République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 29 mars 1996 à 17h
53e législature - 3e année - 5e session - 12e séance
IN 104-C
RAPPORT DE LA PREMIÈRE MAJORITÉ
C'est sous les présidences successives de Mme Micheline Spoerri et de M. Alain Champod qu'entre le 10 avril 1995 et le 15 janvier 1996 la commission de l'économie a traité l'initiative 104.
Au cours de ses travaux, la commission a entendu les personnalités et les groupements suivants:
- Union des syndicats du canton de Genève (MM. Eric Decarro, Hubert Launay, Hans Oppliger);
- Union genevoise des éditeurs de journaux (MM. Pierre-Ami Chevallier);
- Union des associations patronales genevoises (MM. Raymond Eigenmann, Blaise Mathey);
- Savoises solidarité (M. Léonard Montavon);
- Banque cantonale de Genève (MM. Marc Fues, René Curti);
- Syndicat lémanique des journalistes (M. Frédéric Montanya).
La commission a par ailleurs bénéficié de la présence et de l'aide constante du chef du département de l'économie publique, M. Jean-Philippe Maitre, et de M. Jean-Claude Manghardt, secrétaire général.
Dans ses réflexions et ses conclusions, la commission s'est enfin largement inspirée des textes et ouvrages suivants:
- publication de la commission suisse des cartels et du préposé à la surveillance des prix: concentration dans la presse (avril 1993);
- projet de poursuite de parution du journal «La Suisse» établi le 21 mars 1994 par la société coopérative d'édition «Des Savoises»;
- Mémorial des débats du Conseil national du 6 mars 1986, intervention de M. Laurent Rebeaud.
Préambule
Lors des travaux de la commission de l'économie, l'auteur de ce rapport a utilisé le terme de «rigolade» pour désigner le contenu de l'initiative 104, une initiative non formulée lancée par l'Union des syndicats du canton de Genève et soutenue activement par l'Alliance de gauche. Ce terme était mal choisi. Il eût mieux valu qualifier cette initiative de «mascarade» ou «parodie». Car c'est bien en face d'une mascarade ou d'une parodie du fonctionnement démocratique qu'on se trouve.
Les trop nombreuses séances de travail que la commission de l'économie a dû consacrer à ce texte sont pour une grande part la conséquence de la légèreté avec laquelle le Grand Conseil, dans sa séance du 19 janvier 1995, a accepté de suivre les recommandations de la commission législative de valider cette initiative. Tout montre en effet qu'elle est inapplicable, autant pour des motifs juridiques que pour des raisons pratiques.
Il est utile de consacrer quelques lignes à l'historique de ce large dérapage et d'essayer de poser un diagnostic sur celui-ci, ne serait-ce que pour rendre à l'avenir chacun des acteurs plus attentifs à ses devoirs dans le fonctionnement de notre démocratie.
La plus grande responsabilité dans cette affaire repose évidemment sur les épaules des auteurs de l'initiative 104. Ceux-ci ont manifestement abusé du droit d'initiative en soumettant aux signataires un texte trompeur, destiné à rassembler un maximum de suffrages et à exploiter à des fins politiciennes l'émotion soulevée à l'époque par l'affaire «La Suisse». Ce texte relève en effet au mieux de la pétition et au pire du pamphlet démagogique.
Il convient de condamner vigoureusement la malhonnêteté de certains milieux qui n'hésitent pas à exploiter à des fins purement partisanes deux des fondements de notre démocratie directe, le droit d'initiative et celui du référendum.
Fort heureusement, le peuple commence à se rendre compte de ces abus et de leur ampleur. En témoignent les récents échecs d'un référendum et d'une initiative de la même veine que celle qui fait l'objet de ce rapport et lancé par les mêmes milieux que ceux qui sont à l'origine de l'initiative 104.
Le parlement n'est pas exempt de critiques. Comme on l'a déjà noté, il apparaît maintenant de manière claire que l'initiative 104 n'aurait pas dû être validée par notre Grand Conseil. Celui-ci aurait dû attacher davantage d'attention aux jugements et aux explications fournis à ce sujet par le Conseil d'Etat. Mais on peut reconnaître à notre décharge qu'invalider une initiative populaire constitue un acte grave auquel le fonctionnement traditionnel de notre démocratie ne nous avait pas habitués. Ce n'est que très récemment que divers groupements se sont mis à jouer sans scrupules avec nos institutions à des fins purement démagogiques et partisanes.
Il est heureux de constater que notre Grand Conseil, au cours des derniers mois, a pris nettement conscience du danger que fait courir à notre canton ce genre d'initiative. C'est à l'éclairage de ce danger qu'il faut interpréter l'invalidation en septembre dernier de l'initiative 105.
Il faut enfin souligner que nos institutions sont également en cause. Il est devenu trop facile d'en abuser. Manifestement, les articles de notre constitution définissant les conditions dans lesquelles certains peuvent lancer une initiative ou un référendum, puis récolter les signatures de soutien ne sont plus adaptées à notre environnement socio-politique. Il est urgent de les réformer. Pourquoi, par exemple, ne pas exiger, avant leurs lancements, la validation par le pouvoir judiciaire des textes soumis à la population? Pourquoi ne pas exiger que les signatures soient récoltées exclusivement dans des lieux bien définis?
Découpage de l'initiative
En vertu des délais imposés par la constitution genevoise, le Grand Conseil doit se prononcer avant le 19 avril 1996 sur la suite qu'il entend donner à l'initiative 104.
La commission de l'économie a dû conclure qu'elle ne pouvait pas traiter en bloc cette initiative. Elle a donc pris la décision de décomposer le texte original en deux parties intitulées respectivement IN 104 (volet presse) et IN 104 bis (volet emploi), l'exposé des motifs restant inchangé et identique pour les deux parties. Les textes adoptés par la commission se présentent ainsi:
EXPOSÉ DES MOTIFS
Réagissez contre la «casse» de «La Suisse»
En date du 14 mars 1994, «La Suisse» a cessé de paraître, suscitant une très vive émotion dans la population de notre canton. Le personnel du journal décida alors de créer une coopérative pour reprendre sa parution, ce qui a entraîné un énorme élan de solidarité à Genève. Cet espoir a été trahi par ceux qui ne voulaient plus de «La Suisse», par les pressions de certains milieux économiques et surtout par l'inaction du Conseil d'Etat (pourtant élu sur le slogan «un emploi pour chacun !»), alors que ce dernier disposait des moyens d'agir et aurait dû intervenir, comme l'Etat l'a fait avec succès en d'autres occasions.
Face à ce désastre, il importe de réagir et d'en tirer les enseignements, en prévoyant d'inscrire dans la loi les moyens d'intervention dont dispose l'Etat et dont il pourrait disposer pour agir dans de tels cas. C'est le but des deux textes d'initiative ci-après, car il n'est pas possible, devant la crise économique que nous traversons, que l'Etat continue à mener une politique de «laisser faire et laisser aller» avec pour conséquence que des pans entiers de notre économie risquent de s'effondrer avec les pertes d'emplois inacceptables qui en résultent. Les autorités doivent, de ce fait, mener une politique active de sauvegarde des activités économiques existantes et des emplois qui leur sont rattachés, ce qui amène cette initiative à proposer des mesures de portée générale étendues à l'ensemble de l'économie ou à certains secteurs de celle-ci, destinés à préserver les activités vitales pour la survie de notre économie locale, ce qui est à la fois moins coûteux et surtout plus efficace pour l'avenir que de verser de simples indemnités de chômage, de surcroît limitées dans le temps.
Initiative 104
dite «La Suisse»pour la pluralité de la presse
En application de l'article 8 de la constitution genevoise consacrant la liberté de la presse, les autorités doivent prendre des mesures garantissant la diversité de la presse et veiller, conformément au droit fédéral, à ce que des situations de monopole ne se créent pas dans le secteur de la presse. A cette fin, elles doivent notamment intervenir concrètement pour contribuer au maintien de journaux existants et des emplois qui leur sont rattachés.
Initiative 104 bis
dite «La Suisse»pour le soutien de l'emploi
Afin de contribuer au maintien de l'emploi, l'Etat doit, de manière générale, prendre notamment les mesures suivantes:
a) octroyer, à travers la Banque cantonale, un appui financier à des entreprises nouvelles, telles que la société coopérative créée pour sauver «La Suisse», ou à des entreprises assainies sur le plan financier, qui permettent le maintien ou la création d'emplois;
b) garantir dans de tels cas les prêts consentis par la Banque cantonale ou d'autres banques ou institutions, lorsque des secteurs importants de l'économie locale sont en jeu;
c) verser, en s'inspirant à cette fin de la législation tessinoise en la matière, des subsides aux:
- entreprises engageant des chômeurs ou des jeunes qui viennent de terminer leur formation;
- ou à des secteurs d'activités menacés de fort chômage.
Le présent rapport ne concerne que la première partie de l'initiative originale. Il s'agit donc de la partie intitulée initiative 104 (volet presse). Des auditions qu'a effectuées la commission, il n'est repris ici que celles qui concernent cette partie du texte des initiants et les éléments qui s'y réfèrent.
S'agissant de l'initiative 104 bis (volet emploi), elle fait l'objet d'un autre rapport.
Les grandes questions
Pouvait-on sauver «La Suisse»?
Dans leur exposé des motifs, les auteurs de l'initiative 104 affirment que l'Etat «disposait des moyens d'agir et aurait dû intervenir» pour sauver le journal «La Suisse». Qu'en est-il réellement?
Ce sont les représentants de la Banque cantonale genevoise (BCG) qui ont répondu le plus clairement à cette question. Contrairement aux propos que certains tenaient à l'époque où le journal a disparu, et que d'autres tiennent encore aujourd'hui, le Conseil d'Etat et la BCG ont tous mis en oeuvre pour sauver le plus grand nombre possible des emplois offerts à l'époque par le groupe Sonor. Mais rapidement la banque sollicitée s'est rendu compte que le projet de coopérative n'était pas viable. Celle-ci ne pouvait pas, en effet, mettre à disposition les 10 à 15 millions de francs de fonds propres que, selon les experts, réclamaient pour des motifs aussi bien juridiques que financiers le démarrage de l'opération. La coopérative ne disposait en réalité que de 2 millions de francs. Même si la BCG avait fourni les 7 à 8 millions de francs requis par le fonds de roulement de l'entreprise, dès la fin du premier exercice, dont il était prévu par tous qu'il serait gravement déficitaire, le journal se serait trouvé dans l'obligation légale de déposer son bilan.
Peut-on dès lors raisonnablement reprocher à la BCG de n'avoir pas sciemment engagé ses fonds dans une opération vouée à l'échec à cause de l'insuffisance des moyens financiers de ces promoteurs? Un échec qui, de surcroît, aurait certainement conduit à la liquidation ultérieure du CITP.
L'Etat devait-il s'engager directement dans le sauvetage?
Lors de leur audition, les représentants de l'USCG ont expliqué qu'au nom de la sauvegarde de l'emploi, l'Etat aurait dû soit mettre à disposition les 8 millions de francs de fonds propres manquants, soit s'engager à hauteur de ce montant en cautionnant un prêt bancaire. L'initiative 104 réclame d'ailleurs que les autorités interviennent concrètement pour contribuer au maintien des journaux existants et des emplois qui leur sont rattachés.
Comme tous ceux qui comprennent les mécanismes d'une économie de marché, la majorité des commissaires a évidemment conclu qu'une telle intervention étatique était totalement inadéquate. D'une part, parce que ce n'est pas le rôle de l'Etat que celui de bailleur de fonds. D'autre part, parce que si tout le monde ou presque s'accorde pour reconnaître que l'Etat doit mener une politique économiquement active favorisant, pour une période limitée, l'éclosion de nouvelles entreprises et l'accueil de sociétés nouvelles et qu'il doit contribuer, dans la mesure de ses moyens administratifs et fiscaux, au sauvetage d'entreprises existantes, il serait catastrophique, même au nom de la sauvegarde de l'emploi, qu'il s'engage dans une politique de soutien à des entreprises manifestement non viables, fussent-elles des entreprises de presse. Or, le projet de la coopérative «Des Savoises» n'était pas viable.
Il convient de citer ici un extrait d'un livre rédigé en 1983 par M. Alvin Toffler. Celui-ci notait qu'en matière «de sauvetage d'entreprises comme en matière de chômage individuel le maître mot est reconversion par assistance. Ce qu'il faut c'est aider la conversion et le recyclage. Le sauvetage d'une industrie agonisante par l'Etat, s'il n'est pas accompagné d'une stratégie de reconversion, c'est de la délectation morose. C'est inutile et c'est coûteux.»
Mais il est vrai que l'USCG est mue par une ambition qui ne saurait s'arrêter à ce genre de considérations. Selon son vice-président, entendu le 24 avril 1995, les promoteurs de l'initiative visent en effet un objectif autrement plus vaste. Ils persistent à réclamer que les institutions publiques «s'approprient un certain nombre d'instruments». La presse en fait manifestement partie.
Faut-il et peut-on aider la presse?
Soi-disant «parce que la presse n'est pas une marchandise comme une autre», les initiants exigeaient à tout prix le sauvetage de «La Suisse» et demandent, plus généralement, que les autorités prennent des mesures garantissant la diversité de la presse. «Les autorités doivent intervenir concrètement pour contribuer au maintien de journaux existants et des emplois qui leur sont rattachés» dit le texte de l'initiative.
Dans une économie de marché tous les produits et services sont évidemment différents les uns des autres et n'entretiennent pas les mêmes relations avec le marché. Pour la majorité des commissaires cela ne signifie pas que certains méritent a priori d'être légalement traités différemment. Ce n'est d'ailleurs pas ce qu'exige l'article 8 de la constitution genevoise qui ne fait que consacrer un principe, celui de la liberté de la presse.
A l'évidence, comme le relevait M. Laurent Rebeaud en 1986 déjà dans une intervention au Conseil national, «la diversité de la presse est en régression et il n'y a pas de raison que cela s'arrête». Particulièrement bien placé pour traiter cette question, l'ancien conseiller national poursuivait en notant qu'il n'imaginait «aucune solution pratique pour aider les petits journaux qui disparaissent ou qui sont menacés qui n'aille finalement à fin contraire. Qui subventionner? Comment choisir les bénéficiaires?»
En entendant le président de l'Union genevoise des éditeurs de journaux, la majorité des commissaires a fini de se forger leurs convictions: les aides directes, ciblées, de l'Etat à la presse sont des remèdes pires que le mal. Les éditeurs de journaux craignent ce type d'aide à cause du risque d'ingérence des pouvoirs publics, des inégalités de traitement et de l'affaiblissement de la liberté d'informer qui pourraient en résulter et de la déresponsabilisation qui s'ensuivrait à coup sûr des milieux privés. La survie des journaux déficitaires étant garantie par l'Etat, pourquoi les milieux privés continueraient-ils à les soutenir en y injectant régulièrement des fonds?
D'ailleurs, tout laisse penser que de telles aides directes ne sont pas compatibles avec le droit fédéral et que leur inscription dans le droit genevois serait rapidement balayée par le Tribunal fédéral.
Seules demeurent envisageables, par conséquent, les mesures d'aides indirectes, celles qui prennent la forme des tarifs postaux préférentiels, un taux de TVA plus avantageux, un soutien public à la formation des journalistes. Ces mesures existent déjà mais il faut se rendre à l'évidence, l'état des finances publiques fédérales et cantonales ne laisse guère d'espoir quant à leur renforcement éventuel.
La disparition de «La Suisse» nuit-elle à la liberté de la presse genevoise et contribue-t-elle à l'affaiblissement du débat démocratique à Genève?
Suite à la demande de la commission de l'économie et dans un ultime effort de justification de l'initiative 104 (volet presse), l'USCG, par un courrier du 24 octobre 1995, expliquait que «le soutien à la pluralité de la presse est le prix à payer pour une démocratie vivante». Les Genevois sont-ils désinformés depuis la disparition de «La Suisse»?
La commission des cartels, dans un rapport daté d'avril 1994, a en quelque sorte répondu par avance à cette interrogation et simultanément aux affirmations erronées des initiants.
S'agissant de la situation du marché genevois de la presse, la commission des cartels relevait alors que «le nombre de quotidiens y est trop élevé et que c'est là une des causes de leur mauvaise situation financière. De nombreuses possibilités de fusions sont évoquées dans la branche».
On notera en passant que, s'agissant de «La Suisse», la commission des cartels était parvenue à la conclusion qu'en matière publicitaire, ce journal ne souffrait pas de politique discriminatoire de la part de Publicitas par qui transite la quasi-totalité des annonces publicitaires.
La commission des cartels a tenté de comparer avec le marché genevois la situation de monopole de la presse existant à Bâle où deux titres seulement subsistent, à savoir la «Baslerzeitung» (130 000 exemplaires) diffusée presque exclusivement en ville, et la «Basellandschaftliche Zeitung» (20 000 exemplaires) distribuée dans le canton de Bâle-Campagne où elle dispose d'un monopole de fait. En conclusion à son analyse, la commission des cartels s'est trouvée en mesure d'affirmer que la liberté et la qualité de l'information dont bénéficient les Bâlois n'est pas moins bonne que celle dont profitent les Genevois. «On ne saurait prétendre que les citoyens de Bâle sont moins bien informés que ceux de Genève» a-t-elle écrit.
Sachant qu'après la disparition de «La Suisse», il subsiste à Genève quatre quotidiens («Tribune de Genève», «Courrier», «Journal de Genève» et «Nouveau Quotidien»), on peut estimer aujourd'hui que le sort des Genevois en matière d'information est enviable et qu'il le restera même si de nouveaux phénomènes de concentration devaient se produire. D'autant que depuis belle lurette le débat démocratique ne repose plus exclusivement sur la presse écrite. La radio et la télévision ne cessent de voir grandir leur rôle en ce domaine.
Conclusion et vote
Aujourd'hui comme au début de 1994, les faits et les chiffres conduisent à la même conclusion: «La Suisse» ne pouvait plus être sauvée lorsque la société propriétaire du titre a déposé son bilan. Les éventuelles possibilités de poursuivre la parution du journal avaient été gaspillées au cours de la décennie précédente.
La majorité de la commission regrette bien sûr, comme les nombreux milieux intéressés, les erreurs de gestion qui ont caractérisé les dernières années de l'histoire du groupe Sonor SA, le manque de transparence des comptes et des structures ainsi que l'insuffisance de l'information interne et externe de celui-ci. Trop d'illusions et trop d'espoir vains ont été ainsi entretenus d'une manière frisant la malhonnêteté et cela au détriment des créanciers bien sûr, mais surtout des employés des sociétés du groupe.
Pour la majorité de la commission, la fin de «La Suisse», pour regrettable qu'elle soit, fait partie de la longue liste des sociétés qui disparaissent chaque année pour faire place à de nouvelles entreprises, créatrices de nouveaux produits ou services et de nouveaux emplois. Ce n'est pas le rôle de l'Etat que de se substituer à ceux chargés de gérer les entreprises, voire de subventionner directement celles-ci, même s'il s'agit de groupes de presse. Quant aux aides indirectes dignes de ce nom, telles qu'un taux de TVA ou des tarifs postaux réduits, elles sont de la compétence fédérale.
La concentration à laquelle on assiste dans le secteur de la presse écrite helvétique s'inscrit dans un processus inéluctable. Ce processus se trouve renforcé par la concurrence que représente la télévision dont l'accroissement des recettes publicitaires se fait de plus en plus au détriment de la presse écrite. Mais la majorité de la commission de l'économie s'est convaincue que la concentration de la presse écrite ne nuit pas à la qualité de l'information et du débat démocratique.
Sur le plan purement juridique enfin, les commissaires ont constaté que les moyens proposés par l'initiative en vue «d'assurer la pluralité de la presse genevoise» ne sont tout simplement pas compatibles avec le droit fédéral.
C'est en vertu de ce qui précède que la commission, par huit voix (5 L, 2 R, 1 PDC) contre 5 (2 S, 3 AdG) et une abstention (Ve) a rejeté l'entrée en matière sur l'initiative 104 (volet presse). La commission vous recommande, Mesdames et Messieurs les députés, de prendre une décision identique et de soumettre ce volet de l'initiative tel quel, sans contreprojet, aux Genevois.
RAPPORT DE LA DEUXIÈME MAJORITÉ
Ce rapport ne traite que de la première partie de l'initiative dite «La Suisse» et n'aborde que le subventionnement à la presse. Le 2e volet traitant de l'emploi sera présenté au plus tard le 19 avril 1996.
Subventionnement de la presse
Dans le feu de l'action, des employés de «La Suisse» lancent une initiative pour qu'on ne revive plus à Genève l'expérience traumatisante de la disparition d'un journal.
Le 19 octobre 1994, l'aboutissement de l'initiative est publié dans la Feuille d'avis officielle.
Aujourd'hui, l'effervescence étant retombée, on se rend compte que le subventionnement direct n'est pas la solution adéquate pour la liberté de la presse. Est-ce que cela a un sens de financer un journal qui n'a plus de lecteurs, ou un nombre infime de lecteurs? Ce qui, soulignons-le, n'était pas le cas du journal «La Suisse».
Comment garantir l'indépendance de la presse vis-à-vis d'un «bailleur de fonds» qui serait l'Etat. Celui qui «offre» d'importantes sommes d'argent ne peut s'empêcher d'avoir un certain nombre d'attentes à l'égard de celui qui les reçoit. Les remèdes proposés à des maux réels, qui sont ceux de notre presse aujourd'hui, seraient pires que le mal qu'ils veulent soigner. Nous citons quelques passages de l'intervention de notre ex-collègue Laurent Rebeaud, journaliste de profession, lors du débat du 6 mars 1986 sur l'article constitutionnel sur le droit de la presse: «... il y a des phénomènes de concentration. La diversité de la presse, du moins celle qui est écrite, est en régression ces dernières années et il n'y a pas de raison que cela s'arrête. Mais je n'imagine aucune solution pratique pour aider les petits journaux qui disparaissent ou qui sont menacés, qui n'aille pas finalement à fin contraire. Qui peut subventionner? De petits journaux qui n'ont pas suffisamment de ressources pour faire vivre une équipe rédactionnelle? Comment choisir les bénéficiaires? La proportionnelle bénéficierait encore plus aux grands journaux. ... les journalistes réussiront à faire prévaloir jusqu'au bout les droit de l'information. La liberté des journalistes n'est pas une affaire de loi ou de constitution, mais de conscience ou d'éthique professionnelle. Cette dernière ne se prescrit pas, mais se cultive et se développe à l'intérieur de la profession.
Je crains qu'en légiférant dans ce domaine, on affaiblisse dans la corporation et dans le syndicat les forces qui veulent que cette branche défende et cultive, de manière autonome, sa propre liberté.»
De même, nous ne partageons pas l'optimisme de ceux qui pensent que dans le futur la diversité, la richesse et l'indépendance de la presse ne seront pas en danger.
Des actions devront être entreprises si nous ne voulons pas que le groupe Lamunière ne devienne pour la Suisse romande ce que le groupe Hersan est pour la France avec le rachat des journaux locaux. La méthode classique qui s'est répétée en France: d'abord on achète le journal régional en n'y apportant que de petits changements, ensuite on le laisse tranquille, puis ensuite pour des raisons les plus diverses il disparaît et est remplacé par le journal unique du groupe... Et à Genève? Le chantage par un grand groupe de presse qui refusait d'investir dans le Centre d'impression de Vernier, si le journal «La Suisse» continuait à exister, que ce soit de manière quotidienne ou hebdomadaire est significatif.
Problématique des éditeurs et journalistes
La première invite de cette initiative a le mérite de mettre en exergue le problème auquel sont confrontés éditeurs et journalistes. Car le malaise est grand dans cette branche de l'économie qui devrait contribuer à un bon fonctionnement de notre démocratie. Il existerait aujourd'hui une grave déficience du nombre de journalistes.
Pourquoi aujourd'hui plus personne ne veut être journaliste?
Dans certaine radio laser, on a dû engager des journalistes français, car on ne trouvait personne de professionnellement qualifié à Genève.
La formation devrait être plus soutenue? Par exemple par la création d'une école de journalisme?
La formation actuelle des journalistes avec 8 semaines de cours à Lausanne, réparties sur deux ans de stage dans un journal, répond-elle encore aux exigences actuelles?
C'est donc aussi dans le secteur de la formation des jeunes journalistes et autres emplois de la branche que l'Etat peut contribuer à maintenir une diversité de la presse locale.
Les autres possibilités d'actions paraissent cependant limitées au niveau fédéral par le biais de subventions indirectes telles que, par exemple:
- la diminution de frais postaux pour la distribution de quotidien;
- intervention de la commission des cartels pour le prix du papier;
- intervention de la commission des cartels contre la concentration de la presse;
- et autres...
Le deuxième volet de l'initiative dite «La Suisse» répondra aussi partiellement à la première invite de l'initiative par diverses mesures visant à maintenir et à créer des emplois à Genève. Mais ces mesures ne seront plus limitées uniquement au secteur de la presse, mais à l'ensemble de l'économie genevoise sur des critères qui restent encore à définir.
A noter que, depuis le dépôt de cette initiative, plusieurs mesures ont déjà été prises pour soutenir certaines entreprises en difficulté et soutenir l'emploi.
Conclusion
La première invite de cette initiative a le mérite de mettre en exergue le problème auquel sont confrontés éditeurs et journalistes.
A part l'appui cantonal à la formation, les possibilités paraissent limitées. Au niveau fédéral, on pourrait agir par le biais de subventions indirectes, par exemple, diminution de frais postaux, intervention de la commission des cartels pour le prix du papier et concentration de la presse. Le deuxième volet de l'initiative dite «La Suisse» actuellement à l'étude en commission de l'économie répondra partiellement à cette première invite, sans pour autant mentionner expressément la Banque cantonale.
Pour toutes ces raisons, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à ne pas soutenir la première invite de cette initiative.
RAPPORT DE LA MINORITÉ (ALLIANCE DE GAUCHE)
La disparition du journal «La Suisse», indépendamment des appréciations que chacune et chacun pouvait porter sur son contenu rédactionnel, a suscité de fortes réactions. Réactions tout d'abord des salariés de ce journal qui se sont battus pendant plusieurs mois pour le sauver et pour trouver une solution alternative. Réactions des abonnés qui ont montré qu'un quotidien, s'il est un produit comme un autre dans une économie marchande, représente davantage qu'un simple objet parce qu'il est le véhicule d'idées et d'un peu d'histoire d'une région. Réactions enfin de forces politiques et syndicales qui estimaient qu'il était possible d'agir pour permettre à «La Suisse» de continuer à paraître sous une forme ou sous une autre alors que Conseil d'Etat et les partis de l'Entente, tout en pleurnichant sur le sort des employés du journal, cédaient à la soi-disant «fatalité» du marché.
C'est dans ce contexte que l'initiative qui nous est proposée aujourd'hui a été lancée par celles et ceux qui considèrent qu'il ne peut y avoir de démocratie sans pluralité de la presse et que, plus généralement, le soutien de l'emploi passe par des mesures actives de la part des pouvoirs publics. Certains, refusant de voir la réalité en face, s'évertuent à réduire cette initiative à une réaction émotionnelle, sous-entendue irrationnelle. Comme si la perte de plus de 300 emplois et ses conséquences pour les femmes et les hommes qui ont perdu leur travail, parfois leur identité et leur santé, n'était qu'une simple péripétie. Deux ans après la disparition de «La Suisse» 73 salariés sont toujours au chômage, 25 ne vivent que de travaux précaires et 6 ont dû faire appel à l'assurance-invalidité.
A la suite du rapport de la commission législative proposant de scinder en deux l'initiative: un volet relatif à la pluralité de la presse et un autre relatif au soutien de l'emploi, la commission de l'économie a décidé de traiter séparément les deux objets. Le présent rapport de minorité traite donc du premier volet sur la presse bien que, à l'évidence, on ne puisse parler de liberté de la presse sans traiter des conditions économiques qui, dans une économie de marché, fondent l'existence d'un journal.
Liberté de la presse et démocratie
L'article 8 de la constitution genevoise consacre expressément la liberté de la presse. Ce n'est pas par hasard que cette liberté est inscrite dans notre charte fondamentale: c'est une des garanties de l'exercice de la démocratie par l'expression de la pluralité des opinions. Permettre aux citoyens de se forger une opinion par l'information factuelle et par le point de vue fourni par les commentaires, réserver des lieux d'expression pour les lecteurs, permettre la critique des pouvoirs, autant de fonctions qui sont essentielles au fonctionnement de la démocratie. Ce n'est pas pour rien que tous les régimes peu ou non démocratiques cherchent à contrôler la presse, à la censurer, voire à interdire des journaux.
Aujourd'hui cette liberté formelle est garantie dans notre pays. Elle est cependant menacée non plus par des mesures d'ordre politique mais par des pressions économiques et par la constitution de monopoles. A cet égard, il convient de se souvenir des boycotts publicitaires exercés par des annonceurs à l'égard de journaux qui ont eu la mauvaise idée de critiquer tel ou tel produit ou la politique de telle ou telle entreprise. De notre point de vue la concentration de la presse et la constitution de monopoles est encore plus grave pour l'exercice de la liberté de la presse. Il faut savoir que de 1950 à 1994 le nombre de journaux dans notre pays est passé de 368 à 241, soit une réduction de plus d'un tiers. Mais ce phénomène de réduction du nombre de titres ne serait pas en soi un danger s'il ne s'accompagnait pas, dans le même temps, d'une concentration des titres restant dans les mains d'un nombre restreint d'éditeurs. Ce n'est pas pour rien qu'en 1995, la Fédération internationale des journalistes a lancé une mise en garde contre les concentrations dans les médias, estimant que celles-ci constituent une menace pour la liberté d'expression.
A cet égard la situation en Suisse romande est particulièrement préoccupante. Aujourd'hui un seul groupe, Edipresse, possède le 80% du marché des quotidiens romands. Les titres suivants appartiennent ou sont contrôlés par Edipresse: «La Tribune de Genève», «Le Matin», «Le Nouveau Quotidien», «24 Heures», «Le Quotidien Jurassien», «Télé Top Matin», «TV guide», «Femina», «Live», «Le Sillon romand», «Animan», «Léman Express», «Genève Home Informations», «Lausanne-Cité». Par Publicitas, Edipresse contrôle la quasi totalité du marché publicitaire en Suisse romande. Enfin, Edipresse possède les deux centres capables d'imprimer des quotidiens à grand tirage: celui de Bussigny et celui de Vernier (CITP) racheté à vil prix sur les décombres de «La Suisse». Rappelons qu'à l'époque Edipresse avait refusé d'imprimer une «Suisse» nouvelle formule et qu'il a augmenté le coût de l'impression du «Journal de Genève» aggravant ainsi le déficit de ce dernier. Tout récemment il a acquis une participation de 87% dans l'imprimerie du «Démocrate» qui détient la moitié du capital du «Quotidien Jurassien». Il dispose en outre d'une participation importante dans l'imprimerie du «Nouvelliste». Sur le plan de la distribution, Edipresse possède la chaîne Naville et vient d'entrer pour un tiers dans le capital d'Epsilon.
Une telle situation de monopole est dangereuse pour plusieurs raisons. La première - et la plus évidente - consiste dans la tentation permanente de ce monopole de favoriser l'expression des forces sociales et politiques qui convergent avec sa propre stratégie d'entreprise. A contrario, ceux qui contestent le bien-fondé d'une telle stratégie se verront passés sous silence. Une telle attitude, en dehors de tout machiavélisme, ressort de la défense d'intérêts bien compris. Le boycott d'Yvette Jaggi, syndique de Lausanne, par le journal «24 Heures» est un exemple révélateur qui a entraîné un blâme de la part du Conseil de la presse.
La deuxième raison réside dans l'existence d'un employeur quasi unique. La Suisse romande connaît aujourd'hui deux grands employeurs pour les journalistes: la RTSR et le groupe Edipresse. Dès lors, on peut imaginer sans difficulté qu'un journaliste licencié par une des rédactions du groupe Edipresse en raison, par exemple, d'une attitude critique, aura beaucoup de peine à retrouver un emploi dans l'un ou l'autre titre du même groupe. Cet état de fait entraîne, qu'on le veuille ou non, et quelle que soit l'intégrité des journalistes, des phénomènes d'autocensure probablement plus graves encore parce que sournois et moins apparents. A l'inverse cette situation pousse plus ou moins consciemment les journalistes conformes à se situer «dans l'air du temps» et, par leur attitude, à tronquer l'information ou le commentaire.
La troisième raison est d'ordre strictement économique. Le contrôle des moyens de production à grand tirage et du fermage publicitaire rend illusoire la possibilité pour un nouveau journal de s'imposer sur une partie du marché, l'exemple récent du «Geneva Post» est là pour le démontrer.
Ces inquiétudes ont été fort bien décrites par les représentants du Syndicat lémanique des journalistes et de l'Union des syndicats du canton de Genève mais n'ont pas pour autant ébranlé la majorité de la commission. Celle-ci a préféré retenir les propos de l'Union genevoise des éditeurs de journaux qui souhaiterait bien une aide à la presse mais, de grâce, la plus douce possible et surtout pas dans les termes proposés par l'initiative. A noter dans cette prise de position celle, divergente, du journal «Le Courrier» qui se montre favorable à une intervention plus consistante. La position majoritaire de l'Union genevoise des éditeurs de journaux serait-elle dictée par la part prépondérante qu'y détient Edipresse?
Une aide possible et nécessaire
Lors des débats en commission, la majorité s'est évertuée à jouer sur deux tableaux. Le premier consistait à affirmer que des mesures directes d'aide à la presse sont juridiquement très difficiles à soutenir et que, par conséquent, il n'est pas possible d'intervenir sur le plan cantonal. Le second consistait à déclarer que les mesures indirectes d'aide à la presse ne peuvent être que modestes et que, par respect pour les auteurs de l'initiative, il ne vaut même pas la peine de les envisager. Conclusion: ne faisons rien et tout ira pour le mieux... pour qui? Edipresse?
Or, le rapport de la commission législative a admis que l'exécutabilité du volet sur la pluralité de la presse ne se prête pas particulièrement à discussion. La majorité de la commission de l'économie ne veut surtout rien faire qui puisse entraver la poursuite de la concentration de la presse. Si elle avait estimé nécessaire même une intervention modeste, elle aurait fait des propositions. Il n'en a rien été. Son attitude a consisté à demander aux initiants de faire des suggestions pour aussitôt les déclarer irrecevables.
L'examen des aides à la presse dans les différents pays européens montre que celles-ci sont multiples et variées et, dans tous les cas, bien supérieures à celles pratiquées dans notre pays. Partout existent des aides indirectes soit sous la forme de tarifs postaux préférentiels, d'aide à la distribution, de tarifs abaissés pour les télécommunications, d'allégements fiscaux, de contrôle du prix du papier-journal, de mesures d'encouragement à la lecture des journaux, etc. Dans certains pays, des aides directes à la presse sont apportées sous forme de crédits à des conditions préférentielles ou de subventions à fonds perdus. Les aides directes sont destinées à compenser les inégalités structurelles du marché de la presse et à éviter les concentrations. C'est le cas par exemple en Suède où existe un impôt sur la publicité dont le produit est redistribué aux journaux ayant peu de publicité. Des mécanismes similaires existent en Norvège et aux Pays-Bas. Un système de subventions est pratiqué aussi en Autriche, en Finlande, en France, en Belgique, au Luxembourg, au Portugal. Et pourtant tous ces pays vivent sous le régime de l'économie de marché. Mais les pouvoirs publics dans ces pays ont compris, ce que la commission de l'économie de notre Grand Conseil a feint de ne pas voir que le monopole tue le marché et, dans le cas qui nous concerne, la liberté de la presse.
L'Union des syndicats du canton de Genève a proposé une mesure concrète sous la forme d'un fonds de 2 millions de francs pas an garantissant une couverture de déficit annuel jusqu'à 500 000 F par publication. Cette subvention attribuée aux éditeurs pour la production technique du journal (et non pas à la rédaction) devrait répondre à certains critères à savoir:
- l'éditeur doit avoir son siège principal dans le canton de Genève;
- la publication doit être payante;
- le journal doit être d'accès facile pour le citoyen et donc être vendu en kiosque;
- le but du journal doit être l'information libre et indépendante des citoyens.
Le fonds d'aide à la presse pourrait être alimenté par un pourcentage prélevé sur les rentrées publicitaires.
Cette proposition a été écartée d'un revers de main par la majorité de la commission sous prétexte qu'elle était irréaliste et... qu'elle allait inciter les éditeurs à faire des déficits!
Conclusion
L'initiative «Pour la pluralité de la presse» dépasse, et de loin, la disparition du journal «La Suisse». Celle-ci a mis le doigt sur les dangers que représente la concentration de la presse dans notre pays et plus particulièrement en Suisse romande. Refuser de voir cette réalité c'est soit faire preuve d'une grande naïveté, soit se faire complice d'un état de fait qui conduira, qu'on le veuille ou non, à un affaiblissement de la démocratie. Comme l'indique l'Union des syndicats du canton de Genève dans ses propositions «le soutien à la pluralité de la presse est le prix à payer pour une démocratie vivante». C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous invitons à prendre en considération l'initiative 104. En votant oui à cette initiative vous direz non à une presse monocolore.
Débat
M. Bernard Clerc (AdG), rapporteur de minorité. En préambule, je parlerai du rapport de majorité dans lequel l'emploi de certains termes comme «rigolade», «mascarade», «parodie», révèlent un profond mépris à l'égard de celles et ceux qui ont refusé de baisser les bras devant le naufrage du journal «La Suisse».
Tout d'abord, ce dédain est dirigé contre les salariés de ce quotidien, dont une centaine se trouve encore au chômage, contre celles et ceux qui se sont battus pendant des semaines et n'ont pas ménagé les efforts pour tenter de trouver une solution, afin d'empêcher la disparition de «La Suisse», et enfin, contre les citoyennes et citoyens qui ont signé cette initiative et que vous considérez, Monsieur Kunz, comme des demeurés incapables de saisir le contenu d'une proposition politique.
Monsieur Kunz, vous avez le droit d'être l'un des plus ardents défenseurs du néolibéralisme dans ce parlement, mais vous n'avez pas le droit de traiter, comme vous le faites, ceux qui ne pensent pas comme vous. Les termes que vous utilisez sont profondément détestables, tout comme votre volonté de limiter les droits démocratiques, en l'espèce, le droit d'initiative !
La liberté de la presse est un des piliers de la démocratie. Et c'est cette liberté qui est remise en question. Si, sur le plan politique, cette liberté est garantie, elle est aujourd'hui de plus en plus menacée par le biais de la concentration économique. Aujourd'hui, Edipresse monopolise et contrôle 80% du marché des quotidiens romands et détient une position dominante en matière d'affermage publicitaire, d'impression et de distribution.
J'ignore, Monsieur Kunz, si c'est pour minimiser cet état de fait que, à la page 8 de votre rapport, vous datez le document de la Commission des cartels d'avril 1994, alors qu'il est sorti en avril 1993, soit avant la disparition du journal «La Suisse». Il faut être naïf ou, au contraire, complaisant pour ne pas voir qu'un monopole comme Edipresse est naturellement amené à favoriser les courants de pensées et les opinions politiques qui sont en accord avec sa stratégie d'entreprise.
L'existence d'un employeur quasiment unique pour la presse écrite rend les journalistes inévitablement dépendants, et ce phénomène favorise les comportements d'autocensure et le conformisme. Le contrôle par Edipresse des moyens d'impression et de la publicité rend illusoire la naissance d'un nouveau titre, d'où la nécessité de soutenir les journaux existants, encore indépendants de ce groupe. A cet égard, relevons la contradiction de la majorité qui, d'un côté, prône avec vigueur la liberté d'entreprise, et, dans le cas qui nous préoccupe, s'accommode fort bien de la disparition de toute concurrence.
Comment ne pas s'étonner, Monsieur Schneider, de votre crainte que l'Etat n'intervienne par le biais d'une subvention, au demeurant fort modeste, alors que vous ne semblez pas beaucoup vous inquiéter du poids économique qui atteint presque 500 millions.
La mesure proposée par les initiants est tout à fait réalisable. L'aide ciblée permettrait de maintenir les journaux existant dans notre canton, et, par là même, l'expression de la diversité des opinions. En refusant d'entrer en matière, la majorité de ce Grand Conseil favorise le renforcement du monopole dans le domaine de la presse écrite. Il est possible qu'un jour - et je ne le souhaite pas - vous vous en mordiez les doigts.
Dans un récent article, Claude Julien et Ignacio Ramonet écrivaient : «Dans la froide logique du mercantilisme dominant, rédacteurs et lecteurs sont, à leur corps défendant, vendus et achetés comme de simples marchandises pour le plus grand profit d'affairistes qui ont de l'information une conception essentiellement commerciale.»
Ce n'est pas grâce à un quatrième pouvoir, dominé par ce mercantilisme, que notre démocratie sortira renforcée.
M. Max Schneider (Ve), rapporteur de deuxième majorité. Pendant huit mois, les débats concernant cette initiative nous ont permis d'assister à un dialogue gauche/droite au cours duquel des témoignages, pas toujours concordants, ont été entendus, ainsi qu'une présentation orale de la part des dirigeants de la BCG.
Il est bien clair que je ne partage pas le vocabulaire empreint de moquerie et d'arrogance qui transparaît aux pages 2 et 3 du rapport de majorité de M. Kunz.
Je connais bien le problème des rédacteurs et de la presse et tout ce qui touche, de près ou de loin, le journalisme pour avoir travaillé plusieurs années dans des maisons d'édition, notamment sur des systèmes automatiques et des rotatives. D'ailleurs, nous sommes tous concernés par le problème du monopole de la presse et non pas seulement les groupes d'extrême gauche, comme essaie de nous le faire croire M. Clerc.
Je me réfère à un long entretien entre Laurent Rebeaud et un éminent juriste de l'Alliance de gauche, dans lequel ce dernier nous a bien fait comprendre que s'il n'était pas possible de subventionner la presse à Genève, il serait éventuellement possible d'insérer un article dans notre constitution garantissant la pluralité de la presse.
Vous me voyez quelque peu étonné d'entendre parler d'un subventionnement de la presse, car il n'en a jamais été question. Il est bien clair qu'au cours de toutes ces séances de commission nous avons cherché par moult moyens, à débloquer la situation en essayant d'aider les petits rédacteurs de journaux à s'en sortir, notamment par une aide consistant à diminuer les frais postaux pour la distribution des quotidiens ou encore par une intervention auprès des cartels, afin de tenter de faire cesser la montée du prix du papier, ou de lutter contre la concentration de la presse, etc.
Ensuite, les éminents juristes du département de l'économie publique nous ont dit que, à leurs yeux, il était quasiment impossible d'intervenir sur le plan cantonal, puisque, dans ce cadre, seule la loi fédérale devait faire foi.
Cependant, la perte de la diversité de la presse nous fait craindre un appauvrissement culturel. Pourtant, les nombreux militants qui ont fait signer cette initiative l'ont trouvée peu appropriée, voire dépassée. Nous sommes conscients de la gravité du problème et voulons continuer à y réfléchir. Il nous faut chercher une solution qui ne se trouve certainement pas dans le texte de cette initiative.
M. René Longet (S). Le groupe socialiste se reconnaît dans le rapport de M. Bernard Clerc. Il souligne l'effort entrepris dans de nombreux pays européens, à la même économie de marché que la nôtre, en faveur de la diversité et de l'indépendance - car ces deux notions sont importantes - de la presse.
En Suisse, l'Etat intervient de multiples façons dans l'économie nationale. On sait qu'il y a trop de cartels et que les imbrications entre l'Etat et un certain nombre de groupes de pression sont très difficiles à démanteler, comme dans la politique en matière d'agriculture, ou dans les liens très étroits qu'il entretient avec d'autres corporations. Mais il ne le fait pas nécessairement comme il le devrait, car là où son intervention serait nécessaire, souvent elle ne se fait pas. La question n'est donc pas d'avoir plus ou moins d'Etat, mais que l'Eat intervienne lorsque l'intérêt public l'exige.
La gestion de la presse doit faire partie de la démocratie. Elle concerne les pouvoirs publics et les organes législatifs, car elle se situe à l'interface de nos débats et de ceux qui se déroulent dans la société sur la façon de gérer la démocratie. Nous ne pouvons pas nous désintéresser de ce qui se passe avec la presse, ni nous plaindre et ne rien faire, car nous sommes concernés.
Lors de la dernière législature, le groupe socialiste avait proposé une résolution signée par tous les groupes, sauf par le parti libéral, qui s'inquiétaient du sort du journal «La Suisse». En 1994, le groupe socialiste vous proposait d'intervenir auprès des Chambres fédérales en vue de faire une législation sur la presse. Cette intervention comprenait un certain nombre de propositions concrètes qui développaient les deux axes essentiels, soit la garantie de la diversité de la presse, et celle de la liberté intérieure de la presse.
Au fond, il s'agit d'une double diversité, celle de l'indépendance rédactionnelle concernant le statut des rédacteurs, d'une part, et, d'autre part, la garantie de la diversité par rapport à certaines logiques commerciales. Je pense à la fusion survenue, tout récemment, dans le secteur de la chimie. L'audimat ne peut pas être le seul critère en matière de presse. Nous savons tous où cela mène, et que les abus existent. A partir de cette analyse, il faut prendre nos responsabilités. Le groupe socialiste a toujours été très attentif à ces questions, et il le sera aussi dans le débat de ce soir.
Malheureusement, la motion que nous avions proposée en 1994 a été vidée de toute sa substance par la majorité et réduite en simple pétition de principe et vous n'avez pas voulu concrétiser cette motion.
Que s'est-il passé depuis deux ans, date de la disparition de «La Suisse» ? L'évolution logique consécutive à cette disparition s'est poursuivie. Tout récemment, en Argovie, on a noté la disparition d'un quotidien. Il y aura un monopole de la presse en Argovie. A Lucerne, un quotidien a disparu, n'en laissant qu'un seul. S'il ne reste qu'un journal, Mesdames et Messieurs les députés, nous devons être d'autant plus attentifs à la manière dont il est géré. D'une façon ou d'une autre, la diversité de la presse doit être garantie. Que pouvons-nous faire ?
Nous devons explorer toutes les possibilités. Le débat qui a eu lieu, en 1986, aux Chambres fédérales, d'où il est ressorti qu'il n'y aurait pas d'article constitutionnel sur la presse, ne peut plus être considéré comme le dernier mot de la politique. Depuis dix ans, les choses se sont précipitées, la concentration de la presse s'est accrue, et nous ne pouvons pas rester passifs. La logique de cette évolution est dangereuse pour la démocratie.
«La Suisse» a disparu, voici deux ans, engendrant des conséquences politiques et sociales dont M. Clerc a parlé et que nous déplorons, comme le chômage et les difficultés pour ceux qui travaillaient dans cette entreprise, d'une part, et, d'autre part, ce journal n'a pas pu trouver de successeur sur la place genevoise. Que constatons-nous ?
«Le Courrier» survit grâce à une mobilisation et un engagement de tous les instants de ceux qui apprécient ce journal. On en trouve dans tous les partis de ce Grand Conseil. Le «Journal de Genève» est un journal de grande qualité, mais son avenir n'est nullement assuré. Si cela continue, nous aurons un monopole sans aucune espèce de garantie quant au contenu du seul media existant.
Cette situation grave, qui nous préoccupe et devrait préoccuper l'ensemble du Grand Conseil, nous pousse à saisir toute occasion de trouver des remèdes au monopole. Par conséquent, nous sommes entièrement favorables à l'entrée en matière sur cette initiative, car il n'est pas vrai que le canton ne peut rien faire et que nous devons baisser les bras. La diversité et l'indépendance de la presse sont deux des clés de la démocratie. La réalité de la démocratie se voit à l'état de sa presse. C'est pour cela que le groupe socialiste votera l'entrée en matière et vous engage à en faire autant.
M. Pierre Kunz (R), rapporteur de première majorité. Les propos de mon rapport, repris par M. Clerc, ne sont pas du tout vexants, contrairement à ce que certains prétendent. Mais il me semble que, dans ce pays, au nom de ce qu'il est convenu d'appeler la paix sociale, le consensus, le débat mou des idées, le respect - une forme curieuse de respect, d'ailleurs - nous avons pris l'habitude de ne pas dire les choses et de ne pas insister sur certaines valeurs. Il est plus que temps de rompre avec cette mauvaise habitude qui nuit à la qualité de notre démocratie et à son fonctionnement. Il y a des choses qu'il faut dire et des valeurs sur lesquelles il faut insister.
Effectivement, j'ai saisi le prétexte de ce rapport pour exprimer certaines idées. Je condamne le mépris de ceux qui, à travers cette initiative, ont utilisé nos institutions de manière non démocratique, en tout cas pas dans l'esprit de la loi, et qui, à travers cette initiative, ont trompé ceux qu'ils prétendent défendre.
M. Armand Lombard (L). Nous pouvons parfaitement accepter le but de cette initiative, car de meilleurs orateurs que moi ont rappelé que la diversité de la presse est une chose essentielle dans une société démocratique. Mais les moyens proposés par cette initiative semblent provenir d'esprits agités par les grands soucis liés à la disparition de «La Suisse». Ils ne relèvent donc pas d'une bonne réflexion. A l'évidence, la mort d'un journal - quelle que soit sa qualité - diminue la diversité de la presse.
En fait, les initiants avancent trois propositions. Ils veulent inclure l'Etat dans le jeu qui permet d'assurer la liberté d'opinion. Cette première proposition représente un grand danger. L'Etat devrait également soutenir les entreprises en difficulté, mais cette deuxième solution n'est pas judicieuse. J'aimerais émettre quelques réflexions sur la troisième proposition faite pour éviter la naissance, en Suisse romande, d'un monopole de la presse qui serait réducteur de pensées. Pour répondre aux exigences de la démocratie, ce point doit être traité en priorité. C'est moins politique, mais plus fondamental.
La presse et les médias en général, grands vecteurs d'informations auprès de la population, garantissent quatre aspects de la démocratie. Tout d'abord une large information est indispensable, au quotidien et sur le long terme. Elle ne doit pas se limiter à la cité, en se bornant aux détails et aux rubriques des chiens écrasés.
Deuxièmement, il faut des opinions diversifiées, à l'instar de la presse française; mais il est vrai que cette dernière est constituée d'énormes groupes. Je vous rappelle les propos de Kahn sur la pensée unique et le risque d'une opinion qui se resserre tranquillement. Il suffit de songer à la destitution du premier ministre Edith Cresson par la presse entière, de la gauche à la droite. Elle a «démoli» cette femme qui n'avait pas plus mal agi que d'autres. Cette concentration est extrêmement dangereuse et problématique, pas tant pour ce pauvre premier ministre que pour le principe de la diversification.
A cette large information diversifiée s'ajoute, en troisième lieu, une déontologie de qualité. L'objectivité est difficile à atteindre dans la presse, un des seuls pouvoirs sans contrepouvoir, comme le faisait remarquer Michel Rocard récemment. Il n'existe pas de sanction pour la violation de la déontologie de la presse. C'est un énorme manquement à notre système.
A l'information, à la diversité d'opinion et à la déontologie s'ajoute un quatrième point : l'indispensable diversité des produits. C'est-à-dire des quotidiens, des périodiques - qui ont plus de temps de réflexion - des hebdomadaires, des petits journaux locaux et d'autres de grande distribution. Voilà quatre points principaux, la liste n'est pas exhaustive...
M. Claude Blanc. C'est long !
M. Armand Lombard. Excusez-moi, Monsieur Blanc, d'être un peu long, mais le sujet m'intéresse. Vous aurez certainement le loisir d'en faire de même sur un autre sujet : les communes, par exemple. Moi, je raconte mon histoire !
Les quatre points évoqués doivent être considérés sans cesse pour préserver le système d'information d'une démocratie. Passons rapidement en revue les dangers d'un monopole ou de sa création possible en Suisse romande ! Un monopole d'opinion, c'est l'horreur ! Ce danger ne peut être écarté par l'Etat, mais par un enseignement bien conçu auprès des élèves, des étudiants, de la population. L'analyse critique doit être stimulée, elle est largement répandue dans ce Grand Conseil et ne risque pas de s'éteindre. C'est ainsi que l'on évitera le monopole d'opinion.
Le deuxième monopole dangereux est celui du titre unique. Il nous reste douze quotidiens en Suisse romande pour une population d'un million et demi d'habitants. Nous sommes vraisemblablement à l'abri d'un monopole. L'intervention de l'Etat n'est surtout pas nécessaire dans ce domaine-là.
Troisièmement, le monopole économique et financier, malgré ses aspects positifs, présente le risque de la faillite du groupe. S'il «tombe par terre», il entraîne la presse dans sa chute. L'Etat fédéral a agi dans le cadre des cartels, ce n'est certes pas suffisant. Il faut veiller à ne pas créer un monopole économique total. Ce n'est, toutefois, ni le rôle du canton ni celui d'une initiative cantonale.
Le dernier point concerne le monopole d'édition. Il faut souligner toutefois que le monopole d'un éditeur est moins dangereux que les précédents, car ce dernier est obligé d'avoir des journaux d'opinions différentes pour diversifier son public. Le cas Berlusconi est évident : il n'a pas réussi à entraîner toute l'Italie. (Brouhaha.) Sa suprématie n'a duré que cinq mois. Maintenant, il est «à genoux».
Paris et ses 4 à 6 millions d'habitants comptent quatre grands quotidiens, New York en a cinq, mais sa population est encore plus dense. On ne peut exiger une croissance exponentielle du nombre de journaux, les nôtres sont même trop nombreux. Nous assisterons malheureusement, ces prochaines années, à la disparition de titres et nous les pleurerons.
Toutefois, il reste une possibilité d'inventer dans les médias. Si des postes ont été perdus, de nombreux projets de créateurs d'entreprises autour d'Internet et de Web représentent un autre genre d'informations extrêmement suivies. C'est une alternative à la presse traditionnelle.
En conclusion, la présence de l'Etat dans ce circuit n'est ni nécessaire ni souhaitable, mais des moyens nouveaux doivent être développés par le secteur des entreprises. Les moyens de l'Etat ne sont pas nécessaire, sauf pour éviter un monopole économique et financier. Cette initiative ne dit pas un mot au sujet du financement. Elle ne traite aucun aspect pratique; elle est dépassée et inappropriée, comme le soulignait mon estimé collègue M. Schneider. Vu la vaine agitation qu'elle suscite et le manque de réflexion évident, je vous recommande de la rejeter.
M. Bénédict Fontanet (PDC). Le pouvoir et les médias ont souvent eu des rapports incestueux, et cette initiative vous propose de renouer avec cette forme d'inceste qui a pu exister à certains moments moins démocratiques de notre histoire ou de celle de l'Europe occidentale. Tout le monde a regretté la disparition de «La Suisse» et a convenu que le groupe Sonor était mal géré. Mais ce n'est pas la préoccupation de notre Grand Conseil, c'est le rôle de la justice; si elle ne le remplit pas, il y a d'autres voies de droit. Dans la presse, comme dans notre société en général, il y a une évolution. Voici quelques années, la presse écrite était plus importante. Actuellement, elle se trouve partiellement relayée par les moyens électroniques, la radio, la télévision et la communauté des internautes, pour reprendre une expression chère à Bernard Lescaze ! On ne peut pas se battre contre l'évolution de la société dans ce domaine.
A vous écouter, Monsieur Clerc, on dirait que la Suisse romande en est au monopole. Mais on peut citer six quotidiens genevois, même si certains n'ont pas leur siège dans le canton. «Le Courrier», le «Journal de Genève», «Le Matin», «La Tribune», «Le Nouveau Quotidien» et «Le Nouveau Quotidien»... (Rires. Exclamations.)
M. Daniel Ducommun. «Minuit Plaisirs» !
M. Bénédict Fontanet Au cas où mon collègue Ducommun ne l'aurait pas remarqué, «Minuit Plaisirs» n'est pas un quotidien, même s'il ne manque pas de le lire tous les jours, ce qui explique sa mine réjouie et sa bonne humeur ! (Rires.)
Pour une toute petite communauté de quatre cent mille habitants, nous avons une offre de quotidiens importante. Comme le relevait à juste titre mon préopinant, pour un million et demi d'habitants en Suisse romande, nous en avons douze. Si l'on compare avec des régions équivalentes en Europe, en France, en Italie ou en Allemagne, l'offre de presse écrite est considérable dans notre pays. La somme de publicité publiée dans les journaux - par rapport aux médias électroniques - se situe bien au-delà de ce qui existe dans les pays voisins. Nous avons beaucoup de chance.
C'est indubitablement exagéré de parler de monopole : notre presse est aussi diverse que différenciée. D'autre part, il en va de la presse comme des autres domaines de l'économie, la concurrence existe. On ne peut pas obliger nos concitoyens à lire des journaux. Les meilleurs s'imposent, nul besoin de les subventionner ! Ceux qui correspondent aux goûts du public ont des parts de marché plus importantes. Si monopole il y avait, il faudrait certes intervenir. Mais en matière cantonale, nous n'avons pas les moyens de réagir.
Le droit suisse de la concurrence est - à mon avis - insuffisamment développé, et dans le canton de Genève, nous ne pouvons pas intervenir. Notre seule action possible, c'est de subventionner. Mais est-ce bien réaliste ? Nos amis agriculteurs connaissent bien les subventions. N'est-ce pas Monsieur Dupraz ! Mais l'Etat doit-il vraiment subventionner les journaux ? Je pose la question aux journalistes. Apprécieraient-ils d'être indirectement payés par l'Etat ? Je n'en suis pas certain ! Serait-il justifié d'accorder plus de subventions aux entreprises de presse qu'à d'autres, tout aussi importantes pour le canton ? Les critères seraient-ils établis en fonction du siège du journal, du nombre de lecteurs à Genève, de sa périodicité, de sa qualité, de son contenu ?
Je pense qu'il ne faut pas entrer dans cet engrenage et courir le risque de subventionner les journaux proches du pouvoir. Cette solution n'est pas réaliste et découragerait les éditeurs qui réussissent encore à gagner de l'argent. Malgré les regrets causés par la disparition de «La Suisse», et les drames humains qui ont suivi, nous ne pouvons pas entrer en matière en acceptant de subventionner.
Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). L'aspect émotionnel de la mort de «La Suisse» explique la démarche des initiants. Mais seul un sentiment naturel de sauvetage peut excuser le contenu de cette initiative. Les nombreuses séances de la commission de l'économie ont démontré que les bons sentiments ne suffisent pas pour être pris sérieusement en considération. Aucun argument économique ne peut résister à cette requête de soutien à la presse. Même les professionnels du secteur s'accordent à dire que c'est une gageure de subventionner la communication écrite. En effet, selon quels critères équitables pourrait-on choisir les bénéficiaires ? Quelle liberté de presse aurions-nous engendrée ? Quelle réelle économie de marché instituerions-nous avec ces subventions ? Les réponses négatives surgissent immédiatement. Il est dès lors évident que le groupe radical refuse l'entrée en matière de cette initiative.
M. Bernard Clerc (AdG), rapporteur de minorité. Je voudrais reprendre quelques points de l'intervention de M. Kunz, qui s'oppose aux consensus trompeurs, et je suis d'accord sur ce point. En effet, je suis favorable aux positions politiques et aux enjeux clairement exprimés. Mais je ne suis pas d'accord avec la forme détestable utilisée. On peut être en désaccord complet sur le plan politique avec d'autres membres de ce parlement, sans l'exprimer de cette façon-là.
Revenons à quelques éléments déjà abordés pour souligner la confusion qui règne dans ce parlement au sujet de la diversité de la presse et de nombreux titres qui peuvent exprimer un seul et même point de vue. Le contenu - et non sa forme - est important. On peut exprimer la même idée à l'intention des intellectuels ou des travailleurs manuels sous deux formes différentes. Il faut casser ce mythe de la diversité des titres, il peut effectivement cacher un monopole. C'est le cas, si un même groupe économique englobe tous les titres. On retrouve ainsi la notion de contrepouvoir, abordée avec pertinence par M. Lombard. La Suisse romande se dirige bel et bien dans cette voie. Et contrairement à ce que vous affirmez, Monsieur Fontanet, le monopole existe déjà : c'est un fait ! Vous le savez bien, mais vous refusez de voir cette réalité. Et pourtant cela nuira un jour ou l'autre à notre démocratie.
M. Pierre Vanek (AdG). Les propos tenus par M. Kunz m'ont beaucoup ému. Si je suivais ses maximes, comme vient de le relever Bernard Clerc : «Assez de débats feutrés ! Disons les choses comme on les pense !», je dirais que ses propos sont ceux «d'un abruti et d'un fasciste» ! Je pourrais spéculer sur la proportion de ces deux facteurs qui entrent en jeu dans sa position. Mais je ne le suivrai pas sur ce terrain en tenant de tels propos. Je dirai simplement qu'il «déraille» ! Cependant, il est inquiétant que la majorité de ce Grand Conseil - sur un objet aussi important que celui de la liberté de la presse - se soit donné un porte-parole qui affiche un mépris complet pour le fonctionnement de la démocratie, telle qu'elle figure dans la constitution du peuple genevois.
Pendant de nombreuses semaines, les initiants sont descendus dans la rue pour interpeller les citoyens, discuter avec eux - j'en étais - et récolter plus de dix mille signatures. Or M. Kunz parle de leur mépris des institutions. C'est incroyable ! Ils ont fait usage d'un droit démocratique fondamental et garanti par la constitution. Mais pour M. Kunz, c'est un usage non démocratique, car il a été utilisé pour défendre des idées qui ne sont pas les siennes. Or la démocratie permet de défendre ses idées et de s'exprimer sur la place publique pour dialoguer avec les citoyens. Voilà ce que les bancs d'en face refusent en rejetant cette initiative. Je trouve cette démarche déplorable, et je m'insurge à nouveau contre les propos de M. Kunz. Notre action pour récolter des signatures n'est pas démocratique à ses yeux, car il veut restreindre les droits inscrits dans la constitution. Je me battrai jusqu'au bout pour que ce genre de dérive ne puisse avoir lieu dans ce canton.
A la page 7 de son rapport, M. Kunz déclare que l'article 8 que nous invoquons ne fait «que» consacrer le principe de la liberté de presse. Cela lui permet de refuser de légiférer et de soutenir la diversité de la presse. Cette dernière n'est évidemment pas garantie par la multiplicité des titres - on l'a vérifié sous le troisième Reich - et les bancs d'en face se plaisent à nous citer d'autres exemples de régimes non démocratiques d'Europe de l'Est. Pour M. Kunz, réaffirmer que tous les Genevois sont égaux devant la loi, que l'homme et la femme sont égaux en droit ou que la liberté individuelle est garantie, ne va pas au-delà des principes. Selon lui, il n'y a pas lieu de garantir leur mise en oeuvre sur le terrain par des travaux législatifs. Mais il faut prendre des mesures concrètes, afin que ce principe devienne réalité. Ce n'est pas le cas aujourd'hui dans ce canton, c'est pourquoi je vous engage à suivre les initiants.
M. Alain-Dominique Mauris (L). L'intitulé de l'initiative est tentant, mais je crois qu'il est trompeur, parce qu'il a été rédigé sous le coup de l'émotion. Personne ici ne s'oppose à la pluralité de la presse. En rejetant cette initiative, nous ne sommes pas forcément des fascistes extrêmistes en lutte contre la démocratie vivante. Mais il faut se demander quel type d'information cette initiative veut privilégier. S'agit-il de l'information locale, communale, cantonale, suisse ou internationale ? Avec la disparition de «La Suisse», on a constaté des différences dans l'information locale. Lorsqu'on sollicite des journalistes pour des événements communaux, «La Tribune» s'empresse de demander si «Le Matin» a été informé. La concurrence existe, et ils ne veulent pas couvrir le même événement. On pourrait parler, dès lors, de monopole. L'intérêt d'une information communale se limite à la commune. Et la fameuse page communale de «La Tribune» a diminué comme peau de chagrin, car elle n'intéresse que la commune.
En contrepartie, des associations de quartier ont créé de petits journaux locaux. Des journaux sectoriels ont pris le relai également. Mais si l'initiative veut attaquer l'information plus internationale, il faut signaler le nombre de journaux cantonaux, suisses, européens dont nous disposons chaque matin, et dont on peut apprécier la qualité de l'information. J'étais aussi présent, lorsqu'il s'agissait de sauver «La Suisse», Monsieur Vanek, et notre mairie a participé au débat - financièrement également. Mais maintenant il faut avancer, et l'initiative n'apporte rien. Elle ne défend pas vraiment le type d'information que nous cherchons à protéger. Dans le rapport de minorité, un fonds d'aide à la presse est évoqué, on est en pleine aberration économique ! On envisage déjà les distorsions possibles, par rapport aux ponctions que vous souhaitez faire dans les revenus publicitaires, pour compenser les déficits ! Nous sommes malheureusement obligés de vous recommander de rejeter cette initiative, car elle a raté sa cible.
M. Chaïm Nissim (Ve). Lorsque mon collègue Max Schneider affirmait vouloir se battre pour sauver la biodiversité de la presse, tout en rejetant la solution proposée par l'initiative, M. Grobet nous a demandé - en aparté - nos propres solutions. Sa question m'a beaucoup intrigué. Nous ne pouvons pas encore répondre d'une façon claire et formelle, mais nous devons définir quelques pistes, et j'ai déjà des idées à ce sujet. (Exclamations.)
Une voix. Le sauveur !
M. Chaïm Nissim. Non, j'ai juste quelques débuts de pistes !
L'initiative veut intervenir concrètement pour maintenir les journaux, mais ne propose pas de solutions pratiques. Nous devrions réfléchir à la presse actuelle, car elle a deux problèmes d'hypertrophie, comme le disait M. Lombard. Premièrement, elle est obligée de se couvrir de publicité pour survivre. Un journal comme «24 Heures», par exemple, est devenu une espèce de bible quotidienne, ce qui est nuisible aux forêts ! Le supplément du dimanche du «New York Times» est une espèce de folie furieuse, personne n'a le temps de lire tous les titres ! Le deuxième problème est celui des trusts et de la croissance d'Edipresse. J'ai plus de plaisir à lire «Le Courrier», journal de seize pages, avec peu de publicité mais plus d'informations, que «La Suisse», qui était devenu un journal hypertrophié.
Que pourrait-on faire pour la survie de petits journaux comme «Le Courrier», sans les subventionner pour ne pas tomber dans les pièges déjà évoqués ? Il faudrait les encourager fiscalement, et les journaux hypertrophiés appartenant aux trusts seront, eux, découragés : c'est l'intérêt de l'Etat. M. Brunschwig hoche la tête comme un fou ! (Rires.) Il en va de notre intérêt de trouver des idées fiscales, à la limite intercantonales, fédérales... (Exclamations et rires.) ...mais oui, internationales ! On peut réfléchir ensemble sur de telles idées fiscales, cela favoriserait la pluralité de la presse, ce que nous souhaitons.
M. Jean-Claude Genecand (PDC). (Rires et exclamations.) Je ne suis plus président du journal «Le Courrier». Je peux donc parler en toute quiétude !
Une voix. Quelle perte !
M. Jean-Claude Genecand. Quelle perte, n'est-ce pas !
Voltaire disait : «Même si je ne partage pas votre point de vue, je me battrai pour que vous puissiez l'exprimer.» Cette maxime ne semble pas être partagée par M. Kunz, car en fait de rapport, son texte est plutôt un credo ! Monsieur Kunz, le moins que l'on puisse vous demander, c'est de nous rapporter plus ou moins fidèlement le débat de la commission, sans vous croire obligé de faire constamment des commentaires ! (Exclamations et rires.) Quel que soit le sort réservé par le Grand Conseil à l'initiative 104, il serait utile de s'interroger sur le rôle des médias. Un jour, dans un accès de franchise en parlant du sens de sa mission, Patrick Poivre d'Arvor a convenu que le rôle du journaliste était de donner une «image lisse» du monde. Cette affirmation laisse rêveur sur la qualité d'un véritable débat démocratique. Nos vedettes cathodiques sont-elles là pour nous anesthésier ? Même si la télévision suisse joue mieux son rôle, n'est-elle pas à l'affût de l'audimat ? N'envisage-t-elle pas, pour l'avenir, des émissions plus courtes et distrayantes ?
L'information télévisuelle et écrite sont de natures différentes. La première est plus attractive, mais elle porte en elle sa négation, une image chassant l'autre. Il est plus difficile pour le téléspectateur de procéder à l'analyse d'un événement dans sa globalité. L'information écrite n'est pas non plus à l'abri de raccourcis, elle peut aussi piéger son lecteur, mais il reste à ce dernier la possibilité de comparer avec d'autres articles. Le commentaire de l'information est déterminant, il nous permet de rassembler les morceaux du puzzle et de comprendre les tenants et les aboutissants d'un problème.
Il serait intéressant de savoir si le journal unique, tel qu'il existe à Bâle ou en Valais, permet un débat enrichissant. Le choix disponible à Genève favorise une saine émulation entre journalistes, et crée une diversité d'opinions qui développe notre culture politique et sociale. Parler de culture signifie que la production journalistique n'est pas comparable à la vente de boîtes de conserve, et il convient de maintenir cette activité. L'Etat a un rôle régulateur : il intervient là où un coup de pouce est nécessaire. La venue du touriste faiblit-elle ? On instaure une taxe pour la stimuler ! Le logement fait-il défaut ? On subventionne ! La branche de la construction est-elle à la dérive ? On vote 10 millions pour son soutien ! Nécessité fait loi, et au diable les lois du marché prônées par certains ! Pourquoi la commission a-t-elle fait preuve d'autant de pudeur et de rigidité morale pour subventionner la presse écrite quotidienne ?
Ne mélangeons pas les problèmes ! Il ne s'agit pas d'un arrosage général, car les hebdomadaires et les mensuels n'ont pas les mêmes besoins que les quotidiens, dont certains reçoivent une manne publicitaire suffisante pour leur survie, alors que d'autres en sont dépourvus, pour des raisons que chacun connaît. Dire que les subventions ne sont pas gérables est un faux problème. Lorsqu'il y a volonté politique, il y a toujours une solution. Je souhaite que le Conseil d'Etat fasse preuve d'imagination !
M. Christian Grobet (AdG). Les propos de M. Genecand, que j'ai entendus avec plaisir, tranchent singulièrement avec ceux de M. Kunz.
Outre votre prophétie antidémocratique, Monsieur Kunz, vous avez traité avec ironie et mépris des acquis aussi importants que la paix sociale. C'est grave dans une période de crise où l'on essaie, précisément, de trouver des solutions convenant aux différentes composantes de la société.
Vous êtes allé plus loin en prétendant que l'initiative trompait ses signataires : je ne vois pas en quoi ! Elle a soulevé un réel problème, et l'on peut se réjouir que tous, ici, jugent la diversité de la presse comme étant un rouage essentiel au bon fonctionnement de notre démocratie.
Nul besoin de se référer aux exemples cités par Pierre Vanek pour savoir ce qu'est une société dominée par un monopole d'opinion en main des médias. Monsieur Lombard, il ne faut pas banaliser ce qu'un grand magnat de la presse, M. Berlusconi, tente de faire en Italie. En effet, on connaît les dérives auxquelles conduisent les monopoles en matière d'information.
Il ne suffit pas de déclarer, la main sur le coeur, que nous sommes tous favorables à la diversité de la presse, à son maintien, et ne rien faire quand elle est en péril.
L'initiative, dont nous débattons ce soir, a le mérite de rappeler un fait grave, à savoir la disparition d'un quotidien qui, je l'affirme, aurait pu être sauvé; évidemment pas par la société qui l'a mené au désastre ! Il s'agissait de donner la possibilité à des travailleurs motivés de poursuivre, ou du moins d'essayer de poursuivre leur activité pour qu'elle ne disparaisse pas avec le savoir-faire et les connaissances spécifiques.
Quand on voit avec quelle générosité l'argent est distribué pour certains projets, dont la traversée de la rade, on ne peut que s'étonner du refus du Conseil d'Etat de soutenir d'autres secteurs économiques impliquant des dizaines ou des centaines d'emplois. La réalité, en l'occurrence, c'est que le Conseil d'Etat n'a pas voulu aider cette nouvelle entreprise. L'avis délivré en vingt-quatre heures par la Banque cantonale n'était pas très réfléchi, Monsieur Kunz, au vu des études faites et vérifiées par une grande fiduciaire déclarant valable le plan financier établi par la société coopérative. Mais il est facile, quand on veut couler une entreprise, de la déclarer non viable.
Cet exemple doit nous inciter à nous demander comment faire pour qu'une nouvelle affaire, similaire à celle de «La Suisse», ne se produise plus. Et l'initiative, qui n'a pas l'ambition de cette réponse, a néanmoins le mérite de poser le problème pour que l'on recherche des solutions. Je remercie M. Nissim d'avoir demandé à notre ami Max Schneider, après qu'il eut critiqué l'initiative un peu trop rapidement, ce qu'il proposait personnellement.
Le but de cette initiative est, précisément, de nous interpeller et de demander à nos autorités, plus particulièrement au Conseil d'Etat qui en a les moyens, de présenter des propositions et de trouver d'éventuelles solutions. C'est le but même de l'initiative si l'on s'en remet au fondement du droit d'initiative tel qu'il a été conçu dans notre pays.
Sur les bancs d'en face on s'est assez gaussé du prétendu détournement du droit d'initiative à propos de l'initiative des syndicats sur l'emploi et qui contenait des solutions très concrètes. Je le répète : le but fondamental du droit d'initiative est d'interpeller les autorités, parce que ce sont elles qui disposent de l'administration et des moyens pour rechercher des solutions.
Comment voulez-vous que les simples citoyens puissent en proposer ? Comment voulez-vous que ce gouvernement de milice, malgré les généreuses idées de M. Nissim, puisse concocter quelque chose qui se tienne ? Cette initiative ne fait que poser le problème, et j'en veux pour preuve qu'on a tenté d'en détourner le sens. Par exemple, M. Fontanet a déclaré qu'il s'agissait de subventionner la presse. Mais où se trouve le mot «subvention» ? C'est une déformation, une de plus - cela ne nous étonne pas - du sens de cette initiative.
M. Genecand a eu bien raison de relever qu'une subvention pouvait être imaginée dans un pays où l'on en distribue... (Rires.) L'initiative ne le propose pas et vous êtes mal placé, Monsieur Annen, pour ricaner, car vous êtes de ceux qui ont sollicité une subvention de 20 millions pour l'aide à la rénovation ! Vous êtes les premiers à solliciter des aides pour la construction de logements ! Ce pays est très large dans ce domaine, sans parler de sa générosité envers l'agriculture ! Dans ce pays, tous les secteurs, pratiquement, sont subventionnés ! Même les propriétaires en bénéficient !
Dès lors, pourquoi ne pourrait-on pas envisager de subventionner la presse, même si l'initiative ne le demande pas formellement ? Parallèlement, d'autres mesures pourraient être étudiées.
L'objectif de l'initiative est, selon moi, de fixer un principe en prévision d'une affaire similaire à celle de «La Suisse» : celui d'obliger les autorités à présenter des solutions pour qu'elles ne se comportent pas comme elles l'ont fait il y a deux ans.
Voilà pourquoi nous estimons regrettable qu'il n'ait pas été possible, en dix-huit mois, de proposer des solutions. Par conséquent, l'initiative doit être acceptée, parce qu'elle soulève un problème réel et rappelle le principe fondamental de la diversité de la presse que nous devons préserver en lui fournissant les moyens d'instaurer un véritable débat démocratique dans ce pays.
M. Pierre Kunz (R), rapporteur de première majorité. Comme vous semblez ne pas comprendre en quoi cette initiative est trompeuse, je vous invite, Monsieur Grobet, à relire le rapport que le Conseil d'Etat nous a soumis, il y a deux ans, et à prendre connaissance des procès-verbaux de la commission de l'économie.
En fait, je ne comprends pas que tout le monde s'étonne, aujourd'hui, de la non-validité ou de l'impraticabilité de l'initiative, puisque nous en parlons depuis six mois.
Il est curieux, Monsieur Grobet, que le vieux «briscard» de la politique que vous êtes ne se rende pas compte que cette initiative est pratiquement inapplicable pour le volet de la presse et impossible juridiquement parlant.
C'est en cela que je vous soupçonne, vous et les initiants, d'avoir voulu abuser le peuple, comme vous ne cessez d'abuser de l'argument de la paix sociale à des fins partisanes.
Je dois admettre que M. Vanek n'avait pas «déraillé», pour reprendre son expression, depuis longtemps. Mais ce soir, il est fidèle à sa réputation !
Au sujet de mes aptitudes à la démocratie, je vous fais remarquer, Monsieur Vanek, que s'agissant de «La Suisse» des gens, dont vous n'étiez pas, ont collecté des signatures à Balexert avec mon assentiment, et ce à titre exceptionnel au vu du caractère particulier de l'affaire, car nous n'autorisons pas, en principe, ce type d'opérations politiques dans le centre commercial.
Pour résumer mon préambule que vous n'avez probablement pas lu, à moins que vous ne vous soyez étouffé avant d'en atteindre la fin, je simplifie mon propos : pour moi, la démocratie implique le dialogue et l'information, mais ne s'accommode pas de la manipulation.
Libre à vous enfin de me situer n'importe où sur l'échiquier politique, mais sachez que je retiendrai qu'à gauche de l'extrême gauche se tient l'extrême stupidité dont vous êtes le digne représentant !
M. Max Schneider (Ve), rapporteur de deuxième majorité. Bien que considérant cette initiative comme problématique, je ne suis pas d'accord, une fois encore, avec les propos déplacés de M. Kunz.
Nous avons fait un travail concret en commission et reçu de nombreuses informations. Comme il semble que nous nous fixons sur un soutien à la presse, je cite une information émanant d'un chargé de cours de l'université de Fribourg, de l'institut de journalisme et des communications. Cette personne nous a dit : «La situation générale de la presse, en Suisse, s'est détériorée ces dernières années, principalement sous l'effet de la conjoncture économique.» Elle a poursuivi en déclarant : «Pour éviter que cette situation ne se détériore davantage, il est impératif que les autorités s'abstiennent de prendre des mesures qui pénalisent la presse.» C'est exactement ce que j'ai écrit dans mon rapport. L'expert cité souligne qu'il faudrait, en tout cas, agir en faveur d'une diminution des frais postaux pour l'adressage des quotidiens. De 1971 à 1994, l'augmentation des tarifs pour le transport des journaux a été de 28%. Les PTT, qui arguent d'un déficit de 270 millions en raison de ces tarifs préférentiels, continuent à augmenter le prix de leurs prestations. Ils rachètent, entre autres, des sociétés privées de messagerie comme Epsilon, et il est prouvé, aujourd'hui, qu'ils font des offres de distribution à des journaux gratuits plus favorables que les tarifs préférentiels accordés aux quotidiens.
Il y a donc un malaise au niveau des PTT. D'où le conseil du spécialiste que nous avons entendu : «Intervenez auprès de vos conseillers nationaux et du Conseil fédéral pour qu'ils fassent quelque chose.»
Le même expert a relevé des exemples de pays où la TVA atteint un taux zéro pour la totalité de la presse. Il s'agit de la Belgique, du Danemark, de l'Italie, du Portugal et du Royaume-Uni. Par conséquent, je me demande si les conseillers nationaux, ici présents, ne devraient pas intervenir pour changer les choses et susciter un soutien à la presse locale.
En effet, l'article 55 bis sur le droit de la presse de notre Constitution fédérale a souvent et depuis longtemps trouvé un champ d'application : en 1972, dans le projet Schurmann : «La Confédération prend des mesures pour soutenir une presse diverse et indépendante.»; en 1975, dans le projet Hubert, avec le même label; en 1977, dans le projet de révision totale pour la liberté d'opinion et la liberté d'information; le 23 octobre 1978, avec l'initiative Müheim : «La Confédération prend des mesures visant à favoriser la diversité et à assurer l'indépendance de la presse dans toute la Suisse et dans chacune de ses parties.»; en 1982, dans un projet de conception globale des médias; le 24 août 1983, dans un projet du Conseil fédéral; le 15 novembre 1983, dans un projet de la commission nationale : «La Confédération prend des mesures visant à favoriser la diversité et l'indépendance de la presse et à combattre les abus de positions dominantes.»
Je m'adresse donc aux conseillers nationaux présents dans ce Grand Conseil afin qu'ils interviennent à Berne.
Je terminerai avec une information du syndicat lémanique des journalistes, représenté par un collaborateur du «Courrier», M. Frédéric Montanya. Ce journaliste, également président du syndicat, nous a donné son point de vue sur cette initiative. Il souhaiterait, tout d'abord, une intervention concernant les conditions-cadres, c'est-à-dire la TVA et les tarifs postaux. Il invite les conseillers nationaux à aller dans le sens de l'assouplissement des mesures précitées. Il préconise une égalité de traitement au niveau du nombre d'abonnements souscrits et de la part de publicité publiée dans les différents journaux. Ce serait l'affaire de l'Etat. A l'exemple du Prix de l'industrie du canton de Genève, il suggère un prix des médias qui serait décerné à un journal participant, de manière décisive, à la pluralité de la presse genevoise. Et pour que ce prix ne se résume pas à un symbole, il ne devrait pas être inférieur à 100 000 F.
Les mesures proposées par cet éminent journaliste sont à prendre au sérieux. Je pense que nos conseillers nationaux se doivent d'intervenir pour concrétiser des mesures d'assouplissement. Quant au prix des médias, on se demande, évidemment, s'il suffirait à sauver un journal en difficulté. Et c'est pourquoi les arguments de M. Grobet méritent l'attention de tous, puisqu'il a relevé que l'initiative avait le mérite de rappeler la mort d'un quotidien. Une mort qui n'a été souhaitée par personne, le journal concerné ayant surtout défendu les intérêts de la droite.
Avec l'initiative, les autorités ne pourront plus se comporter comme elles l'ont fait en l'occurrence. Elles auraient une réaction différente. Avec l'initiative 104 bis, nous pourrons entrer en matière en proposant les mesures concrètes, acceptées à l'unanimité par notre commission de l'économie...
M. Christian Grobet. Même par M. Kunz ?
M. Max Schneider, rapporteur de deuxième majorité. Même par M. Kunz !
M. Christian Grobet. Non !
M. Max Schneider, rapporteur de deuxième majorité. Ces mesures favorisent l'octroi des crédits-relais nécessaires à l'assainissement d'entreprises en difficulté. Ainsi, un journal se trouvant dans une situation critique pourrait bénéficier du soutien de l'Etat. Ce serait aussi le cas pour une coopérative, comme celle qui voulait relancer un journal, avec cette autre invite portant sur un cautionnement facilitant l'octroi de crédits, pour de nouveaux projets, à des PME.
Certaines invites répondent concrètement à la logique économique qui veut que l'on maintienne un journal en difficulté. Elles ouvrent des pistes qui pourraient aboutir à un projet de loi.
M. Claude Blanc (PDC). Nous avons tout entendu ce soir ! Des propos d'une certaine élévation de pensée, bien que stériles, de la part de MM. Longet et Lombard, et des propos au ras des pâquerettes dont je ne nommerai pas les auteurs.
Toutefois, on a oublié de dire que la commission de l'économie a planché durant je ne sais combien d'heures sur la manière dont il conviendrait, concrètement, de répondre à une telle initiative. Je crois pouvoir ajouter que tous les membres de la commission recherchaient sincèrement des solutions.
Il y avait des solutions de deux natures. Celles de nature fédérale, si j'ose dire, relatives à la distribution des journaux, la régale des postes, etc., n'étaient pas à notre portée. Nous avons donc essayé de savoir comment concrétiser l'initiative au cas où elle serait acceptée par le peuple. Il n'y a pas trente-six mille solutions, et quand M. Grobet dit qu'il n'est fait mention nulle part de subventionnement, il a dû oublier de lire la page 17 du rapport de minorité. M. Clerc y présente la position de l'Union des syndicats qui demande : «..une mesure concrète sous la forme d'un fonds de 2 millions de francs par an garantissant une couverture de déficit annuel jusqu'à 500 000 F par publication.» C'est la seule proposition concrète qui a été faite. Mais que signifie-t-elle ? Quelles sont les publications qui seraient en état de nous demander 500 000 F par an ? Vous avez cité le monopole d'Edipresse qui n'a pas besoin de notre argent, ainsi que deux journaux, qui passent pour être des quotidiens d'opinion : le «Journal de Genève» et «Le Courrier».
Qu'en est-il, aujourd'hui du «Journal de Genève» et du «Courrier» ? L'un et l'autre tournent tant bien que mal, se maintiennent dans les chiffres noirs par l'intervention... j'allais dire du Saint-Esprit et c'est presque cela... de ce que j'appellerai pudiquement les milieux économiques pour le «Journal de Genève» et, pour «Le Courrier», de la sainte Eglise romaine...
M. Michel Balestra. ...et économique aussi !
M. Claude Blanc. Si nous introduisons une disposition législative qui consiste à aider, jusqu'à concurrence de 500 000 F par an, un quotidien d'opinion annonçant un déficit, je vois bien ce qui va se passer. Les milieux économiques donneront 500 000 F de moins, le «Journal de Genève» sollicitera un montant équivalent, et vous subventionnerez les milieux économiques !
Il y a pire ! Si la sainte Eglise romaine, qui n'est pas plus folle qu'une autre, comprend le système, elle s'abstiendra, elle aussi, de faire en sorte que «Le Courrier» reste dans les chiffres noirs. Elle gardera l'argent pour elle. Ainsi vous subventionnerez «Le Courrier», contrairement à l'article 164 de la Constitution, la sainte Eglise romaine. Je vous laisse apprécier, Mesdames et Messieurs les députés ! (Rires et applaudissements.)
M. Dominique Hausser (S). Je reviens sur terre après avoir entendu les propos lyriques de M. Blanc. Il est toujours triste, bien sûr, de voir «couler» une entreprise et de compter quelques dizaines ou centaines de chômeurs de plus dans notre République. Il y a eu «La Suisse»... et beaucoup d'autres.
Les faits démontrent le laxisme de nos autorités et de la majorité de ce parlement.
Monsieur Kunz, on ne s'étouffe plus en vous lisant. On a tellement pris l'habitude de vos textes que l'on parvient à passer sur les insultes systématiques dont ils sont émaillés. Quand vous parlez de mascarade, vous vous moquez de ces chômeurs et de leur difficulté à pouvoir s'exprimer. D'ailleurs, vous l'écrivez dans votre rapport ! Je vous cite : «La concentration à laquelle on assiste dans le secteur de la presse écrite helvétique s'inscrit dans un processus inéluctable». M. Fontanet s'est exprimé de même en disant : «On ne peut rien faire et, de toute façon, il ne faut rien faire.»
Ce type de discours m'horripile. M. Fontanet a ajouté : «...qu'il était inacceptable de voir des rapports incestueux entre presse et politique.» M. Fontanet devrait savoir que dans certains pays, de type dictatorial, la presse n'est pas incestueuse, mais dépendante. Elle n'a d'autre choix, à moins de voir le titre disparaître et les rédacteurs purement et simplement éliminés de la surface de la planète.
Le lien entre presse et politique est beaucoup plus faible que le lien entre presse et économie. Vous l'avez reconnu, Monsieur Fontanet, et d'autres l'ont relevé : pour survivre, la presse doit bénéficier de la publicité. Aujourd'hui, il est extrêmement difficile de trouver, dans la masse de publicité des quotidiens et des magazines, les quelques textes informatifs ou réservant quelques lignes à l'analyse et aux commentaires. Il y a là une véritable dépendance !
Par conséquent, on ne peut prétendre que soutenir la diversité et la pluralité d'une presse, ayant les moyens de ses analyses et commentaires, c'est la placer sous une dépendance autre que celle qu'elle subit aujourd'hui.
Comme l'ont dit plusieurs intervenants, cette initiative a l'avantage de réaffirmer le principe fondamental de la liberté de parole et d'expression. Nous devons donc la soutenir. La commission de l'économie et ce parlement ont peut-être bien fait de scinder en deux parties l'initiative dite «La Suisse». Il est clair que des efforts de soutien à l'emploi et à l'économie s'imposent. On ne peut pas continuer dans la voie actuelle suivie par la majorité de ce parlement et du gouvernement, qui consiste à regarder simplement les entreprises crever et le nombre de chômeurs augmenter.
M. Pierre Vanek (AdG). M. Kunz a dit...
Une voix. Toujours lui !
M. Pierre Vanek. Lui et d'autres ! ...que j'étais stupide ! A vous d'apprécier ! Toutefois, il a fait une profession de foi démocratique en déclarant qu'il avait même autorisé, à titre exceptionnel, la récolte de signatures en faveur de l'initiative «La Suisse», alors qu'il interdit habituellement ce type de manifestation dans l'enceinte de l'officine qu'il préside.
Dès lors, Monsieur Kunz, vous pourriez à nouveau faire montre de votre esprit démocratique en autorisant, dans le centre commercial de Balexert, la récolte de signatures pour des initiatives populaires. Pour ce faire, vous préconisez, dans votre rapport, des endroits désignés à cet effet. Alors pourquoi pas Balexert, lieu très passant ? Je me permets, et c'est une parenthèse dans ce débat, de m'autoriser à me rendre dans votre centre commercial récolter des signatures pour l'initiative «Pour le rétablissement de la gratuité du parascolaire» ou celle, en cours de récolte de signatures, «Pour le développement de la formation professionnelle à Genève.» portant sur la question des HES déjà débattue. Ainsi donnerez-vous le gage de votre réelle conviction que le droit d'initiative doit être respecté. Je réitère ma demande d'autorisation, puisque nous avons l'occasion de traiter de ce point.
Quant au fond, j'ai relevé deux interventions. M. Brunschwig a parlé d'aberration économique induite par l'application de dispositions qui pourraient être prises à l'issue du vote de l'initiative. Mme de Tassigny s'est demandé quelle économie de marché pourrait découler de son application. C'est une bonne question. L'initiative demande, à l'instar de la droite quand ça l'arrange, de faire une entorse minime à cette réelle économie de marché en prenant des mesures de subvention, comme cela se pratique dans de nombreux pays, pour garantir le principe supérieur de la liberté et de la pluralité de la presse. Effectivement, le fonctionnement d'une réelle économie de marché, d'un réalisme brutal, conduit à la situation actuelle qui ne peut aller qu'en s'aggravant, multiplie les concentrations monopolistiques et fait disparaître de la concurrence dont se gargarisent ces messieurs-dames d'en face, lors de leurs régulières professions de foi néo-libérale, ce que M. Dupraz critiquait hier soir, en des termes assez incisifs. Voilà ce que j'avais à dire.
M. René Koechlin. C'était très intéressant !
M. Gilles Godinat (AdG). La garantie de la pluralité de la presse donne lieu, me semble-t-il, à un profond malentendu quant au rôle des pouvoirs publics.
Il leur serait difficile d'agir à un premier niveau, celui des agences de presse, par exemple. Plusieurs études ont démontré que le phénomène de concentration n'assure pas la diversité démocratique de l'information.
Ce n'est pas de ce niveau dont nous discutons ce soir. Par contre, à un niveau régional, voire local, je prétends qu'il est possible aux pouvoirs publics d'intervenir pour que la diversité et la pluralité de la presse soient garanties. Les mesures à prendre ne se limitent pas aux subventions directes auxquelles il a été fait allusion. D'ailleurs, ce soir, il n'est nullement question de subventions directes ! De plus, l'imagination, hélas, n'est pas au pouvoir. La garantie des risques à l'exportation, en Suisse, est un exemple «d'interventionnisme» des pouvoirs publics par rapport à des secteurs actifs dans l'économie. Pourquoi pas une garantie des risques à l'impression ? Divers moyens existent et vous les connaissez : vous les utilisez quand ils vous servent !
Nous continuons de penser que la liberté et la pluralité de la presse méritent mieux que le rejet de l'initiative, volet «presse».
M. Christian Grobet (AdG). Je voulais juste répondre à M. Blanc qui est absent, mais peu importe.
J'ai bien entendu lu le rapport et, rassurez-vous Monsieur Kunz, je me souviens du rapport du Conseil d'Etat, ainsi que des procès-verbaux de la commission. J'ai simplement voulu souligner que l'initiative n'a pas demandé le subventionnement de la presse. Cette initiative non formulée demande que des solutions soient trouvées. En cours d'examen de cette initiative l'hypothèse de la création d'un fonds a bien été évoquée, mais cette proposition a été faite par l'Union des syndicats ou par d'autres pour tenter de concrétiser l'initiative. C'est le point sur lequel je voulais insister.
Je constate, Monsieur Kunz, que vous faites preuve de hargne contre cette initiative; vous n'êtes pas le seul, mais c'est surtout vous qui vous manifestez. Quelqu'un a rappelé tout à l'heure, fort justement, que le second volet de cette initiative a fait l'unanimité, sans doute avec vous également, pour proposer un contreprojet à cette initiative. Vous me permettrez de trouver pour le moins paradoxal que toutes celles et tous ceux qui avaient descendu en flammes cette initiative dite «La Suisse» reconnaissent maintenant qu'elle a quelques mérites, puisque ce second volet propose en quelque sorte la concrétisation de cette initiative. Donc, Monsieur Kunz, cette initiative n'est pas aussi mauvaise que vous voulez bien le dire, puisque aujourd'hui vous allez recommander aux électrices et aux électeurs de voter un contreprojet reprenant certains éléments de cette initiative.
Mais je voudrais surtout insister sur le point suivant :
Ce contreprojet a été proposé quasiment au dernier moment par le Conseil d'Etat. Nous n'allons pas lui reprocher d'avoir suggéré un peu tardivement ce contreprojet : mieux vaut tard que jamais ! Mais, finalement, Monsieur Kunz, j'en arrive tout de même à me demander si vous n'avez pas trois mois de retard ! Vous attaquez cette initiative, comme elle a été attaquée dans le passé, et voilà qu'aujourd'hui la situation a évolué, puisque tout le monde s'accorde a lui trouver certains mérites, et qu'il faut la concrétiser.
Les mesures proposées dans le contreprojet du Conseil d'Etat, au deuxième volet de l'initiative, pourraient tout à fait s'appliquer à la presse, le cas échéant. (M. Jean-Philippe Maitre fait des signes de dénégation.) Mais bien sûr, Monsieur Maitre, il est inutile de secouer la tête ! Je comprends que mes paroles vous gênent ! Enfin, vous avez tout de même le sourire ! Nous vous entendrons avec plaisir tout à l'heure. Mais on peut parfaitement imaginer, Monsieur Maitre - et vous le savez - que demain un journal - nous ne le souhaitons pas - doive arrêter ses activités pour les mêmes raisons que pour «La Suisse» et que des repreneurs se présentent. A ce moment-là, ils pourraient invoquer les mesures figurant dans le contreprojet du deuxième volet. Je voulais simplement souligner que ces mesures de portée générale pourraient s'appliquer à la presse.
Alors, lorsque j'entends dire qu'il n'est pas possible d'imaginer quoi que ce soit pour venir en aide à la presse, il me semble qu'il y a quelque chose de contradictoire, puisque les mesures que nous voterons tout à l'heure sont censées lui venir en aide. C'est donc une raison de plus pour entrer en matière sur le premier volet de cette initiative pour faire, finalement, le même virage à 180° que nous avons fait pour le second volet, en essayant de faire marcher notre imagination comme cela vient d'être suggéré par M. Godinat. Et vous verrez que des solutions pourront être trouvées.
M. Claude Blanc (PDC). Dans un certain sens, je suis d'accord avec vous, Monsieur Grobet, mais convenez que la commission a vraiment cherché toutes les possibilités pour ne parvenir qu'à celle-là qui comporte des vices rédhibitoires. Je vois mal M. Lescaze voter une subvention au journal que j'ai nommé tout à l'heure. (Rires.) Certaines choses ne se font pas dans notre République, Monsieur Grobet, et elles ne se sont jamais faites !
M. Pierre Kunz (R), rapporteur de première majorité. Evitons les malentendus ! Contrairement à ce que vous dites, votre initiative est mauvaise et n'a pas de mérite. Ce Grand Conseil n'en a pas non plus, puisqu'il l'a malheureusement acceptée. Il aurait dû l'invalider. Comme cela n'a pas été fait, nous avons, Monsieur Grobet, beaucoup travaillé en commission de l'économie pour en faire quelque chose.
En dépit de nos efforts, nous avons échoué sur la première partie, et je vous ai dit pourquoi. Néanmoins, concédez que nous avons fait quelque chose pour la deuxième partie.
Je ne voudrais pas que vous croyiez que nous avons inventé un moyen extraordinaire. D'ailleurs, le texte que va nous présenter M. Vaudroz stipule bien : «L'Etat renforce ses actions.» Nous n'avons donc rien inventé. Nous avons simplement voulu faire un peu mieux et, pour cela, remercions l'Alliance de gauche de sa contribution.
M. Max Schneider (Ve), rapporteur de deuxième majorité. Je suis surpris de la réaction de M. Maitre... (Rires.)
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Je ne me suis même pas encore exprimé...
M. Max Schneider, rapporteur de deuxième majorité. Monsieur Maitre, je vous ai vu hocher la tête ! (Rires.)
Une voix. A gauche ou à droite ?
M. Max Schneider, rapporteur de deuxième majorité. Je vous ai vu sourire... (Rires.) ...quand M. Grobet vous parlait du deuxième volet de l'initiative «La Suisse» et de son éventuelle application pour compléter la première invite. Il se ralliait ainsi à la conclusion de mon rapport, je cite : «Le deuxième volet de l'initiative dite «La Suisse» actuellement à l'étude en commission de l'économie répondra partiellement à cette première invite, sans pour autant mentionner expressément la Banque cantonale.» M. Grobet reprend ces termes, vous les propose, et vous répondez négativement en hochant la tête. Cela m'a surpris.
Par conséquent, nous nous distançons nettement du Conseil d'Etat et suivrons une autre voie.
L'initiative 104 bis, en des termes très concrets, représente un soutien pour les entreprises en difficulté et une aide à de nouveaux projets. Alors, si vous commencez par dire qu'elle ne peut s'appliquer à la presse... Monsieur Maitre, vous êtes conseiller d'Etat et conseiller national. Vous avez donc un pouvoir considérable et exercez une influence notable à Berne. Vous pouvez donc faire quelque chose pour la presse genevoise comme pour la presse suisse.
Je souhaite que les bonnes volontés de ce parlement s'unissent pour que soit rédigée une résolution à l'intention du Conseil fédéral, sur la base des propositions qui nous ont été demandées en commission et qui portent sur la TVA et les tarifs postaux.
Je prends au mot ceux qui se sont exprimés pour défendre la liberté et la diversité de la presse.
Quand M. Godinat parle de la garantie à l'exportation qui pourrait s'appliquer à l'impression, le débat se situe au niveau fédéral. Et si des députés et un conseiller d'Etat se permettent de cumuler les fonctions, qu'ils agissent en conséquence à Berne !
Je conclus avec le préambule de M. Kunz. Je me suis abstenu lors du vote en commission. Je pense que le groupe écologiste fera de même maintenant. C'est donc une abstention et un deuxième rapport de minorité.
Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). Pourquoi serions-nous les sans-coeur de ce parlement ? Pourquoi considérer la presse comme un monde à part ? La presse, comme toute entreprise porteuse d'emplois, doit être traitée avec considération, humanité et bon sens économique.
Ce sont les raisons pour lesquelles il faut trouver une issue pour ne pas renouveler l'échec d'un symbole genevois, mais pour concrétiser des mesures globales concernant le soutien à l'emploi et passer à l'initiative 104 bis.
Le Le président. Monsieur le conseiller d'Etat, vous avez la parole !
Une voix. Et on est parti pour trois quarts d'heure !
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. L'initiative 104 pose le problème de l'aide à la presse et, ce faisant, met en évidence deux volets difficilement conciliables.
Le premier est celui de la liberté de la presse, le deuxième, celui de la réalité d'un marché. Dans notre système économique, il arrive, a fortiori en conjoncture déprimée, que l'ambition de la liberté de la presse, de sa diversité et du maintien de cette diversité se heurte à des réalités d'un marché insuffisamment porteur pour l'information diversifiée que nous souhaitons tous.
La liberté de la presse trouve son fondement dans la liberté d'expression dont certains, ce soir, ne se sont pas privés, allant jusqu'à tenir des propos excessifs.
Je dis ici que le Conseil d'Etat n'approuve pas certains propos apparaissant dans les rapports de majorité. Je dis aussi que le Conseil d'Etat ne peut pas partager - comme si les excès devaient impliquer, à tout prix, des effets stéréo ! - certaines déclarations de M. Clerc qui, bien qu'exprimées en des termes plus mesurés, sont assez graves sur le fond.
Monsieur Clerc, vous avez dit constater qu'en raison des concentrations de presse opérées notamment en Suisse romande «les journalistes - pour les avoir notés, je peux citer vos propos textuellement - étaient inévitablement dépendants.» Cette affirmation est grave, car si, en tant que citoyens, nous ne partageons pas toujours l'expression de tel journal et de tel journaliste il est redoutablement dangereux de laisser entendre que, parce qu'un éditeur occupe incontestablement une position dominante en Suisse romande, les journalistes qui, de leur plume, servent leur vocation et leur éthique, sont devenus dépendants ipso facto. C'est une attitude que l'on ne peut approuver, car elle comporte un jugement de valeur inquiétant.
Parlons de l'aide à la presse. Elle peut être de deux types, soit par des interventions sur le plan fédéral, soit par des interventions sur le plan cantonal. Il faut examiner sereinement et lucidement les unes et les autres.
Sur le plan fédéral, nous sommes manifestement dans le domaine des conditions-cadres liées à l'exercice d'une activité économique, en l'occurrence celle de la presse. Vous savez - et M. Schneider ne s'est pas fait faute de le rappeler, bien qu'occultant la moitié, et c'est un euphémisme, de ce qui s'est passé - que les tarifs postaux constituent un des points essentiels de ces conditions-cadres. Nous avons, à réitérées reprises, traité aux Chambres fédérales le problème de la loi sur le service des postes, de façon que les tarifs postaux, en matière de presse, soient d'un niveau tel qu'ils représentent, effectivement, un levier d'aide à la presse dans ses coûts de production.
Après avoir écouté de nombreuses personnes, issues du groupe socialiste, parler de l'aide à la presse, je tiens à dire que celui qui s'oppose à un soutien massif à la presse, par le biais des tarifs postaux, appartient à ce parti : c'est M. Jean-Noël Rey. Il est dans sa mission, et partant je ne lui fait aucun reproche, car c'est un homme sérieux et responsable - de dire : «Il n'est pas question que la poste, directement, subventionne la presse.» Nous avons donc échoué dans nos tentatives, le Conseil fédéral ayant exprimé le même point de vue que la poste. Monsieur Schneider, j'étais de ceux qui demandaient à ce que la presse soit davantage favorisée par le biais des tarifs postaux préférentiels.
Sur le plan fédéral, se pose le problème de la législation en matière de concentration, notamment en matière de cartels. Vous savez que la commission des cartels planche actuellement sur le dossier des concentrations de presse. Quelques rapports sont déjà sortis, mais le dossier n'est pas clos. L'on voit ainsi que l'on dispose d'un certain nombre d'instruments sur le plan fédéral et nous n'avons pas terminé de traiter ce qui peut l'être.
Monsieur Schneider, dans le cadre des débats que nous avons eus aux Chambres fédérales, un député-expert, parce que bon parlementaire et bon journaliste, s'est exprimé en termes extrêmement restrictifs sur toute aide, même indirecte, à la presse, parce qu'il en allait de sa liberté, condition fondamentale de la dignité du journaliste. Il s'agissait de votre coreligionnaire politique Laurent Rebeaud. Il était le plus en retrait de ceux qui, éventuellement, étaient disposés à entrer en matière. Ce débat n'est pas simple et ne se résout pas en quelques slogans, vite faits, bien faits.
J'en viens à l'aide cantonale qui peut être de deux types. Elle est difficilement maniable, parce que dérisoire ou inopportune. Elle est dérisoire si l'on imagine que l'on va aider la presse - ce qui, au demeurant, serait techniquement possible - par un soutien plus prononcé de l'Etat et des communes, notamment avec des abonnements souscrits aux différents quotidiens, avec des annonces et des insertions publicitaires. Cette aide-là, bien que représentant peu de chose, pourrait être intéressante, et je ne la récuse pas. Je l'ai d'ailleurs proposée et vous ai fait état d'un certain nombre d'informations en commission. Nous pourrions donc mieux faire à cet égard.
Qu'il me soit cependant permis de vous dire que lorsque le Conseil d'Etat avait, naguère, une politique plus généreuse et plus accentuée au titre d'aide à la presse, que ce soit par le biais d'annonces ou d'abonnements, c'est votre Grand Conseil qui nous a demandé, au vu de nos difficultés budgétaires, de lever le pied et nous avons eu droit, il y a peu, à un rapport de la commission des finances qui estimait qu'on en faisait trop ! Là aussi, il n'est pas facile de tenir sereinement deux discours.
En matière d'aide dérisoire, nous avons eu, certes, des propositions, notamment celle de créer un prix pour la presse dont on a dit qu'il devait être au moins de 100 000 F pour être significatif. C'est peut-être intéressant, mais c'est un soutien moral. Et la presse en difficulté a besoin, elle, d'un soutien effectif !
Venons-en au soutien effectif que l'on peut envisager, quoi qu'on en dise, comme une manoeuvre de retrait ou de repli pudique. Le soutien effectif, Monsieur Grobet, c'est la subvention ! Vous l'évoquez vous-même dans l'initiative, puisque vous envisagez nécessaire d'octroyer, je cite : «...au travers de la Banque cantonale un appui financier à des entreprises, telles que «La Suisse», etc.» Pour moi, un appui financier, c'est une subvention. Elle peut être servie sous diverses formes. Il peut s'agit d'un versement direct, d'un cautionnement, c'est-à-dire une garantie sur les déficits, mais cela reste une subvention.
Nous sommes là au coeur de notre débat, car, en parlant de subvention, nous sommes conscients du fait que la presse n'est pas une entreprise comme les autres et qu'il est difficile de parvenir à la synthèse correcte de l'exigence de liberté, qui implique l'exigence d'indépendance, et d'un soutien étatique qui implique un devoir de contrôle susceptible d'aller assez loin. Ce problème est extrêmement ardu à traiter.
En termes d'égalité de traitement, il est pratiquement impossible de définir correctement les règles du jeu et, à cet égard, je rends hommage à la réflexion de votre commission parlementaire. Il y a été fait allusion dans ce débat. Qui aidera-t-on avec une subvention ? Quel sera le cercle des bénéficiaires ? S'agira-t-il de quotidiens seulement, d'hebdomadaires, de journaux de partis qui participent de la formation des opinions et de la pluralité des expressions ? S'agira-t-il de journaux professionnels qui ont leur rôle à jouer, etc. ?
En matière d'égalité de traitement, nous avons vécu une expérience que je me permets de vous rappeler, car elle intéressera certains députés de ce Grand Conseil.
En matière d'égalité de traitement, le Conseil d'Etat, lui, avait pris le parti de l'inégalité en faveur de «La Suisse», précisément. Pendant plusieurs mois, nous avons soutenu «La Suisse» avec des indemnités de chômage au titre de réduction d'horaires de travail. Cela même qui semble émoustiller quelques députés, aujourd'hui, pour d'autres domaines économiques de ce canton.
Cette mesure a été fortement critiquée par un ensemble de médias, et pas seulement par les journaux du groupe Edipresse, qui estimaient que l'on subventionnait indirectement un journal, alors que d'autres médias, également en difficulté, ne réclamaient pas ce type de mesures, mus par un esprit d'indépendance qui n'était plus celui, apparemment, du groupe Sonor. Nous avons été abondamment critiqués, mais nous avons assumé nos responsabilités, estimant indispensable de tout mettre en oeuvre pour sauver ce qui pouvait l'être, jusqu'au moment où il a été constaté qu'il était trop tard.
La différence entre l'initiative 104 et l'initiative 104 bis est très claire. A priori, il n'y a pas d'objection, par le mécanisme de l'initiative 104 bis, à aider une entreprise de presse à se restructurer. En revanche, il y aurait une objection fondamentale à aider à la restructuration, par le mécanisme précité, de toute entreprise de presse ou d'un autre secteur sans qu'elle puisse démontrer qu'elle est viable ou qu'elle a des chances de le redevenir.
On peut gloser sur l'expertise de la Banque cantonale comme sur d'autres réalisées sur «La Suisse». Il n'en demeure pas moins que la Banque cantonale est arrivée à la conclusion, après une étude dont on ne peut pas récuser le sérieux, que ce quotidien n'était, malheureusement, plus viable et que, pour le faire renaître de ses cendres, il fallait apporter des fonds propres à hauteur de 15 millions au minimum. Aucun groupe n'était en situation de le faire. De plus, même avec l'apport de ce montant, on ne garantissait pas la survie d'un média manifestement trop lourdement endetté et qui ne pouvait plus justifier le marché qu'il avait perdu peu à peu, suite à une série d'erreurs de gestion.
La question du subventionnement de la presse est centrale. Aussi voudrais-je vous poser une question toute simple : en subventionnant la presse, favorisons-nous le maintien des journaux ou précipitons-nous leur disparition ? Le vrai problème, évoqué par quelques intervenants, c'est qu'à partir du moment où l'on subventionne une entreprise, indirectement et même partiellement, on contribue à la sortir des réalités du marché et l'on risque, s'agissant d'un organe de presse, qu'elle renonce - M. Blanc l'a dit, non sans pertinence - à fournir certains efforts de ceux-là mêmes qui soutiennent les organes de presse, contribuent directement à leur financement et requièrent le concours des annonceurs.
L'ironie des débats parlementaires veut qu'une étrange cohabitation de discussions politiques se fasse au cours d'une seule et même session. Hier, votre parlement discutait d'une proposition tendant à publier, dans la «Feuille d'avis officielle», le compte-rendu des débats du Grand Conseil. En d'autres termes, les auteurs de cette initiative parlementaire, bien que ne l'ayant pas dit, ont porté un jugement très critique sur la presse en général et sur la presse locale en particulier. Par leur proposition, ils ont laissé sous-entendre, sans l'exprimer, ce que nous avons tous compris : à leurs yeux, la presse ne rendait pas compte, à satisfaction, des débats du Grand Conseil. Il y a donc eu un jugement de valeur très clair sur le contenu.
Avec cette intervention et celles d'aujourd'hui, nous sommes au coeur d'un débat central. En acceptant que l'Etat finance la presse, on met le doigt, qu'on le veuille ou non - et j'admets de bonne foi que les députés qui le proposent s'y refusent - dans un rouage qui entraînera le contrôle du contenu par l'Etat. Et là, nous touchons à l'axe essentiel de la démocratie. L'Etat ne doit jamais céder à une tentation, même modestement, de nature totalitaire.
Mise aux voix, cette initiative est rejetée.
Mise aux voix, la présentation d'un contreprojet est refusée.