République et canton de Genève

Grand Conseil

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P 2129-A
Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition : Stop aux échos aériens sur les bâtiments
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session I des 19, 20 mai, 2 et 3 juin 2022.
Rapport de majorité de M. Stéphane Florey (UDC)
Rapport de minorité de M. Sylvain Thévoz (S)

Débat

Le président. Mesdames et Messieurs, nous passons aux pétitions. J'appelle pour commencer la P 2129-A que nous traitons en catégorie II, trente minutes. La parole va à M. Stéphane Florey.

M. Stéphane Florey (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Si ce n'est pas la première fois que ce Grand Conseil est saisi de la question du bruit dû aux échos aériens sur les bâtiments, en revanche, l'approche des pétitionnaires ici est nouvelle, à savoir qu'ils demandent l'instauration d'une zone de construction réglementée qui concernerait le pourtour de l'aéroport. La démarche est intéressante, car on se doit aujourd'hui d'apporter une vraie solution au sujet de l'aéroport et de ses nuisances sur les riverains.

Il est intéressant également de relever que tout le monde reconnaît, tant du côté de l'Etat via le SABRA que des instituts privés comme l'EMPA, que oui, l'aéroport crée des nuisances, que les échos aériens sont bruyants, qu'il y a des effets de réverbération. Le problème, et il faut quand même l'admettre, c'est que ces deux entités ne seront jamais d'accord sur le résultat.

La grande difficulté dans ce débat, c'est de déterminer l'ampleur réelle des émissions sonores dues aux échos aériens; même si des méthodes de calcul existent, il est très compliqué pour les néophytes que nous sommes de vraiment mesurer l'étendue des décibels, mais comme je viens de le souligner, tous reconnaissent qu'il y a effectivement un souci à ce niveau-là.

Maintenant, sur le fond, cette pétition demande, comme je l'indiquais en préambule, la mise en place d'une zone à réglementation limitée en matière de construction. Il faut être attentif à cela, nous devons répondre à cette requête ou tout du moins essayer de trouver une solution. Lors des auditions, les pétitionnaires ont bien fait comprendre qu'ils seraient prêts à aller jusqu'à une initiative populaire. Sachant que l'issue des initiatives est parfois surprenante, il faut veiller à cette question, car le jour où nous serons saisis d'une initiative - qui pourrait aboutir -, là, nous aurons un vrai problème. D'abord, l'initiative sera beaucoup plus directe, et puis il faudra élaborer un contreprojet, et on n'aura pas la garantie qu'il sera accepté par le peuple ni que l'initiative sera refusée.

C'est pour cette raison qu'une majorité de la commission a préféré renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Il faut que la question de fond, à savoir l'institution d'une zone de construction aux dimensions réglementées, soit étudiée, qu'il y soit répondu, et nous verrons bien par la suite s'il est possible ou non de définir un tel périmètre. Aussi, Mesdames et Messieurs, la majorité de la commission vous recommande de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Je vous remercie.

M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, de quoi est-il question dans cette pétition ? De délimiter une zone relativement grande - peu définie - autour de l'aéroport où la construction d'immeubles de plus de trois ou quatre étages - ce n'est pas exactement indiqué - sera interdite. Les pétitionnaires prétendent, sur la base de calculs non étayés scientifiquement, que la réverbération du bruit, comme une balle de tennis prise entre différents murs, accroîtrait son ampleur. Or toutes les auditions d'experts scientifiques que nous avons menées ont balayé cette hypothèse, qui n'est pas vérifiable.

On est là plutôt face à des personnes qui souhaitent que leur quartier, principalement de villas, ne soit pas densifié, qui veulent maintenir des immeubles d'un ou de deux étages. Il y a en cela quelque chose qui n'est pas tout à fait honnête dans cette pétition, laquelle s'oppose à la densification au nom du bruit, sur la base d'arguments scientifiquement invérifiables. Par moments, elle est même fantasque, soutenant que davantage de verdure pourrait limiter le bruit, notamment celui des avions; cet argument aussi, les scientifiques l'ont écarté. Certes, il y a un effet psychologique positif dans le fait d'avoir de la verdure et des arbres autour de soi, mais face à un décollage d'avion, ce n'est pas une haie ou un toit végétalisé qui atténuera les décibels de manière significative.

En revanche, un travail sur les sols pourrait être effectué en privilégiant des sols meubles; ce serait donc plutôt du côté des routes qu'il faudrait chercher une solution si on voulait vraiment réduire les effets rebond du bruit de façon importante, peut-être également en travaillant sur la densité des parois et en utilisant des matériaux de construction absorbant les émissions sonores.

Les experts sont même allés plus loin, démontrant que certains immeubles peuvent en fait être bénéfiques, c'est-à-dire fonctionner comme des paravents face au bruit. Ainsi, une certaine densification est plutôt bonne et protège des nuisances si on aménage les constructions et si on définit la hauteur des bâtiments correctement. C'est un peu ce qui se passe dans le quartier de l'Etang: les immeubles atteignent des hauteurs variables, ce qui potentiellement limite le bruit ambiant.

La minorité de la commission - une courte minorité: nous étions quatre contre six avec plusieurs abstentions - vous invite à déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil, car comme je l'ai indiqué, elle cache son nom, elle vise plutôt à éviter la densification et, surtout, elle ne lutte pas contre les principales sources du problème qui sont la cadence des avions, leur puissance au décollage, leurs horaires; c'est sur ces aspects-là qu'il faut intervenir si on veut vraiment diminuer l'impact sur les habitants et sur le voisinage, et pas en limitant la densification et donc la possibilité pour des Genevois et Genevoises de trouver un logement. Encore une fois, nous vous recommandons de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil. Merci pour votre écoute.

Mme Christina Meissner (PDC). Contrairement au rapporteur de minorité, je ne me baserai pas sur des a priori par rapport à cette pétition, mais sur ce que nous avons entendu en commission de la part de l'office responsable du bruit au niveau cantonal, le SABRA, ainsi que de l'institut suisse de référence en matière de mesures, l'EMPA. L'orientation et la hauteur des immeubles sont importantes, tout comme la nature des sols - perméables, végétalisés -, cela engendre clairement moins de réflexions à l'échelle locale. La taille et l'épaisseur de la canopée à l'échelle macro d'un quartier, le revêtement des façades mais aussi des matériaux adéquats sur les toitures et les façades comptent face au bruit.

Interrogés sur cette pétition, les experts de la Confédération pensent qu'il est nécessaire de prendre des mesures pour les bâtiments qui sont sujets à plus de nuisances. Le canton lui-même a répondu qu'il développait la réflexion et envisageait d'émettre des recommandations. On voit qu'il n'y a pas encore d'obligation aujourd'hui et on peut en rêver pour demain vu le type de constructions qu'on entreprend ou qu'on envisage d'entreprendre, lesquelles ne suivent pas du tout ces potentielles recommandations futures.

Il n'y a pas lieu de nous poser comme juges, mais simplement d'envoyer un message au Conseil d'Etat pour déclarer clairement que ces normes sont importantes, qu'il doit être proactif et transformer les recommandations en obligations. Cette pétition, même si les termes utilisés ne sont peut-être pas tout à fait appropriés, poursuit un but sanitaire vital et met en avant des mesures pertinentes à prendre en matière de construction dans une zone à déterminer autour de l'aéroport; il faut agir en fonction des courbes de bruit afin de préserver la qualité de vie de tous les futurs habitants dans ce périmètre.

L'augmentation actuelle du trafic aérien est sans commune mesure avec le soi-disant monde d'après qu'on espérait tant face à l'urgence climatique. La diminution de l'aviation reste une illusion; aujourd'hui, c'est le bruit qui domine autour de l'aéroport, pas la prise de conscience. Il est temps de passer des incitations à une réglementation spécifique en matière de construction. Le Centre votera le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat pour qu'il revienne avec des propositions tant en ce qui concerne le secteur que la réglementation. Je vous remercie.

M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, j'ai écouté attentivement les propos de Mme Meissner, mais ce n'est pas ce que demande la pétition, qui est beaucoup plus radicale, exclusive et, vous l'avez signalé, Madame Meissner, excessive dans ses requêtes.

On peut se rallier à ce que vous avez indiqué, mais ce n'est pas ce que vise la pétition, qui cherche simplement à geler la zone, à ne pas densifier, à éviter les surélévations, le tout dans une forme de protectionnisme de l'existant afin que certaines personnes puissent conserver leur petite villa dans un quartier qui tend à se densifier. Voilà l'enjeu sur lequel nous nous positionnons aujourd'hui, ce n'est rien d'autre, et il nous semble pour le moins malhonnête de mener un débat sur les émissions sonores alors qu'on est en train de parler de densification.

Sur le reste, Madame Meissner, je vous rejoins totalement: oui, il faut de la qualité, oui, il faut aménager les logements autrement, oui, il faut travailler sur les sols. Je suis d'accord avec vous à 100%; malheureusement, ce n'est pas ce que demande cette pétition. Nous vous invitons donc à la déposer sur le bureau du Grand Conseil.

Le président. Merci. Je repasse la parole à Mme Christina Meissner pour vingt-cinq secondes.

Mme Christina Meissner (PDC). Merci, Monsieur le président. J'aimerais juste citer la pétition qui demande «une zone de constructions aux dimensions réglementées». Point.

Le président. Je vous remercie. La parole retourne à M. Stéphane Florey pour une minute quarante-trois.

M. Stéphane Florey (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Quelques éléments de réponse par rapport à ce qui a été mentionné. Je crois qu'il faut être clair sur les intentions des pétitionnaires, qui demandent exactement ce que vient de citer notre collègue Mme Meissner, à savoir une zone de construction réglementée. Et s'ils ne parlent pas directement de l'aéroport ou des mesures qui devraient être prises à son encontre, c'est parce qu'ils n'y sont pas opposés, ils ont bien compris que l'aéroport est important pour notre canton, qu'il s'agit d'un acteur économique essentiel pour nous. Je le répète: ils l'ont bien saisi, ils ne sont pas contre l'aéroport.

Quant à la densification, il faut se souvenir que c'est le peuple qui a refusé le déclassement tel que l'Etat le proposait dans les quartiers de Cointrin-Est et Ouest, la réponse a été pour le moins cinglante: quand 68% de la population rejette ce type de projet, c'est qu'elle voit bien un intérêt à conserver certains de ces périmètres. Pour le surplus, Mesdames et Messieurs, je vous invite encore une fois à soutenir cette pétition en la renvoyant au Conseil d'Etat pour qu'il lui apporte une vraie réponse. Je vous remercie.

M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, dans son ouvrage marquant de 1919, Max Weber souligne le rôle du savant et celui du politique. Cette séparation des rôles dans notre société s'est trouvée fortement valorisée dans le contexte de la pandémie que nous venons de vivre, où les scientifiques, à savoir le corps médical, émettaient des constats sur lesquels les politiques pouvaient s'appuyer pour prendre des décisions adéquates et documentées. Les scientifiques n'inventent rien, ce ne sont pas des militants. Le problème de cette pétition, Mesdames et Messieurs, c'est que toute la réflexion derrière ses cinq invites est basée sur les calculs artisanaux, personnels d'un monsieur, très sympathique au demeurant, mais qui n'est pas acousticien et encore moins spécialiste des questions de réverbération du bruit.

Qu'affirme ce monsieur ? Il énonce que la résonance des nuisances aéroportuaires atteint un facteur 40. Tout l'argumentaire repose sur ce chiffre. Or que vous ont indiqué les spécialistes, les scientifiques - les savants, comme on les appelait à l'époque ? En réalité, c'est un facteur 2. Pas 40. En décibels, cela fait trois décibels. Et que disent les acousticiens spécialistes, y compris dans les documents mal cités par le rapporteur de majorité ? Que les phénomènes d'écran sont plus importants que ceux de réverbération. C'est inscrit noir sur blanc dans les rapports qui vont ont été transmis et c'est ce qui fonde la politique fédérale en matière de lutte contre le bruit. En effet, Mesdames et Messieurs, Genève ne fait qu'appliquer l'ordonnance fédérale sur la protection contre le bruit, qui elle-même distingue les zones constructibles de celles non constructibles en raison des émissions sonores, qu'elles soient d'ailleurs autoroutières, aéroportuaires ou autres.

Mesdames et Messieurs les députés, quel est le but de cette pétition ? Il s'agit d'élargir le périmètre légal fédéral, d'ajouter une zone supplémentaire, une espèce de Genferei du bruit où, à travers des élucubrations scientifiques qui établissent un facteur 40 là où il n'y a qu'un facteur 2, on définirait comme inconstructibles des secteurs bien plus importants.

Ce qui est piquant, c'est que ce sont précisément des habitants de ces quartiers-là, qu'ils estiment insupportables à la vie humaine, qui se battent pour y rester ! Il y a là quelque chose de singulier et de paradoxal: des pétitionnaires viennent nous dire qu'il ne faut pas construire là où ils habitent, parce que c'est invivable. Mais pour leur part, ils veulent continuer à y vivre !

Mesdames et Messieurs, j'entends la sympathie que le parlement ou la commission des pétitions peut ressentir à l'égard de ces gens, mais s'il se trouve une majorité parlementaire pour renvoyer au Conseil d'Etat des recommandations basées sur un constat scientifique faux - il n'y a pas de vérité ou de fausseté en matière politique, mais en science oui, et le postulat de cette pétition est faux -, eh bien les conclusions que nous tirerons de ce faux principe conduiront à une zone inconstructible majeure, contraire au droit fédéral.

Aussi, que demandez-vous en creux, Mesdames et Messieurs les députés ? Une expropriation matérielle des droits à bâtir des propriétaires concernés, qui se situeraient bien sûr en dehors des périmètres inconstructibles édictés par le droit fédéral et l'ordonnance OPB, mais à l'intérieur d'une nouvelle zone que l'on devrait calculer sur la base d'un facteur 40 inventé par ce monsieur, du reste très sympathique.

Mesdames et Messieurs, il n'est pas très sérieux qu'une majorité parlementaire relaie une contrevérité scientifique et ses conclusions. Je pense que la revendication de fond des habitants est juste, c'est-à-dire que nous devons construire de nouveaux quartiers qui tiennent compte des enjeux de réverbération du bruit, et c'est le cas dans le choix des matériaux, dans la question de la pleine terre, dans le positionnement des immeubles. Plusieurs études ont été menées, notamment pour le projet du côté de Cointrin refusé par la population, qui montraient qu'il y aurait moins de bruit si on construisait ce quartier dont le peuple n'a pas voulu que si on laissait des périmètres peu densifiés. Voilà, Mesdames et Messieurs, choc entre le politique et le scientifique; je le regrette, je regretterais surtout qu'une majorité de votre Grand Conseil valide des contrevérités scientifiques.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Je mets aux voix la proposition de la majorité de la commission, à savoir le renvoi au Conseil d'Etat.

Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des pétitions (renvoi de la pétition 2129 au Conseil d'Etat) sont adoptées par 18 oui contre 14 non et 37 abstentions (vote nominal).

Vote nominal