République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 26 avril 2002 à 17h10
55e législature - 1re année - 7e session - 33e séance
M 1330-A
Débat
M. Claude Blanc (PDC), rapporteur. Je voudrais simplement dire, à propos de la deuxième ligne du rapport, que la séance de la commission n'a pas eu lieu le 29 octobre 2000 mais le 29 octobre 2001...
Le président. Nous en prenons note. Monsieur Pagani, vous avez la parole.
M. Rémy Pagani (AdG). Juste quelques mots à ce sujet, ce d'autant plus que dans six mois nous allons passer la date fatidique de l'entrée en vigueur des bilatérales...
Une voix. Non, c'est le 1er juin !
M. Rémy Pagani. Oui, le 1er juin ! Je suis encore au début de l'année, excusez-moi !
Il faut relever ici un point important dans ce débat où chacun se gargarise de la disparition du statut de saisonnier. En fait, depuis maintenant trois ans, ce statut de saisonnier a été réintroduit dans notre canton, par la petite porte, bien évidemment, mais réintroduit.
Nous avons décrié ce statut de saisonnier pendant des années - je vous le rappelle, Mesdames et Messieurs les députés - dans la mesure où il interdisait aux personnes qui venaient travailler et enrichir notre communauté de leur labeur de pouvoir faire venir leur famille. Ce regroupement familial si nécessaire est pourtant concrétisé dans certaines conventions de l'OIT que notre pays n'a d'ailleurs toujours pas ratifiées.
Je disais donc que ce statut de saisonnier est revenu par la petite porte, puisqu'en fait, de fil en aiguille, le gouvernement a d'abord décidé d'attribuer des contrats de travail temporaires de six mois en six mois dans certains secteurs. Après, les bilatérales n'étant pas ratifiées, il a bien été obligé d'autoriser à nouveau ce statut inique à la différence près - c'est assez appréciable et c'est pour cela que les partenaires sociaux n'ont pas élevé la voix - que les permis, qui étaient attribués auparavant aux employeurs, sont dorénavant attribués aux employés qui ont en main leur permis de travail, ce qui est un net progrès dans la gestion de cette affaire. Mais toujours est-il que sur le fond ce statut existe et qu'il va perdurer un certain temps.
Nous avons donc déposé cette motion pour faire en sorte que cette pratique soit abandonnée et pour permettre à chaque employé venant travailler sur notre territoire, à notre demande, d'avoir un statut juste. Nous ne trouvons en effet pas normal d'offrir des permis B à de la main-d'oeuvre très qualifiée et grassement payée qui vient travailler dans notre canton, et de ne pas offrir ces mêmes permis B à des personnes qui viennent travailler dans le bâtiment ou dans l'agriculture... C'était l'objectif de notre motion. La majorité de la commission n'en a pas voulu... Toujours est-il que cela devait être dit et je vous rermercie d'avoir pris la peine de m'écouter.
M. Charles Beer (S). J'aimerais expliquer brièvement la position de notre groupe qui s'est abstenu en commission et qui s'abstiendra une nouvelle fois ce soir.
Nous pensons que la politique fédérale en matière d'autorisation de travail pour les étrangers et en matière de politique migratoire ne doit pas être soutenue: nous la condamnons.
Et puis, il nous faut bien constater également que notre canton a dû proposer plus d'une initiative pour permettre que la politique migratoire, dans le domaine justement dénoncé par la motion, devienne tout à fait humaine et respectueuse des droits. Et j'aimerais souligner à cet égard l'extrême qualité de la collaboration qui a été développée par les pouvoirs publics avec les partenaires sociaux dans le but, justement, d'utiliser le contingent de permis A pour en faire des autorisations à l'année, au lieu de neuf mois, permettant le regroupement familial.
Dès lors, comme la motion s'adresse au niveau cantonal et que nous ne soutenons pas la politique au niveau fédéral, nous ne pouvons que nous abstenir sur une bonne politique cantonale à partir d'une mauvaise politique fédérale...
M. Claude Blanc (PDC), rapporteur. En fait, ces permis de saisonniers, comme continue à les appeler M. Pagani, ne sont que des permis temporaires destinés à faire le lien jusqu'à l'entrée en vigueur des accords bilatéraux, s'agissant du problème de la main-d'oeuvre. C'est bientôt fini ! Ils ont tout de même permis à un certain nombre de personnes de venir travailler chez nous. En effet, le contingent des permis B étant limité, il y avait pénurie pour le canton. Cela a été une bonne opération pour tout le monde, d'autant plus, comme l'a justement relevé M. Pagani, que ces permis ont été délivrés à des personnes et non à des entreprises. Il l'a lui-même reconnu, c'est un progrès considérable !
Quoi qu'il en soit, tout cela est provisoire, puisque maintenant les accords bilatéraux vont entrer en action.
M. Olivier Vaucher (L). Entre le dépôt de cette motion et notre séance d'aujourd'hui, les choses ont passablement évolué, contrairement à ce que dit M. Pagani.
En effet, dans les discussions et les négociations avec les syndicats qui ont lieu à l'heure actuelle - en tout cas pour ce qui est du bâtiment - il est déjà question de remplacer ces permis de courte durée par des permis B. On anticipe déjà les accords bilatéraux et de grands efforts sont faits aujourd'hui, il faut bien le constater.
Il ne faut donc pas donner suite à cette motion, qui n'a plus beaucoup de raison d'être.
M. Rémy Pagani (AdG). Je prends au vol votre intervention, Monsieur Vaucher ! Les invites de cette motion disent exactement ce que vous venez de dire, puisque je viens de comprendre que des permis B sont déjà octroyés. Je vous cite ces deux invites: «à surseoir à toutes nouvelles autorisations de permis de courte durée - on a vu que c'était fait - qui auraient pour objectif de satisfaire la demande accrue de main-d'oeuvre due à la reprise économique dans le bâtiment; à prendre résolument le parti de traiter sur pied d'égalité un cadre d'une multinationale avec un travailleur du bâtiment et à leur accorder, à l'un comme à l'autre, un permis B dans la mesure où ils satisfont aux conditions légales.»
Je ne vois donc pas pourquoi ce parlement refuserait notre motion, puisqu'elle correspond à la pratique du moment !
Je vous remercie donc de voter et de soutenir la motion précitée.
M. Souhail Mouhanna (AdG). J'allais dire à peu près la même chose que M. Pagani. Je trouve qu'il y a là une drôle de logique... On dit que la situation correspond à peu près à ce que demande la motion, que ce n'est pas mal, mais, en même temps, on nous invite à la refuser... Je ne comprends plus !
M. Claude Blanc (PDC), rapporteur. Mesdames et Messieurs les députés, si nous votons contre cette motion, c'est parce qu'elle n'a plus sa raison d'être ! Elle l'a d'autant moins, en ce qui concerne les permis B, que nous n'avions pas la possibilité d'en délivrer autant que nous le voulions puisqu'ils sont contingentés par la Confédération. C'est pour suppléer à ce manque que des autorisations temporaires ont continué à être délivrées jusqu'à l'entrée en vigueur des accords bilatéraux. Cela a été fait de la meilleure manière possible en attendant les accords bilatéraux. On ne pensait pas à l'époque qu'ils entreraient en vigueur si tôt. Maintenant, c'est fait.
Même si les accords bilatéraux n'entraient pas en vigueur bientôt et que ce régime devait perdurer, on ne pourrait pas voter cette motion en raison du manque de permis B. Il faut faire le joint et délivrer des permis provisoires en attendant.
M. Carlo Lamprecht, conseiller d'Etat. Je rappelle que les motionnaires invitaient le Conseil d'Etat, entre autres, à surseoir à toute nouvelle autorisation de permis de courte durée dans le domaine du bâtiment et à n'accorder que des permis B pour tenir compte de la pénurie de main-d'oeuvre dans ce secteur.
J'aimerais tout de même parler un peu de l'exposé des motifs et relever que vous avez qualifié la politique actuelle du département de l'économie d'attribution des permis de «xénophobe» et accusé le département de favoriser le dumping salarial... En fin de compte, ce faisant vous avez mis en cause les instances tripartites du marché du travail et, par voie de conséquence, les associations patronales et syndicales qui y sont représentées !
En fait, la situation dans laquelle se trouve notre canton est simple - M. Blanc vient de le rappeler - le contingent cantonal de permis B est largement insuffisant pour répondre aux besoins de notre économie, dont la reprise ne peut que nous réjouir.
Les permis de courte durée sont attribués pour la venue de travailleurs qualifiés dans tous les secteurs professionnels. Dans tous les cas, les autorisations délivrées sont examinées, je le répète, d'entente avec les partenaires sociaux. Leur examen prend en compte tant la situation du marché de l'emploi local que les conditions d'engagement. Ces accusations de xénophobie et de dumping salarial sont sans fondement, et je tiens ici à les contester avec fermeté !
Cette situation a d'ailleurs été examinée au Conseil de surveillance du marché de l'emploi, le 19 novembre 1999, et un accord entre représentants patronaux et syndicaux a abouti, sous l'égide du département. M. Beer l'a précisé, nous avons pu faire face aussi au problème du regroupement familial, et je comprends que M. Beer puisse s'abstenir, au regard de la législation fédérale qui est en cours. Je ne lui en tiendrai pas rigueur, mais j'aimerais relever ici le travail qui a été effectué dans ce Conseil de surveillance du marché de l'emploi.
Ce conseil a décidé d'autoriser la délivrance de permis de courte durée, jusqu'à six mois, plafonnés à deux cents unités, ou de quatre mois, sur la base de chiffres à définir dans la commission tripartite ad hoc. Ces permis sont délivrés à des ressortissants en provenance exclusivement de l'Union européenne, de l'AELE, et à des ressortissants des régions transfrontalières, et concernent des collaborateurs qualifiés, toujours en respect des critères définis par la commission tripartite. Ils peuvent aussi permettre le retour d'anciens travailleurs partis en raison de la crise, sur la base d'un examen préalable par l'office cantonal de la population et l'office cantonal de l'emploi, et, je le rappelle, d'un préavis de la commission tripartite.
Mesdames et Messieurs les députés, vous pouvez constater que toutes les précautions ont été prises pour prendre en compte une évolution économique positive, tout en évitant les abus grâce à une implication systématique des partenaires sociaux.
Toutes ces informations ont d'ailleurs été confirmées lors de l'audition des partenaires sociaux eux-mêmes par la commission de l'économie - vous pouvez le lire dans le rapport - et démontrent le caractère inopportun des invites de cette motion.
Et puis, on peut rappeler que l'entrée en vigueur imminente des accords bilatéraux sur la libre circulation des personnes rend ces invites dépassées.
C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de suivre l'avis de la large majorité de la commission de l'économie et de rejeter la motion 1330.
M. Rémy Pagani (AdG). Je ne peux pas laisser passer le fait que M. Lamprecht dise que j'accuse à tort le gouvernement de mener une politique xénophobe...
Je vous rappelle quelques notions de base, Monsieur Lamprecht. Il est essentiel que nos concitoyens qui nous écoutent comprennent ce qui va se passer avec les bilatérales. On nous dit que le statut de saisonnier va disparaître avec les bilatérales. Ce n'est pas vrai ! Le statut de saisonnier et, notamment, la politique des trois cercles sont dénoncés par de nombreuses associations européennes antiracistes et antixénophobes. La politique des trois cercles du Conseil fédéral est une politique xénophobe. Toute référence que je fais au statut de saisonnier a pour but de dénoncer cette politique.
Or, même avec la libre circulation des personnes, certains ouvriers qui travaillent aujourd'hui dans notre canton devront encore demander le statut de saisonnier, parce qu'ils ne feront pas partie d'un de ces cercles, parce qu'ils viendront du contingent hors Union européenne, par exemple de Yougoslavie...
C'est en ce sens-là que je prétends, que j'affirme que le gouvernement, en continuant à octroyer des permis de saisonnier, fera perdurer une politique xénophobe.
J'estime pour ma part - cela figure dans les considérants, pas les invites - qu'il est possible de définir une politique ouverte sur le monde, de définir une politique du travail qui respecte la dignité et les droits de la personne migrante selon deux critères, dont celui d'obtenir un contrat de travail sur le lieu de résidence qui respecte les conditions locales au niveau salarial et social. A mon avis, la politique continuera à être xénophobe, même si elle est ouverte sur l'Europe - ce qui sera le cas avec les bilatérales - dès lors qu'elle ne respecte pas les conditions salariales locales et qu'il y a sous-enchère salariale, notamment si les personnes ne venant pas d'Europe continuent à avoir un statut de saisonnier.
Mise aux voix, cette proposition de motion est rejetée.