 F, n'a pas été débloqué, on comprend l'inquiétude des organisateurs et surtout l'incertitude des familles, qui peuvent craindre que leurs enfants ne trouveront pas de place dans les camps. Toutefois, si la première invite est cohérente avec le besoin immédiat, la deuxième n'est pas acceptable en l'état pour le parti démocrate-chrétien. Nous vous proposons donc un amendement supprimant la deuxième invite et la remplaçant par: «...à étudier l'opportunité d'augmenter la subvention, après analyse des prestations offertes et évaluation des besoins». En conclusion, le parti démocrate-chrétien vous recommande de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.
M. Jacques Jeannerat (R). Je remercie M. Apothéloz de toutes les indications techniques et pédagogiques qu'il a apportées tout à l'heure, mais je suis impressionné par le fait que ce problème arrive au Grand Conseil. En réalité, j'ai questionné cet après-midi, après avoir reçu le texte, et Mme Brunschwig Graf et Mme Calmy-Rey, pour savoir ce qui s'était passé, car il se trouve que la subvention votée dans le cadre du budget n'a pas été entièrement allouée. La question tient donc avant tout de l'action de l'exécutif. Je tiens à préciser qu'il y a une erreur dans la première invite. Je suis allé voir les comptes et les budgets des trois dernières années, pour essayer d'y voir un peu plus clair. En réalité, le budget de l'année 2001 propose une somme de 1,1 million, tandis que, selon les comptes de l'année 2001, seul 1 million a été versé. Je ne comprends donc pas pourquoi l'exécutif n'a pas appliqué la décision du Grand Conseil via le vote du budget. C'est la première chose. Il est donc hors de question d'empêcher ces deux organismes de vacances de mener leur action auprès des enfants cette année; le Conseil d'Etat doit impérativement s'exécuter et verser les 100 000 F nécessaires au déroulement de ces camps.
J'étais très mal à l'aise par rapport à la deuxième invite et je me rallie tout à fait à l'amendement proposé par Mme von Arx. Je connais assez bien ces organismes de vacances pour avoir présidé le GLAJ il y a une dizaine d'années. Or, il y a dix ans déjà, ces deux organismes de vacances avaient des problèmes financiers. Je crois qu'il est important d'analyser leurs besoins, parce que je suis persuadé qu'ils sont mal gérés. Au fond, je suis satisfait de l'amendement de Mme von Arx et j'espère que le Conseil d'Etat pourra rapidement nous faire un rapport à ce sujet.
M. Gilbert Catelain (UDC). Ce thème nous tient effectivement à coeur. J'ai moi-même bénéficié de ces camps de vacances quand j'étais plus jeune, mes filles n'en profiteront pas cette année, car nous avons fait d'autres choix.
Il n'empêche qu'à l'UDC nous sommes relativement d'accord avec les avis exprimés sur la première invite, notamment par M. le conseiller d'Etat Unger. Nous soutiendrons donc le renvoi de la motion au Conseil d'Etat. Concernant la deuxième invite, je suis un peu surpris qu'on découvre au mois de juin qu'il y a effectivement un nombre important d'enfants qui ne bénéficient pas des camps de vacances. Je pense que cet état de fait devait être connu au préalable. Cela étant, il est vrai qu'on travaille sur la base d'un budget et qu'on ne pourra par conséquent jamais satisfaire tout le monde, on l'a vu hier dans le débat sur la fiscalité. Nous soutiendrons donc, concernant la deuxième invite, la position prise à la fois par le PDC et le parti radical.
M. Dominique Hausser (S). M. Catelain a dit qu'il n'enverrait pas ses filles dans ces camps, c'est son choix. Il a la chance de pouvoir choisir, alors qu'un certain nombre de familles ne peuvent pas le faire et sont obligées d'envoyer leurs enfants dans les camps, pour que ceux-ci puissent bénéficier de vacances plutôt que de devoir rester à la maison. Je n'allongerai pas sur cette argumentation, qui me semble particulièrement faible.
Quant au problème du budget, tout le monde dans cette enceinte sait que le budget a été voté dans des conditions relativement difficiles et que tous les points que nous prenions habituellement en considération sont un peu passés sous le tapis. On se rend bien compte aujourd'hui que la situation est réellement délicate. Cela fait pas mal d'années, Mesdames et Messieurs les députés, que les colonies de vacances, pour reprendre le terme de mes parents, bénéficient d'une subvention cantonale stable, alors que la population augmente de manière régulière dans ce canton. Nous sommes 420 000 habitants aujourd'hui, alors que nous étions 250 000 lorsque j'étais enfant. Certains me trouvent peut-être vieux, mais je n'ai que 47 ans: la population a donc doublé sur ce territoire en moins de cinquante ans, ce qui nécessite des réadaptations de structures, des réadaptations de vision.
J'entends le PDC et les radicaux dire : «Oui, c'est intéressant, libérons les 100 000 F nécessaires» sans arguments absolument fondamentaux et, dans le même temps, ils refusent d'entrer en matière sur les subventions complémentaires, alors qu'on sait qu'il y a des listes d'attente dans un certain nombre d'organisations, qu'il y a des gamins qui attendent de partir en vacances. Cela me semble absolument insupportable. Mesdames et Messieurs, je vous recommande de voter cette motion telle qu'elle a été présentée par les motionnaires et de ne pas entrer en matière sur les amendements fallacieux qui ont été présentés par les radicaux et les démocrates-chrétiens, qui soi-disant défendent la famille.
Le président. Mesdames et Messieurs, le Bureau vous propose de clore ici la liste des intervenants: il en reste cinq.
Mise aux voix, cette proposition est adoptée.
Mme Jocelyne Haller (AdG). Si nous allongeons un peu le débat en ce moment, c'est simplement pour dire l'urgence qu'il y a, aujourd'hui 14 juin, à prendre les mesures nécessaires pour que les demandes des jeunes qui attendent de partir en vacances puissent être satisfaites. Nous apprécions la proposition de M. Unger et l'acceptons bien volontiers. En ce qui concerne la deuxième invite, elle visait à mettre en évidence le fait qu'un certain nombre de demandes ne sont aujourd'hui pas satisfaites et qu'il conviendrait d'adapter l'offre à la demande. C'est pourquoi nous nous rallions à l'amendement de Mme von Arx.
M. Renaud Gautier (L). D'abord, que mille grâces soient rendues à M. Unger qui traite autant des problèmes de santé que de ceux des colonies de vacances, ce qui prouve que les petits jeunes du Conseil d'Etat, ma foi, ne sont pas si mauvais.
Je voudrais revenir deux secondes sur l'ensemble de cette motion. Il n'y a bien évidemment pas lieu pour notre Conseil de juger aujourd'hui de la nécessité ou non des camps de vacances, des «colonies de vacances», comme les appelaient les parents de notre excellent collègue Hausser, mais il y a lieu de s'étonner en effet que cette urgence arrive maintenant et des deux questions, somme toute un peu contradictoires, qui nous sont posées. La première concerne le solde du paiement d'une subvention: on ne peut nous expliquer ici la raison qui aurait pu entraîner le département concerné à ne pas verser ce solde. Je crois ce département suffisamment sensible à la condition des enfants, on en a d'ailleurs eu la démonstration lors d'une intervention ce soir, pour imaginer qu'il ne puisse s'agir que d'un retard.
Quant à la deuxième invite, elle pose en effet une question de fond : faut-il que ce Conseil décide sur le siège de changer une politique établie depuis de nombreuses années, tel que l'expliquait l'excellent député Hausser, par une augmentation de subvention au profit d'enfants potentiellement en liste d'attente ? J'ai peine à croire, dans un premier temps, que l'année 2002 soit si particulière que ces listes d'attente soient très différentes de celles des autres années... Cela fait dix ans que ça dure, ajoute l'excellent, le parfait député Hausser une fois de plus... (Brouhaha.)Mais faut-il pour autant décider là que nous allons donner une subvention dont nous ne connaissons somme toute ni le montant, ni la répartition?
Je pourrais imaginer que certains crient tout à coup au scandale, parce qu'ils auraient mis en place certains camps de vacances mais ne seraient pas sur la liste des heureux récipiendaires. C'est pourquoi, si je peux comprendre la nécessité qu'il y a de pouvoir proposer ces camps de vacances, je crois qu'un minimum de raison devrait rejoindre cette séance, malgré la chaleur ambiante et les oiseaux qui la traversent... La proposition faite par M. Unger, qui sera dorénavant connu comme l'expert ès colonies de vacances, de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat m'a effectivement l'air la plus sage et celle qui, à terme, pourra le plus profiter à ceux qui en ont réellement besoin, à savoir les enfants.
M. Gilbert Catelain (UDC). Je voudrais dans un premier temps répondre à M. Hausser qui m'a un peu mis en cause, peut-être par mauvaise compréhension. Je n'ai effectivement rien contre les camps de vacances, au contraire. Je l'ai dit, le choix que j'ai fait est un choix différent, parce que je n'ai pas forcément la possibilité, pour mes trois enfants, de financer les inscriptions. D'ailleurs, c'est la raison pour laquelle je suis très favorable à ce que la deuxième invite soit étudiée. En effet, vous avez certainement raison de dire que, si le budget des camps de vacances n'a pas été réévalué ces dernières années, c'est qu'il y a un problème qui mériterait d'être discuté au sein de la commission des finances. Cela dit, je rappellerai néanmoins que gouverner, c'est prévoir, que le budget est notamment fait par une conseillère d'Etat socialiste et que le parti socialiste a adopté ce budget en toute connaissance de cause. Il appartient donc aux motionnaires d'évaluer le besoin financier à prévoir dans le cadre de cette deuxième invite et il n'appartient pas, à mon avis, au Conseil d'Etat de faire le travail des motionnaires.
M. Jacques Jeannerat (R). Je ne peux pas accepter les propos mensongers de M. Hausser. J'aimerais juste vous donner les chiffres exacts des subventions accordées aux organismes de vacances ces dernières années. Si la subvention qui aurait dû être versée était de 1 100 000 F pour l'année 2001, elle n'était que de 750 000 F en l'an 2000. Il y a donc eu une augmentation de 350 000 F. Il ne faut pas raconter n'importe quoi, je suis allé regarder les comptes tout à l'heure ! Il ne faut pas raconter n'importe quoi, Monsieur Hausser.
Le président. La parole n'est plus demandée. Nous sommes saisis d'un amendement que vous avez certainement sous les yeux, qui consiste à supprimer la deuxième invite et à la remplacer par : «...à étudier l'opportunité d'augmenter la subvention après analyse des prestations offertes et évaluation des besoins».
Mis aux voix, cet amendement est adopté.
Mise aux voix, la motion 1465 ainsi amendée est adoptée.
Débat
M. Claude Aubert (L), rapporteur. Mesdames et Messieurs les députés, le martinet qui s'est promené ici tout à l'heure est à prendre comme une métaphore: comment s'en sortir quand on est coincé ? La famille dont nous parlerons est totalement coincée et nous le sommes aussi. En l'occurrence, il a fallu éteindre la lumière pour résoudre le problème; nous, nous souhaitons que la lumière jaillisse pour résoudre le nôtre. Mais cette lumière ne doit pas nous aveugler dans un espoir peut-être démesuré, elle doit nous permettre de regarder les choses en face.
Le compte rendu que j'ai fait est valable au 2 mai 2002. Nous avons décidé en commission, comme vous l'avez lu, par rapport à la situation d'alors, de favoriser une mesure possible, plutôt que d'autres mesures souhaitables. Cette mesure possible était celle du rapatriement, décrite dans le rapport, qui aurait permis de suivre cette affaire aussi sur sol iranien. Je vous rappelle également que, par rapport à la discussion d'aujourd'hui, le fait que la famille se trouve dans cette salle ajoute à la gravité de nos réflexions. Suite à cette décision unanime de la commission, suite à des tentatives de prendre contact avec la famille pour lui proposer cette mesure possible, cette famille n'a pas pu ou n'a pas voulu entrer en matière, pour des raisons vraisemblablement personnelles. Par conséquent, une partie des arguments avancés à l'époque ne tient d'une certaine manière plus. Par ailleurs, j'ai appris que, dans plusieurs partis, il y a eu une oscillation extrêmement compréhensible, car on oscille sans arrêt entre le réalisme et l'espérance.
Pour la clarté de la discussion et pour éviter tout de même une certaine confusion, j'aimerais juste expliquer qui fait quoi, de sorte qu'il n'y ait pas de malentendu. En principe, Berne - quand je dis Berne, je pense bien sûr aux autorités fédérales - a décidé en 2001 que c'était fini. Par conséquent, la mesure bernoise est exécutoire, mais elle l'est depuis environ un an. Grâce à Mme Micheline Spoerri, il a été possible de ralentir le processus tant que notre Grand Conseil en discutait, mais il n'est absolument pas en son pouvoir d'annuler quoi que ce soit - les membres de la commission et Mme Spoerri me corrigeront si je me trompe - car la décision n'appartient qu'à Berne. En ce qui nous concerne, il ne faut pas imaginer que notre Grand Conseil décidera d'un renvoi ou d'un non-renvoi, car tout ce que nous pouvons faire, c'est soit émettre un avis ou une opinion, que nous pouvons transmettre au Conseil d'Etat ou à quelqu'un d'autre, soit, comme la commission l'a proposé, remettre ce rapport au bureau du Grand Conseil. C'est donc maintenant un combat de conscience extrêmement délicat.
En ce qui me concerne, je pense qu'il faut clairement distinguer le réalisme de l'espoir. S'il était possible d'avoir la certitude que quelque chose d'autre puisse se passer, nous pourrions décider de renoncer à déposer ce dossier sur le bureau du Grand Conseil, mais si nous n'avons que l'espoir que quelque chose d'autre puisse arriver, je craindrais à ce moment-là que nous n'entrions dans une opération de blanchiment de notre conscience.
Mme Anne-Marie Von Arx-Vernon (PDC). Le PDC aménagera la décision prise en commission. A l'unanimité, il est vrai, la commission des pétitions a décidé de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil. En l'occurrence, il y a la loi, il y a le droit, il y a le coeur. On ne peut pas en vouloir à une famille qui souffre d'utiliser tous les moyens humains pour essayer de souffrir un peu moins. Des faits que nous ne pourrons jamais vérifier ont amené cette famille chez nous. Des lois que nous ne pouvons pas modifier à la minute nous obligeraient à cautionner leur expulsion. Entre ces deux réalités, notre humanisme peut se glisser dans les interstices de nos certitudes. En renvoyant cette pétition au Conseil d'Etat, nous laissons nos magistrats faire preuve de bon sens et d'humanité.
M. Charles Beer (S). Je souhaite en préambule rendre hommage à l'honnêteté avec laquelle le rapporteur vient de rendre les conclusions unanimes des travaux de la commission. D'abord parce qu'il a dit, et c'est un élément important, que beaucoup de choses s'étaient tout de même passées depuis, notamment, la date du 30 avril, date butoir pour la famille pour bénéficier dudit programme qu'a justement évoqué M. Aubert. Je crois que cet élément est incontournable, car cela veut dire qu'au moment où la commission se prononçait, nous étions dans le cadre d'un possible rapatriement, ce qui sous-entendait un choix à faire pour la famille. Celle-ci n'a pas suivi les conclusions proposées par la commission. Pourquoi n'a-t-elle pas fait ce choix? Probablement, et c'est une simple hypothèse que j'émets, parce que, dans certaines circonstances, il n'y a pas de choix, il n'y a que des tentatives de résistance. Or, nous ne sommes pas, avec cette famille, en présence d'une question financière ou même de suivi; d'autres choses sont en jeu, qui touchent à la dignité humaine et qui concernent les trois membres de cette famille. Nous avons donc aujourd'hui à nous prononcer, en tant que plénum, sur un aspect non pas obsolète du rapport, mais dépassé, le rapporteur l'a dit lui-même.
J'ai aussi noté que M. Aubert persiste, en fonction de la marge de manoeuvre qui est la nôtre, selon lui. Sur ce point, j'aimerais dire qu'effectivement, sur le point strictement légal, et l'élément légal est extrêmement pesant dans notre pays, on ne peut que donner raison à M. Aubert. Pourtant, qui ne connaît pas des familles, des personnes qui résident aujourd'hui à Genève ou en Suisse, pour lesquelles il avait été déclaré que tout était terminé et qu'elles ne pourraient pas rester ? Il y a en effet un certain nombre de circonstances qui font que l'autorité peut reconsidérer ses décisions. L'autorité, je suis d'accord avec M. Aubert sur ce point également, ce n'est ni le Grand Conseil, ni le Conseil d'Etat, mais les autorités fédérales. Nous avons concrètement ici une famille qui vit à Genève depuis pratiquement six ans ! Je vous laisse tout de même mettre cela en parallèle avec ce que sont nos discussions lorsque nous évoquons le sort des sans-papiers: en effet, certaines et certains d'entre vous, à ceux qui disent, comme nous, qu'il faut, de façon généreuse, régulariser tout le monde, répondent fréquemment qu'il faut mettre des critères. Ces critères, quels sont-ils ? Notamment celui de la dignité et celui de la durée du séjour. Ici, parce que la législation en Suisse est, sur bien des aspects, absurde en matière d'étrangers, nous sommes devant une situation où il s'agirait de faire partir une famille qui est là depuis six ans, alors que, pour certains et certaines d'entre nous, deux ou trois ans est la durée de séjour acceptable pour que des sans-papiers soient régularisés. Ceci parce que la notion de sans-papiers ne tient pas compte d'une autre notion, régulièrement au centre de notre politique en matière d'émigration, qui est celle des trois cercles. Si la famille en question dans ce rapport était une famille provenant d'un pays naturel de recrutement, comme on dit, l'autorité fédérale n'aurait même pas eu à se prononcer, parce que c'est le canton qui aurait pris la décision. C'est donc uniquement le passeport, la nationalité, ce fameux troisième cercle des gens indignes de résider chez nous qui fait que nous nous trouvons devant l'impasse qu'a bel et bien soulignée M. Aubert.
J'aimerais également ajouter que des milliers de personnes, plus de cinq mille, se sont mobilisées pour cette famille, parce qu'elles la côtoient et qu'elles pensent que notre pays est capable d'assurer un avenir ici à une famille qui y habite depuis plus de cinq ans. Le jeune homme fréquente régulièrement un atelier protégé, la jeune femme étudie à l'Ecole de culture générale et finance ses études en nettoyant les locaux des Syndicats patronaux le soir, pour le compte d'une entreprise tiers... Vous hochez la tête, Monsieur Meylan, mais moi je dis simplement que le travail est justement une possibilité offerte à des jeunes gens pour pouvoir étudier. Nous avons ici deux jeunes personnes et leur mère qui sont parfaitement insérées dans notre canton...
Le président. Il vous reste trente secondes, Monsieur Beer.
M. Charles Beer. J'en viens à ma conclusion et je vous laisserai apprécier l'importance du chronomètre, Monsieur le président...
Le président. Non, il est important qu'on puisse aller jusqu'au bout du débat: si la séance est levée sans qu'on puisse donner espoir à cette famille, vous en prendrez la responsabilité.
M. Charles Beer. Monsieur le président, je vous laisserai le soin de me couper si vous le jugez absolument indispensable, il me faut une minute pour conclure. Comme le disait M. Koechlin lorsque je l'interrogeais à propos du sort d'une pétition, le renvoi au Conseil d'Etat, c'est aller dans le sens de ce que demandent les pétitionnaires. Lorsqu'on la dépose sur le bureau du Grand Conseil, c'est un enterrement avec des fleurs, et lorsqu'on la classe, c'est un enterrement sans fleurs. Autrement dit, nous avons à décider aujourd'hui très clairement, non pas si la famille peut rester, puisque nous n'en avons pas le pouvoir, mais si nous voulons voter le dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil. Le cas échéant, il est certain que nous entérinons, non pas forcément le départ, parce qu'il reste peut-être la possibilité d'être sans-papiers, mais une situation de non-droit, voire une expulsion dans des circonstances dramatiques.
Pour conclure, j'aimerais reprendre les termes de M. Aubert, qui nous parlait dans son rapport d'«impuissance» et de «drame humain». J'ai tout de même envie de dire que cela me rappelle un certain nombre d'événements historiques dont nous avons également eu l'occasion de parler. Il ne s'agit pas de comparer les situations, mais simplement de dire que, lorsque le drame est au centre de la situation d'une famille, il faut parfois, non pas entretenir un espoir démesuré, mais simplement faire tout ce qui est en notre pouvoir, en tant que force politique, pour que ce que nous entendons tous par dignité soit respecté ici.
M. Antonio Hodgers (Ve). L'essentiel de ce que je voulais dire a déjà été brillamment exprimé par M. Beer, je serai donc bref. Je crois, Mesdames et Messieurs, que ce cas illustre parfaitement une absurdité, qui se trouve dans le rapport de M. Aubert, mais qui n'a pas été très clairement dite, il me semble, lors de son intervention. Il s'agit de notre loi fédérale, faite en grande partie par vos partis nationaux, Mesdames et Messieurs de la majorité. Or, ce ne sont pas des lois naturelles, ce ne sont pas des lois qui viennent de Dieu, c'est une réalité politique. Et cette réalité politique a des conséquences sur le plan humain, telles que celle dont nous sommes saisis ce soir. Il est important de le dire, car il est facile de s'émouvoir des cas particuliers, mais le débat reste ouvert et la problématique est beaucoup plus large que celle de cette famille. J'aimerais dire aussi que nous demandons effectivement le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat, et je pense que nous pouvons tous l'accepter. Pourquoi ? M. Beer l'a dit: renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat revient tout simplement à reprendre à notre compte ses conclusions. A ce niveau-là, ce n'est pas, Monsieur Aubert, un blanchiment de notre conscience, mais il s'agit simplement de dire que nous, Grand Conseil, «demandons respectueusement aux autorités la suspension pour des raisons humanitaires de ce renvoi». Et comme je crois que la commission partageait cet avis à l'unanimité, je pense que ce parlement pourra lui aussi faire preuve de la même unanimité.
Mme Jeannine De Haller (AdG). Je serai très brève. Je remercie Mme von Arx de son intervention: j'aurais dit les mêmes choses avec des mots sans doute moins percutants. Pour moi aussi, déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil équivaut à cautionner une politique que je ne peux pas accepter, équivaut à dire que nous sommes d'accord et que nous baissons les bras. Même si nous ne pouvons rien rajouter, même si nous ne pouvons rien faire de plus, notre devoir ici est de dire que nous ne sommes pas d'accord avec ce qui se passe, nous devons dire que cette famille est là depuis six ans, que c'est une hypocrisie folle de faire croire qu'en retournant en Iran Madame pourra vivre dans des conditions décentes. Elle est partie en emmenant ses enfants, alors que son ex-mari n'était pas d'accord. Vous savez quelle est la situation en Iran: là-bas, les femmes n'ont jamais raison. Comment pouvez-vous seulement imaginer que Madame puisse rentrer dans des conditions décentes ? Comment pouvez-vous imaginer que la fille pourra revenir faire des études ici ? Qui la laissera sortir du pays ? A cet étard, je crois qu'il faut être réaliste. Nous n'allons pas pouvoir changer beaucoup les choses, mais nous devons envoyer un message politique disant que nous ne cautionnons pas cela, que nous ne sommes pas d'accord: c'est pourquoi nous devons renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.
M. Jacques Follonier (R). Mesdames et Messieurs les députés, le coeur a des raisons que la raison ne connaît pas, et c'est pourquoi le groupe radical vous propose de renvoyer ceci au Conseil d'Etat.
M. Christian Luscher (L). Je crois que tout le monde est conscient de la gravité de la question qui est posée ce soir, et c'est probablement ce qui explique la haute tenue de ce débat. Je constate, comme dans les cas précédents, que moins les débats nous concernent, plus ils sont d'une bonne tenue. Or, c'est cela le problème, ce soir ! Parce que nous sommes tous conscients d'être confrontés à un problème qui touche notre coeur, notre âme et notre conscience. Il se trouve cependant que, comme le relève très justement le rapport de la commission qui a été voté à l'unanimité, notre canton, confronté à un véritable drame humain dont nous sommes absolument tous conscients, est absolument impuissant face à ce drame. C'est précisément pour cela que le rapport de la commission des pétitions concluait en disant qu'on ne doit pas entretenir ces personnes-là dans un faux espoir. Ce que je ne comprends pas ce soir, tout en étant parfaitement conscient, je tiens à le répéter, du caractère particulièrement dramatique de cette pétition, c'est qu'une commission qui a statué à l'unanimité se déjuge. Parce que des solutions pouvaient à mon sens exister, tout en restant conscient du problème. Une première eût consisté, pour ceux qui ne voulaient pas suivre la position qu'ils avaient adoptée en commission, à présenter une résolution au Conseil fédéral, comme le permet notre règlement. Une résolution qui aurait mentionné, et là j'improvise, «la prise de conscience du caractère particulièrement dramatique de la situation qui nous est présentée ce soir», un caractère tout à fait exceptionnel qui fait qu'en renvoyant cette affaire au Conseil fédéral nous ne créons pas un précédent. Et comme c'est là le fait des autorités fédérales, c'est à ces autorités fédérales là, Mesdames et Messieurs les députés, que nous devons demander un acte de clémence, un acte de compréhension, que nous devons soumettre le cas dramatique de la famille dont nous parlons ce soir. Et je prétends, Mesdames et Messieurs les députés, qu'en renvoyant le cas de cette famille devant le Conseil d'Etat nous nous voilons la face, nous fermons les yeux, nous renvoyons au Conseil d'Etat la vision de ce que nous ne voulons pas voir nous-mêmes. Parce que, une fois encore, le Conseil d'Etat n'a pas la compétence de régler le cas que nous voulons lui renvoyer.
C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs, je pense que la seule solution eût été, et à mon avis il n'est pas trop tard, que ceux qui en ont le courage présentent ce soir une résolution qui, adoptée par les deux tiers du Grand Conseil, pourrait être adressée au Conseil fédéral. Que ceux qui le désirent vraiment sortent du bois ! Mais je dis que renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat, c'est prendre cette autorité en otage, c'est la mettre devant des responsabilités qui ne sont pas les siennes, c'est demander au Conseil d'Etat de ne pas appliquer le droit fédéral. Or, nous ne pouvons pas demander à Mme Micheline Spoerri, cheffe du département de justice et police, de violer le droit fédéral. Elle doit l'appliquer et nous ne devons pas la mettre dans une situation qui l'empêche de rendre le service que vous lui demandez de rendre. Si véritablement, comme tout le monde dans ce parlement, vous avez le souci de donner une chance et un espoir à cette famille, je pense que vous vous trompez d'autorité, je pense qu'il faut faire en sorte que le Conseil fédéral se saisisse de cette question.
Le président. Mesdames et Messieurs, je vais vous faire voter la proposition de la commission, j'y suis contraint par le règlement. C'est dire que, pour le renvoi au Conseil d'Etat, il va vous falloir d'abord refuser le dépôt sur le bureau du Grand Conseil. J'espère que les choses sont claires.
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont refusées par 43 non contre 18 oui et 8 abstentions.
Le président. Nous allons voter une seconde fois pour la proposition alternative : renvoyer la pétition au Conseil d'Etat.
Mise aux voix, la proposition de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat est adoptée par 41 oui contre 20 non et 7 abstentions.
Le président. Mesdames et Messieurs, je vous remercie et vous souhaite une bonne fin de soirée... Ah, pardon, Mme Spoerri aimerait prendre la parole. Je la lui accorde, car elle ne s'est pas prononcée jusqu'à présent. La séance n'est donc pas encore levée...
Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs, j'espère qu'après avoir pris une telle décision vous n'allez pas vous en aller comme cela... Cette décision est de votre seule et totale responsabilité, c'est votre seule responsabilité que vous engagez ce soir. La mienne, celle de mes collaborateurs et de mes services qui, depuis des mois, sans discontinuer, n'ont pas arrêté de tenter de sauver ce dossier, n'est pas engagée. Nous avons tout tenté : j'ai pris un risque personnel, j'ai fait confiance aux instances de ce Grand Conseil pour statuer séparément dans le cadre de la commission des pétitions. La commission des pétitions a confirmé les conclusions auxquelles l'office fédéral était parvenu.
J'aimerais vous dire, Mesdames et Messieurs, que le cas de cette enfant et de sa famille est un cas extrêmement émouvant, mais qu'il y en a des centaines d'autres et que dans cette enceinte, aujourd'hui, personne ne s'en soucie. Monsieur le député Beer, vous vous êtes réveillé un peu tard, permettez-moi de vous le dire. Renvoyer ce soir cette pétition au Conseil d'Etat, c'est tout simplement décider de ne rien faire en donnant l'illusion que l'on fait quelque chose, c'est continuer à alimenter l'illusion de cette enfant et de cette famille. Et moi je n'entends pas m'associer à cette façon de faire.
Si un fait nouveau - et c'est une dernière demande que je vous adresse, Monsieur Beer - que vous pourriez prouver, était intervenu pour aider cette famille, alors qu'il nous aurait échappé, à nous, à Berne, à toutes les commissions qui ont travaillé, alors je vous prierais de vous rendre la semaine prochaine auprès de l'Office des réfugiés, d'en prendre la responsabilité et de le leur démontrer. Car malheureusement, Monsieur le député, en dehors de cela, il n'y a pas d'issue. Voilà, Mesdames et Messieurs, avec beaucoup d'émotion, ce que je tenais à vous dire ce soir. J'en suis parfaitement navrée.
Le président. Je donne encore la parole à M. Beer, ensuite je lèverai la séance.
M. Charles Beer (S). Je vous remercie de me donner la parole, Monsieur le président. Mon intention n'était pas de parler après la conseillère d'Etat, mais je n'avais pas vu que Mme Spoerri s'était annoncée... J'aimerais juste dire ceci à Mme Spoerri : nous sommes ici en présence d'un vote du Grand Conseil. Je veux bien comprendre qu'elle soit embarrassée, mais je tiens simplement à dire qu'il ne me paraît aujourd'hui nullement utile de rajouter des polémiques personnelles. J'ai confiance en votre travail, Madame, je sais que vous serez extrêmement efficace dans cette démarche, et vous pourrez compter sur notre appui. J'ajoute - parce que j'ai été sensible à l'argumentation de M. Luscher tout à l'heure - qu'il ne s'agit pas de prendre le Conseil d'Etat en otage, mais d'abord de lui dire ce que nous pensons. Deuxièmement, nous allons effectivement dire à Berne ce que nous entendons faire et c'est pourquoi, pour aller dans le sens de M. Luscher, je lui propose que nous déposions ensemble une résolution, que j'annonce de toute façon pour dans deux semaines.
La séance est levée à 23 h 20.