République et canton de Genève

Grand Conseil

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PL 12945-B
Rapport de la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) chargée d'étudier le projet de loi constitutionnelle de Jean-Pierre Pasquier, Véronique Kämpfen, Pierre Nicollier, Antoine Barde, Jean Romain, Alexis Barbey, Céline Zuber-Roy, Murat-Julian Alder, Pierre Conne, Jacques Béné, Serge Hiltpold, Helena Rigotti, Sylvie Jay, Fabienne Monbaron, Francine de Planta, Alexandre de Senarclens, Charles Selleger, Joëlle Fiss, Raymond Wicky, Bertrand Buchs, Jean-Charles Lathion modifiant la constitution de la République et canton de Genève (Cst-GE) (A 2 00) (Pour une protection forte de l'individu dans l'espace numérique)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IV des 22 et 23 septembre 2022.
Rapport de majorité de Mme Céline Zuber-Roy (PLR)
Rapport de minorité de M. Pierre Vanek (EAG)

Premier débat

Le président. Nous poursuivons avec le PL 12945-B, classé en catégorie II, quarante minutes... (Brouhaha.)

Une voix. Monsieur le président, on ne vous entend pas !

Une autre voix. Il faut se taire !

Le président. Il y a une excellente solution: c'est que les uns et les autres se taisent, et vous m'entendrez ! Pour commencer, la parole revient à Mme Céline Zuber-Roy.

Mme Céline Zuber-Roy (PLR), rapporteuse de majorité. Je vous remercie, Monsieur le président. Les importantes avancées technologiques... (Brouhaha.)

Une voix. Chut !

Mme Céline Zuber-Roy. Merci. Les importantes avancées technologiques, en particulier numériques, posent de nombreux défis à notre société. Une meilleure protection des citoyens et de leurs données constitue ainsi un enjeu fondamental. C'est l'objectif du PL 12945, lequel inscrit un nouvel article dans la constitution cantonale pour garantir l'intégrité numérique des personnes. Bien qu'ayant déjà présenté ce projet de loi lors de la session de mai-juin avant son renvoi en commission, je me permets de refaire une présentation complète des travaux aujourd'hui afin d'offrir une vue d'ensemble de cette proposition de modification constitutionnelle.

Lors des premiers travaux de commission, l'ajout d'un nouveau droit à notre charte fondamentale a été jugé pertinent, tant sur le plan symbolique que juridique. Grâce à l'engagement du département, qui a mis en place un groupe de travail incluant des experts, le texte a été amendé une première fois; nous y avons apporté des précisions et l'avons complété. Il a ainsi été décidé de créer un nouvel article consacré uniquement à cette thématique plutôt que de rattacher celle-ci à une disposition existante comme la liberté personnelle et la protection de la sphère privée, l'objectif étant que le nouvel article 21A serve précisément de courroie de transmission entre la liberté personnelle et la protection de la sphère privée.

Nous avons également estimé utile de préciser la notion d'intégrité numérique, car ce concept... (Commentaires.) Ça va, je ne vous dérange pas trop ?

Le président. Un peu de silence, Mesdames et Messieurs ! Si vous souhaitez terminer à l'heure, il faut vous taire.

Mme Céline Zuber-Roy. Merci. Je reprends: nous avons également estimé utile de préciser la notion d'intégrité numérique, car ce concept est récent et n'a pas été défini par la jurisprudence. Partant, un deuxième alinéa a été institué qui énonce, à titre exemplatif, des composantes de ce droit. Sont listés: le droit d'être protégé contre le traitement abusif des données liées à la vie numérique, le droit à la sécurité dans l'espace numérique, le droit à une vie hors ligne ainsi que le droit à l'oubli. Si cette définition donne un cadre initial à ce nouveau droit fondamental, il ne s'agit en aucun cas d'empêcher son évolution au fil du temps à travers la jurisprudence.

Un autre alinéa - le quatrième, maintenant - a par ailleurs été ajouté dans l'optique de lutter contre la fracture numérique: l'Etat est chargé de favoriser l'inclusion numérique et de sensibiliser la population aux enjeux du numérique. De plus, il devra s'engager en faveur du développement de la souveraineté numérique de la Suisse et collaborer à sa mise en oeuvre.

Deux précisions ont été apportées lors du premier traitement qui sont toujours valables. D'abord, la nouvelle disposition ainsi amendée paraît suffisamment détaillée pour ne pas nécessiter de loi d'application. Ensuite, comme il s'agit d'un droit fondamental cantonal, il s'appliquera principalement à l'administration cantonale genevoise, aux communes, aux établissements publics autonomes de même qu'à tout organisme de droit public ou privé chargé d'accomplir des tâches de droit public cantonal ou communal. Il serait cependant souhaitable qu'à terme, il soit repris au niveau fédéral pour bénéficier d'un champ d'application plus large.

Pour rappel, la plénière a renvoyé ce projet de loi en commission pour traiter un amendement d'Ensemble à Gauche qui avait la teneur suivante - c'était un nouvel alinéa 3: «L'intégrité numérique inclut le droit de toute personne à l'information sur les données personnelles numériques qui la concernent et qui sont détenues par autrui, le droit au contrôle effectif de chacune et chacun sur ces données numériques personnelles et le droit à la protection contre toute exploitation marchande de ces données qui ne serait pas explicitement autorisée par la personne concernée.» La commission a étudié cet amendement, mais n'a pas été convaincue par la plus-value qu'il apporterait. Au contraire, sans rien ajouter sur le fond, cette disposition risque d'induire les citoyens en erreur en donnant l'impression d'être applicable aux entreprises privées, ce qui n'est pas conforme au droit fédéral. Dès lors, la majorité a refusé cette modification.

Toutefois, outre qu'elle a confirmé l'intérêt de créer un nouvel article constitutionnel, la reprise des travaux a permis d'approfondir la discussion concernant la souveraineté numérique, plus particulièrement le droit applicable aux données stockées par les collectivités publiques. Un amendement a été largement accepté prévoyant que les données ne puissent être stockées que dans des pays offrant une protection adéquate. Cette cautèle existe déjà actuellement, mais figure uniquement dans un règlement du Conseil d'Etat; vu l'importance de la problématique, il se justifie de l'ancrer dans la constitution cantonale. Pour ces raisons, la majorité de la commission des Droits de l'Homme vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à adopter ce projet de loi tel qu'amendé en commission.

Le président. Merci bien. Je donne maintenant la parole à M. Pierre Vanek.

M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de minorité. Merci, je la prends avec plaisir ! La démonstration a été faite que le renvoi en commission était utile, puisque nous avons encore apporté des modifications au texte. Mme Zuber était fâchée avec moi quand j'ai proposé ce renvoi; aujourd'hui, nous sommes réconciliés, puisque des développements significatifs ont eu lieu, notamment l'ajout suivant: «Le traitement des données personnelles dont la responsabilité incombe à l'Etat ne peut s'effectuer à l'étranger que dans la mesure où un niveau de protection adéquat est assuré.» Il s'agit d'une proposition d'un député socialiste qui se dénoncera tout à l'heure et qui la défendra. Cet élément constitue un progrès considérable dans ce projet de nouveau droit fondamental. Dès lors, je pense que le retour en commission était judicieux.

Je remercie Mme Zuber-Roy d'avoir cité l'amendement initial que j'avais improvisé le soir du renvoi en commission à titre exemplatif des questions qui pouvaient se débattre, mais Mme Zuber faillit un peu à sa tâche de rapporteuse de majorité, puisqu'elle n'a pas précisé que les travaux de la commission ont permis d'avancer sur le sujet. Certes, Pierre Vanek avait déposé un amendement que Mme Zuber a lu - je ne le répéterai donc pas - et qui consistait à mettre l'accent sur la maîtrise effective des citoyens - enfin des habitants, des sujets... non, des gens - soumis à cette disposition légale. Mais si cet amendement a été discuté, il n'a pas été voté, la commission ne l'a pas refusé, il a été amendé par Pierre Vanek lui-même !

D'abord, on lui a reproché: «Le texte est trop long.» Alors effectivement, Pierre Vanek a tendance à être trop long, il l'a donc raccourci de moitié. Ensuite, une députée PLR que je ne citerai pas par égard pour la rapporteuse de majorité a encore affiné la formulation, et la modification a pris la teneur suivante - vous la trouvez dans le rapport, mais probablement que personne ne l'a lu...

Une voix. Si !

M. Pierre Vanek. Merci, Monsieur Guinchard, vous êtes bon public, mais sans doute figurez-vous dans la minorité de ceux qui l'ont lu. Cet amendement issu de la plume d'une personne éminemment qualifiée stipule: «Toute personne a droit à l'information et au contrôle effectif sur ses données personnelles numériques.» Je répète: «Toute personne a droit à l'information et au contrôle effectif sur ses données personnelles numériques.»

C'est le contrôle, l'autodétermination informationnelle, comme on dit dans le jargon de ceux qui s'occupent de ces questions, la possibilité de contrôler réellement... Enfin, en tout cas le droit affirmé de contrôler réellement les informations qui sont détenues, alors que dans le texte qui nous est soumis, il n'est question que de la protection contre le traitement abusif des données.

Mais enfin, cela signifie que des gens peuvent, arguant que le traitement qu'ils font des données vous concernant, Mesdames et Messieurs - cela touche chacun d'entre nous -, n'est pas abusif, continuer à le faire et que vous n'avez aucune emprise là-dessus. Ma proposition est donc beaucoup plus radicale pour la liberté individuelle, l'affirmation d'une possibilité de contrôle sur des informations détenues à votre sujet dans des serveurs Dieu sait où et par Dieu sait qui. Certes, la matérialisation de ce droit n'est pas évidente, mais encore faut-il commencer par l'affirmer si on veut le concrétiser.

Je répète la disposition: «Toute personne a droit à l'information et au contrôle effectif sur ses données personnelles numériques.» Il s'agit d'un nouvel alinéa 3. Et vous voudriez ne pas voter cela ? Vous êtes contre le fait que toute personne ait droit à l'information et au contrôle effectif sur ses données personnelles numériques ? Non, bien sûr que non ! Alors les bolcheviques du fond de la salle, peut-être, mais les libéraux, Mesdames et Messieurs, comment pourriez-vous refuser cette disposition ? D'autant plus qu'elle matérialise le droit à l'intégrité numérique qui, pour le moment, constitue, disons, une abstraction dans l'esprit de la majorité de nos concitoyens.

Je contesterai encore un point de l'intervention de Mme Zuber. Elle a indiqué: «Tout cela concerne le rapport des gens avec le canton et les établissements publics.» Mais évidemment que ce droit fondamental a vocation, dans la mesure du possible, à être étendu aux acteurs privés, bien entendu ! On donne l'exemple au niveau de la collectivité publique, mais je n'ai pas à rappeler à la constituante que j'ai en face de moi l'article 41 de la nouvelle constitution genevoise - Monsieur Guinchard, vous savez de quoi je parle, nul n'est censé ignorer la loi - qui, en son alinéa 3, dispose: «Dans la mesure où ils s'y prêtent, les droits fondamentaux s'appliquent aux rapports entre particuliers.» En introduisant un nouveau droit, on institue aussi un droit qui, dans la mesure où il s'y prête - et évidemment qu'il s'y prête, même si c'est difficile à faire appliquer, le droit se prête manifestement à constituer une règle pour les rapports entre particuliers -, comme tous les droits fondamentaux, s'applique aux rapports entre privés.

Aussi, il n'y a pas de raison de ne pas voter cet amendement issu de la plume éminente de la rapporteuse de majorité et qui a failli passer en commission, il a manqué une voix... Oh zut, je n'aurais pas dû dénoncer ma collègue d'en face ! Excusez-moi, Madame Zuber, c'était un lapsus, un défaut lié à mon grand âge et au fait que je suis un peu gaga.

Mme Christina Meissner (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, notre société tout entière devient numérique, comme nos relations et nos données personnelles, qui virent en denrées commercialisables de grand intérêt. Je me demande d'ailleurs si l'on a encore les moyens, à titre individuel, de vérifier où vont et viennent nos données.

Le choix lié au contrôle d'accès à nos données qui nous est offert par quasi tous les sites est complexe; combien de fois accepte-t-on juste parce que refuser leur exploitation marchande est trop fastidieux ? Est-ce une raison pour baisser les bras, ne rien faire ? Certainement pas. Mais il faut proposer un cadre crédible, car la marge de manoeuvre est limitée, par exemple en matière de traitement ou d'hébergement des données dans le cloud. Bref, dans le domaine numérique encore plus que dans d'autres, la Suisse n'est pas une île indépendante et autosuffisante, pas plus qu'elle ne peut exercer de pression ou de contrôle au niveau planétaire.

Si la surveillance au niveau de la toile n'est pas possible, la demande formulée à travers ce projet de loi déposé par le député Pasquier, à savoir qu'au moins les données que nous confions à l'Etat et à d'autres collectivités publiques soient sous contrôle, est légitime. Dès lors, il y a lieu de remercier le département des infrastructures qui a procédé à une très large consultation et a examiné attentivement ce qu'il était possible d'inscrire au niveau constitutionnel. La formulation proposée par M. Vanek suite au renvoi en commission et amendée grâce aux apports judicieux du département a été acceptée: «Le traitement des données personnelles dont la responsabilité incombe à l'Etat ne peut s'effectuer à l'étranger que dans la mesure où un niveau de protection adéquat est assuré.»

Dans ces conditions, Mesdames et Messieurs les députés, il y a lieu d'accepter ce projet de loi tel que voté en commission, et le PDC le fera, pour que l'intégrité numérique soit inscrite au niveau constitutionnel au même titre que le droit à la vie, à l'intégrité, à la liberté personnelle et à la protection de la sphère privée. Je vous remercie.

M. Jean-Pierre Pasquier (PLR), député suppléant. Nous le savons, la digitalisation entraîne de profondes transformations au sein de notre société: elle suscite de grands espoirs pour améliorer nos conditions de vie et notre bien-être, elle soulève des enjeux économiques, sociaux, politiques et scientifiques majeurs pour notre pays. Le PLR ne considère pas ces développements comme des menaces mais, au contraire, comme des chances pour la Suisse et Genève, notamment dans l'optique de préserver notre attractivité économique et notre capacité d'innovation. Mais, ne l'oublions pas, il est essentiel que chacune et chacun puisse profiter de la numérisation; une société numérique à deux vitesses n'est dans l'intérêt de personne.

Lors de la consultation sur ce projet de loi, l'Hospice général nous a indiqué que l'inclusion numérique et les enjeux liés au digital constituent des axes stratégiques clairement identifiés. L'IMAD, de son côté, a mentionné qu'elle pourrait être amenée à exploiter davantage son capital informationnel dans le but d'améliorer la qualité des prestations offertes; des codes de bonnes pratiques seront alors nécessaires, selon l'institution. Quant aux TPG, ils nous ont expliqué qu'ils développent des projets pour mieux identifier les comportements des utilisatrices et utilisateurs avec de grandes quantités de données afin de personnaliser les offres de transport. Le sujet est donc parfaitement d'actualité.

Dès lors, nous avons une carte à jouer pour prendre une avance en matière de conditions-cadres liées au développement du numérique. Nous devons répondre aux nombreux défis de la digitalisation tout en protégeant les citoyennes et citoyens d'une utilisation abusive de leurs données. En effet, toute personne a le droit à la sauvegarde de son intégrité numérique. Nous, le PLR, affirmons aujourd'hui qu'il s'agit d'un droit fondamental. L'Université de Genève croit également en la nécessité de protéger les droits de la personne dans l'espace numérique et estime qu'une norme constitutionnelle de haut niveau fait sens; elle est donc en faveur de l'inscription d'un nouvel article 21A dans la constitution genevoise. Certes, il s'agit d'une intervention symbolique, mais il ne fait aucun doute que les contours juridiques s'établiront rapidement au vu du rythme effréné de la révolution numérique.

Le projet de loi 12945 vise la protection des données, de la personnalité, de la vie privée et de la dignité humaine au sens large. Il s'agit d'une modification constitutionnelle importante. A travers cette nouvelle disposition, nous définissons une priorité d'action et de sensibilisation dans un domaine dont l'évolution s'accélère, ce qui nécessite d'anticiper et d'établir un nouveau droit. Gouverner, c'est prévoir, et nous devons agir pour une protection forte de l'individu dans l'espace numérique. Il s'agit d'envoyer un message clair à l'Etat quant à sa responsabilité lors de la collecte, du traitement et du stockage des données des citoyennes et citoyens de notre canton. Il y a fort à parier, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, que les autres cantons et la Confédération suivront l'exemple précurseur de Genève. Je vous invite, tout comme le groupe PLR, à soutenir ce projet de loi et vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)

M. Francisco Valentin (MCG). A l'heure actuelle, une grande proportion de la population épanche sa vie privée dans la rue ou les transports en commun - on s'appelle en visioconférence - et plus rien ne se fait sans un ordinateur, un téléphone ou, pire encore, une montre connectée ayant la faculté technologique de transmettre en temps réel votre position GPS exacte, vos données biologiques et éthologiques complètes, votre niveau de stress, vos excès ou la platitude affligeante d'une vie morne. Quasiment tous les parents offrent à leurs enfants de quoi prétendument garder le contact en cas d'urgence, leur ouvrant par là même l'accès à des contenus auxquels ils ne devraient pas être confrontés, quand ce ne sont pas les enfants eux-mêmes qui livrent des informations ou des images d'eux qui ne devraient pas circuler sur internet. Une époque où l'être humain n'est même plus un numéro, mais en est réduit à un simple code QR, où plus aucune démarche officielle ou privée n'est possible sans connexion internet.

Comment préserver sérieusement l'intégrité de personnes qui révèlent elles-mêmes tout et plus au nom de leur liberté individuelle ? Il faut bien sûr, c'est un grand minimum, protéger les données officielles transmises à l'Etat, lequel doit être garant de la sphère privée de ses citoyens. Mais, Mesdames et Messieurs, par où circulent les informations et les formulaires, les tonnes de gigaoctets échangés quotidiennement ? Par les Etats-Unis, la Chine, l'Inde, le Maroc. Presque toutes nos sociétés de téléphonie ou d'internet délocalisent leurs centrales help desk - pardon pour l'anglicisme - dans des pays tiers. Les réseaux sociaux, qui sont de plus en plus gourmands en informations très personnelles, s'y trouvent aussi. Chacun sait que les protections informatiques sont plus ou moins faciles à craquer, parfois même pour des adolescents de moins de quinze ans; il existe en libre accès des tutoriels d'une simplicité enfantine pour pirater les mots de passe, espionner un ordinateur, un téléphone ou des sites de discussion ou de messagerie instantanée.

Alors oui, le MCG peut soutenir ce projet de loi qui part certainement d'une bonne intention après l'épisode covid et au regard de l'échange frénétique d'informations médicales, personnelles ou de codes QR. Mais quel est le poids de nos petites lois faussement rassurantes face à la législation internationale, face aux géants d'internet qui sont tous à l'étranger et disposent de leurs propres règles ? Education, sensibilisation, formation seront certainement beaucoup plus efficaces. Je vous encourage à soutenir ce projet de loi, mais reste très sceptique quant à sa portée. Je vous remercie.

M. Marc Falquet (UDC). Mesdames et Messieurs, je m'associe aux remerciements adressés à l'auteur de ce projet de loi, M. Pasquier, ainsi qu'au département. Les collaborateurs étaient vraiment compétents, j'ai été très étonné... (Rires. L'orateur rit.) ...j'avais même de la peine à suivre... (Commentaires.) Ce n'est pas pour me moquer, je suis sérieux ! Sincèrement, il faut rendre hommage à ces collaborateurs, ils étaient réellement brillants... (Commentaires.) Ils ont mené un travail de consultation extrêmement fouillé, ils nous ont beaucoup apporté. Du reste, ce sont eux qui ont élaboré les amendements.

Ce projet de loi n'est pas seulement symbolique, on voit tout de même que des droits ont été octroyés, par exemple celui à une vie hors ligne; c'est quelque chose de concret, ce n'est pas juste d'ordre symbolique. Par exemple, vous ne pouvez pas exiger d'un employé qu'il réponde à un mail à quatre heures du matin sous prétexte que vous l'avez envoyé à trois heures et demie. Voilà un petit exemple très parlant.

Je citerai un autre exemple s'agissant du droit à une vie hors ligne: vous ne pouvez pas non plus forcer les gens qui ne veulent pas utiliser les formulaires sur internet. Il est donc important de prévoir des humains qui orientent le public, transcrivent des données, reçoivent les gens à des guichets ou donnent des informations par téléphone. Cette disposition sur le droit à une vie hors ligne constitue quelque chose de concret, c'est un progrès qui va vraiment améliorer les choses. Il y a également le droit à l'oubli: de nombreuses informations erronées ou obsolètes circulent et doivent pouvoir être effacées.

Ensuite, qu'est-ce que je voulais dire ? (Rires. L'orateur rit.) Ah oui, concernant la sécurité numérique, eh bien c'est très relatif, on sait qu'elle n'existe pas. Déjà, on ignore ce qu'il y a dans les ordinateurs, puisqu'ils sont fabriqués à l'étranger, on n'a pas de production locale d'ordinateurs, donc les fournisseurs installent ce qu'ils veulent dedans, sans parler du fait que les systèmes sont généralement étrangers aussi, donc il n'y a aucune sécurité. On a beau croire que les pays sont «sûrs», entre guillemets, on n'a aucune sécurité à ce niveau.

Alors les gens disent: «Oui, la sécurité numérique, c'est très bien.» Or ce qu'on constate le plus souvent, c'est qu'ils sont friands de réseaux sociaux, et alors là, il n'y a pas de protection, au contraire. Les personnes ne se rendent pas compte qu'elles se portent préjudice à elles-mêmes en divulguant des informations privées, familiales ou encore en indiquant où elles se rendent, ce qui permet par exemple à des cambrioleurs de pénétrer chez elles. Non, vraiment, les gens ne réalisent pas leur imprudence.

A l'avenir, il serait judicieux de disposer d'une loi fédérale sur le numérique; je ne sais pas s'il y en a déjà une actuellement, je ne crois pas. Voilà, Mesdames et Messieurs, donc l'UDC vous propose de soutenir ce projet de loi avec les amendements votés en commission. Merci beaucoup.

M. Cyril Mizrahi (S). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, le groupe socialiste défendra également ce projet de loi constitutionnelle. Contrairement à ce qu'ont soutenu certains et certaines ici, nous estimons qu'il n'y a pas de fatalité et que l'Etat a une marge de manoeuvre dans le domaine du droit à l'intégrité numérique. Mon collègue Falquet a mentionné la question du droit à une vie hors ligne; plus largement, il s'agit aussi de la possibilité, pour les personnes qui ne sont pas connectées à internet, d'avoir accès aux démarches étatiques. Qu'on ne contraigne pas les administrés à passer par le digital pour leurs démarches représente un élément fondamental de cette disposition.

Je ne partage pas tout à fait l'avis de la rapporteuse de majorité et du Conseil d'Etat selon qui cet article s'appliquerait quasi exclusivement aux rapports entre l'Etat et les particuliers; à mon sens, l'Etat a un rôle à jouer, cela a été souligné par mon collègue Vanek, pour réglementer les relations entre privés - dans le respect du droit fédéral, bien sûr. S'est notamment posée durant nos travaux la question de l'attribution de mandats à des entreprises, et il est clair que dans ce domaine, l'Etat peut définir un certain nombre de conditions. S'est également posée la question de la sous-traitance du traitement des données étatiques; vous vous souvenez qu'en leur temps, les Verts avaient déposé un texte qu'on a appelé «projet de loi Google» sur les espaces numériques destinés aux élèves du DIP.

Tout à l'heure, le député Vanek a parlé du nouvel alinéa 3; il est vrai que le retour en commission s'est révélé intéressant de ce point de vue là, il faut mettre cela au crédit de notre collègue Pierre Vanek: cela nous a permis d'établir cette nouvelle disposition. Oui, je me dénonce pour le groupe socialiste, j'ai été un petit peu à l'origine de ce nouvel alinéa 3, avec des apports du département, que je remercie également d'avoir collaboré à cette formulation.

En fait, il s'agissait de faire remonter quelque chose qui est de rang réglementaire et qui garantit le respect de nos standards de protection des données - c'est quand même un truc de base. Par exemple, quand des informations étatiques comme celles concernant les élèves du DIP sont traitées par des entreprises étrangères, il convient d'assurer les mêmes standards de protection que ceux que nous connaissons en Suisse, ce qui n'est pas du tout évident dans tous les pays. Je pense que nous disposons de cette marge de manoeuvre, que nous sommes en droit d'attendre, que les citoyens et citoyennes sont en droit d'attendre, s'agissant du traitement de données dont la responsabilité incombe à l'Etat, le même niveau de sécurité, en tout cas un niveau similaire - «adéquat», dit le texte. Cela s'est traduit par l'introduction de cet alinéa 3, ce qui est tout à fait réjouissant pour le groupe socialiste.

Dès lors, Mesdames et Messieurs, nous approuverons ce projet de loi constitutionnelle largement amélioré au cours des travaux de commission. Je remercie mes collègues de la commission ainsi que les représentants du département et je vous invite à le voter également. Merci.

M. Yves de Matteis (Ve). Comme cela a été souligné, ce projet de loi constitue une plus-value de même qu'une véritable nouveauté dans l'arsenal juridique et constitutionnel genevois, et vient combler un manque. D'ailleurs, son entrée en matière a fait l'unanimité en commission. Plusieurs personnes l'ont relevé: suite à la crise du covid-19, les transmissions et échanges par le biais de réunions à distance et donc d'instruments numériques se sont généralisés; en témoignent les séances de commission sur cet objet qui ont toutes été effectuées par visioconférence.

L'utilisation accrue des outils digitaux rend indispensable, ou du moins très utile, cet ajout à notre constitution visant à protéger la vie et l'identité numériques de l'ensemble de la population genevoise. Il s'agit avant tout d'inscrire cette notion dans la constitution cantonale, et grâce à l'aide efficace des services de l'Etat, les commissaires ont abouti à un texte tout à fait convenable. Il faut néanmoins souligner qu'il n'est pas exclu, dans le futur, que cette modification constitutionnelle soit suivie par le dépôt d'un ou de plusieurs projets de lois sur le sujet en cas de besoin.

Notre groupe, qui ne s'était pas montré réfractaire à l'amendement déposé par Ensemble à Gauche en commission, n'est pas certain qu'il faille nécessairement aller plus loin dans les détails au niveau constitutionnel. La disposition votée en commission semble répondre aux besoins exprimés. Dès lors, nous adopterons ce projet de loi dans tous les cas de figure, que l'amendement à nouveau présenté par Ensemble à Gauche soit validé ou non. Merci, Monsieur le président.

Le président. Je vous remercie. La parole retourne à M. Pierre Vanek pour une minute vingt-neuf.

M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président, je serai très rapide. L'amendement que je présente, contrairement à ce que vient d'indiquer notre collègue Vert, ne consiste pas à aller dans le détail. Il ne comporte pas de détails, il est d'une généralité extrême, il stipule: «Toute personne a droit à l'information et au contrôle effectif sur ses données personnelles numériques.» C'est un principe général qui est posé dans l'article constitutionnel et qui matérialise un concept très abstrait, à savoir le droit à l'intégrité numérique.

Ce concept est partiellement matérialisé à l'alinéa 2 et je propose de le matérialiser encore plus sur un point très important, c'est-à-dire l'information et le contrôle sur nos données. Si vous n'êtes pas informés de vos données liées à la vie numérique, Mesdames et Messieurs les députés, comment pouvez-vous réagir en cas de traitement abusif ? Tout traitement abusif est proscrit à l'alinéa 2, mais encore faut-il que la personne concernée puisse intervenir.

Mesdames et Messieurs... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...je suis pour ce nouveau droit, pour cette modification de la constitution, mais je trouverais particulièrement choquant que des gens ici - enfin, des députés - se prononcent contre le droit de chaque personne à l'information et au contrôle sur les données qui la concernent. Par conséquent, j'invite ceux qui sont soucieux des droits individuels à voter...

Le président. Il vous faut conclure.

M. Pierre Vanek. Oui, oui, Monsieur le président, je suis en train de conclure avec une exhortation à voter, vous avez senti que j'arrivais à la fin de mon intervention.

Le président. Merci...

M. Pierre Vanek. Eh bien je termine: je vous exhorte, Mesdames et Messieurs...

Le président. Nous avons bien compris, Monsieur le rapporteur.

M. Pierre Vanek. ...à adopter cet amendement.

M. Serge Dal Busco, conseiller d'Etat. Mesdames les députées, Messieurs les députés, je vais m'efforcer d'être aussi bref que sur l'avant-dernier point. D'abord, je souhaite remercier celles et ceux d'entre vous qui ont remercié nos collaboratrices et collaborateurs d'avoir largement oeuvré en commission avec vous pour faire évoluer la proposition initiale. J'aurais tendance à dire, devant toutes ces louanges à l'endroit des collaborateurs et collaboratrices, qu'il faudrait également les écouter, Monsieur Vanek, puisqu'ils ont souligné plus souvent qu'à leur tour, et tour à tour - ils étaient trois -, combien le texte perdrait de sa pertinence, de sa qualité, de sa concision s'il devait être chargé avec votre amendement supplémentaire. Suivons ainsi les personnes dont on a relevé l'excellent travail et abstenons-nous de modifier ce qui a, semble-t-il, conduit à un très vaste consensus.

Je tiens à saluer très sincèrement les auteurs de ce projet de loi, en particulier Jean-Pierre Pasquier, qui ont clairement identifié le besoin d'inscrire dans notre charte fondamentale ce droit supplémentaire; c'est une initiative que le Conseil d'Etat a rapidement jugée fort pertinente et c'est la raison pour laquelle il a suggéré - merci encore à la commission d'avoir suivi cette proposition - de vous accompagner dans ce travail, ce qui a été effectué de manière tout à fait adéquate.

Le retour en commission s'est en effet révélé judicieux, Monsieur Vanek, puisque, comme plusieurs d'entre vous l'ont relevé, des ajouts pertinents dans le domaine de la souveraineté numérique et des modalités de traitement des données ont été apportés, donc je pense que nous pouvons toutes et tous - et vous aussi, Monsieur Vanek - être satisfaits du résultat suite au second passage en commission - surtout vous, d'ailleurs, puisque vous l'aviez proposé.

J'aimerais rappeler encore un élément que Mme la rapporteuse de majorité n'a pas eu le temps de préciser, vu que son temps était limité: nous ne disposons pas de compétence cantonale pour régler les problèmes ou réglementer les relations entre particuliers. Ce point a été âprement débattu en commission, je souhaitais insister dessus devant la plénière.

En conclusion, il s'agit d'une avancée somme toute modeste - nécessaire, souhaitable évidemment, mais qui reste modeste. Cela ne permettra pas de résoudre toutes les difficultés liées à un domaine en forte mutation, nous ne savons pas encore ce que l'avenir nous réserve en matière numérique, mais nous avons assurément posé des bases très pertinentes, qui intéressent d'ailleurs d'autres personnes: vous savez que je préside la Conférence latine des directeurs du numérique, c'est-à-dire la conférence des cantons romands et du Tessin, la seule au niveau suisse à s'occuper du numérique, et celle-ci a trouvé cette inscription dans notre constitution extrêmement intéressante; nul doute que cela inspirera d'autres cantons, peut-être même la Confédération. Je vous invite dès lors, Mesdames et Messieurs, au nom du Conseil d'Etat, à voter ce texte tel qu'issu des travaux de commission et, même si cela ne fait pas plaisir à M. Vanek, à refuser son amendement. Merci.

Une voix. Il s'en remettra !

Une autre voix. Oh, je ne sais pas !

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat...

Une voix. Je demande le vote nominal sur mon amendement, s'il vous plaît.

Le président. Etes-vous soutenu ? (Plusieurs mains se lèvent.) Très bien, le vote sera nominal sur l'amendement, mais pour le moment, je mets aux voix l'entrée en matière sur ce projet de loi.

Mis aux voix, le projet de loi 12945 est adopté en premier débat par 88 oui (unanimité des votants).

Deuxième débat

Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.

Le président. Nous sommes saisis d'un amendement déposé par M. Pierre Vanek:

«Art. 21A, al. 3 (nouveau, les al. 3 et 4 anciens devenant les al. 4 et 5)

3 Toute personne a droit à l'information et au contrôle effectif sur ses données personnelles numériques.»

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 48 non contre 37 oui et 1 abstention (vote nominal).

Vote nominal

Mis aux voix, l'art. 21A (nouveau) est adopté.

Mis aux voix, l'art. unique (souligné) est adopté.

Troisième débat

Mise aux voix, la loi 12945 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 82 oui et 6 abstentions (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Loi 12945 Vote nominal