République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1251
25. Proposition de motion de Mmes et M. Charles Beer, Anne Briol et Dolorès Loly Bolay : Non à un aéroport au rabais. ( )M1251

EXPOSÉ DES MOTIFS

Une campagne de presse et de relations publiques a récemment annoncé la venue prochaine à Genève d'une compagnie aérienne aux prix cassés et aux méthodes tapageuses. On a également pu lire ça et là que celle-ci envisageait de prendre, à des tarifs de faveur, ses quartiers dans l'ancienne aérogare qu'elle ferait même repeindre en orange !

Les motionnaires encouragent toute initiative pouvant créer des emplois durables, pour autant que celle-ci bénéficie à la collectivité au sens large et qu'elle respecte les principes de l'égalité de traitement et d'une libre concurrence exercée dans les limites de la raison.

Or, l'encouragement à des prix de dumping, avec la volonté d'augmenter à tout prix le nombre des passagers, risque de faire partir ou d'empêcher la venue de transporteurs qui cherchent à travailler dans notre canton.

C'est pourquoi nous demandons instamment au Conseil d'Etat, en particulier au responsable du DEEE (tutélaire selon la loi de l'Etablissement Autonome de l'Aéroport dont l'Etat est actionnaire à 100%) de veiller à ce qu'aucun privilège ne soit accordé, sur le plan des taxes passagers, des taxes d'atterrissage ou des infrastructures, à un transporteur particulier.

Il ne s'agit pas ici de faire le procès - facile a posteriori - d'un investissement dans une compagnie aérienne actuellement en difficulté. Nous proposons au contraire de tirer les enseignements de pratiques qui créent des précédents, au détriment notamment de la desserte ferroviaire de Genève (depuis Paris ou Zurich par exemple).

Ne prenons pas le risque de voir disparaître les lignes desservant actuellement notre canton au profit de compagnies gadgets. Nous lancer aujourd'hui tête baissée dans une nouvelle aventure pourrait entamer une spirale de la sous-enchère, spirale qui nous priverait d'une maîtrise essentielle sur les conditions (sociales, de sécurité, environnementales et économiques) de la desserte future de l'AIG. Nous deviendrions alors propriétaires d'un aéroport au rabais, délaissé pour une aventure sans lendemain par sa clientèle actuelle de compagnies aériennes - dont certaines lignes déjà précaires chuteraient en dessous de leur seuil de rentabilité - et ce en raison d'un traitement de faveur qu'accorderait l'AIG à certains concurrents.

Débat

Mme Anne Briol (Ve). Une campagne de presse tapageuse a récemment annoncé la venue prochaine à Genève d'une compagnie aérienne aux prix cassés. Ceci nous laisse présager que le Conseil d'Etat et l'aéroport subissent actuellement des pressions les incitant à accueillir cette compagnie à des conditions préférentielles. Dans ce sens, on a pu lire dans la presse que cette compagnie envisageait de prendre ses quartiers dans l'ancienne aérogare. Les Verts encouragent toute initiative pouvant créer des emplois, à condition qu'elle bénéficie à la collectivité au sens large. Pour ce faire, elle doit respecter des principes environnementaux, sociaux et économiques. Il faut à tout prix veiller à ce que des conditions favorables ne soient pas accordées à une compagnie qui puissent porter préjudice à la desserte ferroviaire de Genève, depuis Paris ou Zurich par exemple. Ceci pour des raisons environnementales évidentes, sachant que les avions consomment quatre fois plus d'énergie par passager et par kilomètre que le train. Egalement par souci de cohérence avec la volonté du peuple qui s'est très favorablement exprimé en faveur des grands projets ferroviaires le week-end passé.

D'un point de vue économique, suite aux difficultés dans lesquelles se trouve la SWA, il serait suicidaire de se lancer tête baissée dans une nouvelle aventure qui pourrait engendrer un cercle vicieux de la sous-enchère et par là même faire fuir notre clientèle actuelle de compagnies aériennes.

Par la présente motion, nous demandons au Conseil d'Etat de tenir compte de ces paramètres écologiques, sociaux et économiques lors de négociations avec des compagnies aériennes souhaitant s'établir à Genève et d'octroyer des conditions uniques afin de ne pas créer un aéroport à deux vitesses.

M. Michel Halpérin (L). C'est avec un peu d'étonnement que j'ai pris connaissance de cette proposition de motion. Je me souviens que dans ce Grand Conseil, au fil des années, nous avons eu à faire face à des oppositions de tout ordre, notamment d'une partie des motionnaires ou en tout cas de leurs rangs, pour nous expliquer que l'aéroport était en soi une entité dont il fallait se méfier. Nous avons dû nous battre pour des crédits, nous avons dû nous battre pour des développements, nous avons dû nous battre pour des halles et des dessertes nouvelles. Nous avons dû nous battre pour toutes les infrastructures qui entouraient cet aéroport et toujours contre la même opposition.

Plus récemment, il y a à peu près un an et demi, lorsque la compagnie nationale Swissair a interrompu ses rapports que nous pensions privilégiés et garantis à jamais avec l'aéroport de Genève, il s'est trouvé une majestueuse unanimité sur les bancs de la gauche pour expliquer à quel point Swissair était décevante et à quel point Genève devait se battre pour proposer des solutions de rechange romandes et autres. Et voilà qu'aujourd'hui, alors que Genève est peut-être en passe de se doter de capacité d'accueil supplémentaire pour une compagnie supplémentaire - qui tomberait plutôt bien ces jours-ci, disons-le franchement - nous voyons que les mêmes font obstacle tout en prétendant vouloir assurer le développement économique du canton. Avouez qu'il y a de quoi s'y perdre un peu !

Notre discours est plus simple : nous pensons que Genève n'est ce qu'elle est en grande partie que grâce à sa capacité aéroportuaire. Il y a lieu de la développer; il y a lieu d'accueillir ce qui peut y être accueilli raisonnablement. Nous n'avons aucune raison de penser que l'aéroport et le Conseil d'Etat ne s'occupent pas avec attention et soin de ces projets - comme de tous autres - nous sommes persuadés qu'ils feront les choses de manière à ce qu'elles profitent à la collectivité, comme cela a généralement été le cas dans les affaires aéroportuaires. Alors, Mesdames et Messieurs les motionnaires, nous rejetterons cette motion qui donne l'impression qu'en refusant un aéroport au rabais, c'est précisément un aéroport rabaissé que vous souhaitez.

M. Carlo Lamprecht. Je partage bien entendu les préoccupations de certains préopinants. Je crois que peu de monde aujourd'hui sait de quoi il s'agit : Easy Jet est déjà à Genève. Elle transite des passagers de Genève à Londres notamment, à des prix très concurrentiels. Vous pouvez vous rendre à Londres pour 120 F aller-retour. Il y a une démocratisation de l'aviation. Il faut admettre que cette compagnie pratique une nouvelle philosophie de l'aviation. A mon sens, elle ne cause pas de tort au trafic ferroviaire car je ne pense pas que les gens qui veulent se rendre à Londres, à Athènes ou à Vienne prennent le train plutôt que l'avion.

Aujourd'hui, où en sommes-nous ? Ce projet est en discussion entre les deux parties et il n'est même pas certain qu'Easy Jet accepte notre proposition. Qu'est-ce que cette compagnie apporterait à Genève aujourd'hui ? Tout d'abord six avions qui sont installés à Genève et qui génèrent deux cent vingt emplois - il est entendu qu'on peut toujours s'interroger sur les salaires, le plan social, comment ces gens sont installés. Ensuite, cela représente un trafic estimé à environ 1,2 million de passagers. Je vois que certains sourient : ce sont les chiffres qui nous sont donnés et que nous analysons. Comme vous, nous ne sommes pas en mesure de les confirmer. Je suis aussi partagé que vous sur ce projet, mais j'essaie de réfléchir et de comprendre.

Ce sont des emplois, je le répète, ce sont des lignes nouvelles, c'est une concurrence. De nos jours, dans le monde économique, il faut une concurrence. Pourquoi devrions-nous payer aujourd'hui 500 à 600 francs pour aller à Londres avec Swissair ou Crossair ou d'autres compagnies traditionnelles, alors que d'autres atteignent le même but à des prix concurrentiels ? C'est bien sûr un challenge mais c'est aussi un million de passagers pour l'aéroport de Genève - enlevons deux cent mille pour être pessimistes. C'est peut-être aussi trois à quatre millions de bénéfices supplémentaires pour l'aéroport de Genève.

Qu'y a-t-il en contrepartie de ce projet ? Probablement que ces coûts inférieurs sont obtenus par des salaires plus bas, cela reste à vérifier bien entendu. En l'état, ce n'est pas une décision politique, c'est une décision strictement économique que nous devons prendre. Nous devons la prendre en connaissance de cause et je m'étonne un peu aujourd'hui que l'on intervienne sans connaître le dossier, un dossier sur lequel nous travaillons depuis six mois avec la direction de l'aéroport de Genève et avec son conseil d'administration.

Il est vrai que l'on peut se poser la question : un million de passagers, où va-t-on les prendre ? On peut avoir la crainte qu'une partie de ces passagers soit cannibalisée sur les autres compagnies, avec le risque que celles-ci quittent Genève puisque nous leur enlevons des clients. Mais il est aussi facile d'avancer un tel prétexte pour prévenir toute concurrence. Que nous apportent ces compagnies ? Si demain Swissair nous disait qu'elle est contre Easy Jet, cela nous ennuierait car il y a Crossair dans ce voyage. Mais si Swissair nous le disait, nous pourrions rétorquer : «Quelle est votre contrepartie ? il vous est facile d'être contre tout et de ne rien ramener.» Cela peut être également un moyen de pression sur Swissair, je l'admets.

Dans un monde de concurrence, il faut savoir offrir des conditions particulières. Aujourd'hui, Mesdames et Messieurs, c'est une compagnie suisse-alémanique de Bâle, TEA, qui devrait être rachetée et amenée à Genève. Si cette transaction ne se fait pas à Genève, ce sont deux cent vingt postes de travail qui partent à Bâle et une compagnie suisse qui est exclue de ce marché.

C'est difficile et nous nous posons la même question; nous avons l'honnêteté de nous la poser, au lieu de nous dire que nous sommes en train de brader l'aéroport. Il faut laisser une certaine marge de manoeuvre aux responsables de l'aéroport et de l'économie. J'admets, comme vous, qu'il ne doit pas y avoir d'écart sur le plan social notamment, mais il faut nous laisser une marge de manoeuvre pour nous permettre d'être compétitifs.

J'accepte très volontiers le contenu de cette motion. Nous n'avons pas l'intention d'instaurer des inégalités de traitement. Par contre, lorsque des avions tournent beaucoup et qu'ils ne restent qu'une heure au sol, il est normal qu'ils puissent payer un peu moins cher que ceux qui restent toute une nuit sur le site. C'est comme un bateau dans un port, qui est taxé à la journée ou à l'heure selon la durée d'occupation. Demain nous pourrions dire non à Easy Jet - cela pourrait être le cas - mais peut-être est-ce Easy Jet qui nous dira non si nous ne lui accordons pas certaines conditions. La compagnie sera peut-être à Lyon dans quelque temps; elle y prendra une belle place. On dira que Genève a laissé passer une nouvelle philosophie de l'aviation qui permet à des gens modestes de pouvoir aussi prendre l'avion, d'aller à Londres, à Vienne, à Nice.

Voyez-vous, nous n'avons pas encore signé quoi que ce soit; nous tenons compte de vos remarques. Nous n'avons pas la volonté de traiter d'une façon inégale les uns et les autres, mais nous avons la volonté de développer l'aéroport, de lui donner des chances et de faire en sorte qu'il vive et qu'il soit compétitif. On peut avoir également une autre option : celle de dire que nous ne voulons pas d'aviation bon marché, que nous continuons avec les compagnies qui sont déjà là. Est-ce que cela nous apportera davantage ? Je continue d'en douter pour l'instant. (Applaudissements.)

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

Motion(1251)

Non à un aéroport au rabais

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant:

que la situation difficile de SWA provoque une nouvelle période de turbulences pour l'Aéroport international de Genève (AIG), étroitement associé à la promotion de ce projet,

qu'aujourd'hui seule une politique claire et transparente permettra à l'AIG de maintenir son rôle économique moteur pour le canton,

qu'il convient de ne pas fragiliser notre desserte aérienne actuelle - assurée par des compagnies de premier ordre,

invite le Conseil d'Etat :

à faire respecter dorénavant la consultation des instances concernant l'élaboration des diverses taxes pour les compagnies utilisant l'aéroport de Cointrin et

à veiller à l'élaboration de critères cohérents, transparents et compatibles avec le développement durable en cas de dérogation à la règle du jeu, de manière à éviter une inégalité de traitement qui s'avérerait préjudiciable pour le canton de Genève.