République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 8480-A
13. Rapport de la commission des finances chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Christian Brunier, Christine Sayegh, Pierre Marti, Roger Beer, Laurence Fehlmann Rielle, Antonio Hodgers, Jeannine de Haller, Catherine Passaplan, Alberto Velasco, Pierre-Louis Portier, Albert Rodrik, Dominique Hausser, Fabienne Bugnon, Etienne Membrez, Claude Blanc, Françoise Schenk-Gottret, Luc Gilly, Pierre Vanek et Bernard Clerc sur le financement de la solidarité internationale. ( -) PL8480
Mémorial 2001 : Projet, 2473. Renvoi en commission, 2482.
Rapport de M. Philippe Glatz (DC), commission des finances

Le présent projet de loi a figuré à deux reprises à l'ordre du jour de notre commission : il a ainsi été traité le 20 juin 2001 et le 27 juin 2001. Lors de cette seconde séance, nous avons par ailleurs procédé à l'audition de Mme Sylvie Cohen, responsable des affaires extérieures au Département de l'économie, de l'emploi et des affaires extérieures.

La notion de développement social n'a connu sa reconnaissance officielle qu'en 1995, lors du premier sommet que lui a consacré l'Organisation des Nations Unies, en 1995, à Copenhague. A cette occasion, la lutte contre la pauvreté, le chômage et l'exclusion sociale a été érigée en priorité politique majeure.

En 2000, notre canton a accueilli un second sommet destiné à dresser un bilan intermédiaire de la situation et concrétiser les résolutions prises au Danemark. Ce bilan était peu réjouissant, puisque la majeure partie de la population mondiale souffre toujours d'un nombre de maux dont l'énumération constitue une bien sordide litanie : indigence, paupérisation, illettrisme, violation des droits de l'homme, etc.

Fidèle à sa longue tradition en matière humanitaire et de promotion de la paix, Genève doit pouvoir s'engager plus largement encore et dans le long terme afin d'exprimer sa solidarité à tous niveaux, des individus aux nations, pour le développement de la démocratie, pour de meilleurs équilibres sociaux et économiques et contre toutes les formes de discriminations.

Par ailleurs, outre les nobles et profondes motivations humanitaires et de justice sociale, il apparaît clairement et dans l'intérêt de tous qu'une amélioration des conditions de vie dans les pays défavorisés aura un impact positif déterminant sur des problématiques complexes et difficiles telles que les migrations, les échanges économiques mondiaux, le développement durable de la planète.

Dans cette optique, le présent projet de loi propose de consacrer 0,7 % du budget de fonctionnement annuel de l'Etat de Genève à la solidarité internationale, en soutenant diverses opérations telles que :

Un soutien financier pourrait être accordé à des organisations genevoises ou internationales, officielles ou non-gouvernementales, reconnues comme compétentes, fiables et ayant déjà conduit des projets dans ces domaines.

Pour s'assurer du suivi et de la bonne gestion des projets retenus, ces derniers feraient l'objet d'une évaluation régulière de la part du Conseil d'Etat, avec en outre remise d'un rapport annuel au Grand Conseil.

A noter que, étant donné leur caractère ponctuel et donc la difficulté d'estimer leurs coûts, les actions humanitaires d'urgence ne sont pas comprises dans les opérations visées par ces aides.

Auditionnée le 27 juin 2001 par la commission, Mme Cohen a brièvement commenté les trois niveaux d'actions que comprend la coopération au développement, à savoir :

L'expression de la solidarité internationale de l'Etat de Genève, en cohérence, n'est pas un nouveau dossier pour le DEEE, qui se penche sur la question depuis un certain temps déjà, ce pour les motifs suivants :

Après évaluation des moyens actuellement mis en oeuvre pour la coopération au développement, on estime ces derniers à environ 12 millions. Le président du DEEE serait favorable à une augmentation de cette somme à 40 millions, sous réserve toutefois d'une réflexion préalable pour clarifier et préciser plus strictement les axes d'action de la générosité genevoise et ses modalités.

Si le principe de la coopération et de son soutien fait l'objet d'une large adhésion au sein de la commission, celle-ci formule néanmoins un certain nombre de remarques quant au projet de loi et à ses modalités d'application :

Il apparaît donc indispensable de mener à bien la réflexion générale citée plus haut, ce avant même de déterminer et consolider le montant à inscrire dans le budget au titre de la coopération au développement. Néanmoins, la majorité de la commission est favorable à l'adoption de ce projet de loi afin d'engager concrètement le processus.

Evoquée, la participation de commissions parlementaires au mécanisme d'attribution des aides est plutôt considérée comme une « entrave » à l'action, dans la mesure où elle ralentirait considérablement les procédures. Si elle doit encore subir quelques ajustements, la collaboration avec la Fédération genevoise de coopération, qui s'est jusqu'à présent avérée tout à fait efficace, semble mieux convenir au contexte.

Par ailleurs, étant donné la nécessité de coordination, il paraîtrait plus logique que le DEEE se charge de la gestion des sommes attribuées au titre du financement de la solidarité internationale, mais en concertation avec les autres départements. Cet aspect fait d'ailleurs l'objet d'un amendement de la commission à l'article 3, al. 1.

Ce point, à l'instar d'un certain nombre d'autres évoqués plus haut, devrait pouvoir être précisé une fois les travaux d'Agenda 21 terminés, soit à la fin 2001.

Il faut enfin être attentif à la possibilité de laisser évoluer cette notion de coopération, notamment au gré des synergies susceptibles de se développer avec d'autres entités publiques.

Par 7 oui (2 AdG, 2 DC, 2 S, 1 Ve) et 2 abstentions (1 L, 1 R), la Commission des finances s'est prononcée en faveur de ce projet de loi.

Elle recommande également d'amender ainsi le texte original :

Ajout au titre de « Coordination et »

« La coordination est assurée par le Département désigné par le Conseil d'Etat ».

Au vu de ce qui précède, elle vous remercie donc, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir suivre son préavis et de voter ce projet de loi ainsi amendé.

Premier débat

M. Philippe Glatz (PDC), rapporteur. Je souhaiterais que l'on prête un peu d'attention à ce projet de loi qui me semble être d'une importance majeure, car il vise à faire passer dans les faits la nécessaire solidarité que doivent les pays nantis à ceux qui le sont moins.

En effet, quand bien même nous connaissons aujourd'hui, sous nos latitudes, un certain nombre de difficultés d'ordre économique, notre situation est tout à fait enviable par rapport à d'autres populations, vous le savez tous. C'est pourquoi il faut rendre hommage à ceux qui ont oeuvré afin que ce projet de loi puisse voir le jour. Ce dernier ne vise, je le répète, qu'à faire passer dans les faits les intentions généreuses que nous pouvons avoir à l'égard de ceux qui sont moins favorisés que nous-mêmes et demande que nous consacrions 0,7% de notre budget à l'expression de cette solidarité. Il a paru à l'ensemble des commissaires de la commission des finances que ceci était une démarche tout à fait naturelle et que nous pouvions aller dans ce sens.

Certes, nous avons fait un certain nombre de recommandations quant à la mise en application de ce projet, dont nous savons qu'il ne pourra se concrétiser dans le très court terme, mais plutôt dans le moyen terme, de manière à porter des fruits sur le long terme. Les commissaires de la commission des finances recommandent ainsi que ce concept de solidarité internationale soit redéfini, dans le sens où il était auparavant exclusivement lié à l'action sur le terrain et où l'on devra aussi prendre en compte tous les efforts fournis dans le cadre des organisations non gouvernementales qui agissent au départ de Genève. La notion de coopération pourra donc contenir un volet local.

Un accent tout particulier devrait aussi être mis sur l'établissement des critères d'octroi des sommes consacrées à cette solidarité, ces critères étant jugés indispensables afin de pouvoir procéder, le cas échéant, à des arbitrages en toute impartialité et transparence, tant les besoins en matière d'aide sont nombreux.

La majorité de la commission des finances est tout à fait favorable à l'adoption de ce projet de loi, afin que nous puissions enfin engager ce processus, et vous recommande donc de le voter vous-mêmes à la plus large majorité. Je précise que nous avons, dans le cadre des dispositions techniques, ajouté à l'article 3 le terme «coordination», parce que nous pensons qu'une coordination est nécessaire dans le cadre des aides octroyées. De même, nous avons précisé, toujours à l'article 3, que la coordination est assurée par un département désigné par le Conseil d'Etat. En effet, la responsabilité de la mise à disposition et du suivi du bon emploi de ces fonds dépendra du Conseil d'Etat mais il faudra bien qu'un département en coordonne l'oeuvre.

Mesdames et Messieurs les députés, la majorité de la commission vous recommande d'adopter le plus largement possible ce projet de loi, qui n'est que la nécessaire mise en oeuvre de la solidarité que nous devons exprimer à l'égard des populations les plus défavorisées de la planète.

M. Christian Brunier (S). Ce projet est l'aboutissement d'une longue revendication du monde associatif, mais aussi de plusieurs militants et militantes de partis politiques. Il faut rendre hommage aujourd'hui à ceux qui ont porté cette revendication : je pense particulièrement à Genève-Tiers Monde et à la Fédération genevoise de coopération, qui ont accompli un travail fantastique sur le terrain pour faire prendre conscience de l'importance de la solidarité internationale, qui ont agi auprès du monde politique et de la population pour nous sensibiliser à ce problème. Ils nous ont convaincus que, malgré les problèmes que nous rencontrons, nous sommes quand même dans le camp des nantis et nous pouvons bien consacrer 0,7% de notre budget de fonctionnement à la solidarité internationale. Aujourd'hui, c'est donc avant tout au monde associatif qu'il faut rendre hommage.

D'autre part, alors que le danger raciste est aux portes de ce parlement, il est réjouissant de constater que ce projet de loi a été soutenu par sept députés, sans opposition, en commission, et qu'il a été soutenu, en conférence de presse, par les représentants de cinq partis sur six - nous aurions bien voulu que le sixième nous rejoigne...

0,7% de notre budget de fonctionnement, c'est bien sûr une contribution modeste par rapport aux drames que vivent environ les deux tiers de la population mondiale. Néanmoins, ce geste va dans le bon sens. Je dirai même que ce que nous allons voter aujourd'hui, c'est la moindre des choses pour une cité internationale, symbole de paix, mais symbole aussi de solidarité internationale. Alors, votons tous et toutes ce projet, pour améliorer un peu ce monde, qui en a bien besoin!

M. Jean-Marc Odier (R). Le groupe radical est beaucoup plus réticent à voter ce projet de loi. Il est bien sûr favorable à l'aide humanitaire, mais il pense que l'on doit voter sur des projets et non sur un simple pourcentage, qui ne correspond à aucun projet précis. J'ajouterai que la Suisse fait déjà beaucoup pour l'aide humanitaire, puisqu'elle a, par exemple, effacé la dette des pays les moins avancés.

Je constate évidemment que ce projet a rencontré une large adhésion. Cependant, il faut aussi relever plusieurs remarques que le rapporteur a eu la loyauté d'inscrire dans son rapport. Ainsi, si je reprends les premières phrases des différents paragraphes de la page 4, je peux lire : «Le concept de solidarité internationale reste flou et demande une redéfinition.» Deuxième paragraphe : «Il est indispensable de décrire plus précisément les responsabilités ainsi que les axes poursuivis en relation avec les compétences particulières...» Ensuite, au troisième paragraphe : «Un accent tout particulier doit aussi être porté sur l'établissement de critères d'octroi des fonds incontestables...» Enfin, sous les conclusions, on peut lire la phrase suivante : «Il apparaît indispensable de mener à bien la réflexion générale (...) avant même de déterminer (...) le montant à inscrire dans le budget...»

Voilà ce que je lis dans le rapport. Mais, malgré cela, on s'apprête à voter ce projet de loi et ce pourcentage, qui représentait, l'année passée, 39 millions et qui, cette année, représente déjà 42 millions. Or, quand on vote des montants aussi importants, on pourrait espérer qu'il y ait une participation parlementaire : celle-ci a été évoquée lors des travaux de la commission, mais a été considérée comme une entrave. Pour ma part, je suis quand même étonné que, pour certains projets, on exige un contrôle parlementaire de bout en bout, sur tout, et qu'en revanche on vote 42 millions comme cela, sans aucun contrôle... Encore une fois, nous ne sommes pas contre l'aide humanitaire, mais nous voulons voter des projets sur lesquels on en sait un peu plus. Si le parlement ne peut pas se déterminer sur chacun des projets, il doit quand même garder un oeil là-dessus.

Je le répète, 0,7% correspondait, l'année passée, à 39 millions; cette année, il s'agit de 42 millions. Je pense qu'il est néfaste de bloquer un pourcentage fixe dans le budget, qui empêche de modifier le montant de cette aide d'une année à l'autre, selon les capacités. C'est une des raisons pour lesquelles la majorité du groupe radical rejettera ce projet, bien qu'un membre du groupe, par conviction personnelle, l'ait signé. Roger Beer, ma foi, le votera, mais la majorité du groupe radical, pour les raisons que j'ai évoquées, ne votera pas ce projet.

M. Pierre Marti (PDC). C'est avec une grande satisfaction que je vois arriver cet excellent rapport de M. Philippe Glatz. En effet, il y a une vingtaine d'années, suite à l'initiative «0,7%», nous étions un certain nombre de personnes à lancer Genève-Tiers Monde, parce que nous ne voulions pas baisser les bras. Pour nous, il était possible d'atteindre ce 0,7%; il était possible, pour Genève, d'être suffisamment solidaire avec les plus pauvres pour atteindre ce pourcentage. C'est dire que ce projet est pour moi, alors que j'arrive à la fin de mon mandat de député, une grande satisfaction personnelle.

En l'occurrence, il ne s'agit pas, Monsieur Odier, d'avoir une liste de projets que l'on pourrait envoyer à une «commission 0,7%», ou à une «commission solidaire», à une nouvelle commission du Grand Conseil... Non, il s'agit d'avoir un budget cadre, non seulement pour l'aide au développement, mais également pour une information, une sensibilisation ici même. Il est important qu'une part des montants qui seront alloués servent à une sensibilisation, au niveau des écoles, au niveau de la population, concernant ce partage nécessaire.

Je rappelle un des éléments de la discussion autour de l'initiative 0,7% il y a une vingtaine d'années. Nous avions passablement discuté de ces problèmes et nous nous étions aperçus, d'après une analyse financière, qu'en fait, lorsque la Suisse donnait un franc dans le cadre de l'aide au développement, il lui revenait 1,7 franc, soit parce qu'un certain nombre de Suisses travaillaient dans les pays en voie de développement, soit parce qu'il y avait un certain nombre de produits fabriqués ici en Suisse qui partaient dans ces pays... Cette aide n'était donc pas à sens unique, c'était véritablement donnant-donnant.

Cela dit, nous n'allons pas voter ce 0,7% en nous disant que cela va nous rapporter. Non! Nous pensons que nous devons aider les gens, collaborer avec nos partenaires du Sud ou de l'Est sur un pied d'égalité. Voilà ce que nous voulons. C'est dans la dignité des personnes, dans la reconnaissance mutuelle entre tous, ici sur Terre, que nous pourrons véritablement faire reculer la pauvreté.

Un point extrêmement important que le parti radical n'a pas relevé, c'est qu'on ne va pas donner tout d'un coup 42 millions! Pour ma part, j'aurais bien voulu que, l'année dernière, nous ayons donné 39 millions, mais je n'ai rien vu dans les comptes 2000, Monsieur Odier! Excusez-moi, mais vous avez dû faire une erreur...

En conclusion, je voudrais simplement dire que cet argent ne va pas nous échapper, sans que nous puissions rien contrôler. Une coordination sera assurée par le département désigné par le Conseil d'Etat et il nous sera toujours possible de demander ce qu'il en est exactement de l'utilisation de ces montants. Je le répète pour ceux qui auraient encore quelques réticences : soyez certains que l'argent sera bien utilisé et que les vérifications seront faites. J'espère qu'il y aura une quasi-unanimité en faveur de ce projet. Merci d'avance! (Applaudissements.)

M. Claude Blanc (PDC). Madame la présidente, avec le nouveau système, je n'avais pas vu que mon excellent collègue Marti avait demandé la parole et je l'ai demandée juste après lui... J'appuie tout ce qu'il a dit, mais, puisque j'ai la parole, je voudrais quand même faire les réflexions suivantes.

Cette première année du troisième millénaire apparaît, dans le monde en général, comme une année particulièrement tragique. Des événements de divers ordres l'ont assombrie avant que nous arrivions à la fin de l'été. A cet égard, la Suisse, surtout dans les événements de cette semaine, n'apparaît pas tout à fait vierge, si vous me passez l'expression. On sent que les événements de cette semaine ont traumatisé un certain nombre de personnes dans le monde, s'agissant de l'attitude de la Suisse quand ses intérêts sont en jeu... Evidemment, on peut diverger d'opinion sur ce qui s'est passé, mais on ne peut pas ignorer qu'un certain nombre de choses vont être portées à notre passif.

Or, ce projet nous donne l'occasion, aujourd'hui, de dire que nous ne sommes pas aussi mauvais que certains le laissent croire par leurs agissements, que nous sommes capables d'avoir d'autres sentiments que le souci du profit immédiat et exclusif! L'occasion est belle de dire que nous ne sommes pas tous ce qu'on dit de nous dans le monde : nous devons la saisir, si nous voulons faire quelque chose pour que notre image change.

Par ailleurs, cela a déjà été dit, mais je le répète : 0,7% est un chiffre qui sera inscrit dans le budget, mais tout le monde sait qu'on n'est pas obligé de dépenser la totalité du budget. Le Conseil d'Etat fera ce qui sera possible et, s'il n'arrive pas à tout dépenser, eh bien il ne dépensera pas tout. Mais nous aurons au moins fixé un cadre dans lequel l'action du canton de Genève pourra s'épanouir, dans une oeuvre de solidarité. Ce faisant, nous serons solidaires non seulement du monde, mais aussi de la Suisse, qui en a bien besoin aujourd'hui!

M. Pierre Ducrest (L). Les signataires de ce projet essaient de réinventer la roue! Si j'entends bien les personnes qui se sont exprimées avant moi, il semblerait qu'avant le 4 octobre 2001 et ces fameux 0,7% que vous voulez figer dans une loi, Genève n'a rien fait au niveau de la paix, du social et autres. Mais j'aurais honte, Mesdames et Messieurs les députés, si jusqu'au 4 octobre 2001 Genève n'avait rien fait et qu'elle ait attendu le 3e millénaire, comme a dit M. Blanc, et le dépôt de ce projet pour agir!

En l'occurrence, c'est faux : nous avons déjà fait beaucoup. Si on examine le budget ou les comptes rendus de l'Etat, département par département, subvention par subvention, y compris, par exemple, les exonérations fiscales consenties à des oeuvres caritatives, on constate que les 0,7% sont déjà atteints. Il ne faut donc pas dire aujourd'hui que le parlement va faire oeuvre pie en inscrivant 0,7% dans une loi. Ce parlement a déjà agi, l'Etat a déjà agi - grand bien nous fasse - dans les domaines de la paix, de la solidarité, des droits de la personne...

C'est pourquoi le groupe libéral va refuser ce projet. On ne peut pas voter deux fois la même chose : si on examine les comptes de l'Etat, on constate que nous allouons, de fait, déjà plus de 0,7%! Par conséquent, ce projet de loi tient plus de la démagogie que de la réalité.

M. Antonio Hodgers (Ve). Mon groupe et l'étudiant à l'Institut d'études du développement que je suis se réjouissent particulièrement de ce projet de loi. Celui-ci a deux mérites principaux. Le premier, comme l'ont dit tous mes préopinants, est de nous permettre de participer à la solidarité internationale par le biais de projets de coopération, que ce soit dans le domaine humanitaire, du développement social, urbain, ou encore des problèmes écologiques. Il est aussi la reconnaissance du large travail accompli par la Fédération genevoise de coopération.

J'entendais M. Ducrest dire que nous donnions l'impression que Genève ne faisait rien avant ce projet de loi : ceux qui connaissent un peu le terrain savent qu'à Genève on a la chance d'avoir un réseau associatif très dense, un des plus denses de Suisse et d'Europe. A ce titre, il est normal que notre canton participe davantage à l'effort qui est fait. Et si M. Ducrest, dont les propos me surprennent, trouve que 0,7%, c'est trop peu, nous sommes bien entendu ouverts à un amendement proposant d'augmenter ce chiffre! Plus sérieusement, Monsieur Ducrest, je rappellerai qu'il y a bien des années la communauté internationale avait pris la résolution de donner 0,7%, certes, mais 0,7% du PIB! C'est-à-dire une somme beaucoup plus considérable que celle que nous proposons ce soir à ce parlement. Vous dites qu'on fait déjà beaucoup : on va faire un peu plus, mais on sera encore loin de cette résolution qu'avait prise la communauté internationale, au sein de l'ONU. Nous nous en rapprocherons modestement et je pense que c'est bien.

Enfin, ce projet de loi est aussi l'occasion de nous interroger. Pourquoi faut-il une aide au développement ? Pourquoi, depuis cinquante ans, malgré les promesses du libéralisme, de l'ouverture des marchés, y a-t-il toujours 20% de la planète qui crève de faim ? Pourquoi les problèmes écologiques ne se résolvent-ils pas, mais s'aggravent ? La réponse ne se trouve pas dans ce projet de loi, mais dans la structure du système international qui, pour nous en tout cas, doit être revu.

M. Bernard Clerc (AdG). Notre groupe votera ce projet de loi, en soulignant qu'effectivement cette revendication d'un certain nombre de nos concitoyens - à savoir ce ratio de 0,7% consacré à l'aide au développement - date de près de trente ans. Cela étant, il faut quand même rappeler que les échanges entre le nord et le sud ne sont pas des échanges égaux. Il faut rappeler que les mouvements de capitaux vont essentiellement du sud vers le nord, que la dette, notamment, rapporte beaucoup aux pays du nord. Il ne s'agit donc pas de se donner bonne conscience en votant ce 0,7%.

M. Marti a dit tout à l'heure qu'il fallait aussi faire un travail de sensibilisation et je le rejoins sur ce plan. Sensibilisation non pas pour faire pleurer les foules sur les enfants au ventre gonflé du tiers monde, mais sensibilisation sur les causes qui font que des enfants meurent quotidiennement de faim. Il ne s'agit pas non plus, dans le sens d'intérêts plus ou moins bien compris à moyen ou long terme, d'envisager de reprendre d'une main ce qu'on a donné de l'autre.

En ce qui concerne le projet lui-même, M. Odier affirme que nous votons en quelque sorte un montant global et que nous n'aurons plus rien à dire. Vous savez très bien, Monsieur, que c'est inexact. Si un montant global est inscrit au budget, il y aura par ailleurs des projets de lois que nous devrons voter, de manière concrète, en fonction d'objectifs précis, et que nous pourrons accepter ou refuser. Aujourd'hui, une subvention assez importante est allouée à la Fédération genevoise de coopération : les projets menés par cette fédération le sont souvent en collaboration avec la Confédération et sont donc bien étudiés et surveillés du point de vue de l'utilisation des fonds. Ne laissez donc pas croire, Monsieur Odier, que cet argent sera distribué comme cela, sans aucun contrôle parlementaire. C'est totalement inexact.

Du côté du parti libéral, on nous dit qu'on a déjà atteint le 0,7% et qu'il n'y a donc pas de raison de voter ce projet de loi. C'est là une chose que je ne comprends pas très bien. Dans le fond, vous ne voulez pas consacrer ce chiffre parce qu'il serait déjà atteint selon vous ? C'est bien cela, puisque vous refusez de le voter! Je vois là une incohérence : vous ne voulez pas inscrire dans la loi ce que vous prétendez accompli dans les faits! (Applaudissements.)

La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, je voudrais saluer à la tribune du public, la présence de M. Cristin, ancien président de notre Grand Conseil, dont le fils a son anniversaire aujourd'hui... (Applaudissements.) Et, pour qu'il n'y ait pas d'inégalité de traitement entre la gauche et la droite, je signale que Mme Mottet-Durand a eu son anniversaire hier! (Applaudissements.)

D'autre part, six députés sont encore inscrits dans ce débat : je vous propose de clore la liste des intervenants.

M. Walter Spinucci (R). Je regrette de devoir dire à mes collègues du groupe radical que je ne pourrai pas les suivre dans leur position de refus... (Applaudissements.)

La Ville de Lancy, ma commune, a, depuis plusieurs années, inscrit dans son budget de fonctionnement le 0,7%, ce qui représente environ un demi-million. Nous le dépensons très volontiers, avec l'appui de la Fédération genevoise de coopération, qui nous soumet ses projets au fur et à mesure qu'ils se présentent à elle. Ce sont des projets extraordinaires et nous les soutenons sans aucune difficulté. Je suis du reste persuadé que toute la population de notre commune - il y a beaucoup d'autres communes dans ce canton qui intègrent ce 0,7% dans leur budget - je suis persuadé, disais-je, que la totalité de notre population soutient notre position. C'est la raison pour laquelle je serai solidaire avec Roger Beer et je voterai ce projet de loi. (Applaudissements.)

M. Nicolas Brunschwig (L). Il est évident que l'objectif de ce projet de loi, inscrit à l'article 1, peut être partagé par l'ensemble des députés de ce parlement. Par contre, la suite du projet de loi amène un certain nombre de questions qui, à mon avis, n'ont pas été réellement abordées dans le cadre du débat, ce soir.

Tout d'abord, permettez-moi de dire au député Hodgers que le 0,7% du PIB qu'il a fixé comme norme ne peut évidemment s'appliquer à une définition cantonale. En effet, on sait que l'aide peut se situer à la fois au niveau de la Confédération, des cantons, des communes et surtout - c'est le cas en Suisse - la plupart de cette aide vient d'associations et de milieux privés. Je ne peux pas dire où se situe la Suisse par rapport à cette norme de 0,7% du PIB, mais c'est en tout cas un débat que l'on ne peut pas avoir dans le cadre du vote d'une loi cantonale.

Ensuite, réduire la solidarité à un chiffre et, encore plus grave, à un pourcentage n'est certainement pas la bonne réponse à une question fort importante. Malheureusement, c'est celle que nous sommes sur le point d'apporter, puisque ce projet sera visiblement adopté ce soir par le Grand Conseil. Mais, à mon avis, voter cette loi en pensant que nous avons fait notre dû est très largement insuffisant. Cela montre bien que cette loi est totalement inutile par rapport à l'objectif avoué.

Le troisième élément qu'il me semble important d'évoquer est lié au principe du pourcentage. J'ai siégé quelques années à la commission des finances, qui fait un travail difficile, ingrat, je dirais même assez souvent inutile, quand il s'agit d'étudier, de contrôler les budgets et les comptes. Si nous continuons à définir des pourcentages pour ceci ou pour cela, pour chaque cause même légitime, ce travail deviendra encore plus inutile et, surtout, plus personne ne pourra construire un budget. Le Conseil d'Etat ne pourra plus construire de budget, le parlement ne pourra plus contrôler, décider d'objectifs politiques, parce qu'il y aura des pourcents partout. Alors, pour être un peu caricatural, quand on atteindra le 100%, on se retrouvera dans une impasse absolue et on se posera des questions existentielles!

En termes d'orthodoxie financière et par rapport aux choix politiques que nous devons faire, la théorie des pourcents, pour les jeunes, les vieux, les petits, les grands, l'aide aux démunis ou la solidarité internationale, est sans doute un très mauvais système. D'autant, comme l'a dit M. le député Odier, que cela empêche de s'adapter à des situations qui peuvent être fort différentes d'une année à l'autre.

Enfin, une remarque un peu plus technique. Je ne sais pas si nous nous situons en dessus ou en dessous de ce 0,7%, mais le texte qu'on nous propose dit que le canton de Genève doit consacrer au moins 0,7% de son budget annuel. Cela signifie, contrairement à ce qu'a dit M. le député Blanc et si on veut respecter la loi, qu'on ne pourra pas consacrer moins et qu'il faudra même consacrer plus. En tout cas, c'est ce que dit le texte.

Ceci pose un deuxième problème par rapport au respect des normes et des lois qui existent - mais je suppose que, dans ce parlement, nous allons continuer à voter des lois que nous ne respecterons pas... En effet, je vous rappelle que l'article 46 de la loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat dit, en son alinéa 2 : «Tout projet de loi comportant une dépense nouvelle ne peut être voté qu'en prévoyant sa couverture financière.» Il me semble que nous sommes clairement dans ce type de situation et, personnellement, parmi les six articles de ce projet de loi, je n'en vois aucun qui parle de la couverture financière!

En conclusion, même si les objectifs sont importants et légitimes, les réponses qui sont données par le biais de ce projet de loi sont totalement inadaptées, pour des raisons à la fois philosophiques, fondamentales et techniques.

M. Alain-Dominique Mauris (L). En fait, quelque chose est faussé dans ce débat : on a l'impression qu'il y a, d'un côté, les bons, ceux qui se préoccupent du monde, de la solidarité internationale, et de l'autre côté les méchants, ou les moins bons... On entre ainsi dans un type de débat où les argumentaires sont relativement faciles.

Chacun a sa propre vision de la solidarité. La mienne, par exemple, est la suivante. Tout d'abord, je dois dire qu'au niveau international, contrairement à ce qu'a dit M. Blanc, la Suisse est reconnue dans le domaine humanitaire. J'ai beaucoup de collègues qui, après l'université ou l'apprentissage, ont consacré, comme moi, plusieurs années à l'humanitaire. Cet engagement de Genève - l'esprit de Genève - et de la Suisse est une chose reconnue au niveau international et vous auriez tort de l'oublier. Mais, bien sûr, cela ne se quantifie pas à travers un chiffre, un pourcentage du PIB : cela se constate à travers la qualité de l'engagement.

Deuxièmement, à Genève, en Suisse, nous sommes bien sûr des nantis. Nous sommes certainement parmi ceux qui avons le plus et nous devons forcément donner le plus. Du reste, on ne donnera jamais assez : lorsque je me battais aux côtés d'Edmond Kaiser contre le noma, c'étaient quelques petites gouttes d'eau dans cet immense océan de maladie et de tristesse. Alors, 0,7%, ce n'est bien sûr pas assez, mais c'est peut-être un alibi : on inscrit chaque année un pourcentage rigide de 0,7%, on saupoudre, on laisse la vérification à d'autres, mais au moins on aura bonne conscience! Décider d'un pourcentage rigide est à mon avis est une erreur, car il faut pouvoir s'adapter, il faut pouvoir réagir en fonction des situations.

Regardez l'exemple des communes. Mon collègue Spinucci a dit que Lancy donnait 0,7%. C'est bien. Mon autre collègue, Mme Hagmann, me dit que Vandoeuvres donne 2%. Ailleurs, dans d'autres communes, c'est peut-être plus ou peut-être moins. Enfin, chaque commune fait ce qu'elle peut en fonction des budgets et bien sûr des demandes. Ce soir, ce qui nous gêne dans ce projet, c'est qu'on veut fixer un montant. La demande existe, tout le monde la reconnaît, tout le monde y est sensible, mais chacun y répond d'une façon différente.

Enfin, Monsieur Hodgers, il est facile de dire que le libéralisme est la cause de la misère et de la pauvreté dans le monde. Mais n'oubliez pas que les sociétés à économie planifiée ont aussi engendré des milliers d'affamés. Je crois que nul ne peut dire aujourd'hui quel est le meilleur modèle économique. Chaque pays, chaque société doit trouver son modèle et nous qui sommes riches, nous devons rester modestes et avoir une certaine pudeur par rapport à l'aide que nous voulons apporter. En l'état, certains d'entre nous refuseront ce projet, d'autres s'abstiendront, mais nous serons toujours de tout coeur avec ceux qui veulent partager!

M. John Dupraz (R). Ce n'est pas la première fois que, dans ce parlement, on débat de ce fameux coefficient de 0,7% pour l'aide humanitaire, pour l'aide au tiers monde. 0,7%, est-ce assez ? Ce n'est certainement pas assez! Il se trouve qu'à Berne je fais partie d'un groupe interpartis qui s'occupe de coopération et d'aide humanitaire. Nous veillons, les uns et les autres, à ce que les sommes allouées à l'aide humanitaire et au développement ne soient en tout cas pas diminuées et qu'on puisse agir de façon ponctuelle en cas de besoin, lorsque c'est nécessaire.

Ce que je regrette dans ce projet de loi, c'est qu'il fixe un objectif mais qu'il ne dit pas comment on l'atteindra. Je regrette que la commission des finances n'ait pas fait de scénario : ces sommes s'ajouteront-elles au budget ordinaire, tel que nous le connaissons maintenant ? Seront-elles prises, pour partie, à l'intérieur du budget ? Le travail de la commission des finances me laisse un peu sur ma faim, elle nous avait habitués à plus de rigueur dans ses travaux.

M. Blanc a fait un long exposé tout à l'heure, en disant que la Suisse n'a pas bonne presse dans le monde. J'ai l'impression que, pour lui, ce projet de loi est la pénitence que le curé donne après les confessions hebdomadaires! Moi, je veux bien, Monsieur Blanc, mais le parti démocrate-chrétien soutient le référendum contre le revenu minimum de réinsertion... Aussi, je m'étonne que, d'un côté, vous soyez généreux pour l'aide humanitaire et pour le tiers monde et qu'à Genève vous ne vouliez pas assurer un minimum vital aux plus défavorisés. En l'occurrence, nous n'acceptons pas de leçon de votre part. Je trouve même que votre groupe n'est ni démocrate, ni chrétien en la matière!

Par ailleurs, il est dit dans ce rapport qu'actuellement la somme allouée pour l'aide humanitaire est estimée - on n'a pas fait d'inventaire très précis - à 12 millions et que la somme future, d'après ce 0,7%, devrait s'élever à 42 millions. Si je compte bien, c'est une augmentation de 30 millions. Or, Mesdames et Messieurs, je doute qu'en une année vous puissiez trouver des projets pour 30 millions, car ce ne sont pas des projets qui se bricolent : ils demandent des professionnels, de l'organisation, des gens sur le terrain... Je propose donc un amendement à l'article 2, soit un alinéa 2 qui dit : «Le 0,7% octroyé à la coopération internationale est atteint dans un délai de quatre ans.» Ceci pour mettre les choses en place calmement, pour agir de façon ciblée, intelligente et de façon coordonnée avec les dépenses budgétaires totales auxquelles doit faire face le gouvernement du canton de Genève.

M. Pierre Marti (PDC). Une première chose pour mon très cher ami Pierre Ducrest : personne, dans cette enceinte, n'a jamais dit que Genève n'avait rien fait. Ensuite, après avoir dit que Genève faisait beaucoup dans le domaine social, vous avez quasiment conclu : merci, on a déjà donné! Il me semble que, dans ce domaine, vous faites un amalgame entre le social ici à Genève et l'aide au développement. Effectivement, l'Etat fait beaucoup pour l'aide sociale ici à Genève, mais n'oubliez pas que toutes les associations caritatives font, elles aussi, énormément. Elles reçoivent une subvention plus ou moins grande de l'Etat, mais elles ne se contentent pas de redistribuer cette subvention. Caritas reçoit, par exemple, une subvention de 300 000 F, mais elle a un budget de 2 millions. C'est dire qu'il y a à Genève, et j'en suis très heureux, des gens qui savent aussi être généreux avec les gens d'ici.

Monsieur Brunschwig, vous dites que ce système des pourcents est dangereux et qu'il ne faut pas se bloquer sur un pourcentage. Je vous répondrai, avec un certain sourire, Monsieur, qu'on peut aller au-delà de ce 0,7%, puisque le projet de loi parle d'au moins 0,7%... J'espère donc que vous ne vous bloquerez pas sur cette théorie des pourcents et que le montant pourra être plus important dans les prochaines années!

Monsieur Mauris, vous avez raison : c'est l'engagement des personnes, ici et ailleurs, qui est important, et pas seulement les pourcentages, les montants alloués. J'aimerais d'ailleurs rendre hommage ici à toutes les personnes qui, dans les associations, se donnent à fond pendant des heures, pendant des week-ends complets, pour essayer de faire comprendre à la population ce qu'est véritablement la solidarité internationale. Nombre d'entre eux, dans de petites ou de grandes associations, donnent non seulement un temps fou, mais savent aussi ouvrir leur porte-monnaie. Il faut savoir que, lorsque ces associations demandent une aide pour tel ou tel projet, cette aide va quasiment à 100% au projet : tous les frais administratifs sont pris en charge par les membres. Je voulais le souligner, parce qu'il est important de dire une fois combien de bénévoles ici, à Genève, savent être ouverts au monde.

Mesdames et Messieurs les députés, arrêtons cette discussion et votons ce projet!

M. Philippe Glatz (PDC), rapporteur. J'ai l'impression qu'un certain nombre de personnes font semblant de ne pas comprendre. En fait, il s'agit d'initier un mouvement en y consacrant une toute petite partie de notre budget. Je rappellerai, pour tous ceux qui nous écoutent à la tribune ou devant leur télévision, que 0,7%, ce n'est que 70 ct. sur un billet de 100 F. C'est donc infime, vous l'avez dit, Monsieur Mauris, ce n'est peut-être pas suffisant, mais au moins affirmons le principe!

M. Dupraz regrette que la commission des finances ait manqué de rigueur, en fixant des objectifs sans préciser quels sont les moyens pour y parvenir. En l'occurrence, n'est-ce pas le travail du législatif que de fixer des objectifs, et le travail de l'exécutif que de trouver les moyens pour y parvenir ? Nous remplissons donc parfaitement notre rôle lorsque nous fixons des objectifs.

Quant à l'amendement que vous proposez, Monsieur Dupraz, il est déjà contenu dans l'article 5 de notre projet de loi, puisque c'est le Conseil d'Etat - une fois qu'il aura mis en place les moyens pour parvenir à l'objectif que nous avons défini - qui pourra fixer la date d'entrée en vigueur de la présente loi. Ni les signataires du projet ni la commission n'ont voulu faire pression sur le Conseil d'Etat avant qu'il ne puisse mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires.

D'autre part, je voudrais dire à M. Odier qu'il ne confonde pas les quelques remarques qui ont été faites en commission des finances, quant au cadre fixé : il ne s'agit pas de réticences, il s'agit de principes qui devraient permettre au Conseil d'Etat d'avoir une direction générale, s'agissant de la mise en oeuvre de ce projet, qui est, je le répète, le minimum que l'on puisse faire.

Quant à M. Brunschwig, il nous dit, entre autres, que ce système de pourcentage n'est techniquement pas applicable. M. Brunschwig m'étonne beaucoup, notamment lorsqu'il dit que les pourcents empêchent de faire un budget. Monsieur, vous êtes un brillant entrepreneur et vous savez très bien que, lorsque vous faites les budgets de votre entreprise, vous utilisez un certain nombre de pourcents, ne serait-ce que ceux de l'AVS!

Vous nous dites aussi qu'il faudrait prévoir la couverture financière. Mais non! La couverture financière, ce sont les recettes de l'Etat, où l'on va prélever ce 0,7%. La couverture financière est donc acquise. Il faudra peut-être faire un certain nombre de sacrifices sur d'autres postes, c'est possible, mais nous affirmons au moins le principe que ce minimum sera consacré aux plus démunis.

Enfin, j'ai entendu dire que ce n'est pas bien, que Genève fait déjà beaucoup, que nous sommes en train de réinventer la roue... Pas du tout! On ne peut pas utiliser cela comme un argument. Genève fait beaucoup : raison de plus pour que le Conseil d'Etat et notre parlement puissent faire un tout petit peu! Je vous remercie de bien vouloir voter ce projet de loi à la plus large majorité possible.

M. Albert Rodrik (S). Je prends la parole après la grande intervention de M. Dupraz, à propos de la lenteur et de la sérénité avec laquelle nous devrions appliquer ce projet de loi. Je n'aime pas beaucoup l'explication que le rapporteur a cru devoir donner à ce sujet : nous espérons bien que cette loi entrera en vigueur le plus tôt possible!

Mesdames et Messieurs, juste après les grands mouvements de décolonisation, dans les années 70, les Nations Unies ont commencé à demander aux pays industrialisés de consacrer 1% de leur PIB à l'aide au développement. Voyant l'inanité de cette ambition au bout de vingt ans, on a revu à la baisse - et au réalisme - ce pourcentage. Alors, qu'on ne vienne pas nous parler de la nécessité d'aller lentement et de faire cela tranquillement! Nous avons assez tardé, nous sommes en retard, il y a des choses honteuses ne serait-ce que par rapport aux connivences de la Suisse avec l'apartheid, par exemple : nous espérons donc bien que, si ce pourcentage n'est pas atteint, il le sera tout de suite et le plus vite possible, et que nous terminerons ce débat avec quelque chose qui ressemble à de l'enthousiasme et pas à de l'épicerie!

Mis aux voix, ce projet est adopté en premier débat.

Deuxième débat

Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que l'article 1.

Art. 2

La présidente. Nous avons un amendement de M. Dupraz qui propose d'ajouter un nouvel alinéa 2 :

«Le 0,7% octroyé à la coopération internationale est atteint dans un délai de quatre ans.»

M. John Dupraz (R). J'aimerais avoir l'avis du Conseil d'Etat à ce sujet. Si j'ai bien compris, avec ce projet de loi, l'aide passera de 12 à 42 millions d'une année à l'autre. Mesdames, Messieurs, avez-vous les moyens techniques, avez-vous les projets permettant de dépenser une telle somme ? J'en doute fort. A voir le sérieux avec lequel les dossiers sont traités par les départements concernés et par la Fédération genevoise de coopération, ne pensez-vous pas qu'il est préférable d'étaler cela dans le temps ?

M. Nicolas Brunschwig (L). La proposition de M. Dupraz va dans le bon sens. J'ajoute, pour répondre à M. le député Glatz, que nous sommes, contrairement à ce qu'il dit, totalement dans l'illégalité par rapport à la loi sur les procédures financières. Je me suis renseigné auprès de Mme la conseillère d'Etat chargée du département des finances : quand un projet de loi entraîne des dépenses nouvelles, la couverture financière doit être prévue. Or, la couverture financière ne peut être prise dans le cadre du budget en tant que tel : il s'agit soit d'une diminution de dépense - et on doit préciser quelle diminution de dépense on envisage - soit d'une augmentation de recettes par le biais, par exemple, d'un impôt nouveau - et on doit préciser quel type d'impôt nouveau on envisage.

En l'occurrence, il s'agit du respect de la loi, principe auquel je pensais les démocrates-chrétiens assez attachés. Mesdames et Messieurs, il faut nous dire clairement quelle dépense il s'agira de diminuer : est-ce les dépenses de personnel, les dépenses sociales liées aux personnes qui vivent dans ce canton, ou d'autres charges financières ? Ou bien, voulez-vous un impôt nouveau ? Vous devez nous dire clairement ce qu'il en est. Il est trop facile, Monsieur Glatz, de voter la bouche en coeur des projets de lois à buts humanitaires, sociaux, solidaires, et de se moquer totalement des dispositions que vous aviez votées à l'époque. En effet, la loi sur les procédures financières avait été votée à une très large majorité, en particulier par le groupe démocrate-chrétien.

En tout état de cause, la proposition de M. Dupraz aura le mérite de permettre d'étudier un peu mieux quel type de projet on veut financer, comment et avec quelle couverture financière.

M. Claude Blanc (PDC). Puisque c'est probablement le dernier échange que nous avons, je voudrais dire à mon excellent collègue M. Brunschwig qu'à titre personnel je regretterai son départ, en soulignant notamment son excellente participation à la commission des finances et à la commission fiscale, où il a apporté beaucoup. Bien que je n'aie pas toujours partagé sa manière de voir, je suis obligé d'admettre - et je le dis ici publiquement - qu'il a fourni un apport très sérieux à ces deux commissions. Cela dit, sur un certain nombre de points, nous divergeons évidemment, par exemple sur celui-là.

En fait, lorsqu'on dit, dans ce projet, qu'on va consacrer chaque année au moins 0,7% du budget de l'Etat à la coopération, on n'oublie pas - cela a été dit à la commission des finances et c'est bien ainsi que cela doit être compris - tout ce qui se fait déjà dans ce domaine, notamment par le soutien aux ONG. Une multitude d'actions déjà entreprises entreront dans ce 0,7% : nous avons probablement déjà atteint une partie des 40 et quelques millions fixés et nous n'aurons par conséquent pas un gros effort supplémentaire à faire.

En l'état, Monsieur Dupraz, si nous voulons inscrire un chiffre dans la loi, c'est pour fixer un objectif. Nous voulons au moins aller jusque-là, si nous le pouvons. C'est un objectif que nous fixons, mais s'il n'y a pas de projet sérieux il est possible que, certaines années, on n'y arrive pas. Il ne faut pas prétendre que c'est un objectif immodéré. En effet, je suis convaincu que, lorsqu'on aura fait le compte de tout ce qui se fait déjà et de ce qui reste à faire, l'effort supplémentaire ne sera finalement pas si important. Je crois que nous pouvons faire cet effort, pour donner un exemple, à nous-mêmes d'abord, puis au monde qui nous entoure. Au risque de me répéter, je dirai que la Suisse, ces jours, n'a pas très bonne presse dans le monde... (L'orateur est interpellé.) Oh, Monsieur Cristin, si on comptait sur vous pour avoir bonne presse... Je disais qu'au moins nous montrerons que nous sommes prêts à faire notre possible pour améliorer notre image de marque, si j'ose dire!

M. John Dupraz (R). Mesdames et Messieurs les députés, excusez-moi, mais si on se fixe un objectif clair on doit se donner les moyens de l'atteindre! On ne peut pas dire qu'on verra si on y arrive, que, bon, c'est un objectif fixé depuis longtemps par les organisations humanitaires proches de l'ONU, mais qu'il faut encore voir ce qu'on fait déjà, qu'on y est peut-être presque, ou qu'on n'y est peut-être pas...

Moi, je lis dans le rapport que l'aide est actuellement de 12 millions et que le département de l'économie est prêt à aller jusqu'à 40 millions : pour dépenser 28 millions de plus, d'un coup, en une année, vous n'allez pas fabriquer des projets du jour au lendemain... Je le sais pour m'être occupé, très peu, c'est vrai, mais quand même un peu, de ces problèmes d'aide humanitaire et d'aide au développement. C'est pourquoi je propose un étalement sur quatre ans. J'aimerais du reste avoir l'avis du ministre des finances sur cet objectif de 0,7% en quatre ans. J'aimerais savoir si c'est financièrement possible, si c'est réalisable. A mon avis, fixer des objectifs pour fixer des objectifs, ce n'est qu'un voeu pie et cela ne sert à rien!

La présidente. Je signale qu'il y a encore quatre députés inscrits... (Protestations.) Monsieur le député Glatz.

M. Philippe Glatz (PDC), rapporteur. Je ne peux pas laisser M. Brunschwig dire que nous sommes dans l'illégalité ou dans l'incohérence, en particulier le parti démocrate-chrétien. Monsieur Brunschwig, vous savez bien que, dans le cadre de l'élaboration du budget établi chaque année, le Conseil d'Etat a une certaine marge de manoeuvre. Nous sommes en train de lui fixer ici, c'est vrai, une contrainte, à savoir que 0,7% du budget devra être consacré à la solidarité internationale. Mais vous savez bien que le Conseil d'Etat, par ailleurs, dispose d'une marge de manoeuvre, qu'il ne s'agit pas, pour lui, de répéter année après année le même budget! Vous-même, du reste, réclamez régulièrement que le Conseil d'Etat réfléchisse, reparte de zéro et établisse des budgets nouveaux... En l'occurrence, lorsque le Conseil d'Etat réfléchira à son budget, il tiendra compte de cette contrainte, impliquant d'attribuer 0,7% à la solidarité internationale, la mission étant d'équilibrer les recettes et les dépenses. Ce projet n'est donc pas du tout dans l'illégalité.

Concernant ce qu'a dit M. Rodrik, je répondrai qu'il ne s'agit pas de différer dans le temps la mise en application de ce projet de loi, mais que l'article 5 vise simplement - et c'est pourquoi la proposition de M. Dupraz est inutile - à ce que le Conseil d'Etat puisse examiner les projets qui lui seront soumis avec le plus grand sérieux. Il faut faire confiance au Conseil d'Etat et lui laisser, là aussi, une certaine marge de manoeuvre : c'est à lui de fixer le moment qu'il jugera le plus propice pour la mise en application de ce projet de loi.

Mme Myriam Sormanni-Lonfat (HP). Je trouve qu'on fait ici des calculs d'épicier. Peu importe si, effectivement, on verse déjà 12 millions et qu'on rajoute 28 millions de plus : c'est une contrainte, certes, mais c'est une contrainte que nous nous serons fixée, en sachant pourquoi!

M. Roger Beer (R). Je ne pensais pas intervenir, mais je dois quand même préciser un certain nombre de choses. Si ce projet de loi a effectivement été étudié rapidement en commission, il faut souligner que son dépôt est le résultat d'un excellent et très long travail dans les structures associatives de Genève-Tiers Monde et de la Fédération genevoise de coopération.

Maintenant, mon collègue Dupraz a raison : on peut très bien décider d'atteindre ce 0,7% en quatre ans. Pour ma part, je voterai cet amendement, car ce n'est pas le problème. En revanche, là où je suis moins d'accord avec mon très cher ami Dupraz, c'est sur la possibilité de trouver des projets. Genève-Tiers Monde - dont je suis membre depuis moins longtemps que M. Marti, mais quand même depuis quelque temps - a des tas de projets qui sont déjà expertisés et qui attendent. La plupart d'entre eux sont élaborés conjointement avec la coopération suisse - la DDA, Helvetas et autres - et tous ces projets attendent des financements. Je pense que, parallèlement à ce que fait la Confédération, il est juste que le canton de Genève s'investisse également.

Enfin, il n'est pas question de développer des structures étatiques pour élaborer ces projets, ou pour les surveiller - pour se payer des vacances de vérification, puisque ce sont souvent les critiques qu'on entend. Selon les responsables du département de M. Lamprecht, il s'agit surtout de faire confiance au monde associatif, aux structures qui travaillent depuis des décennies, notamment dans l'aide technique aux pays en voie de développement. Mesdames et Messieurs, je vous remercie de voter ce projet de loi.

M. Carlo Lamprecht. Tout d'abord je salue la générosité de ce parlement, dans sa dernière session de législature. Tout le monde ici est d'accord sur le fait qu'un taux de 0,7% sur le budget de l'Etat est quelque chose de possible et qu'il y a suffisamment de besoins dans le monde pour que nous fassions preuve de cette générosité.

Il est vrai, Monsieur le député Dupraz, que nous dépensons aujourd'hui entre 12 et 15 millions à travers les différents départements. Sur 40 millions, il en reste donc 25 à dépenser. A cet égard, je dois dire qu'actuellement nombreux sont les projets auxquels on ne peut pas donner satisfaction, parce qu'au beau milieu de l'année déjà la plupart des sommes attribuées à la coopération et au développement sont épuisées. Cela dit, il ne s'agit pas non plus de distribuer de l'argent n'importe comment. Comme je l'ai déjà souligné, la difficulté, pour mon département, sera non seulement d'analyser les projets, mais également de les évaluer par la suite, dans la durée, de s'assurer que ces projets se réalisent concrètement et que l'argent n'est pas jeté par les fenêtres. Il y a là tout un travail de fond, qui impliquera de la part du département un certain encadrement. Nous le voyons aujourd'hui avec la Fédération genevoise de coopération, où tout n'est pas si évident. Ce n'est pas parce que la Fédération genevoise de coopération s'en occupe que tout va toujours très bien : elle fait un travail extraordinaire, mais il y a aussi des marges auxquelles il faut être attentif.

Il n'est pas dit, Mesdames et Messieurs, qu'on dépensera 0,7% chaque année, mais par contre, à travers ce projet de loi, la somme disponible sera plus élevée et nous permettra de voir un peu plus grand, d'aider davantage des projets qui méritent d'être soutenus. Pour ma part, je ne peux que vous encourager à voter ce projet : c'est la sagesse, la générosité qui le commande. Je ne peux pas vous promettre que nous dépenserons tout chaque année, mais nous essayerons en tout cas de donner suite à des projets qui méritent d'être soutenus.

La présidente. Je mets aux voix l'amendement de M. Dupraz, qui consiste à ajouter, à l'article 2, l'alinéa 2 suivant :

«Le 0,7% octroyé à la coopération internationale est atteint dans un délai de quatre ans.»

Mis aux voix, cet amendement est rejeté.

Mis aux voix, l'article 2 est adopté, de même que les articles 3 à 6.

Troisième débat

Ce projet est adopté en troisième débat, par article et dans son ensemble.

(Applaudissements à l'annonce du résultat.)

La loi est ainsi conçue :

Loi

(8480)

sur le financement de la solidarité internationale

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :

Art. 1 Objectif

La République et canton de Genève, en tant que Cité internationale reconnue pour sa vocation de défense de la paix et de coopération internationale, s'engage à mener une politique active en faveur de la solidarité internationale.

Art. 2 Moyens

Pour concrétiser l'objectif mentionné à l'art. 1, la République et canton de Genève consacre au moins 0.7 % de son budget annuel de fonctionnement à la solidarité internationale, particulièrement en soutenant des projets de coopération, d'aide au développement, de promotion de la paix et de défense des droits sociaux et de la personne.

Art. 3 Coordination et collaboration

1 Le Conseil d'Etat collabore avec des organismes genevois ou internationaux actifs dans le domaine et reconnus pour leur sérieux, leur transparence, leur expérience et leur compétence.

2 La coordination est assurée par le Département désigné par le Conseil d'Etat. 

Art. 4 Evaluation

Les projets soutenus par la République et canton de Genève sont régulièrement évalués par le Conseil d'Etat ou par un organisme compétent. Le Conseil d'Etat soumet un rapport annuel au Grand Conseil sur ce thème.

Art. 5 Entrée en vigueur

Le Conseil d'Etat fixe la date d'entrée en vigueur de la présente loi.

Art. 6 Dispositions d'application

Le Conseil d'Etat édicte les dispositions nécessaires à l'application de la présente loi.