République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 8170-A
7.  Rapport de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi de MM. Bernard Lescaze, Roger Beer, Thomas Büchi, John Dupraz et Pierre Froidevaux modifiant la loi sur l'exercice des droits politiques (A 5 05) (Choix du domicile politique). ( -) PL8170
Mémorial 2000 : Projet, 245. Renvoi en commission, 253.
Rapport de M. Antonio Hodgers (Ve), commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil

La commission s'est réunie à deux reprises, les 12 et 19 avril 2000, sous la présidence de Mme Micheline Spoerri et en la présence de M. Patrick Ascheri, chef du service des votations et élections, pour traiter le présent projet de loi. Les procès-verbaux ont été pris par M. Carlos Orjales.

Discussion

Les auteurs du projet de loi, le groupe radical, ont expliqué qu'ils ont déposé ce texte suite à différentes votations en Ville de Genève qui, selon eux, étaient d'importance cantonale. Ainsi, de nombreux citoyens, ne résidant pas sur la commune mais y exerçant une activité professionnelle, auraient voulu pouvoir se prononcer sur des enjeux communaux comme la Place Neuve ou celle des Nations. Pour les radicaux, ce projet de loi est éminemment moderne, puisqu'il prend en compte la mobilité actuelle des citoyens en leur permettant de choisir leur commune politique en fonction du lien fiscal qu'ils ont avec elle, même s'ils n'y résident pas.

La majorité de la commission a, pour sa part, évoqué des oppositions de principe et des doutes quant à la mise en pratique d'une telle loi.

En premier lieu, il est certain qu'en matière de droits politiques, le critère de résidence fait la force de la République. Nos lois, tant fédérales que cantonales, mentionnent que les citoyens exercent leurs droits politiques à leur lieu de domicile. Que seraient les démocraties cantonale et communale si les gens devaient voter dans leur commune d'origine, ou pire encore, comme le proposent les radicaux, dans la commune de leur choix ?

En deuxième lieu, l'application du projet de loi entraînerait certainement un « exode politique » vers la Ville de Genève et mettrait ainsi à mal la démocratie des autres communes genevoises, notamment celle des communes suburbaines dans lesquelles la vie politique est conséquente. Le phénomène de « cité dortoir », contre lequel des autorités communales luttent depuis des années, serait renforcé.

En troisième lieu, la possibilité de choisir sa commune politique ne serait réservé qu'à une partie des citoyens : les personnes actives. Les hommes ou femmes au foyer, les chômeurs, les retraités, les étudiants, qui peuvent eux aussi avoir des liens d'intérêts avec une autre commune que celle de leur domicile, se verraient privés de ce choix puisqu'ils n'exercent pas d'activité professionnelle.

En quatrième lieu, même si le groupe radical semblait disposé à admettre, pour répondre aux critiques évoquées ci-dessus, que chaque citoyen puisse choisir sa commune politique indépendamment de son domicile et de son activité professionnelle, la confusion qui résulterait d'une telle pratique serait encore plus grande : les citoyens pourraient changer de commune politique en fonction des sujets de votation, créant ainsi un « tourisme électoral » totalement anti-démocratique. En outre, il serait possible à un groupe de quelques dizaines de citoyens de s'inscrire dans une petite commune pour y faire « putsch » lors d'élections.

En cinquième lieu, le service des votations et élections a attiré l'attention de la commission sur le fait qu'une telle loi pourrait entraîner un changement massif du choix de commune politique à la veille d'une votation communale importante, ce qui ne serait techniquement pas réalisable.

Vote

En conclusion de ce qui précède, la majorité de la Commission des droits politiques a refusé l'entrée en matière sur le projet de loi 8170 avec le vote suivant :

Nous ne saurions trop vous recommander, Mesdames et Messieurs les députés, d'en faire autant.

Projet de loi(8170)

modifiant la loi sur l'exercice des droits politiques (A 5 05)(Choix du domicile politique)

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :

Article 1

La loi sur l'exercice des droits politiques, du 15 octobre 1982, est modifiée comme suit :

Art. 3, al. 1 (nouvelle teneur)

1 Sont électeurs et électrices en matière communale les citoyens et citoyennes jouissant de leurs droits politiques qui sont domiciliés dans la commune depuis 3 mois au moins ou qui, étant contribuables dans cette commune, ont souhaité y exercer leurs droits politiques ; le délai d'attente de 3 mois ne s'applique pas aux ressortissants de la commune.

Art. 5, al. 1 (nouvelle teneur)

1 Les électeurs et électrices, à l'exception des Suisses et Suissesses de l'étranger, sont inscrits d'office sur les rôles électoraux, tenus à jour par l'office. L'office bénéficie de la collaboration de l'administration fiscale cantonale pour déterminer les communes où les électeurs sont contribuables.

Art. 16 Choix du domicile politique (nouveau)

1 L'électeur peut, sur demande, exercer ses droits politiques communaux dans une commune genevoise autre que celle de son domicile, dans la mesure où il y est contribuable.

2 Dans ce but, il doit effectuer une déclaration à l'office. Cette modification de domicile politique devient effective immédiatement, sous réserve de la date de clôture des rôles électoraux avant un scrutin, et reste valable jusqu'à la fin de l'année civile en cours, à moins qu'un changement de domicile politique ne soit réalisé sur la base d'une autre disposition légale.

3 La déclaration doit être renouvelée chaque année.

Article 2 Entrée en vigueur

Le Conseil d'Etat fixe la date d'entrée en vigueur de la présente loi.

Premier débat

M. Pierre Marti (PDC). Si nous désirons que Genève soit un lieu touristique de plus en plus reconnu dans le monde entier, nous sommes par contre totalement opposés au tourisme politique de circonstance à Genève... Nous voterons donc contre ce projet de loi. 

M. John Dupraz (R). Contrairement à ce que dit notre collègue Marti, il ne s'agit pas de tourisme politique, il s'agit d'un projet de loi moderne qui correspond à la mentalité d'aujourd'hui, à savoir que le centre d'intérêts des citoyennes et des citoyens ne se trouve pas forcément à l'endroit où ils habitent.

C'est la raison pour laquelle le groupe radical a déposé ce projet de loi : pour donner aux citoyennes et aux citoyens de ce canton la possibilité de choisir la commune où ils veulent exercer leurs droits politiques. Qu'y a-t-il de plus normal que de donner cette possibilité aux habitants de ce canton ? Certaines personnes en effet habitent dans une commune genevoise mais travaillent à Berne, à Lausanne ou à Yverdon.

Toutefois, il est clair que nous restreignons le choix d'exercer ces droits politiques dans les communes où les personnes en question sont contribuables, afin de limiter les abus ou les votes de complaisance, comme cela se fait dans certains pays.

Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi est éminemment moderne, et je regrette que ce parlement se confine dans un conservatisme étroit, étriqué et que l'on ne veuille pas se donner la peine d'ouvrir les yeux pour voir que le monde moderne bouge. Et c'est précisément pour aller dans le sens de la mobilité que nous avions déposé ce projet de loi.

Toutefois et afin que nous puissions réfléchir plus sereinement, je vous propose de renvoyer ce projet en commission pour qu'il fasse l'objet d'une discussion plus approfondie et d'une meilleure réflexion. (Exclamations.)

M. Alain Charbonnier (S). Le rapport de M. Hodgers résume tout à fait bien les arguments de la majorité de la commission qui a rejeté l'entrée en matière de ce projet de loi. Si M. Dupraz, comme il l'a dit, et le groupe radical pensent que ce projet de loi est éminemment moderne, alors, oui, nous sommes conservateurs, dans ce domaine tout au moins !

M. Bernard Lescaze. Oh, pas seulement !

M. Alain Charbonnier. Conservateurs des valeurs démocratiques, au sens de l'équité. En effet, d'après ce projet de loi, seuls ceux ayant une activité professionnelle dans une commune bénéficieraient de l'avantage du choix, excluant, comme le cite le rapporteur, les femmes ou hommes au foyer, les chômeurs, les retraités, les étudiants, les membres d'associations sociales, culturelles, sportives, etc., et j'en passe.

Le groupe socialiste ne souhaite pas du tout encourager le tourisme électoral pour une partie de la population, et affirme sa volonté que la commune où l'électeur exerce ses droits politiques reste celle de son lieu de domicile.

Nous voterons donc contre l'entrée en matière de ce projet de loi. 

M. Antonio Hodgers (Ve), rapporteur. Monsieur Dupraz, vous avez une vision bien étrange de la modernité de la démocratie locale et communale !

Cette prétendue modernité risquerait d'entraîner, dans des communes suburbaines ou appelées communes dortoir, comme ma commune d'origine Meyrin, un exode politique des gens, qui iraient s'inscrire en Ville de Genève, et impliquerait pour ces communes un vide politique qui serait néfaste à la vie locale.

Par ailleurs, la modernité ne consiste pas à exclure certaines catégories socioprofessionnelles, comme vient de le rappeler M. Charbonnier, du droit de pouvoir choisir sa commune. Votre projet de loi impliquerait en effet que seules les personnes actives pourraient choisir leur commune de domicile politique, alors que d'autres qui auraient aussi des activités dans une commune différente ne le pourraient pas, parce qu'ils sont étudiants, retraités ou chômeurs...

Ce n'est pas ça la modernité, Monsieur Dupraz ! Nous avons déjà eu l'occasion de le dire : aujourd'hui, la modernité au niveau de la démocratie communale, c'est les droits politiques des étrangers ! 

M. Etienne Membrez (PDC). D'un côté, les intentions des auteurs de ce projet sont tout à fait compréhensibles : pourquoi ne pas chercher à aller voter là où il y a un intérêt ? Différentes votations en Ville de Genève, notamment en ce qui concerne la circulation, attestent d'un intérêt général certain.

Mais, de l'autre, on peut aussi comprendre les doutes que vient d'exprimer et de confirmer encore le rapporteur, et qui ont finalement abouti au refus d'entrer en matière.

Pour ma part, j'ai trouvé ce sujet intéressant, et j'ai essayé de trouver quel article de la législation fédérale évoquait ce problème. Alors, j'ai trouvé l'article 39 de la Constitution fédérale, d'une part, et l'article 3 de la loi fédérale sur les droits politiques. Eh bien, je peux vous dire, Mesdames et Messieurs les députés, à la lecture de l'article 39, qu'il apparaît clairement que le vote au domicile, tant en matière fédérale que cantonale et communale, est impératif et que, dès lors, les cantons ne peuvent y déroger !

J'ai trouvé la confirmation de ce que je viens de vous dire dans le commentaire de l'article 49 de l'ancienne Constitution fédérale d'où a été tiré l'article 39 actuel. Vous savez qu'en fait la nouvelle Constitution n'est qu'un toilettage de l'ancienne Constitution. Le commentaire du professeur Grisel qui date de 1988 - c'est le plus récent que nous connaissons - dit, sous le titre «L'unité de domicile politique et le principe de vote au domicile en matière cantonale et communale» : «L'exigence du domicile s'applique en matière communale aussi bien que cantonale. Elle interdit au législateur cantonal d'offrir aux individus une liberté quant au lieu où ils seront électeurs.»

Un ancien arrêt - on a presque envie de dire ici qu'on revient cent ans en arrière - illustre ce principe. La loi genevoise du 3 mars 1906 sur les élections et votations prévoyait qu'en règle générale le vote était accompli au lieu du domicile et que les intéressés pouvaient opter pour la commune où ils exercent leur profession et où ils sont propriétaires de biens. Il était précisé qu'une personne ne pouvait toutefois pas être inscrite plus d'une fois, dans plus d'une commune à la fois. Néanmoins, le Tribunal fédéral a déclaré bien fondé le recours qui mettait en cause ce curieux système : à ses yeux, la règle du vote au domicile s'applique dans tous les domaines à titre impératif, car elle est indispensable à la sécurité du droit et au respect de l'égalité de traitement. Elle ressort des motifs qui ont inspiré les auteurs de l'article 49, sinon du texte lui-même.

Voilà pourquoi, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, il me semble que la cause est entendue. J'en arrive donc à la conclusion qu'on ne peut rien faire d'autre que la commission, c'est-à-dire ne pas entrer en matière sur ce projet de loi. 

M. Bernard Lescaze (R). Le droit de vote est un droit important : c'est à peu près la seule chose dite par M. Hodgers avec laquelle je suis d'accord.

Je regrette d'ailleurs infiniment qu'il se permette de faire un petit rapport d'une page, qui, en réalité, n'effleure même pas le sujet, sur un projet de loi aussi important.

C'est pour cela que, sur le premier point, je demanderai, comme mon collègue Dupraz, le renvoi en commission de ce projet, pour qu'une étude sérieuse soit faite.

Notre collègue Membrez vient de nous donner quelques savantes explications juridiques, qui montrent d'ailleurs qu'à Genève, il y a moins d'un siècle, les mesures préconisées par le projet de loi que nous présentons s'appliquaient ou auraient dû s'appliquer. (Exclamations.) Mais M. Membrez a oublié une chose... (Brouhaha.) J'aimerais bien que les interrupteurs veuillent bien faire silence, parce que, nous, nous les avons écoutés !

M. Membrez, disais-je, oublie les Suisses de l'étranger, car ceux-ci ne votent évidemment pas en leur lieu de domicile, mais à un domicile fictif attribué à leur canton d'origine. En conséquence et pour permettre aux Suisses de l'étranger de voter - cela a été un progrès que personne ne conteste dans cette salle - il a bien fallu «détourner», créer une fiction juridique - et le droit, M. Membrez qui est avocat le sait bien, adore les fictions juridiques - afin de créer un domicile.

Maintenant, on vient nous dire que la notion de domicile est extrêmement importante et que l'on ne peut, l'on ne saurait y déroger... Alors, Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais simplement que chacun dans cette salle fasse son examen de conscience ! (Exclamations.) Davantage encore dans les conseils municipaux, mais probablement également parfois dans ce Grand Conseil, des gens sont élus parce qu'ils ont un domicile dans le canton de Genève, qui n'est pourtant pas toujours leur domicile réel, même si c'est leur domicile légal... (Exclamations.)

Une voix. Des noms !

M. Bernard Lescaze. Alors, Madame la présidente, il vous appartient ainsi qu'à votre Bureau de faire respecter la loi ! Je maintiens fermement cette assertion ! Vous le savez très bien : les gens n'habitent pas toujours le domicile qu'ils annoncent ! Alors, si nos opposants souhaitent aujourd'hui que nous mettions de l'ordre dans les conseils municipaux, eh bien, Madame la présidente, nous le ferons ! Monsieur Hodgers, vous détournez le regard, notamment vers certains qu'on pourrait suspecter, alors que moi je vous regarde en face et je ne regarde personne d'autre ! Nous le ferons, disais-je, parce que la notion de domicile doit, à ce moment-là, être impérative pour tout le monde.

Pour l'instant, comme l'a dit mon collègue Dupraz, je crois qu'il y a un réel problème. Et si ce Grand Conseil décidait, au lieu d'étudier soigneusement ce problème, de refuser ce projet sur la base de ce minuscule petit rapport - qui ne tient pas debout sur le plan juridique, contrairement à ce qu'a dit notre collègue Membrez - nous demanderons alors effectivement que la notion de domicile à laquelle, semble-t-il, une partie de ce parlement attache tant d'importance soit réellement appliquée.

En tout cas, le groupe radical de ce point de vue ne craint rien, parce que nos élus sont domiciliés là où ils résident effectivement. Voilà !

Une voix. Bravo !

M. Bernard Lescaze. Madame la présidente, je demande donc le renvoi en commission de ce projet, et j'aimerais bien que les orateurs suivants s'expriment sur le renvoi en commission seulement. 

La présidente. Monsieur Rodrik, je vous donne la parole sur le renvoi en commission exclusivement, pour qu'on puisse passer au vote sur ce renvoi ! Vous interviendrez après ? Bien ! Monsieur Hodgers, vous avez la parole. Veuillez vous exprimer uniquement sur le renvoi en commission !

M. Antonio Hodgers (Ve), rapporteur. Il me paraît étrange qu'un groupe politique, constatant que la loi n'est pas respectée, veuille changer la loi au lieu de demander son application...

Quoi qu'il en soit, il me semble inutile de renvoyer ce projet de loi en commission. Le rapport est effectivement succinct, mais pas autant que les arguments avancés durant les débats que nous avons eus en commission, qui ont duré moins d'une heure ! Je vous rappelle, Monsieur Lescaze, que le rapporteur se doit de retranscrire les débats qui ont lieu en commission : c'est ce que j'ai fait ! Il était inutile d'en rajouter ! Vous pouvez voir les procès-verbaux : mon rapport contient le peu qui a été dit en commission, y compris ce qui a été dit par les représentants radicaux !

Je le répète, Mesdames et Messieurs les députés, il me semble tout à fait inutile de renvoyer ce projet de loi en commission, et je vous invite à passer au vote et à refuser l'entrée en matière. 

La présidente. Monsieur Membrez, vous avez la parole, uniquement sur le renvoi en commission.

M. Etienne Membrez (PDC). Madame la présidente, j'aimerais répondre très brièvement à M. Lescaze qui parle de renvoyer ce projet en commission...

La présidente. Très bien !

M. Etienne Membrez. Mon intervention n'avait rien d'inamical, au contraire... (Exclamations.) Je me suis borné à essayer de dire ce que j'ai modestement cru comprendre, juridiquement parlant, des textes légaux.

Les Suisses de l'étranger ne constituent qu'une exception; dans le cas particulier nous parlons de la règle. Et c'est la raison pour laquelle l'auteur que j'ai cité n'a même pas mentionné cette petite exception. 

M. Pierre Ducrest (L). Il semble que nous nous acheminons vers un enterrement de première classe de ce projet de loi... (Exclamations.) ...qui mérite pourtant beaucoup mieux !

Il est vrai, Monsieur le rapporteur, que votre rapport est fort succinct et que je n'y ai pas retrouvé certains éléments des travaux de commission, alors que la commission s'est réunie à deux reprises seulement pour parler de ce projet de loi. A mon sens, je le répète, il mériterait un meilleur sort, c'est-à-dire un renvoi en commission.

Pourquoi ? Parce que je n'ai pas trouvé dans votre rapport, même si je ne fais pas partie de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil, certains éléments essentiels comme l'exiguïté de ce canton : 283 km2 pour quarante-cinq communes, faut-il vous le rappeler ? Ce qui fait qu'on change de commune rien qu'en traversant une rue, chaque côté ayant des avantages ou des inconvénients, selon qu'on est d'un côté ou de l'autre.

Et puis, on passe huit heures au travail, huit heures à dormir et huit heures de loisirs... Et il faudrait tenir compte de cet élément ! Au fond, les personnes qui exercent une profession dans une commune et qui y passent donc un tiers de leur temps devraient avoir le droit de donner leur avis dans la commune en question.

C'est pour cela que je vous encourage, Mesdames et Messieurs les députés, à renvoyer ce projet de loi en commission pour qu'il soit mieux étudié. Et si, par hasard, il devait revenir dans ce prétoire pour y être refusé, nous saurions au moins vraiment pourquoi.

La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, je mets aux voix le renvoi en commission de ce projet de loi.

Mise aux voix, la proposition de renvoyer ce projet de loi en commission est rejetée.

M. Albert Rodrik (S). Mesdames et Messieurs les députés, vous vous souvenez sans doute que j'ai eu l'honneur et le grand plaisir de faire des rapports - pas des rapports succincts - sur les deux projets de lois libéraux jumeaux. Je pense que mon ami Antonio s'est autorisé de cette exploration préalable pour ne pas être trop prolixe...

Mesdames et Messieurs les députés, j'avais reconnu un mérite à ce projet de loi dans mon rapport - je veux parler du projet de loi radical : il évitait de tomber dans certains panneaux du projet libéral qui consistait à donner des pouvoirs discrétionnaires au Conseil d'Etat - qui n'avait rien demandé d'ailleurs - cassant ainsi le processus démocratique d'une commune.

Mais il n'empêche que l'inspiration politique est tout à fait semblable, et cette nouveauté - cette chère nouveauté - qui confond vagabondage et déréliction avec progrès et innovation sent bon, comme le bon pain qui sort du fournil, son XIXe siècle... (Rires.) Lier, Mesdames et Messieurs les députés, le domicile politique au fait de payer des impôts, quoi de plus siècle dernier ? Ce n'est pas pour rien que notre ami Lescaze a rappelé que c'était bien des moeurs du siècle dernier... C'est bien cela : des moeurs du siècle dernier !

M. Claude Blanc. Bientôt avant-dernier !

M. Albert Rodrik. Oui, oui ! Bientôt avant-dernier ! Dans un mois !

Mesdames et Messieurs, le domicile, première année de la faculté de droit, c'est le lieu où l'on réside avec l'intention d'y faire le centre de ses intérêts. Une abondante jurisprudence du Tribunal fédéral en découle, et il n'y a pas d'autre domicile fiscal. Le domicile fiscal, c'est le domicile au sens du code civil. Le fait qu'il y ait dans ce canton une péréquation intercommunale, qui rétrocède une part de l'impôt que nous payons aux communes, ne crée pas un autre domicile fiscal ! Il n'y en a pas ! Et, donc, Mesdames et Messieurs, ne nous fatiguons pas : c'est bien du jour où on a cessé d'avoir un système censitaire que le domicile politique est lié au domicile tout court ! Il m'est arrivé dans ma vie de travailler à l'administration fiscale et de fréquenter la faculté de droit : le domicile fiscal, sauf pour des situations très extrêmes et très particulières, est le domicile tout court, au sens des articles 28 et suivants du code civil !

Je pense que nous pouvons présenter une requête à nos amis de l'Entente : il y a prescription ! L'affaire de la place Neuve et l'affaire de la place des Nations commencent à dater ! Ne pouvons-nous pas virer notre cuti et arrêter, pour ces péchés du peuple, de nous ramener au XIXe ? Nous le disons en toute amitié et sans agressivité. Ce n'est pas parce que le peuple un jour ne nous donne pas raison qu'il faut chambouler des principes fondamentaux !

Je termine sur cette requête, Madame la présidente : faites-vous donc notre avocate et demandez qu'on cesse cette pantomime ! Merci ! 

M. Claude Blanc (PDC). Je voudrais tout d'abord et pour la seconde fois en quelques mois faire remarquer à mon cher collègue Rodrik qu'en attribuant à l'Entente la paternité de ces projets monstrueux... (Rires.)

M. Albert Rodrik. Je m'excuse publiquement !

M. Claude Blanc. ...il exagère un peu, parce que nous nous sommes vraiment efforcés de ne pas les suivre ! Nous les suivons quand ils sont bons, mais nous ne les suivons pas quand ils sont mauvais.

J'ai été intéressé par les vagues accusations lancées tout à l'heure par M. Lescaze - je ne sais pas encore à qui elles s'adressaient... (Commentaires et rires.)

La présidente. Monsieur Lescaze, vous interviendrez après !

M. Claude Blanc. M. le rapporteur, qui regardait quelqu'un, a été accusé par M. Lescaze d'avoir un regard accusateur... Moi, je n'ai pas vu qui il regardait, mais j'ai vu qui il aurait pu regarder... (Exclamations et rires.)

En effet, s'il est vrai, comme le dit M. Lescaze, ce que des députés siégeant dans ce Grand Conseil n'ont pas forcément leur domicile à leur adresse officielle et ne votent, par conséquent, pas forcément dans la commune que leur assigne la Constitution fédérale, il est vrai aussi que certains parlementaires - pas seulement des députés du Grand Conseil - au sens large, domiciliés dans ce pays, tout en étant électeurs de leur commune de domicile à Genève, exercent des droits civiques dans un pays étranger... (Exclamations.) Cela peut se comprendre : exerçant le tourisme politique à l'échelon européen, ils essayent de l'introduire à l'échelon genevois ! (Rires.)

Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, qui M. Hodgers regardait !

M. Bernard Lescaze (R). Pour ma part, je n'exerce mes droits politiques et civiques que dans ce pays, mais je pense que le préopinant a tort de critiquer ceux qui bénéficient d'une double nationalité et qui peuvent voter dans plusieurs pays. J'ai d'ailleurs soutenu le droit de vote des étrangers et l'éligibilité dans ma commune de Genève et je continuerai, parce que je pense que l'important n'est pas seulement d'avoir un domicile qui est le centre de ses intérêts, mais bel et bien de pouvoir s'exprimer sur les problèmes qui concernent chacun, là où il exerce ses activités et ses intérêts.

Et, donc, la véritable justification de notre projet de loi se trouve aussi dans le fait qu'un certain nombre de personnes sont privées du droit de s'exprimer à tel ou tel endroit, notamment des habitants des communes périphériques du canton de Genève, alors qu'elles aimeraient s'exprimer en Ville de Genève. Et je dirai à mon ami Rodrik que, contrairement à ce qu'il s'imagine, j'ai toujours défendu l'idée que le problème de la place Neuve était d'ordre patrimonial et que, de toute façon, puisqu'il s'agissait d'un droit de superficie, seuls les habitants de la Ville étaient concernés.

Après avoir entendu des mots plutôt amusants, qui montrent qu'on reproche en ce moment aux radicaux de présenter un projet de loi un peu passéiste - mais parfois le passé rejoint l'avenir - j'aimerais dire que je m'étonne de la conception de la société qui se manifeste lorsqu'on parle de vagabondage politique...

Aujourd'hui, malheureusement - ou heureusement - les gens sont mobiles, et il arrive que les familles aient plusieurs domiciles. Bien sûr, ce n'est pas M. Blanc qui peut le comprendre, parce que le parti qu'il défend a une doctrine, et lui-même comme moi-même n'avons qu'un seul domicile. Nous n'avons pas de famille recomposée - en tout cas pas officiellement, Monsieur Blanc... (Rires.) ...et nous sommes donc moins concernés. Mais il faut quand même reconnaître que la vie d'aujourd'hui génère des domiciles multiples, et il n'y a pas de raison, à partir du moment où on n'exerce son droit de vote qu'à un seul endroit, qu'on ne puisse pas le choisir, et c'est le but du projet de loi radical.

Dans ces conditions, Mesdames et Messieurs, je réclame véritablement le renvoi de ce projet de loi en commission...

Des voix. C'est déjà fait !

M. Bernard Lescaze. Ah, pardon ! (Rires.) Je réclame véritablement qu'une étude sérieuse de ce projet de loi soit faite. Nous reviendrons donc avec d'autres solutions, si c'est possible. Et je vous annonce que je retire ce projet de loi. (Applaudissements.)  

La présidente. Il en est pris acte.

Le Grand Conseil prend acte de ce retrait.