République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 4 décembre 1998 à 17h
54e législature - 2e année - 2e session - 55e séance
R 392
EXPOSÉ DES MOTIFS
« Oublié » lors des négociations sur le partage des territoires qui ont suivi la chute de l'empire ottoman et en particulier depuis le Traité de Lausanne de 1923, le peuple kurde a subi et continue à subir la politique répressive et meurtrière des Etats qui ont voulu l'assimiler de force, en particulier la Turquie et l'Irak.
Depuis le coup d'Etat militaire en Turquie (1980), la répression qui en a découlé a incité le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) à déclencher la lutte armée en 1984. Ce conflit a déjà causé 40 000 morts de part et d'autre, la disparition de 3 500 villages brûlés par les forces armées turques et la déportation de 3 millions de personnes dans la région du sud-est anatolien.
L'Etat turc persiste à nier l'identité des Kurdes et répond par la violence à toutes les revendications même pacifiques de ce peuple.
Dans ce contexte, l'arrivée le 12 novembre 1998, en Italie, du dirigeant du PKK, M. Abdullah Öcalan, prend une signification particulière. En effet, rappelons que le 1er septembre 1998, le PKK a proclamé un cessez-le-feu unilatéral. Il s'agit de la troisième tentative d'ouvrir des négociations depuis le début de la lutte armée. La Turquie fait cependant la sourde oreille à ces propositions et opte pour la poursuite des hostilités.
A l'instar d'un certain nombre d'observateurs et d'associations de défense des droits de l'homme, nous pensons qu'il convient d'encourager l'Italie à ne pas céder aux pressions de la Turquie en extradant M. Öcalan et à examiner les possibilités de lui accorder l'asile politique. De plus, il faut saisir cette opportunité pour mettre sans retard la question kurde à l'ordre du jour politique des pays du Conseil de l'Europe.
Enfin, en proposant ses bons offices dans la perspective d'une solution tant politique que pacifique, la Suisse aurait aussi l'occasion de s'illustrer de façon constructive vis-à-vis du peuple kurde dont l'identité a été niée à la signature du Traité de Lausanne en 1923.
Débat
Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). La communauté internationale ne peut plus ignorer le traitement réservé au peuple kurde par l'Etat turc en particulier. En effet, depuis le Traité de Lausanne puis la création de la République de Turquie en 1923, l'identité du peuple kurde a toujours été niée. Depuis cette époque, ce peuple a subi nombre de massacres, déportations, disparitions, tortures, arrestations massives et j'en passe. Toutes les revendications, même pacifiques, de ce peuple se sont heurtées à la répression. On peut citer beaucoup d'exemples mais je n'en relèverai qu'un seul : la condamnation à quinze ans de prison en 1994 de quatre députés kurdes du parti de la démocratie dont le seul crime était d'avoir exprimé en public les revendications du peuple kurde. C'est cette intolérance des autorités turques qui a conduit le peuple kurde à recourir à la lutte armée en 1984. Depuis lors, un conflit violent oppose l'armée turque à la guérilla sous l'égide du PKK, le parti des travailleurs du Kurdistan. On connaît les conséquences désastreuses que ce conflit provoque chaque jour. Dans ce contexte, l'arrivée du dirigeant du PKK, Abdullah Öcalan, en Italie ouvre de nouvelles perspectives pour la recherche d'une solution pacifique à la question kurde.
Rappelons que le 1er septembre, le PKK a proclamé un cessez-le-feu unilatéral et cela pour la troisième fois, mais en vain. Tous ces événements nous permettent d'espérer que les pays européens s'engageront peut-être dans ce douloureux dossier afin que les parties trouvent une solution enfin négociée. C'est pourquoi, au-delà du cas particulier d'Abdullah Öcalan, c'est du sort de l'ensemble du peuple kurde qu'il s'agit.
Nous invitons le Conseil d'Etat à envoyer la présente résolution au Conseil fédéral en lui demandant : a) d'intervenir auprès de l'Italie pour qu'elle refuse l'extradition de M. Abdullah Öcalan ; b) d'écrire aux dirigeants des pays du Conseil de l'Europe afin de les inciter à inscrire la question kurde à l'ordre du jour de leurs débats politiques et c) de proposer que la Suisse offre ses bons offices dans la recherche d'une solution pacifique au problème kurde.
Mise aux voix, cette résolution est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat.
Elle est ainsi conçue :
Résolution(R 392)
pour un règlement pacifique de la question kurde
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant:
la situation du peuple kurde qui est toujours plus alarmante, notamment en Anatolie du sud-est, en raison du conflit qui oppose une grande partie de la population à l'Etat turc ;
le fait que la Turquie persiste à nier les droits les plus élémentaires du peuple kurde et réponde par la violence à toute initiative prise par ses représentants (par ex. le cessez-le-feu proclamé par le PKK le 1er septembre 1998 ) ;
le fait que la présence en Italie du dirigeant kurde, Abdullah Öcalan, constitue une opportunité de trouver une issue à la fois politique et pacifique au conflit dans la région ;
qu'il serait inconcevable de livrer M. Öcalan à un Etat pratiquant la torture quasi systématique sur ses opposants et maintenant la peine de mort,
invite le Conseil d'Etat
à envoyer cette résolution au Conseil fédéral en lui demandant :
d'intervenir auprès de l'Italie pour qu'elle refuse l'extradition de M. Abdullah Öcalan ;
d'écrire aux dirigeants des pays du Conseil de l'Europe afin de les inciter à inscrire la question kurde à l'ordre du jour de leurs débats politiques.
de proposer les bons offices de la Suisse dans la recherche d'une solution pacifique à la question kurde.