République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1105
14. a) Proposition de motion de Mmes et MM. Fabienne Bugnon, Marie-Françoise de Tassigny, Luc Gilly, Jean-François Courvoisier, Philippe Schaller et Evelyne Strubin visant à supprimer l'utilisation des produits chimiques dans les canons à eau de la police genevoise. ( )M1105
IU 255
b) Réponse du Conseil d'Etat à l'interpellation urgente de M. Max Schneider : Manifestations de rue. ( ) IU255
 Mémorial 1996 : Développée, 6326.

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- que la police cantonale genevoise dispose de véhicules équipés de canons à eau;

- que ces véhicules sont utilisés pour disperser les manifestations;

- que l'eau projetée sur les manifestant(e)s est mélangée à des substances chimiques pouvant entraîner des lésions corporelles graves (brûlures de la peau, des yeux, des voies respiratoires);

- que les conséquences résultant de l'usage de ces mélanges par la police bernoise en octobre 1996, ayant laissé à certaines personnes des séquelles irréversibles, sont intolérables,

invite le Conseil d'Etat

à interdire l'usage des produits chimiques ou tout autre additif lors de l'emploi de lances à eau servant à la dispersion de manifestations.

EXPOSÉ DES MOTIFS

La grande majorité des gens de ce pays ont été choqués et scandalisés lorsqu'ils ont appris que certains paysans avaient subi de graves lésions corporelles, après avoir été copieusement arrosés par les forces de police bernoise, lors de leur manifestation nationale organisée en octobre dernier sur la place fédérale.

Nous ne pouvons accepter que des citoyens soient marqués à vie, alors qu'ils ne faisaient qu'utiliser leurs droits démocratiques. Une plainte pénale ayant été déposée, nous ne nous étendrons pas plus sur le sujet. Mais nous souhaitons saisir l'occasion de dénoncer le danger encouru par des manifestants, dont certains sont des enfants, à l'occasion de ces arrosages absurdes.

Nous demandons donc au Conseil d'Etat qu'il intervienne sans délai, afin de faire interdire l'usage de produits dangereux lorsque la police disperse des manifestants à l'aide de lances à eau.

Nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les députés, de faire un bon accueil à cette motion en la renvoyant directement au Conseil d'Etat.

Débat

M. Luc Gilly (AdG). C'est à la suite de reportages télévisés et d'articles de presse démontrant les agissements totalement disproportionnés des grenadiers bernois contre les paysans... (Exclamations.) ...que les signataires ont déposé cette motion. Elle est claire et limpide, ce qui n'est pas le cas du mélange de substances des canons à eau de la police.

Nous demandons simplement qu'aucun produit chimique ou autre additif ne soit mélangé à l'eau servant à disperser des manifestations. La population genevoise ne comprendrait pas que la police puisse actuellement infliger des brûlures ou causer des lésions visuelles et respiratoires à des citoyens qui expriment des revendications légitimes et démocratiques.

De plus, l'arrosage tout azimut peut facilement atteindre des enfants ou des personnes âgées, plus particulièrement sensibles à ces produits.

Le simple bon sens justifie l'accueil favorable que vous réserverez à cette motion. En conséquence, nous vous demandons de la renvoyer directement au Conseil d'Etat.

Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). L'ordre et la sécurité publics nécessitent certains moyens, nous en convenons. Mais faut-il, pour faire régner le calme, les renforcer en utilisant des produits toxiques contre lesquels nous nous protégeons dans la vie quotidienne ?

En effet, une personne ayant déjà reçu une douche froide et vigoureuse sait combien elle rafraîchit les esprits et, surtout, oblige à fuir. Il est dès lors difficile de comprendre pour quelles raisons les effets produits par l'eau ont été doublés par des substances chimiques pouvant peut-être laisser des séquelles aux manifestants de tous bords.

Par conséquent, le groupe radical demande le renvoi de cette motion à la commission judiciaire, afin qu'elle puisse interroger les services concernés par cette pratique à double tranchant.

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Je soutiens évidemment le renvoi en commission, et je n'ai pas grand-chose à ajouter aux propos de M. Gilly et Mme de Tassigny. Mais je propose à M. Dupraz de vous montrer tout ce qu'il m'a montré... (Rires et exclamations.)

Une voix. On veut tout savoir !

Mme Fabienne Bugnon. ...et vous comprendrez pourquoi j'ai signé cette motion ! (Rires.)

M. Jean-François Courvoisier (S). Il est évident que cette motion a pour origine les incidents qui se sont déroulés à Berne, et dont notre ami John Dupraz a été victime... (Exclamations.)

Une voix. Il s'en porte encore beaucoup trop bien !

M. Jean-François Courvoisier. ...mais elle déborde quand même du cadre. Nous pouvons prévoir que la crise économique actuelle - et nul ne saurait dire quand et comment elle va se terminer - ne fait qu'augmenter le nombre de chômeurs et de mécontents. Elle risque de provoquer des manifestations de plus en plus nombreuses et violentes.

L'ordre public que nous souhaitons tous maintenir ne peut être assuré que par certaines répressions policières. Mais nous devons obtenir qu'elles ne causent aucune lésion grave, dangereuse ou irréversible.

M. Olivier Vaucher (L). Je souhaite m'exprimer au sujet du renvoi en commission, car il est primordial de pouvoir auditionner les policiers et les responsables pour connaître leur avis. Ces personnes sont les premières concernées; nous devons leur donner les moyens de se défendre lors de manifestations.

MM. Gilly et Dupraz prétendent que les produits utilisés pourraient être néfastes. Cependant, ils ont l'air de se porter encore fort bien après de telles manifestations. En revanche, ceux que certains manifestants utilisent ou ont en poche ne sont pas meilleurs pour la santé des enfants et de leur entourage.

Raisons pour lesquelles je demande le renvoi en commission.

M. Max Schneider (Ve). Le droit de manifester est un droit démocratique, et les jets d'eau impressionnent suffisamment les manifestants pour qu'il ne soit pas nécessaire d'y ajouter des produits chimiques.

Je pense que cet avis est également partagé par le chef du département, auquel j'ai adressé une interpellation urgente avant le dépôt de cette motion. Le renvoi en commission n'est pas nécessaire, car, dans sa grande sagesse, le chef du département n'aura pas voulu ajouter de produits chimiques dans ses canons à eau. Défenseur des droits de l'homme, il aura pris toutes les mesures pour que de tels faits ne se produisent pas à Genève.

Avant que l'on vote ce renvoi en commission, je souhaiterais que M. Ramseyer nous rassure, et que l'on renvoie cette motion directement au Conseil d'Etat pour approbation.

M. Claude Blanc (PDC). Je ne m'exprimerai que sur le renvoi en commission, car il est indispensable que ce projet soit renvoyé. Ainsi, les députés, membres de la commission, pourront se faire une idée précise des dégâts causés à leur collègue Dupraz, et faire connaissance avec le «corps du délit» ! (Rires.)

Une voix. Vicieux !

M. Claude Blanc. De la sorte, ils pourront juger si M. Dupraz est toujours en mesure de siéger sur nos bancs ! (Rires.)

M. John Dupraz (R). (Brouhaha.) Je suis très sensible à cette motion. (Rires.) Mais comme j'en suis peut-être l'instigateur involontaire, j'ai refusé de la signer. Cependant, je ne m'oppose pas au renvoi, bien au contraire !

Monsieur Vaucher prétend que les policiers sont concernés, mais, en tant que victime de violences policières, je peux affirmer que les victimes sont plus concernées que les policiers. Je ne souhaite à personne de vivre de tels événements... (Exclamations.) C'est une des rares fois de ma vie où j'ai eu peur. (Brouhaha. Des députés entonnent : «Ne pleure pas Jeannette».)

La manifestation est un droit d'expression démocratique. Elle doit pouvoir se dérouler dans des normes acceptables. Il n'est pas justifié que la police réplique avec des moyens totalement disproportionnés, même lors de débordements - on ne manifeste pas pour dire que tout va bien. (Applaudissements.)

Mme Evelyne Strubin (AdG). J'approuve les propos de M. Dupraz : une manifestation étant l'ultime recours dont dispose la population pour exprimer son mécontentement, il n'est pas judicieux de brimer cet élan démocratique par des actes violents.

Dans ce type de situation, la police devrait savoir faire preuve d'esprit de conciliation. Même s'il est de son devoir de protéger des bâtiments et autres, il est inadmissible qu'elle profite des moyens et du pouvoir mis à sa disposition pour se faire plaisir en jouant à la guéguerre civile. Les canons à eau sont amplement suffisants, les manifestants ne peuvent pas lutter contre cette force considérable. Il est inutile - voire honteux - d'y ajouter des produits toxiques et dangereux.

En profitant de chaque occasion pour manifester sa force, la police se met la population à dos et contribue à augmenter la violence. Gageons qu'à la prochaine manifestation les paysans seront autrement armés !

M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Madame la présidente, permettez à sa «grande sagesse» de s'exprimer, puisque c'est ainsi que m'a baptisé M. le député Schneider !

Premier point : un des produits auxquels il est fait allusion est utilisé depuis plus de trente ans à Genève sans aucun problème. Nous n'avons jamais constaté de brûlure semblable à celle ayant causé d'atroces souffrances au député Dupraz !

Une voix. Il est allergique !

M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Je me suis d'ailleurs demandé si les brûlures d'estomac du député Dupraz lors de cette manifestation n'étaient pas plus importantes que celles qu'il a subies de manière superficielle ! (Brouhaha. Rires.)

Deuxième point : nous n'utilisons ce produit que de façon exceptionnelle et restrictive à Genève.

Troisième point : le cas genevois est différent du cas bernois. Monsieur le député Schneider, comme je suis en train de vous répondre, je serais ravi que vous ayez la gentillesse de m'écouter ! La police genevoise est influencée par le droit français qui applique le principe de l'opportunité. En Suisse alémanique, on utilise celui de l'égalité, dénoncé par Mme Strubin.

Sans jouer les Madame Soleil, je peux déjà vous annoncer une émeute et des bagarres le 1er mai 1997, à Zurich. En effet, depuis plus de dix ans, la police zurichoise interdit au cortège d'emprunter une rue. Rien de tel à Genève, où l'on fait en sorte que les choses se passent le mieux possible; et cela fonctionne très bien.

Enfin, j'ai le plaisir d'annoncer à Mme la députée Strubin que, selon une enquête menée par des politologues - et Dieu sait que nous n'appartenons pas au même bord - sur deux mille deux cents interventions policières faites entre 1964 et 1994 par les polices de Berne, de Bâle et de Zurich, nous étions la police la plus douce !

Des voix. On a gagné ! On a gagné !

M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Ceci n'explique pas cela, et n'excuse rien du tout... (Brouhaha.) Je me réjouis simplement d'entendre, en commission, les syndicats de police et les spécialistes. Un renvoi au Conseil d'Etat n'aurait pas de sens en l'occurrence.

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission judiciaire.

IU 255

Cette interpellation urgente est close.