République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 8483-A
Rapport de la commission de l'environnement et de l'agriculture chargée d'étudier le projet de loi de MM. Christian Grobet, Rémy Pagani, Jean Spielmann modifiant la loi sur les eaux (L 2 05)
Rapport de Mme Yvonne Humbert (L)
Projet: Mémorial 2001, p. 2408.

Premier débat

M. Jean-Claude Dessuet (L), rapporteur ad interim. Je reprends le très bon rapport de Mme Yvonne Humbert qui a été voté à une certaine majorité, voire à une majorité certaine, puisque toute la commission de l'environnement et de l'agriculture a refusé l'entrée en matière... (L'orateur est interpellé.)...à l'exception de trois députés de l'Alliance de gauche et de trois socialistes. Je vous prie de m'excuser, je n'avais pas lu jusqu'au bout!

J'indiquerai seulement qu'une députée représentant les Verts estimait que ce projet allait à l'encontre des efforts consentis dans le cadre de la renaturation des cours d'eau, et elle craignait que les cheminements pour piétons n'empiètent sur les zones naturelles. En effet, si le long des rives du lac nous mettons en place des espaces pour les piétons, il faut aussi penser aux chiens qui iront embêter la faune et se promener dans la nature. Si nous voulons protéger les berges, il faut empêcher que les piétons puissent s'y promener. En aménageant des espaces pour le public, nous risquons d'empêcher le développement de la faune et de la flore. C'est dans cet esprit que Mme Humbert a rédigé son rapport au nom d'une certaine majorité de la commission.

M. Pierre Vanek (AdG). J'excuse volontiers le rapporteur ad interim, mais je relèverai tout de même que la formule consistant à dire que tout le monde a refusé l'entrée en matière sur ce projet et que, par conséquent, le débat est très simple, revient à considérer la minorité avec bien peu de respect !

Sur le fond, Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi portait sur l'accès public de nos concitoyennes et de nos concitoyens aux abords des cours d'eau, accès entravé systématiquement - cet élément est reconnu dans le rapport de Mme Humbert - par les propriétaires privés. Ce point constitue une revendication populaire de longue date et c'est ce qui a conduit l'Alliance de gauche à déposer un projet de loi prévoyant le libre passage des piétons, je le souligne, le long des rives du lac et des cours d'eau du canton. Ces rives sont assez souvent sauvagement, abusivement privatisées par des propriétaires qui s'approprient ainsi de manière illégitime une part du domaine public cantonal appartenant aux citoyennes et aux citoyens de ce canton. C'est là une vieille revendication et le rapport relève d'ailleurs qu'une pétition à ce sujet avait déjà été déposée il y a un certain nombre d'années.

En ce qui concerne la protection de la nature, notre projet de loi prévoyait que, lorsqu'un biotope doit être protégé, une dérogation à la règle du libre passage puisse être édictée. Par ailleurs, notre projet ne prévoyait aucun type d'aménagement particulier: au contraire, il imposait au propriétaire un retour à l'état naturel des lieux. Ainsi, outre les piétons, la faune aurait pu disposer d'un libre passage bienvenu. Vous le constatez, cette proposition était loin d'être révolutionnaire; la mesure proposée l'était d'autant moins qu'elle ne faisait que concrétiser la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, droit supérieur qu'il convient de respecter ici. Cette loi fédérale dit qu'il convient - je ne vous citerai pas les références exactes, car je crois qu'elles figurent dans le rapport - de tenir libres les bords des lacs et des cours d'eau et de faciliter au public l'accès aux rives et le passage le long de celles-ci. C'est la lettre de la loi fédérale et nous nous proposions de la mettre en application dans la législation de notre canton, qui ne comprend malheureusement pas de disposition répondant à cette exigence. Nous avons été particulièrement raisonnables en proposant des dispositions transitoires que nous étions évidemment prêts à discuter, en étendant même les restrictions - sur la suggestion d'ailleurs du département, bien qu'il se soit gardé de nous proposer formellement quoi que ce soit en disant que c'était aux députés de décider - des biotopes aux sites de façon plus générale. Nous n'avions pas la prétention de proposer un projet de loi parfait et en commission nous aurions pu arriver à un projet de loi répondant aux exigences de la protection de l'environnement, aux demandes de nos concitoyen-ne-s et à la lettre de la loi fédérale. Pour cela, nous aurions pu et dû entendre les milieux de la protection de l'environnement - comme certains l'avaient demandé avant de changer d'avis - car il y a, en effet, non seulement une dimension citoyenne, s'agissant du rapport entre le collectif et le privé, mais aussi une question de protection de la nature. Le processus de travail en commission a été stoppé par le vote que notre collègue présentait comme unanime, mais qui était loin de l'être. La question se pose ce soir de suivre la majorité - qui, à l'époque, était plutôt de circonstance, puisque les travaux sur cet objet n'ont pas eu lieu. J'estime que ce serait faire bon marché des éléments que j'ai évoqués et qui ont justifié le dépôt du projet et je pense qu'il serait sans doute intelligent de reprendre les travaux en commission là où nous les avions interrompus brutalement.

Je fais donc une demande de renvoi en commission.

M. Alain Etienne (S). Mesdames et Messieurs les députés, faut-il le rappeler, ce projet de loi vise avant tout à favoriser le libre passage le long des rives du lac et nullement à créer un chemin piétonnier continu. Le groupe socialiste est favorable à ce projet et l'a soutenu en commission. Tout d'abord, faut-il le répéter, il s'agit de mettre en application la loi fédérale, comme Pierre Vanek l'a rappelé. Cette loi demande aux autorités chargées de l'aménagement du territoire de tenir libre le bord des lacs et des cours d'eau et de faciliter au public l'accès aux rives et le passage le long de celles-ci. La loi fédérale est donc on ne peut plus claire.

Je regrette que la commission ait refusé l'entrée en matière sur ce projet car il n'y a pas eu de véritable débat. Nous n'avons pas pu procéder aux auditions souhaitées, alors que nous avions reçu des documents, par courrier, d'une association de défense de propriétaires et que le DAEL semblait avoir des remarques à faire.

L'un des arguments des opposants est de dire qu'il faut protéger les biotopes. Entendons-nous ! De quels biotopes s'agit-il? Mme Humbert reconnaît dans son rapport que peu de grèves naturelles subsistent. Elle complète ce constat en reconnaissant que la plupart des propriétés sont protégées par des murs de soutènement qui vont jusque dans l'eau. En l'occurrence, le projet de loi mentionne explicitement la protection des biotopes, car on ne peut effectivement pas mettre en péril certaines zones fragiles, mais il prévoit surtout d'enlever les obstacles que les propriétaires ont peu à peu érigés illégalement, empêchant de ce fait la libre circulation du public. Robert Cramer, chef du DIAE, était d'accord d'entrer en matière sur cette question, afin de régler certains problèmes le long des cours d'eau. En réalité, la position de la commission m'incite à penser que, sous le couvert de la défense de la nature, il s'agit avant tout de défendre des intérêts privés au détriment de l'intérêt public. Il est vrai que l'on peut avoir une certaine crainte par rapport à la pression sur les milieux naturels. Il est pourtant un peu facile d'invoquer les conséquences de la concentration sur la nature quand on bénéficie d'un jardin particulier pour se ressourcer!

Je pourrais cependant vous suivre, Mesdames et Messieurs, dans votre réflexion, à condition que le canton mène une politique dynamique en matière de création de zones de délassement et de détente pour les habitants de ce canton. Les citadins n'ont pas tous les moyens de s'offrir une maison à la campagne. Ils ne savent pas toujours où trouver une place pour pique-niquer ou se frayer un itinéraire en bordure de champ. J'invite le Conseil d'Etat, mais aussi tous ceux qui sont contre les possibilités de promenade au bord du lac, à faire des propositions et à dire à cette partie moins favorisée de la population où elle peut aller se détendre. On pourrait aussi créer, en milieu urbain, les conditions permettant aux citadins d'avoir une meilleure qualité de vie et développer les zones de verdure, telles que celles initiées par le chef du DAEL, Laurent Moutinot. Là encore, j'entends à droite des positions souvent divergentes, au parti libéral par exemple, lorsqu'il s'agit de diminuer la circulation dans les quartiers ou de classer en zone de verdure les parcs existants. Au parti socialiste, nous pensons que ce projet de loi mérite un meilleur traitement et nous vous invitons à revenir sur votre position et à renvoyer cet objet en commission, afin que la réflexion puisse avoir lieu et que le texte puisse être amendé le cas échéant.

Le président. La parole est à M. René Ecuyer...

M. René Ecuyer. J'ai appuyé sur le bouton par erreur, Monsieur le président !

Le président. Alors, je passe la parole à M. John Dupraz...

M. John Dupraz (R). Ce projet est un vieux fantasme politique des socialistes, puisque M. Ketterer, il y a une quarantaine d'année, avait déjà un tel projet. Je dirai que l'objectif de ce projet se heurte à deux sujets majeurs dont, premièrement, le respect de la propriété individuelle qui est inscrit dans la Constitution. Vous ne pouvez pas décréter le libre passage du public le long des rives du lac, car il s'agit d'une atteinte inacceptable à la propriété. Deuxièmement, ce projet se heurte à la protection des rives du lac, parce que si vous laissez libre accès à toutes les rives, il y aura des déprédations et vous ne contrôlerez pas la préservation de la nature.

Je m'étonne que M. Etienne soupçonne ses collègues les Verts de prétexter la défense de la nature pour protéger la propriété privée ! Vous m'étonnez beaucoup, Monsieur, car ce n'est pas tellement le genre de la maison ! Je peux vous dire que je connais bien le lac puisque j'ai le bonheur de pêcher avec un communiste, ce qui est un véritable plaisir - il est propriétaire du bateau, alors que moi, je n'en ai pas les moyens... Je dirai donc que l'accès au lac est largement assuré par les collectivités publiques. Vous avez non seulement des ports - ports de plaisance, ports pour les pêcheurs - mais aussi des plages et des aires de pique-nique. La population a largement accès aux bords du lac et on ne peut pas dire que le lac est un site réservé à quelques nababs propriétaires, à quelques seigneurs qui s'accapareraient le privilège d'accéder aux rives. C'est un fantasme de la gauche ! le lac est largement accessible à toute la population et je n'ai jamais entendu un citoyen dire qu'il n'avait pas pu avoir accès au bord du lac. (Brouhaha.)Encore une fois, c'est un projet scélérat qui va contre les intérêts de la nature et contre un droit fondamental qui est la préservation de la propriété privée.

Une voix. Menteur! Menteur!

M. John Dupraz. Pour toutes ces raisons je vous demande de refuser ce projet de loi.

Mme Morgane Gauthier (Ve). Comme il a été largement rappelé ce soir, le but de ce projet de loi est de rendre accessibles à tous les rives du lac. Je tiens à préciser ici la position des Verts, celle que nous avons eue en commission et celle que nous aurons également ce soir.

Ainsi que l'a indiqué M. Etienne, les biotopes situés le long des berges sont extrêmement fragiles et un passage public pourrait nuire à la qualité de ces zones qui est déjà faible. Il convient donc de protéger ce qui existe. La position des Verts consiste à promouvoir la protection des abords du lac et des cours d'eau. Au reste, je voulais dire que les Verts ne sont pas à la solde des grands propriétaires terriens, comme on a voulu le faire croire ici, mais que nous sommes soucieux de préserver nos ressources.

J'ajouterai que les accès, à notre avis, doivent être limités, comme actuellement. Il faut absolument regrouper les nuisances. Nous voyons bien ce qui se passe dans les forêts: même s'il y a des panneaux, même si on dit aux gens de ne pas jeter leurs détritus, de ne pas sortir des chemins, de tenir leur chien en laisse, ces directives ne sont pas respectées. Pourtant, il faut absolument que ces milieux soient préservés. Nous voulons donc effectivement protéger les berges et limiter leur accès.

M. Jean Spielmann (AdG). La position que nous avons défendue et la proposition que nous faisons sont tout à fait naturelles. Contrairement à ce qui a été dit, les obstacles et les constructions sur les rives du lac vont à l'encontre des lois et des dispositions en vigueur. La loi fédérale indique clairement que les rives des lacs sont bordées par un espace public. Si ces limites ne figurent pas sur les cartes, c'est pour la raison évidente que la position de la rive varie en fonction du niveau du lac. Cet espace public fait très souvent l'objet de constructions, pas toujours légales, qui empêchent le passage le long des rives. Ainsi, plusieurs lois fédérales sont violées: celle sur le droit de halage et celle qui préserve le milieu naturel du lac. Si vous faites le tour du lac et que vous examinez les différents espaces qui sont à disposition du public, vous verrez que Genève est bien le canton qui obstrue le plus le passage le long des rives du lac. Il y a donc un problème de fond et une question de principe: est-ce que les lois fédérales, est-ce que les dispositions en vigueur doivent être respectées? Est-ce que le patrimoine public du lac appartient à tout le monde? Laisserons-nous certaines propriétés privées empiéter sur un espace qui ne leur appartient pas? Je crois pour ma part, au contraire de ce qui vient d'être dit, qu'il faut donner la possibilité à la population de circuler le long du lac.

Cette disposition s'accommode, et nous l'avons précisé dans le projet de loi, du respect des biotopes, mais ces endroits doivent être respectés aussi bien par les promeneurs que par les propriétaires privés, qui posent parfois des barrières électrifiées pour empêcher le passage. Nous sommes favorables à ce que cet espace public reste un espace public et que les propriétés privées ne débordent pas et ne violent pas la loi fédérale qui les oblige à laisser un passage libre. Voilà une solution simple et pleine de bon sens, mais il y a manifestement dans ce Grand Conseil plus de personnes attachées à la propriété privée qu'à la protection du patrimoine et au respect de l'intérêt public.

Le président. La parole n'est plus demandée. Nous votons sur l'entrée en matière.

Une voix. Sur le renvoi en commission !

Le président. Vous avez raison, nous votons sur le renvoi en commission.

Mis aux voix, le renvoi en commission est rejeté.

Le président. Nous votons sur la prise en considération de ce projet.

Mis aux voix, ce projet est rejeté en premier débat.