République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 20 octobre 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 10e session - 35e séance
M 938 et objet(s) lié(s)
M 938
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- les risques importants liés à un accident majeur à Superphénix (la probabilité est faible, les risques importants)
invite le Conseil d'Etat
à informer le Grand Conseil sur les plans anti-catastrophes prévus pour Genève en cas d'accident à Malville.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Pour ne donner qu'un seul exemple, l'accident du barillet, qui selon les calculs des experts ne devait se produire qu'une fois tous les 10 000 ans, s'est produit après 4 mois de fonctionnement de Superphénix. Le barillet fendu et perdant son sodium goutte à goutte n'est toujours pas réparé aujourd'hui. On peut donc douter des autres calculs des experts, s'agissant d'une centrale trèsà la pointe de la technique, tellement à la pointe que les problèmes deviennent difficiles à maîtriser.
Le but de cette motion n'est pas de faire de l'alarmisme ni de déclencher une panique. Les motionnaires savent bien que la probabilité d'un accident majeur à Superphénix est réduite. Elle doit être du même ordre que celle qu'aurait un conducteur prudent et sobre d'être impliqué aujourd'hui même dans un grave accident de la circulation. Mais elle n'est pas nulle, de loin pas, et s'agissant d'une catastrophe dont les conséquences seraient, elles, majeures (on parle de l'évacuation de la Suisse romande pour plusieurs années), les motionnaires pensent qu'il n'est pas inutile d'informer la population sur d'éventuels plans anti-catastrophes.
M 940
EXPOSÉ DES MOTIFS
Bien que le Grand Conseil se réjouisse de l'attitude du Conseil d'Etat et de l'appui que le canton de Vaud lui apporte dans les transactions qu'il poursuit auprès des responsables français, le Grand Conseil attend des informations sur l'évaluation des risques, les mesures de sécurité et les précautions qui ont été envisagées afin de répondre à l'inquiétude ressentie par la population genevoise et environnante.
R 279
EXPOSÉ DES MOTIFS
Il n'est pas nécessaire de revenir en détail sur le dossier de Superphénix.
Chacun sait de quoi il en retourne.
Depuis des années la population genevoise, de nombreuses associations, des communes, les autorités cantonales législatives et exécutives manifestent une ferme opposition à l'expérience irresponsable qui se déroule à 70 km à vol d'oiseau de notre canton.
Tout récemment, le gouvernement français a autorisé le redémarrage de Superphénix, autour d'un concept modifié mais tout aussi dangereux, continuant à employer des quantités considérables de plutonium et de sodium liquide.
Les autorités fédérales sont restées en revanche à ce jour sourdes à l'appel à l'aide de notre canton. Il est évident pourtant que les conséquences d'un incident, d'un accident, concerneraient tout le pays.
Il appartient maintenant au Grand Conseil par le vote de cette résolution de lancer un appel solennel au Conseil fédéral pour qu'il prenne fermement position, à l'instar des autorités cantonales, et qu'il agisse pour la défense de la sécurité et de la santé publiques du pays, en employant tous les moyens, notamment diplomatiques, juridiques, politiques et procéduraux, à sa disposition.
Au bénéfice de ces explications, nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, de soutenir la présente résolution
Note d'information
du Département de l'intérieur,
de l'environnement et des affaires régionales
au Grand Conseil
relative au dossier du réacteur Superphénix à Creys-Malville
****************
SOMMAIRE
INTRODUCTION
A. Le volet technique
I. Rappel historique
1. 1976 : construction du réacteur Superphénix
2. De décembre 1986 à juillet 1990
II. Nouvelles orientations données à Superphénix
III. Le Programme d'Acquisition des Connaissances
1. Contenu
2. La sûreté
3. Le calendrier du programme d'acquisition des connaissances
4. Suivi de la mise en oeuvre du programme d'acquisition
des connaissances
B. Le volet sûreté
I. L'expertise extérieure
II. L'arrêt de la centrale
1. La centrale de Creys-Malville a-t-elle été à l'arrêt pendant 4 ans?
2. Le démantèlement
3. Les assurances reçues en matière de sécurité
III. Le rapport d'évaluation d'EDF
1. Le rapport d'évaluation d'EDF
2. La réponse de NERSA
3. .
genevois
C. Les procédures
I. La procédure d'autorisation de création du 27 octobre 1992,
le décret du 11 juillet 1994 et l'autorisation de redémarrage du 3 août 1994
II. Les recours
1. Recours contre le décret d'autorisation de création du 11 juillet 94
2 Recours contre la décision de redémarrage effective de Superphénix
du 3 août 1994
III. La Commission Locale d'Information de Creys-Malville
D. Le redémarrage
I. A quel stade en est-on du programme prévisionnel de redémarrage?
1. Les étapes prévisionnelles du redémarrage
2. Découverte d'une anomalie
E. Incident ou accident à Creys-Malville: quelle est l'organisation prévue
en cas de catastrophe?
I. L'organisation en cas de catastrophe en France
1. L'organisation au niveau local
2. L'organisation au niveau national
II. L'organisation en cas de catastrophe en Suisse
1. Le niveau fédéral
2. Le niveau cantonal
3. Les mesures
CONCLUSIONS
INTRODUCTION
Le dossier relatif au réacteur Superphénix de la centrale de Creys-Malville est constitué d'un nombre importants d'éléments : les éléments historiques, techniques, ceux relatifs à la sûreté et à la recherche, comme ceux constituant la demande d'autorisation du 27 octobre 1992 déposée par NERSA.
L'information donnée ici s'articule autour :
- d'un volet technique comprenant un rappel historique, les nouvelles orientations données à Superphénix, le programme d'acquisition des connaissances;
- d'un volet sûreté comprenant la demande d'expertise extérieure formulée par le Conseil d'Etat genevois, la description des faits s'étant produit lors de l'arrêt de la centrale, le contenu du rapport d'évaluation d'EDF et les demandes du gouvernement genevois aux instances concernées;
- d'un volet traitant des procédures, notamment des recours déposés par le Conseil d'Etat genevois auprès du Conseil d'Etat français et auprès du Tribunal administratif de Grenoble;
- d'un volet sur le redémarrage;
- d'un volet sur l'organisation en cas de catastrophe.
La demande d'autorisation de 1992 se fonde sur un bilan considéré par l'exploitant comme étant globalement positif. Du point de vue technique, l'expérience d'exploitation a confirmé que la plupart des choix étaient justifiés. En ce qui concerne la radioprotection, les doses reçues par les travailleurs étaient plus faibles que celles reçues par les travailleurs des centrales classiques. Quant à l'environnement, il n'a pas été remarqué d'impacts supérieurs aux normes admissibles.
L'impact économique régional est considéré comme "notable" et correspond à 2600 emplois directement ou indirectement induits par la présence de la centrale.
Malgré ce constat rassurant, le Conseil d'Etat, et à travers lui le peuple genevois, admet difficilement le risque présenté par Creys-Malville et agit conformément à l'article 160C de la constitution genevoise pour s'opposer à cette installation.
Le dernier chapitre de la présente note s'inscrit dans le cadre du dépôt au Grand Conseil de deux motions: la motion 938, du 29 août 1994, concernant le redémarrage de la centrale de Creys-Malville et la motion 940, du 30 août 1994, concernant Superphénix à Creys-Malville.
Ce document montrera pourquoi et comment le gouvernement genevois agit.
Pour cela, un certain nombre de rappels sont nécessaires.
A. LE VOLET TECHNIQUE
I. Rappel historique
1. 1976 : Construction du réacteur Superphénix
C'est à partir de 1976 que la construction de Superphénix à Creys-Malville a été entreprise.
Ce réacteur est un prototype industriel de la filière des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium. Sa puissance thermique brute est de 3000 MWth et sa puissance électrique de 1200 MWe, assurée par deux groupes turbo-alternateurs de 600 MWe chacun.
1.1. Les réacteurs de la filière à neutrons rapides
Pour expliquer en quelques lignes le fonctionnement des réacteurs à neutrons rapides (RNR), une comparaison avec les réacteurs à eau sous pression (REP) s'impose. Ces derniers équipent les centrales nucléaires "classiques" comme par exemple, en France, celles du Bugey ou de Fessenheim. A la base, on rappellera que l'énergie nucléaire est l'énergie produite par la fission, c'est-à-dire la rupture en des noyaux de plus petite taille, du noyau d'un élément dit fissile. Des neutrons sont émis lors d'un tel processus, la chaleur dégagée par le phénomène correspond à une perte de matière selon la célèbre formule E = mc2 qui formalise ce principe.
Dans les REP, pour augmenter les chances des neutrons de provoquer la fission des noyaux d'uranium 235 fissiles, on utilise un modérateur, l'eau, qui fait tomber d'un facteur important leur vitesse initiale. Dans les réacteurs dits "à neutrons rapides", au contraire, afin de favoriser la transformation de l'uranium 328 en plutonium, on ne ralentit pas les neutrons. De ce fait, pour que la réaction en chaîne soit entretenue, il faut une plus forte densité de matière fissile dans le coeur. La puissance thermique par unité de volume du coeur étant plus importante, il convient de mettre en oeuvre un fluide caloporteur qui, tout en ayant la propriété de ne pas ralentir les neutrons, présente une très bonne conductivité thermique; le sodium possède, entre autres, ces deux qualités essentielles.
2. De décembre 1986 à juillet 1990
Exploité par la société NERSA (Centrale nucléaire européenne à neutrons rapides S.A.), dans laquelle EDF est associée à divers partenaires de la Communauté européenne, le Centre nucléaire de production d'électricité (CNPE) de Creys-Malville a démarré, à 10 % de sa puissance, le 7 septembre 1985 pour atteindre sa puissance maximale le 9 décembre 1986.
Le fonctionnement du réacteur Superphénix a, depuis décembre 1986, été marqué par les incidents de fuite du barillet de transfert de combustible en avril 1987 et de pollution du sodium primaire, en juin 1990, conduisant à l'arrêt du réacteur le 3 juillet 1990.
L'exploitation de la centrale de Creys-Malville - qui a débuté en 1986 - se caractérise par un fonctionnement couplé au réseau électrique pendant environ 7400 heures, représentant l'équivalent de 174 jours à pleine puissance et à la production brute de 4,54 milliards de kWh.
II. Nouvelles orientations données à Superphénix
Par décision du 22 février 1994, le gouvernement français a décidé de faire de Superphénix un réacteur consacré à la recherche et à la démonstration.
Voici, pour mémoire, un extrait du communiqué de presse du Premier Ministre relatif à cette décision:
"Le Gouvernement décide que Superphénix ne sera plus exploité comme une centrale nucléaire mais deviendra un réacteur consacré à la recherche et à la démonstration.
Ce réacteur s'insérera dans l'effort de maîtrise de la filière nucléaire. La recherche sur l'utilisation du plutonium ainsi que dans le cadre de la loi du 30 décembre 1991 relative à la gestion des déchets radioactifs, la réduction des déchets radioactifs à longue durée de vie issus de retraitement des combustibles des réacteurs nucléaires, constituent les deux objectifs prioritaires. Superphénix apportera de plus une contribution essentielle à la définition de réacteurs du futur destinés à brûler une plus grande partie de l'uranium naturel qui n'est aujourd'hui utilisé qu'à proportion de l'ordre de 1 %.
Le réacteur évoluera le plus rapidement possible vers la sous-génération afin de limiter les quantités de plutonium produites."
En application de cette décision du Premier Ministre du 22 février 1994, l'article 3 du décret d'autorisation de création du 11 juillet 1994 prescrit que :
"Compte tenu du caractère prototype de l'installation, celle-ci sera exploitée dans des conditions privilégiant explicitement la sûreté et l'acquisition des connaissances, dans un objectif de recherche et de démonstration. En conséquence, la production électrique du réacteur ne pourra être soumise aux exigences d'approvisionnement du réseau électrique."
Avant d'entrer plus en détail sur les points relatifs au programme d'acquisition des connaissances et à la sûreté, une précision s'impose sur la signification de la phrase:
"En conséquence, la production électrique du réacteur ne pourra être soumise aux exigences d'approvisionnement du réseau électrique".
La mission de Creys-Malville ne sera plus de produire en priorité de l'électricité. Cependant Creys-Malville continue et continuera à produire de l'électricité. En effet, si le réacteur fonctionne pour acquérir des connaissances et consommer du plutonium, par principe, il continuera de produire de l'électricité. Mais cette production découlera dorénavant des exigences du programme de recherche. En d'autres termes, ceci signifie qu'EDF ne pourra pas demander à NERSA de fournir une énergie donnée sur son réseau électrique.
III. Le Programme d'Acquisition des Connaissances
Concernant l'acquisition des connaissances, le programme défini par le C.E.A. (Commissariat à l'Energie Atomique), EDF et NERSA a été approuvé le 13 juillet 1994 par Monsieur François Fillon, Ministre de la recherche, après évaluation de deux personnalités scientifiques, Messieurs Dautray et Detraz. Ceux-ci avaient remis en date du 31 mai 1994 leur rapport d'évaluation au Ministre de la recherche.
L'information dont nous disposons à ce sujet ressort de documents, établis sous forme de tableaux synoptiques, remis à Monsieur Jean-Claude Landry, écotoxicologue cantonal, lors de la réunion de la Commission locale d'information de Creys-Malville dont on reparlera plus loin.
1. Contenu
Ce programme comporte trois objectifs complémentaires :
1) Exploiter un prototype pour acquérir une expérience industrielle;
2) Qualifier les solutions techniques pour consommer le plutonium;
3) Etudier la possibilité d'incinérer les actinides mineurs qui sont des déchets radioactifs de longue vie formés par irradiation du plutonium 239 et 241.
Voyons un peu plus en détail à quoi correspondent ces trois objectifs :
1) prototype industriel
Le but est d'acquérir une expérience industrielle et de suivre les performances en fonctionnement:
. de divers types de combustibles;
. des systèmes et composants : circuits sodium primaires et secondaires, générateur de vapeur, chaîne de manutention;
. de l'inspection en service;
et d'analyser de façon approfondie les anomalies.
2) consommation de plutonium (sous-génération)
La démonstration est attendue à deux niveaux:
.conversion progressive du coeur du mode surgénérateur en mode sous-générateur;
.qualification sur des assemblages entiers de solutions techniques développées dans le
projet CAPRA (voir ci-dessous).
3) transmutation des actinides mineurs
Un triple but est poursuivi ici :
. confirmer la capacité des RNR (réacteurs à neutrons rapides) à l'incinération;
. préciser les performances de cette solution;
. montrer la compatibilité de deux démarches : la consommation de plutonium et celle de l'incinération des actinides.
L'activité de Creys-Malville s'inscrira désormais dans ce "programme d'acquisition de connaissances". La conception de ce programme vise donc à définir l'évolution de trois coeurs successifs et à anticiper les caractéristiques du combustible qui sera utilisé dans le coeur sous-générateur.
Pour la première fois au monde, un réacteur à neutrons rapides de taille industrielle fonctionnera en sous-génération.
Ainsi, les grandes lignes de ce programme consistent à acquérir des connaissances technologiques pour les appliquer à la future génération de réacteurs à neutrons rapides et à participer à la conception d'un sous-générateur plus performant.
Il sera introduit dans le coeur de Creys-Malville des éléments de combustible précurseurs conçus dans le cadre du projet CAPRA (Consommation Accrue de Plutonium dans les Rapides), projet du C.E.A. qui doit définir les réacteurs à neutrons rapides à grande capacité de sous-génération (consommation de plutonium).
2. La sûreté
Selon l'article 3 du décret, le prototype Creys-Malville sera exploité dans des conditions privilégiant la sûreté. Sur la teneur de ces conditions, le gouvernement genevois, par l'intermédiaire de son président chargé du dossier, a demandé à Monsieur Edouard Balladur, Premier Ministre français, par lettre du 21 septembre 1994, que des informations complémentaires lui soient données.
3. Le calendrier du programme d'acquisition des connaissances
Ce calendrier prévoit :
- pour fin 1995, le chargement expérimental d'assemblages spéciaux pour tester la consommation de plutonium (projet CAPRA) et le chargement d'un assemblage comprenant un à deux kilos de neptunium qui fait partie des actinides;
- fin 1996, début 1997, la mise en place du coeur No 2 et le chargement des assemblages expérimentaux;
- de 1997 à 1999, de nouveaux assemblages seront introduits pour tester la consommation de plutonium;
- fin 2000, il sera procédé à la mise en place du coeur No 3 en vue de faire fonctionner le réacteur en sous-génération de plutonium.
Il faudra donc attendre l'an 2000 pour passer à la sous-génération. En effet, le premier coeur toujours en place ne permet qu'un fonctionnement en surgénération. Le 2ème coeur, qui sera mis en place fin 1996-début 1997, produira autant de plutonium qu'il n'en consommera; on sera alors dans une phase de régénération. Le passage à la sous-génération interviendra lors du chargement du 3ème coeur, en l'an 2000.
4. Suivi de la mise en oeuvre du programme d'acquisition des connaissances
Dans une lettre du 7 juillet 1994 adressée au Président du gouvernement genevois en réponse à sa lettre du 2 mai 1994, le Premier Ministre français, Monsieur Edouard Balladur, précise qu'une commission scientifique suivra la mise en oeuvre du programme d'acquisition des connaissances et remettra chaque année un rapport à la Commission Nationale d'Evaluation instituée par la loi du 30 décembre 1991 relative à la gestion des déchets radioactifs. Monsieur Balladur souligne qu'il est favorable à ce que ce rapport annuel soit communiqué aux autorités du gouvernement genevois "...de façon à recueillir vos éventuels commentaires...". Dont acte.
B. LE VOLET SURETE
I. L'expertise extérieure
Lors de sa séance du mois d'avril 1994, le Grand Conseil a pris connaissance du contenu de la lettre adressée par le président du Conseil d'Etat genevois à Monsieur Edouard Balladur.
Cette lettre avait été rédigée sur le conseil de Monsieur Michel Barnier, Ministre de l'environnement, rencontré pour parler de ce dossier une première fois à Chamonix en présence de Madame Ruth Dreifuss, Conseillère fédérale, au mois de novembre 1993 puis, une seconde fois, à Paris, le 22 mars dernier. Dans ce courrier, il est demandé qu'une expertise extérieure soit mise sur pied afin de s'assurer que toutes les mesures de sécurité seraient remplies pour le redémarrage.
Monsieur Balladur a opposé, par lettre du 7 juillet 1994, une fin de non-recevoir car dit-il "...cela signifierait une remise en cause du savoir-faire de l'autorité de sûreté nucléaire."
La réponse de Monsieur Balladur concernant l'expertise extérieure a extrêmement déçu le gouvernement genevois. En effet, l'expertise extérieure de la sûreté du site est un des seuls moyens d'obtenir des garanties concernant la fiabilité de la centrale.
Par l'intermédiaire de son Président, le gouvernement genevois, a, par lettre du 21 septembre 1994, attiré une nouvelle fois l'attention de Monsieur Balladur sur ce point :"...nous avons vivement regretté la fin de non-recevoir que vous avez opposée à notre requête qui tendait à ordonner une expertise extérieure. L'objectif de celle-ci était d'obtenir l'avis d'une instance neutre dans l'évaluation de la sûreté de l'installation. Nous nous permettons d'insister sur cet aspect essentiel de la sûreté. En effet, il nous semble que, compte tenu des risques exceptionnels inhérents à toute installation prototype, risques auxquels sont exposées les populations de plusieurs pays, une expertise de ce type serait de nature à lever certaines ambiguïtés."
II. L'arrêt de la centrale
Pendant la période du 3 juillet 1990 à celle du 3 août 1994, Superphénix n'a pas fonctionné.
1. La centrale de Creys-Malville a-t-elle été à l'arrêt pendant 4 ans ?
De 1990 à 1994, Creys-Malville a tourné. En effet, on n'aurait pas pu l'arrêter totalement car le sodium doit être maintenu à l'état liquide.
Nous savons que le combustible est resté dans le réacteur, les barres de contrôle étant baissées. Il s'ensuit que les neutrons émis par le combustible ne pouvait pas produire de réaction nucléaire en chaîne car ils étaient absorbés par les barres de contrôle. C'est donc dans cette configuration que la sûreté la plus élevée était obtenue.
Il est important de noter que c'est la première fois qu'a pu être observé le comportement et le vieillissement d'un stock de 5 tonnes de plutonium. Cette expérience a prouvé que le plutonium ne vieillissait pas aussi rapidement que les calculs théoriques l'avaient montré. Il s'agit donc d'une économie de fait de ce combustible.
L'opération aurait conduit à des risques infiniment plus importants si le coeur du réacteur avait été vidé de son contenu. Il aurait fallu, en effet, laisser refroidir le combustible, puis le sortir élément par élément et le transporter dans des systèmes adéquats en des lieux à définir. Cette opération de transport et de stockage en un autre lieu que le coeur du réacteur aurait conduit inéluctablement à la prise d'un risque bien supérieur à celui qui a été endossé lors de l'arrêt de la centrale entre 1990 et 1994.
Pendant cette période d'arrêt, la centrale ne produisait, bien entendu, plus d'électricité.
Le bilan des heures de travail s'établit, quant à lui, ainsi : 1,8 million d'heures de travail dont 1 million consacré au problème des feux de sodium et 800'000 aux autres travaux.
Lorsqu'on demande l'arrêt de Superphénix, il s'agit en fait plus que cela; ce que l'on demande réellement c'est son démantèlement.
2. Le démantèlement
Le démantèlement comporte trois phases :
- Enlèvement du combustible. L'enceinte du réacteur est fermée. On vidange le sodium des circuits primaires et secondaires (niveau I).
- Confinement plus poussé par isolement des principaux constituants.
Démontage des composants en conservant les seules installations nécessaires au démontage complet ultérieur (niveau II).
- Démontage complet des installations. Le site est complètement libéré. Tous les éléments sont évacués vers un lieu de stockage adapté (niveau III).
3. Les assurances reçues en matière de sécurité
L'Etat de Genève n'a cessé de s'opposer au redémarrage de Superphénix compte tenu des dangers qu'une telle installation fait courir à la population qu'elle soit française, suisse, voire européenne.
Lors de l'entretien que le président du gouvernement genevois avait eu, le 22 mars 1994, avec Monsieur Michel Barnier, Ministre de l'environnement, celui-ci lui avait assuré qu'aucune concession ne serait faite en matière de sécurité et que les plus grandes exigences devaient être exécutées.
Ces assurances ont récemment été mises à mal par la prise de connaissance du rapport d'évaluation d'EDF (Evaluation de la préparation du démarrage / CNPE (Centre Nucléaire de Production d'Electricité) de Creys-Malville / avril 1994) ainsi que de la réponse de NERSA, datée du 10 juin 1994.
III. Le rapport d'évaluation d'EDF
1. Le rapport d'évaluation d'EDF
Le CNPE de Creys-Malville, afin de s'assurer de sa capacité à démarrer et à exploiter l'installation à l'arrêt depuis 4 ans, a engagé un programme de vérifications internes.
Il a également demandé à l'Inspection Nucléaire (IN) d'EDF de réaliser une évaluation avant le démarrage. Celle-ci s'est déroulée du 11 au 15 avril 1994. L'inspection nucléaire d'EDF a rendu son rapport d'évaluation le 26 mai dernier. Ce dernier a été porté sur la place publique bien qu'il soit en réalité un document interne.
Venons-en maintenant à son contenu.
Après avoir passé en revue les atouts du site, l'Inspection Nucléaire d'EDF estime que des corrections sont nécessaires sur 6 points. Les voici succinctement résumés:
1. Les contrôles avant remise en exploitation de chaque système ne sont pas suffisants.
2. La connaissance de l'état réel de l'installation par la conduite est difficile.
3. La prévention du risque incendie classique n'est pas assez efficace.
4. La pression du temps réel est généralement très forte, y compris en salle de commande.
5. Les prestataires non EDF ne font pas l'objet d'une surveillance suffisante de leurs aptitudes et de la qualité des travaux.
6. L'exhaustivité des contrôles du chef d'exploitation et la complémentarité apportée par les vérification de l'ingénieur de sûreté ne sont pas établies.
En conséquence, l'Inspection Nucléaire formule 4 recommandations et 14 suggestions afin de réunir les conditions d'une exploitation sûre.
Certes, ces 18 injonctions ne sont pas toutes du même degré d'importance. Mais, dans une centrale nucléaire dans laquelle on exploite un surgénérateur, aucun point ne peut être considéré comme mineur.
2. La réponse de NERSA
Par courrier du 10 juin 1994, NERSA écrit à l'Inspection Nucléaire d'EDF concernant cette évaluation de la préparation du démarrage. Cette lettre n'a fait que renforcer les inquiétudes suscitées par la lecture du rapport puisque NERSA indique qu'elle traitera trois des problèmes avant le redémarrage et le reste après.
Selon les récentes déclarations de Monsieur André-Charles Lacoste, Directeur de la Direction de Sûreté des Installations Nucléaires (DSIN), le gouvernement français n'a pas eu connaissance de ce rapport d'évaluation d'EDF, en ajoutant qu'il ne s'agissait que d'un document parmi d'autres dans ce dossier.
Face aux assurances en matière de sécurité que le président du gouvernement genevois avait reçues en son temps, des interventions, que ce soit du côté suisse ou du côté français, s'imposaient.
3. .
Le contenu du rapport d'évaluation d'EDF a suscité de vives inquiétudes. Le président du Conseil d'Etat genevois a interpellé, à ce sujet, diverses personnalités politiques concernées par ce dossier.
3.1. Lettre adressée à Monsieur Adolf Ogi, Conseiller fédéral
Dans la lettre qu'il a adressée à Monsieur Adolf Ogi, Conseiller fédéral, le 10 août 1994, le Président Conseil d'Etat déclare :
"Je suis stupéfait de découvrir que, dans le rapport susmentionné (le rapport EDF), les experts d'EDF ont émis 4 remarques et 14 suggestions touchant 18 carences liées à la sécurité et de constater que la NERSA n'en retient que 3 avant la remise en activité de la centrale...J'espère que, compte tenu de ces faits nouveaux, le Conseil fédéral sortira de la réserve qu'il a observée jusqu'à présent afin de tout entreprendre pour assurer comme on le doit la sécurité de la population de notre région."
Dans son courrier du 30 août 1994, Monsieur Ogi répond sur l'attitude de réserve du Conseil fédéral, en contestant cette allégation et en énumérant de manière exhaustive tous les contacts que lui et ses prédécesseurs ont eus avec leurs homologues français au sujet du dossier Superphénix.
Il précise que : "Suivant l'expérience que nous avons eue et que nous continuons toujours à avoir, je ne vois aucune raison de mettre en doute les conclusions des autorités françaises de sûreté des installations nucléaires concernant la sûreté de Superphénix à Creys-Malville, ni d'ailleurs les décisions du gouvernement français sur ce dossier."
Il poursuit : "Quant au rapport EDF, vous avez demandé au Directeur-suppléant de l'Office fédéral de l'énergie et Co-président de la Commission franco-suisse de sûreté des installations nucléaires, que cette dernière soit formellement saisie de ce dossier. Ceci a été fait et vous obtiendrez prochainement par ce canal, les assurances que vous demandez."
La réponse de Monsieur Ogi s'inscrit, dans sa teneur, dans la même ligne que la réponse du Conseil fédéral du 3 octobre 1994 faite au Conseil National, suite au dépôt d'une question ordinaire urgente sur la remise en service du surgénérateur de Creys-Malville. En effet, à cette occasion, le Conseil fédéral a fait savoir qu'il estime que le réacteur Superphénix ne pose pas à la population suisse un risque supérieur à ceux qu'elle accepte communément, et que par conséquent, il n'interviendra pas auprès du gouvernement français, ni ne s'associera aux démarches judiciaires entreprises.
3.2. Lettre adressée au Président suisse de la Commission franco-suisse de sûreté des installations nucléaires
Le Canton de Genève étant membre de la Commission franco-suisse de sûreté des installations nucléaires , le Président du gouvernement genevois a écrit - comme cela est indiqué dans la lettre du 30 août 1994 de Monsieur Ogi (voir ci-dessus) - en date du 9 août 1994, au président suisse de ladite commission qui est également le Directeur-suppléant de l'office fédéral de l'énergie, en lui demandant de saisir la commission de ce dossier.
Dans sa réponse du 11 août 1994, le Président suisse de la Commission annonce qu'il transmet le dossier au Co-président français de la commission qui se chargera de répondre directement à la requête genevoise visant à obtenir des assurances quant aux mesures prises conformément aux recommandations contenues dans le rapport EDF.
3.3. Lettre adressée à Monsieur Paul Bernard, Préfet de la Région Rhône-Alpes
Dans cette missive, datée du 11 août 1994, le Président du gouvernement genevois demande également un complément d'information sur le rapport d'évaluation d'EDF et la non-exécution par NERSA, avant le redémarrage, des mesures proposées. Par ailleurs, il ajoute : "Nous nous permettons de vous demander si les conditions ne sont pas réunies pour que votre Gouvernement réexamine ce dossier et que, dans l'immédiat, il accepte de suspendre son autorisation de redémarrage."
Dans sa réponse du 22 septembre 1994, le Préfet de la Région Rhône-Alpes signale à son tour que la Commission mixte franco-suisse de sûreté des installations nucléaires a été saisie de ce problème. Par ailleurs, il indique que, de manière générale, les experts ont jugé que ce rapport d'évaluation ne remettait pas en cause la décision de redémarrage de la centrale.
3.4. La réponse de la Commission mixte franco-suisse de sûreté des installations nucléaires
. .
- Le rapport EDF est le résultat d'un audit interne, procédure habituelle chez EDF comme chez bon nombre d'entreprises industrielles. L'exploitant en tant que premier responsable de la sûreté des installations se doit d'en contrôler par lui-même la sûreté.
- Ce rapport technique n'est pas plus "secret" que tout rapport interne à n'importe quelle entreprise.
- La DSIN a pris connaissance du rapport avant le redémarrage de Superphénix.
- Sur la base du rapport, l'exploitant a pris certaines mesures touchant la sûreté de l'installation. La DSIN en a contrôlé la mise en oeuvre avant d'autoriser le démarrage.
- Le contenu du rapport ne modifie aucunement l'opinion des experts, membres de la Commission mixte franco-suisse de sûreté des installations nucléaires, sur la sûreté de Superphénix.
Le gouvernement genevois est surpris de la tiédeur des propos de la Commission mixte franco-suisse car, dans ses conclusions, celle-ci n'évoque que des problèmes de procédure. Le seul point faisant allusion à la sûreté, n'apporte aucune réponse satisfaisante quant aux garanties attendues sur la sûreté de l'installation.
C. LES PROCEDURES
I. La procédure d'autorisation de création du 27 octobre 1992, le décret du 11 juillet 1994 et l'autorisation de redémarrage du 3 août 1994
Depuis l'intervention du Président du Conseil d'Etat devant le Grand Conseil au mois d'avril dernier, les événements se sont précipités. La procédure d'autorisation de création permettant la renaissance juridique de Creys-Malville a été déclenchée par le dépôt par l'exploitant NERSA, le 27 octobre 1992, d'une demande d'autorisation de création. Celle-ci a abouti à la publication au Journal Officiel de la République Française, du décret du 11 juillet 1994 autorisant la création du réacteur Superphénix.
Comme le gouvernement genevois l'avait pressenti à ce moment-là, le feu vert pour le redémarrage allait être donné rapidement. C'est effectivement ce qui s'est produit puisque, le 3 août 1994, Monsieur Gérard Longuet, Ministre de l'industrie, et Monsieur Michel Barnier, Ministre de l'environnement, ont autorisé le redémarrage du réacteur à neutrons rapides Superphénix, à Creys-Malville.
II. Les recours
Par l'intermédiaire de l'avocat qu'il a mandaté à Paris, le Conseil d'Etat genevois vient de déposer deux recours :
1. Recours contre le décret d'autorisation de création du 11 juillet 1994
Rédigé sous forme de requête sommaire, un recours a été déposé, le 12 septembre 1994, auprès du Conseil d'Etat français (le Conseil d'Etat français est la seule autorité compétente s'agissant d'une décision du gouvernement français) et vise à annuler purement et simplement le décret d'autorisation de création.
Cette requête sommaire, qui soulève différents griefs à l'encontre de ce décret notamment des vices de forme dans la procédure d'autorisation de création qui aboutit à la signature dudit décret, sera complétée par un mémoire ampliatif. Dans la requête sommaire, les arguments avancés pour obtenir l'annulation du décret sont seulement esquissés et seule la voie de l'approfondissement permet d'insister sur tel ou tel moyen et éventuellement de renoncer à tel ou tel autre. Le dépôt de la requête sommaire ouvre un délai de quatre mois pour établir ce mémoire ampliatif.
2. Recours contre la décision de redémarrage effective de Superphénix du 3 août 1994
Egalement rédigé sous forme de requête sommaire, ce recours a été envoyé le 13 septembre 1994 au Tribunal administratif de Grenoble et vise à obtenir l'annulation de la décision du 3 août 1994 autorisant le redémarrage effectif de la centrale de Creys-Malville.
L'argument principal de cette requête est fondé sur le décret d'autorisation de création du 11 juillet 1994. Celui-ci devant être annulé, par voie de conséquence, la décision de redémarrage, prise en application dudit décret, sera également annulée. Un délai de quatre mois est aussi ouvert pour produire des écritures complémentaires.
Par ordonnance du 26 septembre 1994, le Tribunal administratif de Grenoble a ordonné le renvoi de la requête présenté par le gouvernement cantonal genevois au Conseil d'Etat français. Il a ainsi donné suite à la demande de renvoi, pour raison de connexité entre les deux recours, formulée par le Canton de Genève dans le cadre de cette requête. Le Conseil d'Etat français statuera donc à la fois sur le recours contre le décret et sur celui contre la décision de redémarrage.
Dans ces deux procédures, le gouvernement genevois a renoncé pour le moment à déposer des conclusions tendant au sursis à exécution.
En effet et d'expérience, on sait que, dans des contentieux difficiles et aux conséquences politiques et économiques considérables comme celui-ci, il y a un danger de voir le Conseil d'Etat français écarter par ordonnance la requête de sursis par une décision non motivée ce qui ensuite, laisse très largement illusoire le recours car les cas, où ledit Conseil a finalement annulé une décision après avoir, par ordonnance, rejeté les requêtes tendant à son sursis, sont extrêmement rares.
De plus, il semble que jamais le Conseil d'Etat français n'a prononcé un sursis s'agissant d'une décision ayant autorisé la création d'une centrale. En conclusion, pour le moment, le Conseil d'Etat genevois garde ce moyen d'intervention en réserve, en fonction de l'évolution de la situation.
III. La Commission Locale d'Information de Creys-Malville
Dans sa réponse au Conseil d'Etat genevois, du 7 juillet 1994, Monsieur Edouard Balladur, Premier ministre français, annonce qu'un expert représentant l'Etat de Genève pourra être associé aux travaux de la Commission Locale d'Information de Creys-Malville.
Voici une brève information au sujet de cette Commission :
- Création de la commission
En 1981, le Gouvernement français a décidé de faciliter la mise en place auprès de chaque grand équipement énergétique d'une commission d'information lorsque sa création répond aux souhaits des élus et des populations concernées.
La mise en place de cette commission n'est donc pas imposée, l'initiative en revient au Conseil général du département d'implantation, à savoir, dans notre cas, le département de l'Isère.
- Nomination et composition
Le président et les membres de la commission sont désignés par le Président du Conseil général, soit pour l'Isère: Monsieur Alain Carignon. La commission est composée d'élus (maires, conseillers généraux, parlementaires). Par ailleurs, la possibilité de participer à cette commission est offerte aux représentants des unions locales des principales organisations syndicales, des milieux industriels et agricoles, et des associations agréées de protection de l'environnement. Dans certain cas des personnalités, notamment des universitaires, sont également nommées pour en faire partie.
- Mission de la commission
La mission de la commission est à la fois une mission d'information et une mission de suivi de l'impact des grands équipements.
Participation de Genève
Dès que le Président du gouvernement genevois a eu connaissance de la possibilité pour Genève de désigner un expert pour participer à cette commission, soit le 11 juillet 1994, date de réception de la lettre de Monsieur Balladur, il a immédiatement pris tous les contacts nécessaires pour que l'Etat de Genève soit représenté à la séance suivante de la commission qui était fixée 8 jours plus tard, le 19 juillet 1994.
C'est ainsi qu'il a délégué Monsieur Jean-Claude Landry, écotoxicologue cantonal et membre de la direction générale de l'environnement, en tant qu'expert représentant l'Etat de Genève.
Lors de cette séance de la Commission locale d'information de Creys-Malville, présidée par Monsieur Gérard Dezempte du Conseil Général de l'Isère, les principaux sujets traités ont été ceux ayant trait au décret d'autorisation de création, au programme d'acquisition des connaissances et au programme prévisionnel de démarrage. Une documentation relative à ces sujets a été remise aux participants.
Cette réunion a permis à Monsieur Landry de rencontrer Monsieur André Lacroix, Directeur de la centrale et d'établir un contact avec lui. Des entretiens ont eu lieu ultérieurement par téléphone en fonction des événements concernant ce dossier.
D. LE REDEMARRAGE
I. A quel stade en est-on du programme prévisionnel de redémarrage?
Creys-Malville a donc redémarré le 4 août dernier.
1. Les étapes prévisionnelles du redémarrage
Le programme prévisionnel de démarrage se répartit sur 21 semaines. Un arrêt est programmé à l'issue de ces 21 semaines.
La 2ème semaine, des essais physiques à une puissance inférieure à 3 % sont réalisés.
La 3ème semaine, il est pratiqué un test de la pureté du sodium avec une montée en puissance jusqu'à 15 %.
La 7ème semaine, il est procédé à un couplage thermohydraulique du réacteur avec les turbines de production d'électricité.
De la 7ème à la 9ème semaine la montée en puissance jusqu'à 50% se fait en 4 paliers successifs.
Dès la 14ème semaine, il est prévu un passage - en trois paliers - au palier d'endurance à puissance limitée (80%).
Lors de la dernière phase, soit les 20 et 21ème semaines, le passage à la puissance de 100% se fera en deux paliers.
2. Découverte d'une anomalie
11 semaines se sont écoulées depuis le redémarrage. Le programme s'est déroulé normalement jusqu'au début de la semaine du 12 septembre 1994. Le 16 septembre 1994, on a appris l'existence d'une anomalie relative à une baisse anormale de pression d'argon qui a été détectée dans l'un des huit échangeurs de chaleur entre le sodium primaire et le sodium secondaire.
Les cloches où se font ces échanges de chaleur ont un volume de 20 m3. Elles sont sous pression d'argon, gaz rare, inerte, qui empêche le sodium de réagir avec l'air, par exemple. La pression de l'argon est de 1,5 bar. La baisse de pression constatée est de l'ordre de quelques millibars par jour.
L'examen de ces micro-fuites d'argon est terminé et une solution a été apportée au problème. Ces faits ont été présentés à l'autorité de sûreté, la DSIN.
Superphénix fonctionne à une puissance de 3%. NERSA attend de la DSIN, l'autorisation de monter en puissance jusqu'à 30 %. A ce stade, l'énergie produite pourra être injectée dans le réseau EDF.
E. INCIDENT OU ACCIDENT A CREYS-MALVILLE : QUELLE EST L'ORGANISATION PREVUE EN CAS DE CATASTROPHE ?
En cas d'accident ou d'incident à Creys-Malville, il convient d'examiner l'organisation prévue pour faire face à cette situation de crise, tout d'abord, sur place, en France, puis en Suisse et à Genève.
I. L'organisation en cas de catastrophe en France
1. L'organisation au niveau local
Il existe deux responsables opérationnels dans la situation de crise :
- l'exploitant de l'installation nucléaire accidentée, responsable de la sécurité à l'intérieur du site qui déclenche un plan d'urgence appelé plan d'urgence interne (PUI). Il alerte les autorités, dont le préfet et l'autorité de sûreté, dès qu'il a connaissance d'un accident intéressant son installation;
- le préfet, est chargé de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et l'ordre public à l'extérieur du site. En cas d'accident, il déclenche le plan particulier d'intervention (PPI), plan d'urgence établi pour le site nucléaire concerné. Il dispose de l'ensemble des moyens publics et privés, matériels et humains, et en assure la mise en oeuvre et la coordination. Il veille à l'information des populations et des élus.
2. L'organisation au niveau national
Les Ministères concernés prennent toutes dispositions pour permettre au préfet de prendre les décisions qui lui incombent, notamment en lui fournissant, comme le fait également l'exploitant, les informations et avis susceptibles de lui permettre d'apprécier l'état de l'installation, l'importance de l'incident ou de l'accident, et les évolutions possibles.
Parmi les principaux intervenants, il faut citer, au Ministère de l'intérieur, la Direction de la sécurité civile. Celle-ci intervient en liaison avec la direction générale de la police nationale lorsque l'ordre public est concerné, pour la mise en oeuvre des mesures de prévention et de secours destinées à assurer la sauvegarde des personnes et des biens.
II. L'organisation en cas de catastrophe en Suisse
Les autorités françaises compétentes ayant connaissance de l'accident, doivent alerter sans délai, leurs voisins suisses pour qu'en fonction des informations communiquées, ceux-ci puissent à leur tour prendre les dispositions qui s'imposent.
1. Le niveau fédéral
1.1. Information du CODIS (Paris) à la CENAL (Zurich)
Une convention internationale (l'Accord franco-suisse sur les échanges d'informations en cas d'incident ou d'accident pouvant avoir des conséquences radiologiques, signée le 30 novembre 1989, entrée en vigueur le 18 janvier 1990) et plus précisément l'échange de lettres du 30 novembre 1989 concernant cette Convention exige que la CENAL soit informée à temps sur l'accident par les organes français:
"II. A. En cas d'accident à conséquences radiologiques se produisant dans les centrales françaises de Fessenheim, du Bugey et de Creys-Malville (donc avec déclenchement en France d'un plan d'urgence), le CODIS (Centre Opérationnel de la Direction de la Sécurité Civile du Ministère de l'Intérieur) est chargé d'alerter la Centrale Nationale d'Alarme (CENAL) à Zurich."
La CENAL est donc, en principe, informée à temps sur tout événement pouvant avoir des conséquences sur sol suisse pour lui permettre, en cas d'accident à conséquences radiologiques se produisant à Creys-Malville, d'avertir le Canton de Genève sis à 70 km à vol d'oiseau du site de la centrale.
2. Le niveau cantonal
2.1 La CENAL informe Genève
Dès qu'elle a connaissance des informations transmises par le CODIS, la CENAL a le devoir d'informer immédiatement le Canton de Genève. Il en va de même pour les CODIS des deux départements voisins.
2.2 Genève dispose d'un canal d'information transfrontalier
En effet, Genève dispose d'un canal d'information transfrontalier puisque l'arrangement régional franco-suisse sur l'information réciproque en cas de catastrophe ou d'accident grave signé le 17 février 1994 entre le Canton de Genève, la préfecture de l'Ain et celle de la Haute-Savoie prévoit que :
"Vu la nécessité d'établir une procédure rapide d'information réciproque et d'une coordination des moyens engagés en cas de catastrophe;
(...)
Article 1
Il est établi une liaison permanente par téléphone et par fax entre la centrale cantonale d'engagement et d'alarme (CECAL) de la police genevoise et les Centres opérationnels des Services départementaux d'incendie et de secours de l'Ain (CODIS 01) et de la Haute-Savoie (CODIS 74), laquelle devra faire l'objet d'un test mensuel."
Lors de conditions météorologiques stables, c'est-à-dire par vent faible, Genève pourrait être atteinte par le nuage radioactif dans les 12 heures qui suivent un accident à la centrale nucléaire de Creys-Malville. Par vent du sud-ouest, le nuage, plus dispersé certainement, mettra moins de temps.
2.3 A Genève, le plan ISIS est déclenché
A Genève, le plan ISIS (Intervention Secours Information lors de Sinistre) est déclenché. Le règlement cantonal (F 4 4) concernant l'intervention, les secours et l'information lors de sinistre, entré en vigueur le 19 août 1988, explique de manière détaillée la procédure d'intervention.
La Cellule Atomique Chimique (AC), dont le chef est Monsieur Jean-Claude Landry, analyse la situation et propose les mesures à prendre au poste de coordination des opérations (PCO) voire au poste de coordination d'intervention (PCI).
Ces mesures dépendront pour l'essentiel, des informations et des décisions prises par la CENAL, seule autorité compétente en la matière sur le plan suisse.
3. Les mesures
Le plan d'intervention prévoit une série de mesures de protection des populations.
3.1 Alerte et alarme de la population
Trois éléments la composent :
- le déclenchement des sirènes de la protection civile,
- la mise à l'abri de la population qui s'enferme chez elle ou au lieu de travail,
- l'information diffusée à la population par RSR1 et les radios locales.
3.2 Mesures préventives
3.2.1 absorption de comprimés d'iode
L'ingestion des comprimés d'iode est indiquée uniquement en cas d'accident grave survenant dans une centrale nucléaire avec échappement d'iode radioactif et sur ordre des autorités.
En se mettant dans un abri, on protège l'organisme de la radiation directe. En complément à cette mesure, l'ingestion de comprimés d'iode présente une protection de la thyroïde contre l'iode radioactif inhalé.
En ce qui concerne l'approvisionnement de la population en comprimés d'iode, il faut savoir qu'à Genève, un concept cantonal de distribution des comprimés a été élaboré.
Les comprimés d'iode sont remis à l'autorité communale, (Genève est actuellement en train de réaliser cette étape assurée par la protection civile sous la responsabilité du pharmacien cantonal) qui dans une première phase, organisera le stockage des comprimés dans un local qu'elle désignera.
Ce sont les communes qui s'organiseront pour pouvoir procéder à la remise des comprimés d'iode dans les 12 heures suivant l'ordre donné par la Centrale nationale d'alarme.
3.2.2 préparation à l'occupation des abris
Selon l'évolution de la situation, une préparation à l'occupation des abris peut être envisagée; ces travaux seraient effectués par la protection civile (les généralistes des communes et plus particulièrement les détachements de spécialistes chargés de l'assistance).
3.3 Exécution des mesures ordonnées par le Conseil fédéral ou la CENAL
Elles concernent en particulier l'alimentation, l'agriculture et la protection des eaux.
Dans ce cadre, il sera vraisemblablement procédé à la distribution d'eau potable et à la mise en place d'un rationnement des denrées alimentaires.
On se trouverait alors dans une situation dite de nécessité qui conduirait à la mise sur pied de l'Etat-major cantonal de crise qui travaillerait en étroite collaboration avec les troupes de l'arrondissement territorial 14.
Dans la mise en oeuvre de ces mesures, il faudra aussi tenir compte de l'accueil des réfugiés, des déplacements de population et de la lutte contre les contaminations.
CONCLUSIONS
Fort du mandat constitutionnel qui lui a été attribué, le gouvernement genevois est intervenu, intervient et interviendra chaque fois qu'il le peut, pour faire connaître son opposition à Superphénix et aux installations nucléaires localisées dans la région franco-suisse.
Les craintes exprimées, par de nombreuses personnalités scientifiques, politiques et par la population notamment genevoise à l'encontre de Superphénix sont particulièrement compréhensibles, face à une centrale nucléaire prototype qui aggrave considérablement les risques par rapport à des centrales classiques.
Superphénix a subi une mue puisque d'une centrale destinée à produire de l'électricité elle va devenir un réacteur prototype pour la recherche et la démonstration. Il n'est pas prouvé que cette transformation en diminue les dangers.
Cependant le nucléaire est là et il déploie ses effets bien après qu'on a cessé d'exploiter les centrales (jusqu'à 25.000 ans peuvent être mis en jeu pour le plutonium 239). Nous sommes donc condamnés à vivre avec ce problème pour des siècles encore.
Ce constat nous impose de maîtriser les risques et de poursuivre les recherches qui nous permettront d'y parvenir. Pour offrir aux populations la meilleure sécurité il ne suffit pas de prévoir des plans en cas de catastrophe, au demeurant indispensables.
Il faut donc soutenir les travaux des équipes spécialisées qui vont dans le sens d'une gestion plus sûre des centrales nucléaires existantes ou anciennes et de la gestion des déchets.
L'énergie nucléaire est un problème de société. Cette production énergétique a été développée alors qu'elle n'était pas totalement maîtrisée. Plus rien de nouveau ne peut être raisonnablement entrepris dans de telles conditions. De nouvelles dispositions internationales s'imposent. Malheureusement les risques les plus grands ne sont pas à Creys-Malville. Nous devons aussi y penser!
***********
20 octobre 1994
Débat
M. René Longet (S). Doit-on traiter ces sujets dans l'ordre ou doit-on faire un débat global ?
Le président. Cela me semble très clair, Monsieur le député, c'est globalement. C'est Superphénix trois fois !
M. René Longet. D'accord !
Je présente donc la motion que j'ai cosignée. Je suppose que les autres présenteront les autres textes. Je ne développerai pas l'objet lui-même, sinon pour dire que les changements de fonction annoncés pour le réacteur de Creys-Malville ne changent rien au fait que cette installation hautement hasardeuse continue à être chargée de deux substances particulièrement problématiques et dangereuses, je veux parler du plutonium et du sodium liquide. D'ailleurs, actuellement, cette installation ne fonctionne pas du tout selon le principe qui devrait lui être assigné pour la suite, à savoir une incinération de plutonium - à supposer que cela soit possible - mais elle est repartie sur ses vieux rails. Nous avons donc toutes les raisons d'être inquiets !
Grâce au mouvement populaire qui s'est développé depuis des années à Genève, grâce aux organisations de protection de l'environnement antinucléaires, et grâce aux communes, qui se sont mobilisées pour engager ensemble des procédures juridiques transfrontalières, qui sont des actes pionniers, il a été possible de freiner et de stopper cette installation pendant un certain temps. Un certain nombre de recours ont été gagnés devant les juridictions françaises, et ces procédures doivent absolument être poursuivies. Grâce à ce mouvement également, qui, dans l'intervalle, s'est concrétisé dans un amendement constitutionnel - nous le connaissons tous - je veux parler de l'article 160 C, le Conseil d'Etat lui-même est entré dans l'opposition et a engagé les procédures que nous savons.
J'interviens plus spécifiquement sur la résolution 279. Le problème qui se pose est que, malheureusement, le Conseil fédéral reste totalement sourd à tous les appels qui lui sont adressés du monde scientifique, du monde associatif, des communes et des autorités publiques. Il continue à se réfugier derrière des pseudo-certitudes qui lui sont fournies par des pseudo-experts français - et suisses, d'ailleurs aussi - qui prétendent qu'il n'y a pas de problème. Il est très dommage que le Conseil fédéral répercute de pareils propos, au lieu de développer sa propre critique et de prendre ses responsabilités. Nous sommes donc confrontés à une situation grave. Notre canton a une position très claire; le canton de Vaud, à ma connaissance, l'a rejoint; des municipalités vont suivre. Nous tous sommes face à un mur : le Conseil fédéral qui ne veut pas entendre !
Il nous semble qu'il est plus que temps que ce Grand Conseil, en tant qu'instance politique, prenne ses responsabilités et demande très clairement au Conseil fédéral de prendre notre position en considération. C'est nous qui sommes les plus près du problème, mais, qu'on ne s'y trompe pas, Berne et Zurich sont plus proches de Superphénix que Paris. Il ne faut pas croire une seconde que la fameuse barrière de la Sarine soit une barrière pour des éléments volatils radioactifs !
Il nous appartient aujourd'hui, en votant cette résolution 279, de faire usage de nos droits et d'en appeler solennellement - au nom des raisons que nous avons développées de longue date - au Conseil fédéral pour qu'il se range à la nécessité de défendre la population de notre canton, pour qu'il prenne ses responsabilités et pour que nous soyons enfin écoutés. Etre écoutés me paraît la moindre des choses que nous puissions demander au gouvernement, comme nos autorités genevoises l'ont déjà fait. Le dernier rapport sur les affaires régionales comporte un développement sur Creys-Malville, auquel nous pouvons entièrement souscrire. Il faut maintenant passer à l'échelle supérieure, qui est celle de l'Etat fédéral. Cette résolution demande solennellement au Conseil fédéral de nous écouter, de nous défendre, nous, ainsi que tous ceux qui pourraient être touchés par cette installation.
Je préciserai - parce que cela a toute son importance - que cette résolution prévoit que le Grand Conseil, donc le canton, fasse usage de son droit d'initiative au plan fédéral. C'est à dessein que nous avons prévu cette procédure, car nous savons, hélas, comment le Conseil fédéral - en tout cas jusqu'à présent - répond aux démarches qui lui sont faites directement. Nous pensons donc qu'il est nécessaire d'utiliser, cette fois-ci, une procédure plus officielle et plus forte : notre droit d'initiative auprès des Chambres fédérales, pour provoquer un débat à ce niveau. Nous vous demandons de voter cette résolution, ce soir.
M. Chaïm Nissim (Ve). Malville vient d'être remise en marche : le danger augmente !
Notre exposé des motifs de la motion 938 parle de la fameuse panne du barillet qui, d'après les calculs des experts, ne devait se produire qu'une fois tous les dix mille ans, mais qui s'est produite après six mois de fonctionnement, tout cela parce que le barillet a été construit, par erreur, en acier austénitique.
Je ne vais pas vous faire un cours de physique, mais je tiens à vous présenter brièvement un autre danger, dont la presse a très peu parlé : les excursions nucléaires, en particulier les excursions secondaires. Vous savez peut-être que Malville fonctionne avec des neutrons rapides, et que la réaction en chaîne est donc beaucoup plus difficile à maîtriser que dans une centrale traditionnelle. Les experts français ont tenté de calculer ce qui se passerait en cas de mouvement dans la masse de combustible, en cas de création par endroits d'une masse surcritique. Cela provoquerait une explosion molle, un peu semblable à l'explosion d'une grosse bulle de chewing-gum. Cette première explosion - ou plutôt excursion, comme l'appellent pudiquement les experts français - dégagerait une énergie de moins de 800 mégajoules et la cuve est dimensionnée, justement, pour 800 mégajoules.
Tout irait bien jusqu'à la première excursion, mais c'est ensuite que les choses se gâtent. Cette première excursion, en faisant ricocher le combustible contre les parois de la cuve, pourrait entraîner une seconde fois la création d'une masse «surcritique» à certains endroits du coeur provoquant ainsi une excursion secondaire. C'est là que les calculs des experts divergent. Les Français pensent que cette seconde excursion aurait, elle aussi, moins de 800 mégajoules, les Américains, qui se basent sur un autre mode de calcul, démontrent, eux, que l'excursion secondaire pourrait dépasser les 800 mégajoules et que tout pourrait «péter» ! C'est une des raisons qui expliquent que les Américains aient renoncé, à l'ère Carter déjà, à construire des surgénérateurs. L'autre bonne raison étant qu'ils ont dû fermer leur prototype Enrico Fermi suite à une fuite de sodium primaire.
Le risque est donc réel et la question posée dans nos diverses motions est légitime. Que faire en cas de catastrophe ? Nous ne voulons surtout pas coincer M. Haegi en posant cette question et l'obliger à y répondre, puisqu'elle n'a pas de réponse ! Nous l'avons rédigée seulement dans le but de lui donner l'occasion de nous faire part des démarches effectuées et de nous parler du fonctionnement des signaux d'alarme avec les Français, en cas de catastrophe. Malheureusement, M. Ogi a raison sur un point, même s'il a parfaitement et complètement tort de ne pas oser prendre un avocat et recourir contre cette remise en marche scandaleuse, c'est qu'on ne peut pas faire beaucoup plus que prier !
Naturellement, notre groupe soutiendra les deux autres motions, dont le texte est similaire.
J'aimerais tout de même vous faire rire un peu. (Aahhh de satisfaction.) Ma collègue, Fabienne Bugnon, a demandé à M. Ogi, à Berne, ce qui allait être fait, où il en était et pourquoi il ne voulait pas prendre un avocat. M. Ogi a fait une réponse «à faire tomber les chaussettes» ! Il lui a remis des rapports rédigés par les experts suisses en matière nucléaire. Le dernier date de 1989, ce qui signifie que tous les rapports de la DSIN parlant des dangers du sodium ont été passés sous silence par ces experts. Si ça se trouve, ils ne les ont peut-être pas vus ! Ce rapport comporte des phrases absolument inouïes. Les emplacements, où des radiographies ont révélé des indications de fissures dans la cuve, ont été examinés et dans le rapport il est dit, je cite : «Ces examens n'ont indiqué aucune fissure inacceptable.». Voilà les conclusions des experts suisses en 1989 au sujet des fissures de Superphénix !
Autre phrase merveilleuse - il faut que je retrouve cette phrase; elle est trop belle, ce serait dommage...
M. Claude Blanc. Elle s'est volatilisée ! (Rires.)
M. Chaïm Nissim. Non, non, on va la retrouver !
Voilà : «La distance de Superphénix à Genève peut être évaluée à environ cent kilomètres - en réalité il y a 70 kilomètres à vol d'oiseau, mais le vent fait des détours, notamment en passant par le fort de l'écluse, et il faut en tenir compte - et à cette distance il ne faut pas s'attendre à des décès immédiats.» (Eclat de rires.) C'est quant même assez fou de penser que les experts suisses croient nous rassurer en nous disant que nous risquons de mourir, mais pas tout de suite ! Je suis content d'avoir entendu quelques rires. C'est tout ce que je demandais ! (Rires.)
M. Claude Blanc (PDC). Lorsque, dans le courant du mois d'août, M. Nissim nous a soumis sa proposition de motion nous demandant de la cosigner, nous l'aurions fait volontiers, puisque nous partageons son avis à ce sujet, mais la lecture de l'exposé des motifs nous a quelque peu surpris. Nous n'avons donc pas voulu apposer notre signature sur des affirmations «catastrophistes», qui ne sont pas plus fondées que d'autres. Nous avons préféré nous en tenir aux faits et demander au Conseil d'Etat quelles mesures il envisageait pour intervenir en cas de «pépin» à Creys-Malville, sans prendre position sur des affirmations que nous ne sommes pas en mesure de contrôler.
C'est la raison pour laquelle nous avons déposé un texte épuré de manière à arriver aux mêmes résultats, mais pas avec les mêmes références.
M. Pierre Vanek (AdG). J'interviendrai en particulier sur la résolution 279, qui me semble tomber parfaitement bien, comme l'a dit mon collègue Chaïm Nissim.
On a entendu, de la part du Conseil fédéral, une réponse à une question posée par notre collègue, Fabienne Bugnon, qui est particulièrement stupéfiante en matière de sécurité par rapport à Creys-Malville et en matière d'engagement que le Conseil fédéral est prêt à prendre dans cette affaire, ou plutôt n'est pas prêt à prendre ! La réponse de M. Ogi, en substance, est que Creys-Malville n'est pas plus dangereuse qu'une centrale à eau pressurisée ordinaire. Cette affirmation relève d'un mépris parfaitement absolu pour les faits !
Superphénix n'est pas une centrale nucléaire ordinaire. Les autorités françaises, après avoir considéré que Superphénix était la tête de pont d'une filière industrielle, l'admettent. C'est un prototype et un laboratoire, alors que les centrales industrielles classiques ont derrière elles une expérience de fonctionnement de plusieurs dizaines d'années sur des centaines de réacteurs. Elles ont sans doute permis, effectivement, d'améliorer quelque peu la sécurité, même si elles constituent toujours un danger majeur. Ce n'est certainement pas le cas pour Superphénix !
Son dimensionnement n'a rien à voir avec ce qui s'est fait ailleurs dans le domaine. Les surgénérateurs se comptent sur les doigts d'une main. Le réacteur de Superphénix contient plus de 5 000 tonnes de sodium - plus que n'importe quel réacteur classique - qui peuvent s'enflammer et exploser au contact de l'eau ou de l'air, ce qui n'est pas le cas ailleurs. C'est un danger majeur supplémentaire. Superphénix contient plus de 5 000 kilos de plutonium, soit environ vingt-cinq fois plus de cette substance ultratoxique et ultradangereuse que la quantité contenue au maximum dans le coeur d'un réacteur classique !
De plus, le réacteur - tout le monde le sait - de Superphénix n'a jamais fonctionné normalement. Même depuis le redémarrage en août, deux incidents notables ont déjà eu lieu à la centrale. Fin août, un détecteur d'hydrogène, censé prévenir en cas de contact au sodium par rapport aux générateurs de vapeur, est tombé en panne, sans que celle-ci soit détectée immédiatement, le contrôle au tableau de bord étant lui-même en panne. Début septembre, il y a eu un problème de perte de pression d'argon qui a été détecté dans les circuits et qui a fait suspendre l'autorisation de passage au palier supérieur de puissance qui permettrait éventuellement de raccorder Superphénix au réseau. On pourrait parler des heures encore sur ce sujet. Il n'y a aucun rapport entre Superphénix et une centrale nucléaire classique sur le plan de la sécurité.
Adolf Ogi affirme également que Superphénix, je cite : «...ne déroge pas aux pratiques internationalement reconnues en la matière.». C'est du bluff, parce qu'il n'y a pas, précisément, de pratique internationalement reconnue en la matière. Superphénix est un exemplaire unique. Si l'on veut se référer à une pratique internationale en la matière, on pourrait se référer à celle des Américains qui ont cessé, comme cela a déjà été dit, toute expérience et qui viennent de couper les crédits à la recherche, même sur les réacteurs à neutrons rapides. On pourrait se référer à la pratique des Anglais qui ont fermé récemment leur minisurgénérateur à Donnerey, en Ecosse. On pourrait éventuellement évoquer la pratique des Soviétiques, ce qui n'est pas un exemple. Plusieurs incendies de sodium ont eu lieu dans leurs centrales, y compris un, il n'y a pas très longtemps, qui a exigé l'évacuation de l'ensemble du personnel.
Enfin, pour affirmer sa foi aveugle dans l'expertise des Français, Adolf Ogi se base - cela a déjà été évoqué par M. Chaïm Nissim - sur trois rapports, dont le dernier date de 1989. Ils figurent dans la réponse qui nous a été envoyée, notamment à Contratom. Or, en matière de sécurité de Superphénix, 1989 c'est de la préhistoire ! Depuis lors, il y a eu toute une série de problèmes majeurs et des variations de réactivité dans le prototype Phénix qui n'ont toujours pas été expliqués. Les Français - et des autorités de sûreté françaises elles-mêmes - ont réévalué complètement les problèmes de maîtrise des feux de sodium et ont reconnu que ces feux peuvent se déclarer, non seulement pour le sodium en nappe mais aussi pour le sodium pulvérisé. Ils ont dépensé des centaines de millions de francs pour tenter de pallier à ce danger, je dis bien tenter, car, à mon avis, ils n'y sont pas parvenus !
Or, tous ces éléments ne figurent pas dans la documentation du conseiller fédéral, Adolf Ogi. Je crois donc qu'il est indispensable de voter cette résolution, de demander à M. Ogi d'intervenir et d'actualiser un tant soit peu ses dossiers. Il fait référence aux travaux de ces experts qui auraient travaillé en leur âme et conscience, etc. Nous voudrions connaître leur nom, afin d'organiser avec eux un débat contradictoire entre les experts de M. Adolf Ogi - lui-même n'y connaît rien - et des scientifiques sérieux qui ont étudié la question. Par simple solidarité confédérale, le Conseil fédéral devrait appuyer les prises de position du canton de Genève, de la Ville de Genève, des associations et de la douzaine de communes qui sont intervenues à ce sujet. Comme M. Longet l'a indiqué, cette liste s'allonge, et il serait absurde que les autorités fédérales en restent à une position qui n'a rien à voir avec les faits. J'ai l'impression que le conseiller fédéral a sorti des documents anciens de son dossier et les a resservis sans autres. Ce n'est pas sérieux !
Or, je le rappelle, le fonctionnement de Superphénix aujourd'hui ne rime à rien. La centrale ne remplit pas ses objectifs initiaux. Elle ne produit pas d'électricité. Le fait de la transformer en laboratoire expérimental ne diminue pas les dangers, au contraire, cela les accroît probablement. De plus, cette centrale n'est pas adaptée à ce type d'expériences. Ils pourraient faire ces expériences si le surgénérateur fonctionnait à Phénix, à Marcoule. Les partenaires européens de la France en la matière, notamment la société électrique allemande RWE, parlant au nom de ses collègues, a indiqué qu'elle ne voyait aucun intérêt, pour ses partenaires qui ont 49% des actions dans la NERSA, à la poursuite de cette expérience.
Je crois donc qu'il est possible de fermer Superphénix et je crois qu'il faut le faire. Notre signal dans ce sens doit être envoyé très clairement à la Confédération pour qu'elle nous soutienne.
M. Dominique Hausser (S). Nous venons de recevoir une note d'information du département de l'intérieur, de l'environnement et des affaires régionales concernant Superphénix. Je l'ai parcourue en quelques minutes. Ce document semble intéressant et résume l'histoire de Superphénix.
Je poserai une question, s'agissant des deux dernières phrases de la conclusion. Il est dit : «Malheureusement, les risques les plus grands ne sont pas à Creys-Malville. Nous devons aussi y penser !». Je voudrais savoir à quoi pense le département de l'intérieur, de l'environnement et des affaires régionales, en faisant cette recommandation.
M. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat. Il est important que vous ayez l'information la plus complète possible sur ce dossier. C'est pour cela que je vous ai fait remettre, tout à l'heure, une note d'information et aussi pour éviter de retenir votre attention trop longtemps dans le cadre de ce parlement. Cette note vous fait l'historique de Creys-Malville - qu'un certain nombre d'entre vous connaissent depuis longtemps - et traite de tous les volets sur lesquels vous avez posé des questions relativement récemment. Les réponses, si elles ne sont pas toujours satisfaisantes, sont, en tous les cas, le reflet des renseignements que nous détenons à ce jour.
Je me bornerai donc simplement à confirmer ma déception en ce qui concerne la prise de position ou l'absence d'engagement de la Confédération dans ce domaine. Après que les autorités françaises eurent décidé du redémarrage de Creys-Malville, alors même qu'un rapport d'EDF formulait environ dix-huit réserves - carences même - et qu'on en retenait trois ou quatre seulement, j'ai écrit à M. Ogi. La réponse à cette lettre va dans le sens de ce qui a été souligné tout à l'heure. Il n'a pas l'intention d'intervenir dans ce dossier et considère que les autorités françaises ont pris leurs responsabilités. Dès lors, nous n'avons pas, en ce qui nous concerne, à faire pression sur le gouvernement pour obtenir quoi que ce soit. D'autre part, M. Ogi m'a signalé que c'est dans le cadre de la commission mixte franco-suisse que j'obtiendrai des renseignements dans ce domaine.
Je tiens à vous dire que j'ai reçu un courrier récemment, le 12 courant, signé du coprésident de cette commission, dont les conclusions sont les suivantes :
1) Le rapport EDF est le résultat d'un audit interne, procédure habituelle chez EDF comme chez bon nombre d'entreprises industrielles.
2) Ce rapport technique n'est pas plus secret que tout rapport interne à n'importe quelle entreprise.
3) La direction de sécurité des installations nucléaires a pris connaissance du rapport avant le redémarrage de Superphénix.
4) Sur la base du rapport, l'exploitant a pris certaines mesures touchant à la sûreté de l'installation. La DSIN en a contrôlé la mise en oeuvre avant d'autoriser le démarrage.
5) Le contenu du rapport ne modifie aucunement l'opinion des experts membres de la commission sur la sûreté de Superphénix.
La tiédeur des propos de la commission mixte est également décevante et nous pouvions attendre des précisions plus conformes à nos espérances de la part de nos interlocuteurs. Ce rapport vous donnera toute une série de renseignements.
Néanmoins, je vous rappelle que, fort du mandat constitutionnel qui lui a été attribué, le gouvernement genevois est intervenu, intervient et interviendra chaque fois qu'il le peut pour faire connaître son opposition à Superphénix et aux installations nucléaires localisées dans notre région franco-suisse. Les craintes exprimées par de nombreuses personnalités scientifiques, politiques et par la population genevoise à l'encontre de Superphénix sont particulièrement compréhensibles face à une centrale nucléaire prototype qui aggrave considérablement les risques par rapport à des centrales classiques. En ce qui concerne la prise de conscience plus large sur ce problème, je note, en effet, que le gouvernement vaudois est intervenu dans ce domaine et a pris une position publique. L'autre jour, le Conseil d'Etat recevait encore une correspondance de Fribourg, nous demandant des renseignements sur ce dossier. C'est dire que le cercle des gens qui se sentent concernés par ce problème s'agrandit.
Superphénix a subi une mue, puisque, d'une centrale destinée à produire de l'électricité, elle va devenir un réacteur prototype pour la recherche et la démonstration. Il n'est pas prouvé que cette transformation en diminue les dangers. Cependant, le nucléaire est là et il déploie ses effets bien après qu'on eut cessé d'exploiter les centrales. Nous sommes donc condamnés à vivre avec ce problème pour des siècles encore. Ce constat nous impose de maîtriser les risques et de poursuivre les recherches qui nous permettront d'y parvenir, pour offrir aux populations la meilleure sécurité; il ne suffit pas de prévoir des plans en cas de catastrophe, plans au demeurant indispensables. Il faut donc soutenir les travaux des équipes spécialisées, qui vont dans le sens d'une gestion plus sûre des centrales nucléaires existantes ou anciennes et de la gestion de leur déchets.
C'est dire que tout le problème de la formation dans le secteur de l'énergie nucléaire ne saurait être laissé de côté sous prétexte que nous sommes opposés à cette énergie. Nous avons besoin, pendant longtemps encore, de personnes capables de maîtriser cette énergie si nous ne voulons pas exposer nos populations à des risques qui seraient démesurés. L'énergie nucléaire est un problème de société. Cette production énergétique a été développée, alors qu'elle n'était pas totalement maîtrisée. Plus rien de nouveau ne peut être raisonnablement entrepris dans de telles conditions ! De nouvelles dispositions internationales s'imposent.
Malheureusement, les risques les plus grands ne sont pas à Creys-Malville - pour reprendre la citation du député Hausser - et nous devons y penser ! Lorsque je soulève ce problème, je pense aux centrales de l'Est qui sont dans un état de vétusté avancée, et qui exposent non seulement leur population mais aussi l'ensemble de la population européenne aux risques de radioactivité. C'est la raison pour laquelle je dis que s'il est normal que nous parlions de Creys-Malville, nous devons traiter le problème comme un phénomène de société et prendre des mesures nous permettant de le maîtriser dans la dimension réelle qui est la sienne. C'est un projet sérieux qui doit être traité avec sérénité.
Si des instances cantonales et fédérales peuvent s'engager de la manière dont nous le faisons, il est indispensable que le dialogue ait lieu au niveau d'une dimension ou d'une structure européenne, comme le Conseil de l'Europe. C'est la raison pour laquelle, comme je vous l'ai déjà dit, je suis intervenu dans ce cadre pour nous engager ensemble. Si l'avenir de la population de Genève nous intéresse, nous devons tenir compte d'un espace beaucoup plus grand. Il est évident que cela ne vous laissera pas indifférents.
J'espère que le document que vous avez reçu vous intéressera. S'il appelle quelques questions complémentaires, je me tiendrai à votre disposition, si vous le souhaitez. (Vifs applaudissements.)
M 938
Mise aux voix, cette proposition de motion est rejetée.
M 940
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
MOTION
concernant le redémarrage de la centrale de Creys-Malville
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- le redémarrage de Superphénix à Creys-Malville,
- l'émotion et l'inquiétude que suscite ce dernier auprès de la population, surtout après avoir appris que des recommandations liées à la sécurité et formulées par des experts de l'EDF n'avaient pas été retenues avant la mise en route de la centrale,
invite le Conseil d'Etat
à donner au Grand Conseil des informations sur l'évaluation des risques et les mesures de sécurité qui sont prises.
R 279
Mise aux voix, cette résolution est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
RÉSOLUTIONconcernant la remise en service du réacteur Superphénixà Creys-Malville
LE GRAND CONSEIL,
- Considérant le danger résultant de l'exploitation du réacteur Superphénix à Creys-Malville pour la population suisse dans son ensemble,
- Considérant la ferme opposition de la population genevoise et de ses autorités tant législatives qu'exécutives à la reprise de l'exploitation du réacteur
faisant usage de son droit d'initiative au plan fédéral,
demande aux autorités fédérales
d'intervenir avec détermination et en utilisant tous les moyens à leur disposition pour obtenir l'arrêt définitif du réacteur Superphénix.
IU 32
L'interpellation urgente de Mme Sylvie Hottelier (Superphénix) est close.
La séance est levée à 19 h 5.