République et canton de Genève

Grand Conseil

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M 3030
Proposition de motion de Pierre Conne, Francine de Planta, Fabienne Monbaron, Pierre Nicollier, Céline Zuber-Roy, Philippe Meyer, Alexandre de Senarclens, Thierry Oppikofer, Murat-Julian Alder, Geoffray Sirolli, Yvan Zweifel, Marc Saudan, Patricia Bidaux, Gabriela Sonderegger, Christina Meissner pour que l'université et les hautes écoles restent des espaces de débats et de tolérance
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session II des 30 et 31 mai 2024.

Débat

Le président. Nous enchaînons avec la prochaine urgence, soit la M 3030, classée en catégorie II, trente minutes. Je cède la parole à l'auteur du texte, M. Pierre Conne.

M. Pierre Conne (PLR). Merci, Monsieur le président. Chers collègues... (Brouhaha.)

Le président. S'il vous plaît ! (Le président agite la cloche.) Allez-y, Monsieur le député.

M. Pierre Conne. Merci, Monsieur le président. Pour introduire le sujet, Mesdames et Messieurs, je vous propose de vous lire très brièvement une partie d'une interview publiée dans la «Tribune de Genève» il y a un an et demi, en février 2023. C'était celle de Teresa Bejan, professeure de théorie politique à l'Université d'Oxford, qui étudie des concepts ayant amplement occupé l'actualité de l'Université de Genève en 2022.

En effet, deux événements ont été interrompus par des militants de la cause trans et un groupe de personnes a tenté d'entarter Céline Amaudruz. Cette professeure américaine invitée par l'UNIGE à donner une conférence sur la tolérance et la liberté d'expression... (Brouhaha.)

Le président. Excusez-moi, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, si vous n'êtes pas d'accord, si vous ne voulez pas écouter, vous pouvez toujours sortir, aller au bistrot, mais pour celles et ceux qui restent dans la salle, je vous prie d'écouter votre collègue !

M. Pierre Conne. Merci. La professeure Bejan, experte américaine invitée par l'UNIGE à donner une conférence sur la tolérance et la liberté d'expression, a accordé une interview à la «Tribune de Genève». Je lis les premières questions de la journaliste: «Quel regard portez-vous sur les récents événements survenus à l'UNIGE ?» - «Je n'étais pas au courant, mais ça explique sûrement pourquoi l'Université m'a invitée ! (Rire.) Plus sérieusement, ce type de controverses n'est pas propre à Genève et surgit dans les universités du monde entier.»

«Pourquoi ?» - «Historiquement, l'université est une institution dans laquelle les étudiants se réunissent pour rechercher la vérité et acquérir de la connaissance. Le conflit naît du fait que certaines personnes souhaitent que l'université soit aussi à l'image de la société dans laquelle elles souhaitent vivre: une communauté tolérante, inclusive et socialement juste.»

«Que conseillez-vous aux universités qui font face à ces controverses ?» - «Je pense que l'université doit se concentrer sur sa mission première: la recherche de vérité et la création de connaissances. Ça ne veut pas dire qu'elle ne doit pas être accueillante et tolérante vis-à-vis des opinions et des identités de ses membres. Elle doit l'être absolument. Mais les universités sont des lieux où les désaccords sont essentiels et doivent être tolérés.»

Voilà qui me semble tout à fait à propos pour aborder la proposition de motion que je vous soumets, parce que les événements que j'ai présentés comme exemples dans mon introduction - deux d'entre eux sont rappelés dans l'interview - montrent qu'à un moment donné, l'université fait face à un accaparement de ses lieux par des personnes qui déclarent des prises de position et refusent le débat.

J'étais personnellement présent lors de l'événement du 29 avril, lorsque des militants et militantes ont interrompu une conférence organisée par les professeurs Bertrand Cramer et Antonio Andreoli, du Centre de psychanalyse de Suisse romande. J'étais présent, parce que la transidentité constitue un sujet de société, et il me paraissait d'autant plus pertinent d'y assister qu'il s'agissait d'un débat universitaire. Or ce débat n'a pas pu avoir lieu.

Pourquoi ? Parce que les militants sont intervenus, ont bruyamment occupé le terrain, et lorsque le professeur Andreoli, qui a fait ses études à la fin des années 60 en Italie et était très engagé dans les causes estudiantines de l'époque, s'est approché d'eux pour les inviter à prendre part au débat, il a eu droit à des cris portés au mégaphone dans l'oreille.

Ce genre d'incident place le rectorat - et on l'a vu encore récemment avec l'occupation de l'alma mater par des étudiants propalestiniens - dans une situation embarrassante. Les universités sont ouvertes au débat contradictoire, mais pas à des accaparements de leurs locaux et à des prises de position extrêmes, faites de chantage et d'exigences sans nuances, de la part d'un certain nombre de groupes militants extrémistes.

C'est la raison pour laquelle ce que nous vous proposons, dans le fond, c'est simplement de réaffirmer la garantie de liberté de débat contradictoire au sein de l'université. En ce qui concerne la deuxième invite, j'ai déposé un amendement que je vous lis: «prévenir, interdire et, si nécessaire, mettre fin sans atermoiement, en collaboration avec le rectorat, à toute manifestation refusant un débat contradictoire et à toute action [...]» - la suite n'est pas modifiée. Il s'agit vraiment de mettre l'accent sur le fait que tous les débats, tous les dialogues sont permis, oui, mais pour autant que toutes les parties soient bien d'accord de vouloir débattre.

Enfin, il convient - parce que, comme nous l'avons vu, il y a des atteintes aux personnes et aux biens - de protéger les biens et les personnes au sein de l'université et des hautes écoles, cas échéant de poursuivre les contrevenants. Il n'y a pas de raison que l'université, bien qu'autonome, constitue une zone de non-droit. Pour toutes ces raisons, je vous invite, chers collègues, à accepter cette proposition de motion. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)

M. Leonard Ferati (S). Mesdames et Messieurs les députés, je vous le dis d'emblée: je suis choqué par les atteintes à la liberté de manifester portées par l'aile droite de ce parlement. Le PLR a frappé un premier coup en cherchant à limiter les manifestations sur les grands axes de fréquentation, puis un second avec cette motion qui criminalise les étudiants. Sous couvert de défendre les libertés des uns et des autres, il s'agit en réalité de textes liberticides, particulièrement pour celles et ceux qui refusent de rester muets face à ce qui se passe dans la bande de Gaza. A quoi sert une manifestation si elle n'est pas visible ? Si elle n'est pas bruyante ?

Ne vous méprenez pas: de notre côté, nous n'opposerons pas les luttes et nous n'aurons pas l'indécence d'opposer les victimes. Un enfant est un enfant, une vie est une vie, un otage est un otage, sans distinction de couleur de peau, d'origine ethnique ou de religion. Alors prenez acte de ceci: nous combattrons avec la même intensité le racisme, l'antisémitisme ou l'islamophobie, mais nous refusons de cautionner un jour de plus l'extermination du peuple palestinien. (Applaudissements.)

Les luttes sociales qui remettent en question l'hégémonie du pouvoir ont toujours été marginalisées. Nous en avons eu un flagrant exemple ce soir: en refusant de traiter la proposition de résolution pour que la Suisse reconnaisse la Palestine, vous poussez les manifestants à continuer de sortir dans la rue et les étudiants à continuer d'occuper l'université.

Saint Augustin a dit un jour: «A une loi injuste nul n'est tenu d'obéir», ce qui signifie que la résistance intellectuelle est un droit et, dans ce cas-là, un devoir. Alors mettez-vous ça dans le crâne une bonne fois pour toutes: les manifestations sont faites pour déranger, sinon elles ne servent à rien, ne vous en déplaise. Dans la Genève internationale dépositaire des droits de l'homme, la Genève de l'ONU et des ONG, nous devons être aux côtés de ceux qui refusent de se taire.

L'université est un espace où on réfléchit; on y apprend à débattre et à s'élever. Quand nous prônons la force de la culture, vous prônez la culture de la force. C'est pourquoi nous refusons avec conviction cette motion. Merci beaucoup. (Applaudissements.)

M. Yves Nidegger (UDC). La déclaration de mon préopinant est une illustration assez précise et fidèle de ce que la motion de Pierre Conne et cosignataires dénonce, à savoir l'allergie à la contradiction. Le problème de l'allergie à la contradiction, c'est que cela tue non seulement la vie académique, mais également la vie démocratique et, au fond, ce sur quoi est fondée la civilisation occidentale, c'est-à-dire le fait que la vérité absolue n'est possédée par personne et qu'il faut nous résoudre à approcher un tout petit peu de la réalité à condition d'accepter de voir les oppositions entre des idées de gauche, de droite ou d'autres obédiences de différentes natures. Personne parmi nous ne peut imposer sa vérité aux autres, tout simplement parce qu'aucun d'entre nous ne possède la vérité.

Les exemples relevés dans le texte sont clairs. Cette incapacité d'entendre une contradiction dont fait preuve le lobby LGBTQIA+... Alors j'ai trouvé un moyen mnémotechnique pour me souvenir de ce grand nombre de lettres, parce que c'est quand même compliqué: «Le Grand Bêtisier Tragique du QI Absent». Voilà de quoi il s'agit, et lorsque vous venez dans un amphithéâtre dire que certaines positions ne sont pas soutenables, vous niez non seulement la liberté académique, mais vous niez la liberté tout court.

Lorsque nous sommes sortis tout à l'heure et avons été conspués par une foule qui nous faisait des doigts d'honneur en criant «shame on you» parce que ce parlement, dans sa majorité, avait eu le très mauvais goût de ne pas accepter le caprice d'une proposition demandant une reconnaissance politique - dont par ailleurs notre Grand Conseil n'a absolument pas la compétence -, c'était une manifestation de cette intolérance dangereuse qui est en train de détruire les fondements mêmes de la civilisation occidentale.

Toutes les civilisations avancées s'autodétruisent à un moment ou à un autre, parfois par leurs vices, parfois par leurs vertus. Dans le cas de la civilisation occidentale, nos vertus sont la liberté d'expression et la tolérance des minorités. Eh bien aujourd'hui, les minorités ont pris le pouvoir et imposent à la majorité - ce qui constitue une négation absolue de ce sur quoi notre société est fondée - le droit de s'exprimer en tant qu'avis majoritaire.

La proposition de motion de M. Conne et cosignataires doit être soutenue. Cela suffira-t-il à empêcher l'effondrement de l'Occident ? Je n'en suis pas certain, mais elle doit être soutenue, parce que cela montrera à tout le moins une volonté de résister à ce qui n'est rien d'autre qu'une décadence.

M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve). Que dire après autant d'inepties et ce refus de débattre, si ce n'est que nous avons été pour le moins étonnés, surpris - choqués, même - de recevoir ce matin à 10h06 cette proposition de motion manifestement rédigée dans la précipitation, à laquelle on a adjoint tout à l'heure, à 21h14, un amendement qui la rend non pas moins confuse, mais moins compréhensible, ce qui témoigne d'une intention plutôt troublante, peut-être celle de réagir à un autre texte et non de traiter en urgence un cas qui ne mérite pas d'être traité en urgence.

Pour preuve, sur les trois événements cités dans les considérants, deux d'entre eux se sont produits il y a plus de deux ans - M. Conne a eu la pudeur de ne pas citer l'année de ce fameux 29 avril -, donc il n'y a pas d'urgence à examiner cet objet, quelle que soit l'opinion que nous avons sur ce qui s'est passé à cette époque, ce d'autant plus que s'agissant de l'un des deux événements, l'université n'était pas attaquée, elle servait simplement d'hébergement à une manifestation organisée par des tiers.

Mais en plus, on leur lie un troisième événement qui semble évidemment être le coeur de cette motion, c'est-à-dire l'occupation de l'université à laquelle se sont livrés les étudiants ces dernières semaines. Et là, quel que soit le regard que l'on porte sur les revendications de la coordination étudiante - et ces regards sont divers, autant le dire -, il faut admettre que les choses se sont passées dans un certain calme, dans un certain respect des personnes, et que la coordination étudiante a assumé ses devoirs en matière d'ouverture au débat et de sécurité des lieux. Il faut le reconnaître. Par conséquent, il est tout à fait malvenu d'utiliser cet exemple pour aboutir à des invites qui sont elles-mêmes contradictoires.

Pourquoi sont-elles contradictoires, Mesdames et Messieurs les députés ? On prétend défendre la liberté académique, mais comment prétend-on défendre la liberté académique ? En intervenant dans le fonctionnement de l'université ! Si vraiment on souhaite préserver la liberté académique, il est précisément de notre responsabilité de laisser aux autorités de l'université le soin de décider s'il convient de réagir ou non, s'il convient de déposer plainte ou non, s'il convient de retirer les plaintes qui auraient éventuellement été déposées auparavant.

Dans ce sens, nous estimons que cette motion mal formulée et rédigée dans la précipitation n'a pas vocation à être adoptée. Simplement, étant donné que nous sommes prêts au débat, nous proposons qu'elle soit renvoyée à la commission de l'enseignement supérieur; si ce n'est pas possible, nous la refuserons. (Applaudissements.)

M. Diego Esteban (S). Une brève réaction aux propos qu'on a entendus de la part de M. Nidegger. «Les minorités sont au pouvoir, on ne peut plus s'exprimer !», s'exclame-t-il d'abord depuis la tribune du parlement cantonal, ce qui est quand même relativement contradictoire. Je pense qu'on le laisse s'exprimer. Maintenant, pour dire quoi ? Pour dire que finalement, les contestations ne peuvent pas se dérouler dans n'importe quel contexte, qu'un cadre est nécessaire.

Au-delà du fait que c'est problématique d'entendre un membre du Grand Conseil dire cela à des mouvements qui sont populaires et donc dotés de moins de pouvoir que des députés, je tiens à observer qu'il est un élément de contestation qui n'est visiblement pas contestable pour M. Nidegger, à savoir les symboles de haine, puisqu'il s'oppose à la loi que nous allons voter le 9 juin prochain. Il a même convaincu son parti, l'UDC, de défendre qu'il soit toujours possible de graffer des croix gammées sur les murs de la ville... (Applaudissements.) ...mais visiblement, les débats favorables aux minorités, aux personnes LGBT, aux migrants, etc., ce n'est pas possible. (Applaudissements.)

M. François Baertschi (MCG). Il y a des problèmes au sein de l'université, chacun en conviendra, quel que soit son bord politique: il y a des problèmes de respect, de dialogue, d'écoute, c'est une réalité. Malheureusement, cette proposition de motion adopte une posture, même si la situation est réelle; elle est mal rédigée, floue, confuse, et demande de légiférer, mais de manière... J'ose espérer que le législateur travaillera un petit moment dessus pour clarifier ses idées avant de formuler une proposition, parce que là, le texte est véritablement basé sur une grande improvisation.

C'est la raison pour laquelle je demanderai également le renvoi en commission. Nous devons étudier cet objet, réaliser un travail sérieux avant de légiférer à la va-vite et de faire - excusez-moi du terme, je le dis avec beaucoup de respect... (Un instant s'écoule.) Je vois que l'émotion a pris le dessus ! Bref, il convient de légiférer de manière intelligente et utile. Là, ça part dans tous les sens. Il y a une certaine impatience qui est un peu, je ne sais pas...

J'ai encore le souvenir désagréable d'une proposition de motion que j'avais déposée il y a quelques années et qui demandait davantage de respect et pas de discrimination au sein de l'université: elle avait été balayée. Les mêmes partis - de gauche et de droite - avaient rejeté ce texte au demeurant très modeste, cristallisant une intention qui pouvait être acceptée. Mais non, ils n'en ont pas voulu, et maintenant, certains groupes se réveillent et constatent qu'il y a des problèmes au sein de l'université !

Je ne comprends pas cette légèreté, l'amateurisme de certains milieux qui, très souvent, regardent les autres partis de haut alors qu'en fait, ils devraient eux-mêmes effectuer le travail qui s'impose. Alors bon, je n'ai pas de leçons à donner et vous ne transmettrez pas ces propos, Monsieur le président... (Rires.)

Une voix. Dans ce cas, il ne faut pas le dire !

M. François Baertschi. ...mais je suis tout de même très surpris de voir qu'on dépose ce genre de texte et j'espère sincèrement que l'intelligence prendra le dessus, qu'on ne votera pas une motion comme ça, à la va-vite, n'importe comment, à la... Comment dire ? Je ne sais pas, les mots me font défaut tant je trouve cette démarche décevante. Merci, Monsieur le président.

M. Alexis Barbey (PLR). Je suis vraiment stupéfait et assez peiné de voir la tournure qu'ont prise les débats sur cette proposition de motion. On nous présente - le parlement, plutôt, nous présente - deux visions de la société qui ne devraient pas s'opposer, mais plutôt se rejoindre derrière le même combat, celui de la liberté de parole, de la liberté de pensée, de la liberté de s'exprimer.

Nous avons ici un texte extrêmement pondéré qui demande seulement que le dialogue reste possible au sein de l'université. Et à cela, on oppose le fait que ceux qui parlent le plus fort auraient raison. En tant que député, je ne peux pas souscrire à une telle logique. Et franchement, cela m'afflige énormément.

D'autre part, cette motion vient en soutien à l'université dans un moment difficile pour elle. Cette institution dont nous sommes un peu l'autorité de tutelle, même si nous n'avons pas d'autorité dessus, peut espérer notre support. En votant ce texte, nous l'aiderons à faire respecter le droit. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je mets aux voix la proposition de renvoi à la commission de l'enseignement supérieur.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 3030 à la commission de l'enseignement supérieur est adopté par 50 oui contre 37 non et 2 abstentions.