République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 12 octobre 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 10e session - 43e séance
R 284-A
RAPPORT DE LA MAJORITÉ
Lors de sa séance du 16 février 1995, notre Grand Conseil renvoya à une commission ad hoc la résolution 284, présentée par l'ensemble du groupe socialiste.
Cette commission devait étudier l'opportunité de créer une commission d'enquête parlementaire afin d'examiner comme le prévoit l'invite de la résolution: «les rapports du groupe Gaon avec l'Etat, la Ville de Genève, la Banque cantonale de Genève et toute autre entité de droit public et de présenter ses observations à propos des responsabilités qui peuvent être engagées».
Notre commission s'est réunie à quatre reprises sous la présidence de M. Claude Blanc.
1. Préambule
Le travail des députés a été rendu difficile par le fait que les défenseurs de la résolution prétendaient nécessaire d'interroger certaines personnes visées par la résolution et, par là même, commencer l'enquête alors que notre Conseil nous avait mandatés afin de mesurer l'opportunité de procéder à une telle enquête.
La résolution prétend qu'il y aurait pu y avoir faveurs personnelles ou autres passe-droits de la part de certains représentants de l'Etat, de la Ville de Genève, de la Banque cantonale de Genève, en faveur de M. Gaon ou de son groupe, sans oublier la réciproque; cela, notamment, sous-entendu par un journaliste de la «Tribune de Genève» sans aucune preuve.
La commission s'est donc attachée à ne pas sortir du champ des compétences que le Grand Conseil lui avait attribué et a tenté de se forger une intime conviction sur les soupçons du parti socialiste matérialisés par la résolution 284.
C'est seulement si ceux-ci devaient s'avérer vraisemblables que la commission d'enquête pouvait être créée.
2. Auditions
Pour les raisons de compétence évoquées ci-dessus et par la nature même de nos institutions, la commission a décidé d'auditionner les seuls représentants des exécutifs de l'Etat et de la Ville de Genève.
2.1 Audition de M. Jean-Philippe Maitre, représentant du Conseil d'Etat
M. .
· l'aménagement du territoire;
· l'aspect industriel;
· l'aspect bancaire;
· la problématique du Grand Casino.
a) L'aménagement du territoire
M. Maitre insiste sur le fait que tout a été dit sur le dossier du périmètre de Sécheron et qu'il n'existe rien qui ne soit pas déjà connu des députés.
Il confirme, de plus, qu'aucune évolution significative n'a été enregistrée depuis le début de la présente législature.
M. Maitre rappelle que l'Etat de Genève a suivi l'avis de la Ville de Genève quant à l'affectation de cette zone en zone totalement industrielle, alos que la préférence du Conseil d'Etat eût été pour le projet à affectation mixte.
Le conseiller d'Etat explique, par ailleurs, que le contrat de superficie entre l'Etat de Genève et Noga Invest prévoit une condition selon laquelle l'obligation est faite à Noga Invest de commencer la construction de la nouvelle Usine Sécheron SA au plus tard un an après la signature dudit contrat.
Bien qu'il existe aujourd'hui des divergences d'interprétation sur cette disposition, le 13 décembre 1994, le nouveau chef du département des travaux publics et de l'énergie (DTPE) écrivait à Noga Invest. Il constatait que le chantier n'avait pas commencé dans les délais impartis; en conséquence, le droit de superficie s'éteignait et l'Etat de Genève reprenait la pleine possession de la propriété.
M. Maitre fait remarquer à la commission que les explications relatées ci-dessus démontrent sans équivoque que le Conseil d'Etat, en traitant cet aspect de la question, n'a accordé aucune faveur au groupe Gaon, bien au contraire.
b) L'aspect industriel
A l'origine, il y a le rachat, par Noga Invest, des terrains de Sécheron vendus par ABB de manière, pour cette société, à dégager les fonds nécessaires à la construction d'une nouvelle usine de transformateurs à Meyrin-Satigny.
Au printemps 1989, le groupe Noga rachète à ABB le capital-actions de Sécheron SA (la BCG en est propriétaire aujourd'hui).
Les terrains de Sécheron à cette époque ont été mis à disposition de Noga en droit de superficie sur la base d'une valeur foncière de 200 F le m2.
M. Maitre confirme qu'il y a eu divergences de vue au Conseil d'Etat lorsque ce prix de 200 F le m2 a été proposé.
Le chef du département des travaux publics d'alors le jugeait insuffisant. S'agissait-il de passe-droits?
Non, répond M. Maitre, car ce prix correspondait au prix le plus élevé pratiqué en zone industrielle, dont le prix moyen actuel est de 150 F le m2.
De plus, l'Etat redevint propriétaire de ces terrains sur la base du droit de préemption exercé en 1990 dans le cadre de l'échange intervenu avec ABB pour sa nouvelle usine de Satigny. Ceux-ci avaient été acquis en 1980 pour la somme de 80 F le m2. C'est dire qu'en accordant un droit de superficie sur la base d'une valeur foncière de 200 F par m2 dix ans après, les intérêts de l'Etat ont été bien sauvegardés !
c) L'aspect bancaire
Ce n'est un secret pour personne que le groupe Gaon doit faire face à des difficultés économiques non négligeables. Il fallait sécuriser le capital de Sécheron SA. En effet, cette entreprise est une entreprise performante, à croissance soutenue. Elle se trouve aujourd'hui être l'un des leaders européens de sa branche. Dans l'intérêt de Sécheron SA et de son potentiel de confiance, la Banque cantonale de Genève en a pris le contrôle provisoire.
A propos des engagements de M. Gaon vis-à-vis de la BCG, M. Maitre rappelle à certains que le secret bancaire n'est pas un principe applicable ou pas selon les circonstances.
Néanmoins, il nous remémore que le Conseil d'Etat avait confirmé aux députés, lors des travaux parlementaires relatifs à la fusion de la Banque hypothécaire et de la caisse d'épargne, que les engagements de M. Gaon bénéficiaient de garanties absolument usuelles en pratique bancaire.
Les risques liés aux dettes du groupe, comme toutes les autres d'ailleurs, font de plus l'objet de provisions jugées suffisantes par la commission fédérale des banques.
Cette dernière est devenue, faut-il le rappeler, conclut M. Maitre, depuis le 1er février 1995, autorité de surveillance complète de la Banque cantonale de Genève.
d) La problématique du Grand Casino
Après avoir retracé l'historique du Grand Casino et de son exploitation, qui sont largement relatés par le soussigné à l'occasion de l'audition des représentants du Conseil administratif de la Ville de Genève, M. Jean-Philippe Maitre précise que le Tribunal fédéral, par arrêt du 31 octobre 1994, a donné raison au Conseil d'Etat qui avait la compétence de refuser d'approuver la Convention de cession d'actions que la Ville de Genève avait conclue avec la Société anonyme du Grand Casino (SAGC) en mars 1980 et approuvée par le Conseil municipal le 20 juin de la même année.
2.2 Audition de Mmes Jacqueline Burnand et Madeleine Rossi, conseillères administratives de la Ville de Genève
Dans cette audition, Mme Burnand traite de la problématique de l'aménagement du territoire, tandis que Mme Rossi traite de la question du Grand Casino.
a) L'aménagement du territoire
Mme Burnand fait tout d'abord l'historique des problèmes d'aménagement dont la durée s'est étendue sur plusieurs années.
Elle donne le point de vue de la Ville de Genève sur les principales divergences entre l'Etat et la Ville. Explications qui corroborent celles données par le Conseil d'Etat.
Mme Burnand relate que la Ville a mandaté un certain nombre d'études, tant sur le plan urbanistique qu'économique, qui ont conduit le Conseil administratif, en 1992, à maintenir sa position de conserver le périmètre en question en zone entièrement industrielle.
Depuis ce jour, conclut Mme Burnand, plus rien de significatif ne s'est passé, hormis l'affaire dite de la Maison Europa.
b) Le Grand Casino
Avant de laisser la parole à Mme Rossi, qu'il me soit permis de tenter de clarifier quelques données afin que le profane s'y retrouve quelque peu.
Les informations qui suivent sont tirées essentiellement de l'historique présenté par Mme Rossi et de l'excellent rapport de M. Crettenand du 13 mai 1994, traitant de l'examen des rapports de gestion des exercices 1991 et 1992 de la Société d'exploitation du Casino de Genève SA (SECSA) dans le cadre des travaux du Conseil municipal de la Ville.
C'est par deux arrêtés Ville de Genève du 19 novembre 1968 que la SECSA a été créée et qu'un droit de superficie a été accordé à Sofedine SA qui deviendra par la suite la Société anonyme du Grand Casino (SAGC) appartenant au groupe Gaon.
La SECSA a été créée par la Ville de Genève pour la gestion du secteur jeux-dancing du nouveau Casino de Genève, au capital social de 200 000 F, soit 200 actions de 1 000 F, dont 198 pour la Ville de Genève, une action vendue à la SAGC et une cédée à l'Office du tourisme à titre fiduciaire. Il est à noter que cette répartition du capital est encore la même aujourd'hui.
Mme Rossi fait état des inextricables difficultés financières de la SECSA dès 1986. La roulette ne fait plus recette de même que les vingt appareils automatiques «boule games».
De 1986 à 1990, la SECSA consomme son capital de 200 000 F et ses réserves de près de 90 000 F. Elle se trouve au 31 décembre 1990 en situation virtuelle de faillite.
Comme la privatisation imaginée en 1989 par la Ville de Genève est refusée par le Conseil d'Etat, une solution est trouvée avec la SAGC, le 29 novembre 1990, matérialisée par une convention d'actionnaires qui comprend la fourniture des machines à sous par la SAGC, moyennant une redevance de 60% (30% à payer aux fournisseurs) des recettes en sa faveur.
Cette convention avait fait l'objet d'une communication officielle au Conseil municipal le 20 novembre 1990. A cette époque, elle ne suscita aucune remarque particulière autre que celle liée à l'engagement du personnel.
Le succès de ces nouveaux jeux dépasse largement les prévisions. Les recettes escomptées (2,5 millions) ont, en 1993, dépassé la somme de 12 millions.
Le 15 mars 1993, le Conseil d'Etat décide de refuser la convention d'actionnaires.
Menacée de dommages et intérêts par la SAGC, la Ville de Genève et la SECSA interjettent un recours de droit public et de droit administratif auprès du Tribunal fédéral qui, comme déjà mentionné, les rejette par décision du 31 octobre 1994.
Tenant compte de cette décision, le Conseil administratif a proposé au Conseil municipal d'abroger l'arrêté voté par celui-ci le 20 juin 1989 (privatisation de la SECSA) et d'autoriser le Conseil administratif à dénoncer à la SAGC la convention de cession du capital-actions de la SECSA. Cette proposition a été concrétisée le 18 mai 1995 par un projet d'arrêté municipal.
D'autre part, en ce qui concerne le droit de superficie, dont les retards de paiement laissent une dette en faveur de la Ville de Genève de près de 700 000 F, Mme Rossi confirme que, contrairement à ce qui a pu être rapporté par une certaine presse, toute la procédure de contentieux a été exécutée dans les règles.
Mme Rossi espérait, lors de son audition, un dénouement favorable de cette situation de contentieux, ce que pouvaient laisser présager les discussions en cours qu'entretenait son département avec la SAGC. Par lettre du 3 mai 1995, la conseillère administrative confirme à notre commission qu'entre-temps le contentieux en question était entièrement réglé au 31 décembre 1994.
3. Travaux de la commission
La commission a largement débattu sur la question d'élargir le champ d'investigations préliminaires par d'autres auditions. Si sa majorité a refusé cette demande, proposée par la minorité, c'est tout simplement qu'elle n'entendait pas, comme déjà évoqué, procéder aux travaux d'une commission d'enquête alors qu'elle n'avait pas mandat de le faire.
Si, certes, il existait une certaine ambiguïté entre les moyens de la commission de se forger une opinion sur les soupçons de corruption virtuelle, auxquels la résolution 284 pouvait laisser penser, et l'enquête proprement dite souhaitée par le groupe socialiste, la majorité de la commission n'a pas voulu se laisser entraîner, par voie détournée, à d'autres fins.
Le mot de corruption peut paraître fort. Il correspond cependant à la définition du 4e considérant de la résolution 284: «qu'il convient de distinguer le juste rôle économique de l'Etat en faveur d'entreprises en difficulté de toutes faveurs personnelles ou autre passe-droits», et à celle du dictionnaire, «corruption: moyen que l'on emploie pour faire agir quelqu'un contre son devoir».
Les arguments développés pour défendre la résolution 28 ont péché, du point de vue de la majorité, par excès d'amalgames, amalgames notamment entre les difficultés économiques du groupe Gaon et des articles de presse pour le moins discutables, dont certains ont d'ailleurs provoqué des actions judiciaires de M. Gaon.
«Amalgame» est le maître mot des reproches adressés au groupe socialiste qui, pour le moins, n'a apporté aucun élément permettant le moindre soupçon de complaisance de magistrats tant de l'Etat que de la Ville de Genève. Bien au contraire, les deux exécutifs ont apporté toutes les preuves de diligence et de transparence dans le traitement de ce difficile dossier, comme le démontrent les auditions rapportées ci-dessus.
Reste à déterminer le pourquoi de cet acharnement contre la personnalité de M. Gaon:
- Est-ce la jalousie contre un homme d'affaires dont la réussite se retourne contre lui, en période de turbulences économiques?
- Est-ce la réaction d'un certain nombre de créanciers en mal d'être payés ou de débiteurs en mal de payer leurs dus?
- Ou est-ce encore un règlement de comptes politique comme l'a titré le «Journal de Genève» du 21 juin dernier?
Quelles que soient les raisons qui ont déclencé cette polémique, le levier, tant du journaliste en quête de sensationnel que celui du groupe politique prêt à dénoncer un scandale sans s'assurer qu'il existe réellement, paraît avoir été utilisé avec une facilité déconcertante.
Si cette affirmation devait être contestée, notre parlement doit savoir qu'aucun semblant de preuves du contraire n'a été apporté en commission, malgré les demandes réitérées de celle-ci.
Enfin, contrairement à ce que la minorité a tenté de vouloir démontrer, la majorité ne s'est jamais montrée indifférente aux implications sociales difficiles que pourrait entraîner une éventuelle faillite de l'une ou l'autre société contrôlée par M. Gaon.
Elle a, en effet, estimé que l'amalgame des causes à effets, entre les difficultés économiques et financières d'une entreprise et des soupçons de corruption, devenait tout simplement inacceptable, si ces derniers n'étaient pas étayés; or, à aucun moment des travaux de la commission, ils ne le furent.
Mesdames et Messieurs les députés, la majorité de la commission a, en toute indépendance, tenté de savoir s'il existait dans cette malheureuse affaire l'ombre d'un doute, l'ombre d'une présomption de simples faveurs qui auraient été accordées à, ou par, l'un ou l'autre des magistrats de l'Etat à majorité bourgeoise ou de la Ville à majorité de gauche. Force a été de constater, notamment par certains commissaires n'appartenant pas à l'Entente, qu'il n'en existait pas.
Tant l'Etat que la Ville de Genève ont remis à notre commission tous les documents nécessaires qui leur ont été demandés. C'est donc en toute connaissance de cause qu'elle a pu forger son intime conviction. Celle de la majorité est qu'il n'existe aucune raison de nommer une commission d'enquête et que les faits dénoncés par la minorité ne reposent en l'état que sur la rumeur qui, elle, est extrêmement dommageable, et nous devons le regretter.
En conséquence, la majorité de la commission, par 8 voix contre 2 et1 abstention, refuse la proposition de la résolution socialiste 284 et vous propose d'en faire de même, démontrant ainsi à nos concitoyens qu'ils ont raison de faire confiance à nos institutions et surtout à ceux qui les dirigent aujourd'hui.
ANNEXE
Secrétariat du Grand Conseil
Proposition de Mmes et MM. Fabienne Blanc-Kühn, Micheline Calmy-Rey, Liliane Charrière Urben, Sylvie Châtelain, Mireille Gossauer-Zürcher, Liliane Maury Pasquier, Elisabeth Reusse-Decrey, Maria Roth-Bernasconi, Christine Sayegh, Claire Torracinta-Pache, Pierre-Alain Champod, François Courvoisier, Dominique Hausser, René Longet et Laurent Moutinot.
Dépôt: 31 janvier 1995
R 284
proposition de rÉsolution
concernant la situation du groupe Nessim Gaon
LE GRAND CONSEIL,
- considérant les difficultés financières de M. Gaon et de certaines de ses sociétés;
- vu les conséquences possibles d'une déconfiture du groupe Gaon sur divers dossiers particulièrement chauds tels que, par exemple, la maison Europa ou Sécheron;
- vu les imbrications très étroites des intérêts privés de M. Gaon avec certains intérêts publics ainsi que les risques de confusion qui en découlent;
- attendu qu'il convient de distinguer le juste rôle économique de l'Etat en faveur d'entreprises en difficulté de toutes faveurs personnelles ou autres passe-droits;
charge une commission parlementaire ad hoc de 15 membres d'enquêter sur les rapports du groupe Gaon avec l'Etat, la Ville de Genève, la Banque cantonale de Genève et toutes autres entités de droit public et de présenter ses observations à propos des responsabilités qui peuvent être engagées;
attribue à ladite commission les pouvoirs d'investigation nécessaires pour mener à bien son mandat.
RAPPORT DE LA PREMIÈRE MINORITÉ
Aucun d'entre nous n'ignore les difficultés de l'empire de M. Gaon. Cela ne pourrait être qu'un effet de plus de la récession. Après tout, M. Gaon n'est pas le seul promoteur à avoir acheté à des prix surfaits des biens aujourd'hui dévalués. Un député s'est étonné en commission que la résolution socialiste n'ait pas aussi demandé l'ouverture d'une enquête sur, je cite, «les affaires de MM. Magnin, Ventouras ou Chevalat».
Il se trouve cependant que cette affaire n'est pas une affaire comme les autres. Elle en diffère par l'importance des montants en cause et les intérêts publics en jeu. Elle en diffère par, sinon la complaisance du moins la bienveillance de certaines à l'égard du groupe Gaon. Nous avons pour le moment la naïveté de croire qu'il s'agit d'un cas particulier et que dans ce pays les choses ne se passent pas comme dans ceux qui nous entourent. Mais en tout état de cause, nous ne pouvons tout simplement pas nous en désintéresser car il est possible aussi qu'il s'agisse d'un épisode de la longue intrication du pouvoir et de l'argent.
Les travaux de la commission
Le moins que l'on puisse écrire est que le projet de résolution déposé par le groupe socialiste concernant la situation du groupe Nessim Gaon n'a pas fait l'unanimité dans les rangs des partis de la droite genevoise. Le renvoi de ce texte en commission a été accepté du bout des lèvres dans le but, selon M. J. Dupraz, député, «de le purger de tout ce qui concerne la banque» et de supprimer «l'histoire de la commission d'enquête parlementaire». Autant dire qu'il ne restait plus grand-chose des intentions qui avaient présidé au dépôt de la résolution.
Elles peuvent se résumer de la façon suivante:
1. se renseigner pour connaître la situation exacte du groupe de M. Gaon, situation financière, implications fiscales et financières et nombre d'emplois en dépendant. Ce point n'a pas été traité, la commission ayant refusé toutes les auditions susceptibles d'éclairer la situation (notamment de M. R. Ducret, ancien conseiller d'Etat, et des représentants de la Banque cantonale), et ayant également refusé de s'adresser à l'office des poursuites et au Registre foncier pour l'obtention de renseignements;
2. déterminer le type d'interventions de notre ressort, en particulier les mesures à prendre pour garantir les intérêts publics afin qu'ils ne soient pas atteints par les difficultés du groupe;
3. traiter d'éventuels dysfonctionnements et responsabilités.
La discussion en commission n'a jamais permis d'aborder les points 2 et 3. Elle a porté essentiellement sur la question de savoir si les auteurs de la résolution avançaient suffisamment de présomptions et d'éléments accusateurs pour légitimer la création d'une commission d'enquête, la commission ne souhaitant pas pour elle-même une information contradictoire. Dès lors, trois commissaires (2 soc., 1 rad.) ont décidé de rencontrer M. Robert Ducret. Par ailleurs, des renseignements, des photocopies, des coupures de presse, voire des rumeurs, ont été transmis aux auteurs de la résolution.
Nous tenons à dire à ce stade que nous ne considérons pas comme faisant partie de notre travail de députés que de mener une enquête à titre individuel. La commission a donc été informée et les choses sont restées en l'état.
Les seules personnes que la commission a accepté d'entendre ont été les représentantes de la Ville de Genève, Mmes Burnand et Rossi, et M. J.-Ph. Maitre, conseiller d'Etat. Le choix de M. J.-Ph. Maitre est, par ailleurs, surprenant: le rôle plus actif joué par MM. Haegi, Vodoz et Joye dans les affaires de Sécheron et du Casino aurait dû les désigner naturellement pour l'audition du Conseil d'Etat dans la commission.
En réalité, si ces auditions ont eu le mérite d'apporter le point de vue officiel, en l'absence d'informations contradictoires, elles n'ont pas permis d'avancer dans la connaissance du dossier. Logiquement, la majorité de la commission devait en conclure que la création d'une commissin d'enquête ne se justifiait pas. C'est un peu comme si l'on disait à quelqu'un: «Donnez-mois une bonne raison d'agir et je le ferai» et que l'on interdise la personne de parole pour s'éviter de connaître la bonne raison. Pourtant, en refusant, la majorité de la commission laisse planer le doute sur la nature des liens existant entre le groupe de M. Nessim Gaon et quelques-uns des politiciens les plus en vue.
Le Noga Hilton, on attend toujours les logements
Lors de la construction du complexe Noga Hilton et Grand Casino, des immeubles d'habitations sont détruits. En échange de l'une des autorisations de démolir du 12 avril 1984, M. Gaon s'engage à réaliser dans les cinq ans la construction d'un ou plusieurs immeubles HLM comprenant en tout 127 pièces. Malgré de nombreux rappels du département des travaux publics, la promesse n'est toujours pas tenue. M. Gaon a réalisé là une économie de l'ordre de plusieurs millions de francs.
Sécheron ou 6 ans de négociations tourmentées
Au printemps 1989, Noga Invest, une des sociétés appartenant àM. Gaon, décide d'acheter des terrains à la société ABB pour un prix total de 135 millions de francs (1 850 F le m2 de terrain industriel, 5 600 F pour la zone à bâtir) pensant y réaliser un projet immobilier et un projet industriel. Le Conseil d'Etat avait promis d'engager une procédure de déclassement des terrains industriels pour autant notamment que l'affectation fasse l'objet d'une étude d'aménagement complète, qu'au moins 70% du total des surfaces de plancher soient dévolues à des logements sociaux et que le prix au m2 des parcelles en question soit maintenu au-dessous de 2 000 F et maîtrisé par des investisseurs institutionnels (voir lettre du Conseil d'Etat à la direction d'ABB du 11 janvier 1989).
Le projet industriel se met en place avec Sécheron SA. Quant à l'opération immobilière, le prix est trop élevé pour y construire des logements sociaux. A Varembé, déjà, sur les anciens terrains de la Coop (1 650 F le m2) le seul immeuble HLM a dû bénéficier d'une subvention supplémentaire de la Ville de Genève afin de réduire de moitié la charge financière.
Dès lors, toute la stratégie du groupe Gaon va consister à convaincre l'Etat de permettre au promoteur, c'est-à-dire à lui-même, d'implanter des locaux à des conditions de rentabilité correspondant à ses intérêts propres. Il se heurtera jusqu'en 1993 à la rigueur du département des travaux publics mais trouvera par ailleurs des appuis têtus.
Comptant sur le déclassement des terrains industriels, la caisse d'épargne, la BCG, l'UBS et le Crédit suisse prêtent l'argent nécessaire pour l'achat et ces montants sont gagés par des actions de l'entreprise industrielle Sécheron SA, actions reprises depuis par la Banque cantonale. A vrai dire, nous ignorons quels sont les totaux des montants engagés auprès des banques suisses par les sociétés affiliées du groupe Gaon en ce qui concerne Sécheron. Ces montants devraient être sensiblement plus élevés que les 135 millions nécessaires à l'achat des terrains et devraient inclure des crédits de construction, par exemple pour la Maison Europa. D'après une liste établie par l'office des poursuites, s'y ajouteraient des sommes dues à la Banque cantonale et au consortium Sécheron depuis 1993 pour plus de 30 millions de francs par année. Comment ces banques ont-elles pu s'engager à financer l'achat de terrains encore non déclassés et à de tels prix ?
Un communiqué de presse diffusé par la compagnie Noga en date du1er février 1995 met en évidence le fait que, lorsque cette dernière a pris la décision de se porter acquéreur des parcelles de Sécheron en 1988, elle l'a fait «avec l'appui et l'encouragement du Conseil d'Etat de l'époque» et que ce dernier «avait même pris des engagements tout à fait précis concernant le développement futur de ce périmètre» et que «la Banque cantonale s'est engagée dans cette affaire sur la base des engagements pris par les autorités de l'époque dans le cadre des accords entre le Conseil d'Etat, ABB et notre groupe». Ces promesses n'auraient pas été tenues, selon les termes du même communiqué.
Le projet de M. Haegi et celui d'un droit de superficie bien avantageux
En mai 1991, un projet d'urbanisation pour Sécheron est présenté par ses promoteurs et par M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. Ce projet attise les critiques: diminution de la part du logement au profit d'activités tertiaires, surdensification, mais surtout M. Claude Haegi est au centre de la polémique. Qu'un conseiller d'Etat ait pu présider un groupe de travail d'Aprofim, société appartenant au groupe Gaon, pour élaborer un projet d'urbanisation en disharmonie avec celui de la Ville et de l'Etat, qu'il soit apparu ensuite lors de la présentation publique de ce projet par Aprofim, a été apprécié diversement, y compris par ses collègues du Conseil d'Etat.
Le 30 juillet 1993, le Conseil d'Etat annonce qu'il a consenti dans la zone industrielle de Sécheron à l'octroi d'un droit de superficie au profit de la société Noga Invest SA pour permettre à Sécheron SA de construire une nouvelle usine. Il n'est peut-être pas inutile de rappeler que M. Gaon, propriétaire de Sécheron SA, possède 50 000 m2 dans le même périmètre, ceux-ci achetés fort cher alors que les 17 500 m2 de l'Etat lui sont cédés à un prix de location de 12 F le m2 par année (sur la base d'une valeur foncière de 200 F le m2). A ce jour, le chantier de la nouvelle usine n'a pas été ouvert et l'autorisation de construire est périmée.
La Maison Europa ou des méthodes de gangsters
La Maison Europa est un autre volet du feuilleton Sécheron. A côté des terrains industriels, et toujours dans le périmètre de Sécheron, M. Gaon a acheté quelque 10 000 m2 en zone à bâtir à un prix de 5 600 F le m2. C'est la que devrait s'implanter la Maison Europa, un complexe de bâtiments administratifs destinés à l'Union européenne et aux missions diplomatiques de ses pays membres. Alors qu'une lettre du Conseil d'Etat datée de 1989 affirme, je cite, «qu'une densité nettement supérieure à 1,35 ne devrait pas être dépassée sur cette parcelle», il semble que l'on soit aujourd'hui dans cette situation. En outre, la parcelle étant trop petite pour permettre la construction de plusieurs bâtiments, Noga Invest a été mise au bénéfice de dérogations. Parmi ces dérogations figure le non-respect des distances de constructions projetées par rapport aux limites des parcelles propriété de l'Etat. L'importance des dérogations consenties engendre une perte de droit à bâtir pour l'Etat, 2 parcelles lui appartenant devenant totalement inconstructibles.
En juin 1994, le Grand Conseil votait en discussion immédiate une loi d'exception stipulant que, désormais, les organisations internationales ne seraient plus soumises aux plans d'utilisation du sol. Ces derniers font nécessité de réserver 70% de la surface de plancher aux logements et sont incompatibles avec le bourrage de la parcelle par les bâtiments de la future Maison Europa. C'est ainsi que, sous prétexte d'Europe et d'organisations internationales, la majorité du Grand Conseil montre une compréhension émue pour les intérêts de la société promotrice. A ce jour, il n'est en effet pas démontré que les pays appartenant à l'Union européenne sont véritablement intéressés par le projet de la Maison Europa.
Qu'est-ce donc que ce projet Europa, Mesdames et Messieurs, sinon une baudruche gonflée par les partis de l'Entente genevoise, un produit issu des cogitations de ses stratèges ? Durant toute l'année 1994 et pendant toute la campagne des municipales, les radicaux, les démocrates-chrétiens et les libéraux ont tenté de prendre en défaut la gauche à propos de sa conviction et de son engagement européens. Dieu merci, ils ont raté leur coup ! Des15 délégations de l'Union européenne, 2 ont clairement exprimé un refus et les autres ne répondent rien de bien précis
Enfin, sur cette parcelle dite du foyer, se trouve une maison duXVIIIe siècle, la Villa Blanc. Le projet de Noga Invest, réalisé par M. le professeur W. Aslop, un des architectes anglais les plus en vogue, en prévoit la démolition. L'autorisation a été délivrée le 11 mai dernier et n'a fait l'objet d'aucun recours. Première interrogation: si la loi n'interdit pas de démolir avant que l'on sache ce que l'on reconstruit, la pratique à Genève est différente et on ne délivre pas d'autorisation de démolir avant de savoir ce qu'on va mettre à la place. Pourquoi ce changement de pratique dans ce cas précis ?
Par ailleurs, en date du 23 juin, l'association «Action Patrimoine Vivant» a formulé une demande de classement écartée par le département des travaux publics. Le 28 juillet, dès 7 heures du matin, un bulldozer entre en action et démolit la Villa Blanc.
Dans cette histoire, la bienveillance du département des travaux publics frise l'abus d'autorité. Qu'on en juge plutôt: la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites (L 4 1), section 3, articles 10 à 13, prévoit qu'une demande de classement transmise au Conseil d'Etat doit être notifiée au propriétaire, en l'occurrence Noga Invest, et que cette notification ouvre un délai de 6 mois pendant lesquels interdiction est faite de toucher à l'objet en cause. Une décision du Conseil d'Etat statuant sur la demande et intervenant pendant ce délai ne l'annule pas et un délai de recours de 30 jours s'y superpose.
Pour la Villa Blanc, la demande de classement date du 23 juin. Cette demande aurait dû être notifiée personnellement au propriétaire, la notification ouvrant le délai de 6 mois pendant lequel la Maison ne pouvait être démolie. La notification a-t-elle été faite ? Dans une lettre du 11 juillet, le chef du département des travaux publics juge la demande irrecevable et n'entre pas en matière sur la procédure de classement. Pourquoi la décision est-elle le fait du département des travaux publics ? En vertu de la loi, il appartenait au Conseil d'Etat de bloquer la situation et de décider.
Manifestement, et même si la notification au propriétaire n'a pas été faite dans les formes, la société Noga Invest devait être au courant de la demande de classement, sinon pourquoi, au bénéfice d'une autorisation de démolir depuis le 11 mai, avoir attendu la réponse du Conseil d'Etat à l'association Patrimoine Vivant pour passer à l'acte ? M. Joye et M. J. Herzog étant sur un pied d'amitié («Monsieur et cher ami» selon les termes d'une lettre du 19 avril 1994 de M. Philippe Joye à M. J. Herzog), il est logique de penser que ce type d'information a pu circuler par ce canal.
En définitive, en agissant ainsi, le Conseil d'Etat n'a pas empêché Noga Invest de démolir la Villa Blanc. Il lui a permis de le faire en toute impunité.
Les bénéfice du casino ou l'histoire d'un contrat par trop défavorable
En 1972, un contrat de superficie entre la Ville de Genève et la Société anonyme du Grand Casino (SAGC) appartenant à M. N. Gaon est signé. La SAGC est chargée de la construction et de l'exploitation du Casino.
Le 21 mai 1980, le Conseil administratif accorde à la Société d'exploitation du Casino SA, dont le capital-actions de 200 000 F est alors entièrement entre les mains de la Ville de Genève, le droit d'exploiter le jeu de la boule. Mais dès 1985, les revenus du jeu de la boule stagnent, alors que les charges y afférentes sont en constante augmentation. Les exercices 1987 et 1988 se terminent par des pertes.
En avril 1989, le Conseil administratif de la Ville sous l'impulsion deM. Claude Haegi puis de Mme Madeleine Rossi, conseillers administratifs, propose de céder la totalité du capital-actions à la SAGC. Cette proposition est avalisée par le Conseil municipal. Le Grand Conseil adopte lui aussi, toujours en 1989 et toujours sous l'impusion de M. Claude Haegi également député et président de la société ayant déposé la requête, une modification de la loi qui désormais accorde au seul Casino de Genève l'autorisation d'exploiter des machines à sous avec gains d'argent.
Le cadeau en faveur de la SAGC est de taille, l'exploitation des machines à sous se révèlent ultérieurement tout à fait rentable.
Le 29 novembre 1990, la Ville de Genève conclut une convention d'actionnaires. Une action est vendue à la SAGC et une autre consentie à l'Office du tourisme de Genève, à titre fiduciaire. Ne possédant qu'une action sur 200, la Ville en détenant, quant à elle, 198, la société de M. Gaon touche le 60% des recettes semi-brutes (concrètement, en 1992, la SAGC reçoit pour une seule action 6,1 millions de francs et la Ville avec 198 actions et dans le même temps, 300 000 F). D'un point de vue économique, les effets financiers de cette convention aboutissent et équivalent à une cession majoritaire du capital-actions. Cette convention d'actionnaires n'a été soumise à l'accord du Conseil d'Etat qu'une fois signée.
Le 15 mars 1993, le Conseil d'Etat qui, depuis 1989, sous la pression du président du département de justice et police, M. B. Ziegler, avait toujours manifesté son opposition à la session de la majorité des actions, communique à la SECSA son refus d'approuver la convention d'actionnaires. La Ville de Genève et la SECSA déposent alors un recours de droit public auprès du Tribunal fédéral avec l'argument d'éventuels dommages et intérêts réclamés par la SAGC. Ces deux recourantes prennent donc ainsi position pour la Société anonyme du Grand Casino et contre le Conseil d'Etat, fait surprenant qui n'a pas échappé à tout le monde. Dans la «Basler Zeitung» du11 décembre 1993, on peut lire à propos des craintes de la Ville face aux demandes de dommages et intérêts: craintes étranges lorsque l'on détient 99% des actions. De qui les représentants de la Ville de Genève défendent-ils les intérêts au sein de la SECSA ?» Le recours de la Ville et de la SECSA est rejeté par le Tribunal fédéral en octobre 1994.
En février 1994, la Conseil d'Etat ajoute dans un arrêté d'autorisation d'exploitation deux clauses: l'une d'elles spécifie que «la conclusion de tous contrats avec un ou plusieurs fournisseurs de machines à sous est soumise à l'approbation du Conseil d'Etat».
Or, la SECSA, dont la présidente est alors Mme Rossi, ne s'est jamais souciée que cette clause soit respectée et n'a pas exigé, par exemple, que la redevance par la SAGC au fournisseur de machines à sous figure dans les comptes.
A l'heure actuelle, la Ville semble vouloir mener une politique plus ferme. En juin 1994, une motion est déposée demandant au Conseil administratif de renégocier une nouvelle convention d'actionnaires plus favorable à la Ville de Genève. Cette motion est votée par l'ensemble des groupes, à l'exception notable du parti libéral. Le Conseil administratif, quant à lui, s'est donné pour but de renégocier dans des délais rapides cette fameuse convention. Tout semble s'arranger pour que la collectivité retrouve enfin ses droits et l'argent qui lui revient. Et pourtant...
Un projet de loi déposé par la gauche et les Verts concernant l'exploitation des machines à sous, projet visant à garantir les intérêts de la collectivité et à redéfinir une juste répartition des bénéfices engendrés par les machines à sous, est combattu en commission par les partis de l'Entente qui ont été jusqu'à présenter un contreprojet privatisant les machines à sous !
Le côté judiciaire de l'affaire ou qu'est-ce qui se passe au tribunal ?
Trois procédures parallèles sont ou ont été en cours devant les tribunaux, une procédure pénale, cette dernière en main du procureur Kaspar Ansermet, une procédure civile, l'ajournement de la faillite ayant été demandé, il s'agit de savoir si un assainissement est vraisemblable. Enfin, M. Schlaepfer, avocat du groupe Gaon, a déposé trois plaintes pénales à l'encontre du procureur Kaspar Ansermet et une procédure disciplinaire a été instruite à son encontre.
En ce qui concerne la procédure civile, la demande d'ajournement de faillite a été demandée en décembre 1994 et à la date où nous écrivons, aucune décision n'a encore été rendue. On peut, bien évidemment, s'en réjouir, pensant que le juge en charge du dossier, soucieux des retombées négatives d'une éventuelle faillite, entrevoit une solution différente, il n'est cependant pas déraisonnable de croire que cette longue période d'incertitude engendre aussi un risque. On a déjà vu des sociétés en difficulté songer au départ et déplacer des actifs.
Quant aux plaintes pénales à l'encontre du procureur, il est bien difficile de se défendre de l'idée que l'objectif recherché est la pression sur la justice. Nous aurions souhaité que les parlementaires apportent un soutien au travail des juges et à leur indépendance au travers du dépôt d'une motion de la commission, souhait malheureusement non exaucé, la majorité de la commission ayant considéré qu'en vertu du principe de la séparation des pouvoirs le parlement n'avait en l'occurrence pas droit à la parole, et qu'il convenait de laisser la justice faire son travail sans interférer.
A la lecture des épisodes de ce qu'il est désormais convenu d'appeler l'affaire Gaon, on ne peut manquer de remarquer deux choses: d'abord, le manque de continuité dans les décisions du Conseil d'Etat. Elles hésitent entre la rigueur et le laisser-faire. Ainsi, le Conseil d'Etat se dit prêt à engager une procédure de déclassement des terrains industriels pour autant que le prix au m2 desdits terrains soit maintenu au-dessous de 2 000 F et ensuite met le couvercle sur la marmite en étant intransigeant sur la densité autorisée. On écrit lier un éventuel déclassement à l'affectation de 70% des surfaces de plancher à la construction de logements sociaux et en 1994 on soutient la majorité du Grand Conseil qui vote lui une loi permettant à la parcelle du foyer d'échapper à cette contrainte. On refuse à juste titre d'entériner une convention d'actionnaires fort défavorable à la collectivité et favorable àM. Gaon et, dans le même temps, on négocie un droit de superficie dans la zone industrielle de Sécheron qui finalement tient peu compte de l'intérêt public pour le révoquer ensuite. A tel point que M. J.-Ph. Maitre pouvait affirmer devant la commission, je cite, «l'Etat n'a à l'origine jamais été mêlé à de quelconque faveurs ou passe-droits. C'est plutôt le contraire qui s'est passé».
En réalité, on peut augurer de ce qui s'est passé. Pendant la législature 1989-1993, une importante minorité de 3 ou 4 personnes existait au Conseil d'Etat, ce qui explique que ce dernier ait pu fluctuer et prendre des décisions contradictoires sur ces dossiers. Depuis l'installation du gouvernement monocolore, les décisions du Conseil d'Etat vont toutes dans le même sens, celui de l'appui au promoteur.
La deuxième remarque qu'une lecture attentive de cette saga même abrégée ne peut manquer de faire surgir est que plusieurs membres de l'exécutif ont fait preuve d'une immense mansuétude à l'égard du groupe Gaon. Les partis de la droite genevoise ont reconnu dans les colonnes des journaux avoir accepté des sommes d'argent de la part de ce dernier. Ces contributions ne nous paraissent cependant pas être à l'origine du comportement de certains élus. Ce qui est sûr, c'est qu'ils ont fait montre de leur incapacité à définir et à défendre l'intérêt public.
Les questions
Le dépôt de la résolution socialiste obéissait au souci de mieux connaître la situation, de définir les mesures à prendre et de déterminer les éventuels engagements et responsabilités des autorités politiques. Ces objectifs restent entiers à l'issue des travaux de la commission et les questions qui les ont légitimés sont à ce jour sans réponse.
1. Quels sont les montants engagés auprès des banques suisses et étrangères par les sociétés du groupe Gaon, les implications fiscales et le nombre d'emplois en dépendant ? Les réseaux de crédit, tout comme les liens entre les différentes entreprises du groupe, ne permettent en effet pas d'exclure des effets dominos avec des conséquences sur l'emploi et l'immobilier genevois d'ores et déjà fort éprouvés. Où, comment et dans quelles proportions ?
2. En cas de faillite, la Banque cantonale, chef de file du consortium Sécheron, dont les actionnaires majoritaires sont les collectivités publiques, communes et canton, se trouverait contrôler un nombre de m2 non négligeable en pleine ville. Qu'en fera-t-elle ? Et de quelle capacité d'action disposeront le parlement et le gouvernement, sans parler de la Ville de Genève, pour influer sur l'aménagement du quartier de Sécheron ? Dans le cadre de la Banque cantonale, des négociations sont-elles d'ores et déjà en cours à ce sujet avec le Conseil d'Etat et/ou d'éventuels partenaires intéressés autres que le groupe Gaon ? Qui finance la construction de la Maison Europa ?
3. Quelles sont les sommes dues par le groupe de M. Gaon à l'Etat de Genève et à ses différents services ? Les entreprises du groupe Gaon sont-elles à jour avec les contributions de sécurité sociale (AVS/AI, part patronale et part employé) ? L'Etat a-t-il engagé des poursuites à l'encontre de ce même groupe ? De quels montants et pour quelles prestations ?
4. Quels intérêts Mme Madeleine Rossi défend-elle lorsqu'elle communique au Conseil municipal et soutient fermement devant lui la décision de conclure une convention d'actionnaires si favorable à la Société anonyme du Grand Casino ? M. Claude Haegi, conseiller d'Etat, s'est clairement rangé du côté du promoteur dans l'affaire Sécheron. Il a, conseiller administratif, négocié le contrat de répartition des bénéfices entre la Ville et la SA du Grand Casino. Nous n'avons pas la prétention de penser que M. Haegi ou Mme Rossi soient les seuls à avoir montré beaucoup de compréhension pour les intérêts du groupe Gaon: arrangement de juillet 1993 concédé par la majorité du Conseil d'Etat, projet de la Maison Europa, vote au Grand Conseil par la majorité des partis de la droite genevoise d'un projet de loi d'exception et démolition de la Villa Blanc.
Pourquoi de telles bienveillances ?
Aujourd'hui, quelle est l'attitude du Conseil d'Etat à l'égard des projets de M. Gaon ? Pour son groupe, la rentabilisation des investissements de départ à Sécheron passe par la création de zones affectées au tertiaire, par la construction d'ensembles denses et par la construction de logements sociaux relativement chers nécessitant des subventions importantes de l'Etat. Le Conseil d'Etat monocolore soutient, semble-t-il, cette manière de voir les choses. Dans quelle mesure les difficultés du groupe changent-elles cette donne ?
Est-il indispensable, chaque fois qu'une usine va mal à Genève, de lui permettre, par le biais d'un déclassement éventuel, de vendre ses terrains à un prix lui permettant de se déployer ailleurs ? L'Etat n'a-t-il d'autres solution pour sauver le secteur secondaire que de faire payer les futurs locataires des immeubles qui seront construits sur les terrains libérés par les usines ?
Etait-il opportun que l'Etat traite dans ce cas précis avec un financier privé ? Pourquoi n'avoir pas envisagé de partenariat avec des organismes publics ou semi-publics susceptibles de soustraire définitivement ce type de terrains à la spéculation ?
Mesdames et Messieurs les députés, ce ne sont pas les difficultés du groupe Gaon, qui en soi, nous préoccupent. Ce sont les intrications entre ses intérêts personnels et ceux de la collectivité. Notre seule ambition, lors du dépôt de la résolution concernant la situation du groupe de M. Nessim Gaon, était de faire la clarté sur ce qu'a été et sont les intérêts publics dans cette affaire. Les partis radical, démocrate-chrétien et libéral ne veulent pas savoir et le refus d'entendre en commission M. Robert Ducret, ancien conseiller d'Etat, est symptomatique de cette volonté d'aveuglement. Mais de quoi ont-ils peur ?
Car, Mesdames et Messieurs, ces intrications ne sont pas des affabulations provenant de cerveaux par trop haineux, mais des faits. De savoir quels sont les engagements des autorités politiques dans les affaires du groupe Gaon et ce qu'il en adviendra si le pire s'avère est bien de notre responsabilité de parlementaires.
RAPPORT DE LA DEUXIÈME MINORITÉ
Le groupe socialiste au Grand Conseil a déposé une proposition de résolution demandant la constitution d'une commission parlementaire ad hoc d'enquête, qui serait chargée d'enquêter sur les rapports du groupe Gaon avec l'Etat, la Ville de Genève, la Banque cantonale de Genève et toutes autres entités de droit public et de présenter ses observations à propos des responsabilités qui peuvent être engagées. Il s'agit, en particulier, de savoir si le groupe Gaon a bénéficié de faveurs personnelles ou autres passe-droits.
Poser la question, c'est y répondre. Il est évident que M. Nessim Gaon et les sociétés qu'il contrôle économiquement ont bénéficié de faveurs invraisemblables de la part des pouvoirs publics. Est-il donc nécessaire de créer une commission d'enquête à ce propos ? Le groupe de l'Alliance de gauche soutient la proposition des socialistes, bien qu'il ne se fasse aucune illusion sur les résultats d'une telle enquête.
Tout d'abord et contrairement à d'autres parlements, le Grand Conseil n'a aucun moyen de mener des investigations. Entendre des personnes plus ou moins concernées qui raconteront ce qu'elles veulent bien ne fera pas mieux connaître les dessous de cette affaire, ce d'autant plus que le pouvoir judiciaire (principal intéressé avec la Banque cantonale) invoquera la séparation des pouvoirs pour refuser de répondre alors que la Banque cantonale a invoqué le secret bancaire, lequel, en fait, ne s'applique pas dans le cas d'espèce, pour refuser de divulguer les éléments qui devraient être connus de la population.
La commission ad hoc chargée d'examiner l'opportunité de donner suite à la proposition de résolution des socialistes n'a même pas voulu demander à l'office des poursuites de lui communiquer, ce que n'importe quel créancier peut réclamer, le relevé des poursuites notifiées aux diverses sociétés de Nessim Gaon, relevés qui sont pourtant évocateurs des dettes colossales de ces sociétés. Un député libéral a été jusqu'à considérer avec ses collègues qu'il n'y avait aucune nécessité de s'intéresser à la solvabilité du groupe Gaon et des conséquences que son insolvabilité pouvait avoir sur de multiples entreprises de la place.
Nous estimons, quant à nous, qu'il est de la première importance qu'il y ait beaucoup plus de transparence quant à la situation financière des sociétés commerciales, car trop d'entreprises sont victimes de grosses faillites, qui souvent entraînent des faillites en cascade d'autres entreprises. On ne dira jamais assez qu'une faillite n'est pas seulement une perte pour la personne qui tombe en faillite, mais c'est surtout une perte pour les créanciers impayés et par là même pour toute l'économie. Même si les créanciers sont souvent des banques, qui ont les reins particulièrement solides quoique certaines aient été mises en péril et ont même dû fermer leurs portes à la suite de leur politique de crédit complètement folle, il n'en demeure pas moins que les importantes pertes subies par les banques dans le cadre de leurs nombreux bouillons coûtent très cher à la collectivité, que ce soit en raison des mesures restrictives que les banques ont dû prendre à l'égard de l'économie, que ce soit par les taux d'intérêts trop élevés qu'elles pratiquent pour éponger leurs pertes, alors que l'économie a un besoin vital de crédit bon marché pour assurer la relance.
Enfin, pour qu'une commission d'enquête puisse faire son travail, faut-il encore que la majorité qui dicte sa volonté au Grand Conseil accepte que des investigations soient menées. Or, il est évident que la majorité du Grand Conseil formée de l'entente libérale, radicale, démocrate-chrétienne n'a aucune intention que la vérité soit connue sur les relations entre ses représentants à l'exécutif ou dans les corporations de droit public et le groupe Gaon, ni sur les versements que ce dernier a effectués à certains partis politiques, voire à certaines personnes. Il s'agit pour eux de maintenir le maximum d'opacité sur des relations qui ont conduit à des conséquences particulièrement graves pour notre économie et qui mettent directement en cause la crédibilité de nos autorités.
Quels sont les faveurs dont le groupe Gaon a bénéficié ?
L'AdG ne connaît bien entendu pas toutes les faveurs dont le groupe Gaon a bénéficié de la part des pouvoirs publics. Elle en connaît certaines, qu'elle rappellera :
1) La promesse de déclasser les terrains industriels de Sécheronet les conditions promises
Le Conseil d'Etat, dans une décision prise par sa majorité de droite et à laquelle se sont opposés les deux magistrats socialistes de l'époque, s'est engagé par lettre auprès de la société ABB, qui a vendu les terrainsde Sécheron à la société Noga Invest pour la somme astronomique de150 millions de francs, à présenter au Grand Conseil un projet de déclassement des terrains industriels dans le but d'y construire des logements sociaux en admettant un prix du terrain pouvant atteindre 2 000 F le m2, soit trois fois plus que la valeur qu'il admettait usuellement pour la construction de logements HLM. Il a manifestement encouragé M. Nessim Gaon à acheter ces terrains et la parcelle dite du Foyer pour lesquels il a contracté un emprunt de 185 millions de francs, alors qu'aucune garantie de déclassement ne pouvait lui être donnée et alors qu'un précédent projet de déclassement de ces terrains avait été abandonné 10 ans plus tôt suite à l'opposition de la Ville de Genève.
Dans un communiqué du 1er février 1995, la société Noga prétend que lorsque son groupe « a pris la décision de se porter acquéreur des parcelles de Sécheron, en 1988, il l'a fait avec l'appui et l'encouragement du Conseil d'Etat de l'époque. Ce dernier avait même pris des engagements tout à fait précis concernant le développement futur de ce périmètre ». Bien entendu, nous ne prenons pas - et de loin - pour de l'argent comptant les affirmations de M. Nessim Gaon, dont on connaît les fanfaronnades, mais il paraît évident que M. Gaon a bénéficié d'autres encouragements de la part de la majorité du Conseil d'Etat que les seules lettres des 11 janvier et 8 février 1989 de ce dernier reproduites au mémorial du Grand Conseil de sa séance du 4 octobre 1989 (pages 5727 à 5737). Quelle est la nature de ces promesses ou engagements ? Il appartient, en premier lieu, à celui qui les invoque de le dire, comme au Conseil d'Etat d'être plus précis.
Une chose est certaine. Il est évident que le Conseil d'Etat aurait dû, comme l'ancien chef du département des travaux publics déclare l'avoir fait auprès de l'intéressé, dissuader ce dernier de se porter acquéreur des terrains autrement que par une promesse de vente, tant que ceux-ci n'avaient pas été déclassés et tant que les conditions de déclassement n'avaient pas été fixées par l'autorité compétente, à savoir le Grand Conseil, ce d'autant plus que la position de la Ville de Genève n'était pas connue et qu'une procédure de déclassement est sujette à d'éventuels référendums dont les résultats sont imprévisibles. C'est la moindre des précautions à prendre en matière immobilière, surtout pour une opération de cette envergure.
A ce sujet, il n'est pas inutile de rappeler, comme M. le conseiller d'Etat Jean-Philippe Maitre l'a fait, que la procédure de déclassement promise par le Conseil d'Etat n'a pas été engagée parce que ce dernier n'a pas voulu aller à l'encontre de la volonté de la Ville de Genève, qui a exprimé le désir que les terrains situés dans la zone industrielle conservent leur vocation industrielle après la disparition d'un important tissu industriel en ville. Ce ne sont donc pas les difficultés à concilier les désirs d'aménagement de ce périmètre exprimés par Noga Invest et les pouvoirs publics qui sont à l'origine de ce blocage, mais bien l'affectation envisagée pour ces terrains.
Il est vrai, toutefois, qu'il est vite apparu que la charge foncière était telle qu'un projet économiquement viable n'était pas envisageable pour ces terrains, ce qui démontre qu'il était indispensable de faire une étude d'aménagement préalable et d'obtenir l'accord des autorités compétentes sur le plan décisionnel avant d'acheter les terrains concernés en spéculant sur leur déclassement éventuel. La responsabilité de la majorité de droite du Conseil d'Etat est lourdement engagée dans ce fiasco.
2) Les faveurs de la Banque cantonale
Il est, toutefois, évident, que cette opération foncière n'aurait jamais vu le jour sans l'attitude bienveillante et totalement irresponsable de certaines banques, dont, hélas, l'ancienne Banque hypothécaire du canton de Genève et l'ancienne Caisse d'épargne, qui sont devenues la Banque cantonale. Non seulement elles ont participé de manière importante au prêt de 185 millions de francs consenti à Noga Invest, mais encore la Banque hypothécaire était chef de file. C'est dire que les établissements bancaires publics genevois se sont investis (c'est le cas de le dire) à fond dans cette affaire.
Une fois de plus, on ne saurait trop dénoncer l'attitude irresponsable des banques dans le secteur immobilier, prêtant de l'argent de manière totalement inconsidérée à des promoteurs qui ne mettaient pas un sou sur la table et dont les projets n'étaient souvent que de simples esquisses sans plan financier digne de ce nom. On ne comprend pas la confiance quasi aveugle que les banques portaient à certains promoteurs immobiliers qui obtenaient tout ce qu'ils voulaient, achetant des terrains à des prix totalement incompatibles avec les prix de location ou de vente des locaux projetés pour que ceux-ci soient accessibles à nos possibilités économiques. Cette politique désastreuse, encourageant la spéculation, a causé un tort énorme à notre économie qui prendra, hélas, de nombreuses années pour s'en relever.
Le cas des terrains de Sécheron illustre parfaitement cette politique irresponsable. Les banques ont prêté au groupe Gaon une somme d'argent nettement supérieure au prix d'achat des terrains et sans mise de fonds propres de la part de l'acquéreur, alors que la règle usuelle est de limiter le prêt à une partie de la valeur du terrain. Pire, les banques ont admis non seulement une valeur foncière après déclassement (alors que celui-ci n'était pas garanti), mais encore une valeur hautement spéculative qui était incompatible avec les projets envisagés qui n'avaient aucun chance de pouvoir être réalisés. Enfin, pour couronner le tout, les banques ne semblent pas avoir demandé à M. Gaon d'autres garanties que celle des terrains achetés !
La Banque cantonale n'a admis que tout récemment le montant total du prêt, accordé à M. Gaon, probablement le plus important consenti pour un achat de terrain à Genève, sans indiquer la part de la Banque cantonale. Celle-ci a admis que Noga Invest ne payait plus les intérêts sur l'emprunt depuis un certain temps, vraisemblablement depuis deux ans, sans préciser exactement l'importance du découvert. Il est évident que M. Gaon a bénéficié de la part de la Banque cantonale de conditions de crédit que le simple citoyen n'aurait jamais pu obtenir. On ne sait même pas quelles sont les mesures que la Banque cantonale aurait prises pour obtenir le paiement des intérêts arriérés, si ce n'est qu'elle a repris à son compte les actions de Sécheron SA pour un montant qu'elle refuse de divulguer et qui paraît plus une fuite en avant qu'autre chose, mais nous aurons l'occasion de revenir sur cette opération insolite.
3) La parcelle du Foyer
M. Nessim Gaon, qui refuse d'honorer son engagement de construire une trentaine de logements bon marché en remplacement de ceux qu'il a démolis à la rue Plantamour pour réaliser l'extension de son Hôtel Noga Hilton, a clairement fait savoir en raison du prix hautement spéculatif qu'il avait payé pour cette parcelle, à savoir 5 600 F le m2.
Pour tenter de rentabiliser ce terrain, Noga Invest, qui est manifestement totalement insolvable, veut réaliser un immense complexe administratif auquel elle a donné opportunément le nom de Maison de l'Europe. La majorité de droite du Grand Conseil a voté une loi sur mesure pour permettre la construction de ce complexe en violation du plan d'utilisation du sol, loi qui n'est même pas respectée, puisque Noga Invest prétend qu'il lui suffira de construire 70 % de locaux pour l'Union européenne ou des missions diplomatiques et que le reste des bureaux mis au bénéfice du privilège accordé par la majorité du Grand Conseil peut servir à d'autres utilisateurs !
Quant au département des travaux publics, il a délivré une autorisation de construire portant sur ce projet accordant de nombreuses dérogations de hauteur (permettant ainsi des étages de bureaux supplémentaires) et de distances par rapport aux parcelles voisines propriété de l'Etat rendues inconstructibles, et cela sans le versement de la moindre indemnité par le promoteur. Le cadeau fait au promoteur par l'Etat se chiffre en millions même en prenant une valeur modeste pour le terrain devenu inconstructible. Mais le comble, c'est que l'autorisation de construire a été délivrée sans qu'il n'y ait la moindre garantie que les locaux seront effectivement utilisés par ceux pour lesquels ils sont prétendument destinés et affectation qui justifie la dérogation de destination consentie au profit du promoteur.
Il ressort de la presse qu'aucun des Etats membres de l'Union européenne ne s'est intéressé à ce jour à acquérir ou à louer des locaux dans les bâtiments projetés. Il est même douteux que l'Union européenne ait pris le moindre engagement pour ses propres besoins et cela malgré une lettre adressée en décembre 1993 aux missions diplomatiques leur demandant de signer une promesse de vente pour fin mars 1994 au plus tard. Il faut dire que les prix offerts (prix de vente de 9 000 F le m2 de plancher, loyer de 900 F l'an le m2 de plancher) sont tellement supérieurs aux prix du marché, même si Noga Invest tente de les camoufler en évoquant des prix au m2 brut de plancher, qu'il n'est pas étonnant que personne ne se pousse au portillon. Il est, toutefois, scandaleux que l'on continue à invoquer pour ce projet immobilier les besoins de l'Union européenne, alors qu'il se confirme que pour le moment les Etats intéressés ne lui ont accordé aucun intérêt concret. Mais pour aider certains promoteurs et les banques qui les soutiennent, tous les passe-droits sont bons !
4) La démolition illégale de la Maison Blanc
Alors que l'autorisation de construire le complexe administratif deM. Nessim Gaon n'est pas entrée en force, ce dernier fait abruptement démolir la Villa Blanc qu'il a feint de vouloir maintenir (en la déplaçant) dans le cadre d'un autre projet autorisé par le département et qu'il défend toujours devant le Tribunal administratif. Cette démolition d'une des dernières maisons de maître du XVIIIe siècle, dont l'intérêt sur le plan patrimonial est évident et dans laquelle ont vécu d'illustres personnalités dont l'imprimeur de Voltaire, s'est faite dans l'illégalité et avec la complaisance évidente du département des travaux publics et de l'énergie.
La loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites interdit en son article 13 toute modification (et encore moins une démolition) d'un bâtiment faisant l'objet d'une demande de classement. Le conseiller d'Etat Philippe Joye, tout en laissant entendre astucieusement dans une lettre adressée à l'association Action Patrimoine Vivant qu'il faisait examiner l'opportunité du classement du bâtiment, prétendit toutefois que la procédure de classement n'était pas ouverte à la suite de la demande que lui avait adressée cette association sous prétexte que celle-ci n'aurait prétendument pas la qualité pour agir. Outre le fait que le chef du département n'avait pas qualité pour trancher cette question, il faut relever que ce département n'avait pas contesté au préalable la qualité pour agir de cette association devant les autorités judiciaires de recours dans le cadre de procédures portant sur des décisions prises par ce département. La commission de recours a même admis la qualité pour agir d'Action Patrimoine Vivant dans le cadre du recours contre l'ordre illégal de démolition des immeubles de Chêne-Bougeries pris par M. Joye annulé par la suite par ce dernier.
Il est évident que le département des travaux publics et Noga Invest ont été en contact dans le cadre de l'affaire de la villa Blanc et c'est manifestement de connivence avec le promoteur que le département a pris une position visant à permettre au promoteur de violer l'interdiction faite de porter atteinte à la villa Blanc et cela d'une manière qui se passe de commentaires, mais démontrant bien que les auteurs de ce mauvais coup à notre patrimoine savaient qu'ils étaient dans l'illégalité et bénéficiaient de la bienveillance des autorités. La démolition de la villa Blanc, qui pouvait aisément être maintenue - à l'exemple d'autres villas conservées dans le cadre de projets immobiliers - et cela même dans l'hypothèse de la réalisation du complexe administratif de M. Nessim Gaon, est dramatique. C'est une perte irréparable pour Genève, qui s'ajoute à bien d'autres de notre patrimoine, et constitue une provocation dans le cadre d'un processus où le Conseil d'Etat et le promoteur-spéculateur veulent montrer leur détermination et que rien ne saurait les arrêter.
5) Le droit de superficie consenti à Noga Invest
Bien que Noga Invest ait acquis 43 000 m2 de terrain dans la zone industrielle de Sécheron, elle a, bien entendu, prétendu que le seul endroit qui lui convenait pour construire une nouvelle usine pour sa filiale Sécheron SA correspondait à une parcelle de 18 000 m2 propriété de l'Etat. Là également, la majorité de droite du Conseil d'Etat a consenti une faveur inexplicable au profit de M. Gaon, en mettant à sa disposition cette parcelle dans le cadre d'un droit de superficie consenti en retenant une valeur de terrain dix fois inférieure à celle que le promoteur avait payé pour ses propres terrains voisins. Comme par hasard, le projet d'usine ne s'est jamais réalisé. Noga Invest a élaboré trois ou quatre projets successifs, dont l'un nécessitait même la cession d'une partie de la parcelle sur laquelle est prévue le nouveau siège de l'Organisation météorologique mondiale, mais il est évident que Sécheron SA, dont la production à Genève est modeste, n'avait nul besoin de cette usine prétexte, qui a permis d'agrandir le patrimoine immobilier de M. Gaon pour un loyer dérisoire au mépris des intérêts de la collectivité.
6) La salle de jeux du Grand Casino
Le Conseil administratif de la Ville de Genève, alors que la majorité de droite gouvernait la Ville, avait voulu céder la totalité du capital-actions de la société d'exploitation du Casino de Genève à M. Gaon dans le cadre d'un projet d'y installer des machines à sous dont on connaissait le succès et le rapport financier dans d'autres pays. Fort heureusement, le Conseil d'Etat a refusé, grâce à la persévérance de M. Bernard Ziegler, l'ancien chef du département de justice et police, ce contrat particulièrement avantageux pour M. Gaon. Mais dans l'attente que le Tribunal fédéral se prononce sur la validité de refus, qui a été confirmé depuis lors par le plus haute instance judiciaire du pays, le Conseil administratif à majorité de droite a conclu un contrat provisoire négocié par M. Claude Haegi du temps où il était magistrat à la Ville prévoyant que la presque totalité des bénéfices des machines à sous reviendrait à M. Gaon, ce qui était totalement illégal selon l'arrêt du Tribunal fédéral. Ce sont des millions de francs que la société Tivolino, qui loue les machines à sous, et M. Gaon ont indûment encaissé et qu'ils voudraient continuer à toucher. Le litige est loin d'être terminé.
7) La passivité du pouvoir judiciaire
On ne peut également que s'étonner de la passivité du pouvoir judiciaire à l'égard de la société Noga et des diverses sociétés qui forment ce groupe. La situation d'endettement de la société Noga est monstrueuse. La presse parle de 300 millions de francs de dettes, essentiellement auprès d'établissements bancaires. Incapable de rembourser ses créanciers, M. Nessim Gaon a adressé en décembre dernier une demande d'ajournement de faillite en invoquant le fait la Russie lui devait prétendument 600 millions de dollars. Une fois de plus M. Gaon, selon une tactique bien connue, invoque les prétendues difficultés que lui occasionneraient des tiers pour tenter de se justifier et pour ne pas honorer ses propres obligations. Outre le fait qu'il est peu crédible qu'un homme d'affaires aussi avisé que M. Gain ait laissé un découvert de 600 millions de dollars se créer dans le cadre d'une opération d'échanges commerciaux, il faut surtout relever que la Russie a formellement contesté devoir quoi que ce soit à l'homme d'affaires, mais a au contraire invoqué être créancière de ce dernier, de sorte qu'il ne faut pas s'attendre à un paiement salvateur de sa part !
Toujours est-il, que le Tribunal a accordé délai sur délai à M. Gaon, alors que manifestement la société Noga, comme certaines de ses filiales, sont en état de surendettement qui impose le dépôt de leur bilan. D'après les extraits de l'office des poursuites, les poursuites notifiées à M. Gaon personnellement et à ses diverses sociétés portent sur des dizaines de millions de francs et les dettes impayées sont énormes. M. Gaon n'est manifestement pas en mesure de les rembourses, ni même de les garantir puisque les biens immobiliers dont il est propriétaire sont lourdement grevés d'hypothèques dont le montant dépasse manifestement la valeur de ces biens-fonds, sans parler du fait que certains d'entre eux ont fait l'objet, selon la presse, de réquisitions de vente dont l'hôtel Noga Hilton et l'immeuble de la rue du Rhône, siège de la société Noga et de ses nombreuses filiales.
La situation financière de ces diverses sociétés s'est elle améliorée, les dettes ont-elles été remboursées en tout ou partie, les multiples créanciers ont-ils été payés, la société Noga qui n'avait plus d'activités, a-t-elle repris ses activités ? Toutes ces questions, au sujet desquelles le public est légitimé à être informé vu les conséquences économiques de l'état d'endettement du groupe Noga, restent bien entendu sans réponse à ce jour et c'est tout le secret qui est maintenu sur la situation réelle de groupe Gaon, qui est certainement l'aspect le plus désagréable de cette affaire, tenant compte des répercussions qu'un éventuel naufrage de ce dernier pourrait avoir pour Genève.
Débat
M. Bernard Annen (L), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, la majorité de la commission, à laquelle notre Grand Conseil a demandé d'étudier l'opportunité de créer une commission d'enquête sur des faveurs réciproques qu'auraient échangées certains magistrats de l'Etat, ou de la Ville, avec le groupe Gaon, a répondu que cela n'était pas opportun.
Non, Mesdames et Messieurs, les représentants socialistes n'ont pas apporté le moindre élément qui aurait pu faire hésiter la commission sur leur thèse de corruption.
Jean-Noël Kapferer, sociologue français, dans son ouvrage «Rumeurs : le plus vieux média du monde», dit, je cite : «Des informations totalement infondées peuvent traverser la société aussi facilement que des informations fondées et déclencher les mêmes effets mobilisateurs». J'ajouterai : les mêmes effets dévastateurs ! C'est dire à quel point, lorsqu'on se risque à accuser quelqu'un, l'on devrait vérifier la vraisemblance de ces accusations, car si elles s'avéraient fausses, elles se transformeraient en diffamation, c'est-à-dire en allégation qui porte atteinte à la réputation et à l'honneur. De mon point de vue, c'est le pire comportement que de jouer gratuitement avec l'honneur de quelqu'un.
Mme Calmy-Rey, dans son rapport, joue la dialectique de l'amalgame et de la suspicion sans aucun élément matériel qui aurait pu nous interpeller. Et, pourtant, nous apprenons, en page 12 de son rapport, que ces éléments existent, je cite : «...des renseignements, des photocopies, des coupures de presse, voire des rumeurs, ont été transmis aux auteurs de la résolution». J'ose dire aux seuls auteurs de la résolution !
Ce Grand Conseil doit savoir qu'aucune photocopie laissant supposer quoi que ce soit ne nous a été ne serait-ce que présentée en commission. Ce comportement est pour le moins léger, et a pour seule conséquence de nous prouver que ces photocopies n'existent tout simplement pas !
La dialectique utilisée par Mme Calmy-Rey dans son réquisitoire est peut-être habile, mais elle est surtout sournoise et malveillante. Elle nous cite nombre d'événements qui, bien que présentés à sa manière, ne sont pas faux, mais aucun - je dis bien aucun - ne relève du domaine de l'illégalité.
De plus, dans l'amalgame du déroulement de ces événements, elle glisse des sous-entendus diffamatoires, selon lesquels il existe bel et bien un risque de corruption. Et si d'aucuns hésitent encore sur cette interprétation qu'ils se reportent aux conclusions de Mme Calmy-Rey, en page 21. Je la cite : «Mesdames et Messieurs les députés, ce ne sont pas les difficultés du groupe Gaon, qui, en soi, nous préoccupent. Ce sont les intrications entre ses intérêts personnels et ceux de la collectivité».
Même si la description du déroulement des événements du deuxième rapport de minorité est sensiblement le même, ses conclusions sont toutes autres. Elles s'inscrivent dans le seul domaine économique. Ce rapport demande, en résumé, quelle est la situation réelle du groupe Gaon, tenant compte des répercussions qu'entraînerait une éventuelle faillite de certaines de ses sociétés. Nous sortons, naturellement, du domaine de compétence de notre Grand Conseil, mais force est de constater que le procès d'intention n'est pas du tout le même. Il ne suit en tout cas pas le registre de corruption mis en avant par le rapport socialiste.
Mesdames et Messieurs, durant tous les travaux de la commission, les auteurs de la résolution se sont évertués à vouloir nous forcer à procéder à l'enquête, alors que notre Conseil nous a demandé d'étudier l'opportunité - et seulement l'opportunité - de la créer.
Mme Calmy-Rey nous reproche de ne pas avoir auditionné M. Robert Ducret, ancien conseiller d'Etat, et de ne pas avoir accepté de débat contradictoire. Non seulement la majorité de la commission a estimé que cette audition relevait d'une commission d'enquête - ce que nous n'étions pas - mais, de plus, en la personne de M. Grobet, nous avions la version d'un ancien conseiller d'Etat, et celui-ci a animé le débat contradictoire. Il a consigné sa version des événements dans le rapport de deuxième minorité cautionné par M. Vanek.
M. Grobet n'est pas particulièrement tendre avec le gouvernement actuel, mais jamais dans ses interventions en commission il n'a laissé sous-entendre qu'un risque de corruption ait pu exister durant ces événements qui se sont déroulés, pour la plupart, alors qu'il était au Conseil d'Etat.
Madame la présidente, Mesdames et Messieurs, j'eusse souhaité, dans cette triste affaire, après les explications données tant par l'Etat que par la Ville de Genève, que les auteurs se rangent du côté de la raison et admettent qu'aucun soupçon ni aucune présomption de corruption n'existent. Et s'ils ont encore, malgré tout, des doutes, qu'ils se rappellent qu'il est préférable d'avoir un doute que de se culpabiliser une fois l'erreur commise, car après c'est trop tard. L'acharnement subi par M. Bérégovoy, ancien premier ministre français, et l'issue tragique qui s'ensuivit devraient pour le moins vous interpeller !
En conclusion, permettez-moi de citer Voltaire : «Attention, huit rumeurs qui ne sont qu'un écho d'un bruit mal fondé peuvent devenir une preuve complète !» La majorité de la commission n'a pas voulu se laisser entraîner sur le terrain marécageux de la rumeur, et vous propose, Mesdames et Messieurs les députés, de rejeter cette résolution. Cette proposition de rejet se veut être le seul reflet de la confiance que nous témoignons à nos magistrats de la Ville comme de l'Etat, car nous les considérons au-dessus de tout soupçon !
Mme Micheline Calmy-Rey (S), rapporteuse de première minorité ad interim. Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, le but de la résolution n'est pas de mettre au pilori un groupe économique ou un citoyen en particulier !
Une voix. Menteuse ! (Rires et quolibets.)
Mme Micheline Calmy-Rey, rapporteuse de première minorité. Il est logique qu'un homme d'affaires privé cherche à protéger ses intérêts, à augmenter ses avoirs et à rentabiliser des parcelles chèrement acquises. Ce n'est pas à lui qu'il appartient de défendre l'intérêt de la collectivité, et il n'est pas en cause dans ce débat.
La responsabilité de défendre l'intérêt de la collectivité est celle dévolue aux autorités élues et, particulièrement, au Conseil d'Etat et au Grand Conseil. Savoir comment des élus, et non des moindres, ont pu confondre à ce point intérêt public et intérêt privé, quels sont les engagements des autorités et des établissements publics dans les affaires du groupe Gaon et ce qu'il en adviendra si le pire s'avère, relève bien de notre responsabilité de parlementaires.
La résolution socialiste avait l'ambition de connaître la situation financière et économique du groupe, de déterminer les mesures à prendre pour garantir les intérêts publics, au vu des difficultés connues, et de traiter d'éventuels dysfonctionnements et responsabilités. De ce point de vue, les travaux de la commission n'ont été que des simulacres de travaux et n'ont pas permis d'avancer dans la connaissance du dossier.
Ce que l'on ne comprend pas, Mesdames et Messieurs les députés de la majorité, c'est cette volonté que vous affichez de ne pas savoir ! Par exemple, de ne pas vouloir entendre des représentants de la Banque cantonale. Dès le départ, le groupe bénéficie de l'appui de la Banque hypothécaire et de la Caisse d'épargne dans l'affaire Sécheron. Nous ne voulons pas nous poser en juges des risques pris par la banque, ni dans cette affaire ni dans aucune autre. Il existe des organes désignés par la loi et des statuts pour cela.
Notre préoccupation est autre. L'opération est discutable en elle-même. Elle renforce un mouvement de hausse des prix du sol qui rend difficile, voire impossible, la construction de logements sociaux. Elle affaiblit l'offre globale en surfaces disponibles pour l'industrie. Puis, l'opération est liée à une décision : le déclassement, décision qui, aujourd'hui encore, n'est pas acquise. Un engagement de cette sorte est, de la part de la banque, un acte politique autant que financier.
Or, la Banque cantonale n'est pas une banque privée n'ayant à se soucier que très vaguement de l'intérêt général. C'est un établissement financier aux mains des collectivités publiques. En outre, les difficultés actuelles du groupe ont très certainement des répercussions sur la gestion par la banque des crédits accordés pour l'achat des terrains de Sécheron. Peut-être cherche-t-elle un autre partenaire, avec d'autres projets ? Là encore la décision est largement politique et concerne l'aménagement de tout un quartier de la ville. Le rôle de la banque devrait pouvoir être connu.
Et si l'irréparable devait se produire, n'est-il pas de notre devoir, Mesdames et Messieurs, d'en prévoir l'ampleur et les mesures de nature à préserver l'intérêt public, afin que ce dernier ne soit pas atteint par les difficultés du groupe ?
Par exemple, la responsabilité du Conseil d'Etat pourrait être engagée. La commission a eu connaissance d'une liste émanant de l'office des poursuites "Arve et lac", datée de février 1995, concernant les sociétés débitrices Noga et Aprofim. Vous l'avez vue, nous l'avons fait circuler en commission, Monsieur Annen ! Dans cette liste, apparaissent, au titre de créanciers, l'Etat de Genève et l'administration fiscale cantonale. Quelles sont les sommes dues par le groupe à l'Etat de Genève et à ses différents services ? Les entreprises du groupe sont-elles à jour avec les cotisations de sécurité sociale et le paiement de la retenue de l'impôt à la source ? Si ça n'était pas le cas, l'Etat a-t-il dénoncé le non-paiement de ces contributions prélevées sur les salaires, comme il a le devoir de le faire ? Je rappelle que le détournement de l'impôt à la source ou des contributions de sécurité sociale est puni pénalement !
Ce que l'on ne comprend pas non plus, en reprenant les épisodes du Noga Hilton, de Sécheron, de la Villa Blanc et du Grand Casino, c'est comment des élus, parfois des corps constitués tout entiers, ont pu confondre à ce point l'intérêt d'un promoteur avec l'intérêt public ! Quels intérêts une conseillère administrative défend-elle lorsqu'elle communique au Conseil municipal et soutient fermement devant lui la décision de conclure une convention d'actionnaires si favorable à la société anonyme du Grand Casino et si défavorable à la Ville de Genève que l'accord est finalement cassé par le Tribunal fédéral ?
Un conseiller d'Etat s'est clairement rangé du côté du promoteur dans l'affaire Sécheron. Un conseiller administratif a négocié le contrat de répartition des bénéfices entre la ville et la société anonyme du Grand Casino qu'il a défendu, par ailleurs, comme député.
Nous n'avons pas la prétention de penser, Mesdames et Messieurs, que ces deux personnes sont les seules à avoir montré beaucoup de compréhension pour les intérêts du groupe. Lors de l'épisode de la Villa Blanc, M. Joye, conseiller d'Etat, a agi de telle façon que Noga Invest a pu démolir la Villa Blanc en toute impunité. L'autorisation de démolir la Villa Blanc a été délivrée le 11 mai dernier.
Première interrogation : la loi n'interdit pas de démolir avant que l'on sache ce qui va être reconstruit, mais la pratique à Genève est différente, et on ne délivre pas d'autorisation de démolir avant de savoir ce que l'on va mettre à la place. Pourquoi ce changement de pratique, dans ce cas précis ?
Deuxième interrogation : l'association "Action patrimoine vivant" a formulé une demande de classement de la villa le 23 juin, demande jugée irrecevable le 11 juillet par le chef du département des travaux publics. La loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites prévoit qu'une demande de classement doit être notifiée au propriétaire, en l'occurrence Noga Invest, et que cette notification ouvre un délai de six mois pendant lequel la villa ne pouvait pas être démolie. La notification a-t-elle été faite ? Sinon, pourquoi ne l'a-t-elle pas été et pourquoi la décision d'irrecevabilité est-elle le fait du chef du département des travaux publics ? En vertu de la loi, il appartient au Conseil d'Etat de bloquer la situation et de décider.
Ce que nous ne comprenons pas, Mesdames et Messieurs, c'est l'incapacité de certains élus à définir et à défendre l'intérêt public. Ce sont les intrications entre les intérêts d'un homme d'affaires et ceux de la collectivité publique. Ces intrications ne sont pas des affabulations, mais bien des faits !
M. Pierre Vanek (AdG), rapporteur de deuxième minorité. Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, M. Annen a conclu son intervention en indiquant que le rejet de cette proposition du parti socialiste serait le seul reflet, je cite : «...de la confiance que nous faisons à notre gouvernement». Vous ne serez pas surpris que nous ne partagions pas cette foi implicite de M. Annen et de ses confrères dans le gouvernement en question ! Nous sommes un peu plus critiques que cela.
M. Annen a commencé son intervention par un long plaidoyer sur la rumeur, sur les dangers et les dégâts que celle-ci pouvait provoquer. Cette démonstration était fort intéressante et tout à fait fondée. La rumeur est détestable, mais M. Annen a omis de dire que le terrain sur lequel les rumeurs se développent c'est évidemment le manque de transparence, le manque d'informations et le fait que les gens ne savent pas à quoi s'en tenir. Notre rapport, en conclusion, insiste sur le fait que c'est le secret maintenu sur la situation réelle du groupe Gaon qui est l'aspect le plus désagréable de cette affaire, tenant compte des répercussions qu'un éventuel naufrage de ce dernier pourrait avoir pour Genève.
La condition évidente pour faire taire les rumeurs dans une telle affaire est, bien évidemment, une pleine transparence sur la situation du groupe Gaon, la gestion de ses affaires et sur les rapports avec les pouvoirs publics pendant la période concernée, évoquée par ma préopinante. M. Annen a indiqué que les faits étaient présentés à notre manière, ce qui est bien normal, mais qu'ils n'étaient pas faux. Il a également déclaré tout à l'heure qu'il n'était pas de la compétence de notre Grand Conseil de connaître les faits. Dans nos débats avec les députés d'en face, cela finit toujours comme cela !
On se heurte à des questions de forme, mais, pour ce qui est du fond, politiquement, il est clair que nous revendiquons - nous le disons dans le rapport - une transparence infiniment supérieure à celle qui existe quant à la situation financière des sociétés ou des entreprises. Eu égard aux institutions telles qu'elles existent, ce n'est effectivement pas un droit acquis, mais c'est une évidente nécessité démocratique. Nous devons pouvoir savoir ce qui se passe quand des sommes considérables sont mises en jeu par des entreprises ou des groupes qui jouent avec l'emploi et les conditions d'existence de dizaines de milliers de personnes. C'est ce point que je veux souligner.
M. Annen entretient le terrain de cette rumeur qu'il réprouve en disant que, pour sa part, il fait confiance au gouvernement, que cette affaire ne relève pas de la compétence du Grand Conseil et qu'il ne faut pas en parler. Evidemment, des faits de ce type devraient être communiqués aux citoyennes et aux citoyens de ce canton ! Tant que cela ne sera pas le cas, et bien la rumeur se développera par la faute de ceux qui refusent cette transparence.
S'agissant de la création de cette commission d'enquête parlementaire, nous avons soutenu cette proposition socialiste. Eu égard à la composition de ce parlement, à la volonté de cacher un certain nombre de choses et vu la manière dont vous traitez les dossiers, on peut effectivement se demander si une telle commission pourrait faire son travail correctement ! Ne lui opposerait-on pas immédiatement toute une série de considérations sur le secret commercial, bancaire, la vie privée, etc., ce qui l'empêcherait, justement, de travailler ? Néanmoins, nous soutenons cette proposition.
Vous n'avez pas eu beaucoup de courage politique, Messieurs les députés de la majorité, par rapport à cette proposition du parti socialiste ! Cette commission aurait pu être créée, mais vous n'avez même pas eu le courage de la rejeter ! (L'orateur est interpellé par M. Annen.) Non, Monsieur Annen ! Vous permettez ! Vous avez jugé utile, pour des raisons que l'on peut imaginer - je ne développerai pas cet aspect des choses maintenant - de créer une commission ad hoc pour savoir s'il y avait lieu de créer une commission d'enquête ! Alors pourquoi ne pas multiplier les étapes et demander la création d'une commission pour savoir s'il est opportun de créer une commission, pour passer à l'enquête !
Vous auriez dû, au moment de ce débat, dire que vous ne vouliez pas que notre parlement mette son nez dans les affaires du groupe Gaon, sous prétexte que cela ne relevait pas de notre compétence. Les choses auraient été plus claires. Mais vous avez voulu tout embrouiller en créant cette précommission et en lui refusant les moyens de faire son travail, soit d'entendre des personnes et de consulter des documents pour mener l'enquête.
Dans votre rapport, Monsieur Annen, vous indiquez, en page 2, je cite : «...que la commission d'enquête a tenté de se forger une intime conviction sur les soupçons du parti socialiste...». En page 8 vous évoquez le fait que : «...aucun semblant de preuves du contraire n'a été apporté en commission...». Il semble évident que pour avoir des preuves ou pour se forger une "intime conviction" il faut avoir fait un travail d'enquête. Vous l'avez refusé, par le biais même du traitement que vous avez accordé à la résolution du parti socialiste consistant à ne pas l'accepter mais à la renvoyer à une commission ad hoc, qui avait pour mission de ne pas faire d'enquête et, surtout, de ne pas faire de vagues pour présenter à ce parlement une conclusion similaire à la vôtre !
En page 8 du rapport de majorité, vous indiquez que vous ne vous êtes jamais montrés indifférents aux implications sociales difficiles que pourrait entraîner la faillite du groupe de M. Gaon. Vous êtes prêts à sortir vos mouchoirs pour pleurer, le cas échéant, mais vous n'avez pas le courage de donner les moyens aux citoyens de savoir ce qu'il en est de la situation de ce groupe. Je trouve donc votre attitude bien hypocrite ! Pourtant une telle mesure serait nécessaire pour évaluer et réfléchir sur les conséquences d'une éventuelle faillite. Cela nous permettrait d'en tirer les conséquences sur le plan de la politique à mener par les pouvoirs publics.
Maintenant, pour ne pas prolonger ce débat, je ne reviendrai pas sur certains éléments évoqués par notre collègue Mme Micheline Calmy-Rey. Ils figurent également dans notre rapport, je veux parler des faveurs qui auraient effectivement été accordées au groupe Gaon. Cela fait l'objet d'une intime conviction de notre part, et nous aurons l'occasion de revenir sur cette question en apportant des éléments à l'appui de ces affirmations.
M. Max Schneider (Ve). Je n'évoquerai pas M. Bérégovoy et je ne citerai pas M. Voltaire, mais s'il y avait un certain flou au début des travaux de cette commission, il semble qu'il s'est largement amplifié à la fin de ceux-ci ! Si un jour Genève était saisie par une grave affaire financière avec trafic d'influences, je crois que nous n'arriverions à rien en commission. C'est mon sentiment le plus profond !
Je pensais que nos collègues socialistes apporteraient des preuves en commission. Malheureusement, les preuves n'étaient pas disponibles, mais alors, on aurait pu souhaiter, avec l'accord des partis de droite, obtenir l'audition des journalistes ou des personnes qui avaient fourni la matière des articles de journaux et des revues. Eh bien, non ! Vous n'avez pas voulu les entendre ! Nous aurions également pu auditionner le directeur de la Banque cantonale. Cela a été refusé par des députés de droite et, étonnamment, également par un député de l'Alliance de gauche. Je suis tout simplement surpris d'un tel refus.
Je vais terminer par du "flou", car vraiment c'était une commission de "flou" qui ne nous a pas éclairés. Je ne sais pas si M. Gaon ou le Conseil d'Etat ont une responsabilité quelconque dans cette histoire, mais je trouve que quelque chose ne sent pas bon ! On parle aussi d'un arrosage de tous les partis présents, sauf le parti "écolo" et l'Alliance de gauche ! Il faut bien constater que le silence est de mise dans cette affaire. Je demande donc à ce que les preuves écrites, si elles sont à la table des rapporteurs, figurent au Mémorial.
M. Chaïm Nissim (Ve). J'ai passé pas mal de temps sur cette affaire pour toutes sortes de raisons psychologiques et personnelles. Je me suis notamment souvenu de mon ancien collègue Andràs November et de la bagarre qu'il a menée, il y a de cela quatre ou cinq ans, à l'époque du déclassement de terrain. Cette affaire m'avait déjà touché à l'époque et elle me touche encore. D'autres raisons m'ont également poussé à m'intéresser à cette affaire sur laquelle j'ai passé beaucoup de temps, je le répète.
J'en suis arrivé à trois réflexions que j'aimerais vous faire partager.
Première réflexion : Cette affaire ne devrait pas s'appeler l'affaire Gaon, mais "l'affaire du trou de 135 millions" ! Cela dépersonnalise un peu les choses.
M. Christian Grobet. C'est plus !
M. Chaïm Nissim. Oui, c'est certainement plus, Monsieur Grobet, vous avez raison ! J'ai pris le chiffre le plus bas pour ne pas être accusé d'avoir exagéré les chiffres. En tout cas il s'agit de beaucoup de millions !
Deuxième réflexion. Imaginez un petit matin brumeux et froid d'automne dans une forêt du Jura et un trou très profond, dans lequel il n'y a rien du tout. Tout au fond est écrit : «Ci-gisent les 135 millions !»
Une voix. C'est un paradis "écolo" !
M. Chaïm Nissim. Au bord du trou, imaginez vingt personnes nues...
Des voix. Oohhhh !
M. Chaïm Nissim. ...qui se tiennent toutes par les bras. Ce sont les dirigeants d'ABB, M. Grobet... (Rires.) ...Nessim Gaon, enfin, les principaux participants de cette affaire. Personne ne veut pousser son voisin dans le trou, parce qu'il sait très bien que s'il le pousse, son voisin entraînant tous les autres, il tombera lui aussi dans le trou ! C'est ce qui s'est passé dans d'autres cantons suisses, par exemple, dans l'affaire Dorsaz, en Valais; c'est ce qui s'est passé dans l'affaire de la BCV-Créd. Certains ont poussé leurs voisins dans le trou, et, pour finir, ils se sont tous retrouvés dans le trou ! (Rires.)
Une voix. Pourquoi sont-ils tout nus ?
M. Chaïm Nissim. Vous avez raison de me poser la question. Elles sont toutes nues pour montrer qu'elles n'ont rien dans les mains ni dans les poches. C'est une image pour démontrer qu'elles ne sont pas responsables de détournement et qu'elles sont honnêtes. Les lettres que ces vingt personnes se sont envoyées les unes aux autres figurent dans des rapports officiels. Il n'y a rien de secret.
Malheureusement, ce qui est important c'est que ce n'est pas le seul trou. Il y en a d'autres ! Nous avons reçu dernièrement un promoteur immobilier - certains diront un spéculateur - à la commission de l'aménagement. Il nous a dit qu'il avait emprunté 10 millions à la Banque cantonale pour acheter un terrain, dont il espérait le déclassement. Cela ne s'est jamais fait, et, le temps passant, il s'est trouvé devoir des intérêts intercalaires, soit une somme de 33 millions pour ce terrain. M. Barro s'est livré à un petit calcul en divisant la somme par la surface du terrain. Il est arrivé à la conclusion que, pour rentrer dans les 33 millions qu'il doit à la Banque cantonale, il faudrait qu'il puisse vendre ce terrain 3 600 F le m2. Or, c'est un terrain industriel qui vaut "à tout casser" 200 F le m2 !
Voilà une personne à laquelle la Banque cantonale a prêté beaucoup d'argent, prenant ainsi de gros risques. Cette personne nous a dit très honnêtement que deux solutions se présentaient : ou le terrain est déclassé pour permettre la construction et le remboursement partiel de sa dette, ou le terrain n'est pas déclassé, le faisant plonger lui, mais aussi la Banque cantonale et ceux qui sont impliqués avec !
L'histoire de Magnin est également passionnante. Il a réussi à emprunter 400 millions dans une banque et 500 millions dans une autre, sans que l'une ou l'autre banque ne soit au courant, et, aujourd'hui, il se retrouve à la tête - si l'on peut dire - d'une dette de 900 millions, dont personne ne sait comment il va faire pour pouvoir rembourser. Ce n'est qu'un trou parmi d'autres, je vous le redis : ils sont nombreux.
Je vais vous raconter comment j'ai vécu la scène des vingt personnes qui se tiennent au bord du trou. (Rires.)
Une voix. Habillées !
M. Chaïm Nissim. Non, toutes nues !
Je commence par les dirigeants d'ABB qui veulent vendre leurs terrains très cher pour reconstruire une usine ailleurs, à la Zimeysa. Comme l'a dit mon ami November - et personne ne l'a nié - ils veulent faire aussi de coquets bénéfices, et on les comprend !
M. Gaon, lui, veut les acheter très cher, avec l'argent de la Banque cantonale, ce n'est pas le sien, mais il veut des garanties. En effet, il veut être sûr d'obtenir le déclassement et les dérogations nécessaires pour pouvoir construire avec une densité de 2,5, histoire de rentrer dans son argent. Ce monsieur n'est pas fou !
La BCG veut prêter cet argent, mais, également, avec des garanties que M. Gaon pourra construire. Et elle les obtient.
Le Conseil d'Etat veut sauver les emplois, il accorde les garanties et promet. Une série de lettres l'atteste.
Christian Grobet, personnage fascinant... (Rires.) ...donne, à un moment donné, son accord pour ce projet, notamment celui des "bananes", ainsi appelé parce que les immeubles étaient un peu courbes, en forme de banane. Mais, ensuite, il le refuse. J'aimerais beaucoup savoir - on me l'a raconté; nous pourrons le vérifier, et je vous entendrai tout à l'heure à ce sujet avec beaucoup d'intérêt - si votre refus a été lié à des considérations morales, ce que je pourrais personnellement très bien comprendre, car cela aurait consisté à entériner une spéculation avec un bien appartenant en partie à l'Etat. Ou alors, était-ce - suggestion également intéressante - une autre motivation qui serait moralement moins belle, soit la volonté d'urbaniser ce coin vous-même, vous prenant pour l'architecte cantonal ? (Rires et applaudissements.) Mais vous pourrez donner votre version tout à l'heure !
En définitive, rien ne se passe. Cet investissement était purement spéculatif. Rien n'a été construit. Ce n'est du reste pas seulement de votre faute, la Ville y étant pour quelque chose, sans oublier la crise et plusieurs autres éléments qui entrent aussi en ligne de compte.
Troisième réflexion. Avec tous ces trous qui se sont creusés, que devons-nous faire, à l'avenir, pour empêcher la formation d'autres trous ? Ma première idée, un peu naïve, consistait à abolir la propriété privée du terrain. Mais mon excellent collègue, M. Koechlin, m'a fait très justement remarquer que, lorsque les choses n'appartiennent à personne, personne ne s'en occupe. La propriété est une motivation nécessaire. Alors, puisqu'on ne peut pas l'abolir, quelles limitations doit-on fixer, afin que les gens soient suffisamment motivés pour entretenir leurs biens - cela peut concerner autre chose que des terrains - et qu'ils ne soient pas tentés de spéculer sur des centaines de millions, en devenant complètement fous !
Une idée toute simple m'est venue, idée soutenue depuis longtemps par les "écolos" : les petites coopératives d'habitation. (Manifestation.)
Une voix. Ce sont les pires spéculateurs qui existent !
M. Chaïm Nissim. Elles ont un droit de superficie sur un terrain pour une période d'environ cinquante ans. Elles se sentent assez concernées pour entretenir la propriété comme il faut, mais pas assez pour être tentées de la revendre à des fins spéculatives.
Une voix. Tu parles !
M. Chaïm Nissim. Maintenant que les prix se sont "cassé la figure", ce serait peut-être le moment pour nous de reconstruire sur des bases nouvelles, en limitant la propriété privée.
Je voulais simplement remercier nos amis du parti socialiste d'avoir osé poser cette question. Cela n'était pas facile à faire devant ce "bloc homogène" qui refuse de se poser des questions... (Réprobation de l'Entente.) ...et je crois, quant à moi, qu'une telle commission d'enquête devrait être créée. Nous pourrions, ainsi, non pas précipiter les gens dans le trou, car ce n'est pas le but de l'opération, mais étudier ensemble les mesures à prendre pour que des trous pareils ne se reproduisent pas !
M. Jean-François Courvoisier (S). Je tiens à remercier le président Jean-Philippe Maitre de son intervention de dernière heure, lors de la précédente séance de notre parlement. Cette intervention, par sa sagesse, nous permet aujourd'hui d'aborder ce grave problème sans précipitation et avec la sérénité nécessaire.
Cela dit, nous ne pouvons nous satisfaire du rapport de majorité. L'énoncé des faveurs dont a bénéficié le groupe Gaon et qui figure dans les rapports de minorité de Mme Micheline Calmy-Rey et de M. Pierre Vanek fait naître de sérieux soupçons de corruption. Le mot de "corruption" ne nous semble pas trop fort, et c'est bien la définition du dictionnaire que nous rejoignons lorsque nous parlons de "corruption" ! M. Gaon peut, par son aide aux campagnes électorales des partis de l'Entente, avoir corrompu certains élus de ces partis, qui peuvent avoir manqué à leur devoir en accordant des avantages injustifiés au groupe Gaon qui les a soutenus.
Le rapporteur de majorité se demande pourquoi un tel acharnement contre M. Gaon. Je puis vous assurer que nous n'avons aucun acharnement contre ce personnage !
Une voix. Non, tiens ! (Rires.)
M. Jean-François Courvoisier. Pour nous, socialistes, l'argent doit être la contrepartie d'un travail utile. Bien que la fortune de M. Gaon peut sembler à certains provenir de spéculations qui, quoique légales, n'en sont pas moins immorales dans notre éthique, car elles renchérissent le coût de la vie sans pour autant fournir aucune contrepartie, nous n'avons pas de raison particulière d'en vouloir à M. Gaon qui n'est pas le seul dans ce cas.
Nous ne sommes pas non plus jaloux de sa réussite au moment où son empire financier semble sur le point de s'écrouler. Je ne pense pas non plus, comme le suppose le rapporteur de majorité, que vous trouviez dans nos rangs des créanciers du groupe Gaon en mal d'être payés ou des débiteurs de ce même groupe en mal de payer leur dû !
Il ne s'agit pas non plus pour nous d'un règlement de compte politique. Si nous demandons cette enquête ce n'est que pour accomplir notre devoir de député. Si nos soupçons s'avéraient injustifiés, nous en serions les premiers heureux. Mais le fait que la majorité de la commission s'oppose à cette enquête ne peut que renforcer nos soupçons. Cette majorité nous reproche de ne pas apporter de preuves à nos accusations, mais je ne pense pas que la justice attende d'avoir des preuves pour entreprendre une enquête. Il lui suffit d'avoir des soupçons, soupçons qui sont les nôtres aujourd'hui.
Dans son souci de transparence, la résolution 284-A va dans le même sens que le projet de loi 7281, déposé par l'Alliance de gauche. Ce projet défend un principe qui, dans le contexte actuel, semble s'adresser au groupe Gaon, mais qui, en réalité, ne vise pas particulièrement un parti politique ou une personne.
Je me souviens assez de mon père et de ses amis libéraux qui prétendaient que la campagne électorale du parti du Travail était financée par l'URSS et que les députés de ce parti ne pouvaient pas accomplir leur devoir, car ils étaient aux ordres de Moscou ! «Qui paye commande !», disaient-ils. L'acceptation de ce projet de loi permettrait de voir, lors des différents votes de notre parlement, si des députés sont influencés ou non par les personnes ou les entreprises qui ont soutenu leur campagne électorale.
En ce qui concerne la résolution 284-A, nous sommes persuadés que, loin de nuire à la confiance dont jouit la Banque cantonale et quel que soit le résultat des investigations de la commission d'enquête, celle-ci serait la garantie qu'il n'y a rien à cacher dans les activités de cette banque.
Après la débâcle de la Banque vaudoise de crédit, on peut estimer que cette garantie ne serait pas superflue.
Je vous recommande donc, Mesdames et Messieurs les députés, de vous rendre indépendants de votre appartenance politique et de soutenir la résolution 284-A, car elle n'a pas d'autre but que celui de «...servir le bien de notre patrie qui nous a confié ses destinées», comme nous le fait promettre, au début de chaque séance, notre gracieuse présidente.
M. Claude Blanc (PDC). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, en tant que président de la commission qui avait été créée pour examiner le projet de résolution du parti socialiste, je vous en rappelle tout de même le but : elle demandait à notre parlement de constituer une commission parlementaire, afin d'enquêter sur les rapports du groupe Gaon avec l'Etat, la Ville et la Banque cantonale et toutes les autres entités de droit public et de présenter ses observations à propos des responsabilités qui pouvaient être engagées.
Je rappelle aussi ses considérants et notamment les suivants : «vu les imbrications très étroites des intérêts privés de M. Gaon avec certains intérêts publics ainsi que les risques de confusion qui en découlent», «attendu qu'il convient de distinguer le juste rôle économique de l'Etat en faveur d'entreprises en difficulté de toutes faveurs personnelles ou autres passe-droits». Il s'agissait, en réalité, Mesdames et Messieurs les députés, de déterminer s'il convenait de constituer une commission d'enquête pour savoir si des sociétés du groupe Gaon avaient pu bénéficier d'avantages indus ou de passe-droits de la part de responsables des pouvoirs publics ou de la Banque cantonale. Il ne s'agissait que de cela ! Il faut bien se le rappeler, car nous avons débordé sur toutes sortes d'autres sujets !
Alors, à la commission chargée d'étudier cette résolution, en toute objectivité, il a été demandé plusieurs fois - et M. Schneider l'a lui-même demandé - de fournir des pistes pour examiner s'il y avait au moins une présomption. En effet, on ne peut pas ouvrir une enquête sans la moindre présomption de malhonnêteté, car c'est bien la malhonnêteté des pouvoirs publics que l'on veut débusquer ! M. Schneider a demandé, à plusieurs reprises, aux socialistes de bien vouloir en dire un petit peu plus pour laisser apparaître des présomptions qui justifieraient la constitution d'une commission d'enquête. Or, nous attendons toujours ces présomptions. Nous n'avons strictement rien obtenu qui ait pu nous mettre sur une piste !
Nous n'avons obtenu que des élucubrations sur les activités du groupe Gaon. Nous avons entendu parler des risques que l'économie genevoise encourrait si les sociétés du groupe Gaon se trouvaient en faillite. C'est tout à fait vrai, mais le problème n'est pas là aujourd'hui. C'est un problème à régler entre la justice civile et le groupe Gaon. Nous n'avons pas à nous mêler de cela. Nous nous sommes rendu compte, au fur et à mesure de nos travaux, que autant on craignait pour la République la faillite du groupe Gaon autant on la souhaitait pour des raisons politiques ! On a tout dit à ce sujet.
Vous avez dit, Madame Calmy-Rey, des choses épouvantables ! Vous avez même voulu essayer de retirer vos propos du procès-verbal, car vous vous êtes rendu compte qu'emportée par votre haine vous aviez dit n'importe quoi ! Mais c'est trop tard, maintenant ! Le procès-verbal est imprimé, et je lis ceci, par exemple, de votre bouche, Madame Calmy-Rey : «Il y a quantité de rumeurs autour de la personnalité de M. Gaon qui a déjà eu des difficultés financières au Nigeria, en 1985. Sa façon de régler le problème a été de faire enlever le ministre du Nigeria à Londres». Voilà ce que nous avons entendu en commission ! Cette information peut peut-être intéresser la justice britannique ou celle du Nigeria, mais cela ne nous mettait pas sur la piste d'une quelconque responsabilité du Conseil d'Etat, du Conseil administratif ou de la Banque cantonale. Je vous le répète, nous n'avons entendu que des élucubrations sur le groupe Gaon !
Venons-en maintenant à cela, puisqu'il n'a été question que de cela ! A la fin des travaux, la commission a conclu, comme elle le devait, puisque, malgré les injonctions, il n'est rien apparu, comme M. Annen l'a fort bien rapporté.
En tant que président de cette commission, j'ai été abordé par un certain nombre de journalistes qui m'ont demandé mes impressions sur ces débats et la manière dont j'avais ressenti autant de haine focalisée sur un seul homme. J'avoue que cela ne m'était pas venu à l'esprit, mais la question ayant été posée, je me suis dit qu'il y avait effectivement un problème. Personnellement, je ne connais pas cet homme. Je ne l'ai jamais rencontré, par conséquent, je ne peux rien en dire. Je ne peux me faire une opinion que par ce que j'ai pu lire ou entendre dire.
Cet homme faisait partie d'un certain nombre d'acteurs de la vie économique à Genève, au temps des années "folles", les années 1980, lorsque l'argent était facile, lorsque l'Etat encaissait de l'argent "gris", comme l'appelait M. Robert Ducret, c'est-à-dire l'impôt sur les bénéfices immobiliers, qui, malheureusement, nous manque cruellement aujourd'hui. Enfin, nous n'allons pas le regretter, mais en attendant il n'est plus là, et cela ne nous aide pas à boucler notre budget !
C'était une époque où il y avait plus d'emplois que de logements, où les socialistes disaient qu'il ne fallait pas créer un nouvel emploi sans obliger la société à procurer un logement en parallèle. Cela figurait dans une motion "Richardet", inspirée par Grobet à l'époque... (Rires.) Il fallait brider à ce point l'économie qu'on ne pouvait pas créer d'emplois sans, simultanément, créer les logements correspondants. Voilà où nous en étions à cette époque ! On ne se posait pas de question, mais cela n'était pas trop pesant, parce que la vie était facile. On pouvait réaliser nos fantasmes, nos projets et améliorer la vie sociale de ce canton, puisque l'argent circulait sans problème et nous ne nous posions pas trop la question de savoir d'où il venait. De temps en temps, quelqu'un disait bien que cet argent, encaissé avec des bénéfices extraordinaires, devrait être mis de côté. Mais les plus dépensiers ne sont pas sur nos bancs !
J'ai réfléchi à la question posée par les journalistes pour savoir comment un homme pouvait focaliser autant de haine sur sa personne. Pour cela, je suis remonté assez loin dans l'histoire...
Une voix. Avant Jésus-Christ !
M. Claude Blanc. Oh, bien avant Jésus-Christ ! Treize siècles, approximativement, avant Jésus-Christ : je suis remonté au Lévitique - je ne sais pas si vous savez ce que c'est ? Le Lévitique est un des cinq premiers livres de notre Bible qui constituent ce que l'on appelle le "Pentateuque" et qui correspond exactement à la Torah des Juifs. Au chapitre XVI, versets 21 et 22 du Lévitique, il est dit, je cite : «Aaron impose les deux mains sur le bouc tiré au sort. Il confesse sur lui toutes les fautes d'Israël et toutes leurs révoltes - c'est-à-dire tous leurs péchés - et il les met sur la tête du bouc. Puis, il l'envoie au désert. Le bouc emporte sur lui toutes leurs fautes vers une terre stérile».
Le bouc émissaire, Mesdames et Messieurs les députés, le voilà donc : treize siècles avant Jésus-Christ ! Cette scène s'est passée un jour que les Juifs d'aujourd'hui commémorent toujours, trente-trois siècles après, le jour du Yom Kippour, qui a été célébré la semaine dernière.
Dans le dictionnaire on trouve la définition du "bouc émissaire" : «Expression employée à propos d'un homme désigné par la société ou un groupe pour être le coupable qu'il faut bannir ou exécuter à la place des vrais fautifs. Il paye pour tout le monde». Eh bien voilà ce que vous voulez faire ! Il m'est venu à l'esprit que depuis trente-trois siècles il y a eu des quantités de boucs émissaires, que ce soient des personnes dont on a chargé la conscience de tous les maux dont on souffrait, ou, plus grave, que ce soient des groupes à qui on a attribué toutes les calamités dont le peuple souffrait.
Arrivé à ce point de mes réflexions, Mesdames et Messieurs les députés, j'ai commencé à prendre peur, parce que j'ai vu réapparaître ce vieux vice de l'humanité qui a déjà fait couler tant de sang et qui consiste, en période de difficultés qu'on n'arrive pas à solutionner, à rendre un tiers responsable pour le faire expier ! A chercher à focaliser sur un seul homme la haine que vous avez d'un certain type de société, vous réanimez ces vieux démons et vous prenez la responsabilité de ce qui pourrait arriver si on vous suivait ! (Applaudissements.)
Mme Erica Deuber-Pauli (AdG). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je vais essayer de revenir à l'actualité.
Il ne fait évidemment pas de doute que M. Nessim Gaon a créé deux empires économiques : Noga Invest et Aprofim qui ont pour base Genève et dont la déroute affecte non seulement l'économie genevoise mais encore la réputation de Genève, en Suisse et dans le monde.
D'un côté, M. Gaon a été le principal partenaire économique de la dictature militaire du Nigeria pendant des années. Il a fourni du riz au Nigeria, qui n'est pas autosuffisant en matière alimentaire, et il a commercialisé le pétrole du Nigeria, principale richesse de ce pays. Cela n'a pas duré et cela a été le premier coup d'arrêt du groupe.
De l'autre côté, M. Gaon a développé les affaires immobilières à Genève, dont l'opinion publique s'est même un temps alarmée. Je me souviens personnellement d'une "course d'école" du Grand Conseil. Nous nous trouvions dans le train avec quelques conseillers d'Etat et nous commentions ces achats. Certains conseillers d'Etat disaient leur inquiétude. Les affaires les plus célèbres sont celles de la démolition d'immeubles de la rue Plantamour, en échange de laquelle devaient se construire des HLM jamais réalisés, l'achat au prix que l'on connaît des terrains de Sécheron, qui a rendu impossible un aménagement serein de cette intéressante zone urbaine de Genève à proximité du lac, et, enfin, la démolition abusive et absurde d'une maison de maître du XVIIIe siècle, qui figurait parmi les quelques vestiges de ce type de maisons subsistant encore en ville.
Aujourd'hui ces empires économiques de M. Gaon sont sous administration judiciaire, et, s'agissant de Noga Invest, le Tribunal de commerce vient d'ajourner la faillite et de nommer des curateurs. Cette mesure démontre, à l'évidence, que les deux empires Gaon sont à bout. Si ceux-ci devaient s'écrouler, les banques genevoises, et notamment notre Banque cantonale, perdraient des millions et des centaines de personnes seraient privées de leur emploi. Nous sommes donc bien devant un cas extrêmement grave qui intéresse l'opinion publique.
J'aimerais m'expliquer un peu plus sur ce point. Il ne s'agit pas pour moi de porter des jugements, de désigner M. Gaon comme bouc émissaire ou, encore, de discuter des hypothèses, fondées ou non, de créances russes. M. Gaon dit ou non la vérité, cela ne relève pas de ma compétence. Je ne m'intéresse pas particulièrement, non plus, aux versements ou autres dons faits par M. Gaon à tel ou tel parti ou association.
En revanche, ce qui relève de notre devoir d'élus, c'est bien qu'à travers une commission parlementaire nous fassions un peu de lumière sur cette situation périlleuse et ses ultimes conséquences. L'opinion publique, aujourd'hui, ne comprendrait pas, alors que la faillite frappe de nombreuses petites et moyennes entreprises, alors que de nombreuses personnes perdent leur emploi, que, nous, députés, ne fassions pas notre travail, tel qu'il est impliqué par notre mandat.
Celles et ceux qui voteraient ce soir en faveur des conclusions du rapport de majorité se déroberaient à leur devoir de député. Ils laisseraient planer le doute sur les raisons qui les poussent à jeter un voile pudique sur les pratiques du monde des affaires, ces pratiques que quelqu'un a qualifié de "folles", particulièrement dans les années 1980, qui n'ont plus connu aucune limite en termes de bien public ou d'intérêt général, en particulier, dans le domaine de la spéculation immobilière et foncière.
Je conclurai en affirmant qu'une commission d'enquête est d'autant plus nécessaire que, jusqu'à présent, toutes les informations publiques, tous les débats ouverts, ont été muselés par des plaintes pénales émanant de M. Gaon. La télévision romande en a fait les frais, comme la «Tribune de Genève», un journaliste zurichois, un procureur général adjoint, un conseiller national socialiste, et ces expériences, je vous prie de le croire, ont amoncelé progressivement une chape de silence sur l'ensemble des pratiques qui ont entouré le groupe Gaon. C'est une raison supplémentaire de vouloir une commission d'enquête !
Il y a le secret bancaire, il y a la séparation des pouvoirs, il y a la répression sur le débat public. Alors, Mesdames et Messieurs les députés, vous acceptez d'être réduits au silence ! Il faudrait dire de quoi vous avez peur ! C'est un triste destin de cette fin de siècle pour la vieille démocratie genevoise que d'assister à cette crainte de soulever le voile sur des pratiques qui interrogent l'opinion publique, dont on parle et dont on ne peut parler, Monsieur Annen, qu'en faisant circuler des rumeurs, parce que tout simplement les détenteurs de l'information, ceux qu'une commission d'enquête parlementaire aurait pu interroger, n'ont pas été convoqués pour être auditionnés et que vous avez décidé de renoncer à le faire !
Je vous remercie par avance de changer d'opinion.
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). J'aimerais d'abord remercier M. Blanc pour sa psychanalyse historico-religio-accusatrice, et je m'engage à aller ce week-end me confesser et à inviter le groupe socialiste à se joindre à moi ! (Remarques.)
Je voudrais développer quelques points plus spécifiques, puisqu'il a été question ici, à plusieurs reprises, de "rumeurs". Alors, parlons de faits précis. Je pense à l'affaire du casino, qui, dès le départ - on a pu le constater - a fait l'objet d'un soutien inconditionnel de certaines personnes qui étaient alors en place tant au Conseil administratif de la Ville de Genève qu'au Conseil d'Etat. Les événements se sont succédé et ont soulevé, à chaque fois, le même type de question : pourquoi de telles faveurs ?
Rappelez-vous ce qui s'est passé, au début, en 1989, sous l'impulsion de M. Haegi. Avant même d'obtenir le feu vert du Conseil municipal et du Conseil d'Etat, le Conseil administratif signait la cession de la totalité du capital-actions à la société anonyme de M. Gaon ! Certes, le casino allait mal financièrement. Mais, pourquoi le Conseil administratif ne s'est-il alors pas posé la question de savoir comment agir pour faire remonter la pente au casino ! A cette époque déjà, on savait fort bien que des bénéfices très importants pouvaient être réalisés par l'exploitation de machines à sous. L'expérience des pays voisins était là pour nous le prouver.
D'ailleurs, M. Haegi le savait fort bien, puisqu'il disait lui-même que le seul moyen de remettre le casino à flot était d'installer des machines à sous. De son côté, M. Gaon réfléchissait, lui aussi, à son intérêt et acceptait de reprendre le capital-actions, pour autant qu'il puisse exploiter des machines à sous. Il en avait bien vu l'intérêt !
Donc tout le monde savait, à l'exception, semble-t-il, du Conseil administratif de la Ville, que ces machines à sous auraient pu rétablir la situation du casino. Malgré cela, on a fait le choix de tout céder à M. Gaon.
Et M. Gaon, semble-t-il, méritait encore mieux que cela ! En effet, M. Haegi, alors également député, intervenait au Grand Conseil, afin que l'exploitation des machines soit octroyée au seul casino. Non seulement on voulait faire un cadeau à M. Gaon mais encore fallait-il lui en donner l'exclusivité à Genève ! On peut encore préciser que, lorsque cette demande a été faite au Grand Conseil par le député Claude Haegi, elle était appuyée simultanément par une requête du président de la société d'exploitation du casino, qui n'était autre que M. Claude Haegi...
Ne me faites pas croire, Mesdames et Messieurs les députés, que vous appelez cela des "rumeurs" ou des "coïncidences" et que tout cela vous semble fortuit ! Nous appelons cela des "faits" et du "favoritisme". Voilà pour la première phase.
La deuxième phase est du même acabit. La Ville de Genève, toujours sous l'impulsion de M. Haegi, puis de Mme Rossi, conclut une convention d'actionnaires avec la société de M. Gaon, manière détournée de privatiser le casino, puisque le Conseil d'Etat s'y opposait ! Quant au contenu de l'accord - c'est encore mieux - il précise que M. Gaon, en ne possédant qu'une action sur deux cents, soit 0,5% des actions, touchera 60% des recettes semi-brutes ! Il y a dans cette salle plusieurs experts financiers. Il faudra qu'ils m'expliquent comment procéder, en tant que simple citoyenne, pour me retrouver avec un contrat aussi favorable entre les mains ? Et pourtant, tel a été le cadeau offert à M. Gaon !
Mesdames et Messieurs les députés, l'essentiel n'est pas là. Le plus grave est que ces cadeaux ont été faits au détriment de la collectivité publique. Les millions touchés par M. Gaon au casino auraient dû revenir à la ville et à ses contribuables. C'est cela que nous n'acceptons pas et c'est cela que nous dénonçons !
Depuis le dépôt de notre résolution, vous nous reprochez de ne pas fournir de preuve, ni d'indice permettant de porter des accusations ! Qu'auriez-vous voulu : des lettres, des documents attestant de ces complaisances ? Les faits que je viens d'évoquer sont suffisamment parlants et ils expliquent, à eux seuls, notre inquiétude sur certains fonctionnements. Au surplus, si preuves concrètes il y avait sur la table, ce n'est pas devant le Grand Conseil que nous aurions dû amener ce débat mais devant la justice !
Nous avons, quant à nous, de nombreuses questions à poser, face à cette situation. Nous sommes inquiets des imbrications très étroites qui existent entre les intérêts privés de M. Gaon et les intérêts publics, dont nous avons à nous soucier à juste titre. Or, aujourd'hui, les seules auditions de M. Jean-Philippe Maitre et de Mmes Rossi et Burnand, ainsi que le refus de la majorité de vouloir mieux comprendre, ne nous satisfont pas du tout. Nos questions sont toujours sans réponse et nos inquiétudes toujours aussi vives.
Il appartient à celles et ceux qui occupent des charges publiques de donner de l'exercice de la démocratie et de l'utilisation de leur pouvoir une image faite de transparence et d'intégrité totale. Le flou, les questions et les doutes nuisent à nos institutions. Refuser, ce soir, de vouloir chercher des réponses claires; refuser, ce soir, d'avoir le courage de la transparence totale ne sème que plus profondément le doute et ne peut que discréditer nos institutions politiques !
M. Pierre Froidevaux (R). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, la majorité de la commission a estimé qu'il n'y a pas lieu de poursuivre les débats entre la classe politique et un groupe économique, actuellement en très grandes difficultés, celui de M. Nessim Gaon.
La première minorité aurait souhaité une plus grande transparence entre les intérêts personnels et ceux de la collectivité. La deuxième minorité, quant à elle, accuse franchement l'Entente de maintenir un maximum d'opacité sur ces relations. Mais la lecture complète du rapport R 284 est au moins concordante sur un point, tous partis confondus : nous assistons à un immense gâchis économique !
Lorsqu'un patient va mal, il est d'usage que tout le monde apporte sa solution, du médecin au concierge, en passant par tous les porteurs d'un message quelconque. En cas de guérison, le prestige rejaillit alors sur l'un ou sur l'autre, mais, lorsque le cas devient franchement moribond, c'est l'heure des reproches mutuels; et c'est l'heure, Mesdames et Messieurs les députés !
Si un groupe économique aussi important que celui-ci devient atteint, des conseillers de toutes sortes se précipitent pour s'y appesantir par mille et une propositions. Le monde politique, sans doute à gauche comme à droite, n'a pas été avare en avis multiples, tout en espérant une belle renommée en cas de succès de leur ambassade. Aujourd'hui, nous devons nous recueillir sur son contraire : un empire de dissolution, et nous sommes tous à la recherche d'un coupable ! Qui d'un conseiller d'Etat qui aurait commis une lettre, qui d'un conseiller administratif qui se serait engagé dans des promesses inconsidérées, qui d'un parti politique qui aurait agi dans l'ombre !
Mais la vraie responsabilité c'est d'abord celle d'un joueur misant tout sur une expansion économique effrénée. Dans ces moments insondables, il devient de plus en plus essentiel de garder la tête froide et de soutenir la voie judiciaire plutôt que la voie politique. Ne politisons pas davantage ce débat ! Cela pourrait entraver la justice en créant des doublons à couleur purement électoraliste. La procédure souhaitée par la minorité pourrait nous éloigner de la vérité, que nous devons tous aux citoyens, par de vaines batailles dans cette enceinte. Notre climat économique morose pousse naturellement à la désignation d'une victime.
Nous vous engageons, au contraire, à soutenir la voie de la raison, en apportant la confiance de ce Grand Conseil à nos institutions et nos tribunaux. Eux feront mieux que la politique, ils diront le droit !
M. Bernard Annen (L), rapporteur de majorité. A ce stade de la discussion, quelques remarques s'imposent.
Mme Reusse-Decrey, fidèle à elle-même, ne tient compte que d'une partie des événements; elle les relate fort justement, mais oublie l'autre partie, celle qui fait mieux comprendre la réalité des faits. Quelle est-elle ? Durant les années 86 à 90, la Société du casino était en situation virtuelle de faillite. Il a fallu effectivement trouver des solutions, ce qui a été fait en signant cette convention.
Ce que vous oubliez aussi de dire, c'est que cette convention a fait l'objet d'une communication officielle au Conseil municipal le 20 novembre 1990. M. Lyon, qui faisait partie de notre commission ad hoc, était là pour témoigner qu'aucune personne ne s'est levée, ni chez les socialistes ni chez les autres, pour poser des questions à propos de cette convention. Il faut dire la vérité ! Si vous aviez réellement des questions à poser, vous auriez dû le faire à ce moment-là.
Vous oubliez encore de dire que, lorsque le Conseil d'Etat s'est aperçu qu'il n'y avait pas lieu de cautionner cette convention, il a décidé de la refuser, ce qui était son droit le plus strict.
J'aimerais encore souligner ceci : nous avons entendu dans ce débat un certain nombre de propositions, dont celle de M. Chaïm Nissim disant qu'il fallait nationaliser le terrain. D'autres ont essayé, cher Chaïm, mais ils n'ont pas réussi !
Certains ont émis des critiques. M. Courvoisier nous a dit de manière péremptoire qu'il y avait bien corruption et que c'était la raison pour laquelle la modification de la loi en matière de financement des partis avait été demandée. Monsieur Courvoisier, vous devriez vous renseigner auprès du comité central du parti socialiste suisse et vous vous apercevrez alors que Bührle - que vous décriez tant - finançait votre parti; et votre secrétaire général ne l'a jamais infirmé !
Reprenons l'affaire Gaon ! Il est vrai que M. Gaon a donné des subventions, notamment aux partis de l'Entente; il ne s'en est jamais caché. Savez-vous que M. Gaon - M. Ecuyer ou d'autres dignes représentants du parti du Travail pourront vous le confirmer - aidait aussi l'AVIVO ? Est-ce un financement direct ou indirect ? Faut-il le lui reprocher ? De toute manière, il l'a fait et personne ne peut me contredire sur ce point. Voyez-vous, Monsieur Courvoisier, il faut être très prudent lorsqu'on veut accuser les gens de corruption.
M. Grobet a toujours dit qu'il respectait l'Etat de droit. Mais alors comment comprendre votre proposition d'inquisition dans les entreprises, sous le couvert d'une soi-disant transparence ? L'inquisition fait-elle partie de cet Etat de droit ? Je suis sûr que, comme moi, vous êtes convaincu que ce n'est pas le cas !
Monsieur Vanek, je vous rejoins au moins sur un point : la rumeur est détestable; sur ce point, nous serons toujours d'accord ! En ce qui nous concerne, nous n'avons pas voulu propager la rumeur et nous sommes encore aujourd'hui, après ce débat, convaincus que tout cela n'est que rumeur.
Mme Micheline Calmy-Rey (S), rapporteuse de première minorité ad interim. La majorité de ce parlement ne veut pas d'une commission d'enquête. Elle ne veut pas de la vérité. Si la majorité de ce parlement avait été valaisanne, il n'y aurait pas eu d'affaire Dorsaz. Si elle avait été vaudoise, elle aurait agi probablement comme M. Hubert Reymond qui n'a aucune responsabilité dans ce qui est arrivé à la Banque vaudoise de crédit. Il n'y a rien à voir, Mesdames et Messieurs, circulez !
En déposant la résolution concernant la situation du groupe Nessim Gaon, le groupe socialiste poursuivait trois objectifs, et je les répète puisqu'on en a entendu une interprétation différente :
1) Se renseigner pour connaître la situation exacte du groupe - situation financière, implications fiscales et financières, et nombre d'emplois en dépendant.
2) Déterminer le type d'intervention de notre ressort, en particulier les mesures à prendre pour garantir les intérêts publics, afin qu'ils ne soient pas atteints par les difficultés du groupe.
3) Traiter d'éventuels dysfonctionnements et responsabilités.
La discussion en commission n'a porté sur aucun de ces trois points. Aucune information contradictoire n'a été acceptée. La commission a refusé de s'adresser à l'office des poursuites et au registre foncier pour l'obtention de renseignements. Elle a refusé d'entendre des représentants de la Banque cantonale, ainsi que M. Robert Ducret, ancien conseiller d'Etat, pourtant radical de son état.
La discussion en commission a essentiellement porté sur la question de savoir si les auteurs de la résolution avançaient suffisamment de présomptions et d'éléments accusateurs pour légitimer la commission d'enquête. Il nous est reproché, Mesdames et Messieurs les députés, de ne pas avoir apporté d'éléments supplémentaires permettant le moindre soupçon. Mais les éléments en notre possession, parus dans la presse, inventoriés et résumés dans les rapports de minorité, légitiment le plus grand des soupçons. Ils laissent planer le doute sur la nature des liens existant entre le groupe et quelques-uns des politiciens et politiciennes les plus en vue.
Concernant l'apport d'éléments supplémentaires, il est juste de dire que nous n'avons pas considéré comme faisant partie de notre charge de député de mener une enquête à titre individuel. Nous avons souhaité entendre M. Robert Ducret pour mieux comprendre les choses, mais, la commission en ayant décidé autrement - comme elle l'a fait pour toutes les demandes de renseignements - Mme Reusse-Decrey, la présidente de ce parlement, Mme Saudan, et moi-même l'avons tout de même entendu, et la commission en a été informée.
Au surplus, en tant qu'auteures de la résolution, Mme Reusse-Decrey et moi-même avons bénéficié de confidences diverses, le plus souvent anonymes, de photocopies d'articles de journaux, ainsi que de la liste des créanciers de Noga et d'Aprofim. La commission en a également été informée et les choses en sont restées là. Parler aujourd'hui d'utilisation de rumeurs est inexact. Les faits, c'est-à-dire les photocopies parlant d'enlèvement de ministre nigérian - je le dis, puisque vous l'avez évoqué - ou de caches d'armes au domicile de M. Gaon, ou encore des plaintes contre le procureur chargé de l'affaire, ont été relatés dans les journaux de l'époque ou d'aujourd'hui. Il n'y a là rien de neuf. Les documents sont ici, et si j'en ai fait état à la commission c'est parce que ces documents sont significatifs de l'atmosphère d'intimidation dans laquelle baigne cette affaire. Dans ces conditions, il était légitime de ne pas vouloir mener une enquête seule.
Reste qu'en tant que membre de ce parlement et présidente du parti socialiste genevois, je suis sensible à la crédibilité des institutions politiques et je pense que vous l'êtes aussi. Vouloir cacher, ne pas vouloir savoir, n'est pas la bonne voie, car la lecture des épisodes successifs du Noga Hilton, de Sécheron, de la maison Europa, du Grand Casino, laissent ouvertes de nombreuses questions pendantes.
Si, décidément, vous refusez une commission d'enquête, Mesdames et Messieurs, répondez au moins aux questions posées dans les rapports de minorité. Que fait la Banque cantonale ? Cherche-t-elle un autre partenaire avec d'autres projets ? Qu'adviendra-t-il du projet d'aménagement du quartier de Sécheron ? Quelles sont les sommes dues par le groupe Gaon à l'Etat et à ses différents services ? Si détournements des paiements de cotisations de l'impôt à la source ou de sécurité sociale il y a eu, le Conseil d'Etat les a-t-il dénoncés ?
Encore une chose importante par rapport au discours de M. Blanc. Les travaux en commission ont été particulièrement pénibles pour la raison première que le reproche d'acharnement contre une personne, implicitement d'antisémitisme, puisque cette personne est juive, était sans cesse présent. Je n'en ai pas parlé dans mon rapport, intentionnellement, parce que, à partir de ce genre d'allégation, le débat dérape. On ouvre, en quelque sorte, la boîte de Pandore, celle qui contient tous les maux, ce reproche pouvant être en effet retourné contre ceux que l'on prétend défendre. J'ai jugé que ces sous-entendus appartenaient à ceux qui les formulent et décidé de ne pas entrer en matière. J'ajoute que ces insinuations sont écoeurantes, car elles sont utilisées sciemment dans le but d'affaiblir un adversaire politique que l'on sait particulièrement sensible à ce genre d'accusations. C'est la preuve si besoin était de la faiblesse de vos arguments !
Plus grave, ces insinuations banalisent le terme d' "antisémitisme". C'est une accusation très grave qui devrait être réservée aux cas concernés. C'est la doctrine de ceux qui haïssent les Juifs et elle a pris la forme, il n'y a pas si longtemps, d'une pratique politique qui a fini par conduire des millions d'innocents dans des camps d'extermination. Utiliser ce type d'insinuations pour faire peur à vos adversaires politiques est particulièrement irresponsable.
Je rappelle enfin que le groupe socialiste n'a, à aucun moment, par le dépôt de sa résolution, voulu s'acharner contre un groupe économique ou contre une personne. (Protestations.) Nous comprenons assez bien - je le dis et je le répète - l'exaspération exprimée par les directeurs du groupe et par le promoteur lui-même. Avoir acheté un terrain industriel à un prix relevant du marché libre - terrain qui, s'il devait être déclassé, serait soumis aux normes de la zone de développement - avoir soi-disant reçu des promesses précises du Conseil d'Etat quant à l'affectation de ces terrains, et se retrouver, six ans plus tard, sans avoir pu poser une quelconque première pierre, il y a, en effet, de quoi être amer.
Mais, Mesdames et Messieurs, notre débat ne porte ni sur les affaires du groupe, ni sur la personne du promoteur lui-même. Le débat de ce soir porte sur la façon dont l'intérêt public a été défendu.
M. Christian Grobet (AdG). Je me rallie à M. Annen quand il dit qu'il n'y a rien de plus détestable que la rumeur. Je vous remercie, une fois n'est pas coutume, d'avoir reconnu que notre rapport et les députés de l'Alliance de gauche n'ont pas colporté de rumeurs. Nous nous en sommes tenus, effectivement, à des faits qui, pour nous, sont établis. Nous pouvons diverger sur leurs conséquences, mais c'est un autre problème.
Vous avez raison de dire que les rumeurs sont particulièrement désagréables. Je vous en parle en connaissance de cause, car je ne pensais pas devoir me justifier ce soir. Voilà qu'à nouveau une rumeur est propagée, cette fois par M. Nissim. Soyez rassuré, Monsieur Nissim, je ne serais pas gêné d'être tout nu, avec les vingt personnages que vous avez décrits, autour d'un trou béant. (Rires.) Je ne nie pas, Madame la députée, le plaisir que j'éprouverais à nous retrouver ainsi réunis !
Monsieur Nissim, vous avez demandé que je m'explique. Je ne tenais pas à le faire en séance plénière, car vous avez imaginé cette présence sur la base de ragots. Vous auriez pu me poser la question en commission, ce que vous n'avez pas fait, ou, plus simplement, dans les couloirs où nous nous croisons fréquemment.
Ma position, dans l'affaire de Sécheron, est claire. Vous avez dit que des passages de certaines lettres du Conseil d'Etat constituaient des promesses. Ces lettres, adressées à ABB et reprises par Noga Invest, comportent deux oppositions au procès-verbal du Conseil d'Etat, celle de mon ancien collègue Bernard Ziegler et la mienne. Nous avons toujours été très clairs quant à notre opposition au principe du déclassement d'un terrain industriel. Nous sommes pour le maintien du tissu industriel, tout comme votre parti, sauf erreur. Par ailleurs, nous avons toujours affirmé, Bernard Ziegler et moi, que le prix d'acquisition de ces terrains était totalement démesuré, et ne permettrait pas de réaliser des logements sociaux.
Par la suite, le département des travaux publics n'a jamais autorisé ou imposé quoi que ce soit. Par conséquent, votre question de savoir s'il y avait divergence sur la forme des bâtiments que l'on aurait autorisée, puis interdite, est totalement gratuite.
En tant que chef du département des travaux publics, je devais exécuter la volonté du Conseil d'Etat. Aussi, Monsieur Nissim, le département des travaux publics s'est-il efforcé, conformément à la volonté du Conseil d'Etat, d'établir une image pour l'aménagement de ce périmètre. Comme M. Maitre l'a dit ici et répété en commission, si le projet de déclassement des terrains a été abandonné, c'est parce que la Ville de Genève n'en a, soudain, plus voulu. M. Maitre a déclaré qu'il ne portait pas de jugement sur cette décision de la Ville de Genève, mais que c'est à cause d'elle que les projets n'ont pas abouti.
J'ai fait preuve de beaucoup de retenue dans cette affaire, mais il est des faits, bien qu'ils ne recèlent aucun secret particulier, que je porte volontiers à votre connaissance. Puisque vous tenez à tout connaître, sachez que j'ai reçu dans mon bureau, à sa demande, M. Nessim Gaon, qui vous dira que je lui ai déconseillé d'acheter ce terrain, parce que la parcelle n'était pas déclassée. Cela se passait en mars ou avril 1989, c'est-à-dire quelques mois avant que le Grand Conseil n'en délibère. M. Gaon m'a répondu que s'il n'achetait pas le terrain d'autres le feraient. Effectivement, d'autres personnes étaient sur les rangs, dont un M. E. qui, entre-temps, a fait faillite, car nombreux sont les promoteurs tombés en déconfiture.
Puisque je suis mis en cause, je peux vous dire que j'ai eu un entretien personnel avec un des présidents des deux banques cantonales. C'est un homme d'honneur. Je ne connais pas sa position personnelle. Il m'a demandé mon avis sur un prêt bancaire éventuel à cette opération. Je lui ai répondu qu'abstraction faite de mes propres options je lui déconseillais formellement de prêter de l'argent tant que la parcelle n'était pas déclassée. J'ai ajouté qu'il n'était pas certain que le Grand Conseil accepte ce déclassement, mais, comme je pensais qu'il le ferait, j'ai mis mon interlocuteur en garde contre un référendum éventuel. D'autre part, je lui ai dit que le minimum de prudence à observer, en matière immobilière, est de ne consentir un prêt que si l'on est certain de la conclusion de l'affaire. Voilà ma position, Monsieur Nissim !
En d'autres circonstances, je me suis également opposé au fait que l'on mette en droit de superficie la parcelle pour la fameuse usine de Sécheron SA, sachant pertinemment qu'elle ne serait jamais construite.
Je vous assure, Monsieur Nissim, que la rumeur n'est pas du tout agréable !
Monsieur Annen, je vous remercie d'avoir reconnu que notre groupe n'a accusé quiconque d'actes de corruption. Mme Calmy-Rey étant, bien entendu, assez grande pour se défendre elle-même, je parle donc uniquement en mon nom et au nom de mon groupe. Mais en reconnaissant cela, M. Annen a dévié le débat. En effet, en dehors de ses invites, que demande le texte de la résolution, relu par M. Blanc ? La création d'une commission parlementaire pour enquêter sur les rapports du groupe Gaon avec l'Etat, la Ville de Genève, la Banque cantonale de Genève et toutes autres entités de droit public, puis de présenter ses observations à propos des responsabilités engagées, Punktschluss, terminé !
Cette résolution ne demande que cela; elle ne demande même pas d'enquêter sur d'éventuels actes de corruption ! Le mot ne figurait pas dans la mission qui serait confiée à cette commission.
Alors, on se raccroche aux considérants qui, du reste, ne contiennent pas le terme "corruption". Ainsi M. Blanc s'y réfère, faute de pouvoir le faire sur le texte même de la résolution. Il est vrai que le dernier considérant précise «...qu'il convient de distinguer le juste rôle économique de l'Etat en faveur d'entreprises en difficulté de toutes faveurs personnelles ou autres passe-droits».
Notre rapport est précis en ce qui concerne les faveurs. Il est indiscutable que le groupe de M. Gaon en a bénéficié. Des passe-droits ont-ils été accordés ? J'avoue que je n'ai pas consulté le dictionnaire, ce soir, pour savoir si passe-droit signifiait corruption, mais on peut entendre ce terme comme étant une facilité. En affirmant solennellement que je n'accuse personne de corruption, j'estime que Noga Invest a bénéficié d'un passe-droit important, lors de la délivrance de l'autorisation de construire son centre administratif à Sécheron. Jusqu'alors, l'on n'avait jamais autant dérogé à la loi, dérogé aux distances par rapport aux parcelles et, surtout, accordé de dérogations de distance aux limites de propriété, sans demander le versement d'une indemnité. Sur ce dernier point, Mme Calmy-Rey a totalement raison d'affirmer que les intérêts publics sont en cause dans cette affaire. En effet, aucun propriétaire privé n'accepterait de perdre ses droits à bâtir sans recevoir une indemnité.
Si cela n'est pas une faveur ou un passe droit, je ne sais pas ce que c'est ! Mais, encore une fois, je ne parle pas de corruption. Je veux être clair sur ce point.
Il est vrai, Monsieur Gaon... (Rires.) Excusez ce lapsus linguae ! Il est vrai, Monsieur Annen - et je ne sais plus quel autre député - que vous avez déclaré considérer qu'il n'était pas de la mission de notre Grand Conseil de se mêler des difficultés économiques d'une entreprise. Mais il en est de si importantes que l'on ne peut pas ne pas s'en occuper ! Quand M. Nissim parle d'un trou, sous-entendu, de 135 millions : on ne peut tout de même pas fermer les yeux et nier le problème ! Surtout que ce trou, Monsieur Nissim, dépasse largement les 135 millions. 185 millions ont été prêtés rien que pour l'affaire de Sécheron ! Depuis, six ans se sont écoulés, porteurs d'intérêts à 7 ou 8%. La perte doit approcher les 250 millions uniquement pour cette affaire ! Mais on peut parler d'autres trous... A l'instant, on me transmet un billet m'indiquant que le terme de "passe-droit" signifie : «faveur accordée contre l'usage ordinaire».
La présidente. Je suis en train de vous accorder un passe-droit, parce que cela fait onze minutes que vous parlez !
M. Christian Grobet. Je conclus, Madame la Présidente, mais admettez que je me devais de répondre à M. Nissim sur mon temps de parole !
La présidente. Tout à fait !
M. Christian Grobet. On se trouve devant un trou monstrueux qui, hélas, n'est pas unique dans les affaires immobilières, comme l'a justement dit M. Nissim. Une affaire, considérée comme petite, accuse une perte de 33 millions; celle de M. Chevallaz présente un trou d'au moins 500 millions; il y a aussi l'affaire Ventouras et d'autres encore. C'est terrifiant. Actuellement, notre économie est en péril et, bien que je souhaite que la Banque cantonale perdure, l'affaire Gaon est très grave pour elle. On ne peut pas se voiler la face, se comporter comme si l'affaire n'existait pas et ne pas interroger M. Gaon sans, pour autant, en faire un bouc émissaire.
Monsieur Blanc, vous avez essayé, tout à l'heure, de détourner le débat en nous accusant de faire de M. Gaon un bouc émissaire. Vous savez fort bien que le but de la résolution n'était pas de trouver un bouc émissaire, mais d'examiner s'il y avait des responsabilités ailleurs !
Monsieur Annen, vous avez eu raison de dire que beaucoup de personnes ont commis des erreurs, que le Conseil municipal n'a vu que du feu dans cette convention bien trop favorable à M. Gaon, mais vous oubliez de reconnaître qu'un magistrat, au Conseil d'Etat, a combattu ces accords avec courage : il s'agissait de M. Bernard Ziegler. Et si ces accords n'ont pas été avalisés par le Conseil d'Etat, c'est grâce à son action !
On ne peut pas mettre tout le monde dans le même panier et dire que l'on ne s'occupera de rien. Il est extrêmement désagréable que dans cette affaire - c'était peut-être sous-jacent en commission, Madame Calmy-Rey - l'on ait évoqué l'antisémitisme. N'oubliez pas qu'un journaliste du «Journal de Genève» a écrit que nous agissions contre M. Gaon par antisémitisme. De telles attaques, Madame Buffat, sont parfaitement déplaisantes !
Tout ce que nous souhaitons, dans cette affaire, c'est trouver la vérité et que l'on ne tente pas de nous accuser d'une indignité qui, si elle existe, est étrangère aux gens de nos rangs !
M. René Koechlin (L). Je m'attacherai plus particulièrement aux questions relatives au quartier de Sécheron et à la parcelle dite du «Foyer», causes importantes des difficultés dans lesquelles se débat, actuellement, le groupe de M. Gaon.
Ce dernier est adulte et compétent. Ses collaborateurs le sont tout autant, et la BCG, qui agit avec tout le discernement dont elle est capable, s'efforce de mettre de l'ordre dans ses affaires. Si toutes ces personnalités ont besoin de la justice, elles en appelleront aux tribunaux.
Or, n'en déplaise à certains préopinants, le Grand Conseil n'est pas un tribunal. Sa compétence est politique et législative; elle n'est pas judiciaire. Ne confondons pas les rôles, s'il vous plaît !
Avec ce débat, ce parlement me fait un peu penser à une ferme d'Epinal, avec ses animaux de cour et, parmi eux, les moutons bêlants et autres hiboux qui créent et répandent des rumeurs, fouillant de leur museau ou bec la fange dont ils sont la cause ! Sans parler de toutes les mouches du coche qui tournicotent et qui, ce soir, nous assourdissent de leurs bourdonnements ! Elles ne cherchent qu'à compliquer la tâche de ceux qui, à l'instar de M. Gaon et de ses sbires, à l'image de la BCG et du Conseil d'Etat, tentent de mettre de l'ordre dans des affaires en difficulté. Et les affaires de M. Gaon, comme vient de l'évoquer M. Grobet, ne sont pas les seules, actuellement, à connaître des embarras qui nous préoccupent.
Issues de milieux divers - et pas seulement des milieux de gauche - certaines personnes n'ont cessé d'atermoyer, afin de compliquer et de saper des affaires. Sécheron est l'exemple le plus flagrant de cet exercice de sabotage systématique auquel se livrent certains groupements, tant à droite qu'à gauche.
Quand la victime de cette politique d'aménagement destructrice, nihiliste ou simplement paralysante, se débat dans le marasme où l'ont plongée ses bourreaux - qui n'ont cessé d'agir par des voies détournées et souvent obscures - ces derniers sortent de l'ombre pour organiser la curée.
Vous avouerez que cette attitude est abjecte. Et vous voudriez que ce parlement l'adopte ? Heureusement, dans sa majorité, il refuse de se mêler aux prédateurs de tout poil !
Nous ne déplorons pas les faits cités par Mme Calmy-Rey, car ils ne constituent que des tentatives visant à réparer tout le mal provoqué par les innombrables tracasseries et atermoiements administratifs, politiques, idéologiques, égoïstes, dont le propriétaire des terrains de Sécheron a été la victime et qui ont provoqué le marasme dans lequel il se débat actuellement.
M. Vanek a parlé de courage politique. Il nous en offre une piètre image. Est-ce le courage politique, Monsieur, qui vous incite à crier haro sur le baudet ? Est-ce le courage politique qui vous pousse à jouer le grand inquisiteur ? Appelez-vous courage politique cette manière de frapper un homme à terre ? Vous avouerez que c'est là une lamentable interprétation de la notion de courage !
Quant à la corruption dont ont parlé M. Courvoisier et, par allusion, Mme Reusse-Decrey, nous n'en avons ni preuve ni indice, comme l'a souligné M. Grobet. Et si cette corruption existait, elle relèverait uniquement de la justice.
Pour tous ces motifs, notre groupe vous invite à rejeter vigoureusement cette résolution fouilleuse d'une fange qui n'existe que par la faute de ceux qui, aujourd'hui, la dénoncent avec virulence !
Mme Maria Roth-Bernasconi (S). Il n'est pas inutile de répéter qu'il ne s'agit pas de parler ici de l'affaire de M. X. ou Y., mais de permettre à une commission parlementaire d'enquêter par rapport aux intérêts des habitantes et habitants du canton de Genève.
En évoquant la saga typique des années 80, époque de spéculation immobilière, par excellence, on peut se demander si des politiciens et des politiciennes n'ont pas confondu l'intérêt public avec leurs intérêts privés. Le pouvoir politique, notamment le pouvoir exécutif, doit gérer au mieux les intérêts de l'Etat, dans des limites de dispositions légales, afin d'assurer l'épanouissement de chaque personne vivant sur le territoire de l'Etat.
L'intérêt public doit primer l'intérêt privé. Prenons, par exemple, le cas qui nous préoccupe aujourd'hui. Il est tout à fait humain qu'un entrepreneur privé veuille faire de bonnes affaires et qu'il mette tout en oeuvre pour arriver à ses fins. Mais si l'Etat, par l'entremise de ses pouvoirs publics, ne met pas de garde-fou, ce ne sont que les plus forts et les plus riches qui gagnent. Les autres restent "sur la touche".
Or, l'intérêt public exige que la collectivité publique garantisse à toutes et à tous un minimum de vie inséparable de la dignité humaine, ainsi que la protection de certains intérêts fondamentaux.
En ce qui concerne ces derniers, il est évident que la conception libérale diverge de la conception sociale-démocrate. Mais confondre les intérêts privés avec les intérêts publics est un pas que même une conception libérale de la société ne permet pas de franchir !
En effet, une personne se mettant à disposition pour remplir un mandat politique, doit le faire dans le but de participer à la construction d'un monde meilleur pour tous, et non pour privilégier ses intérêts privés. En tout cas, c'est ainsi que les socialistes conçoivent la politique.
Dans le cas débattu ce soir, un doute plane sur la nature des liens existant entre le groupe de M. X. et des politiciens/politiciennes, membres des partis de l'Entente bourgeoise. Soit les personnes concernées sont irréprochables et acceptent que l'on fasse toute la lumière pour connaître la vérité, soit elles ont quelque chose à cacher, ce qui, à notre avis, serait très grave.
Il est de notoriété publique que l'entrepreneur en question a profité d'une grande bienveillance de la part de personnalités de la place publique genevoise.
En effet, quels intérêts ont été défendus quand l'ancienne conseillère administrative libérale de la Ville de Genève soutenait fermement, devant le Conseil municipal, la décision de conclure une convention d'actionnaires favorable à la société anonyme du Grand Casino ?
Comment expliquer qu'un conseiller administratif de la Ville de Genève, devenu entre-temps conseiller d'Etat, ait négocié le contrat de répartition des bénéfices entre le Grand Casino et la Ville de Genève, en favorisant nettement la société privée ?
Comment expliquer que le Conseil d'Etat monocolore appuie, sans réserve, toutes les démarches du promoteur privé, sachant qu'il ne parviendra jamais à réaliser les objets immobiliers qu'il a promis ?
Quel est le lien entre le conseiller d'Etat, responsable du département des travaux publics, et son ami - je dis bien "ami" - gestionnaire de la société ?
Comment expliquer qu'une conseillère administrative se désiste, au tout dernier moment, d'une audition à la commission judiciaire, prétextant l'importance d'une autre séance, alors que des députés l'ont vue se promener en ville ?
Nous nous étendrons moins sur le blocage existant qui ne permet pas de faire toute la lumière sur ces questions. Il est sans doute dû au fait que le président de la commission, qui devrait examiner l'opportunité de la création d'une commission d'enquête parlementaire, est du parti démocrate-chrétien; que le conseiller d'Etat, qui s'occupe du problème d'aménagement de ces terrains, est du parti démocrate-chrétien; et que le directeur de la Banque cantonale est du parti démocrate-chrétien !
Vous avez cité la Bible, Monsieur Blanc. Nous, les socialistes, vous répondons : «Post tenebras lux» !
Mme Claire Torracinta-Pache (S). Permettez à une députée socialiste, qui ne dispose d'aucune information particulière ou privilégiée, qui ne connaît pas M. Gaon et n'éprouve à son endroit ni haine ni sympathie, qui n'apprend les hauts et les bas de son groupe que par voie de presse, de vous faire part de son étonnement devant votre réaction.
Monsieur Blanc, vous m'êtes très sympathique en dehors des séances plénières, mais, là, je suis obligée de vous dire que vos propos sont une vraie démonstration de malhonnêteté intellectuelle ! Mon combat politique comme celui, je crois, de tous ceux de mon groupe, est fondé sur la lutte contre toutes les discriminations, contre toutes les formes de racisme, contre tous les boucs émissaires, et nos interventions, dans ce parlement, en témoignent. Par conséquent, je me sens insultée par vos propos, et je tenais à vous en faire part !
Monsieur Annen, vous nous accusez, avec d'autres, d'acharnement, d'amalgame, de soupçons de corruption, et j'en passe. Je n'assistais pas aux séances de la commission. Peut-être y a-t-il eu des dérapages au niveau du langage ou des échanges, mais, pour ma part, je ne les assume pas ! En revanche, j'ai cosigné cette résolution avec l'ensemble de mon groupe. A votre première réaction, lors de notre dernière séance, j'ai eu un doute et je me suis demandé si j'avais été piégée par des termes qui dépassaient mon intention. J'ai donc repris cette résolution pour la relire, mais à chaque fois j'ai envie de dire : «Je persiste et je cosigne à nouveau». Je ne vois vraiment pas en quoi cette résolution vous choque, ni dans ses considérants ni dans son invite.
Le premier considérant affirme un fait, à savoir : «les difficultés financières de M. Gaon et de certaines de ses sociétés».
Le deuxième considérant évoque «les conséquences possibles d'une déconfiture du groupe Gaon, etc.». Personne ne peut nier qu'une faillite du groupe pourrait avoir des conséquences fâcheuses, du fait que les autorités et les collectivités publiques ont traité avec M. Gaon.
Je vous accorde que le troisième considérant est un peu plus délicat : «vu les imbrications très étroites des intérêts privés de M. Gaon avec certains intérêts publics, ainsi que les risques de confusion qui en découlent». Cependant, nous ne disons pas, dans le considérant, qu'il y a confusion, nous disons qu'il y a «risques». Nuance !
Le quatrième considérant : «attendu qu'il convient de distinguer le juste rôle économique de l'Etat en faveur d'entreprises en difficulté de toutes faveurs personnelles ou autres passe-droits» est une démonstration de morale politique que nous partageons tous. Là encore, je ne vois pas ce qui est condamnable.
Enfin, l'invite demande à une commission d'enquête de «présenter ses observations à propos des responsabilités qui peuvent être engagées.» Nous ne disons pas qu'«elles sont» mais qu'«elles peuvent être engagées». Cela, Mesdames et Messieurs les députés de l'Entente, je l'assume totalement. Je ne vois pas d'acharnement, ni d'amalgame, ni d'accusation de corruption ou de règlement de compte dans cette résolution. L'amalgame, c'est M. Blanc qui l'a fait, tout à l'heure !
Nous ne voulons pas faire un procès d'intention aux uns et aux autres. Nous disons simplement que les facteurs qui permettraient une collusion ou une confusion entre les intérêts privés et publics sont réunis. Par voie de conséquence, nous demandons si cette confusion s'est produite ou pas et, dans l'affirmative, qui sont les responsables.
Ce n'est pas une affaire de justice, comme l'affirme M. Koechlin, mais un réflexe démocratique. Vous connaissez, tout comme nous, ce qui s'est passé dans les cantons où des questions de ce type n'ont pas été posées à temps. C'est pourquoi je ne comprends pas votre réaction.
Mesdames et Messieurs de la majorité, j'ai bien réfléchi et je me suis dit qu'à votre place j'aurais joué la transparence, toute la transparence. J'aurais joué le jeu et accepté la commission d'enquête. Puisque vous êtes persuadés que tout est "clean" dans cette affaire, vous auriez eu, après coup, le beau rôle et pu prouver l'inutilité de notre intervention. Mais, au contraire, vous en faites tout un plat ! Par exemple, le Bureau du Grand Conseil a refusé de programmer ce sujet, pourtant délicat et important, à une heure précise de notre ordre du jour. Vous avez voulu faire le forcing pour qu'on en parle à minuit, alors que nous étions déjà tous fatigués lors de la précédente séance...
La présidente. Nous y sommes, Madame, à minuit...
Mme Claire Torracinta-Pache. C'est bien ce que je disais ! Vous avez voulu refuser la commission d'enquête, ce qui était votre droit, mais en avançant une solution hypocrite de rechange, soit la constitution d'une commission pour décider s'il faut ou pas une commission d'enquête !
Nous avons sollicité l'audition d'un ancien conseiller d'Etat et j'ai entendu dire que seuls les deux députées socialistes avaient soutenu cette requête. Mais en quoi l'audition de M. Robert Ducret était-elle si incongrue ou, peut-être, gênante ? Dès lors, on se demande pour qui...
Je n'avais pas d'a priori dans cette affaire, mais maintenant, je ne puis que répéter la question posée par Mme Calmy-Rey dans son rapport :«De quoi avez-vous peur ?». J'ai la nette impression que vous êtes pris à votre propre piège et quoi que vous puissiez dire ou faire, vous laisserez planer un doute sur la pureté de vos intentions, face à notre demande de commission d'enquête.
Je continue à penser qu'autant il est sain, en démocratie, de poser des questions même gênantes, même si les réponses ne sont pas celles que l'on espérait, autant il est malsain de refuser d'y répondre sous prétexte qu'elles sont sans fondement.
M. René Longet (S). Je voudrais vous rassurer d'emblée : les signataires de la résolution ne vont pas tous s'exprimer, bien qu'ils soient constamment accusés d'acharnement contre une personne. Je répète qu'il n'y a pas d'acharnement contre qui que ce soit; la personne de M. G. ne nous préoccupe pas. Que ce soit lui ou un autre, peu importe ! En fait, il n'y a pas d'affaire Gaon. En revanche, il y a une affaire Conseil d'Etat, une affaire Conseil administratif de la Ville de Genève et une affaire BCG. Il y a un comportement des pouvoirs publics face à un certain milieu immobilier.
Vous nous dites qu'il n'y a pas d'éléments concrets. Des éléments ont pourtant été livrés par plusieurs intervenants ! Pouvez-vous vraiment prétendre que l'affaire de Sécheron n'a jamais existé ? Pouvez-vous affirmer que la BCG n'a jamais accordé à ce groupe, peu transparent de par l'imbrication de ses sociétés familiales, des facilités allant au-delà des ratios usuels ? D'après vous, cela ne s'est jamais produit ? Et que pensent les responsables des PME qui recherchent des crédits ! Alléguez-vous que l'affaire du casino n'a jamais eu lieu ? Bien sûr que tout cela a existé et vous le savez fort bien !
L'attitude de ceux qui disent : «Circulez, il n'y a rien à voir !» est donc totalement irresponsable, comme Mme Calmy-Rey l'a souligné. D'aucuns nous ont fait voyager très loin dans le temps, et il nous faut, maintenant, revenir à aujourd'hui, en Suisse romande.
Quand l'affaire de la Banque vaudoise de crédit a éclaté, quand, en Valais, on a parlé de l'affaire Dorsaz, quand, aux Chambres fédérales, on a parlé de l'affaire Kopp, il n'y avait strictement rien à voir, disait-on au début ! Ceux qui désiraient des enquêtes étaient traités de calomniateurs, et on leur demandait de fournir toutes sortes de preuves, alors que, précisément, il faut à chaque fois des enquêtes pour les dégager.
Nous affirmons, nous, que les éléments disponibles suffisent à motiver une enquête. Et même si vous n'en voulez pas, aujourd'hui, la situation objective est telle que la seule façon de lever le doute est de faire toute la lumière.
Si cette enquête aboutit à la conclusion qu'il n'y a effectivement rien eu de répréhensible, nous en serons les premiers heureux et soulagés. A la place du groupe Gaon, je serais favorable à une ouverture d'enquête, puisqu'elle lui permettra, à lui aussi, de se défendre.
Il ne faut pas continuer à faire ce que vous faites depuis le début, à savoir confondre l'enquête et sa conclusion. L'enquête est une question, et nous posons la question, car nous estimons, sans nullement préjuger de la réponse, avoir de bonnes raisons pour le faire. Cessons donc de faire la confusion entre enquête et conclusion.
Sur le fond, nous relevons que l'attitude dont nous parlons est celle des pouvoirs publics des années 80, ces années de surchauffe immobilière. A l'époque, M. Blanc et d'autres ont cru bon de se gausser de ceux qui criaient halte à l'emballement immobilier. La surchauffe d'hier et la crise d'aujourd'hui sont les deux faces de la même médaille, les deux faces de la fragilité de l'économie genevoise et de l'incapacité d'avoir une politique économique solide et diversifiée pour Genève.
Nous voulons une politique économique diversifiée qui ne se construise pas sur l'immobilier, du moins pas de cette façon; une politique économique sociale, ce qui n'a pas été le cas; enfin, une politique économique qui soit morale. Ces critères seront l'enjeu de notre vote de tout à l'heure.
M. Chaïm Nissim (Ve). Monsieur Blanc, vous nous accusez de chercher un bouc émissaire. A mon tour, j'ai un amendement à proposer, et j'aimerais bien savoir si vous allez l'accepter. Mon amendement à la résolution socialiste est le suivant :
«charge une commission d'étudier les relations entre les structures de l'Etat et les trous financiers dans l'immobilier et à proposer des solutions».
Monsieur Blanc, croyez-vous qu'il y a une corrélation entre ce trou financier et les différents appareils de l'Etat ? Pensez-vous qu'il n'est pas de notre responsabilité de nous en occuper ? Dans l'affirmative, vous démontreriez qu'en fait de bouc émissaire nous aurions affaire à un véritable problème politique.
Monsieur Annen, je ne suggérais pas de nationaliser le sol. Mon idée était que l'on étudie dans quelle mesure une limitation de la propriété privée permettrait à notre système de mieux fonctionner.
Monsieur Grobet, je suis "estomaqué" de vous entendre relater ce qui s'est passé en commission, par rapport à ce que M. Gaon m'a dit, il y a une semaine, dans votre bureau. Je ne vais pas faire le "pipelet" ! Qui a raison, vous ou M. Gaon ? Toujours est-il qu'il serait intéressant d'avoir M. Gaon en face de nous pour répéter ce qu'il m'a dit. Je ne vous accuse pas de mentir, Monsieur Grobet...
M. Christian Grobet. Vous ne faisiez pas partie de cette commission !
M. Chaïm Nissim. Certes, mais j'aurais volontiers demandé à M. Gaon de venir nous dire ce que vous lui auriez promis, selon lui ! (Protestations.)
M. René Ecuyer (AdG). Il en est, dans cette salle, qui tiennent deux discours !
Passons à la déclaration de M. Annen. Il discourt sur les dommages causés par la rumeur publique, tout en disant, dans son exposé, que l'AVIVO est aussi financée par M. Gaon... (Protestation de M. Annen.) C'est à peu près cela, du moins vous le laissez entendre...
Aussi, je tiens à mettre publiquement les choses au point :
A l'occasion de sa fête de Noël, l'AVIVO bénéficie d'une réduction de la location de la salle de spectacle du casino. A cette occasion, M. Gaon - ou sa société, si vous préférez - fait un bénéfice moindre. Il s'agit donc d'une réduction. Ce geste est apprécié, à l'instar de ceux faits par des centaines de commerçants à l'AVIVO, à l'occasion de la plus grande fête de Noël organisée, à Genève, pour les retraités.
Vous parlez de rumeurs... Moi, je pense que vous devriez étouffer de honte de lancer ici la rumeur détestable que M. Gaon financerait également l'AVIVO !
M. Pierre Kunz (R). Ce fut un vrai plaisir d'entendre M. Grobet s'épouvanter des centaines de millions de francs de dettes douteuses qui pèsent sur notre économie et notre système bancaire. Je serais heureux qu'il se batte avec autant de verve pour rétablir la situation de nos finances publiques qui, elles, n'accusent pas des centaines de millions de déficit, mais des milliards ! Je lui suggère de nous occuper ensemble des trous financiers relevant de notre responsabilité avant de stigmatiser ceux des autres.
Cela dit, j'en viens au fond du débat, c'est-à-dire au contenu de la résolution déposée, en février dernier, par le groupe socialiste et sur ses implications sur la vie politique de ce canton. Cette résolution est inacceptable, et voilà pourquoi :
En soumettant la résolution 284 à ce Grand Conseil, telle qu'elle est rédigée, ses auteurs ont pris une grave responsabilité. En agissant ainsi, indépendamment de l'issue des débats, ils savaient que cette résolution susciterait le doute dans l'esprit des Genevois sur l'intégrité de plusieurs conseillers d'Etat actuellement en fonctions.
Lors du premier débat, M. Moutinot et Mme Calmy-Rey ne se sont d'ailleurs pas privés d'émettre, avec insistance, des accusations de corruption. Cela n'apparaît pas expressément dans la résolution, mais, en revanche, le Mémorial en fait foi.
Or, qu'ont mis en évidence les débats de la commission ? Que M. Gaon est effectivement un homme d'affaires de grande envergure, un véritable acrobate de la finance, un entrepreneur disposé à prendre des risques considérables, peut-être à la limite de l'acceptable, mais ce n'est pas à nous d'en juger. Les travaux de la commission ont aussi mis en évidence le petit nombre de négociateurs, notamment à Genève, qu'ils soient de droite ou de gauche, qu'ils fonctionnent dans les services publics ou privés, capables de damer le pion à des gens comme Nessim Gaon qui, eux, sont habitués, depuis des décennies, à affronter les négociateurs les plus habiles et à tirer parti de leurs moindres erreurs de jugement. Et des erreurs de jugement, les négociateurs genevois en ont commis ! Mais les débats de la commission ont surtout démontré, comme cela a déjà été dit, l'extrême pauvreté des éléments apportés par les socialistes à l'appui de leurs graves accusations, pauvreté soulignée, ici même, par leurs propres arguments.
Le dossier de nos collègues était tellement insignifiant que Mme Calmy-Rey s'est retrouvée avec un seul représentant de sa mouvance politique, lors du vote final de la commission. Les autres membres ont jugé préférable de se distancer d'un projet manifestement trop mal ficelé, malgré les dénégations de Mme Torracinta.
Madame Calmy-Rey, vous et vos collègues, avez, dans cette affaire, abusé de votre statut de député et des pouvoirs qui lui sont liés. Sans disposer du début de l'ombre d'une preuve, vous avez contribué à la naissance et à la propagation d'une rumeur aussi lâche que destructrice.
Récemment, la presse a parlé de cette journaliste qui, pour assurer son avenir professionnel, a utilisé une rumeur pour inventer un scénario de trafic d'organes pour une émission de télévision. Vous, pour assurer votre avenir politique, vous avez inventé de toutes pièces une affaire de trafic d'influences. En cela, vous avez abusé de cette plate-forme dans un but de déstabilisation. En agissant ainsi, vous avez fixé les limites de votre honnêteté politique et intellectuelle !
Madame, je sais bien que mon opinion ne vous désarme absolument pas et que vous recommencerez à la première occasion. Je sais aussi que si le groupe Gaon était contraint, l'an prochain, à la faillite, vous ne manquerez pas, avec vos amis, de revenir en toute mauvaise foi sur votre résolution pour en tirer un parti posthume. Alors, vous ne manquerez pas d'affirmer devant ce Grand Conseil que si l'on vous avait suivie, ce 13 octobre, il y aurait moins de chômage, moins de difficultés pour les créanciers de Gaon et que la BCG se porterait mieux.
A cette occasion, je ne pourrai, Madame, que vous rappeler votre manque de probité et votre absence d'honnêteté intellectuelle.
M. Jean-François Courvoisier (S). Je voudrais dire à M. Annen qu'il a déformé mes propos, soit volontairement soit involontairement. Je n'ai jamais accusé quiconque de corruption. J'ai simplement déclaré que nous avions des soupçons de corruption et que ces soupçons légitimaient l'ouverture d'une enquête. J'ai même ajouté que, si ces soupçons s'avéraient injustifiés, nous en serions très heureux. Cela est complètement différent de ce que M. Annen vient de nous dire.
M. Bernard Annen (L), rapporteur de majorité. Tout d'abord, je signale à M. Grobet que l'article de Mme Buffat, dans le «Journal de Genève», n'a pas la teneur qu'il vient d'évoquer. D'autre part, je vous fais juges de la réaction, absolument épidermique, de M. Ecuyer à ma petite allusion à l'AVIVO.
Corruption ou pas, Madame Torracinta; soupçons de corruption, Monsieur Courvoisier, il n'y a que cela qui pourrait, à nos yeux, nécessiter une commission d'enquête, acte d'exception de notre parlement et non une décision superficielle qui permettrait de nous enquérir de tel ou tel détail. Aujourd'hui, nous avons parlé uniquement de M. Gaon. La rumeur, elle, touche également certains conseillers d'Etat et conseillers administratifs. Ce sont eux qui sont soupçonnés d'être corrompus, si vous me passez l'expression. En cela, nous ne pouvons pas vous suivre sans l'ombre d'un soupçon !
Par ailleurs, devons-nous vous suivre parce qu'un groupe connaît des difficultés économiques ? Est-ce à dire qu'en cas de faillite de Tavaro ou de la SIP nous devrions aussi nommer une commission d'enquête ? Je ne pense pas que vous le demanderiez et, par conséquent, je ne vois pas pourquoi vous le sollicitez ici.
Aussi, comme M. Ecuyer, je dis : arrêtez, car il en reste toujours quelque chose !
M. Pierre Vanek (AdG), rapporteur de deuxième minorité. Je réponds juste à la dernière remarque de M. Annen, pour qui ouvrir une enquête est une mesure extraordinaire. Il pense que si les problèmes étaient encore plus graves qu'ils ne le sont déjà, à la SIP et chez Tavaro, il ne faudrait pas y mettre le nez. La réponse est évidente pour moi : bien sûr, il le faudrait ! La SIP et Tavaro ne sont pas seulement des entreprises appartenant à des actionnaires, mais elles font partie du patrimoine de la collectivité genevoise. L'avenir des centaines de concitoyens, qui y travaillent, peut être compromis par les erreurs de gestion des directions concernées, voire par des décisions ou des non-décisions des pouvoirs publics. A l'évidence, cela devrait être déjà une mission de notre parlement, et notre groupe, par le biais des interventions de plusieurs de mes collègues, a mis maintes fois le doigt sur les problèmes de Tavaro et sur ce que faisait, ou ne faisait pas, le Conseil d'Etat. Cela nous concerne absolument. Et vous, vous en êtes à dire que toutes ces affaires sont du domaine privé !
M. Kunz vient de dire - et pourtant M. Gaon est la pointe émergée d'un iceberg de spéculations et d'affairisme - que M. Gaon a pris des risques à la limite de l'acceptable, mais que ce n'est pas à nous d'en juger. Mais bien sûr que c'est à nous d'en juger ! Il est inadmissible que des individus puissent, de par leur fortune et du contrôle arbitraire qu'ils exercent - contrôle échappant à toute règle démocratique - mettre en cause des emplois, la situation économique et sociale de ce canton. Voilà le fond du problème ! Vous ne voulez pas que l'on mette notre nez dans les questions de politique économique, parce que vous jugez que c'est un domaine réservé aux multimillionnaires.
Le droit se discute, le droit est l'application de la loi, et les lois, qu'elles soient cantonales, nationales ou internationales, sont susceptibles d'être modifiées. Le problème politique de fond est de déterminer s'il est acceptable ou non que des gens prennent des risques à la limite de l'acceptable, mettent en jeu des montants énormes, quitte à porter atteinte à la situation économique et sociale. Et l'on vient nous dire que la seule assemblée publique, élue par les citoyens de ce canton, n'est pas concernée !
La démonstration M. Froidevaux va dans ce sens. Il nous a dit que c'est un gâchis économique terrible, qu'un joueur a tout misé sur une expansion économique effrénée, que c'est détestable, etc., mais qu'il ne faut surtout pas faire une affaire politique d'une affaire qui ne regarde que les tribunaux ! Pas du tout ! Qu'il puisse y avoir une économie de joueurs, apparentée à celle des casinos, est un fait éminemment politique. Le problème doit être posé dans ce parlement, qui compte des défenseurs de ce système économique, dont M. Annen, partisans du libéralisme sauvage.
Savoir si l'on considère normal le fonctionnement d'un tel système économique, si l'on n'a pas à s'en mêler, si ce n'est pas de notre compétence, ou si, au contraire, l'on considère que ces affaires-là regardent ceux que nous représentons dans cette enceinte, à savoir les citoyens et citoyennes de ce canton, est un problème politique de fond.
Voilà le point sur lequel nous divergeons. Nous affirmons que c'est un problème politique de notre ressort, alors que vous vous en déchargez sur d'autres pouvoirs.
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). En dépit de l'heure tardive, je ne puis laisser passer certaines choses qui viennent d'être dites.
M. Blanc a cité, plusieurs fois, le mot "haine". Je ne sais si vous en mesurez la portée, Monsieur Blanc ! Même si vous tenez des propos méprisants et blessants, ce qui vous arrive fréquemment, je n'aurais jamais l'idée de les qualifier de haineux. Je souhaite que vous réévaluiez la portée de vos termes, dès lors que nous déposons une résolution qui demande simplement à une commission de formuler des questions.
Nous avons voulu poser ces questions, parce qu'il est des choses que nous n'admettons pas et contre lesquelles je me battrai encore et toujours, à savoir l'enrichissement de certains au détriment des autres, et le fait qu'il y ait des droits "plus égaux" pour certains que pour d'autres ! Et là, Monsieur Blanc, je poserai toujours des questions, et vous me trouverez toujours en travers de votre chemin, de même que mon groupe, j'en suis convaincue.
Je vous remercie de m'avoir dit, Monsieur Annen, que j'étais fidèle à moi-même. Je prends cela pour un compliment par rapport à toutes les girouettes qui siègent dans ce parlement...
Des voix. Des noms, des noms !
Mme Elisabeth Reusse-Decrey. Il est trop tard pour que j'en dresse la liste ! Par contre, je crois que vous n'avez pas entendu la totalité de mes propos. J'ai évoqué le refus du Conseil d'Etat. Je connais extrêmement bien l'affaire du casino, puisque j'ai interpellé le gouvernement, à ce sujet, il y a plusieurs années déjà. Je reconnais que le Conseil municipal a commis une erreur en votant la proposition de M. Haegi, et je m'étais étonnée que les socialistes l'aient soutenue, ainsi que d'autres groupes dans notre mouvance. Il faut savoir qu'ils n'avaient pas le choix, car le discours tenu était le suivant : «Si vous ne votez pas ce soir la cession du capital-actions, les employés du casino seront au chômage dès samedi». C'est ce qui a déterminé le vote des conseillers municipaux.
Une voix. C'est faux !
Mme Elisabeth Reusse-Decrey. Ce n'est pas une manière de répondre ! J'ai évoqué les difficultés financières du casino à l'époque, mais il y avait des moyens d'y remédier. Certains s'y intéressaient grandement, et il suffisait de faire des comparaisons avec les casinos voisins, détenteurs de machines à sous qui rapportaient de juteux bénéfices. Aussi, était-il inadmissible de faire du chantage au personnel pour obtenir l'accord du Conseil municipal. Cela figure dans le Mémorial, Monsieur Haegi !
Vous dites "rumeur, rumeur..." et moi, je réponds "faits" ! Mes questions sont demeurées sans réponse.
Et je reprends l'une d'elles, celle de Mme Calmy-Rey au Conseil d'Etat concernant les charges sociales : a-t-on vérifié si M. Gaon acquitte toujours les charges sociales de ses employés ?
Mme Micheline Calmy-Rey (S), rapporteuse de première minorité ad interim. Nous avons posé des questions et vous ne voulez pas y répondre ! Vous prétendez que nous avons tout inventé... Croyez-vous que nous avons inventé ce qui s'est passé à Sécheron ?
Dans l'affaire de la villa Blanc, le département ne s'est-il pas comporté de façon telle que Noga Invest a pu démolir l'édifice en toute impunité ? J'ai posé des questions sur la notification qui aurait dû bloquer toute démolition pendant six mois. Cette notification a-t-elle été faite ? Qui a accordé l'autorisation de construire pour la maison Europa et cela à des conditions particulièrement avantageuses pour le promoteur et particulièrement désavantageuses pour l'Etat ?
Vous venez d'entendre Mme Reusse-Decrey : n'y avait-il rien que d'ordinaire dans l'affaire du casino ?
A-t-on répondu aux questions posées ? En commission, personne n'a rien voulu savoir ! On nous disait : «Apportez des éléments et nous entrerons en matière pour une commission d'enquête». Or, nous considérons qu'il ne nous appartient pas de mener une enquête à titre individuel. Et nous n'avons toujours pas de réponses à nos questions.
Quel est le montant des sommes dues par le groupe Gaon à l'Etat de Genève ? Inclut-il l'impôt à la source ou les contributions de cotisations sociales ? Dans l'affirmative, avez-vous dénoncé ces faits ? Sinon, pourquoi ne l'avez-vous pas fait ? Voilà des questions auxquelles j'espère que vous répondrez, Madame et Messieurs les conseillers d'Etat !
Tout à l'heure, on m'a reproché de manquer de probité intellectuelle, d'honnêteté. Je ne répondrai pas, sachant d'où viennent ces accusations ! En revanche, je comprends votre gêne à propos d'un débat sur l'intérêt public et la façon dont il a été défendu par des élus appartenant à votre majorité. J'admets la nécessité que vous avez à vous justifier, mais je ne comprends pas pourquoi vous ne voulez pas savoir, pourquoi vous cherchez à dévier le débat en portant des accusations personnelles.
Quant à moi, face à la dégradation des consciences, face au règne de l'argent, et à l'envahissement des positions les plus hautes par les passions les plus basses, je me fais beaucoup de souci pour l'avenir de notre République.
M. Claude Blanc (PDC). Moi aussi, je me fais du souci pour l'avenir de la République, parce que, quoi qu'en disent maintenant les députés socialistes, il n'en demeure pas moins que les débats en commission, assortis de propos de plus en plus venimeux, ont tous été axés sur les activités du groupe Gaon. La présidente du parti socialiste, elle-même, est allée très loin : elle accusait Gaon d'avoir fait enlever un ministre ! Vous rendez-vous compte ! (Rires.) Si ce n'est pas de l'acharnement, qu'est-ce que c'est ?
Maintenant, vous prétendez que vous ne vous êtes pas acharnés sur Gaon. M. Longet a même dit que ce n'était pas Gaon, mais M. X. Tout d'un coup, il devient X, parce que Gaon, c'est gênant ! D'accord, nous prenons acte que vous ne vous acharnez pas sur Gaon et que vos intentions sont pures.
Mme Torracinta a déclaré qu'elle n'accusait personne, qu'elle voulait seulement savoir. Mais, juste avant Mme Torracinta, Mme Roth-Bernasconi a carrément chaussé ses gros sabots et ne s'est pas gênée d'affirmer qu'il fallait absolument savoir comment des magistrats avaient pu confondre l'intérêt public avec leurs intérêts privés. Ce sont vos propos textuels, Madame Roth-Bernasconi ! Il s'agit d'une grave accusation, que vous ne pouvez appuyer sur rien, et en vertu de laquelle vous demandez la constitution d'une commission d'enquête. Je vous fais remarquer que la constitution d'une commission d'enquête est subordonnée, pour le moins, à la présomption que les personnes ainsi désignées ont commis des indélicatesses. Ouvrir une enquête sur les personnes est déjà les mettre au pilori de la société. Quand un juge d'instruction ouvre une enquête sur un individu, celui-ci sait qu'il est dans le collimateur de la justice et que le juge pense qu'il a été malhonnête.
De tous vos propos en commission, nous n'avons pu retenir aucune présomption à l'encontre d'un magistrat, soit cantonal soit communal, pour des agissements délictueux. Madame Roth-Bernasconi, il est, en effet, très malhonnête qu'un magistrat confonde ses intérêts particuliers avec l'intérêt public. Cela s'appelle "gestion déloyale des intérêts publics" et c'est passible de la Cour d'assises d'office, c'est-à-dire que le Procurer général peut s'en saisir sans que plainte soit déposée. C'est un crime grave et vous en soupçonnez nos magistrats ! C'est indigne !
Madame Reusse-Decrey, vous présentez l'affaire du casino à votre façon ! En fait, il nous a été dit en commission que le jour où la salle de jeu serait déclarée en faillite, il faudrait bien trouver une solution. Quand on gère une affaire en faillite, chère Madame, on ne dicte pas ses conditions à celui qui nous propose une solution, on est obligé d'accepter les siennes ! Or, il faut reconnaître que la salle de jeux a été sauvée par cette convention, soumise au Conseil municipal, ce que chacun reconnaît. Et la seule question posée au Conseil municipal avait été de savoir si cette convention sauverait les emplois. Comme c'était le cas, le Conseil municipal, dans sa totalité, l'a acceptée. Et maintenant, l'on accuse Mme Rossi ou M. Haegi, je ne sais plus, de connivence avec des intérêts particuliers ! C'est ignoble !
A l'époque, vous avez accepté ce sauvetage, parce qu'il vous arrangeait, et maintenant vous accusez ceux qui l'ont orchestré de malhonnêteté. Ce n'est pas possible ! Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ! Vous nous dites que nous ne voulons pas ouvrir une enquête, parce que nous avons quelque chose à cacher. Vous nous accusez d'abord, puis vous dites que c'est parce que nous sommes malhonnêtes que nous ne voulons pas d'enquête. Vous faites un procès d'intention à tout le monde. Vous voulez absolument convaincre les magistrats de malhonnêteté, bien que nous n'ayons trouvé la moindre chose à leur reprocher.
M. Jean Spielmann (AdG). Je reprends l'argumentation de M. Blanc là où il l'a arrêtée. Il y a lieu de poser des questions sur le fonctionnement de nos institutions quand on démolit illégalement la villa Blanc, ou que des problèmes liés au Grand Casino ne sont pas éclaircis.
Vous avez dit : «Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose !». Vous nous reprochez de n'avoir pas apporté de preuves, mais vous-mêmes n'êtes pas en mesure de répondre aux questions posées.
Le problème de fond posé par une commission d'enquête est bien connu des bancs d'en face. Lors de dysfonctionnements, vous avez proposé plusieurs fois d'enquêter. Cela a été le cas, au niveau fédéral, pour la caisse fédérale de retraite, la CFA. Toute une série de dysfonctionnements, dans cette institution, avait justifié, à vos yeux, la création d'une commission d'enquête.
Quand des questions sont posées, des accusations lancées, le plus grave est de ne pas vouloir faire la lumière, de refuser d'auditionner, de débattre et de s'expliquer.
Certains d'entre vous ont rendu attentifs au danger de laisser planer le doute. Effectivement, c'est l'attitude la plus coupable que l'on ait prise par rapport à ce dossier. Répondre clairement aux questions posées, c'était faire cesser les rumeurs et les accusations.
En relatant les faits tels qu'ils se sont déroulés, on retire quelque enseignement sur le fonctionnement de nos institutions, ce qui permet de corriger les erreurs constatées.
Vous ne pouvez nier qu'une série de problèmes et de dysfonctionnements importants se sont fait jour. Par conséquent, il est irresponsable de refuser des auditions en commission, de refuser de débattre et de ne pas répondre aux questions que se pose la population, à juste titre.
Qui veut cacher ? Qui est gêné ? Qui laisse germer le doute ? Le mieux est de mettre tout sur la table, pour s'expliquer et rétablir la vérité des faits. C'est la seule façon de faire si vous ne craignez pas cette vérité ! Une question concerne les promesses faites à M. Gaon, selon ses dires. De quelles promesses s'agit-il ? Existent-elles ? Si oui, qui les a faites ? Tout à l'heure, M. Nissim, dans son élan, a dit que ce devait être M. Grobet. Des affirmations existent selon lesquelles des promesses ont été faites à M. Gaon. Vous laissez cette question sans réponse, vous laissez planer le doute...
Peut-être avez-vous peur de la vérité ? Sinon, vous n'auriez pas refusé une audition, la création d'une commission d'enquête; vous ne tenteriez pas d'empêcher que l'on retire des enseignements de ce qui s'est passé, que l'on rétablisse la vérité des faits pour faire taire les rumeurs que vous faites circuler dans cette République !
M. Jean-Pierre Rigotti (AdG). En réponse à l'intervention de M. Annen, je voudrais apporter quelques précisions au sujet de la rumeur selon laquelle l'AVIVO aurait bénéficié de faveurs ou autres passe-droits, ce qui est regrettable, car notre association, forte de dix-neuf mille membres cotisants, nous oblige à avoir une certaine indépendance d'esprit et de travail. Malheureusement pour nous, ils ne sont pas tous membres du parti du Travail, ce qui fait que nous ne pouvons pas nous comporter de la même manière que dans des petits cercles de buveurs de thé. (Rires.)
Vous avez raison de dire, Monsieur Annen, que cette rumeur est détestable, et la résolution, dont nous discutons ce soir, devrait avoir pour but de savoir s'il pourrait y avoir eu confusion entre l'intérêt public et l'intérêt privé. Nous ne pourrons pas le savoir, puisque vous refusez que nous puissions nous informer. Cela ne vous autorise pourtant pas à utiliser n'importe quel argument pour vous défendre, si vous en manquez. Quel que soit votre but, n'utilisez pas de rumeur, a fortiori lorsque vous la jugez détestable.
M. Christian Grobet (AdG). Je regrette de constater, une nouvelle fois, que M. Blanc, dans sa volonté d'esquiver le débat vise à porter celui-ci sur un terrain où il n'a pas été porté par la résolution. Vous continuez à dire que le but de cette résolution, je fais allusion au texte de l'invite, est de démontrer qu'il y a eu des passe-droits de la part de certaines personnes et notamment de la part de magistrats, alors que cette résolution demande la constitution d'une commission d'enquête. J'aime bien le parallèle qui a été fait par M. Spielmann, au sujet d'une commission de l'Assemblée fédérale pour enquêter sur un domaine où il y a eu un certain nombre de dysfonctionnements.
Il est possible qu'il y ait également eu certains actes de corruption, encore que j'espère que cela ne soit pas le cas, car j'ai encore une autre vision du fonctionnement de nos institutions, mais on ne peux malheureusement rien exclure. Il y a eu, par contre, de graves dysfonctionnements qui, en raison des incidences qu'ils peuvent engendrer, justifient la création d'une commission d'enquête.
Il a été fait état d'un relevé de l'office des poursuites comportant les dettes des différentes sociétés du groupe Noga, qui serait accessible à n'importe quel citoyen; mais vous savez, comme moi, que cela n'est pas vrai ! Si vous alliez demain, Monsieur Annen, à l'office des poursuites pour demander le relevé des poursuites des sociétés du groupe Noga, vous ne pourriez pas l'obtenir.
Certains d'entre nous, en commission, ont demandé d'avoir accès à ce relevé. En effet, certaine personnes ont obtenu, je ne sais par quelle source, des photocopies, qui avaient l'air authentiques, de ces relevés. C'est intéressant, car on peut notamment examiner l'existence ou non des créances de l'Etat, ou d'impôts arriérés, bien que je reconnaisse que les sociétés du groupe Noga ne sont certainement pas les seules à avoir des arriérés d'impôts.
Par contre, une question intéressante à laquelle la Ville de Genève n'a jamais voulu répondre est de savoir si elle était au courant de l'existence d'une réquisition de vente sur l'immeuble de l'hôtel Noga Hilton, avec toutes les conséquences que cela pouvait entraîner pour la Ville. Nous n'avons jamais obtenu de réponse ni aucun élément de la part de Mme Rossi. Or, j'ai constaté, sur un de ces documents, dont les photocopies circulent, une réquisition de vente demandée par une grande banque, ce qui est extrêmement sérieux. Pourtant, vous n'avez pas voulu examiner les pièces.
On peut toujours porter des appréciations sur la pertinence de certains contrats pour savoir s'ils ont été bien ou mal négociés, mais certains faits graves méritaient qu'on s'y attarde. La tactique, Monsieur Blanc, qui consiste à prétendre qu'il n'y aurait eu que des élucubrations en commission, est parfaitement injustifiée. Nous avons soulevé des faits précis, ils figurent dans les rapports.
D'autre part, votre accusation, selon laquelle nous aurions une haine personnelle à l'égard d'un des acteurs de ce triste spectacle, est infondée. Vous avez fait tout à l'heure allusion, Monsieur Annen, à cet article du «Journal de Genève», dont l'auteur a d'ailleurs écrit d'autres articles, lequel est particulièrement regrettable notamment par son intertitre : «Pourquoi tant de haine ?».
«M. Nessim Gaon, homme d'affaires juif, d'origine soudanaise», peut-on lire. Nous n'avons jamais dit dans nos résolutions ni dans nos interventions que M. Gaon était d'origine juive (Rires.) Monsieur Balestra, je suis d'une génération qui sait ce qu'a été l'antisémitisme et cela ne me fait pas rire ! Je me suis toujours abstenu d'indiquer l'origine ou la religion d'une personne.
Cet article, commençant par cette question «Pourquoi tant de haine ?» poursuit en précisant que M. Gaon est juif et se termine en citant les propos d'un magistrat de la Ville, qui s'inquiète : «...de la dérive raciste d'une certaine gauche genevoise».
Vous pouvez comprendre que l'on puisse être indigné en lisant cela dans un journal. Ceux qui ont lutté et luttent encore contre le racisme et qui, je l'espère, sont dans tous les rangs politiques, qu'ils soient de droite ou de gauche - un magistrat du Conseil d'Etat s'est particulièrement engagé sur cette question, vous pouvez le comprendre - se sentent profondément insultés de voir ce débat ramené à un tel niveau.
En ce qui concerne la commission d'enquête, j'aimerais terminer par ce dernier point. Il ne m'incombe pas, en ma qualité d'ancien magistrat, de demander des auditions, mais je relève que personne n'a demandé l'audition de la principale personne intéressée, que vous avez décrite, Monsieur Blanc, comme étant un "bouc émissaire", en employant des allusions parfaitement déplacées sur un terme, que tout le monde connaît au demeurant, sans qu'il ne soit nécessaire de se référer aux versets bibliques. (M. Grobet est interrompu par quelqu'un qui lui fait savoir que cette audition a été demandée.) Alors je n'étais pas là quand cela a été demandé, excusez-moi !
M. Gaon, dans un communiqué de presse qu'il a signé au nom du groupe Noga, dont, sauf erreur, une copie a également été envoyée au Grand Conseil, a indiqué qu'il aurait bénéficié d'engagements tout à fait précis. Je ne connais aucun autre engagement que les lettres écrites par le Conseil d'Etat, et j'ai peine à croire qu'il y ait pu avoir d'autres engagements que ceux-là.
Il aurait été intéressant d'entendre M. Gaon à ce sujet, parce qu'il est facile de dire que le Conseil d'Etat ou tel ou tel magistrat, comme on l'a insinué tout à l'heure, aurait fait des promesses ou pris des engagements à son égard.
Quand on parle de rumeurs, puisque l'on parle de rumeurs, il convient que celui qui prétend que certains magistrats auraient pris des engagements ou fait des promesses précises donne des précisions sur ses allégations. Croyez qu'il est aussi désagréable pour ces messieurs qui siègent au Conseil d'Etat, que pour ceux qui y siégeaient, d'entendre de telles insinuations !
Mme Micheline Calmy-Rey (S), rapporteuse de première minorité ad interim. Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, et, en particulier, Mesdames et Messieurs les députés de l'Entente, si vous n'avez pas trouvé d'indices, c'est que vous avez véritablement fait montre d'une extraordinaire "bonne volonté" pour ne pas en trouver ! Les rapports des minorités répertorient un certain nombre de faits qui légitiment la demande d'une commission d'enquête.
Les allusions évoquées par M. Blanc, concernant l'enlèvement d'un ex-ministre nigérian, ont été faites pour indiquer à la commission l'atmosphère qui entoure cette affaire et pour lui expliquer qu'il n'appartient pas à une députée de faire une enquête à titre personnel.
Je n'ai d'ailleurs pas seulement parlé de l'enlèvement d'un ex-ministre nigérian, mais j'ai également parlé des «armes plein la cave», de «la contre-attaque de M. Gaon», d'un «arsenal chez M. Gaon». Ce ne sont non pas des rumeurs mais des titres de coupures de presse, que vous pouvez d'ailleurs consulter.
Tout au long des travaux de la commission, on nous a demandé de fournir des éléments accusateurs contre le promoteur. C'était volontairement se tromper de débat, mais aussi une manière d'esquiver les véritables questions, à savoir celles qui touchent à la défense de l'intérêt public.
Mesdames et Messieurs les députés de l'Entente, vous réitérez ce soir; vous nous attaquez pour, semble-t-il, éviter un débat de fond. Je trouve cela lamentable !
M. Michel Balestra (L). Lutter contre le racisme, c'est certainement avant tout en faire la preuve par l'acte et ne pas s'acharner sur une seule personne en débat public, pendant des heures. Mesdames et Messieurs, nous avons passé une soirée à vous entendre attaquer une seule personnalité, sans jamais évoquer un dysfonctionnement réel de nos institutions.
M. Blanc l'a bien dit, vous n'avez aucun indice. La seule chose que je regrette, Mesdames et Messieurs les députés, c'est que mes collègues de l'Entente, lors du premier débat sur ce sujet, n'aient pas accepté de rejeter immédiatement votre projet. En effet, vous avez fait la preuve, ce soir, que vous ne méritiez pas leur mansuétude; ils pensaient qu'en écoutant vos arguments nous aurions peut-être la possibilité de savoir si votre acte parlementaire était fondé ou non.
Votre résolution n'est pas fondée, car dans ce dossier personne n'a rien à cacher, jusqu'à preuve du contraire. Le principe de la séparation des pouvoirs... (Brouhaha.) ...et le bon fonctionnement de nos institutions font que ce Grand Conseil n'est pas en charge d'instruire les dossiers de faillite, et c'est ce que vous avez fait durant toute la soirée.
Vous avez perdu du temps à faire un débat de commission. Je vous ai trouvé ridicules et pathétiques ! De plus, n'oubliez pas que vous avez eu, pendant toutes ces années, une grande responsabilité dans les affaires qui n'ont pas évolué correctement comme celle-ci. Il y a une personne en tout cas ce soir qui aurait pu garder le silence, elle ne l'a pas fait. Il s'agit de mon "ami" Christian Grobet. J'ai eu malgré tout beaucoup de plaisir à l'entendre lui qui, au pouvoir, n'a rien fait pour que ce dossier progresse !
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, le projet de résolution 284 pose la question de savoir s'il y a eu des "faveurs" ou des "passe-droits" accordés au groupe Gaon. Ce sont les termes du projet de résolution. Et c'est à partir de cette hypothèse de travail que les auteurs de la résolution sollicitent la création d'une commission d'enquête parlementaire.
Je voudrais tout d'abord dire que le Conseil d'Etat a été mis en cause dans cette affaire - et cela a été répété ce soir - en raison des charges que certains de ses membres ont exercé soit à la Ville, soit au gouvernement et en raison de ce qu'ils ont eu à connaître de cette affaire.
Et c'est parce que ces collègues-là étaient mis en cause que j'ai été chargé de représenter le gouvernement au sein de la commission parlementaire qui a examiné votre projet de résolution et que nous avons souhaité que les collègues dont il s'agit n'y participent pas, afin, précisément, de ne pouvoir être suspectés d'y défendre un intérêt personnel.
Madame Calmy-Rey, vous avez regretté que le Conseil d'Etat n'ait pas été représenté par d'autres personnes - celles qui avaient été mises en cause. Mais c'est justement, à ce stade de notre discussion, afin de permettre au Conseil d'Etat d'avoir une attitude absolument transparente et d'éviter que le Gouvernement ne soit accusé de défendre directement les intérêts de certains de ses membres, par ceux-là même qui pourraient, selon vous, être amenés à s'expliquer, le cas échéant, devant une commission d'enquête parlementaire, si celle-ci devait être créée.
Ensuite, après bientôt trois heures de débat, vous me permettrez, et je le ferai brièvement, de revenir aux faits essentiels allégués dans le projet de résolution ou dans les discussions qui ont eu lieu, soit dans les commissions, soit ici.
Ce dossier comporte différents volets. D'abord le volet du casino. Il faut prendre les faits tels qu'ils sont, les regarder sans aucune passion, et sans aucune complaisance. A ce propos, notre collègue M. Claude Haegi a été mis en cause, alors qu'il exerçait des fonctions au sein du Conseil administratif de la Ville de Genève, ce qui l'a amené à s'occuper de ce dossier. J'aimerais simplement vous dire qu'a posteriori on peut, bien sûr, porter toute sorte de jugements sur ce qui a été fait, mais il faut se garder d'avoir la mémoire courte.
Lorsque le Conseil administratif a été amené à prendre des décisions, à les proposer au Conseil municipal qui les a acceptées, le casino, respectivement la société qui était chargée de son exploitation, était virtuellement en faillite. Personne ne voulait investir et en tout cas pas la Ville de Genève ! A l'époque - je me souviens bien de ce débat, pour en avoir lu les comptes-rendus au travers de la presse - tout le monde était très heureux que le groupe Gaon investisse dans cette opération, pour pouvoir faire tourner à nouveau une exploitation qui, en définitive, devait interrompre ses activités.
Le groupe Gaon a effectivement investi et dégagé des bénéfices plus rapidement que prévu et c'est à ce moment là qu'on a pu se demander, du côté de la Ville de Genève, si on n'avait pas eu tort et si l'on n'aurait pas dû investir, parce que ces bénéfices auraient pu être portés au crédit de la Ville de Genève. C'est effectivement ainsi que la question s'est posée.
Toujours est-il qu'au moment où le Conseil municipal a accepté la proposition du Conseil administratif personne ne voulait investir dans le projet du casino et on était très soulagé, à l'époque, de constater qu'un homme suffisamment riche pouvait prendre les risques du type de ceux qui, sur d'autres dossiers, sont aujourd'hui mis en évidence.
Pour le surplus et à la suite, en particulier, de l'instruction du dossier qui a été faite par M. Bernard Ziegler, vous savez que le Conseil d'Etat a été amené à ne pas approuver les conventions qui avaient été proposées par le Conseil administratif de la Ville de Genève. Nous avons dû plaider devant le Tribunal fédéral, lequel a donné raison au Conseil d'Etat contre le groupe Gaon. Où est la complaisance ?
Au sujet de la Banque cantonale, autre volet de cette opération. Il est, bien sûr, toujours possible de revenir plusieurs fois sur le même dossier. Mais j'aimerais vous rappeler qu'une interpellation très complète, et documentée de manière inhabituelle par Mme Deuber-Pauli, a été faite devant votre Grand Conseil, le 28 novembre 1991, avant la fusion. Mme Deuber-Pauli estimait que les risques courus par la Banque cantonale - à l'époque Banque hypothécaire - étaient exagérés, en raison des financements qu'elle avait accordés au groupe Gaon pour l'acquisition des terrains du périmètre Sécheron.
Je voudrais vous dire, à cet égard, que le président de notre Conseil, M. Olivier Vodoz, a donné à l'époque une réponse, elle aussi, particulièrement complète et documentée. Il n'y a rien à ajouter à cette réponse, parce qu'il n'y a eu aucun fait nouveau depuis lors. Les propos de l'époque de M. Olivier Vodoz indiquaient déjà très clairement que cette opération de financement par la Banque hypothécaire bénéficiait des garanties usuelles.
M. Grobet a eu raison de dire que l'on prend un risque en acquérant un terrain en vue de réaliser un projet, sans que les conditions propres à sa réalisation soient déjà avérées. Mais les garanties usuelles étaient données et elles ont fait l'objet de vérifications plus grandes que celles en principe exigées en pareille matière, du fait de la fusion bancaire.
M. Vodoz, à l'époque, a dit et expliqué - j'ai relu le Mémorial et je vous invite à le faire - que la Commission fédérale des banques s'était elle-même penchée spécialement sur ce dossier et avait confirmé que tout était en ordre et que les organes de révision de la banque s'étaient penchés sur cette opération et avaient également confirmé, par écrit, que tout était conforme.
Par ailleurs, cela a été répété et je puis vous le confirmer aujourd'hui, tous les risques qui sont encourus comme risques commerciaux ont été totalement provisionnés, et ils le demeurent, car ces provisions n'ont pas été dissoutes.
La banque n'assume donc aucun risque en raison de l'opération Gaon, qui serait de nature, contrairement à ce qui a été dit de manière extrêmement légère, à mettre la banque dans une quelconque difficulté.
Pour le surplus, on oublie une chose. On parle toujours de la Banque hypothécaire, respectivement Banque cantonale. Mais l'opération de l'acquisition des terrains du périmètre Sécheron a été financée par quatre établissements bancaires. La Banque hypothécaire n'est que l'un de ces établissements bancaires qui ont financé et provisionné les risques.
Il me faut maintenant aborder le volet immobilier, parce que c'est un volet qui, à juste titre, a retenu l'attention de votre Parlement à plusieurs reprises. Il a également retenu votre attention dans le cadre des travaux de la commission du parlement.
Pour que les choses soient tout à fait claires, s'agissant des promesses que d'aucuns allèguent ou dont ils se prévalent, il n'y a aucun autre engagement du Conseil d'Etat que ceux qui sont couchés par écrit dans les lettres adressées soit au groupe Gaon directement, soit à Aprofim, une des sociétés du groupe Gaon.
Tout est transparent; vous avez ces lettres. Je voudrais vous rappeler que quand votre Conseil a accepté de réaliser l'opération d'échange de parcelles entre l'Etat de Genève et ABB Sécheron, respectivement l'opération d'échange - parcelle Meyrin-Satigny/parcelle périmètre Sécheron - toutes ces lettres ont été produites par le rapporteur de votre première minorité de l'époque, M. November, et figurent au Mémorial.
Je le répète, il n'y a donc aucun autre engagement du Conseil d'Etat que ceux qui sont couchés dans cette correspondance. Si d'aucuns imaginent que d'autres engagements auraient été pris, qui n'auraient pas été tenus, ce n'est que par pure spéculation intellectuelle et cela ne lie pas le Conseil d'Etat !
Dans le volet immobilier, il y a le volet industriel. Il est particulièrement important, parce qu'il met en cause l'entreprise Sécheron, qui est une entreprise performante, alors que d'aucuns, lorsque ABB s'est séparée de son groupe, jugeaient qu'il s'agissait d'un "canard boiteux".
C'est vrai qu'il y a eu divergence au Conseil d'Etat, comme M. Grobet l'a rappelé tout à l'heure, à propos de Sécheron, sur le droit de superficie consenti au groupe Noga, mais affecté à la réalisation de la construction de l'usine Sécheron. Certains pensaient qu'il avait été consenti à un prix trop favorable. Il est donc permis d'évoquer cette divergence en toute transparence et en toute clarté, il vous est d'ailleurs possible d'en juger.
En réalité, la première chose à savoir c'est que le terrain de Sécheron - parcelle dont le droit de superficie est en cause et qui se trouve à proximité immédiate des voies de chemin de fer - avait été acquis par l'Etat de Genève pour 80 F le m2.
Lorsque nous l'avons reprise, à la faveur de l'échange auquel je viens de faire allusion, cette parcelle est donc sortie du patrimoine d'ABB pour revenir dans le patrimoine de l'Etat. Nous l'avons reprise pour une valeur actualisée de 103 F le m2. Et nous l'avons mise en droit de superficie au groupe Noga, sur la base d'une valeur foncière de 200 F le m2, quelques semaines après. Où est la complaisance ?
On reçoit un terrain pour 103 F le m2 et on le met à disposition d'une entreprise performante sur la base d'une valeur foncière de 200 F le m2. Qu'il me soit permis de vous dire en tant que président de FIPA, suivant de près les conditions de mise à disposition de terrains dans les zones industrielles de développement, que 200 F le m2 c'est à ce jour la valeur la plus élevée que nous ayons jamais consenti à fixer dans les zones industrielles de développement, et celle-ci en est une.
Je ne pense pas que nous puissions parler de complaisance, ou alors ce terme n'aurait pas la même signification pour les uns que pour les autres.
Pour le surplus, le droit de superficie en question était affecté à l'entreprise Sécheron, il ne devait donc pas profiter au groupe Noga. C'était Sécheron qui devait en bénéficier, à la condition que la nouvelle usine soit construite dans le délai d'une année, dès la mise à disposition du droit de superficie ou, pour être plus précis, que le chantier soit ouvert dans le délai d'une année.
Or, nous avons estimé que ce chantier n'avait pas été valablement ouvert dans le délai d'une année, et le Conseil d'Etat, par la plume du chef du département des travaux publics, a fait savoir au groupe Noga qu'il considérait que le droit de superficie était devenu caduc et qu'il reprenait la libre et entière disposition de ce terrain.
Nous sommes à cet égard en contestation avec le groupe Noga et il n'est pas exclu que nous devions plaider sur cette question, parce que le groupe Noga n'est pas de l'avis du Conseil d'Etat. Nous nous en tenons à la conclusion qui est la nôtre, à savoir que ce droit de superficie est devenu caduc et Noga ne dispose plus de ce terrain. L'Etat en reprend la libre disposition. Où est la complaisance ?
Toujours à propos de Sécheron, nous avons travaillé à la mise en sécurité de l'entreprise Sécheron, plus particulièrement de son capital-actions. Vous savez que le groupe Noga était actionnaire, très fortement majoritaire du groupe Sécheron. Nous savions, et j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises dans le cadre de ce Conseil, que cette entreprise se trouvait, en définitive être l' "otage" d'un enjeu qui la dépassait ou qui ne la concernait pas, c'est dire l'enjeu de l'aménagement général du périmètre de Sécheron.
Si le Conseil d'Etat avait été complaisant à l'égard du groupe Noga, il n'aurait pas travaillé à sortir cette entreprise du patrimoine Noga, parce que, ce faisant, il a enlevé au groupe Noga le seul et le plus efficace levier dont il dispose pour pouvoir réaliser un certain nombre de pressions dans le cadre de l'aménagement futur du périmètre de Sécheron.
Nous avons travaillé pour mettre en sécurité le capital-actions de Sécheron, et, précisément, j'en viens à la banque. On a dit que la banque était créancière, de manière exagérée, du groupe Noga, car elle a financé l'acquisition du terrain.
Permettez-moi de vous poser cette petite question sous forme de parenthèse : croyez-vous un seul instant que nous serions parvenus à nos fins; croyez-vous un seul instant que le capital-actions de Sécheron aurait pu être mis en sécurité, c'est-à-dire repris par la Banque cantonale, si celle-ci n'avait pas été créancière du groupe Gaon et par conséquent n'avait pas, de cette manière, comme on le dit, "tenu le couteau par le manche" ?
En définitive, il était heureux que la Banque cantonale de Genève soit une créancière importante du groupe Gaon, car elle a pu dicter un certain nombre de conditions qui ont véritablement permis de sécuriser le capital d'une société performante.
Je voudrais aborder brièvement, en quelques mots, le volet fiscal, parce qu'il a été dit que le groupe de M. Gaon serait débiteur du fisc, et, si on l'a dit, c'est bien entendu pour sous-entendre ou imaginer qu'à cet égard les intéressés auraient bénéficié, pour reprendre l'invite de la résolution, de «...faveurs ou passe-droits».
Vous savez quelles sont les conditions propres au secret fiscal et le Conseil d'Etat ne peut pas violer la loi, sauf à la changer ou à vous inviter à la changer préalablement, ce qu'il n'entend pas faire. Nous pouvons cependant vous dire, et je puis, au nom de notre collègue chargé des finances, vous dire ceci : il y a des dettes fiscales. Ces dettes fiscales ont fait l'objet de procédures de poursuites engagées sans délai. Toutes les procédures ont été conduites. Il se trouve maintenant que celles qui sont relatives au groupe, qui fait l'objet de l'ajournement de faillite, sont suspendues, parce que le propre d'un ajournement de faillite consiste à suspendre toutes les procédures en cours. Sur le plan fiscal il n'y a eu aucune hésitation de quelque nature que ce soit. Nous ne pouvons pas, là non plus, parler de complaisance.
On voit d'ailleurs, lorsqu'on évoque ce dossier en toute transparence et en toute sérénité, qu'on n'a pas d'arguments autres que ceux qui sont déjà portés à la connaissance de votre Conseil au gré de multiples débats. Et c'est dans ce contexte qu'on en vient à évoquer des faits qui sont postérieurs au dépôt de la résolution et, notamment, l'affaire de la villa Blanc.
Je n'entends pas disserter ici sur l'affaire de la villa Blanc et de sa démolition. Je constate simplement que les autorisations ont été données, qu'elles sont entrées en force et que le bénéficiaire des autorisations les a utilisées.
Dans ce contexte, des procédures judiciaires sont engagées. Qu'elles soient conduites jusqu'à leur terme et nous verrons bien si le chef du département des travaux publics s'est trompé, ou non, en donnant les autorisations dont il s'agit, respectivement en tolérant ou en admettant que le bénéficiaire régulier d'une autorisation en force puisse l'utiliser, ce qui, jusqu'à plus ample informé, est d'usage dans un Etat de droit.
Voyez-vous, Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat vous dit, de manière tout à fait sereine, que la vérité est nécessaire dans un dossier, pour autant qu'on la recherche sur des faits, au-delà de la rumeur que l'on cherche à entretenir !
Qu'il s'agisse du casino, ou de la Banque cantonale, du volet immobilier ou du volet fiscal, vous l'aurez vu, le Conseil d'Etat n'a rien à cacher. Je souhaite qu'il en soit de même pour tout le monde et que, de cette manière, vous puissiez retirer de ce débat au moins une conclusion : c'est que certaines affaires complexes s'étendent sur de nombreuses années, et nous avons tous les uns et les autres une tentation à laquelle nous cédons souvent : celle de la mémoire courte !
C'est le lieu de rappeler que toute cette affaire est partie, en réalité, d'une opération qui est celle d'ABB, qui a voulu réaliser le périmètre de Sécheron dont elle était propriétaire, pour sauver quatre cents emplois, en construisant l'une des usines de production les plus modernes du groupe ASEA Brown Boveri que nous sommes fiers d'avoir sur la zone industrielle de Meyrin-Satigny.
Mme Micheline Calmy-Rey (S), rapporteuse de première minorité ad interim. Je voudrais remercier M. Jean-Philippe Maitre qui est la première personne, appartenant à un parti de l'Entente, à être réellement entrée en matière sur le fond du sujet.
Simplement, Monsieur Maitre vous nous avez donné votre version des faits, mais je constate seulement que vous n'avez répondu à aucune des questions posées par la minorité dans ce débat.
M. Christian Grobet (AdG). Il est évident qu'il n'est plus temps d'engager un long débat à cette heure. M. Maitre a effectivement donné un certain nombre d'explications, mais je voudrais simplement dire que ces explications suscitent et méritent un débat que nous ne pouvons plus tenir à cette heure tardive.
Je ne donnerai qu'un seul exemple, si vous me le permettez. Il porte sur l'élément le plus grave de ce dossier au sujet des crédits dont M. Maitre nous dit qu'ils ont été prêtés par les banques aux conditions usuelles. Si ce sont les conditions usuelles de l'époque, ce sont tout de même des conditions usuelles assez extraordinaires et qui méritent, à mon avis, qu'on s'y attarde pour que de telles "conditions usuelles " ne puissent à nouveau être accordées.
Quand on achète officiellement un bien à 135 millions, que les banques prêtent 185 millions, c'est-à-dire, une somme bien au-dessus de la valeur inscrite au registre foncier, lorsqu'on sait que la seule garantie qui a été fournie est le bien foncier lui-même qui, de tout évidence, ne valait pas 135 millions et que la Banque cantonale estime qu'il s'agit là de conditions usuelles, je pense que c'est extrêmement grave !
C'est précisément l'un des points qui aurait mérité d'être examiné de plus près, et l'on n'a pas pu discuter avec la banque, comme M. Maitre. Vous parlez toujours de transparence, des conditions dans lesquelles Sécheron SA a été racheté, mais la banque n'a jamais voulu dire pour quel montant. Il y aurait effectivement un débat intéressant, qui consisterait, premièrement, à savoir si la banque devait racheter une entreprise industrielle et, deuxièmement, à quel prix, ce qui n'est pas sans importance. Lorsque vous évoquez l'avantage du créancier, vous savez, Monsieur Maitre, que, par une opération comme celle-ci, on peut arranger son bilan !
C'est impossible à 1 h du matin, mais on pourrait évoquer d'autres erreurs, comme le droit de superficie qui n'était pas consenti à Sécheron SA, comme vous le savez, mais à Noga Invest. Il s'agit peut-être d'un lapsus de votre part, mais je voudrais simplement relever qu'il y a beaucoup à dire.
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, qu'il me soit simplement permis de dire ceci : la caractéristique de ce genre de débats, c'est qu'une réponse suscite une autre question, et cela sans fin.
Quand vous dites, Monsieur Grobet, que vous souhaiteriez connaître les conditions de reprise par la Banque cantonale du capital-actions de Sécheron, vous savez parfaitement que vous vous heurtez à une impossibilité.
Vous savez également, et cela devrait être de nature à vous rassurer, que dans le comité de banque, je ne parle même pas du conseil d'administration, il y a deux représentants du parti socialiste, dont l'un est spécialiste des questions industrielles, M. Pierre Schmid, et vous pouvez bien imaginer qu'une opération de ce type ne peut pas se faire si le comité d'une banque, quelle qu'elle soit, n'est pas à l'unisson, compte tenu de son importance, et compte tenu évidemment de ses implications financières. Je voulais donc vous dire cela, pour vous rassurer ! (L'orateur est interrompu.) Ah cela ne vous rassure pas, alors je prends note que la participation de M. Pierre Schmid ne vous rassure pas ! C'est un jugement d' "orfèvre", nous en prenons simplement note.
Je crois difficile, dans ces conditions, de vous donner d'autres assurances, car, manifestement, vous ne souhaitez pas les recevoir !
La présidente. Mesdames et Messieurs, nous allons voter sur la résolution, mais nous avons été saisis auparavant d'un amendement émanant de notre collègue, M. Nissim Chaïm.
Cet amendement vise à changer l'invite de la résolution initiale et à la transformer de la manière suivante :
«Charge une commission d'étudier les relations entre les structures de l'Etat et les trous financiers dans l'immobilier et à proposer des solutions».
Mis aux voix, cet amendement est rejeté.
Mise aux voix, cette proposition de résolution est rejetée.
La séance est levée à 1 h 10.