République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 20 mai 2022 à 14h
2e législature - 5e année - 1re session - 3e séance
P 2123-A et objet(s) lié(s)
Débat
Le président. Nous examinons maintenant les P 2123-A et P 2132-A en catégorie II, trente minutes. La parole revient à M. Sylvain Thévoz.
M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de majorité. Merci beaucoup, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, ces deux pétitions visent la même chose: elles s'opposent à l'agrandissement du centre islamique situé à l'angle de la rue des Eaux-Vives et de l'avenue de la Grenade. Vous connaissez certainement toutes et tous cette petite maison verte dont le gabarit se démarque par rapport aux bâtiments environnants, qui constitue depuis plusieurs années un centre culturel, un lieu de culte et qui accueille l'une des communautés musulmanes de Genève; elle organise également des activités sociales et des dons alimentaires en plus des temps de prière et des événements culturels, je l'ai dit.
Ces deux pétitions ont pour objectif de contester la surélévation de cet immeuble qui, j'ai envie de dire, en a bien besoin du fait d'une fréquentation en hausse, de locaux trop exigus ainsi que de nuisances, voire d'insécurité, pour les personnes qui se rendent dans ce centre culturel islamique. En effet, lors de distributions alimentaires ou durant des périodes cultuelles comme le ramadan, on peut voir des gens attendre sur les trottoirs. Ce n'est pas acceptable, c'est même dangereux pour les fidèles en une période où, vous le savez, l'islamophobie, l'antisémitisme et toutes les formes de haine envers certaines communautés religieuses se trouvent peut-être à leur point le plus haut.
La majorité vous invite à refuser ces deux objets, parce que ce faisant, on contreviendrait à la loi sur les constructions et les installations diverses. Il faut savoir qu'un préavis positif a été donné par le département chargé de l'attribution des autorisations de construire, la requête a été jugée en tout point conforme au droit. Il serait pour le moins incongru qu'une entité politique se mêle d'un processus qui, sur le plan des gabarits et de l'emprise du bâtiment sur les trottoirs, a été estimé totalement valable; il l'a été par le département chargé d'attribuer les autorisations, il l'a été également par le Tribunal administratif suite à un recours de la Ville de Genève qui a été balayé. La Ville a donc renoncé à faire opposition, ayant perdu son recours. Voilà les raisons qui ont poussé la majorité à vouloir déposer ces deux pétitions sur le bureau du Grand Conseil.
Peut-être un point encore: nous avons auditionné M. Poggia, lequel nous a indiqué qu'il n'y a pas de risque sécuritaire dans cette mosquée. Je le rappelle pour ceux qui seraient tentés de commettre un délit de sale gueule - j'ai envie de le formuler ainsi - et qui se disent: «Il ne faut surtout pas surélever cet immeuble, ouh là là, parce qu'il s'agit de personnes pratiquantes et de musulmans, on doit s'y opposer.» Pour être honnête, c'est un peu la tendance qui se dégage de ces deux textes. M. Poggia a expliqué qu'il n'y a pas de risque sécuritaire, que ce lieu de culte est l'un des plus surveillés de Genève et de Suisse, qu'il n'y a à ce jour aucun danger en son sein.
Je souligne encore une fois le risque sécuritaire pour les personnes elles-mêmes. Après la transformation, on aura une bâtisse plus solide, plus digne et probablement moins de problèmes autour. Dans le quartier des Eaux-Vives, il n'y a aucune contestation, il n'y a pas de souci particulier avec cette mosquée outre le fait qu'en raison de son volume trop petit, des personnes doivent parfois attendre sur les trottoirs avoisinants. Pour ces motifs et pour d'autres que certains groupes mentionneront sans doute, la majorité de la commission vous recommande de rejeter ces deux pétitions. Merci.
Mme Francine de Planta (PLR), rapporteuse de première minorité ad interim. Mesdames et Messieurs les députés, la majorité de la commission, que vous venez d'entendre par la voix de M. Thévoz, sépare de manière trop tranchée les deux aspects de ces pétitions: d'une part la demande d'autorisation d'agrandir un bâtiment, de l'autre le fait que cette requête provienne d'une dépendance des Frères musulmans, soit l'aspect purement technique et la dimension politique. Peut-on distinguer ce que voit l'oeil droit de ce que perçoit l'oeil gauche ?
Il est vrai que d'ordinaire, on s'intéresse peu à la situation du propriétaire qui émet une telle demande - encore que. En l'occurrence, il serait naïf d'ignorer purement et simplement la tendance politique de ceux qui sont installés à Genève et qui entendent faire rayonner leurs idées depuis cette ville. Nombreuses sont les personnalités qui, souhaitant louer une salle ou occuper un théâtre pour y donner un spectacle, s'en sont vu refuser l'octroi au motif exact que cela dépassait le simple geste technique.
Dans le cas qui nous occupe ici, symboliquement, étendre un espace de réunion signifie augmenter la visibilité d'une vision du monde qui heurte de plein fouet notre conception de la femme, de la liberté et de la laïcité. Nous ne pensons pas que la laïcité inclusive prônée par M. Hani Ramadan à la tête de ce centre et reprise par certains membres de ce parlement soit celle que le peuple a acceptée il y a quelques années; nous estimons au contraire que la laïcité n'est pas à géométrie variable.
Bien évidemment, il n'est pas question de limiter la liberté de croyance garantie par notre constitution, il s'agit de tout autre chose. Permettre le rayonnement accru de ce centre islamique tenu par les Frères musulmans serait compris par tout Genève comme une autorisation de cette laïcité inclusive, qui finit par ne plus être laïque du tout. Mesdames et Messieurs les députés, rien n'est anodin en ce qui touche notre liberté. C'est pourquoi nous recommandons le renvoi de ces pétitions au Conseil d'Etat. Je vous remercie.
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
M. Stéphane Florey (UDC), rapporteur de deuxième minorité. Bien au-delà de l'autorisation de construire, qui est somme toute secondaire, il faut se poser la bonne question: est-il souhaitable de voir les Frères musulmans étendre leur zone d'influence en triplant la surface du Centre islamique de Genève, qui passerait de 300 à 900 mètres carrés ? Quand on prend en compte la situation géopolitique de divers pays, le principe de laïcité en général et les questions liées à la religion musulmane, la réponse ne peut être que non. Nous devons éviter que les Frères musulmans amplifient leur rayonnement.
Voyez ce qui se passe dans d'autres pays, notamment en France, où de nombreuses structures similaires au Centre islamique de Genève ont été fermées pour la simple et bonne raison qu'on ne sait pas ce qui s'y fait. Ce qu'on nous en dit, c'est simplement une façade; suffisamment d'éléments le prouvent et personne ici n'est capable de soutenir que tout va bien et qu'il n'y a aucun danger. Lorsqu'on regarde ces fameuses enquêtes où des journalistes ont dû être placés sous protection judiciaire parce qu'ils faisaient l'objet de menaces de mort après avoir osé révéler la vérité, c'est vraiment inquiétant et il faut partir du principe que cela pourrait arriver également à Genève.
Dans mon rapport, j'ai exposé un certain nombre de considérations sous forme de citations, et celles-ci démontrent bel et bien que oui, nous avons un problème aujourd'hui. On sait ce que prêchent les Frères musulmans, notamment leur directeur qui prône la charia et ce genre de choses, et on devrait s'en inquiéter.
C'est pour ces raisons qu'on aimerait renvoyer les deux pétitions au Conseil d'Etat, on exige la garantie que le centre est réellement surveillé, comme on nous l'a laissé supposer. Parce que je suis désolé, Monsieur le conseiller d'Etat - vous transmettrez, Monsieur le président -, mais vous n'avez pas été très convaincant. Vous n'avez fait que nous dire: «Non, non, tout va bien. Ah, mais je ne peux pas vous parler de ceci, parce que ça relève de la sécurité. Ah, et puis cela, c'est hors PV.» Au final, il n'y a pas eu beaucoup d'éléments pour nous assurer que tout va bien se passer et que tout se passe bien à l'intérieur de ce lieu.
Voilà pourquoi nous souhaitons que vous nous apportiez des réponses. En ce qui me concerne, il est évident que tant qu'on n'aura pas obtenu de garanties, tant qu'on ne saura pas exactement ce qui se passe ou ce qui va se passer, l'Etat ne devrait pas autoriser aussi facilement l'extension de ce centre, il devrait plutôt se poser les bonnes questions par rapport à ce qui s'y pratique. Voilà, donc nous recommandons de renvoyer ces deux pétitions au Conseil d'Etat. Je vous remercie.
M. Pierre Vanek (EAG). Notre groupe s'opposera à ces deux pétitions pour des raisons évidentes de respect de la laïcité de l'Etat. Mme de Planta a indiqué que la laïcité ne devait pas être à géométrie variable; elle a raison. Ainsi, nous devons traiter la question de l'extension de ce bâtiment aux Eaux-Vives comme s'il s'agissait d'un centre bouddhique, évangélique, chamanique, catholique, protestant, juif ou autre. Nous n'avons pas à porter un jugement quelconque sur une activité religieuse ou apparentée à une religion.
Mesdames et Messieurs, j'étais très fier d'une disposition de la constitution de James Fazy de 1847 que je vais vous citer. Elle ne datait pas elle-même de 1847, mais constituait l'article 165 de notre ancienne charte: «Les cultes s'exercent et les Eglises s'organisent en vertu de la liberté de réunion et du droit d'association.» En effet, il s'agit de liberté de réunion et de droit d'association. Voilà ce que remettent en cause les minoritaires qui soutiennent ces pétitions. Ils nous disent: «Oui, mais les réunions de ces associations-là, avec ces idées-là, ça ne va pas !» Non ! Le droit de réunion et d'association doit s'exercer de manière générale, y compris en faveur d'idées avec lesquelles nous n'avons pas d'affinités ou ne sommes pas d'accord. L'article 165 de l'ancienne constitution stipulait, je le répète, que «les cultes s'exercent et les Eglises s'organisent en vertu de la liberté de réunion et du droit d'association», ajoutant: «Leurs adhérents sont tenus de se conformer aux lois générales ainsi qu'aux règlements de police [...]».
Ce qu'il s'agit d'examiner ici, c'est si en matière d'autorisation de construire, puisque là se situe l'enjeu, les lois sont respectées; c'est le cas, nous a signalé le Conseil d'Etat, donc nous ne pouvons d'aucune manière intervenir à bien plaire ni nous y opposer de manière arbitraire, ce serait une violation de notre devoir de respect de la laïcité de l'Etat. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Mesdames et Messieurs, s'il y a des activités délictueuses dans ce centre-ci comme dans n'importe quelle banque genevoise ou n'importe quel temple protestant, eh bien la police et la justice doivent agir; s'il n'y en a pas, alors il faut laisser s'exercer la liberté qui s'applique sur le territoire de cette république.
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur.
M. Pierre Vanek. J'ai terminé, c'était ma conclusion, Monsieur le président. (Applaudissements.)
Le président. Merci bien. Je passe maintenant la parole à M. le député et ancien président de l'assemblée Diego Esteban pour deux minutes.
M. Diego Esteban (S). Merci, Monsieur le président. Je serai relativement bref, car l'essentiel a été dit. Je rappellerai simplement que ces deux pétitions concernent une demande d'autorisation tout ce qu'il y a de plus ordinaire dans notre droit de la construction et qu'il n'y a aucune raison de penser que l'administration n'a pas déjà toutes les clés en main pour évaluer les intérêts qui se jouent dans le cadre de cette procédure parfaitement habituelle et conforme à la législation.
Ainsi, et c'est mon premier argument, le groupe socialiste souhaite qu'on laisse à l'administration la possibilité de faire son travail et de peser le pour et le contre dans le cadre de la requête qui lui a été soumise par le Centre islamique de Genève, surtout si - c'est le but de ces pétitions et d'une forte minorité de ce Grand Conseil - l'idée est d'ajouter un critère nouveau qui aurait trait au code de valeurs de l'organisation qui émet cette demande. Ce n'est pas quelque chose qui fait partie de notre ordre juridique, et à raison. Pour le parti socialiste, une conception saine de la laïcité dans une république comme la nôtre consiste à favoriser la paix des religions, la neutralité confessionnelle de l'Etat et surtout sa non-ingérence.
Ce qui nous est proposé ici est particulièrement dangereux, car on voudrait finalement définir l'identité d'une religion comme critère central de la qualité d'une démarche purement administrative et encadrée par la loi. C'est une proposition à laquelle les socialistes ne peuvent en aucun cas souscrire. En ce qui nous concerne, nous aurions conclu au classement des deux pétitions, mais le dépôt sur le bureau du Grand Conseil nous convient tout à fait; c'est le renvoi au Conseil d'Etat qui n'est pas approprié, car cela ne pourrait être considéré autrement que comme une volonté de relancer des conflits religieux à l'interne de notre canton, ce qui n'est pas du tout souhaitable. Partant, Mesdames et Messieurs, je vous enjoins de soutenir les conclusions de la commission, à savoir le dépôt.
Mme Christina Meissner (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, on ne peut pas régler les problèmes soulevés par l'islamisme intégriste lors de l'examen d'une demande de construction. Le projet soumis à l'administration est en tout point conforme au droit, l'office des autorisations de construire n'a rien à dire, les services non plus. Certes, certes. Toutefois, le renvoi de ces deux pétitions ne se fait pas à l'office des autorisations de construire, mais au Conseil d'Etat; en adoptant cette démarche, le parlement lui envoie un message politique. Hani Ramadan, responsable de ce centre islamique, n'est pas n'importe qui: il a été licencié de son poste d'enseignant au DIP, il est interdit de séjour en France pour menace à l'ordre public et pour ses positions sur la lapidation des femmes.
Le Centre islamique de Genève constitue une base majeure des Frères musulmans en Europe, leur idéologie politico-religieuse est connue. Je cite leur prédicateur de référence, Youssef al-Qardaoui: «Avec vos lois démocratiques nous vous coloniserons, avec nos lois coraniques nous vous dominerons.» Et je rapporte encore les paroles de Hani Ramadan devant ses fidèles: «Les musulmans ne retrouveront jamais leur honneur perdu s'ils ne reviennent pas au djihad et ne cherchent pas à établir un Etat islamique.»
Il serait temps de veiller non seulement au respect démocratique du gabarit du bâtiment et de l'espace dévolu au trottoir, mais aussi à leur dimension idéologique. Si aucun élément ne permet de retenir un risque lié à une procédure strictement juridique d'autorisation de construire, cela ne signifie pas que risque il n'y a pas. Avec les Frères musulmans, le danger n'est pas de type terroriste, mais sociétal. On ne peut pas en faire abstraction s'agissant d'activités culturelles qui ne sont pas comme les autres; l'islam intégriste n'est pas soluble dans la démocratie - j'insiste bien sur le terme «intégriste».
Quant à la radicalisation en solitaire, elle n'existe pas; le processus se fait et se concrétise via la socialisation. Créer une identité forte, encourager la pratique de la prière collective, enjoindre de participer à celle-ci: c'est une pression psychologique entre pairs qui s'exerce, et un observateur externe ne la percevra pas forcément, car elle est clairement non violente physiquement parlant; psychiquement, c'est une autre question. C'est cette influence de groupe qui est à l'origine du succès actuel de cette mouvance communautariste, laquelle vise à agrandir le centre pour proposer davantage de services, d'enseignements alternatifs, d'islam intégriste. Nous ne devons pas renforcer la vitrine d'extrémistes, quels qu'ils soient. C'est le message politique du Centre, qui votera pour le renvoi des deux pétitions au Conseil d'Etat. Je vous remercie.
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Mme Katia Leonelli (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, en prétendant combattre l'agrandissement du centre islamique pour des raisons administratives, les pétitionnaires s'y opposent en réalité pour des motifs strictement idéologiques, ce qui rend le renvoi de ces pétitions au Conseil d'Etat absolument antidémocratique et anticonstitutionnel. En effet, l'extension de cet immeuble relève essentiellement du droit de la construction, la demande doit ainsi être traitée comme celle d'une Eglise protestante ou catholique ou du centre d'une quelconque autre religion. Le contraire constituerait une grave atteinte à notre Etat de droit. Les travaux de commission nous ont démontré que cela avait été le cas, les autorisations sont parfaitement conformes à la loi.
En ce qui concerne la question sécuritaire, si les lourdes accusations des pétitionnaires étaient avérées, il conviendrait de prendre des mesures pour y mettre fin. Contester la surélévation du bâtiment ne constitue pas une solution, et si tel était le cas, c'est la police qui devrait intervenir, et non la commission des pétitions. En l'occurrence, notre commission s'est assurée que la structure ne présentait aucun problème de sécurité, ce qui a été confirmé par le conseiller d'Etat en charge, M. Mauro Poggia.
Pour finir, je trouve parfaitement abject que la droite brandisse l'argument du droit de la femme. (L'oratrice insiste sur le mot «la».) Il conviendrait déjà de parler de droit des femmes, mais c'est un détail. (Exclamations.) Cela ne constitue en rien un motif valable pour refuser une demande d'autorisation de construire; si tel est le cas, je m'en souviendrai. Pour toutes ces raisons et afin de protéger nos valeurs démocratiques et notre Etat de droit, le groupe des Verts votera en faveur du dépôt de ces pétitions sur le bureau du Grand Conseil et vous invite à en faire de même. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Madame Virna Conti, c'est à vous pour deux minutes trente-deux.
Mme Virna Conti (UDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, à partir du moment où une demande d'autorisation de construire pour le Centre islamique de Genève est soumise par Hani Ramadan, c'est-à-dire un ange notoire, alors non, ce n'est pas une requête ordinaire. Elle l'est d'autant moins lorsque l'on sait que Hani Ramadan a tenu des propos à gerber sur la femme - ou les femmes -, par exemple: «La femme sans voile est comme une pièce de deux euros. Visible par tous, elle passe d'une main à l'autre.» Il a défendu la lapidation dans les écoles publiques, il a également légitimé le djihadisme comme moyen de résistance, ce qu'il n'admet évidemment pas, mais il ne l'a pas condamné pour autant.
Alors il est évident que l'extension du bâtiment augmenterait sa capacité d'endoctrinement, à des années-lumière des principes d'intégration, de cohésion sociale et du vivre-ensemble. Ce projet constitue une porte ouverte au séparatisme, au communautarisme et à l'extrémisme. J'apprends à l'instant de la bouche du député Sylvain Thévoz qu'il s'agit du centre le plus surveillé de Suisse; je ne m'avance pas trop, mais en principe, c'est rarement bon signe quand il y a une surveillance accrue, dont on ne connaît d'ailleurs toujours pas le fondement aujourd'hui. On devrait ainsi être rassurés et accepter de l'agrandir ?
L'Etat nous offre une bombe à retardement - ce n'est sans doute pas pour rien que la structure se situe à l'avenue de la Grenade - sur un plateau d'argent; c'est une incitation à la haine en plein coeur de Genève, et il est hors de question de permettre la création d'une base pour les Frères musulmans au centre de l'Europe continentale. Pour ces raisons, je vous invite à renvoyer ces deux pétitions au Conseil d'Etat. Merci.
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie. La parole retourne à M. Stéphane Florey pour vingt secondes.
M. Stéphane Florey (UDC), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Il ne faudra pas venir dire qu'on ne vous aura pas prévenus le jour où il y aura des problèmes, Mesdames et Messieurs, parce qu'une fois que vous serez mis devant le fait accompli, vous vous retrouverez le bec dans l'eau. Je vous remercie. (Rires.)
Le président. Merci. Je cède la parole à Mme Joëlle Fiss pour trois minutes.
Mme Joëlle Fiss (PLR). Merci beaucoup, Monsieur le président. Chers collègues, il me semble qu'il y a beaucoup de confusion autour de ce sujet, on évoque plein de choses distinctes: on parle de la loi sur la laïcité, de la liberté de culte, de la lutte contre le salafisme, de la rénovation d'un bâtiment en utilisant des fonds publics... Tous ces thèmes sont extrêmement différents.
A mon avis, on doit réfléchir un peu à toutes ces questions pour déterminer si ces deux pétitions correspondent aux normes pénales de Genève. S'il y a vraiment un problème de salafisme qui perdure dans ce centre culturel, même si celui-ci est surveillé de près, il faut se demander si cela pose un souci idéologique, voilà ce que je dirais.
En ce qui concerne l'agrandissement d'un immeuble où des activités cultuelles ont lieu, c'est un enjeu totalement différent, ce n'est pas une question d'ordre pénal, mais de liberté de culte, donc je pense qu'on a besoin d'obtenir plus d'informations pour mieux appréhender cette question, pour pouvoir la placer dans une catégorie qui nous permette de mener une discussion sans amalgames. Merci.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, il s'agit évidemment d'un sujet sensible qui mérite d'être traité avec nuance et pondération. On comprend bien que des émotions puissent s'exprimer, c'est vrai qu'il y a un vécu. Cette histoire, il faut la faire remonter à 1958, lorsque Saïd Ramadan, chassé d'Egypte par Nasser avec l'étiquette de socialiste, a été accueilli en Suisse avec une certaine bienveillance, puisqu'il était considéré comme anticommuniste. On ne s'était alors pas rendu compte qu'il avait sans doute un double agenda, puisque si d'un côté il était contre le communisme, il s'opposait aussi à des valeurs de la société occidentale. Avec pragmatisme, la Suisse l'a laissé s'installer, elle l'a laissé également acquérir un immeuble en 1959 avec l'aide financière d'un ancien émir du Qatar, a néanmoins pratiqué une surveillance vigilante - mais pas plus appuyée qu'ailleurs, car il est vrai que les événements de ce siècle nous ont amenés à d'autant plus d'attention sur le sujet.
Faut-il pour autant intervenir, comme ces deux pétitions nous le demandent ? D'abord, sachez que le Conseil d'Etat a adopté en 2015 un dispositif cantonal pour la prévention des radicalisations religieuses et politiques violentes - je cite le titre complet - qui s'appelle «Gardez le lien», qui est confié au bureau de l'intégration des étrangers, en mains du département de la cohésion sociale, et qui a pour but d'être attentif à tous les phénomènes de déviance et surtout de radicalisation violente. Radicalisation violente qu'il ne faut pas confondre avec militantisme religieux; le militantisme religieux en tant que tel est autorisé pour autant qu'il s'inscrive dans notre ordre légal.
La question qui se pose ici est de savoir, puisque nous sommes dans un Etat de droit - et personne ne le conteste -, si les activités qui ont lieu dans ce centre sont contraires à la loi. Or ce n'est pas la taille des lieux qui va nous rendre plus sensibles à l'enjeu légal. Aujourd'hui déjà, si des actes illégaux sont commis, si des propos haineux sont tenus, nous devons agir. Je n'ai pas pu dire qu'il n'y a aucun risque, puisqu'il y a des risques partout, mais nous ne disposons aujourd'hui d'aucun élément de nature à nous faire penser qu'il y aurait un danger particulier à cet endroit. D'ailleurs, des actions violentes de personnes issues de communautés chrétiennes méritent aussi notre vigilance; cela signifie-t-il qu'il faut contrôler tous les prêches prononcés dans les églises et les temples ? Je pense qu'il y a une prudence de base dont nous devons toutes et tous faire preuve, et ce dans l'ensemble des domaines. Malheureusement, les gens qui entraient jadis dans des sectes embrassent maintenant certaines doctrines qui semblent leur apporter une réponse à tous les problèmes de la vie, ce qui peut les faire basculer dans des comportements dangereux.
Il n'existe pas, pour reprendre les termes de Mme Meissner, de «gabarit démocratique» des bâtiments, je n'ai jamais vu dans notre législation une notion telle que celle qui a été alléguée. La démocratie est partout, y compris dans un carnotzet ou dans cette salle, donc il faut être particulièrement attentif au respect de la loi. Par ailleurs, des problèmes sécuritaires peuvent se présenter partout; nous bénéficions d'autorités fédérales chargées de la sécurité, il y a également des personnes à Genève qui ont pour mission de garder l'oeil ouvert et, le cas échéant, de mettre en route des enquêtes lorsqu'il s'avère, par exemple après dénonciation, que certains propos sont préoccupants.
Je dois dire que je suis un peu inquiet face à une tendance à laquelle nous assistons aujourd'hui, une sorte de censure bien-pensante, paralégale, où certains considèrent que, par anticipation, il faut interdire à l'autre de parler, estimant qu'il s'apprête à tenir des propos déviants et contraires non pas au droit, mais à ceux qu'ils souhaiteraient qu'il tienne, le tout ponctué d'irruptions dans des salles de conférence universitaires sous prétexte que l'autre n'a pas le droit de s'exprimer. Alors j'ai bien conscience que ces pétitions ne parlent pas de cela, on est bien au-delà, il est ici question d'allégations haineuses, discriminatoires et contraires au droit de la femme que personne ne tolérerait chez nous, que nous ne tolérerions pas si nous en avions connaissance.
Mais de là à soumettre ces deux pétitions au Conseil d'Etat pour que si, par malheur, quelque chose devait arriver un jour, on puisse nous asséner, comme je l'ai entendu: «Au moins, on vous aura prévenus !», on puisse nous reprocher que c'est parce que nous avons autorisé l'agrandissement de cette mosquée qu'il s'est produit un incident à l'autre bout du monde, ce n'est tout simplement pas sérieux. Nous devons demeurer vigilants, nous le serons quelle que soit la taille du bâtiment, et ce ne sont pas ces pétitions, encore moins celle qui tente de détourner les règles légales sur la construction des immeubles et la délivrance des autorisations de construire, qui nous rendront plus attentifs.
Cela étant, vous avez raison: il y a parmi les activités des Frères musulmans ailleurs qu'en Suisse et à Genève des choses que l'on ne tolérerait pas. Est-ce toutefois ici qu'il faut agir ? A mon sens, la Suisse a démontré que sa tolérance, qui n'est pas de la compromission, lui a toujours permis de tenir des positions justes et pondérées. Nous poursuivrons dans cette voie. La pondération, ce n'est pas tout laisser faire, nous n'accepterons jamais que des propos tels que ceux que vous avez relatés puissent être tenus, même dans le cadre d'un prêche au sein d'une mosquée et même si le principe de laïcité s'applique chez nous. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs, nous allons procéder au vote successif sur ces deux objets. D'abord, je vous prie de bien vouloir vous prononcer sur le préavis de la majorité de la commission en ce qui concerne la P 2123-A, c'est-à-dire le dépôt sur le bureau du Grand Conseil.
Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des pétitions (dépôt de la pétition 2123 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 41 oui contre 35 non et 3 abstentions (vote nominal).
Le président. Puis, j'ouvre le vote sur les conclusions de la majorité s'agissant de la P 2132-A, soit également le dépôt sur le bureau du Grand Conseil.
Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des pétitions (dépôt de la pétition 2132 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 41 oui contre 38 non et 4 abstentions (vote nominal).