République et canton de Genève

Grand Conseil

No 3/I

Jeudi 20 janvier 2000,

nuit

La séance est ouverte à 20 h 30.

Assistent à la séance : Mmes et MM. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat, Carlo Lamprecht, Gérard Ramseyer, Martine Brunschwig Graf, Micheline Calmy-Rey et Robert Cramer, conseillers d'Etat.

1. Exhortation.

Le président donne lecture de l'exhortation.

2. Personnes excusées.

Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance : M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat, ainsi que MM. Luc Barthassat, Gilles Desplanches et René Koechlin, députés.

3. Annonces et dépôts:

a) de projets de lois;

Néant.

b) de propositions de motions;

Néant.

c) de propositions de résolutions;

M. Christian Brunier(S). J'annonce, au nom du groupe socialiste, le dépôt de la résolution suivante :

R 415
de Mmes et MM. Christian Brunier (S) Véronique Pürro (S), Christine Sayegh (S), Myriam Sormanni-Lonfat (S) et Albert Rodrik (S) demandant la signature par la Suisse de la convention 103 de l'OIT protégeant la maternité. ( )R415

Nous pensons que c'est un sujet que nous devons absolument relancer, vu le vote de la population genevoise lors de la consultation sur l'assurance-maternité.

Le président. Cette résolution figurera à l'ordre du jour d'une prochaine session. 

d) de demandes d'interpellations;

Néant.

e) de questions écrites.

Néant.

E 1014-1
4. Prestation de serment de M. Werner Gloor, élu juge suppléant à la Cour de justice. ( ) E1014-1
 Mémorial 2000 : Election, 78.

M. Werner Gloor est assermenté. (Applaudissements.) 

PL 7443-A
5. Suite du premier débat sur le rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Fabienne Blanc-Kühn, Micheline Calmy-Rey, Pierre-Alain Champod, Fabienne Bugnon, David Hiler, Max Schneider, Bernard Clerc, René Ecuyer, Roger Beer, Michèle Wavre, Jean-Claude Genecand et Philippe Schaller en faveur du développement de l'économie et de l'emploi. ( -) PL7443
 Mémorial 1996 : Projet, 2009. Renvoi en commission, 2037.
 Mémorial 2000 : Rapport, 253. Premier débat, 336.
Rapport de M. Charles Beer (S), commission de l'économie

Suite du premier débat

M. Alain-Dominique Mauris (L). Ce rapport et ce projet de loi s'inscrivent directement dans le sillage de l'initiative de la CGAS. Le département de l'économie, de l'emploi et des affaires extérieures y est présenté comme démagogique et inefficace. Dans les pages introductives, c'est une véritable envolée de critiques qui éclaboussent ce même département, à tel point que le projet de loi proposé lui enlève ses prérogatives de moteur du développement économique de Genève et le relègue au rôle de département vitrine.

Mesdames et Messieurs les commissaires de la commission de l'économie, est-ce vraiment le résultat de presque deux ans de travaux, d'auditions, de recherches et de débats en commission ? Monsieur le président du département, reconnaissez-vous dans ce rapport votre engagement et celui de vos collaborateurs ? Etes-vous le gadget du Conseil d'Etat ?

A notre avis, la plume du rapporteur, très engagé au sein des syndicats, a certainement dû se laisser aller à une prise de position reflétant les milieux qu'il représente. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi propose un département de deuxième catégorie ; de pilote de l'économie genevoise, le département se retrouve passager ! Ce projet de loi a raté sa cible : il cristallise au lieu de dynamiser, il fige au lieu d'innover. Plus encore, il amalgame développement économique et promotion économique. Des échecs tels que la perte de British American Tobacco ou les erreurs d'investissement en faveur de la SWA se répéteront, avec ce projet de loi, alors que justement celui-ci aurait dû donner les moyens de se prémunir contre le renouvellement de pareils échecs.

Ce projet de loi aurait dû donner au département de véritables moyens et des compétences nouvelles adaptées à la situation économique. La réalité économique n'attend pas et on ne saurait dans ce domaine se gargariser du jeu de qui tire le premier la couverture. Parler de développement économique et de création d'emplois en minimisant le rôle du département est une incohérence qui pourrait nous coûter cher. L'économie n'a que faire des tergiversations administratives ; elle veut un interlocuteur crédible. Dès lors, donnons au département les moyens, qui jusqu'ici lui ont manqué, d'être cet interlocuteur. C'est pour cela que nous présenterons plusieurs amendements dans ce sens.

Mme Anne Briol (Ve). Comme bien souvent, de l'eau a coulé sous les ponts entre le dépôt du projet de loi et son traitement par la commission. A l'origine, comme l'a rappelé le rapporteur, ce projet de loi voulait notamment instaurer des instruments de promotion économique très précis. Entre-temps, de nouveaux moyens ont été mis en place, tels que Start PME ou la LAPMI, sans toutefois bénéficier d'une loi-cadre sur la promotion économique. La commission a donc estimé nécessaire qu'une loi-cadre régissant la politique économique genevoise soit adoptée.

Nous aimerions tout d'abord insister sur l'importance des buts et des principes de ce projet de loi dont le fil conducteur est le développement durable. Ce n'est pas pour nous donner bonne conscience, mais bien pour que ce principe soit réellement mis en application par l'Etat que nous avons tenu à l'inscrire comme premier principe. Dans ce sens, tant la stratégie globale que l'aide ponctuelle doivent être durables. Dans le même ordre d'idées, nous avons tenu à ce que le Conseil stratégique de la promotion économique comprenne également des experts dans le domaine du développement durable, qui soient capables de donner une orientation à la promotion économique genevoise répondant aux besoins du présent, sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins.

J'aimerais encore ajouter que, même si ce projet de loi représente un pas important, le travail dans ce domaine n'est pas terminé puisqu'il faudra rapidement adapter les diverses lois d'application existantes, en y intégrant des principes de développement durable. Dans l'intervalle, nous vous invitons à adopter ce projet de loi.

M. Pierre-Pascal Visseur (R). Comme le décrit fort bien le rapporteur, la loi qui nous est soumise aujourd'hui découle de la frustration des auteurs d'une initiative lancée en 1994 de l'avoir vu classer par notre Grand Conseil, vu son inutilité. Ils ont mis deux ans à en reproduire une copie conforme, déposée en 1996 alors que la situation économique était au plus mal et le chômage à un niveau rarement atteint.

L'inutilité d'un tel projet est toujours d'actualité, cinq ans après le lancement de cette initiative. De nombreuses structures ont été mises en place, qu'il s'agisse de Start PME, de la LAPMI, ou de l'excellent travail de promotion du département de l'économie, sans parler des nombreux allégements fiscaux dont le professeur Bürgenmeier - dont on ne saurait mettre en doute l'expertise - a relevé l'importance. Lors de son audition, la seule véritablement apolitique - faut-il rappeler qu'il a fallu 44 heures de travail en commission pour arriver à voter de justesse, à sept contre cinq, cette loi inutile ? - le professeur Bürgenmeier a rappelé que la promotion économique est contraire aux principes mêmes du fonctionnement économique. Ce qui aide véritablement Genève à s'en sortir, les chiffres du chômage et des rentrées fiscales le confirment, ce sont bien les allégements fiscaux et l'attraction, voire la stabilisation d'entreprises dans notre canton.

A ce sujet, il est frappant de constater le mutisme du rapporteur sur les relations pour le moins troubles entre le département de l'économie et celui des finances, mises à nu lors d'un échange épique... (Exclamations et rires.) mises à nu lors d'un échange épique entre M. Lamprecht et Mme Calmy-Rey... (L'orateur est pris de fou rire.) ...lors de l'audition de cette dernière. On a ainsi appris, pour ceux qui ne le savaient pas encore, que lorsque M. Lamprecht fait du porte-à-porte économique - il le fait d'ailleurs fort bien - pour attirer les entreprises à Genève, il n'est pas en mesure de leur parler d'allégements fiscaux, le département des finances gardant jalousement ce genre d'informations pourtant vitales, au nom de je ne sais quel secret fiscal ! Au sein du gouvernement, on ne parle pas toujours le même langage ; le résultat, on l'a constaté avec la perte de BAT et donc de centaines de postes de travail.

Les intentions de ce projet sont louables, mais en 1996 nous étions à la veille des élections cantonales - ce qui a peut-être incité quelques brebis égarées ou intéressées à le signer - et surtout nous étions dans une situation différente. Tout ce qui n'est pas verbiage et divagations dans ce projet existe déjà, Mesdames et Messieurs, et est pratiqué avec efficacité par le département de l'économie. Le reste est inutile. Ce projet crée un conseil coûteux et fantoche de quinze personnes supplémentaires, qui colloqueront sur les erreurs des uns et des autres sans rien proposer de concret, et met sur pied un office de promotion économique dont les tâches sont déjà assurées. C'est pour toutes ces bonnes raisons que nous vous invitons, Mesdames et Messieurs, à refuser ce grand machin !

Mme Stéphanie Ruegsegger (PDC). En préambule, permettez-moi, Mesdames et Messieurs, de faire quelques commentaires quant à la forme du rapport. Après un long éloge à la gloire de l'initiative 105 - mais il est vrai que l'on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même ! - et un très ou trop bref compte rendu des auditions, le rapporteur se fend de longs et douteux sarcasmes sur les commentaires de la minorité de la commission, commentaires qu'il n'a du reste pas jugé utile de rapporter dans son rapport. Pourtant, un rapporteur, dût-il être de majorité, se doit avant tout d'informer l'ensemble de ses collègues de façon impartiale sur les travaux de la commission, quitte à se fendre en fin de rapport d'un commentaire plus incisif.

Quant au fond, je me référerai à l'origine de ce projet de loi, l'initiative 105. Je n'entends pas remettre ici en question la motivation de fond de cette initiative, dont le but était tout à fait louable, mais force est de constater que de l'eau a coulé sous les ponts depuis cinq ans, moment où l'initiative dont s'inspire le présent projet de loi a été déposée. Ce projet de loi n'a donc plus du tout la même actualité et la même pertinence qu'au moment du dépôt de l'initiative. Ce qui semble avoir conservé toutefois toute sa vigueur, c'est l'animosité du rapporteur envers l'ancien magistrat en fonctions à l'époque, que l'on perçoit très nettement dans ce rapport. En plus d'être déplacée, elle est avant tout fort dommageable au présent projet de loi, car manifestement on ne fait pas de bons projets avec un esprit revanchard.

Nous sommes certainement tous d'accord, ou presque, pour relever l'importance de la promotion économique, mais on doit bien constater que les moyens pour la mettre en oeuvre divergent. Le rapporteur se fend du reste délicatement de commentaires sarcastiques quant à la volonté de la minorité d'aller de l'avant sur ce dossier. Je m'en tiendrai pour ma part aux faits.

Plus que d'une loi, rigide qui plus est, la promotion économique a avant tout besoin de moyens pour être mise en oeuvre ; je rappellerai à cet égard la proposition faite en commission des finances par la gauche de diviser de moitié le budget de la promotion économique, proposition qui a fort heureusement été corrigée en plénum lors du vote du budget 2000... Mais revenons au projet de loi. Pour la majorité de la commission, la promotion économique a donc besoin d'une loi-cadre. Soit ! Je constate simplement que ces dernières années de nombreux instruments de promotion économique ont été créés à Genève sans que le besoin d'une telle loi se soit fait sentir. Le problème, c'est qu'en fait de loi-cadre, on nous propose ici un instrument rigide, une sorte de mise sous tutelle du département compétent, qui confond des objectifs de nature très différente, tels que la réduction du temps de travail ou l'égalité des sexes, et qui ne correspond absolument pas aux exigences de la promotion économique, qui elle réclame une certaine souplesse.

Ce malaise a d'ailleurs été relevé lors des différentes auditions, au cours desquelles certains intervenants nous ont fait part de leurs interrogations quant à la nécessité et au bon fonctionnement d'une telle loi et principalement de son instrument central, le conseil stratégique. Ces commentaires sont du reste d'autant plus pertinents et relevants que ces mêmes intervenants auraient une place au sein de ce conseil stratégique. Etant donné que le rapporteur a omis de le faire, je développerai ici deux points qui me semblent poser particulièrement problème et qui ont été relevés à réitérées reprises en commission.

Tout d'abord, à l'article 1 - et cela fera l'objet d'amendements tout à l'heure - la notion d'entreprises économiquement viables a été supprimée. Or, il semble évident que le but de la promotion économique doit être de promouvoir ce type d'entreprises là, avant toute autre considération. Ensuite, à l'article 4, il est notamment dit que le Conseil d'Etat a pour mission de coordonner la politique de promotion économique. Là, je dois dire que nous ne comprenons pas pourquoi ce serait au Conseil d'Etat de coordonner, alors qu'il y a un département répondant qui est celui de l'économie. Si je comprends bien que c'est au Conseil d'Etat de prendre des décisions en matière de promotion économique, il me semble qu'en matière de coordination on peut confier cette tâche au département compétent.

Cet excès de zèle de la part de la majorité de la commission est d'autant plus cocasse que dans un autre projet de loi, la LIPP 1, l'article 15 mentionne, en totale contradiction avec l'article 11 de la présente loi, que le département, en l'occurrence non plus celui de l'économie mais celui des finances, statue sur toute demande d'allégements fiscaux. Dans un cas, lorsqu'il s'agit d'une décision d'une importance évidente, c'est le département qui pourra statuer - c'est le cas de la LIPP et des allégements fiscaux - et dans un autre il ne s'agit plus que de coordination, mais là, c'est au Conseil d'Etat qu'incombe cette mission. Je dois dire que je ne vois pas où est la cohérence !

En conclusion, je souhaiterais remercier le département de l'économie ainsi que les fonctionnaires de ce département pour l'impressionnant et efficace travail qu'ils ont effectué sur ce dossier. Le rapporteur n'en dit pour ainsi dire rien, mais si la commission a pu avancer sur ce projet, c'est principalement grâce au travail du département, qui a su rédiger une version du projet de loi nettement plus digeste et compréhensible, version qui a malheureusement été oubliée dans le présent rapport !

M. Rémy Pagani (AdG). Ce projet de loi fait suite à une initiative de bon augure lancée pendant la crise économique que nous avons traversée, une initiative des syndicats qui allait beaucoup plus loin que le projet de loi qui nous est soumis. En l'occurrence, nous pouvons dire que la montagne a accouché d'une souris ! En effet, tout a été fait pour faciliter un certain nombre de mesures économiques, pour faciliter l'implantation des entreprises, mais quasiment rien n'a été retenu en ce qui concerne la précarité de l'emploi à Genève. On va donc mettre en oeuvre, si cette loi entre en vigueur, toute une série d'allégements fiscaux, de mesures de soutien à l'économie locale, mais en oubliant ceux qui participent de manière concrète à la vie économique, c'est-à-dire les travailleurs.

J'en veux pour preuve, par exemple, que l'initiative des syndicats retenait la notion d'emplois socialement utiles. Cette notion-là a disparu au profit de la notion très vague qu'est le développement durable. Que peuvent attendre les travailleurs du développement durable, si ce n'est une pérennité de leurs emplois ? Celle-ci ne figure pas dans ce projet de loi. Nous avions aussi espéré des mesures actives de formation professionnelle, qui n'auraient pas été financées uniquement en prenant l'argent dans la poche des travailleurs, c'est-à-dire dans la caisse de chômage, mais auxquelles auraient participé concrètement les employeurs, en accordant notamment des dispenses pendant les heures de travail. Nulle part dans cette loi ne figurent ces propositions. En ce qui concerne le logement - la chose est d'importance pour les travailleurs - l'initiative des syndicats préconisait le maintien de logements bon marché au centre-ville et à l'extérieur. Cette notion n'a pas non plus résisté aux travaux de la commission. Quant à l'équilibre entre le logement et les activités, en vue de supprimer un certain nombre des déplacements pendulaires imposés aux travailleurs, il a aussi disparu. De même, la réduction du temps de travail ne figure plus dans ce projet que par une petite allusion aux conventions collectives.

Bref, toute une série de conditions qui auraient permis de pérenniser, voire d'améliorer les conditions de travail de la majorité des employés de ce canton ont disparu. Ce projet de loi fait la part belle aux employeurs et oublie la précarisation du statut des travailleurs, la société à deux vitesses... Je rappelle qu'au sortir de la crise certains sont toujours plus riches, alors que d'autres vivent des conditions de travail qui se sont largement dégradées pendant ces dix dernières années. J'en veux pour preuve l'augmentation du travail à l'appel dans ce canton, qui n'existait pas au début des années 90 et qui aujourd'hui représente, dans certaines entreprises, plus de 20% du potentiel des emplois.

Cela dit, nous soutiendrons malgré tout ce projet de loi, parce qu'une loi-cadre qui permette de finaliser un certain nombre des mesures, en dehors de celles qui ont été adoptées, telles que Start-PME et j'en passe, nous paraît indispensable. Nous proposons toutefois un amendement concernant la composition du conseil stratégique de la promotion économique. Comme certains des bancs d'en face l'ont dit, si on ne veut pas faire la part belle aux techniciens, aux technocrates, il s'agit de faire en sorte que l'ensemble des partis politiques présents dans notre parlement y soient représentés. En effet, il ne faut pas se faire d'illusions : la promotion économique est une question éminemment politique. Nous proposons donc un amendement à l'article 6, alinéa 2, nouvelle lettre d) : «un membre part parti politique représenté au Grand Conseil et élu par lui». Ce qui porterait de quinze à vingt et un le nombre des membres du conseil stratégique de la promotion économique.

Quant aux amendements proposés par M. Desplanches, nous estimons qu'une OPA se cache derrière les petites phrases du genre : «Le département coordonne ses activités». En effet, cela signifie qu'en définitive Mme Calmy-Rey, responsable des finances, n'aurait plus les moyens de contrôler les revenus de notre canton. Ce serait lui enlever quasiment ses pouvoirs en ce qui concerne les exonérations fiscales et nous estimons déplorable de proposer un tel amendement dans la mesure où il mettrait en péril l'équilibre financier de notre canton.

M. Armand Lombard (L). J'ai fait partie un certain temps de la commission de l'économie et je l'ai quittée il y a trois ou quatre ans, si bien que je n'ai plus suivi les débats qui ont permis à cette loi - non pas d'être rédigée, car elle l'était depuis quelques années - mais d'arriver devant le plénum. J'ai entendu les mots sarcames, tristesse : quant à moi je suis moins chagrin que certains de mes collègues concernant cette loi. En effet, ayant quitté le bateau et le retrouvant dans sa formulation actuelle, je trouve que finalement il amène quelque chose.

Ce projet n'est pas indispensable dans le sens où, c'est vrai, il n'est pas une somme de scoops économiques ; on n'y trouve pas d'apports nouveaux et transcendantaux, mais simplement un état de ce que peut faire la promotion économique du canton. Ce n'est certes pas vital, mais c'est une transparence utile. C'est ce qu'on appellerait, dans les milieux lettrés, un catalogue raisonné de la promotion économique. Notre Grand Conseil est souvent le lieu de débats extrêmement violents, d'incompréhensions souvent recherchées et un tel projet, qui énumère les éléments d'une politique, qui explique une politique, qui donne une direction, est un bel acquis pour la cité, pour la République. Qu'on soit tout à fait d'accord avec le projet, comme moi, ou pas tout à fait d'accord, comme M. Pagani, et quelles que soient les modifications qu'on peut proposer, nous avons là un exposé qui tient debout et j'en suis très reconnaissant à la commission de l'économie, qui me semble avoir bien fait son travail, comme au chef du département. L'OGCM, Start-PME, la LAPMI, les allégements fiscaux, tout y est.

Il est vrai, Monsieur Pagani, qu'on n'y trouve pas de recettes de cuisine dans le domaine de la protection des travailleurs, dans le domaine du traitement social de l'économie. C'est vrai, mais on ne peut pas tout traiter en même temps. A mon sens, ce projet est déjà un bon inventaire de mesures plus techniquement économiques, même si vous regrettez de ne pas y retrouver - mais heureusement, je crois ! - la pérennité de l'emploi, par exemple. Vous n'y retrouverez en effet ni assurance de nouveaux emplois, ni statuts sociaux figés, car vous savez bien qu'il y a deux façons essentielles de soutenir l'économie. D'une part, celle qui consiste à stimuler, à tâcher de rendre responsable - même si cela ne marche pas dans tous les cas - à soutenir des gens sur la base de l'innovation, de la responsabilisation, etc. Et puis, celle qui consiste - et l'une n'exclut pas l'autre - à assister ceux qui ne peuvent plus continuer, qui ont trop de difficultés, etc. Mais vous ne pouvez pas demander les deux à la fois dans la même loi. Celle-ci est une loi de promotion économique et je crois qu'à cet égard elle remplit bien son rôle.

J'aimerais faire quelques commentaires, quelques addenda que je présenterai tout à l'heure sous forme d'amendements. Je crois que ce projet n'insiste pas suffisamment sur le partenariat avec ce qui existe déjà dans le secteur privé ou dans le secteur mixte, avec des organismes subventionnés ou tout à fait indépendants. Je souhaite donc souligner la nécessité d'un partenariat entre le département de l'économie et les autres organismes. Je sens un peu trop pointer dans ce projet de loi la responsabilité unique et solitaire du département de l'économie pour la promotion. Je vous rappelle que celle-ci est d'abord et surtout l'affaire des entreprises, des entrepreneurs, des travailleurs qui travaillent dans ces entreprises. Je regrette donc l'absence de cette notion de partenariat.

Je regrette aussi, et j'espère que M. Lamprecht ne prendra pas cela comme une attaque car je sais que c'est une de ses préoccupations, l'absence de toute référence à la région romande, à ce bassin socio-économique de 2 millions d'habitants. On sait qu'à côté de la promotion économique genevoise, il y a une promotion économique vaudoise, une neuchâteloise, une fribourgeoise et que, chaque fois qu'on le peut, on se rentre dans le cadre, avec de graves blessures de part et d'autre ! J'espère donc qu'on pourra fondamentalement prendre en compte la dimension romande. Je rappelle ici que j'avais déposé, avec un certain nombre de députés, voilà je ne sais combien de siècles, une motion X, puis une deuxième motion Y - elles sont tellement anciennes que je ne me souviens plus de leur numéro - qui demandait au Conseil d'Etat une coordination des politiques de développement économique des cantons romands. La réponse, nous ne l'avons jamais vue ! Si bien que je serais content qu'on en ait une trace à l'occasion de ce projet et c'est pourquoi je présenterai un amendement dans ce sens. Nous ne pouvons en effet plus jouer tout seuls, petit caton du bout du lac de 500 000 habitants, si nous voulons trouver une dynamique responsabilisante.

Avant-dernier point, concernant le conseil stratégique : à l'évidence il s'agira de coordonner et de bien réfléchir la chose. On aura dans quelques semaines un nouveau conseil stratégique et on aura toujours un Conseil économique et social. Je suppose que l'un sera plus social et que l'autre sera plus orienté vers la promotion, mais il s'agira de coordonner leurs actions, parce que, à l'évidence, ces deux entités risquent de faire un peu beaucoup dans le tableau, si leur fonctionnement n'est pas exactement défini.

En dernier lieu, je relève, comme l'a fait mon camarade Mauris, que l'on parle beaucoup de l'Etat et pas beaucoup du département. Je crois quant à moi que le département de l'économie doit se charger de la promotion économique - l'économie à l'économie - mais il est bien évident que cela ne signifie pas qu'il va cacher ses chiffres à celui des finances ! C'est grotesque ! De même, le volet fiscal devrait aussi être vu par le département de l'économie. Le gouvernement, le Conseil d'Etat est censé travailler en commun, en coopération, alors soyons raisonnables ! A notre avis, il vaut mieux charger de cette mission le département, qui prendra les claques si cela va mal, plutôt que de dire : c'est l'affaire des sept magistrats et puis on verra bien !

Voilà, j'interviendrai tout à l'heure pour présenter les deux amendements que j'ai mentionnés.

M. Claude Blanc (PDC). Mon collègue Visseur tout à l'heure a dit de ce projet de loi qu'il était l'oeuvre des frustrés de l'initiative 105, initiative invalidée par ce Grand Conseil tant elle était «fous-y tout» et dans laquelle une chatte n'aurait pas retrouvé ses petits. J'ajouterai que le rapport de la commission est, lui, l'oeuvre d'un frustré supplémentaire. Il est l'oeuvre d'un homme qui se voyait déjà dans le fauteuil de responsable de l'économie. Or, il se trouve que le parti socialiste a désigné d'autres candidats au Conseil d'Etat : M. Beer a de la peine à s'en remettre... (Exclamations.) et c'est pourquoi il distille le venin à chaque page de son rapport, sous-entendant que s'il était là, cela irait mieux ! On disait dans le temps à propos de l'Académie française qu'on en était ou qu'on en riait. M. Beer, lui, dit du département de l'économie qu'on en est ou qu'on en bave ! Et il bave, il bave son venin à toutes les pages, il dit tout et n'importe quoi et surtout n'importe quoi !

En effet, à la page 5 du rapport, M. Beer dit entre autres : «... dans une période qui comptera plus de 12 000 suppressions d'emplois (jusqu'aux rentes genevoises)...» J'aimerais bien savoir ce que les rentes genevoises viennent faire là-dedans. Cela prouve vraiment que M. Beer écrit n'importe quoi dans sa rage de se venger, ou bien alors qu'il a un ordinateur qui déconne et qui reprend des phrases dans d'autres textes pour les insérer pêle-mêle là-dedans... A moins qu'il me l'explique, cette phrase est la preuve du manque de sérieux de ce rapport, de l'acharnement que M. Beer met à démolir un département dont il voudrait bien être le chef en disant vraiment n'importe quoi, et je le prouve !

Maintenant, venons-en au projet de loi lui-même et à la philosophie de ses auteurs. Je lis à la page 31, à l'article 1, alinéa 4 : «L'Etat mène une politique active de promotion économique, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du canton.» D'accord, mais les mêmes qui vous demandent de voter cela ce soir ont voulu, lors du dernier budget, amputer le budget de la promotion économique de moitié. Pourquoi ? M. Beer l'a répété tout à l'heure, avec son venin habituel : parce que la promotion économique, ce n'est pas le roi qui sort avec sa horde ! (Brouhaha.) Monsieur Beer, horde est déjà un terme infamant, qui revient dans votre bouche, mais si vous pensez que la promotion économique, ce sont les déplacements du conseiller d'Etat chargé de l'économie, vous vous mettez le doigt dans l'oeil bien profondément. A ma connaissance, le responsable de l'économie est sorti une seule fois d'Europe, pour aller à Silicon Valley où il vaut la peine d'aller puisque c'est là-bas qu'on peut entrer en contact avec des entreprises intéressantes. La preuve, c'est qu'un certain nombre d'entre elles sont déjà venues chez nous. Alors, quand on écrit d'un côté que l'Etat mène une politique active à l'intérieur et à l'extérieur et que dans le même temps on veut diminuer le budget y relatif de moitié, on est d'une mauvaise foi incroyable. Mais enfin, cela ne nous étonnera pas, nous en avons l'habitude !

D'autre part, Mesdames et Messieurs les députés, demain, vous serez appelés à voter sur la halle 6 et, demain, les mêmes qui écrivent ce que je viens de vous lire voteront, puisqu'ils sont majoritaires, un impôt supplémentaire qui viendra charger l'économie genevoise, alors que c'est précisément ce qu'il ne faudrait pas faire. Si on veut faire de la promotion économique, il faut précisément offrir aux entreprises qui produisent de la valeur ajoutée et qu'on veut attirer ou garder à Genève des conditions-cadres raisonnables. Non seulement vous ne le faites pas, mais vous voulez en plus les charger d'un centime supplémentaire, sous prétexte que la halle 6 va leur profiter à elles plus qu'aux autres. En fait, et nous le dirons demain, la halle 6 profite à tout le monde et le travail que le Conseil d'Etat a fait pour aboutir à la halle 6 est beaucoup plus efficace que les élucubrations que nous trouvons dans ce projet de loi. En effet, que trouve-t-on dans ce projet de loi en définitive ? On n'y trouve qu'une structure supplémentaire et du bla-bla en abondance, mais le bla-bla n'a jamais créé d'emploi et ne peut fournir que des jetons de présence à ceux qui courent après !

Une voix. Bravo, Claude !

Mme Dolorès Loly Bolay (AdG). Décidément, ce soir on entend un peu tout et n'importe quoi ! Il est vrai qu'il est 21 h et que certaines personnes ont dit avoir eu un dîner bien arrosé ! (Exclamations.)

On a entendu M. Visseur dire tout à l'heure que c'était une loi inutile. Mesdames et Messieurs les députés d'en face, vous nous reprochiez il n'y a pas longtemps notre inaction, M. Blanc disait que la gauche ne faisait rien en faveur des petites et moyennes entreprises. Aujourd'hui, nous vous proposons un projet de loi en faveur des petites et moyennes entreprises, visant à donner un cadre légal à la promotion économique, et vous refusez ce projet de loi. Décidément, il est difficile de vous suivre, moi je n'y comprends plus rien !

D'un autre côté, on nous dit que la montagne a accouché d'une souris. Evidemment, je ne partage pas du tout cet avis ; je trouve que c'est faire fi du travail énorme que la commission de l'économie a accompli pendant quarante-quatre heures de séance, je vous le rappelle. En l'occurrence, je vous dirai ceci : qui peut le plus peut le moins. Les syndicats soutiennent ce projet de loi, nous le soutenons. Ce n'est peut-être pas tout à fait ce que nous aurions voulu, mais c'est un pas en avant, qui va dans le bon sens.

J'aimerais rappeler qu'à Genève il y a près de 11 000 chômeurs et 16 300 demandeurs d'emplois. Que vise ce projet de loi ? Il vise à donner un cadre légal au développement de l'activité économique, afin de préserver et de créer des emplois, et cela n'est pas rien. Les outils mis en place - Start-PME, LAPMI, OCGM - sont nécessaires, on l'a dit, au développement économique. Je vous rappellerai aussi qu'à Genève il y a 15 500 entreprises. Les micro-entreprises représentent 80% d'entre elles, c'est-à-dire 12 500. C'est dire le rôle important que ces entreprises jouent au niveau de l'emploi. Enfin, les allégements fiscaux sont un autre outil nécessaire qui permet l'aide au démarrage de nouvelles entreprises.

Cela, sans oublier que ce projet de loi tient compte de la notion de développement durable que Mme Briol a évoquée tout à l'heure, car les discours tout à l'économie ne constituent pas la solution de l'avenir. La dimension sociale et la dimension environnementale doivent être présentes. Voilà les raisons pour lesquelles les commissaires de l'Alternative au sein de la commission de l'économie étaient unanimes pour voter ce projet de loi, ce que je ferai ce soir, en invitant les autres membres de l'Alternative à faire de même.

M. Charles Beer (S), rapporteur. Je me bornerai à répondre ici aux interventions parlementaires dignes de ce nom !

Premier élément : les propos de M. Pagani concernant les limites du projet de loi comparé à l'initiative. Oui, bien sûr, ce projet de loi ne reprend pas l'intégralité des volets de l'initiative. Je rappelle que si le Grand Conseil avait invalidé l'initiative, c'est parce qu'il pensait justement qu'elle contenait trop de matières différentes, qui ne pouvaient être liées entre elles et que, du point de vue juridique, le peuple n'aurait pas pu se faire une idée claire sur l'ensemble de l'initiative et aurait pu vouloir accepter un certain nombre de volets et en refuser d'autres. Les syndicats ont donc décidé de soutenir l'élaboration d'un certain nombre de projets de lois pour concrétiser, champ par champ, les divers éléments de l'initiative. C'est pourquoi ce soir, oui, il s'agit d'un projet de loi sur le développement économique et, non, il ne s'agit pas d'un projet de loi qui vise la protection des travailleurs et des travailleuses. Je crois qu'il faut le répéter, il ne doit pas y avoir de malentendu là-dessus. Le seul élément qui relève quelque peu du lien employeurs-employés est «l'innovation sociale» que j'ai évoquée tout à l'heure.

Le deuxième souhait de M. Pagani, qui sera concrétisé tout à l'heure par un amendement, consiste à introduire des représentants de l'ensemble des partis politiques dans le conseil stratégique. Pour ma part, je trouve qu'un tel amendement aboutirait principalement à affaiblir le rôle du Grand Conseil. J'en veux pour preuve que l'article 7 du projet de loi dit déjà très clairement que chaque année le Conseil d'Etat fournit un rapport au Grand Conseil sur l'ensemble de la promotion économique, qui doit être évaluée, faire l'objet d'une information, revenir devant le Grand Conseil. En l'occurrence, l'amendement revient à reléguer les partis représentés au Grand Conseil au rôle de commission consultative du Conseil d'Etat et je ne crois pas que ce soit placer le parlement à sa juste place. Il y a là un mélange des genres qui n'est pas souhaitable et qui du reste n'est jamais pratiqué lorsqu'on parle de tripartisme.

Maintenant, à propos des points soulevés par M. Lombard et de certaines de ses craintes qu'on pourrait comprendre, j'aimerais attirer son attention sur l'article 4 qui me semble assez clair. Je me permets d'en lire l'alinéa 1 qui dit : «L'Etat coordonne ses activités sur le territoire genevois avec les institutions fédérales, cantonales et communales et collabore avec les institutions privées et régionales qui poursuivent les mêmes buts.» C'est dire qu'à la fois les organismes privés et la dimension régionale sont mentionnés dans les principes généraux. Quant à la concrétisation de cette coordination, je crois qu'elle doit être l'affaire du département et il me semble difficile d'aller au-delà. Mais il s'agira de voir concrètement dans quelle mesure l'amendement proposé est souhaitable, voire s'il est situé à la bonne place.

A M. Visseur..., qui n'est plus là et qui fait donc un peu comme à la commission de l'économie, où il est rarement intervenu, avant de se livrer ici à une critique relativement sévère ! M. Visseur ne doit pas oublier trop vite que le groupe radical avait été un peu mal à l'aise, pour ne pas dire davantage, devant l'invalidation de l'initiative et qu'à l'époque, si ma mémoire est bonne, les radicaux avaient déposé une motion invitant à concrétiser tous les points de l'initiative 105 sous forme de projets de lois. C'est un premier élément.

Deuxième élément, M. Visseur cite la BAT comme exemple des points problématiques de la collaboration. S'il y a peut-être eu un certain nombre de couacs ou de ratés en la matière - ce sont les termes qu'il emploie - je rappellerai quand même que, sauf erreur, M. Segond, conseiller radical si je ne me trompe, avait lui-même souhaité, en fonction de son attachement à l'OMS, que la BAT s'éloigne quelque peu de Genève. J'ai donc l'impression que M. Visseur règle finalement plus de comptes avec le parti radical, voire avec un de ses magistrats, qu'avec le contenu du rapport. Par ailleurs, M. Visseur a été tellement confus à un certain moment qu'il a appelé le professeur Bürgenmeier à son secours, rappelant que celui-ci avait dit que le principe même de la promotion économique était une notion anti-économique. Or, en utilisant et en expliquant cette citation, il a plutôt fait la démonstration qu'il souhaitait, non pas le rejet du projet de loi, mais la suppression de la promotion économique, ce que nous ne souhaitons bien entendu en aucun cas. Là, le représentant du parti radical s'est un peu égaré...

Enfin, le groupe démocrate-chrétien a tenu un certain nombre de propos qui ma foi sont assez courants dans ce genre de débat : il s'agit de protéger son magistrat, de dénoncer une prétendue paranoïa ou quelque complot sournois qui viserait à mettre sous tutelle son énergique, courageux et admirable chef de département.. Quant à moi, je ne critique pas M. Lamprecht et à cet égard le groupe démocrate-chrétien a des craintes absolument injustifiées. En revanche, lorsqu'il s'agit de mettre en synergie un certain nombre de points importants de la politique gouvernementale, lorsqu'il s'agit d'assurer la cohérence des choix et de l'action gouvernementale, je crois qu'il faut en appeler au collège, et non pas compter simplement sur quelques transferts de compétences.

Dernier élément de réponse au parti démocrate-chrétien et plus généralement aux députés de l'Entente qui se sont exprimés contre ce projet de loi. J'entends ce soir des propos extrêmement virulents, pas seulement sur le ton du rapport, mais également sur le projet de loi lui-même et je les ai entendus aussi en commission, où le groupe démocrate-chrétien, avec l'appui des représentants de l'Entente, avait annoncé, de manière extrêmement claire et décidée, un rapport de minorité. Ma foi, je dois constater, étant seul à la table des rapporteurs, que l'indignation devant la mise en péril de la République et devant notre prétendue volonté de museler le chef du département a finalement vite été oubliée dans les bulles de champagne qui ont probablement accompagné l'élection de M. Vaudroz !

M. Carlo Lamprecht. Mesdames et Messieurs les députés, vous avez tous reçu, de la part vos conseillers d'Etat préférés, une carte de voeux de fin d'année où était reproduite une phrase d'Albert Einstein, qui disait : «C'est l'avenir qui m'intéresse parce que c'est là que je vais passer le restant de ma vie.» !

Ce soir, je ne reviendrai donc pas sur le passé. Votre rapport, Monsieur le rapporteur, m'a bien sûr un peu choqué au début, même s'il ne me concernait que peu. Je trouvais que c'était un peu fort de tenir de tels propos, alors que vous n'étiez même pas député à l'époque, mais je vous pardonne car je connais votre énergie et votre enthousiasme. Je ne reviendrai donc pas sur ces propos, il ne m'appartient pas de les commenter. En revanche, j'aimerais parler de l'avenir.

Mesdames et Messieurs les députés, quelles que soient nos opinions politiques, nous devons aborder l'avenir en tenant compte de la réalité d'aujourd'hui. On peut difficilement faire autrement, à moins de décider de changer le monde... Je le changerais volontiers avec vous, mais cela risque de prendre du temps ! Et d'ici là nous aurions peut-être beaucoup plus de chômeurs, Genève serait peut-être désertée, parce que nous ne ferions pas la même chose qu'ailleurs ! Etre socialement plus évolués, plus justes, ce sont aussi des aspirations qui m'interpellent, que j'aimerais bien défendre. Mais aujourd'hui, en tant que chef du département de l'économie, un de mes rôles - j'en ai d'autres, on a parlé tout à l'heure des problèmes de l'office cantonal de l'emploi par exemple ; à ce propos, il me semble qu'on sort un problème à chaque virage ! - c'est de donner à Genève les moyens qui lui permettent de rester compétitive, non seulement sur le plan national mais également sur le plan international. Cela afin de conserver déjà les emplois existants, puis d'en créer de nouveaux et d'engendrer par là les ressources fiscales nécessaires au bien-être social.

Monsieur le président, si vous me le permettez, je serai peut-être un peu long, mais je prends rarement la parole et ce soir je suis dans mon élément... J'en viens à ce que je considère comme des éléments déterminants de la promotion économique, ceux qui lui permettent d'être efficace mais aussi d'être bien comprise.

Ce projet de loi, vous l'avez dit comme d'autres dans cette salle, Monsieur le rapporteur, a mis du temps pour arriver dans cette enceinte, comme tout ce qui se traite dans ce parlement. Entre-temps, bien des choses ont été réalisées ; vous avez cité quelques-uns des instruments de financement et d'aide à la création d'entreprise qui ont été mis en place. En l'occurrence, lorsqu'une entreprise décide de mettre en route un projet, il y a un moment d'inertie : pour que ce projet se concrétise, il faut réunir des moyens. Il est vrai qu'il y a eu quelques échecs retentissants, dont on nous rebat régulièrement les oreilles ici, mais il ne faut pas oublier tous les résultats positifs que ces instruments financiers ont permis. Et là, je vous en suis redevable, car ce n'est pas moi qui ai mis en place ces instruments : c'est vous, avec le précédent chef du département. Aujourd'hui, ils nous permettent de créer des emplois. Je ne me hasarderai pas à vous donner des chiffres, car vous pourriez dire que, venant de moi, ils sont surévalués ou que j'essaie de vanter le travail de mon département, mais je peux vous dire qu'ils sont bons. Ce sont des chiffres qui viennent des entreprises elles-mêmes, qui portent sur l'évolution de l'effectif de ces entreprises depuis le moment où elles se sont créées, ou depuis le moment où elles sont arrivées à Genève.

On n'a pas évoqué ce soir tous les commerçants et artisans, qui font partie du tissu économique et qui ont survécu ou qui ont pu se développer avec l'appui de l'OGCM. On n'a pas parlé des activités de la Fongit en matière de transferts technologiques, qui a aussi de bons succès. Et puis, bien sûr, on parle rarement, pour des questions de discrétion, des entreprises en difficulté qui déferlent dans nos bureaux et dont il faut voir quelle est la structure, l'organisation, avant de décider d'une intervention, si on peut les aider financièrement, comment sauver les emplois. A ce niveau-là, je peux vous dire, contrairement à ce que vous pensez, que les relations interdépartementales fonctionnent bien. Tout cela est un travail qui se fait dans l'ombre, qui ne se voit pas ; pour des raisons de discrétion, nous n'en parlons pas, c'est vrai, mais c'est un travail efficace.

Je vais plus loin. A un moment donné, certains ont dit qu'il y avait beaucoup d'organismes, que chacun d'eux tirait de son côté, qu'il fallait restructurer, coordonner tout cela. Eh bien, nous l'avons fait, nous avons instauré une coordination entre tous ces organismes actifs dans la création, le soutien et l'encadrement d'entreprises. Des réunions périodiques, auxquelles Genilem participe d'ailleurs, sont organisées pour comparer les forces, pour voir où nous sommes complémentaires et ce que nous pouvons faire ensemble, dans l'intérêt général de l'économie genevoise. De même, le guichet unique que vous attendiez depuis longtemps a été ouvert. Et vous aviez raison de le réclamer, puisqu'il n'est pas ouvert depuis une année que déjà 500 porteurs de projets se sont présentés. Tous ces projets, je le répète, qu'ils concernent des entreprises nouvelles, ou des entreprises en difficulté, demandent une analyse. Il ne s'agit pas de recevoir un dossier et de dire immédiatement s'il est bon ou s'il n'est pas bon. Il faut du temps, il faut du personnel pour faire un travail d'analyse et ce travail se fait.

Par ailleurs, ce même guichet va ouvrir la semaine prochaine deux nouveaux services sur Internet, visant à mettre en relation les investisseurs potentiels et les porteurs de projets. Nous instituerons un comité de sélection pour valider ces projets, de sorte que des gens s'intéressent à y investir de l'argent, car c'est souvent ce qui manque pour créer une entreprise. Une autre action dont on ne parle pas, mais qui a un très grand succès, ce sont les cours que nous avons mis sur pied. Créer une entreprise, ce n'est pas simple et nous avons mis sur pied des cours pour les gens intéressés. Ces cours ont un succès fantastique, puisque plus de 350 personnes les ont déjà suivis. Ils sont organisés dans différentes communes, en collaboration avec la Banque cantonale, et à chaque fois on nous en redemande. Les gens sont intéressés, ils nous félicitent et cela nous encourage pour aller de l'avant.

Mesdames et Messieurs, nous sommes aussi sensibles au problème des transferts de technologie, nous n'avons pas attendu que vous nous en parliez. C'est un problème important : des richesses, des connaissances dorment dans les universités, dorment dans les écoles polytechniques fédérales - encore que ces dernières se débrouillent très bien en matière de transferts de technologie. Là aussi, nous allons mettre en place prochainement, avec l'université, l'EPFL, le CERN, les hôpitaux universitaires genevois, les HES et les EIG, un site à destination de celles et ceux qui auraient des idées novatrices, un sorte d'incubateur, comme on dit, et nous aiderons ces gens à concrétiser leurs projets, créateurs de nouvelles entreprises et de nouveaux emplois.

Voilà pour ce qui est du soutien à la création de nouvelles entreprises et du travail efficace que le département entend faire.

En ce qui concerne la promotion industrielle, vous savez que notre industrie souffre. C'est vrai, l'industrie traditionnelle a de la peine à tenir la rampe aujourd'hui et à cet égard nous sommes en train de revoir, pour les adapter aux exigences économiques de ce secteur, les missions de l'OPI, qui fêtera ses vingt-cinq ans l'an prochain. Un groupe de travail pluridisciplinaire a été mis sur pied, avec des gens de terrain, des gens qui savent ce qu'est une entreprise et qui seront nos partenaires.

Venons-en aux voyages à l'étranger. La promotion économique dite exogène vise à inciter des entreprises extérieures à Genève à venir s'y installer. M. Lombard nous l'a rappelé : il ne faut pas nous regarder le nombril et croire que Genève est le centre du monde, il faut travailler avec les autres. En l'occurrence, sachez, Monsieur Lombard, que nous menons deux actions communes avec le canton de Vaud à l'étranger cette année, et deux autres en Suisse. Nous essayons de réunir nos efforts car ils sont importants. De même, j'ai déjà eu des contacts afin d'élargir cette coopération à la région franco-suisse. C'est un peu plus difficile, mais nous y arriverons. Dans un contexte européen, l'avenir de Genève dépendra aussi de l'avenir de la région que je définirai comme lémanique-Rhône-Alpes.

Dans ce sens, un réseau a été mis en place aujourd'hui par le département. J'ai entendu certains dire que c'était inutile, une simple promenade, mais quoi que vous en disiez ce réseau est efficace ; il suffit d'en voir les résultats sur le terrain. La stratégie du département est d'être présent là où se créent de nouveaux produits, là où surgissent de nouvelles idées, là où des entreprises sont susceptibles de venir s'implanter en Europe. Nous devons assurer cette présence, comme le font les autres cantons - Neuchâtel, Vaud - et tous les pays européens. Vous ne pouvez donc pas nous reprocher de prospecter à l'extérieur, comme vous l'avez fait lors de la dernière session, lorsque vous vouliez couper de moitié le budget de la promotion pour supprimer les voyages du chef qui se promène avec sa cour, disait-on ! Sachez que la promotion à l'étranger est nécessaire. Si vous n'avez pas compris cela, c'est que nous ne sommes pas sur la même longueur d'ondes. Vous avez le dernier mot, puisque vous votez, mais quant à moi je crois qu'il faut donner des moyens à cette promotion économique à l'extérieur.

J'ai les chiffres, Monsieur Beer, qui montrent que chaque emploi à haute valeur ajoutée - ce n'est pas moi qui l'ai inventé, ce sont les économistes qui le disent - crée entre deux et cinq autres emplois à l'extérieur. C'est dire que si nous voulons des emplois dans tous les domaines, il faut éviter de diaboliser les grandes entreprises multinationales qui s'installent à Genève, car ce sont elles qui nous apportent ces emplois à haute valeur ajoutée qui ont un effet multiplicateur et entraînent la création d'autres emplois.

Mesdames et Messieurs, il y a encore de nouveaux moyens de prospection que la promotion économique doit mettre en oeuvre. Je tiens à signaler, car on n'en parle pas souvent, que le site Internet de la promotion économique - j'en ai été moi-même surpris, j'ai cru qu'on s'était trompé - totalisait 7 millions de visites en 1999 ! Des entreprises sont arrivées à Genève par le biais d'Internet, qu'on le veuille ou non. Cela dit, lorsqu'une entreprise est intéressée, tout reste encore à faire ; il faut trouver des lieux adéquats pour l'installer, il faut trouver une main-d'oeuvre qualifiée, il faut trouver des logements, des places dans les écoles privées qui offrent des maturités en langue allemande ou en langue anglaise. Il faut non seulement séduire, mais aussi convaincre et avoir des arguments.

Ici, je voudrais vous rassurer, car on sait que quand le gouvernement s'enrhume, le parlement tousse ! S'il est vrai que Micheline Calmy-Rey et moi avons eu quelques différends au début en matière d'appui aux entreprises, aujourd'hui nos relations sont très bonnes. Les allégements fiscaux se décident, le rapport Bürgenmeier est appliqué. Quant à moi, tant que les allégements fiscaux sont traités dans les délais par le département des finances, je n'ai rien à dire. Il fut un temps où ce n'était pas le cas et, sans tenter d'OPA sur le département des finances car ce n'est pas mon style, j'ai simplement voulu le rendre attentif à la question des délais : quand une entreprise se présente, il ne faut pas attendre six mois pour lui dire si oui ou non nous lui accordons telles et telles conditions. Il faut lui répondre rapidement, puis soit elle s'en va, soit elle reste. Parfois, elle reste, d'ailleurs, même en cas de réponse négative, car ce ne sont pas les allégements fiscaux qui font tout, je vous l'accorde.

Pour finir, je dois dire que le département fait tout ce travail avec sept postes et demi, ce qui n'est pas énorme. A mon avis, ce travail est bien fait, c'est un travail qui porte ses fruits, vous pourrez en juger quand vous voudrez, au niveau de l'emploi. Car c'est ce dont on parle aujourd'hui : notre objectif, le vôtre, le mien, c'est de créer des emplois, de créer des richesses pour répondre à nos besoins sur le plan social.

S'agissant du projet de loi, je suis quant à moi heureux qu'on donne un cadre légal à la promotion économique. Quant à ce qu'on appelle le développement durable, à savoir le développement économique dans le respect de l'environnement et des conditions sociales, j'y suis tout aussi sensible que vous, bien que parfois ce soit difficile à atteindre. Je suis donc tout à fait d'accord d'en discuter, mais je dois quand même dire - car j'ai l'habitude de dire ce que je pense - qu'avec toutes les séances de commission, de consultation, une fois par mois ici, deux fois par mois là, je vais me retrouver réduit à parler, alors que sur le terrain du travail m'attend ! J'aimerais bien qu'on comprenne cela.

En conclusion, je suis tout à fait ouvert, ce projet de loi me convient. Je continuerai, avec la même foi, le même enthousiasme, à travailler comme vous le souhaitez, pour que Genève retrouve le sourire - elle commence à le retrouver d'ailleurs - que ce sourire soit celui de tous et qu'il n'y ait plus d'exclus ! (Applaudissements.)

Mis aux voix, ce projet est adopté en premier débat.

Deuxième débat

Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.

Article 1

Le président. Nous sommes saisis d'un amendement de Mme et MM. Desplanches, Ruegsegger, Mauris et Vaucher, qui consiste à supprimer le mot «sociales», à la troisième ligne de l'alinéa 3 :

«3 L'Etat peut, dans les limites de la loi, encourager par diverses aides la réalisation de projets d'entreprises privées générateurs de richesses économiques et environnementales qui ont un effet bénéfique sur l'emploi ; il favorise...»

M. Olivier Vaucher (L). Les raisons de cet amendement nous paraissent tout à fait évidentes. Des intervenants de tous bords ont souligné précédemment qu'il s'agissait là avant tout d'un projet de loi en faveur du développement économique. L'aspect social n'a donc pas de raison majeure de figurer dans la loi, ce d'autant plus qu'à la fin de l'alinéa il a été pris en compte. D'ailleurs, nous vous proposerons ultérieurement un alinéa 6 nouveau tenant compte dudit aspect social, qui est bien sûr nécessaire.

Je le répète, il s'agit ici, comme l'a dit M. Beer tout à l'heure, essentiellement d'un projet de promotion économique ; il ne s'agit pas d'un projet d'amélioration de l'environnement des travailleurs et c'est pourquoi nous vous demandons de supprimer le mot «sociales» dans cet alinéa 3.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté.

Le président. Mme et MM. Desplanches, Ruegsegger, Mauris et Vaucher nous proposent un alinéa 6 nouveau dont le contenu est le suivant :

«6 L'Etat encourage le dialogue entre partenaires sociaux.»

M. Olivier Vaucher (L). Mesdames et Messieurs les députés, comme je viens de vous le dire, il nous semblait judicieux de proposer cet alinéa 6 nouveau, de manière à renforcer, puisque ce dialogue n'est pas la règle dans tous les corps de métiers et dans toutes les professions, le dialogue entre les partenaires sociaux. Nous espérons que ce nouvel alinéa 6 sera accepté à l'unanimité de ce Grand Conseil.

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

Mis aux voix, l'article 1 ainsi amendé est adopté.

Mis aux voix, l'article 2 est adopté, de même que l'article 3.

Art. 4

Le président. Nous sommes saisis d'un amendement de Mme Ruegsegger, MM. Desplanches, Mauris et Vaucher, visant à remplacer le mot «Etat» par «département».

Je signale que le même amendement est présenté aux alinéas 3 et 4, où le mot «département» remplace les termes «Conseil d'Etat». Ceci vous permettra peut-être de défendre vos amendements en une fois, Monsieur Mauris.

M. Alain-Dominique Mauris (L). Effectivement, je pourrai défendre en une seule intervention ces trois amendements, vu que leur but est le même, à savoir de redonner au département de l'économie son rôle, à savoir : coordonner les activités de la promotion économique de Genève, assurer la cohérence des mesures cantonales et fédérales, ainsi que, pour l'alinéa 3, coordonner, à la place du Conseil d'Etat, toutes les mesures instituées par la présente loi et appliquer, pour l'alinéa 4, les recommandations sous lettres a, b, c et d.

Tout à l'heure, dans nos interventions, nous avons relevé que nous souhaitions redonner au département son rôle de défense et de promotion de l'économie. Quant au rôle de l'Etat, car c'est la question qu'on peut aussi se poser, il a été défini dans les buts, à l'article 1, alinéa 4, qui stipule que l'Etat mène une politique active de promotion économique au niveau global. S'il est vrai que les autres départements peuvent donner des impulsions au niveau économique, concernant la promotion économique à proprement parler il nous semble tout à fait judicieux de remplacer l'Etat par le département de l'économie, conformément à ce que le président du département nous a longuement expliqué.

Mme Stéphanie Ruegsegger (PDC). Mesdames et Messieurs, je voulais dire exactement la même chose que M. Mauris. Je renonce donc à intervenir !

M. Charles Beer (S), rapporteur. Je proposerai pour ma part un amendement à l'alinéa 1 de l'article 4, consistant à remplacer le mot «Etat» par «Conseil d'Etat».

Mme Christine Sayegh (S). Concernant l'amendement de l'Entente, je pense que désigner le département est réducteur et qu'il faut laisser les termes «Conseil d'Etat» ou «Etat». Je rappellerai, contrairement à ce que relevait Mme Ruegsegger, que dans la LIPP nous avons justement remplacé le département par le Conseil d'Etat, et non le contraire. En effet, il peut y avoir plusieurs départements concernés par la politique et la promotion économiques.

Le président. Je soumets au vote l'amendement visant à remplacer à l'alinéa 1 le mot «Etat» par «département».

Mis aux voix, cet amendement est rejeté.

Le président. Toujours à l'alinéa 1, le rapporteur nous propose de remplacer le mot «Etat» par «Conseil d'Etat».

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

Le président. A l'alinéa 3, je fais voter le remplacement du mot «Conseil d'Etat» par «département».

Mis aux voix, cet amendement est rejeté.

Le président. A l'alinéa 4, je fais voter le remplacement du mot «Conseil d'Etat» par «département».

Mis aux voix, cet amendement est rejeté.

Mis aux voix, l'article 4 ainsi amendé est adopté.

Art. 5

Le président. Mme Ruegsegger et MM. Desplanches, Mauris et Vaucher nous proposent un amendement à la lettre a) de l'alinéa 1 :

«a) à favoriser la création de nouvelles entreprises économiquement viables dans le canton ;»

Mme Stéphanie Ruegsegger (PDC). Il pourrait effectivement sembler évident que la promotion économique se charge de promouvoir des entreprises économiquement viables et non des canards boiteux, mais je crois que cela va encore mieux en le disant ! C'est pourquoi nous proposons d'introduire cette notion d'entreprises «économiquement viables», qui nous semble indissociable de la mission de la promotion économique.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté.

Le président. Nous sommes saisis d'un autre amendement émanant de M. Lombard. Je vous le lis :

«1 ...un office de la promotion économique (ci-après office). Il établit avec les structures privées et mixtes existantes ou à venir un partenariat constructif. Ses tâches consistent...».

M. Armand Lombard (L). J'ai déjà mentionné la raison de cet amendement. Il s'agit simplement de pousser le département à collaborer encore plus avec toutes les structures qui existent et à ne pas mener ses opérations seul de son côté. Cela semble couler de source évidemment, mais je pense qu'il convient de l'écrire dès le moment où on fait une loi assez exhaustive. Mesdames et Messieurs, je vous prie de soutenir cet amendement.

M. Charles Beer (S), rapporteur. Considérant le fait qu'il s'agit de l'office de la promotion économique, et non plus des collaborations générales du Conseil d'Etat, cela me paraît être une bonne chose que d'apporter cette précision. J'appuie donc, à titre personnel, l'amendement de M. Lombard.

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

Le président. M. Lombard a déposé un autre amendement à l'article 5, consistant à ajouter une nouvelle lettre d) :

«d) à prévoir des coordinations avec les cantons proches et intéressés aux mêmes objectifs.»

M. Armand Lombard (L). J'avais prévu cet amendement à l'article 6, mais je le présente à l'article 5 suite aux réflexions de M. Beer tout à l'heure.

En l'occurrence, j'ai bien vu que l'article 4 incite déjà l'Etat à travailler avec la région et les cantons proches, mais je pense qu'il est nécessaire de le répéter au niveau de l'office de promotion économique, peut-être encore plus qu'au niveau du conseil stratégique. C'est là un objectif extrêmement important que de collaborer, de prendre contact, de définir même des politiques de développement communes avec différents cantons, ou avec les institutions de la région dès lors qu'elle s'étend au-delà de la frontière. Je vous serais reconnaissant, Mesdames et Messieurs, de soutenir cet amendement.

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

Mis aux voix, l'article 5 ainsi amendé est adopté.

Art. 6

Le président. Nous sommes saisis d'un amendement de M. Pagani, qui consiste à porter le nombre des membres du conseil stratégique de 15 à 21, en ajoutant une nouvelle lettre d) :

«d) un membre par parti représenté au Grand Conseil et élu par lui.»

M. Rémy Pagani (AdG). Je voudrais dire à M. Beer, qui semblait croire que nous députés allions siéger dans ce conseil stratégique de la promotion économique, qu'il n'en est pas question, évidemment.

Il s'agit en fait, par le biais de cet amendement, de lier organiquement nos partis respectifs à ce conseil, ce qui nous permettrait entre autres d'avoir des informations sur ce qui s'y passe. A cet égard, je vous rappelle l'expérience catastrophique du Conseil économique et social, qui fait en quelque sorte les frais de son peu de transparence. En effet, aucune formation ici n'a la possibilité d'être informée concrètement sur ce qui s'y passe, en tout cas pas par un délégué de parti.

Ce soir, il s'agit d'être cohérent et de faire comme nous faisons de manière régulière dans ce parlement, lorsque nous créons une commission : il s'agit d'accepter que chaque parti puisse déléguer un économiste, un technicien, un milicien, ou encore un travailleur, car il n'y a pas de restriction, bref, un représentant de son choix au sein de ce conseil.

J'en profite pour dire que les députés n'ont pas reçu cet amendement par écrit, mais c'est une façon d'économiser du papier !

Le président. Monsieur Pagani, il me semble en effet que votre amendement est très facile à comprendre. Je le fais voter... Monsieur Glatz, vous avez la parole !

M. Philippe Glatz (PDC). Nous sommes dans l'absurde, ce n'est pas possible !

Monsieur Pagani, vous proposez de désigner vingt et un membres, dont des délégués de partis. Tout à l'heure mon collègue ici présent parlait de ceux qui courent après les jetons de présence et je crois qu'il avait probablement raison... (Exclamations.) Vous proposez de déléguer des experts, mais sept experts sont déjà prévus sous lettre c) ! Si l'on suivait votre logique, Monsieur Pagani, il faudrait alors créer uniquement des commissions et des comités stratégiques, les partis politiques n'ont plus aucun sens. Nous n'avons plus aucun rôle à jouer, il faut dissoudre le parlement et se contenter de comités stratégiques !

M. Charles Beer (S), rapporteur. Je voudrais reprendre un argument que j'ai évoqué tout à l'heure.

Il existe dans ce canton de multiples commissions consultatives du Conseil d'Etat, qui ont pour vocation de conseiller l'exécutif dans ses tâches et missions. Certaines relèvent du tripartisme, d'autres de combinaisons beaucoup plus complexes, c'est le cas de ce conseil stratégique proposé dans ce projet de loi. A mon sens, vouloir mettre les partis politiques partout est une erreur ; c'est affaiblir les organes consultatifs du Conseil d'Etat, c'est affaiblir le Conseil d'Etat et c'est affaiblir les partis politiques.

Je rappelle également que, pour ce qui est de la transparence, l'ensemble des activités de promotion doivent être, selon l'article 7, systématiquement transmises au Grand Conseil. Charge alors aux députés et aux partis qu'ils représentent de diffuser l'information en leur sein !

Mis aux voix, cet amendement est rejeté.

Mis aux voix, l'article 6 est adopté.

Mis aux voix, l'article 7 est adopté, de même que les articles 8 à 17.

Troisième débat

M. Olivier Vaucher (L). Vu qu'une bonne partie des amendements qui nous paraissaient importants n'ont pas été acceptés par l'assemblée, vu aussi que le projet de loi tel qu'il avait quasiment fait l'unanimité à un moment donné en commission a été totalement déformé, notre groupe refusera ce projet de loi.

Mme Dolorès Loly Bolay (AdG). Monsieur le président, je demande le vote nominal. (Appuyé.)

Ce projet est adopté en troisième débat par 52 oui contre 36 non et 7 abstentions.

Ont voté oui (52) :

Esther Alder (Ve)

Charles Beer (S)

Roger Beer (R)

Marie-Paule Blanchard-Queloz (AG)

Dolorès Loly Bolay (AG)

Anne Briol (Ve)

Christian Brunier (S)

Fabienne Bugnon (Ve)

Nicole Castioni Jaquet (S)

Alain Charbonnier (S)

Bernard Clerc (AG)

Jacqueline Cogne (S)

Jean-François Courvoisier (S)

Pierre-Alain Cristin (S)

Anita Cuénod (AG)

Caroline Dallèves-Romaneschi (Ve)

Régis de Battista (S)

Jeannine de Haller (AG)

Erica Deuber Ziegler (AG)

René Ecuyer (AG)

Alain Etienne (S)

Laurence Fehlmann Rielle (S)

Christian Ferrazino (AG)

Magdalena Filipowski (AG)

Luc Gilly (AG)

Alexandra Gobet (S)

Gilles Godinat (AG)

Mireille Gossauer-Zurcher (S)

Marianne Grobet-Wellner (S)

Christian Grobet (AG)

Cécile Guendouz (AG)

Dominique Hausser (S)

David Hiler (Ve)

Antonio Hodgers (Ve)

Georges Krebs (Ve)

Pierre Meyll (AG)

Louiza Mottaz (Ve)

Chaïm Nissim (Ve)

Danielle Oppliger (AG)

Rémy Pagani (AG)

Véronique Pürro (S)

Jean-Pierre Restellini (Ve)

Elisabeth Reusse-Decrey (S)

Jacques-Eric Richard (S)

Albert Rodrik (S)

Christine Sayegh (S)

Françoise Schenk-Gottret (S)

Myriam Sormanni (S)

Jean Spielmann (AG)

Pierre Vanek (AG)

Alberto Velasco (S)

Salika Wenger (AG)

Ont voté non (36) :

Bernard Annen (L)

Michel Balestra (L)

Jacques Béné (L)

Janine Berberat (L)

Claude Blanc (DC)

Nicolas Brunschwig (L)

Thomas Büchi (R)

Juliette Buffat (L)

Hervé Dessimoz (R)

Jean-Claude Dessuet (L)

Hubert Dethurens (DC)

Pierre Ducrest (L)

John Dupraz (R)

Henri Duvillard (DC)

Pierre Froidevaux (R)

Philippe Glatz (DC)

Nelly Guichard (DC)

Claude Haegi (L)

Janine Hagmann (L)

Michel Halpérin (L)

Yvonne Humbert (L)

Pierre Marti (DC)

Alain-Dominique Mauris (L)

Jean-Louis Mory (R)

Geneviève Mottet-Durand (L)

Vérène Nicollier (L)

Jean-Marc Odier (R)

Pierre-Louis Portier (DC)

Jean-Rémy Roulet (L)

Stéphanie Ruegsegger (DC)

Louis Serex (R)

Charles Seydoux (R)

Walter Spinucci (R)

Micheline Spoerri (L)

Olivier Vaucher (L)

Pierre-Pascal Visseur (R)

Se sont abstenus (7) :

Florian Barro (L)

Marie-Françoise de Tassigny (R)

Bénédict Fontanet (DC)

Bernard Lescaze (R)

Armand Lombard (L)

Michel Parrat (DC)

Catherine Passaplan (DC)

Etaient excusés à la séance (3) :

Luc Barthassat (DC)

Gilles Desplanches (L)

René Koechlin (L)

Etait absent au moment du vote (1) :

Jean-Pierre Gardiol (L)

Présidence :

M. Daniel Ducommun, président.

La loi est ainsi conçue :

Loi(7443)

en faveur du développement de l'économie et de l'emploi

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève

décrète ce qui suit :

Article 1 Buts

1 La présente loi a pour but de favoriser le développement de l'activité économique du canton, afin de préserver et de créer des emplois.

2 A cet effet, l'Etat s'efforce de mettre en place des conditions-cadres attractives, notamment en matière d'infrastructures, propices à la diversification et à la densification du tissu économique du canton.

3 L'Etat peut, dans les limites de la loi, encourager par diverses aides la réalisation de projets d'entreprises privées générateurs de richesses économiques, sociales et environnementales qui ont un effet bénéfique sur l'emploi; il favorise particulièrement dans ce cadre les efforts de reconversion, de diversification et d'innovation en matière économique, technologique, sociale ou environnementale.

4 L'Etat mène une politique active de promotion économique, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du canton.

5 Il veille, par des moyens appropriés distincts à soutenir le développement et l'implantation d'organisations internationales, publiques et privées, dans le canton.

6 L'Etat encourage le dialogue entre partenaires sociaux.

Art. 2 Principes

1 Dans son action, l'Etat respecte les principes du développement durable, à savoir un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins.

2 Il veille à ne pas créer de distorsions de concurrence.

3 Il ne peut octroyer des aides qu'aux entreprises qui respectent les conditions de travail et de rémunération usuelles dans le canton et dans la branche concernée.

Art. 3 Réserve

La présente loi ne confère aucun droit automatique à une aide financière, à un allégement fiscal ou à une autre mesure.

Art. 4 Collaboration

2 Il s'assure de la cohérence des mesures cantonales avec les lois fédérales et prend les dispositions nécessaires pour permettre au canton de bénéficier des mesures fédérales entrant dans le cadre défini par la présente loi.

3 Le Conseil d'Etat a pour mission de coordonner les mesures instituées par la présente loi.

4 Il appartient au Conseil d'Etat :

5 Le Conseil d'Etat rencontre les partenaires sociaux au minimum deux fois par année pour faire le point sur sa politique économique.

Art. 5 Office de la promotion économique

1 Il est mis sur pied, dans le cadre du département de l'économie, de l'emploi et des affaires extérieures, un office de la promotion économique (ci-après : office). Il établit avec les structures privées et mixtes existantes ou à venir un partenariat constructif. Ses tâches consistent à promouvoir l'économie genevoise à l'intérieur et à l'extérieur du canton, et plus particulièrement :

Art. 6 Conseil stratégique de la promotion économique

2 Le conseil se compose de 15 membres désignés par le Conseil d'Etat en fonction de leurs compétences pour une durée de 4 ans. Il compte :

3 Le Conseil d'Etat veille à une représentation équitable des deux sexes.

4 Le directeur de l'office et les représentants des divers départements intéressés assistent aux séances avec voix consultative. Le conseil peut en sus se faire assister d'autres personnes en fonction des objets qu'il aborde.

5 Le conseil se réunit au moins une fois par trimestre sur convocation et sous la présidence du Conseiller d'Etat chargé du département de l'économie, de l'emploi et des affaires extérieures ou du suppléant qu'il désigne. Cinq membres peuvent en tout temps réclamer la réunion extraordinaire du conseil sur la base d'un ordre du jour qu'ils proposent.

Art. 7 Information

1 Chaque année, le Conseil d'Etat fournit un rapport au Grand Conseil portant notamment sur les objets suivants :

2 Ce rapport contient en annexe les rapports d'activité de chaque organisme d'aide aux entreprises subventionné par l'Etat.

3 Une fois par législature, le Conseil d'Etat confie à l'Université une évaluation générale de la politique de promotion économique. Le mandat de cette évaluation est élaboré en concertation avec le conseil.

4 Le Conseil d'Etat prend les mesures propices à assurer les bases statistiques nécessaires à l'évaluation de la promotion économique.

Art. 8 Commerçants et artisans

1 L'Etat soutient l'office genevois de cautionnement mutuel pour commerçants et artisans (ci-après : OGCM), notamment par l'attribution d'une subvention annuelle destinée à couvrir partiellement ses frais de fonctionnement et les pertes sur nouveaux cautionnements.

2 L'OGCM a pour but, aux termes de ses statuts, de cautionner des emprunts et des crédits en faveur de commerçants et d'artisans, personnes physiques ou morales, notamment pour leur permettre d'ouvrir, de reprendre, de maintenir ou d'agrandir un commerce ou une entreprise.

Art. 9 Petites et moyennes industries

1 Aux conditions fixées par la loi instituant une aide financière aux petites et moyennes industries, du 20 février 1997 (LAPMI), l'Etat soutient les projets des petites et moyennes industries domiciliées dans le canton qui ont un impact sur la création ou le maintien d'emplois.

2 L'aide peut revêtir les formes suivantes :

3 Les deux formes d'aide peuvent être soit cumulées, soit être accordées séparément.

Art. 10 Petites et moyennes entreprises

1 Par l'intermédiaire de la fondation de droit public Start-PME, au capital de laquelle l'Etat participe, une aide financière peut être fournie aux entreprises qui remplissent les conditions cumulatives suivantes :

2 Les aides financières peuvent revêtir la forme de garanties et/ou de prises de participation et sont accordées conformément aux statuts de la fondation.

3 Elles sont subsidiaires aux aides prévues aux articles 8 et 9.

Art. 11 Allégements fiscaux

1 Dans les limites de la législation fiscale, le Conseil d'Etat peut accorder des allégements fiscaux aux entreprises répondant aux critères définis dans la présente loi.

Art. 12 Terrains et immeubles à usage commercial et industriel

1 L'Etat veille à l'existence d'une offre suffisante de terrains et immeubles à usage commercial et industriel, correspondant aux besoins prépondérants des entreprises.

2 En particulier, il préserve pour le secteur industriel des terrains à prix avantageux.

3 A cette fin, il recourt aux mesures existantes découlant de la législation cantonale sur les terrains et zones industriels et les coordonne avec celles prévues par la présente loi.

Art. 13 Transfert technologique

1 L'Etat encourage le transfert technologique entre les hautes écoles et l'économie privée, dans la perspective de favoriser l'éclosion et l'exploitation commerciale de nouveaux produits et services.

2 A cette fin, il développe lui-même, ou il soutient, des instruments propres à atteindre cet objectif.

Art. 14 Formation

1 En collaboration avec les milieux économiques concernés et les partenaires sociaux, l'Etat évalue en continu les besoins prioritaires en formation et en qualifications professionnelles exprimés par les entreprises.

2 Il s'efforce de mettre en oeuvre les filières de formation répondant à ces besoins.

3 Il veille particulièrement à la formation des chômeurs par le biais des mesures instituées par la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité, du 25 juin 1982.

Art. 15 Aides fédérales

L'Etat sollicite les aides fédérales en matière de promotion économique, de recherche et de développement et les coordonne avec les mesures prévues par la présente loi.

Art. 16 Dispositions d'application

Le Conseil d'Etat édicte les dispositions nécessaires à l'application de la présente loi.

Art. 17 Entrée en vigueur

Le Conseil d'Etat fixe la date d'entrée en vigueur de la présente loi.

M 1315
6. Proposition de motion de Mmes et MM. Charles Beer, Christian Brunier, Nicole Castioni-Jaquet, Alain Charbonnier, Jacqueline Cogne, Jean-François Courvoisier, Jean-Claude Cristin, Régis de Battista, Alain Etienne, Laurence Fehlmann Rielle, Alexandra Gobet, Mireille Gossauer-Zurcher, Marianne Grobet-Wellner, Dominique Hausser, Véronique Pürro, Elisabeth Reusse-Decrey, Albert Rodrik, Christine Sayegh, Françoise Schenk-Gottret, Myriam Sormanni-Lonfat et Alberto Velasco pour faire la lumière sur le phénomène des «working poors» à Genève et sur les mesures à prendre pour combattre les conditions de travail indécentes. ( )M1315

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le phénomène des « working poors »ou des « travailleurs pauvres », c'est-à-dire des personnes qui travaillent à plein-temps ou à temps partiel non choisi et qui ne sont pas en mesure de subvenir à leurs besoins ou à ceux de leur famille, est une réalité en Suisse et Genève.

La définition des « working poors »

Trois études récentes

BASS (1999), Structure et évolution des salaires dans le commerce de détail et l'hôtellerie-restauration; OBSERVATOIRE UNIVERSITAIRE DE L'EMPLOI (1999), La population des bas salaires et des « working poors » en Suisse: situation et évolution entre 1991 et 1997; CARITAS (1998), Les working poors en Suisse: ils sont pauvres, mais ils travaillent.

L'étude la plus récente, celle de l'Institut BASS mandaté par le syndicat UNIA, fixe comme référence un salaire de 3'000 francs net, équivalent au montant du minimum vital (en vertu du taux légal applicable au calcul des prestations complémentaires de l'AVS et de l'AI au niveau fédéral) augmenté de 25 % pour tenir compte du fait qu'une marge est nécessaire afin d'inciter les travailleurs à exercer une activité lucrative plutôt qu'à bénéficier de l'assistance.

On peut souligner que le montant de 3'000 francs net paraît d'ailleurs bien adapté au cas du canton de Genève, dans la mesure où ce montant est très proche des deux tiers du salaire médian cantonal et du minimum vital genevois, les prestations complémentaires étant plus élevées qu'ailleurs en Suisse en raison notamment du coût élevé de la vie.

Quelle que soit la méthode choisie, la conclusion est la même : le phénomène des « working poors »n'est pas circonscrit à un cercle restreint de la population, mais il concerne de nombreux salarié-e-s qui doivent recourir à l'assistance publique pour compléter un revenu insuffisant afin d'assurer l'entretien de leur ménage.

L'étude de l'Institut BASS : des chiffres éloquents

L'étude de l'Institut BASS, mandaté par le syndicat UNIA pour effectuer ce travail, fournit des résultats éloquents pour 1998. Sur la base de l'Enquête suisse sur la population active, elle établit que 51 % des salaires de l'hôtellerie et de la restauration, 33 % du commerce de détail et 13 % de l'ensemble de l'économie sont inférieurs à 3'000 francs net pour un emploi à plein-temps.

De plus, 32 % des salaires de l'hôtellerie et de la restauration, 11 % du commerce de détail et 7 % de l'ensemble de l'économie sont même inférieurs à 2'500 francs net pour un emploi à plein-temps. Le phénomène est donc loin d'être mineur, et il est particulièrement marqué selon les secteurs d'activité et pour certains groupes de la population.

Les femmes et les personnes peu qualifiées sont ainsi davantage touchées par le phénomène des « working poors ». En 1998, 22 % des femmes ont gagné moins de 3'000 francs net pour un salaire à plein-temps si l'on considère toutes les branches (6 % pour les hommes), ce taux se monte à 56 % dans l'hôtellerie et la restauration (43 % pour les hommes) et à 43 % dans le commerce de détail (10 % pour les hommes).

De même, la qualification professionnelle a une incidence directe sur la possibilité de se retrouver ou non dans une situation de « working poor ». En ne prenant un seul exemple, on constate que, toutes branches confondues, 29 % des personnes sans formation percevaient un salaire net inférieur à 3'000 francs en 1995, alors que ce taux est de 10 % pour les personnes qualifiées.

Enfin, l'analyse par canton permet de constater que le phénomène n'épargne pas Genève, puisque 8,4 % des salaires y sont inférieurs à 3'000 francs net pour un emploi à plein-temps. Ce chiffre est néanmoins un peu meilleur que dans les autres régions de Suisse, par le fait que les conventions collectives ont été maintenues, ce qui n'a pas été le cas partout ailleurs. Le taux s'élève cependant à 41,8 % pour l'hôtellerie et la restauration et à 25,5 % pour le commerce de détail, mais ces deux derniers chiffres sont à prendre avec prudence, car l'échantillon est limité et ne permet pas de tirer des conclusions définitives.

Il faut noter que cette étude ne tient pas compte du fait que le coût de la vie est plus élevé dans les grandes agglomérations, ce qui a bien entendu une incidence sur la définition du seuil du salaire insuffisant pour subvenir à ses besoins, et elle ne permet pas de suivre l'évolution dans le temps de ce phénomène au niveau cantonal. Pour toutes ces raisons, il est essentiel de pouvoir disposer à l'avenir d'une étude sur la situation et l'évolution des « working poors »à Genève, détaillée par secteur, selon les groupes de population, et qui puisse être réactualisée.

Les subventions indirectes : un effet pervers des très bas salaires

Le corollaire direct des salaires de misère qui apparaissent dans cette étude est bien entendu l'impossibilité pour les salariés de subvenir à leurs besoins ou à ceux de leur famille, en dépit d'un emploi à plein-temps. Dans ce cas, le l'assistance publique est souvent l'unique possibilité de recours.

Comme le constatait l'Hospice Général en 1981 déjà

HOSPICE GENERAL (1981), Recherche sur les salaires ne permettant pas d'assurer l'entretien du groupe familial.

Le fait que les collectivités publiques complètent les revenus des salariés et subventionnent les salaires insuffisants versés par certaines entreprises est un constat qui interpelle. En effet, n'est-il pas absurde que certains employés travaillent à plein temps et bénéficient d'une rémunération si basse qu'elle est même inférieur au minimum vital garanti par l'Etat ?

Quelles sont les réponses politiques à apporter ?

La réalité des « working poors »en Suisse et à Genève ne peut pas être niée. Nous attendons donc du Conseil d'Etat qu'il apporte des réponses concrètes aux problèmes qui ont été soulevés. Tout d'abord, il est indispensable que nos autorités se munissent des outils statistiques lui permettant de procéder à une analyse complète et transparente des « working poors »à Genève, aussi bien aujourd'hui qu'à l'avenir.

En outre, nous demandons au Conseil d'Etat de communiquer sa position et de présenter les mesures qu'il entend mettre en oeuvre afin d'éviter que le phénomène des « working poors » ne s'étende, en raison par exemple des risques de dumping salarial. Une politique volontariste pourrait notamment se traduire par l'organisation de conférences annuelles avec les partenaires sociaux sur le temps de travail et les salaires, ou encore par des mesures visant à corriger les inégalités entre hommes et femmes sur le marché du travail, et à renforcer la formation des personnes à faible qualification professionnelle.

Nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à réserver un bon accueil à cette motion.

Débat

M. Charles Beer (S). Avec cette motion, il s'agit pour le groupe socialiste de faire part de ses préoccupations concernant la dégradation des conditions de travail et la baisse des salaires, plus particulièrement la baisse des salaires dans des secteurs particulièrement déjà défavorisés du point de vue des rémunérations offertes... (Brouhaha.)

Le président. Monsieur Beer, un instant ! Ceux qui ne veulent pas suivre ce débat peuvent poursuivre leurs entretiens à la buvette ou à la salle des Pas Perdus, Mesdames et Messieurs !

M. Charles Beer. Cette tendance est ma foi préoccupante un peu partout en Europe : malgré un travail à plein temps, nombre de travailleurs et de travailleuses ne parviennent plus à assurer leur existence, à payer loyer, assurance-maladie et autres nourriture et frais indispensables, sans parler évidemment des inévitables taxes et impôts. On impose à des personnes, qui travaillent durement et souvent longuement, dans l'agriculture, mais également dans le commerce de détail et dans l'hôtellerie-restauration, des conditions de rémunération telles qu'il leur est impossible de faire face aux dépenses indispensables à l'existence.

Constatant ce phénomène, l'Union syndicale suisse a lancé une vaste campagne sur les salaires réclamant un salaire minimum de 3 000 F net, ce qui revient à un salaire brut minimum de 3 400 à 3 500 F. Je constate, avec mes collègues socialistes, que nous sommes actuellement loin de la cible, malheureusement. En effet, l'étude BASS commandée par le syndicat Unia au niveau national indique que 8,4% des salaires seraient inférieurs à ces montants. Dans le commerce de détail, que je connais bien, comme dans l'hôtellerie-restauration, nous avons affaire à des minima salariaux qui sont malheureusement insuffisants. Certes, nous signons des conventions collectives de travail, au sein des syndicats, mais ces conventions collectives sont le résultat d'un rapport de forces qui, je dois le dire, est souvent très défavorable aux travailleurs et travailleuses, particulièrement dans la période que nous vivons où sévit un chômage important.

Alors, que faire face à ce constat ? D'abord, mesurer. C'est ce que nous demandons et que nous avons déjà demandé dans une récente interpellation urgente. Il convient de cerner ce phénomène, de savoir combien de personnes aujourd'hui travaillent à temps plein et sont dans l'incapacité de faire face à leurs obligations, combien sont, le cas échéant, assistées par la collectivité publique. Dans combien de cas et pour quelles sommes la collectivité publique subventionne-t-elle les bas salaires et un certain nombre d'entreprises qui, soit dit en passant, engrangent parfois, paradoxalement, des profits extrêmement juteux.

En l'occurrence, il s'agit de cerner le phénomène dans toutes ses dimensions, sous toutes ses facettes, pas seulement sous l'angle de l'Hospice général, mais également sous l'angle fiscal. Bref, il s'agit de rassembler l'ensemble des indicateurs à notre disposition, de manière à voir clair sur ce phénomène des «working poors». Nous employons délibérément un terme anglo-saxon, dans la mesure où ce phénomène qui consiste à voir des salariés travailler à temps plein et ne pouvoir faire face à leurs besoins est le résultat d'une politique bien connue pratiquée aux Etats-Unis d'Amérique ainsi qu'en Grande-Bretagne.

Qu'en est-il de cette réalité, j'allais dire importée à Genève, des «working poors» ? Nous entendons, à travers cette motion, inviter le Conseil d'Etat à faire toute la lumière sur ce phénomène.

Par ailleurs, car photographier cette réalité n'est pas suffisant, nous invitons le Conseil d'Etat, malgré ses faibles pouvoirs en la matière, à dire comment il compte intervenir pour enrayer cette dégradation extrêmement grave, pour inverser les chiffres et supprimer ce scandale qui fait qu'avec 50 heures de travail on ne parvient pas à faire face à ses obligations.

Un certain nombre de moyens existent, comme les contrats types. La Chambre des relations du travail a aussi un certain nombre de moyens à sa disposition. De son côté, le Conseil d'Etat, notamment le département de l'économie, de l'emploi et des affaires extérieures pourrait également jouer un rôle plus actif qu'aujourd'hui, en réunissant plus régulièrement les partenaires sociaux, pas seulement au niveau faîtier, mais également au niveau des branches, de manière à arriver à des résultats probants. Je citerai ici un exemple. Aujourd'hui, vous le savez peut-être, la négociation dans l'hôtellerie-restauration est bloquée. Au niveau suisse, elle a été arbitrée par un tribunal arbitral, qui a malheureusement rejeté les revendications syndicales. Au niveau genevois, la négociation est aussi bloquée, il y aura probablement un arbitrage. Mais auparavant le Conseil d'Etat serait bien inspiré de chercher à induire une progression salariale, pour décoller des minima qui sont aujourd'hui de l'ordre de 2 980 F pour un temps de travail de 42 heures officiellement, et souvent de 50 à 60 heures dans la réalité.

Le Conseil d'Etat a un certain nombre de moyens à sa disposition. Photographier le phénomène, le cerner, l'analyser et agir, tel est le sens de la motion que le groupe socialiste lui propose.

Mme Dolorès Loly Bolay (AdG). Un bref rappel des chiffres. La Ville de Genève avait publié en 1998 les chiffres 1995 des familles qui avaient de la peine à vivre convenablement. A Genève, 15 à 20% de la population vit au seuil de la pauvreté, ce qui veut dire 60 000 à 80 000 personnes, ce qui est énorme.

Pour la plupart, elles proviennent de familles monoparentales et ont un revenu - travail sur appel, travail à temps partiel, salaires de misère - qui ne leur permet pas de vivre. Car comment peut-on vivre à Genève avec 2 000, voire 2 500 F par mois, quand il faut payer un loyer, des primes de caisse-maladie qui, quand on a deux ou trois enfants, dépassent souvent les 1 000 F par mois ? Comment peut-on vivre avec de tels salaires ?

Dans un des pays les plus riches du monde, cela est choquant et totalement inadmissible et on doit le dénoncer. Cette motion dénonce cet état de fait et nous la soutenons bien entendu !

M. Bernard Lescaze (R). Les radicaux étant déjà convaincus de l'intérêt de cette motion, ils proposent de la renvoyer au Conseil d'Etat. Le problème qui a été soulevé est effectivement un problème important de nos sociétés post-industrielles. Je ne vais pas épiloguer sur ce qui a déjà été longuement dit : nous la soutenons et nous la voterons !

M. Michel Parrat (PDC). La proposition de motion qui nous est présentée ce soir porte sur un problème - les «working poors» - qui ne devrait laisser personne indifférent.

Il est en effet difficile d'imaginer qu'un ménage puisse vivre avec un seul salaire de l'ordre de 3 000 F net pour un plein temps. Les problèmes humains générés par cette situation socio-économique doivent nous inciter à aller plus avant afin de mieux cerner les causes, ce que du reste propose cette motion. Ceci dans le but de mettre en place les mesures incitatives qui devraient permettre de créer les conditions positives pour ouvrir des négociations, afin que ces situations économiques évoluent rapidement. La création de ces conditions positives est d'autant plus importante que les instruments législatifs à notre disposition sont très faibles.

Aussi, le PDC soutient-il le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat, pour que ce dernier élabore un rapport des plus complet sur cette situation et son évolution probable, et propose, ajouterais-je, la mise en place d'instruments analytiques permettant de suivre régulièrement l'évolution de ce groupe socio-économique. Pour plus d'efficacité, le PDC propose d'attendre ce rapport - qui, j'espère, sera établi dans un délai raisonnable - pour ouvrir la discussion sur le fond, car la gravité et l'importance du problème soulevé exige de nous des débats débouchant sur des propositions concrètes et étayées.

M. Albert Rodrik (S). L'envoi de cette motion au Conseil d'Etat implique que, contrairement à ce qui est trop souvent l'habitude, plusieurs départements travaillent ensemble pour cerner ce problème délicat, et pas chacun dans son coin. Comme l'a dit M. Beer, ce problème ne concerne pas seulement l'Hospice général : il concerne aussi l'économie publique, les finances et, au-delà des pesanteurs usuelles de l'administration que nous connaissons, un véritable travail interdépartemental est nécessaire pour en cerner toutes les facettes. Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat, je vous en remercie d'avance !

M. Carlo Lamprecht. Après avoir entendu M. Albert Rodrik, j'aimerais dire que le Conseil d'Etat s'est déjà intéressé à engager une telle étude interdépartementale.

Quel que soit le nom qu'on lui donne, la population à faible revenu mérite une attention toute particulière. Les comparaisons entre revenu et coût de la vie permettent effectivement de prendre, en connaissance de cause, les mesures d'ajustement que nous devons mettre en oeuvre.

Quant au revenu du travail proprement dit, il est vrai que les statistiques sont peu éloquentes à ce sujet et qu'il est nécessaire d'aller fouiller un peu plus loin, si vous me permettez l'expression, pour avoir une véritable photographie de la situation.

Dans ce sens, bien entendu, cette motion peut être renvoyée au Conseil d'Etat. Nous y donnerons suite le plus vite possible, mais j'espère surtout que ce sera avec des résultats qui soient éloquents et qui permettent d'évaluer exactement la teneur du problème.

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

Motion(1315)pour faire la lumière sur le phénomène des « working poors » à Genève et sur les mesures à prendre pour combattre les conditions de travail indécentes

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant:

la situation préoccupante des « working poors » ou « travailleurs pauvres » en Suisse et à Genève, c'est-à-dire des personnes qui travaillent à plein temps ou à temps partiel non choisi, mais ne sont pas en mesure de subvenir à leurs besoins ou à ceux de leur famille ;

les résultats de l'étude de l'institut BASS, mandaté par le syndicat UNIA, qui établit pour 1998, sur la base de données de l'Office fédéral de la statistique, que 51 % des salaires de l'hôtellerie et la restauration, 33 % du commerce de détail et 13 % de l'ensemble de l'économie, sont inférieurs en Suisse à 3'000 francs net pour un emploi à plein-temps (ou équivalent à un plein-temps) ;

les résultats de cette même étude pour Genève qui détermine que 8,4 % des salaires sont inférieurs à 3'000 francs net pour un emploi à plein-temps (ou équivalent à un plein-temps), mais qui fait aussi apparaître l'absence actuelle d'une analyse complète et détaillée de la situation cantonale ;

la publication bisannuelle de l'Enquête sur la structure des salaires de l'Office fédéral de la statistique avec près de 30'000 données sur les salaires pratiqués à Genève, dont le traitement permettrait une analyse détaillée du phénomène des « working poors » et la mise en place d'une méthode systématique pour suivre son évolution ;

les différences très nettes qui apparaissent selon les groupes de population considérés, notamment selon le sexe et la qualification professionnelle des salariés ;

le coût pour l'Etat et ses contribuables, des compléments accordés par l'Hospice Général pour compenser les salaires « de misère » versés par des entreprises exerçant leur activité à Genève, qui constituent de fait la prise en charge d'une partie des salaires versés, c'est-à-dire une subvention à des entreprises qui sous-paient leurs employés ;

l'importance et l'actualité de cette question dans le cadre des négociations salariales en cours, et dans l'optique de l'entrée en vigueur des accords bilatéraux, des risques de dumping salarial et de l'évaluation future des mesures d'accompagnement qui y sont liés ;

invite le Conseil d'Etat

à faire rapport sur la situation actuelle et l'évolution du phénomène des « working poors » à Genève, et à déterminer en particulier :

la répartition des « working poors »par secteur d'activité ;

la proportion de « working poors »par secteur d'activité, en particulier dans le commerce de détail, l'hôtellerie et la restauration, les services personnels et domestiques, l'agriculture ;

le risque de faire partie des « working poors »en fonction de l'appartenance à un groupe de la population (selon le sexe, la qualification professionnelle, les années de service, le taux d'occupation, la nationalité, l'âge) ;

la part des « working poors »qui est assistée par l'Hospice Général et les communes, et le coût que représentent pour les collectivités publiques les aides accordées en raison d'une rémunération insuffisante ;

à communiquer sa position et les mesures qu'il entend mettre en oeuvre afin d'éviter que le phénomène des « working poors »ne s'étende, en raison notamment des risques de dumping salarial, par exemple grâce à :

l'organisation par les pouvoirs publics de conférences annuelles avec les partenaires sociaux sur le temps de travail et les salaires ;

une politique visant par des mesures spécifiques à corriger les inégalités entre hommes et femmes sur le marché du travail, et à renforcer la formation des personnes à faible qualification professionnelle ;

la mise à disposition d'outils statistiques fiables pour suivre l'évolution du phénomène des « working poors »au niveau cantonal.

RD 354
7. a) Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur : a) le rapport annuel de gestion de l'entreprise des TPG pour l'exercice 1998 ; b) le rapport sur la réalisation de l'offre de transport 1998 ; c) le rapport de synthèse des années 1996-1998 du contrat de prestations 1996-1998. ( )RD354
RD 346
b) Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur le budget 1999 (2e version) de l'entreprise des TPG. ( )RD346
M 1266-A
c) Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Mmes et MM. Anne Briol, Fabienne Bugnon, Chaïm Nissim et David Hiler contre la hausse des tarifs TPG. ( -) M1266
Mémorial 1999 : Développée, 1767. Adoptée, 1779.
M 454-A
d) Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de M. Paul Passer sur les améliorations tarifaires des Transports publics genevois. ( -) M454
Mémorial 1987 : Annoncée, 2907. Développée, 4179. Adoptée, 4179.

(RD 354)

Le présent rapport marque la dernière étape du premier contrat de prestations 1996-1998 conclu entre l'Etat et l'entreprise des TPG. Cette étape constitue en quelque sorte le bilan final du premier contrat pluriannuel.

Les résultats obtenus en 1998 ont permis une nouvelle fois de renforcer, voire de réorienter les projections établies sur l'avenir, ainsi que d'apporter des éléments de réponse plus circonstanciés par rapport aux premières données récoltées et analysées après un an, puis deux ans de validité du premier contrat de prestation conclu entre l'Etat et les TPG.

Le Conseil d'Etat a examiné avec attention les rapports qui lui ont été adressés par le Conseil d'administration des TPG. Il s'est également enrichi des nouvelles données disponibles pour affiner l'élaboration du contrat de prestations pluriannuel 1999-2002, pour lequel un projet de loi a été déposé au printemps 1999 devant le Grand Conseil.

1998 marque une étape importante dans le cadre du processus de mise en oeuvre des réformes entreprises au sein de l'entreprise des TPG, en vue d'une orientation marketing plus axée encore sur la clientèle.

Il convient une nouvelle fois de rappeler les trois niveaux de l'organisation genevoise des transports publics :

L'orientation stratégique. Celle-ci est déterminée par une loi qui fixe, pour un horizon de 8 à 12 ans, le mandat que les autorités ont à remplir sous la forme d'objectifs (niveau que l'offre de base doit atteindre selon différents critères) et les infrastructures que l'Etat doit construire (y compris les moyens financiers nécessaires).

La planification opérationnelle. Sa mise en oeuvre découle de l'orientation donnée par la législation et repose sur deux instruments parallèles :

Un plan directeur du réseau. Celui-ci concerne l'ensemble des modes et des exploitants des transports publics.

Un contrat de prestations. Celui-ci traite spécifiquement de la relation entre l'Etat et l'établissement public qui émane de lui.

Ce niveau est articulé sur le calendrier du renouvellement des autorités politiques. Sa durée est en passe de devenir identique à celle d'une législature, la première année de celle-ci correspondant à l'achèvement du plan directeur et du contrat précédent et à la mise en place des nouveaux.

La gestion courante. Celle-ci touche au suivi annuel au travers du budget et des comptes, tant pour l'Etat que pour les entreprises de transports, dont les TPG à titre principal pour Genève.

Le présent rapport traite de la gestion courante des TPG pour l'exercice 1998, troisième et dernière année du nouveau mode de relations entre l'Etat et l'entreprise des TPG : le contrat de prestations. Pour rappel, ce contrat pluriannuel est conclu entre le Conseil d'Etat et le Conseil d'administration de l'entreprise et approuvé par le Grand Conseil sous la forme d'une loi à caractère budgétaire, qui fixe le montant des enveloppes allouées pour les exercices concernés.

Rapport annuel de gestion de l'entreprise des TPG pour l'exercice 1998

Le Conseil d'administration des TPG a adopté le 29 mars 1999 le bilan au 31 décembre 1998 ainsi que les comptes et le rapport de gestion de l'exercice 1998. Les documents en question ont été transmis dans les délais impartis d'une part au Conseil d'Etat et d'autre part à l'inspection cantonale des finances de l'Etat.

Cette dernière instance a rendu ses conclusions le 8 septembre 1999 au Conseil d'Etat, en lui recommandant d'approuver les comptes des TPG au 31 décembre 1998. Les différentes remarques de l'ICF, identiques à celles qui portaient sur l'exercice 1997, ont été prises en considération :

dans le cadre des opérations liées au transfert d'actifs entre l'Etat et les TPG (meilleures répartition des actifs / transparence accrue) ;

dans le cadre des travaux préparatoires relatifs au contrat de prestations 1999-2002 ( pertinence de certains objectifs et indicateurs de performance / mesure des résultats ).

En date du 22 décembre 1999, le Conseil d'Etat a donné son approbation au bilan du 31 décembre 1998 présenté par les TPG, aux comptes et au rapport de gestion de l'entreprise pour l'exercice 1998, conformément à l'article 37 de la loi sur les TPG. Le rapport de gestion de l'entreprise, transmis conjointement au Grand Conseil, donne tous renseignements utiles à ce propos. Les éléments récapitulatifs principaux sont directement annexés au présent rapport.

Rapport sur la réalisation de l'offre de transport 1998

Le cadre institutionnel introduit avec le contrat de prestations prévoit que l'entreprise des TPG prépare un rapport annuel sur la réalisation de l'offre, destiné à évaluer les prestations fournies par l'entreprise, en relation avec les dispositions du contrat qui prévoient la modification éventuelle de la tranche budgétaire annuelle prévue. Le Conseil d'administration des TPG a également adopté le 29 mars 1999 ce document, qui est présenté sous forme séparée du rapport de gestion.

Le Conseil d'Etat a donné le 22 décembre 1999 son approbation au rapport des TPG sur la réalisation de l'offre de transport 1998, conformément à l'article 37 de la loi sur les TPG. La substance prédominante de ce rapport illustre une nouvelle fois, comme prévu dans la dynamique du contrat de prestations, une vision non seulement plus riche et plus dense des éléments d'évaluation de l'activité de l'entreprise, mais encore mieux ciblée et mieux maîtrisée des indicateurs de performance qu'en 1996, première année du contrat considérée comme expérimentale.

La conception puis la présentation de ce rapport par l'entreprise des TPG ont une double conséquence positive. La première bénéficie aux TPG en tant que la préparation de ce rapport impose à l'entreprise la prise de données et leur analyse minutieuse en corrélation avec les objectifs et indicateurs de performance admis dans le contrat de prestations. L'entreprise bénéficie ainsi de l'outil de monitoring indispensable à sa saine gestion et d'un instrument d'auto-contrôle qui lui est non moins indispensable. Enfin, l'Etat bénéficie par la même démarche d'une quittance de l'entreprise des TPG sur le volume et la qualité de l'offre fournis, définis préalablement contractuellement.

L'équilibre global de l'offre entre 1997 et 1998 mis en balance avec les mesures de rationalisation qui ont été poursuivies aux TPG dans le cadre de leur exploitation a permis au Conseil d'Etat de ne pas modifier la tranche budgétaire allouée pour l'exercice 1998.

Les données collationnées et présentées dans le rapport sur la réalisation de l'offre de transport 1998 ont été examinées avec attention par le Conseil d'Etat, qui en a également tiré la substance utile à l'élaboration du contrat de prestations 1999-2002. Pour de plus amples renseignements, ce document est adressé conjointement au Grand Conseil.

Rapport de synthèse des années 1996-1998 du contrat de prestations 1996-1998

Le cadre institutionnel introduit avec le contrat de prestations prévoit également la présentation, par l'entreprise des TPG, d'un rapport de synthèse, dans un premier temps, après les deux premières années de validité du contrat de prestations, puis portant sur l'ensemble de la durée dudit contrat, ce qui est maintenant le cas. Ce rapport, que l'on peut qualifier de bilan final, apporte ainsi à l'expiration du contrat une vision rétrospective synthétique et globale comprenant les principaux aspects liés au compte de fonctionnement, à l'évolution du nombre de voyages, ainsi qu'à l'évolution de l'offre quantitative et qualitative.

Ce rapport est un complément bienvenu aux deux mentionnés précédemment, en ce sens qu'il apporte une comparaison représentative des exercices écoulés. Il permet la prise en compte aisée d'éléments chiffrés dans la durée et illustre de façon pertinente les variations enregistrées, dont on peut rapidement estimer les conséquences sur l'exploitation de l'entreprise et sur ses charges financières.

Le contenu de ce document a également été pris en compte par le Conseil d'Etat dans le cadre des travaux préparatoires liés au contrat de prestations 1999-2002.

Ce rapport de synthèse des années 1996-1998 du contrat de prestations 1996-1998 a été approuvé par le Conseil d'Etat le 22 décembre 1999. Il fait siennes les conclusions apportées à son propos par les TPG. Compte tenu de son importance, ce document est directement annexé au présent rapport in extenso.

Conclusion

1998 correspond à l'étape finale du premier contrat de prestations liant l'Etat aux TPG. Les rapports adoptés par l'entreprise des TPG qui découlent de l'exercice 1998 et qui ont été approuvés par le Conseil d'Etat présentent un intérêt certain pour la poursuite du processus lancé pour dynamiser la politique des transports collectifs à Genève.

En effet, les éléments présentés au sein des documents en question renforcent les résultats positifs issus des deux premières années du contrat de prestations et scellent ainsi par eux-mêmes le processus dans le sens souhaité par le Conseil d'Etat et par le Grand Conseil. Les correctifs qu'il était nécessaire d'apporter ont quant à eux été introduits soit au sein du contrat de prestations 1999-2002, soit dans le cadre des opérations liées au transfert d'actifs entre l'Etat et les TPG.

L'examen de ces rapports aura par ailleurs été l'occasion pour le Conseil d'Etat d'entreprendre une brève rétrospective afin de confirmer le montant des tranches budgétaires prévues.

Pour conclure, le Conseil d'Etat tient à relever l'intérêt pour l'Etat à poursuivre dans le sens du processus d'autonomisation engagé en 1996, qui à l'évidence a permis aux TPG de connaître un développement opportun, orienté par la volonté de développer à Genève l'attractivité des transports publics dont l'importance n'est plus à démontrer.

Au bénéfice de ces explications, le Conseil d'Etat vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à prendre acte du présent rapport.

Annexes :

1. Extrait du rapport annuel de gestion de l'entreprise des TPG pour l'exercice 1998

2. Rapport de synthèse des années 1996-1998 du contrat de prestations 1996-1998

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Contrat de prestations23456789101112131415

Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur :

a) RD 346 traitant du budget 1999 (2e version) de l'entreprise des TPG

b) M 1266-A motion de Mmes et MM. Anne Briol, Fabienne Bugnon, Chaïm Nissim et David Hiler contre la hausse des tarifs TPG

c) M 454-A motion de M. Paul Passer sur les améliorations tarifaires des TPG

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le budget de fonctionnement et le budget des investissements de l'entreprise des TPG (ci-après les TPG) pour l'exercice 1999 ont été adoptés en deuxième version par son Conseil d'administration le 28 juin 1999 et approuvés par le Conseil d'Etat le 24 novembre 1999, après que votre Autorité ait adopté le budget 1999 bis de l'Etat.

Le 21 décembre 1998, le Conseil d'Etat décidait en effet de ne pas adopter la première version du budget présenté par les TPG, en raison d'incertitudes liées au montant de l'enveloppe budgétaire pluriannuelle 1999-2002 encore en négociation, aux produits voyageurs générés par les titres de transport ainsi qu'à la formalisation du transfert d'actifs pour le Bachet-de-Pesay et la Jonction, qui n'aura en définitive aucun effet financier sur l'exercice 1999.

La deuxième version du budget des TPG s'inscrit maintenant dans le cadre du contrat de prestations 1999-2002 dont les négociations entre le Conseil d'Etat et le Conseil d'administration ont abouti à un projet de loi adressé à votre autorité en juin dernier. Ledit contrat contient le plan directeur des TPG 1999-2002 ayant été examiné par votre Autorité le 23 octobre 1998. Sur cette base et conformément à l'article 36, alinéa 2, lettre a, de la loi sur les TPG, le budget adopté par les TPG et approuvé par le Conseil d'Etat fait maintenant l'objet de la première partie du présent rapport d'information au Grand Conseil.

L'adoption certes tardive du présent rapport par le Conseil d'Etat s'explique par un chevauchement des processus budgétaires de l'Etat et des TPG plus complexes en 1999 qu'à l'ordinaire d'une part et par les démarches liées au contrat de prestations 1999-2002 non abouties en début d'exercice.

1. Budget 1999 (2e version) des TPG

En 1999, les prestations des TPG, exprimées en places-kilomètres offertes, s'établissent à 1'726 millions (1998 : 1'727 millions).

Le budget de fonctionnement s'établit à F 201,24 mios de charges et F 202,044 mios de produits. Il en résulte un excédent de produits de F 0,804 mio qui sera attribué au fond de réserve, alors que ledit excédent avait été évalué de façon plus optimiste à F 0,872 mio au moment de l'élaboration du plan financier quadriennal 1999-2002 nécessaire à la préparation du contrat de prestations.

L'entreprise a décidé au budget 1999 F 54,395 mios de dépenses d'investissement, soit environ F 0,4 mio pour les installations, F 50,4 mios pour les véhicules et F 3,595 mios pour les objets mobiliers.

En ce qui concerne l'Etat, les montants suivants figurent à son budget bis en relation avec les TPG, pour l'exercice 1999 :

Budget de fonctionnement

1.1

Subvention versée à l'entreprise sous forme d'enveloppe (c'est un produit dans le budget des TPG)

106'000'000

1.2

Acquisition d'abonnements pour les bénéficiaires de l'Office cantonal des personnes âgées

(c'est un produit dans le budget des TPG)

3'500'000

1.3

Charges d'intérêts et d'amortissement correspondant aux dépenses à la charge du DAEL, conformément à la loi sur le réseau des transports publics, au cahier des charges relatif à l'utilisation du domaine public et aux prévisions liées au contrat de prestations 1999-2002

6'212'000

Budget d'investissement

2.1

Construction d'infrastructures nouvelles et d'aménagements divers (extension du réseau de tramway)

15'000'000

2.2

Entretien et remplacement d'infrastructures existantes (rails, lignes aériennes)

4'000'000

2.3

Frais d'études du réseau

3'000'000

Cela représente au total F 115,273 mios de charges au budget de fonctionnement et F 22 mios de dépenses au budget d'investissement.

Les éléments financiers afférents au transfert des actifs du Bachet-de-Pesay et de la Jonction ne sont pas pris en considération, car ne portant pas d'effet sur l'exercice 1999.

Une synthèse de la deuxième version du budget 1999 des TPG est présentée en annexe. A sa lecture , le Grand Conseil constatera que le Conseil d'Etat a décidé de porter le montant de l'enveloppe pluriannuelle à F 106 mios ventilé sur plusieurs positions budgétaires au sein de la présentation comptable des TPG. Cette adaptation est la conséquence directe de sa décision de geler les tarifs des TPG, suivant en cela la volonté du Grand Conseil.

2. Réponse à la motion M 1266 « contre la hausse des tarifs TPG »

Face au constat brut présenté par les motionnaires sur l'évolution des déplacements à Genève depuis 1990, le Conseil d'Etat doit préciser une fois encore que la hausse du trafic de 10 % est le fruit d'une meilleure offre que représente l'autoroute de contournement, à laquelle il convient d'adjoindre une hausse des mouvements pendulaires Vaud-Genève ainsi qu'une augmentation du trafic transfrontalier.

La réalité est toute autre pour ce qui touche à l'agglomération urbaine où l'on observe la tendance inverse, favorisant ainsi une meilleure accessibilité globale au centre par une meilleure fluidité du trafic, aussi bien collectif que privé.

L'observatoire des déplacements en préparation permettra une analyse plus fine de l'évolution des différents mouvements futurs et illustrera mieux les résultats obtenus par les efforts déployés avec constance pour améliorer encore la situation.

Le Conseil d'Etat poursuit de façon volontariste l'introduction de nouvelles zones avec macaron de stationnement, de même que le développement des transports collectifs. Les procédures liées au développement des itinéraires desservis par les trams se poursuivent en effet, malgré les oppositions qui jalonnent leur parcours. L'extension des parcs-relais fait également l'objet d'une attention soutenue du Conseil d'Etat, puisqu'il proposera très prochainement une extension de ces derniers au Grand Conseil. Le développement harmonieux d'une politique des déplacements nécessite une approche complémentaire entre transports publics et transports privés, avec une répartition des modes de transport et une hiérarchisation du réseau adaptées au contexte de l'agglomération, du canton et de la région.

Dans cet esprit, il apparaît peu opportun au Conseil d'Etat d'envisager comme stratégie de rechange liée à la non-augmentation des tarifs des TPG une participation du trafic routier au coût du développement des transports publics. Cette problématique relève en effet d'une approche beaucoup plus globale à entreprendre le cas échéant dans un autre contexte.

Actuellement, le Conseil d'Etat étudie en revanche les potentialités et les coûts que pourraient générer à terme une extension de la communauté tarifaire genevoise, le cas échéant avec le canton de Vaud et les départements de l'Ain et de la Haute-Savoie, en collaboration avec les CFF, voire avec la SNCF.

Pour ce qui touche à la TVA, l'Union Suisse des transports publics (UTP) est en négociation avec la Confédération, en vue d'accorder des conditions préférentielles aux entreprises de transports publics (gel du taux à 7,6 % valable dès le 1.1.2000). Le cas échéant, le Conseil d'Etat apportera son soutien aux démarches entreprises, en temps opportun. Il ne peut en revanche demander un traitement de faveur au profit de la seule entreprise des TPG.

Le Conseil d'Etat s'attache à poursuivre ses travaux en vue d'améliorer l'attractivité des transports collectifs à Genève, dans le sens où il vient de le décrire. Il veille par ailleurs à ce que la nouvelle technologie utilisée par les TPG pour distribuer les titres de transport, au moyen de cartes à puce, n'apporte pas de pénalité à la clientèle même s'il est vrai que la nouvelle approche nécessite de nouvelles habitudes de la part de ladite clientèle, qui achète désormais, à l'exception du cas des abonnements, une « capacité à consommer », et non des titres de transport stricto sensu.

Le Conseil d'Etat a pris acte du lancement récent par les TPG d'un bonus écologique par la consigne des cartes dont la valeur a été épuisée. Ainsi, après une période de rodage du nouveau système monétique, les clients des TPG peuvent rendre les cartes épuisées et reçoivent une carte neuve, représentant une contrepartie de 10 % du total des valeurs faciales rendues, équivalent à F 200 au minimum.

Le lancement de ce bonus écologique, cumulé aux bonus déjà introduits dès l'entrée en exploitation des nouveaux distributeurs, doit permettre à la clientèle d'obtenir globalement les mêmes conditions tarifaires sur les titres de transport, à un niveau correspondant à l'année 1998.

3. Réponse à la motion M 454 « sur les améliorations tarifaires des TPG »

La motion 454 était le fruit d'une proposition de feu le député Paul Passer, adoptée sans débat le 18 septembre 1987 par le Grand Conseil. Elle relevait la nécessité d'améliorer les prestations et l'attractivité des TPG pour les personnes qui ne bénéficient que des revenus AVS ou AI et demandait au Conseil d'Etat de lui faire rapport sur les améliorations tarifaires qu'il envisageait pour ces catégories de personnes, faisant notamment allusion à la carte rose au moyen de laquelle l'ayant-droit pouvait bénéficier d'un demi-tarif sur les titres de transport.

Avec le temps, le contenu de la motion est devenu obsolescent, en raison de l'évolution de la politique tarifaire des TPG et des nouvelles technologies mises à disposition pour distribuer et obtenir les titres de transport de l'entreprise.

Ainsi, depuis 1988, la carte rose à F 20.- a disparu et l'octroi des tarifs spéciaux AVS et AI s'effectue, en cas de contrôle, sur la base de la carte d'identité ou de la carte AI. L'abonnement AVS et l'abonnement AI sont au même niveau tarifaire (F 40.- / mois ou F 400.- / an). Pour la clientèle qui n'utilise pas d'abonnement mais des billets, la carte à puce des TPG permet maintenant l'acquisition de titres de transport sans monnaie. Ladite carte procure les bonus déjà présentés au chapitre 2 pour un cumul approximatif de 23 % applicable au tarif réduit AVS/AI, lui-même réduit de 25 %, correspondant ainsi à une réduction tarifaire globale de 48 %.

Pour ce qui concerne les personnes avec difficultés d'orientation, les TPG sont allés plus loin que la motion en établissant, en 1997, le service « Mobilité pour tous », destiné aux personnes âgées ou handicapées. Ce service gratuit fournit aux personnes concernées un accompagnement du domicile au lieu de destination et vice-versa.

Le Conseil d'Etat estime ainsi avoir fait l'illustration de sa volonté de développer l'attractivité des transports collectifs sur le plan tarifaire au sens où le Grand Conseil l'entendait. En conséquence, il vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à prendre acte du présent rapport traitant du budget 1999 (2e version) des TPG et répondant aux motions M 1266 « Contre la hausse des tarifs TPG » et M 454 « Sur les améliorations tarifaires des TPG ».

Annexe: Budget 1999 ( 2e version ) des TPG, en bref

Débat

Mme Anne Briol (Ve). La réponse du Conseil d'Etat à la motion 1266 mérite réaction. Tout d'abord, elle laisse croire que la circulation au centre-ville est satisfaisante. Pourtant, il n'est pas nécessaire de faire appel à l'observatoire des déplacements pour constater qu'il y a encore trop de trafic au centre-ville. Pour illustrer cette réalité, prenons l'exemple tout simple de la rue du Rhône, engorgée quasiment du matin au soir, véritable goulet d'étranglement pour les TPG, qui perdent de précieuses minutes dans cette rue, ceci n'étant qu'un exemple parmi de nombreux autres au centre-ville.

Nous attendons donc du département qu'il prenne de réelles mesures visant à réduire le trafic et à éliminer ces points de blocage, afin de véritablement donner la priorité aux transports publics.

Dans le rapport du Conseil d'Etat, on peut également lire, je cite : «Le Conseil d'Etat s'attache à poursuivre ses travaux en vue d'améliorer l'attractivité des transports collectifs à Genève...» Nous n'avons malheureusement pas l'impression que le Conseil d'Etat investit beaucoup d'énergie dans ce dossier. Nous avons plutôt l'impression qu'il ne réagit que lorsque le parlement le met sous pression, et même là il ne réagit pas forcément. L'exemple de la non-augmentation des tarifs qui a nécessité deux interventions de la part du parlement, ou l'exemple du contrat de prestations des TPG actuellement à l'étude en commission, qui ne semble pas passionner le Conseil d'Etat, sont révélateurs.

Concernant la carte à puce et le bonus écologique - que je qualifierais plutôt d'emplâtre sur une jambe de bois - nous tenons une fois encore à déplorer que la carte ne soit pas rechargeable et vienne augmenter la production de déchets de notre société.

Mme Nelly Guichard (PDC). Il paraît tout à fait cocasse de parler aujourd'hui d'un rapport annuel de gestion des TPG sur l'exercice 1998, tout comme du rapport sur la réalisation de l'offre de transports 1998. Le rapport de synthèse des années 1996-1998 du premier contrat de prestations arrive aussi fort tardivement, puisque nous traitons actuellement en commission le contrat de prestations portant sur la période 1999-2000.

Cependant, d'entente avec le Conseil d'Etat et l'entreprise des TPG, nous devrions être en possession du budget et du rapport de gestion plus rapidement dorénavant, soit dans des délais qui permettraient de se pencher sur la problématique des transports publics sans avoir la désagréable impression d'assister à un cours d'histoire, histoire contemporaine, je veux bien, mais histoire quand même !

De toute manière, la pièce maîtresse reste le contrat de prestations et c'est dans ce cadre que sont définis les objectifs en matière de transports publics, en matière de développement, de qualité de service à la clientèle, de complémentarité réelle des modes de transports, grâce à une vitesse commerciale efficace, à un confort agréable pour la clientèle et, le cas échéant, des tarifs qui encouragent le transfert modal.

Le contrat de prestations, qui donne aux TPG une certaine autonomie dans le cadre d'une enveloppe pluriannuelle, va dans le bon sens pour donner à cette entreprise un peu plus de souplesse et un dynamisme bienvenu, comme le démontre le rapport de synthèse des trois années du premier contrat de prestations.

Pour qu'un tel contrat ait un sens, quand on fixe les objectifs stratégiques, il faut qu'on laisse aux TPG la responsabilité de fixer eux-mêmes les objectifs opérationnels. Ceci apparaît comme une évidence ici, mais en commission des transports, quand on se mêle, entre autres, du salaire du personnel, on empiète sur l'autonomie de l'entreprise. Nous estimons qu'il est primordial de laisser aux TPG suffisamment de latitude pour rester une entreprise, comme on la dénomme, et non pas une grande régie avec la lourdeur et l'inertie que ce terme sous-tend.

Les rapports doivent formellement, si je ne me trompe, être renvoyés en commission, mais il paraîtrait plus efficace évidemment de pouvoir en prendre acte directement ce soir.

M. Pierre Froidevaux (R). Effectivement, les deux rapports du Conseil d'Etat soumis ce soir à l'examen de notre Conseil portent sur des exercices déjà écoulés. Je ne suis pas convaincu non plus qu'il soit absolument nécessaire de les renvoyer en commission : nous pourrions en prendre acte ce soir, d'autant que la commission des transports se penche actuellement sur les prochains projet de budget et contrat de prestations.

Nous pourrions donc simplement ce soir faire une synthèse des exercices 1998-1999 et tracer les pistes essentielles à retenir. Dans ce sens, je rappellerai que, globalement, les frais de fonctionnement de notre grande régie sont de 200 millions et que ses revenus, liés essentiellement à la billetterie, représentent 80 millions. En raison notamment de la motion 1266, qui interdit toute augmentation des tarifs voyageurs, les revenus des TPG restent stables, toujours aux alentours de 80 millions, alors que les frais de fonctionnement progressent année après année.

Nous pouvons ainsi constater qu'à Genève comme partout en Suisse et dans les pays développés, le rapport entre les revenus et les frais de fonctionnement ne fait que grandir et que l'effort de la communauté en faveur des transports publics est constant. Quant à nous, radicaux, nous souhaiterions que ce rapport soit compatible avec les finances de l'Etat et qu'il n'augmente pas de façon trop importante. En effet, si nous ne pouvons financer cette augmentation immédiatement, il faudra la financer par des emprunts, qui se reporteront sur les générations futures.

Pour avoir une idée de l'effort fourni, il aurait fallu trouver dans ces rapports présentés par le Conseil d'Etat un véritable indice de performance, un indice de rendement. Il existe, dans le rapport divers 354, à la page 7, une liste de chiffres clés, à savoir les kilomètres-convoi productifs parcourus, le nombre de voyageurs transportés, mais nous constatons, à l'analyse des comptes, que ceux-ci ne permettent pas de se faire une idée du rendement du travail. L'organisation interne des TPG s'améliore-t-elle d'année en année ? Arrive-t-on pour le même prix à transporter davantage de passagers ? Il existe différents paramètres pour répondre à ces questions, par exemple le comptage des personnes qui entrent et qui sortent des véhicules, qui fait actuellement défaut. Cet indice de performance, cet indice de rendement du travail est à mon sens l'élément qui nous permettrait de connaître notre taux d'effort et de savoir, lors des prochains débats qui vont avoir lieu dans ce Grand Conseil, s'il faut augmenter la subvention cantonale, qui a passé de 102 à 104, puis de 104 à 106 millions pour 1999.

Nous savons que la régie prépare un tel indice pour le prochain rapport, mais c'est l'occasion ici de rappeler à quel point nous en sommes friands, pour que nos débats puissent être les plus sereins possible.

M. Christian Brunier (S). Tout d'abord, j'aimerais remercier M. Ramseyer, car à chaque fois qu'il nous communique les rapports sur les Transports publics genevois, nous rajeunissons, nous remontons le temps ! En effet, ce soir nous traitons d'une motion adoptée en 1987, d'un rapport de synthèse portant sur le contrat de prestations de la période 1996-1998, donc largement écoulée. C'est dire qu'une bonne partie des remarques que nous serions appelés à faire ont déjà bien souvent été intégrées par les TPG, et heureusement !

Dans ce domaine, nous devrions anticiper, faire de la prospective, alors que nous sommes souvent dans la position contraire, débattant de façon anachronique et un peu déphasée par rapport à la réalité.

Cela dit, j'aimerais saluer l'expérience du contrat de prestations, sur laquelle je pense que nous sommes tous d'accord. C'est un outil de modernisation de certaines entités publiques, qui permet de leur confier plus de responsabilités, plus d'autonomie, plus de liberté d'action, mais qui nous oblige, de notre côté, à définir des objectifs plus clairs, un cadre précis, des lignes politiques rigoureuses, de façon à donner de vrais objectifs politiques à ces entités soumises à contrats de prestations.

En l'occurrence, Mesdames et Messieurs, il s'agit de faire le contraire de ce que vous avez fait à l'Aéroport, à savoir accorder l'autonomie sans véritable contrôle et sans cadre rigoureux. J'aimerais que cette expérience de modernisation faite aux TPG soit contagieuse et que très rapidement nous concluions des contrats de prestations avec l'Aéroport, les SIG, l'université, puisque c'est visiblement un bon moyen d'action pour l'Etat.

Dans cette première expérience de contrat de prestations TPG, il y a eu, comme dans toute première expérience, des points positifs et des points négatifs. Ce contrat est perfectible et c'est dans ce sens que la commission des transports examine actuellement le prochain - d'ailleurs, là aussi nous faisons dans l'anachronisme, puisque ledit contrat de prestations est déjà en vigueur depuis douze mois ! Nous faisons néanmoins notre travail et celui-ci va dans le sens, premièrement, de mettre en place des outils de mesure, des indicateurs plus clairs. En effet, dans le premier contrat, les outils de mesure et les indicateurs, comme l'avait relevé l'inspection cantonale des finances, étaient insuffisants et il faut les développer, les rendre plus performants.

Cela dit, cette deuxième copie, aux yeux de la majorité parlementaire, manque surtout d'ambition et n'est en adéquation ni avec les objectifs de l'Alternative, qui a fait des transports publics une priorité, ni avec les objectifs déclarés du Conseil d'Etat lors du discours de Saint-Pierre. On ne peut se contenter de faire de belles promesses, il faut passer à l'action. En l'occurrence, mettre de l'ambition dans ce contrat de prestations est un moyen de réussir à concrétiser nos objectifs. A cet égard, nous pouvons nous inspirer d'une ville comme Strasbourg, qui a vraiment mis le paquet pour développer les transports publics et qui est arrivée à réaliser un réseau relativement exceptionnel et à concrétiser ses ambitions.

Concrétiser nos ambitions, c'est premièrement développer le réseau des transports publics : là, un certain nombre de lois, sous l'impulsion de la majorité parlementaire, ont déjà été adoptées. C'est augmenter l'offre, notamment aux heures de pointe : nous avons vu que ces derniers temps l'offre s'est plutôt restreinte. D'ailleurs, le nombre de passagers a diminué ou a stagné, selon les lignes, et ce n'est pas acceptable dans une ville-canton qui a envie de développer le transfert modal. Nous devons aussi décréter un moratoire sur les augmentations de tarif, afin que ceux-ci ne deviennent pas dissuasifs : c'est ce que nous avons fait lors du vote du budget l'année dernière.

Développer dans cette ville l'écomobilité est une priorité du gouvernement et de la majorité parlementaire et nous voulons agir dans ce sens. La majorité est conséquente avec elle-même et sait qu'il faudra certainement augmenter l'enveloppe des TPG pour augmenter l'offre, mais nous sommes prêts à le faire, car nous pensons que le canton en a les moyens et se doit de le faire, pour rendre les transports publics plus efficaces et plus attractifs.

Au contraire de M. Froidevaux, vous l'aurez compris, nous pensons que les TPG sont un investissement indispensable pour notre avenir, un investissement urgent dans une ville et un canton qui souffrent terriblement de l'excès de voitures. C'est un challenge pour l'avenir : nous devons vraiment sauver cette ville et ce canton de l'asphyxie et c'est dans ce sens que nous agirons.

M. Pierre Ducrest (L). Les préopinants ont indiqué qu'ils reviendraient sur le sujet lorsque le contrat de prestations 1999-2002, actuellement à l'étude en commission des transports, reviendra dans cette enceinte. Pour ma part, je pourrais bien sûr m'étendre sur les problèmes techniques de ce contrat de prestations, que ce soit l'ancien ou le nouveau, mais je voudrais ce soir - et une fois pour toutes, j'espère - attirer l'attention sur les relations entre le parlement et le Conseil d'Etat au sujet des TPG. Je veux parler de la chronologie des informations qui viennent devant ce parlement.

S'agissant des deux points qui figurent à l'ordre du jour concernant les TPG, il nous faut ce soir clore et prendre acte de documents qui sont désuets, obsolètes : de la viande froide !

Il y a d'abord le budget TPG 1999, deuxième version, mais, Mesdames et Messieurs, nous sommes en l'an 2000 ! Bien sûr, il y a une phrase dans ce rapport qui rappelle que le parlement a lui-même dû voter un second budget de l'Etat en juin 1999 ; d'autre part, il est vrai que ce retard ne mettait pas en péril les millions alloués dans le cadre du nouveau contrat de prestations. Il y a ensuite une motion s'opposant aux augmentations de tarifs : tout le monde sait ici que le Conseil d'Etat a refusé ces augmentations, il y a déjà plusieurs mois. Il y a encore une autre motion, antédiluvienne, comme le démontre son numéro et son texte, qui ne veut plus rien dire. Enfin, il y a le rapport de gestion pour l'exercice... 1998 ! C'est dire que ce sont des choses totalement froides.

Le seul document intéressant est le rapport de synthèse, mais celui-ci est discuté en commission des transports depuis longtemps, puisque la commission étudie, je le répète, le nouveau contrat de prestations.

Actuellement, en ce début de l'année 2000, tout le monde fait ses comptes, les TPG aussi. En l'occurrence, comment procéderont-ils ? Quand ils auront bouclé leurs comptes, ils demanderont à leur organe de contrôle de les contrôler. Une fois ces contrôles faits, le propre bureau de direction des TPG analysera ces contrôles et avalisera les comptes, qui passeront devant le conseil d'administration, pour être à nouveau contrôlés et avalisés. Puis une partie des documents sera adressée à la Confédération helvétique qui a évidemment son mot à dire lorsqu'il s'agit de domaine ferroviaire. Ensuite, l'entier de ces comptes sera soumis au Conseil d'Etat, qui les transmettra à l'inspection cantonale des finances, laquelle les contrôlera et fera rapport au Conseil d'Etat et lui dira ce qu'elle en pense.

A ce moment-là, le Conseil d'Etat présentera un rapport au Grand Conseil, qui renverra le tout à la commission des transports. Celle-ci étudiera ces documents qui reviendront enfin devant le Grand Conseil, pour que nous en prenions acte.

Mesdames et Messieurs les députés, il est impossible de continuer ainsi, car nous aurons toujours de la viande froide ! Je suis déjà intervenu plusieurs fois ici et en commission des transports pour que nous trouvions une autre procédure, plus rapide, afin que ce parlement ne soit pas une simple chambre d'enregistrement mais puisse travailler sereinement sur des documents qui soient d'actualité. Je répète cela à M. Ramseyer ce soir ; j'espère que nous ne serons pas obligés d'intervenir par voie de motion, résolution, voire projet de loi, pour obtenir quelque chose de tangible. J'espère qu'il m'écoutera et je lui laisse le soin de trouver la solution.

M. Gérard Ramseyer. Mesdames et Messieurs les députés, pour le bon ordre et sur la forme, j'aimerais dire qu'au point 31 de l'ordre du jour le texte du rapport 354 que vous avez reçu ne correspond pas à celui initialement prévu. C'est la raison pour laquelle nous avons distribué de nouveaux exemplaires du rapport de synthèse 1996-1998. Quant à la question des délais, il est vrai que l'inspection cantonale des finances a dû se prononcer sur ces comptes. Dans l'organisation actuelle du département des finances et plus généralement de l'Etat de Genève, c'est un contrôle qui pour l'instant est incontournable. On peut bien sûr imaginer renoncer à certains contrôles, mais j'y reviendrai tout à l'heure à propos du deuxième document.

Le deuxième document est le RD 346, au point 17 de votre ordre du jour. Il vaut la peine de rappeler pourquoi vous recevez avec un pareil retard ce document. Le Conseil d'Etat a commencé par ne pas entériner la première version du budget TPG 1999, en décembre 1998, en raison d'incertitudes liées à l'adaptation des tarifs. Je vous rappelle que d'aucuns d'entre vous voulaient augmenter les tarifs, que d'autres ne le voulaient pas et que cette incertitude nous a retardés quelque temps. Puis sont arrivées les péripéties liées à l'adoption du budget de l'Etat. Ensuite, il a été décidé d'augmenter l'enveloppe annuelle des TPG à 106 millions, ce qui a obligé le conseil d'administration des TPG à revoir le budget, de sorte qu'il n'a été adopté par les TPG qu'en juin 1999.

Dès août, nous nous sommes trouvés confrontés à un nouveau problème. Puisque vous aviez refusé d'augmenter les tarifs, il a fallu rediscuter l'ensemble de la problématique avec la communauté tarifaire. Enfin sont arrivés les problèmes liés à l'OCPA et au département de l'action sociale et de la santé. Nous n'avons par conséquent reçu ce document pour aval définitif que le 24 novembre dernier, c'est-à-dire il y a moins de trois mois. Voilà les péripéties qui expliquent les retards pris par ce dossier.

Je reviens très rapidement sur certaines interventions, pour prouver l'attention que j'ai portée à vos propos. Mme Briol évoque des mesures de restriction du trafic pour favoriser les transports publics et, en même temps qu'elle émet ce voeu, je reçois pour ma part des demandes des milieux économiques en vue de limiter les transports collectifs sur certains axes ouverts aux voitures pour assurer une meilleure complémentarité. Ce débat est donc ouvert et je vous le dis tout de suite : il n'est pas prêt de se fermer !

Madame Guichard, vous avez raison de dire que parfois nos documents relèvent du cours d'histoire. J'espère cependant que c'est l'Histoire avec un H majuscule et au singulier! Vous avez justement relevé que la pièce maîtresse de ces documents était le contrat de prestations. A cet égard, vous savez que la commission des transports en est actuellement à sa quatrième séance, soit huit heures de débat, sur le contrat de prestations 1999-2002. Cela montre, comme l'a souligné M. Brunier, l'intérêt d'un tel contrat et notre volonté à tous de faire encore mieux avec le deuxième contrat qu'avec le premier.

Par ailleurs, vous avez relevé, Monsieur Froidevaux, que le renvoi en commission était particulièrement inutile puisqu'il s'agit de documents totalement dépassés. Je partage bien sûr cette appréciation. Mais vous avez également dit quelque chose d'extrêmement intéressant : n'y a-t-il pas moyen de trouver des critères permettant de mieux qualifier les prestations des TPG ? En page 10 et suivantes du rapport 354, vous avez peut-être vu que toute une série de mesures sont appréciées : résultat atteint, pas atteint, atteint partiellement, etc. En l'occurrence, ce contrat de prestations était le premier, non seulement des TPG, mais de l'histoire de l'Etat de Genève et il est donc normal que nous puissions faire plus précis et mieux encore avec la seconde édition. C'est ce à quoi vous travaillez en ce moment et je vous remercie de l'appui que vous apportez à ce système qui est indiscutablement moderne.

Enfin, Monsieur Brunier, vous avez évoqué un manque d'ambition dans ces contrats de prestations. Je vous répondrai de manière extrêmement claire à mi-février prochain, au moment où la délégation du Conseil d'Etat à l'aménagement, à l'environnement et aux transports - composée de M. Cramer, qui la préside, de M. Moutinot et de moi-même - présentera un rapport du Conseil d'Etat sur les transports et répondra à la bagatelle de douze textes parlementaires que vous nous avez adressés. En l'occurrence, ce n'est pas un reproche, mais vous comprendrez que si en deux ans nous recevons douze textes, qui pour certains disent exactement le contraire du texte précédent, cela ne facilite pas notre travail. Répondre aux uns et aux autres, au rythme de douze textes en deux ans, c'est évidemment une tâche relativement ardue.

Vous avez enfin cité le cas de Strasbourg. Monsieur Brunier, si vous vous penchez, et nous l'avons fait, sur le dossier du tram à Strasbourg, vous verrez que Strasbourg a connu la copie conforme de ce que nous vivons à Genève, y compris pour les délais. Mme Trautmann elle-même, que j'ai par ailleurs rencontrée dans sa nouvelle activité ministérielle, nous a expressément prédit que nous vivrions les mêmes problèmes. De même, nous sommes allés à Grenoble et nous avons constaté les mêmes confrontations entre milieux économiques et milieux environnementaux. C'est dire que nous n'avons pas à rougir de la comparaison avec ces villes.

Enfin, Monsieur Ducrest, vous vous êtes longuement étendu sur la pluie de contrôles qui marquent notre activité. Ce n'est évidemment pas au Conseil d'Etat de faire voter des lois qui par hypothèse viendraient diminuer les contrôles. Ceux-ci sont indispensables. La question que nous devons en revanche nous poser, et vous avez raison de le souligner, est la suivante : ne peut-on pas conduire certains contrôles de manière parallèle pour éviter qu'il y ait passage du dossier successivement d'une instance à l'autre ? C'est ce à quoi nous travaillons actuellement avec les TPG. J'attire ici votre attention sur le fait qu'il faut respecter les sphères de compétences de chaque instance. Les TPG n'accepteraient pas que les prérogatives du conseil d'administration ne soit pas respectées par l'Etat. Tout ceci ne prêche donc pas pour une accélération des procédures, pourtant nous y réfléchissons, nous y travaillons.

Vous avez enfin souhaité, Monsieur le député, avec votre doux sourire habituel, que je vous écoute : je confirme que je vous ai écouté quasiment religieusement !

Le président. Le renvoi en commission de ces documents est-il demandé ? Tel n'est pas le cas. Je vous propose de prendre acte de ces rapports.

RD 354

Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.

RD 346, M 1266-A, M 454-A

Le Grand Conseil prend acte de ces rapports.

R 412
8. Proposition de résolution de Mmes et MM. Antonio Hodgers, Jeannine de Haller, Chaïm Nissim, Marie-Paule Blanchard-Queloz, Luc Gilly, Alberto Velasco, Dominique Hausser et Dolorès Loly Bolay demandant aux autorités judiciaires d'étudier la responsabilité de M. Henry Kissinger, ainsi que d'autres personnes, dans les crimes commis par le régime de M. Augusto Pinochet. ( )R412

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :

la résolution 386 du 23 octobre 1998 demandant l'extradition deM. A. Pinochet en vue de son jugement en Espagne, votée à l'unanimité par notre Parlement ;

les documents publiés par la National Security Archive démontrant clairement l'implication du gouvernement des Etats-Unis, et plus particulièrement de M. H. Kissinger en raison de ses fonctions de National Security Advisor et de Secrétaire d'Etat, dans la chute du gouvernement chilien démocratiquement élu de M. Salvador Allende en 1973 et le coup d'Etat militaire de M. A. Pinochet ;

le soutien de M. H. Kissinger, ainsi que d'autres personnes, au régime militaire et à la personne de M. A. Pinochet alors même que les crimes de ce dernier étaient connus internationalement ;

l'existence certaine d'autres séries de documents, encore gardés secrets, notamment ceux relatifs à l'Opération Condor, et le rôle des autorités des Etats-Unis dans cette dernière, par laquelle les autorités chiliennes ont pu éliminer le ressortissant suisse M. Alexei Jaccard ;

la nécessité de condamner non seulement les dictateurs, mais aussi ceux qui leur ont permis d'arriver au pouvoir et de perpétrer leurs actes criminels et, à ce titre, de disposer d'un appareil législatif allant dans ce sens ;

décide de :

faire connaître aux Procureurs de la République et de la Confédération, dans le cadre des démarches introduites à l'encontre de M. A. Pinochet et à la lumière des nouveaux documents publiés par le gouvernement des Etats-Unis, notre volonté de voir établir dans quelle mesure les agissements de M. H. Kissinger, ainsi que d'autres personnes, peuvent être juridiquement qualifiés de complicité dans le complexe d'actes reprochés à M. A. Pinochet ;

faire publier cette résolution, traduite dans les langues respectives, dans The Guardian (Grande-Bretagne), The Washington Post (Etats-Unis), Le Monde (France) et El Pais (Espagne) ;

et invite les autorités fédérales :

EXPOSÉ DES MOTIFS

Aux Etats-Unis, le National Security Archive, en vertu d'une loi permettant de publier certains documents secrets 25 ans après leur date d'établissement, a pu, depuis 1998, déclasser toute une série d'archives sur le rôle et la responsabilité du gouvernement états-unien dans le coup d'Etat du général Pinochet au Chili.

Ces documents comprennent notamment :

datées du lendemain de l'élection par le peuple du président social-démocrate M. Salvador Allende en 1970, des correspondances entre l'ambassadeur des Etat-Unis, le président sortant chilien M. Eduardo Frei, les forces militaires chiliennes et le Parti démocrate-chrétien au pouvoir, retranscrivant des conversations sur la manière d'empêcher l'investiture du président élu ;

les notes du directeur de la Central Intelligence Agency (CIA) lors d'une rencontre avec le président des Etats-Unis, M. Richard Nixon, durant laquelle ce dernier ordonna, en 1970, d'organiser un coup d'Etat contre M. Allende. Dix millions de dollars - plus si nécessaire - ont été mis à la disposition de cet objectif. Un plan d'action a dû être soumis au National Security Advisor, M. Henry Kissinger, dans les 48 heures. Ce dernier déclara : « Je ne vois pas pourquoi nous devons ne rien faire et regarder un pays aller au communisme par l'irresponsabilité de son propre peuple » ;

des procès-verbaux de réunions entre M. Kissinger et la CIA, et des correspondances de ceux-ci avec des militaires chiliens leur demandant de patienter pour le coup d'Etat, car il y avait en 1970 trop de risques d'échec. « Un échec peut réduire vos capacités pour le futur … Le temps viendra lorsque vous et tous vos amis pourront faire quelque chose. Vous continuerez à avoir notre soutien. » écrit notamment le groupe de M. Kissinger à l'officier militaire chilien, M. Viaux ;

des correspondances secrètes contenant les ordres de M. Kissinger à l'office de la CIA à Santiago : « C'est une politique ferme et continue qu'Allende doive être renversé par un coup d'Etat. … Il est impératif que ces actions soient réalisées de manière sûre et clandestine afin que le gouvernement US et les mains américaines restent cachées. » ;

des notes sur la stratégie et les efforts entre 1970 et 1973 du National Security Council, dirigé par M. Kissinger, afin de déstabiliser économiquement le Chili et isoler diplomatiquement le gouvernement de M. Allende ;

le rapport d'un officier de la marine US décrivant le coup d'Etat du 11 septembre 1973 - « notre jour-J », le nomme-t-il - et ses commentaires sur l'opération. « Le coup d'Etat au Chili fut presque parfait » ;

des correspondances entre le Département d'Etat états-unien et le National Security Council, après le coup d'Etat, relevant l'évidence des atrocités et des violations des droits humains commises par le nouveau régime de M. Pinochet ;

des procès-verbaux prouvant la collaboration des Etats-Unis avec les forces de sécurité chiliennes du régime militaire ;

le procès-verbal d'une rencontre informelle tenue le 8 juin 1976 (soit 3 ans après le coup d'Etat, alors que les principales atrocités du régime avaient été commises et étaient connues) entre MM. Kissinger et Pinochet, durant laquelle l'émissaire états-unien assura le dictateur de son plein soutien : « Les Etats-Unis ont de la sympathie pour ce que vous êtes en train de faire ici ». Face aux critiques dont souffrait le régime de Pinochet au niveau international, M. Kissinger a tenu à rassurer le général : « Mon idée est que vous êtes une victime de tous les groupes gauchistes du monde ». Il a en outre garanti au général que l'administration du président Ford n'allait pas le punir pour ses violations répétées des droits humains ;

une note réalisée pour ses supérieurs par l'agent du Bureau Fédéral d'Investigation (FBI), établi à Buenos Aires le 28 septembre 1976 et détaillant les objectifs et les moyens de l'Opération Condor.

M. Henry Kissinger a été l'assistant du président Nixon pour les affaires de sécurité nationale de 1969 à 1973 et secrétaire d'Etat de 1973 à 1977. A ce titre, et comme les documents cités ci-dessus le prouvent, il a été largement impliqué dans le coup d'Etat de M. Pinochet qui, sans l'aide des Etats-Unis, n'aurait certainement pas pu se réaliser. Cette implication, ainsi que celle d'autres acteurs politiques de l'époque, est aujourd'hui évidente et reconnue. Cependant, même s'il est important de le réprouver moralement, la collaboration à la réalisation d'un coup d'Etat contre un gouvernement démocratique ne constitue pas, selon notre législation interne, un chef d'accusation. C'est pourquoi cette résolution, en posant le problème en termes juridiques, se permet d'interpeller les autorités judiciaires de notre pays.

En effet, une procédure à l'encontre de M. Pinochet est ouverte à Genève pour son éventuelle responsabilité dans l'assassinat de notre compatriote M. Alexei Jaccard. Ce dernier a « été disparu » à Buenos Aires par la police politique chilienne - la DINA - dans le cadre de l'Opération Condor. Cette opération, lancée par le Chili dans les années septante et comprenant l'Argentine, l'Uruguay, le Paraguay et la Bolivie, a coordonné des échanges de données et de prisonniers, des enlèvements, des tortures, des disparitions et des assassinats. La coordination mise en place par ces dictatures avait pour objectif de repérer et d'éliminer les opposants - ou estimés opposants - en exil, qu'ils se trouvent sur le territoire des membres du réseau ou dans le reste du monde.

Plusieurs éléments montrent que les Etats-Unis étaient non seulement au courant des activités de ce réseau, mais qu'ils ont aussi très certainement collaboré avec lui dans de nombreux cas. La preuve de la connaissance de l'Opération Condor par les autorités états-uniennes de l'époque est établie par la publication du département d'Etat d'une note réalisée le 28 septembre 1976 par un agent du FBI établi à Buenos Aires, détaillant les moyens et les objectifs de cette opération. Les preuves mettant en cause la responsabilité des Etats-Unis dans les activités du plan Condor ne sont certes pas démontrées si clairement, mais plusieurs faits permettant de conclure dans ce sens existent :

La Commission des Droits de l'Homme d'Argentine a établi que la CIA avait financé, assisté techniquement et organisé des rencontres entre les leaders d'escadrons de la mort du Brésil, d'Argentine et d'Uruguay.

En août 1975, moment où l'Opération Condor entre en force, M. Manuel Contreras, chef de la police politique chilienne et principal artisan de l'Opération, fut reçu par M. Vernon Walters, directeur adjoint de la CIA.

Les témoignages de divers prisonniers politiques des dictatures qui ont déclaré avoir été interrogés par des officiers états-uniens.

Des documents prouvant une collaboration suivie entre de notables bourreaux des dictatures et des agents du gouvernement américain.

Les recherches de journalistes, tel le Britannique M. Richard Gott, qui a directement mis en cause M. Kissinger, attestent de ces liens.

Des aveux d'ex-militaires comme M. Juan Battaglia Ponte, qui admet avoir travaillé pour la CIA dans les années septante et qui affirme que, non seulement elle connaissait les plans de l'Opération Condor, mais elle les supervisait.

Le Paraguay, autre centre important de l'Opération Condor, en a établi un classement de toutes les activités. Ces archives - nommées les Archives de la Terreur - ont été retrouvées en 1992 par un juge paraguayen et contiennent de nombreux documents impliquant les Etats-Unis.

Tous ces faits (ainsi que d'autres non énumérés ici), la responsabilité établie et prouvée du soutien politique, technique et financier des Etats-Unis au régime de M. Pinochet ainsi que le contexte international de l'époque où tout - ou presque - était permis pour lutter contre le ‘communisme', nous permettent d'établir que le principal acteur de la politique extérieure des Etats-Unis dans la région, M. Kissinger, ainsi que d'autres personnes, ont une forte responsabilité dans les actes de l'Opération Condor.

Dès lors qu'une procédure est ouverte en Suisse pour une personne disparue dans le cadre de cette opération, il est légitime de faire savoir aux autorités judiciaires notre souci qu'il soit établi s'il n'y pas lieu d'inculper M. Kissinger, ainsi que d'autres personnes, pour leur responsabilité dans cette disparition.

Par ce cas précis, les signataires de cette résolution veulent soulever une problématique plus large, celle de la notion de « complicité de crime contre l'humanité ». En effet, il nous semble incohérent de vouloir juger des criminels contre l'humanité et ne rien faire contre ceux qui leur ont permis de réaliser leurs crimes. A ce titre, l'affaire Papon a montré la lacune de notre dispositif juridique qui ne contient pas cette notion, pourtant appliquée de facto dans ce cas d'espèce. C'est pourquoi cette résolution demande aux chambres fédérales d'intégrer ce principe dans notre législation.

Une autre invite de la présente résolution concerne les documents publiés exposés ci-dessus qui, bien qu'ils permettent d'attribuer clairement une responsabilité au gouvernement états-unien, ne sont malheureusement pas complets. Il est certain qu'il existe d'autres séries de documents sur cette période, notamment sur l'Opération Condor dont la publication pourrait grandement aider le travail de la justice. C'est pourquoi il est important que nous fassions pression sur le gouvernement des Etats-Unis afin que ce dernier réalise une publication complète - et sans censure - des documents relatifs à ces événements.

La complexité et l'importance des faits évoqués dans cette résolution impliquent un renvoi de cette résolution en commission. La commission idoine serait celle des Droits de l'Homme, proposée par notre collègue Halpérin, mais le projet de loi l'instituant est encore en commission des droits politiques. Notre proposition est donc la suivante : nous invitons le Grand Conseil à renvoyer la présente résolution à la Commission des affaires communales, régionales et internationales dans l'attente de la création de la Commission des Droits de l'Homme. Dès l'entrée en fonction de cette dernière, la résolution lui sera transmise pour étude.

Par conséquent, nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les députés, de faire bonne accueil à notre résolution.

Débat

Le président. Un mot, Mesdames et Messieurs les députés, avant de vous passer la parole. A la lecture du contenu de cette proposition de résolution, le Bureau constate qu'en cas d'acceptation de cet objet par notre autorité législative nous pourrions être exposés à d'éventuelles accusations en référence au code civil ou pénal. Dès lors, et afin d'éviter toute procédure disproportionnée, nous vous proposons que le Bureau soit auditionné par la commission qui pourrait être saisie de cet objet, afin que nous puissions faire valoir nos observations.

M. Antonio Hodgers (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, je continue ici le débat entamé par M. Halpérin le 18 novembre 1999, lorsque l'ancien président du Grand Conseil Spielmann, avec le respect des procédures démocratiques que nous lui savons tous, lui a permis de s'exprimer durant une dizaine de minutes sur un point qui avait été retiré de l'ordre du jour, sans me donner la possibilité de répliquer !

Grâce à la présentation du parcours politique et diplomatique de M. Kissinger faite par M. Halpérin, vous avez été informés, pour ceux qui ne le connaissaient pas encore, des grandes choses qu'a accomplies cet homme. Ce que notre collègue s'est en revanche abstenu de rappeler, c'est la responsabilité qui lui est tout aussi imputable dans de nombreux cas de violations massives des droits humains à travers le monde. Je pourrais parler ici de son implication dans la prise du Timor-Oriental par Suharto, avec les conséquences humanitaires récentes que l'on sait, mais aussi du Cambodge. Ou encore de la guerre du Viêt-nam où, après avoir échoué militairement malgré des bombardements au napalm de villages et de civils, il obtint une victoire diplomatique en signant la paix, ce qui lui valut un Prix Nobel ! Il est évidemment facile de réaliser la paix lorsqu'on est responsable du déclenchement de la guerre...

Mais la présente résolution ne traite pas de ces faits. La résolution 412, Mesdames et Messieurs les députés, traite d'un sujet qui nous concerne et nous préoccupe tous, puisque notre parlement unanime a voté la résolution concernant l'extradition de M. Pinochet. En effet, par le vote de cette résolution, le Grand Conseil a montré son attachement aux droits humains et surtout à la nécessité de poursuivre ceux qui les ont violés, l'eussent-ils fait il y a plusieurs dizaines d'années et de l'autre côté de la Terre ! Ce vote montre aussi que notre parlement fait sienne la devise de Dostoïevski qui orne le Musée du CICR : «Chacun est responsable de tout devant tous !» - principe repris par l'article 28 de la Déclaration universelle des droits de l'homme - et que sa préoccupation en faveur de la justice dépasse largement les frontières de notre République.

Dans cette optique, les signataires de cette résolution n'ont agi que par souci de cohérence. Oui, comment peut-on condamner un criminel et recevoir avec tous les honneurs ceux qui lui ont permis, si ce n'est commandé de réaliser ses crimes ? Comment prétendre défendre les droits humains et justifier les actions des services secrets des Etats-Unis au Chili, sous prétexte de guerre froide ? A notre avis, il est trop facile de voter des résolutions contre des criminels médiatiques tels que Pinochet et de se taire sur la responsabilité de ceux qui les ont mis en place.

Les faits qui sont reprochés à M. Kissinger ne sont pas des suppositions, comme certains ont pu l'évoquer, car ils sont aujourd'hui confirmés, notamment par les documents publiés par le gouvernement des Etats-Unis dont vous avez un échantillon dans l'exposé des motifs. Evidemment, ces publications sont loin d'être complètes et le plus honteux reste certainement hors d'accès du public - même si quelques jours après le dépôt de la précédente résolution sur M. Kissinger le président Clinton répondait partiellement à une des invites, en déclarant vouloir déclasser encore un millier de pages concernant les années noires de la dictature au Chili. Ces documents, ainsi que d'autres éléments établis par des commissions-vérité latino-américaines qui se sont penchées sur ces années-là, permettent d'établir une responsabilité réelle des services états-uniens dans les crimes commis par les dictatures locales, dont celle de Pinochet.

Comme vous le savez, le procureur général de la République a ouvert une procédure à l'encontre de M. Pinochet pour sa responsabilité présumée dans la disparition et le meurtre du citoyen suisse Alexei Jaccard, à qui un auditoire universitaire a récemment été dédié. Or, ce dernier a été enlevé à Buenos Aires en Argentine, sur demande des services secrets chiliens dans le cadre d'une opération nommée Condor. Ce réseau de dictatures latino-américaines visait à éliminer les opposants politiques, ou supposés tels, dans le monde entier. Plusieurs éléments nous permettent d'avoir de forts soupçons sur le fait que non seulement les services secrets des Etats-Unis étaient au courant de l'opération Condor, mais qu'ils y ont largement contribué. L'exposé des motifs contient également quelques extraits de documents relatifs à ces faits.

Dès lors, si une procédure est ouverte en Suisse pour le meurtre d'un citoyen helvétique dans le cadre d'une opération à laquelle les services secrets des Etats-Unis ont participé, il est légitime de demander à notre justice si les responsables de ces services et notamment leur chef ne devraient pas comparaître devant elle. Il s'agit juste d'une question, et non d'une accusation, qui elle était contenue dans la précédente résolution.

En outre, concernant les problèmes diplomatiques que pourrait occasionner le vote d'une telle résolution, je tiens à souligner que M. Kissinger n'occupe aujourd'hui plus aucun poste politique ou diplomatique et que par conséquent cette résolution ne remet aucunement en cause la volonté de Genève d'accueillir des représentants de tous les Etats dans le cadre de ses organisations internationales, hauts lieux de négociations. Genève se doit d'accueillir ces représentants d'Etats, même si parfois ils ne sont pas très fréquentables, si je puis m'exprimer ainsi, car dans l'état actuel du monde l'intérêt du dialogue doit la plupart du temps primer sur la cohérence éthique.

Mesdames et Messieurs, je sais qu'il est difficile de s'attaquer à un personnage qui était l'un des plus éminents représentants de la nation considérée comme la plus puissante du monde. Je sais aussi que, malgré son implication dans des régimes violant de manière massive les droits humains, M. Kissinger n'a jamais été considéré comme un criminel par l'opinion publique internationale, contrairement à MM. Pinochet ou Milosevic. Néanmoins, si l'on veut qu'une réelle justice pénale internationale se mette en place - ce que nous avons tous souhaité en votant la résolution sur Pinochet - il faudra aussi s'attaquer aux actes commis par les gagnants et les puissants, et pas seulement à ceux commis par les perdants et les petits dictateurs locaux.

Cette peur de s'attaquer à un représentant des Etats-Unis, on l'a vue à travers les réactions qu'a suscitées le dépôt de la précédente résolution et de celle-ci, comme dans la préoccupation exprimée par notre président concernant les conséquences pénales que pourrait avoir le vote de cette résolution. Cela montre qu'effectivement il n'est pas aisé d'aborder une telle problématique.

Néanmoins, je tiens à rassurer notre président : j'ai consulté quant à moi quelques experts en droit pénal et je voudrais lui rappeler deux principes qui sont inscrits dans notre loi portant règlement du Grand Conseil, à l'article 69, à savoir l'irresponsabilité pénale des députés, donc du Grand Conseil, et leur liberté d'expression. Par conséquent, je verrais difficilement que de telles mesures soient prises à l'encontre d'une résolution votée par notre Grand Conseil. Cela dit, la commission auditionnera bien volontiers le Bureau.

Encore un mot sur l'invite proposant la publication de cette résolution : la majorité parlementaire comprend bien que le parlement ne peut se permettre de réaliser ce genre d'exercice trop souvent. C'est pourquoi les signataires sont prêts à retirer cette invite lors des travaux en commission.

Au sujet du renvoi en commission, la commission des droits de l'homme n'est pas encore instituée mais est en bonne voie. Dans l'attente qu'elle devienne effective, nous vous proposons de renvoyer cette résolution à la commission des droits politiques, en lieu et place de la commission des affaires communales, comme indiqué dans l'exposé des motifs.

M. Jean-François Courvoisier (S). Notre grand écrivain genevois Georges Haldas a écrit dans «La Légende des cafés» que ce qu'on nomme expérience n'est qu'une suite de désillusions. Je ne vous parlerai donc pas de mon expérience, mais de mes souvenirs.

Au moment du procès de Nuremberg, je me suis réjouis qu'un tribunal juge enfin les criminels de guerre. A la même époque, l'écrivain catholique français Georges Bernanos demandait au pape de définir la limite des atrocités que pouvait commettre un soldat en obéissant à ses supérieurs. Il ironisait sur la mission d'un aviateur bombardier, qui pouvait en quelques minutes massacrer des centaines de femmes et d'enfants et recevoir ensuite la sainte communion sans se confesser, à la condition toutefois que pendant le trajet en autobus il n'ait pas regardé de trop près les jambes de sa voisine !

Pour en revenir à Nuremberg, mon enthousiasme s'est vite amenuisé lorsque j'ai constaté que les criminels de guerre se trouveraient toujours dans le camp des vaincus.

Aucun responsable soviétique n'a été inquiété pour le massacre de 10 000 officiers polonais dans la forêt de Katyn. Le bombardement de Dresde peu avant la fin de la guerre, qui a détruit la ville et tué 200 000 civils dans le seul but de terroriser la population, ne pouvait pas être un crime de guerre puisqu'il était l'oeuvre des grands vainqueurs. Et le lancement des bombes atomiques qui ont fait en un instant des centaines de milliers de morts, en laissant les rares survivants dans une situation encore moins enviable, ne représentait pas un crime de guerre, mais soi-disant une nécessité stratégique - ce qui a été démenti peu après par le Pentagone qui avait évalué à 40 000 hommes les pertes américaines au cas où l'invasion du Japon aurait été nécessaire. Nous savons maintenant que le Japon avait déjà chargé l'URSS de demander aux Etats-Unis les conditions d'un armistice, ce qui vient d'être confirmé par une émission de télévision. Mais qu'importe quelques centaines de milliers de morts : il fallait impressionner Staline par la toute-puissance de cette arme redoutable.

Il faudrait aussi parler de la destruction par la dioxine de la forêt vietnamienne, dont les habitants subissent encore aujourd'hui les terribles conséquences.

Personne n'a condamné de responsables israéliens pour les 385 villages incendiés en Palestine, d'où 70 000 Palestiniens furent expulsés. L'écrivain israélien Gédéon Lévy a écrit que la seule différence avec le nettoyage ethnique du Kosovo était l'absence de caméras de télévision...

Aujourd'hui, nous voulons condamner Milosevic et Pinochet. Je comprends très bien que les victimes de ces criminels désirent les voir condamner. Mais nous ne courons pas de grands risques pour notre commerce extérieur et notre sécurité en condamnant un vieillard malade et un chef d'Etat qui ne pourra pas lutter longtemps seul contre dix-neuf pays, dont la plus grande puissance économique et militaire du monde.

Lorsqu'il nous a refusé l'autorisation de distribuer des tracts contre le président Clinton, M. Ramseyer a eu raison de nous dire que c'était Saddam Hussein qui avait envahi le Koweit. Mais lorsque l'Irak se battait contre l'Iran, ennemi des Etats-Unis, Saddam Hussein était déjà un tyran sanguinaire. Aux yeux des USA, il n'est devenu un criminel que le jour où, en envahissant le Koweit, il a envahi un grand producteur de pétrole !

Pour cela, le président Clinton se donne le droit de laisser mourir des centaines de milliers d'enfants par manque de médicaments et de nourriture...

Si nous n'avons pas voulu soutenir la résolution qui demandait de déclarer Pinochet persona non grata à Genève, nous soutiendrons le renvoi de cette résolution-ci à la commission des droits politiques, en attendant la création d'une commission des droits de l'homme. Cette nouvelle commission pourra définir ce qu'est un crime contre l'humanité. Staline disait avec le cynisme qui était le sien : «Tuer un homme, c'est un crime, en tuer mille, c'est une statistique.» Cette commission pourra aussi décider à partir de combien de milliers de morts, il y a crime contre l'humanité...

Comme il est coutume de citer La Fontaine dans cette salle, je rappellerai la conclusion des «Animaux malades de la peste» : «Que vous soyez puissant ou misérable / Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.» Alors ayons le courage de dénoncer les crimes contre l'humanité indépendamment de l'importance de ceux qui les commettent. Mais, pour le moment, nous devons envoyer cette résolution en commission des droits politiques.

Mme Nelly Guichard (PDC). Mesdames et Messieurs, en préambule, je propose un titre à votre résolution : «Persiste et signe» ou «La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf» !

Décidément, le principal mérite de certains députés, c'est l'obstination. Je ne dirai pas la persévérance, parce que la persévérance est une qualité ! Qu'on s'obstine pour une noble cause, parce qu'on est persuadé qu'elle doit être défendue, passe encore. Mais qu'on s'obstine pour faire passer son avis à tout prix et contre toute analyse raisonnable, c'est véritablement une position irresponsable. Etre idéaliste, c'est bien ; irréaliste, c'est dangereux ; irresponsable, c'est très grave pour des députés. Quand vous avez prêté serment comme députés, vous avez promis de servir la République. Tout à l'heure encore, nous nous sommes engagés, par la bouche de notre président, «à faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées».

Aujourd'hui, non seulement vous desservez Genève, la Genève internationale dont vous vous réclamez par ailleurs, mais vous desservez notre canton, la Suisse également, et surtout vous vous ridiculisez, ce qui est votre droit, mais vous rendez ridicules tous vos collègues, tous bords confondus, et cela ce n'est pas votre droit ! Que vous vous adressiez au Conseil fédéral, ou que vous destiniez votre résolution à une de nos commissions ne change rien à l'affaire. Non seulement le sujet pose problème et n'est pas de notre compétence, mais les députés ont bien assez de travail sans se mêler d'enquêtes de ce type, quelle que soit la personne au sujet de laquelle on demande une telle démarche d'ailleurs : qu'elle se prénomme Henry, Slobodan, Muammar, Saddam, Bill ou Augusto ne change strictement rien à l'affaire. Contentons-nous de faire le mieux possible ce qui nous concerne - et la tâche est vaste - plutôt que de nous ériger en justiciers du monde. C'est sûrement un idéal très noble, mais nous n'avons pas été élus pour remplir ce rôle-là.

Qu'on se comprenne bien : je ne minimise pas les faits qui sont décrits dans l'exposé des motifs, ils me révoltent, ils me répugnent autant qu'à vous. Mais, de grâce, cessez de mélanger les rôles des uns et des autres et les différents niveaux de compétence - cela vous a été expliqué déjà à de multiples reprises.

Nous vous demandons donc de retirer votre résolution, ce serait là un geste élégant et raisonnable. Faute de quoi, nous nous opposerons à l'envoi de cette résolution en commission, car trop souvent, dans l'enceinte de ce Grand Conseil, nous utilisons des sujets graves pour nous donner de l'importance. Nous demanderons par ailleurs l'appel nominal.

Mme Jeannine de Haller (AdG). Je ne serai pas longue, car beaucoup de choses ont déjà été dites et expliquées très clairement, entre autres dans l'exposé des motifs et dans la présentation de M. Hodgers.

Je dirai, au nom de mon groupe, que l'AdG regrette que la première formulation de cette résolution déclarant Henry Kissinger persona non grata ait été retirée. Toutefois, même si les mots utilisés dans cette nouvelle résolution sont moins percutants, l'idée de fond reste la même. Il ne suffit pas de condamner les dictateurs ou de demander leur extradition, comme ce Grand Conseil l'a fait pour Pinochet en votant la résolution 386, mais il s'agit également de montrer comment et grâce à qui ces dictateurs sont arrivés au pouvoir, puis s'y sont maintenus, et de se donner les moyens de condamner aussi leurs complices.

La résolution 412 se situe dans la logique de la résolution 386 qui demandait l'extradition de Pinochet. Elle invite les autorités fédérales à introduire dans notre législation fédérale le principe de complicité de crime contre l'humanité. C'est bien pour cette raison que l'AdG demande que cette résolution soit envoyée à la commission des droits politiques afin d'y être étudiée avec attention.

M. Michel Halpérin (L). M. Hodgers et ses amis avaient, il y a quelques mois, déposé une résolution qui leur a fait si peur qu'ils ont eux-mêmes éprouvé le besoin de la retirer. Ils auraient voulu le faire en catimini ; il se trouve que j'ai pris la parole pour dénoncer la pauvreté de la manoeuvre. C'est ainsi que M. Hodgers a tenu tout à l'heure à expliquer qu'il prolongeait aujourd'hui le dialogue qui n'avait pas eu lieu à l'époque, en reprenant, sous une forme à peine différente, l'exercice auquel il s'était livré alors.

L'on doit remarquer d'abord la formidable ignorance des auteurs de ce texte, ignorance historique et politique. Je ne voudrais pas, à cette heure avancée de la soirée, abuser de votre patience, Mesdames et Messieurs les députés, mais s'engager dans un processus comme celui-ci pour vous présenter une facette, au demeurant singulièrement unilatérale, de l'activité d'un homme politique étranger, c'est supposer que vous êtes dépourvus de toute mémoire, de toute connaissance de ce que la plupart d'entre vous ont vécu en direct, pour avoir été les témoins des événements survenus alors que M. Allende était président du Chili et M. Kissinger, secrétaire d'Etat américain.

C'est oublier aussi, par exemple, l'extraordinaire importance du rôle de M. Kissinger dans la fin de la guerre du Viêt-nam - guerre qui, je crois, n'avait pas beaucoup de supporters dans vos rangs - saluée comme un très grand moment du rapprochement entre les nations, même si c'était la conclusion d'un processus douloureux. On pourrait bien sûr prolonger l'exercice dans le temps et se demander pourquoi la guerre du Viêt-nam a eu lieu, mais il faudrait alors se demander si les Etats ont l'obligation de respecter les traités qu'ils signent, ou non...

C'est oublier, toujours à propos de M. Kissinger, le rôle extraordinairement important qu'il a joué dans le rapprochement entre les pays arabes et Israël, en particulier ses interventions sans lesquelles les accords de Camp David n'auraient jamais vu le jour, ni le traité de paix entre M. Sadate et l'Egypte d'un côté, M. Begin et Israël de l'autre.

Mais probablement que, pour les mises en accusation simplistes dont vous êtes les protagonistes habituels, ce genre de débat vous paraît trop compliqué. Il vous obligerait à faire des mises en perspective, à nuancer le portrait, à admettre que la politique est un art complexe, qui oblige ceux qui s'y livrent sérieusement - pas comme vous ! - à plonger les mains dans la réalité humaine, à regarder comment réagissent les hommes depuis l'origine des temps et à faire avec cette pâte-là ce qu'on peut, c'est-à-dire la guerre et la paix, de grandes choses et des choses ignominieuses.

La responsabilité politique consiste précisément à connaître ces choses-là et non pas à faire semblant de croire, comme M. Hodgers ou M. Courvoisier tout à l'heure, que l'enfer n'est pas pavé de bonnes intentions. En réalité, l'enfer est pavé de bonnes intentions, si ce n'est qu'en l'occurrence vous n'avez même pas de bonnes intentions ! Nous ne sommes donc pas en route vers l'enfer par mégarde, par inattention, mais par mauvaise intention !

Je ne vous ferai pas l'affront, Mesdames et Messieurs les députés, de reprendre en détail le texte qui vous est soumis. Je ne vous demanderai même pas, pour répondre à Mme de Haller, d'examiner les raisons pour lesquelles un peuple, le Chili, s'est trouvé à un moment donné dans la situation désastreuse qui était la sienne, au point de préférer pendant un temps - et c'est une réalité sociologique qui se prolonge - les stigmates d'une tyrannie insupportable aux avantages d'une démocratie à la dérive.

Oublions cela, pour nous consacrer au texte que vous avez le front de nous présenter. Vous nous expliquez par exemple dans votre résolution qu'il s'agit d'une part de mettre en accusation M. Kissinger pour complicité de crime contre l'humanité et, dans le même texte, vous proposez que l'on introduise dans le droit suisse cette notion de complicité de crime contre l'humanité. En d'autres termes, les grands juristes que vous êtes proposent que l'on poursuive quelqu'un pour un crime qui n'existe pas encore, mais dont on voudrait l'introduction dans le droit pénal. Je ne prolonge pas la démonstration, c'est inutile, vous avez compris !

Cela procède de la même démarche que celle qui a été entreprise par M. Hodgers il y a un quart d'heure, lorsqu'il a expliqué, pour soulager probablement l'inquiétude du Bureau, que les députés ne risquaient rien, étant au bénéfice de l'irresponsabilité pénale. L'immunité de discours au sein de cette enceinte vous protège de tout, cette irresponsabilité - que vous pouvez prendre dans tous les sens du mot ! - c'est probablement ce que M. Courvoisier appelle le courage politique ! Il n'est en effet pas très difficile de s'exprimer sur les autres quand on ne risque rien soi-même.

Vous poursuivez par un paradoxe. Vous nous proposez en somme la primauté du droit : ah, dites-vous, les droits et en particulier les droits de l'homme, il n'y a rien de plus essentiel. Je suis prêt à marcher avec vous dans cette direction-là, Mesdames et Messieurs, mais j'aimerais que nous définissions ensemble un jour - et il y aura du travail, car je connais des juristes plus éminents que nous qui s'y consacrent depuis un bon siècle - ce qui relève du droit obligatoire. Celui par exemple que le législateur que nous sommes, ou que le peuple suisse, législateur suprême, n'aurait pas le droit de défaire. Pour l'instant, nous n'avons pas encore trouvé en quoi pouvait consister ce droit impératif, mais passons !

Vous voulez donc la primauté du droit et c'est à ce titre que vous demandez que l'on poursuive les politiques pour des actions qu'ils auraient commises - je rappelle en passant un concept qui vous a sans doute échappé depuis, qui est celui de la guerre froide. Pour épauler votre propos sur la primauté du droit, vous citez l'affaire Papon. S'il est un sujet, Monsieur Hodgers, Mesdames et Messieurs les cosignataires de cette résolution, sur lequel je suis politiquement de votre avis, c'est bien la nécessaire exécution de sa peine par M. Papon. Mais permettez-moi de vous dire, en toute humilité, que je suis juridiquement en parfait désaccord avec ce que la Suisse a choisi de faire pour rendre cette exécution possible. Papon doit purger sa peine, mais le choix politique qui a été fait à cette occasion était juridiquement inacceptable. Ceci pour dire, Mesdames et Messieurs, que pour faire valoir la primauté du droit, vous demandez la primauté du politique sur le droit. C'est un premier paradoxe.

Autre élément qui démontre que vous avez en réalité à l'esprit la primauté du politique et pas celle du droit, c'est la manière dont vous présentez votre acte d'accusation. Voilà des procureurs qui pourraient être mieux inspirés s'ils avaient le sens de la nuance et le sens du contexte que j'ai voulu décrire tout à l'heure, mais cela leur échappe car cela n'a pas d'importance : leur véritable propos n'est pas de faire une démonstration authentique, il est simplement d'exprimer un avis. Nous sommes en politique, nous sommes au parlement, tous les avis sont bons à formuler : Genève est compétente en tout, puisque nous décidons que nous le sommes ! En conséquence de quoi, nous parlementaires genevois, si nous avons envie de parler de M. Kissinger - et une autre fois du président Nixon, du président Clinton, ou d'un autre, non Américain, un Chinois par exemple, mais vous avez des préférences dans vos sélections politiques ! - eh bien, nous prenons ce droit, nous nous l'arrogeons parce que nous sommes députés genevois !

Voilà en somme votre paradoxe. Primauté du droit ? en réalité, primauté du politique !

Et puis, vous nous proposez un choix qui consiste en réalité à déshonorer Genève. Je ne reviendrai pas sur ce qu'a dit correctement et avec talent Mme Guichard il y a un instant. Mais enfin, Mesdames et Messieurs les députés, qu'est-ce que Genève, non pas dans notre conscience boursouflée et égocentrique, mais à l'échelle du monde ? Un lieu extraordinairement connu, apprécié tout autour de la planète, non parce que les interventions de M. Hodgers et de ses amis le rendent sympathique à la cause des peuples, mais parce que Genève a su depuis un siècle et demi se présenter comme une ville où, au lieu de juger, on accueille ! Des réfugiés d'une part, des diplomates de l'autre, voire des militaires, voire des chefs d'Etat. Et ce pour leur donner l'occasion de se parler, de renouer les fils du dialogue et, par le dialogue politique, de faire progresser leur cause mais aussi la cause des droits de l'homme, dont vous prétendez qu'elle vous est chère. C'est cette Genève - qui ne s'est pas distinguée par une neutralité abstraite, prudente ou pusillanime, mais par un sens de l'hospitalité et un respect des règles de l'hospitalité, qui commencent par la courtoisie à l'égard des autres - que vous remettez en question par des démarches comme celle-ci.

Je vous dis donc que vous faites du tort à Genève. Vous pouvez vous abriter derrière le procureur général Bertossa pour rehausser un peu le sens de votre démarche ; je trouve pour ma part que, si ce magistrat faisait son travail sans éprouver le besoin de se prononcer sur des chefs d'Etat ou des ministres étrangers au moyen de sarcasmes ou de quolibets d'un goût discutable, il serait mieux à sa place et représenterait, lui aussi, mieux notre République !

En conséquence, vous nous proposez de mettre en accusation, dans une commission quelconque - peu importe qu'elle soit celle dont j'ai proposé la création ou une autre - un ancien secrétaire d'Etat éminent, pour qui, je tiens à le dire, j'éprouve de l'admiration. Vous proposez cela et vous demandez de surcroît - vous avez nuancé le propos tout à l'heure, mais c'est écrit dans votre texte - que cet acte de bravoure, commis sous le parapluie de votre immunité parlementaire, soit publié dans des journaux étrangers !

Oui, décidément, Mesdames et Messieurs, vous voulez faire du mal à Genève. Vous le faites, paraît-il, Monsieur Courvoisier, au nom de Dostoïevski, mais vous avez été parfois mieux inspiré : lui savait très exactement ce que la conscience humaine sait faire. Il savait, vous le retrouverez sans doute dans vos lectures favorites, que tous les trente ans les querelles humaines conduisaient aux guerres les plus affreuses. Aujourd'hui, grâce à des hommes comme Kissinger et grâce peut-être à certaines des exactions que vous reprochez à juste titre aux vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale, la récurrence de ces guerres, qui était de trente ans au temps de Dostoïevski, est un peu moins grande. N'en déplaise aux inventeurs de cette conception, non pas évangélique, mais bêlante des droits de l'homme, il faut en rendre hommage à ceux qui ont eu le courage de faire de la politique, de la vraie, sans déshonorer leur cité !

Nous refuserons naturellement cette crétinerie qui nous est proposée ce soir ! (Applaudissements.)

M. Antonio Hodgers (Ve). Sans faire long, j'aimerais revenir sur certains propos tenus par Mme Guichard et M. Halpérin et relever à mon tour quelques paradoxes chez mes deux préopinants.

Le premier paradoxe, le plus évident et dont je m'étonne que vous ne parliez pas, Monsieur Halpérin, est le suivant : la minorité parlementaire, lorsqu'elle a été saisie du projet de résolution concernant M. Pinochet, s'est empressée, sous les feux des médias, dans un élan qui tout d'un coup rejoignait le nôtre, de la voter. Et c'est notre parlement unanime qui a donné son avis dans une affaire qui, à ce moment-là, ne concernait pas précisément Genève - puisque le procureur Bertossa n'avait pas encore demandé l'extradition de Pinochet - mais qui concernait la Grande-Bretagne, le Chili et l'Espagne. Genève a pourtant donné son avis et de surcroît a fait publier cette annonce dans différents quotidiens de par le monde.

Cette résolution, vous n'en avez pas parlé, alors que vous l'aviez votée de manière très confortable, et tout d'un coup, aujourd'hui, une proposition identique vous paraît horrible, impensable... (Remarque.) Il y a eu deux abstentions sur vos bancs, Monsieur ! J'en ai été le premier surpris, mais c'est ainsi ! Vous pouvez relire le Mémorial du Grand Conseil : tous les groupes ont appuyé cette résolution.

Par ailleurs, après vous avoir entendu, de même que Mme Guichard, j'aimerais préciser sur quoi porte le débat en ce qui concerne cette résolution. Ce n'est pas moi, ce n'est pas nous qui avons commencé à parler de ce qui se passe de l'autre côté de la Terre : en l'occurrence, cette résolution fait suite à une procédure ouverte à Genève pour la disparition et le meurtre d'un citoyen suisse ! C'est tout ! Monsieur Halpérin, vous pouvez prétendre que nous faisons un procès politique ou historique de l'activité de M. Kissinger. Vous avez rappelé, comme vous l'aviez fait en novembre, que M. Kissinger a rapproché les Etats-Unis de la Chine, etc., et tout ce qu'on apprend à l'université. Mais en ce moment nous ne parlons pas de cela ! Nous parlons de la disparition d'un citoyen de notre pays en Amérique latine et des soupçons d'implication qui pèsent, sur la base de documents officiels publiés par le Pentagone, sur les services secrets des Etats-Unis et donc sur leur chef, M. Kissinger. C'est toute la question de la résolution et je m'étonne vraiment que nous n'ayez pas la bonne foi de le reconnaître, car tout l'exposé des motifs va dans ce sens-là.

Mme Guichard dit que nous ne travaillons pas pour le bien de notre patrie, comme nous en avons prêté le serment, que nous ne travaillons pas pour Genève. Je tiens à dire qu'effectivement je n'ai sans doute pas la même vision de ce qui s'appelle travailler pour Genève, si travailler pour Genève signifie passer par-dessus des principes aussi importants que la nécessité pour que tout criminel soit condamné, quel qu'il soit et quel que soit le crime qu'il ait commis. Cela n'a pas de sens de dire que nous ne travaillons pas pour Genève. Je crois que réellement que ce qui fait l'honneur de cette démarche va au-delà du simple concept de «bien de la patrie».

Dernière chose que j'aimerais relever. Je ne m'attendais pas à vous entendre dire de manière publique, Monsieur Halpérin, qu'une majorité du peuple chilien en 1973 a voulu, a souhaité la venue de M. Pinochet pour qu'il établisse un régime dictatorial comme il l'a fait. Je vous laisse la pleine responsabilité des conséquences de vos propos et du mensonge historique que vous proférez. Je crois qu'à partir de là il n'y a plus rien à se dire. Vous estimez que ce qu'a fait Pinochet était une bonne chose... (L'orateur est interpellé.) Je précise : vous estimez que le coup d'Etat d'un militaire de carrière - dont les intentions étaient connues, car il n'était de loin pas le premier en Amérique latine - était une option intéressante pour ce pays, face à la crise économique que vivait en effet le gouvernement socialiste de Salvador Allende. Après de tels propos, je crois que nous n'avons plus grand-chose à nous dire. Nos divisions sur ce point sont telles qu'il ne vaut plus la peine d'aller plus avant dans le débat !

Quant à moi, je continue à proposer le renvoi de cette résolution en commission, mais si c'est pour y tenir les mêmes propos, je ne sais pas si cela en vaut la peine !

M. Chaïm Nissim (Ve). Je voudrais aussi répondre à quelques-unes des remarques de Mme Nelly Guichard et de M. Halpérin.

Madame Guichard, lorsque vous avez dit tout à l'heure que nous n'avions pas été élus pour nous occuper de ces choses-là et que nous devions nous occuper de ce qui nous concerne, il se trouve que cette idée m'a stimulé. En effet - et cela montre bien les différences, la diversité de ce parlement, qui doit finalement arriver à approcher au moins la vérité - je pense quant à moi que j'ai justement été élu pour cela. Parler librement dans un lieu public de ce genre de problèmes, chercher le pourquoi des dictatures, s'intéresser à qui les a soutenues, armées, financées, c'est entre autres comme cela que je considère mon rôle, et je ne suis pas le seul dans ce Grand Conseil. Je comprends bien que vous considériez que ce n'est pas votre rôle, vous en avez parfaitement le droit, mais c'est justement le cumul de ces deux paroles apparemment contradictoires qui finit pas faire naître la lumière sur ces questions aussi. Et c'est bien pour cela que nous sommes là, vous et moi.

Monsieur Halpérin, vos propos sur le juridique et le politique étaient intéressants. Pourtant, dans la première partie de votre discours, vous avez précisément commencé par défendre Kissinger : selon vous, il n'a pas fait que du mal en Amérique du Sud, il a aussi fait du bien, en rapprochant Begin de Sadate, en permettant un dialogue entre les Juifs et les Arabes qui aboutira peut-être, dans quelques années, à la paix au Proche-Orient. Vous avez dit là des choses correctes, mais en même temps vous avez déjà commencé à instruire son procès ! Vous vous êtes fait l'avocat de la défense et en quelque sorte vous avez déjà commencé à le juger. Nous, en revanche, nous ne l'avons pas fait ; nous ne confondons pas le juridique et le politique, nous comprenons parfaitement que nous sommes des politiques qui doivent tenir des propos politiques.

Ainsi, nous nous contentons de poser la question, par exemple : comment se fait-il que M. Kissinger ait osé financer la grève des camionneurs en 1973 au Chili, où la CIA payait 50 dollars par jour le camionneur qui acceptait de ne pas aller travailler ? Ceci a évidemment désorganisé complètement l'économie du pays, car beaucoup de camionneurs préféraient encaisser 50 dollars de la CIA et ne pas travailler. Cette grève a précipité le coup d'Etat et je considère qu'en l'occurrence M. Kissinger a mal agi. Pour autant, je n'instruis pas son procès. En effet, je dis bien que je suis un homme politique, que ce n'est pas à moi de considérer les aspects juridiques mais au procureur, à la justice, et je suggère donc, c'est mon boulot, à la justice de faire son travail !

Une dernière réponse à M. Halpérin, qui nous reprochait, à la fin de son discours, de déshonorer Genève, de refuser d'accueillir des gens qui viennent dialoguer. Non, nous ne refusons pas d'accueillir des gens qui viennent dialoguer à Genève, au contraire ! C'est justement toute la force et l'honneur de notre parlement et de notre ville que de pouvoir à la fois poser des questions sur les dictatures, sur les injustices dans le monde et sur leurs auteurs, et accueillir ces mêmes gens qui viennent tenter un rapprochement.

C'est un honneur pour nous de poser ce genre de questions, mais en même temps nous devons accepter que le monde n'est pas parfait, vous avez raison. Les époques historiques changent, aucun homme n'est parfait. Sans doute la guerre froide explique-t-elle la folie qui s'est emparée de certains dirigeants américains pendant vingt ou trente ans, quand cette espèce d'anticommunisme primaire les poussait... (Remarque.) Mais oui, c'est la même fièvre, toutes proportions gardées, qui a poussé certains spéculateurs à Genève à surenchérir, à acheter des terrains à tout va ; c'était aussi une fièvre, une espèce de folie... (Commentaires.) Je ne prétends pas que ce soient deux attitudes qu'on puisse mettre en balance, mais je voulais juste expliquer que des folies collectives s'emparent parfois d'un peuple entier. Cela s'est passé en Allemagne en 33, cela s'est passé aux Etats-Unis avec le maccarthysme en 53, cela s'est passé à d'autres endroits, en Israël contre les Palestiniens... (L'orateur est interpellé.) Mais oui, en Russie aussi, sous le communisme ! Je n'ai aucun problème à le reconnaître, ce n'est pas du tout un problème pour moi. C'est peut-être un problème pour d'autres partis, mais pas pour moi.

Tout cela pour dire que c'est un honneur de poser ce genre de question et en même temps d'accueillir avec respect ceux qui viennent dialoguer à Genève.

M. René Ecuyer (AdG). Je dois dire que le discours de M. Halpérin est un discours d'accusateur public, un discours embobineur, un discours empreint du mépris de la classe sociale à laquelle il appartient vis-à-vis des gens qui ne partagent pas le même avis, ni les mêmes revenus !

C'est l'art du prétoire, Monsieur Halpérin, c'est tout ! Vous avez parlé de mémoire. A cet égard, je voudrais rappeler qu'en 1967 la Grèce a connu la fin de la démocratie et que vous et vos amis n'étiez pas du même côté que nous : nous défendions la démocratie, vous défendiez les colonels ! Vous étiez dans la rue contre nous, vous perturbiez les manifestations de ceux qui défendaient la démocratie. L'avez-vous oublié ? (Exclamations.) Vous l'avez oublié.

De même, à propos du Viêt-nam, vous dites que Kissinger a fait la paix au Viêt-nam. Ne croyez-vous pas que les Vietnamiens, avec un million de morts écrasés sous les bombes et le napalm, l'ont gagnée, la paix ? Ils ont gagné la paix, ils ont imposé la paix, ce n'est pas Kissinger qui l'a faite ! Vos amis, à cette époque-là, participaient à de petites ratonnades quand nous allions inscrire «Paix au Viêt-nam» sur les murs ! Vous étiez de l'autre côté et dans ce Grand Conseil vous insultiez nos copains qui se battaient pour la paix au Viêt-nam. L'avez-vous oublié ? Avez-vous oublié aussi que, dans votre parti, Henri Vögeli, qui a aussi été député, écrivait, dans une lettre de lecteur parue en septembre ou en octobre 73 dans la «Tribune de Genève», qu'il se réjouissait de l'arrivée de Pinochet au pouvoir ? L'avez-vous oublié ? De quel côté étiez-vous à l'époque ?

Alors, en faisant la leçon ce soir à des gens qui ont un cri du coeur parce qu'ils ne veulent pas voir ici un Kissinger qui a participé à la mise en place de Pinochet, vous êtes bien malvenu ! (Applaudissements.)

M. Bénédict Fontanet (PDC). Quant à moi, je conteste à quiconque d'avoir le monopole de la capacité d'indignation. Personne sur ces bancs, que ce soit de notre côté ou que ce soit du vôtre, Mesdames et Messieurs, n'apprécie M. Pinochet, M. Videla, les horreurs qui ont été commises lors de la Révolution culturelle par Mao Tsê-Tung, les Khmers rouges, ce qui a pu se passer en Russie au temps du goulag... Personne n'aime cela. Mais je dois dire que cet espèce de procès historique à bon marché, comme on l'entend ce soir, c'est de l'historiette de comptoir, ce n'est pas sérieux. Cela tient de la joyeuse fumisterie, je suis navré de vous le dire.

On s'envoie des invectives par rapport au Viêt-nam : c'est à qui était du bon côté, à qui ne l'était pas. C'est à qui était un vilain et à qui était un bon par rapport au Chili. Notre discussion ce soir est à l'aune d'autres discussions que nous avons eues récemment dans ce parlement, c'est de l'historiette de bas étage.

Par ailleurs, Mesdames et Messieurs, on pourrait aussi arrêter de faire de l'égocentrisme et du nombrilisme systématiques. Qui sommes-nous, dans ce parlement, pour nous ériger en censeurs et en juges des grands de ce monde ? (Commentaires.) M. Kissinger, à un moment donné, a appartenu aux grands de ce monde ! Nous ici faisons de la politique politicienne, à Genève. Que M. Kissinger soit contesté ou aimé, c'est un autre sujet. Vous voulez qu'il soit jugé en Suisse, de manière rétroactive, pour des crimes qu'il aurait soi-disant commis. Vous en appelez à Bernard Bertossa, pour qu'il poursuive de ses spadassins M. Kissinger, entre deux avions... (Exclamations.) Mais c'est ce que dit le texte de la résolution : il faut s'adresser aux procureurs de la République et de la Confédération ! Il faut en appeler au nouveau procureur de la Confédération, pour qu'il fasse un sort à l'administration américaine qui a suivi ces événements !

Mesdames et Messieurs, soit on fait de la politique, soit on fait du judiciaire ; en l'occurrence le judiciaire ne se réduit pas à de beaux prétoires et à des avocats très riches, comme le prétend M. Ecuyer. La justice se rend dans la sérénité et dans le calme, et ceux qui la rendent de manière expéditive rendent en général un bien mauvais service aux sociétés qu'ils sont censés servir.

Cela dit, il est vrai que les affaires internationales sont dans l'air du temps. Pour le procureur genevois - qu'on peut apprécier ou pas et qui est au demeurant un homme tout à fait intelligent - il est bien sûr plus excitant de se farcir Mme Bhutto, au sens figuré du terme... (Exclamations.) que de poursuivre quelqu'un qui aurait commis quelques rapines à Genève. De même, il est mieux de clouer au pilori M. Eltsine - qui a quand même contribué, qu'on l'aime ou non, au processus de démocratisation de son pays - car vous êtes sûr de faire la Une de la presse internationale si vous le poursuivez en disant que c'est un horrible bonhomme qui aurait blanchi du pognon à Genève. C'est peut-être vrai et, si tel est le cas, qu'il soit jugé ! Mais il me semble que c'est plus le problème des Russes que le nôtre. Les exemples de ce type peuvent être multipliés à l'envi.

Dans ce parlement, on s'est déjà fait plaisir avec Pinochet et la résolution demandant son extradition. Ce soir, on se fait plaisir avec Kissinger. Malheureusement, Nixon est mort, mon cher collègue Halpérin, ce qui met un terme à la poursuite pénale, en tout cas pour nous. Mais tant qu'on y est, peut-être faudrait-il le ressusciter en vue de le juger pour le rôle qui a été le sien, hélas, dans certaines Républiques d'Amérique du Sud. C'est dire qu'on peut se livrer à ce type de procès historique a posteriori, mais je pense que cela ne mène pas à grand-chose, d'autant que ce serait dans des conditions que je qualifierais de petites, comme est petit notre débat de ce soir.

Je veux bien que le Grand Conseil de la République et canton de Genève se prenne pour l'Assemblée générale de l'ONU, ou pour la Commission des droits de l'homme de l'ONU, mais je crois qu'il nous faut rester à notre place. Que chacun d'entre nous, dans la vie de tous les jours, veuille crier son indignation par rapport à M. Pinochet et ce qu'il a fait, soit ! Que nous voulions crier notre indignation par rapport à ce que M. Videla a fait, soit ! Qu'on puisse penser que M. Saddam Hussein est un horrible bonhomme, soit ! Mais lorsque, dans le cadre de notre travail de parlementaires genevois, nous consacrons une heure à une heure et demie à dire qu'il faut juger Kissinger, ne pensez-vous pas, Mesdames et Messieurs, que nous outrepassons un peu le rôle qui est le nôtre ? Que nous nous arrogeons des compétences, un savoir, des facultés et une grandeur d'esprit et d'âme qu'à tout le moins nous n'avons pas, à entendre les débats que nous avons à chaque fois que nous dissertons sur ces sujets ? Il faut parfois savoir rester à sa place, faire preuve d'un peu de modestie et ne pas bomber le torse, victimes de cet égocentrisme qui pousse Genève et ce parlement en particulier à vouloir juger tout un chacun et à voir la paille dans l'oeil du voisin, sans voir la poutre qui est dans le nôtre !

Tâchons de résoudre modestement et de façon constructive les difficultés de la société, de la communauté dans laquelle nous vivons, car c'est pour cela que nos concitoyens nous ont élus dans cette enceinte. Que vous manifestiez et criiez votre indignation à l'extérieur de cette enceinte, c'est votre droit le plus strict. En revanche, le type de résolution que vous nous présentez ce soir est une forme de pantalonnade. Vous en assumerez la responsabilité si vous en avez envie, mais permettez-nous de ne pas y participer !

Le président. La parole a encore été demandée par cinq députés : M. Halpérin, Mme Deuber Ziegler, M. Brunier, M. Velasco et M. Lescaze. Je vous invite, après ces cinq interventions, à voter, comme on l'a proposé, le renvoi de cette résolution à la commission des droits politiques.

M. Michel Halpérin (L). Je ne crois pas nécessaire d'expliquer à M. Ecuyer pourquoi il est particulièrement mal tombé dans les exemples qu'il a choisis. Je regrette un peu qu'il me prête des ratonnades, c'est assez peu dans mes manières, mais je lui laisse la responsabilité de l'opinion qu'il se fait des autres !

Je ne répondrai pas très longuement non plus à M. Nissim. Monsieur Nissim, l'honneur de Genève, ce sont des gens comme Henry Dunant ou comme Jean-Jacques Gautier qui l'ont servi. Ces gens-là ne portaient pas de jugement sur la conduite des autres. Ils se demandaient comment venir en aide à ceux qui souffraient, comment alléger la souffrance du monde, pas comment se rendre intéressants à la face du monde ! C'est toute la différence que je fais entre ceux qui honorent Genève et ceux qui la déshonorent.

Je voudrais encore ajouter un mot, pour répondre à la juste question de M. Hodgers, qui s'étonne que nous ne nous soyons pas opposés à la résolution 386 concernant M. Pinochet. Vous avez raison de poser cette question, Monsieur, parce qu'elle se posait à l'époque. D'une manière générale, parce que nous n'aimons pas ce genre d'exercice, nous n'y souscrivons pas. Nous l'avons fait la dernière fois, mais non sans hésitations car nous pressentions que, d'un sujet déterminé - dont je dirai dans une minute ce qu'il avait de déterminé - on nous entraînerait plus loin et que nous n'en finirions plus. C'est pourquoi, d'ailleurs, nous n'aurions peut-être pas dû vous suivre... Quoi qu'il en soit, la raison pour laquelle nous vous avons suivis à l'époque était celle-ci.

Il se trouve, Monsieur Courvoisier, qu'avec le procès de Nuremberg ont été posées quelques normes de droit international, définies par des juristes et non par des politiciens, s'agissant des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, et qu'aujourd'hui, cinquante ou soixante ans plus tard, sont en place de nouveaux instruments conventionnels, faits eux aussi par des juristes et des politiciens, notamment le Traité de Rome de l'année dernière sur la création d'un Tribunal pénal international. Ceci est un encouragement, parce que la Terre se rétrécit et qu'il est bon que sur cette Terre on sache que certains principes fondamentaux commencent à trouver application. A cet égard, l'affaire Pinochet était la première occasion, fournie par le Royaume-Uni, de s'exprimer sur cette évolution du droit et c'est ce que nous aurions voulu marquer. Nous n'avons pas été compris, nous avons dû mal l'expliquer et je le dis donc aujourd'hui. Notre but n'était pas de permettre d'emblée une dérive de ce système, notre but était de dire : encourageons les Etats qui le doivent à signer ce fameux Traité de Rome.

Je signale ici, Mesdames et Messieurs, que ce traité entrera en vigueur avec soixante ratifications et qu'à l'heure actuelle on n'en compte que six. Nous ne sommes donc pas à la fin de nos peines, mais c'est un progrès. Or, j'aimerais que vous preniez conscience, Mesdames et Messieurs les résolutionnaires, que ces progrès sont voués à l'échec à cause de l'usage que vous en faites. En effet, la justice que vous appelez de vos voeux, la vraie, avec un J majuscule, ou que vous dites appeler de vos voeux, progresse lentement, pas à pas, et elle trébuche sur les obstacles que vous placez devant elle !

Mme Erica Deuber Ziegler (AdG). Mesdames et Messieurs, certains d'entre vous en face ont raison : nous sommes pris sous le rouleau compresseur de l'Histoire et nous sommes très petits et souvent très impuissants face à ce rouleau compresseur. Mais j'aimerais dire que, quand vous traitez de petite et de ridicule l'initiative qui est prise aujourd'hui, dans le texte qui vous est proposé, c'est toutes nos vies que vous ridiculisez et que vous ramenez à la petitesse !

La vie des militants de gauche est une vie qui, à la différence de vos vies souvent, n'est pas impliquée dans le devenir économique, mais dans le devenir social des peuples. Nous sommes aujourd'hui à l'âge de la mondialisation financière, à l'âge des échanges et des informations dans le cyberespace. N'importe quel homme, n'importe quelle femme sur la Terre a peu ou prou les mêmes informations sur les problèmes principaux, c'est-à-dire sur les dégradations de l'environnement, sur le chômage, sur la faim, la misère, sur l'inégalité entre les hommes et les femmes, sur les abus des pouvoirs politiques, sur le danger du nucléaire, sur les abus des pouvoirs économiques... Nous partageons tous ces mêmes problèmes. Que nous ayons, depuis que nous pensons, pris fait et cause et mis notre grain de sel, ridicule et petit, dans l'engrenage de l'Histoire, dans l'enchaînement des faits et des causes, en essayant de les comprendre, et que nous ne soyons pas toujours tombés dans le même camp, c'est tout à fait naturel. Je ne voudrais pas ici citer Karl Marx, que vous connaissez aussi bien que moi en ce qui concerne la lutte des classes !

Comment peut-on dire aujourd'hui que nous sommes ridicules et petits, alors que nous avançons une idée qui est en droite ligne dans le prolongement de ce que vous venez si brillamment de démontrer, Monsieur Halpérin, en ce qui concerne les progrès du droit des hommes et des femmes sur cette Terre à résister aux dictatures, à résister aux stratégies les plus ignominieuses, mises en oeuvre pour limiter l'accès à l'émancipation des peuples ? On ne sait pas encore tout ce que Kissinger a fait ; la longue énumération contenue dans l'exposé des motifs du projet de résolution n'est sans doute que très naïve par rapport à ce qu'on apprendra plus tard dans l'histoire. Vous invoquez la guerre froide : il faudrait invoquer ce que Pierre Péan appelait en 1974 la «troisième guerre mondiale». C'est-à-dire la mise en oeuvre de moyens exorbitants par les grandes puissances pour s'accaparer la maîtrise du monde.

Cela commence avec des coups d'Etat successifs en Amérique latine - 1964, le Brésil, 1973, le Chili, puis l'Argentine, la Bolivie, le Paraguay, etc. - pour empêcher les réformes agraires, les politiques sociales, celle de cet excellent social-démocrate qu'était Allende, bon bourgeois qui avait simplement intégré une éthique pour son peuple. Ces stratégies-là, qui passent ensuite par la naissance de l'islamisme pour tenter d'anéantir les nations arabes, vous découvrirez - quand vous serez vieux et que vous lirez les ouvrages des historiens d'aujourd'hui qui travaillent sur ces sujets - qu'elles ont été mises en oeuvre dans des officines dont Kissinger a été le grand maître, donnant exemple à quantité d'universitaires, d'hommes d'Etat, de politiciens pour tenter de s'approprier les instruments de domination du monde.

Nous ne sommes donc pas en retard d'une guerre, nous ne sommes pas en avance, nous ne sommes pas en décalage : nous sommes en plein dans cette guerre-là. Quelles que soient les insuffisances juridiques de cette résolution, elle a le mérite de dire que, si nous sommes des élus aujourd'hui, nous agissons localement et nous pensons globalement : si c'est être ridicules et petits, nous sommes fiers de l'être ! (Applaudissements.)

M. Christian Brunier (S). J'ai été choqué d'entendre M. Fontanet dire que la justice genevoise se faisait plaisir en s'attaquant aux dictateurs, aux trafiquants et aux mafieux ! Monsieur Fontanet, vous le savez mieux que moi, la justice genevoise consacre 2% seulement de ses moyens aux affaires internationales, mais 2% qui sont éminemment importants, car le seul moyen de lutter contre les mafieux, les dictateurs sanguinaires, les crapules de ce monde, c'est bien de renforcer la coopération judiciaire internationale, comme le font M. Bertossa et les juges genevois. En l'occurrence, ce n'est pas se faire plaisir, c'est appliquer le droit !

Deuxièmement, M. Halpérin nous dit que le rôle international de Genève devrait nous pousser à accueillir et si possible à nous taire : en l'occurrence, il ne faut pas confondre courtoisie et silence complice, ou fatalisme coupable. Monsieur Halpérin, vous avez cité Henry Dunant. Nous n'avons, je pense, pas lu les mêmes textes : Henry Dunant ou plus récemment Cornelio Sommaruga sont des gens qui ont fait preuve de courtoisie, de sens de l'accueil et de diplomatie, mais ce sont aussi des gens qui n'ont pas tenu leur langue face à l'intolérable, à l'inacceptable. C'est bien dans ce sens que nous voulons agir et que nous agissons ce soir.

Troisièmement, est-ce le rôle d'un petit parlement comme le nôtre d'agir au niveau de la solidarité internationale ? Mesdames et Messieurs les députés, traiter, parmi une centaine de points par session, un à deux objets en rapport avec la solidarité internationale, c'est à mon avis le simple rôle du parlement d'une cité qui est particulière, qui est une cité internationale. Traiter ces sujets, c'est se mêler de choses qui touchent la vie de tout le monde, y compris de nos concitoyens qui viennent de pays différents, qui touchent aussi les très nombreuses ONG présentes dans notre cité qui s'occupent de solidarité et de paix.

Alors, est-ce utile ? Est-ce qu'une petite résolution du parlement genevois est utile ? La personne qui, assise toute seule derrière son bureau, écrit, pour Amnesty International, une lettre à un dictateur pour demander la libération d'un prisonnier politique, arrête tout de suite son travail si elle réfléchit à l'utilité de sa lettre. Néanmoins, lorsque 30 000, 50 000, 100 000 personnes font le même travail inutile, cela permet à Amnesty International d'obtenir la libération de nombreux prisonniers politiques. Il en va ainsi de notre résolution : en tant que telle, elle ne vaut pas grand-chose, mais l'addition des actions, des résolutions, des lettres, des manifestations forment un combat efficace en faveur des droits de l'homme.

Finalement, j'aimerais revenir sur les propos de Mme Guichard qui nous dit que les faits reprochés à M. Kissinger lui répugnent, mais que ce n'est malheureusement pas son rôle de réagir. Durant la Deuxième Guerre mondiale - nous avons lu un certain nombre de livres, de rapports, dont certains d'ailleurs qui viennent d'être édités ! - il y avait dans notre pays quelques salauds, qui étaient vraiment des nazis, ou des collaborateurs de l'Allemagne nazie, mais aussi plein de gens, courtois, gentils, qui disaient simplement que le conflit à nos portes ne les concernait pas, qu'ils ne pouvaient rien faire. Eh bien, c'est contre ce fatalisme que nous nous élevons : nous, nous souhaitons changer les choses !

M. Alberto Velasco (S). Je regrette vivement les mots qui ont été prononcés par M. Halpérin et M. Fontanet, qualifiant ce document de crétinerie et de pantalonnade. Ce d'autant plus que ce texte se réfère à un citoyen genevois qui est mort, et qui est mort justement à cause de cette opération Condor mise sur pied par cet illustre personnage qui a eu le Prix Nobel de la paix et qui s'appelle M. Kissinger !

Je crois que notre parlement a le devoir de s'occuper d'une affaire qui a trait à un citoyen genevois et je ne vois pas en quoi cela peut être une crétinerie ou une pantalonnade. Il est regrettable qu'on ait utilisé de tels mots !

M. Bernard Lescaze (R). Il est clair que, ce soir, deux visions, deux philosophies s'opposent. Notre groupe ne pourra bien entendu pas accepter cette résolution, pour diverses raisons.

D'une voix douce, monocorde, le premier intervenant a proféré des accusations qui nous paraissent, pour certaines, énormes. Le problème, au fond, est de savoir ce que nous voulons. Je pense que tous, ici, nous voulons lutter pour la démocratie, pour la liberté humaine, pour les droits de l'homme, mais une partie importante de cette assemblée est persuadée que la lutte efficace pour ces valeurs que nous défendons tous se mène ici. Pour lutter efficacement en faveur de la démocratie, il faut par exemple accepter d'en respecter les règles ici et maintenant, il faut accepter de respecter les règles et les limites que nous impose parfois la vie parlementaire. On disait autrefois que le parlement anglais pouvait tout faire, sinon changer un homme en femme. Nous en sommes revenus : aujourd'hui, nous savons bien que le parlement genevois ne peut pas tout faire.

Quant à nous, nous aimerions vous voir convaincus que le rôle de Genève, son rôle primordial, tel qu'il a été souligné par plusieurs intervenants, c'est d'accueillir : accueillir des réfugiés, chiliens, argentins, ou du monde entier, qui peuvent, comme au siècle dernier, siéger après quelques années dans ce parlement, intervenir, déposer des résolutions - auxquelles parfois nous devons malheureusement nous opposer. C'est l'honneur de cette ville que de les accueillir et je suis, pour ma part, fier d'appartenir à un parlement qui permet à ces gens d'exprimer leurs idées. C'est aussi l'honneur de cette ville que d'accueillir des conférences internationales auxquelles participent parfois des personnages avec lesquels nous ne prendrions même pas une tasse de café...

Enfin, j'aimerais dire que nous respectons profondément - je parle en tout cas pour moi - les vies, les parcours de vie que certains d'entre vous ont eus, en se révoltant, en se rebellant. Nous respectons vos idées, mais soyez convaincus que nous aussi pouvons avoir des idées et y croire. Nous pensons en l'occurrence que le rôle de ce parlement n'est pas de donner des leçons à la terre entière. Nous pensons que le droit, cette valeur un peu fragile, doit être respecté. Nous pensons enfin que la morale ne doit pas être une morale pharisienne et qu'il convient de ne pas se donner bonne conscience trop facilement - je n'allais pas dire à bon marché, car la résolution nous propose quand même des mesures relativement coûteuses. En effet, il est plus facile d'avoir de grandes idées en étant ici, dans une salle bien chauffée, qu'au front !

Nous sommes ici à Genève, nous devons respecter nos lois, nos institutions ; je vous demande donc de retirer cette résolution. Chacun a pu exprimer ses idées; je crois que poursuivre ne serait pas efficace.

M. Christian Grobet (AdG). Nous ne pouvons pas suivre M. Lescaze, lorsqu'il recommande de ne pas donner de leçons au monde entier, ni de faire de la morale et encore moins de la dissertation. Je pense au contraire qu'il est primordial qu'un parlement comme le nôtre fasse des actes politiques.

Quand MM. Halpérin et Fontanet dénoncent notre démarche, j'avoue que je suis frappé de leur amnésie par rapport à ce qui s'est passé il n'y a pas si longtemps en Europe. L'excellent rapport Bergier a mis en évidence que la lâcheté de notre pays à l'époque a malheureusement contribué à des agissements inqualifiables.

Tout à l'heure, Monsieur Halpérin, vous avez évoqué le procès de Nuremberg. Au moment du procès de Nuremberg, les juristes de bords politiques proches du vôtre ont été très nombreux à contester ce procès, disant que c'était une hérésie juridique totale de vouloir juger des criminels de guerre en vertu de dispositions nouvelles, avec effet rétroactif, qui n'étaient pas applicables au moment où ces criminels avaient commis leurs actes. C'est un point de vue juridique qui a été longuement discuté à l'époque et qui, sur le plan théorique, se défend parfaitement. La question était : a-t-on le droit de punir des criminels de guerre, alors qu'à l'époque de leurs crimes, au moment où des millions de Juifs étaient tués, il n'y avait pas de loi réprimant les délits contre l'humanité. L'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité a aussi été contestée.

La notion de crime contre l'humanité a été forgée au lendemain de la guerre et, selon le principe du droit pénal qui veut qu'on ne peut sanctionner des actes tombant sous le coup d'une loi qui n'était pas en vigueur au moment des faits, il est vrai que ce procès pouvait être contesté. Selon la logique juridique qu'on nous apprend à l'université et si on reste totalement en dehors de toute notion réelle, on peut juger que le procès de Nuremberg était une absurdité qui violait complètement les règles juridiques régissant notre ordre démocratique.

En l'occurrence, Mesdames et Messieurs, il a fallu qu'au lendemain de la guerre un certain nombre de gens se disent qu'on ne pouvait pas vivre en fonction de telles théories. Il y avait une réalité, des choses horribles s'étaient passées et les criminels devaient passer en jugement. C'est ainsi qu'on fait avancer le droit.

Aujourd'hui, il faut que des parlements, des institutions disent qu'il n'est pas possible que des criminels comme Pinochet et leurs complices restent impunis. Toute une bataille est en train d'être menée au sujet de Pinochet. Ce dictateur sanguinaire va-t-il effectivement échapper à un jugement, comme certains collaborateurs en France ? On sait que les Français ont jugé récemment - car des citoyens courageux ont demandé qu'on aille jusqu'au bout - ceux qui avaient prêté la main aux ignominies commises en France durant la dernière guerre. Aujourd'hui, nous devons faire avancer le droit et comprendre que si nous ne nous manifestons pas, si nous restons silencieux, comme d'autres l'ont été pendant la guerre, ces ignominies continueront. Les dictateurs et leurs complices doivent savoir qu'ils risquent de passer en jugement. Et là on peut rendre hommage à la Cour de La Haye et à notre compatriote, Mme Del Ponte, qui a succédé à Mme Harbour et laquelle est en train de mettre en place une justice nouvelle qui poursuit ceux ayant commis des crimes contre l'humanité. Nous devons, nous aussi, contribuer à la mise sur pied de tribunaux qui jugent ces criminels.

Le président. Nous passons au vote. L'appel nominal avait été demandé. Cette demande est-elle maintenue ? Ce n'est pas le cas. Je mets aux voix le renvoi de cette résolution à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil.

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

Le renvoi de la proposition de résolution à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est adopté par 42 oui contre 34 non et 4 abstentions.

La séance est levée à 23 h 50.