République et canton de Genève

Grand Conseil

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Discours de M. Jean-Luc Forni, nouveau président

Le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés,

Monsieur le président du Conseil d'Etat,

Madame la conseillère d'Etat,

Je tiens à vous remercier très chaleureusement de la confiance dont vous faites preuve en m'élisant à la présidence du Grand Conseil. C'est pour mon parti et pour moi un grand honneur, et je vous assure que je serai le président de toutes et tous. J'aurai aussi à coeur de vous représenter dignement dans toutes les manifestations qui solliciteront la présence du président du Grand Conseil, qu'elles soient publiques ou privées. Je me réjouis également de collaborer et de m'appuyer sur le Bureau qui va être prochainement élu, ainsi que sur le secrétariat général du Grand Conseil, en particulier M. le sautier, Laurent Koelliker, et Mme la secrétaire générale adjointe, Irène Renfer, qui sont toujours attentifs, dévoués et les fidèles gardiens de la loi portant règlement du Grand Conseil.

Il se trouve que je n'aime pas trop parler de moi, mais mon chef de groupe, en présentant ma candidature l'an dernier à la première vice-présidence et cette année à la présidence, a relevé ma qualité d'écoute, mon ouverture d'esprit et mon sens du compromis. A ces caractéristiques, a-t-il poursuivi, s'ajoutent le respect d'autrui, le souci de la dignité de nos institutions et de nos travaux, le calme et le pragmatisme. C'était aussi le constat de mes collègues siégeant à la commission des visiteurs officiels, de droite comme de gauche, parmi lesquels deux anciens présidents - ils se reconnaîtront -, qui m'ont convaincu, lors d'une discussion informelle durant une visite des établissements pénitentiaires de la plaine de l'Orbe, avant la pandémie, de présenter ma candidature au Bureau du Grand Conseil.

C'est bien dans cette ligne de dignité, de respect, de calme et de pragmatisme que j'entends présider aux destinées de notre Grand Conseil durant cette dernière année de la présente législature. Je compte aussi sur vous pour y parvenir. Pour connaître l'esprit vif de ce parlement, je ne peux et ne veux pas m'engager quant à une paisibilité absolue des débats. A l'impossible nul n'est tenu !

Je tiens aussi, au nom du Bureau sortant, à remercier et à féliciter mon prédécesseur Diego Esteban d'avoir présidé avec doigté et efficacité notre Grand Conseil. En devenant président si jeune, il a prouvé que la valeur n'attend pas le nombre des années. Lors de notre dernière sortie à Vevey - on l'a entendu tout à l'heure -, il a même réussi l'exploit de faire chanter les députées et députés ainsi que le secrétariat général du Grand Conseil, certes pas à l'unisson, mais avec une belle harmonie.

Nous reprenons enfin une vie et une activité normales après les bonds et rebonds de cette pandémie, qui reste toujours d'actualité tout en étant désormais - du moins nous l'espérons - en transition de l'état pandémique à l'état endémique. Je crois que nous ne remercierons jamais assez toutes celles et tous ceux qui ont été et sont encore au front, en premier lieu les soignantes et soignants des secteurs publics et privés, mais aussi les commerces de proximité ou de détail, les entités publiques et privées, qui ont pu délivrer les prestations nécessaires à la population, de même que tous les acteurs du monde économique dont l'activité a pu être maintenue et qui ont su s'adapter à la situation et réorganiser leur travail pour assurer la pérennité de leurs activités. Le Conseil d'Etat et notre parlement se sont mobilisés efficacement, subsidiairement à la Confédération, pour mettre en place les mesures de soutien et les aides nécessaires à tous les milieux affectés par cette pandémie ainsi qu'à notre population précarisée afin que personne ne soit laissé au bord du chemin. Je remercie tout particulièrement nos commissaires aux finances et à la législative d'avoir agi avec célérité et efficacité - les derniers trains de mesures seront du reste adoptés ce soir.

Notre répit aura toutefois été de courte durée puisque la guerre en Ukraine a déclenché une nouvelle crise mondiale. Abritant le siège du CICR, et par là les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels qui contiennent les règles essentielles du droit international humanitaire et fixent des limites à la barbarie de la guerre, nous devons aujourd'hui non seulement dénoncer avec vigueur les atrocités et les exactions perpétrées sur les populations civiles et les prisonniers de guerre, mais aussi demander la fin des hostilités bafouant l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Notre parlement a très vite réagi en accordant une aide financière importante à la Croix-Rouge, en complément de celle décidée par le Conseil d'Etat, afin qu'elle puisse déployer son action dans ce pays dévasté. Genève, terre d'asile, est en train d'accueillir bon nombre de femmes et d'enfants ukrainiens traumatisés par les horreurs de la guerre, et nous serons certainement appelés à débloquer des aides supplémentaires nécessaires à leur accueil et à leur intégration - je pense notamment à la scolarisation des enfants.

Conséquence de la guerre, les prix des denrées alimentaires et des matières premières prennent l'ascenseur dans notre canton et notre pays, ce qui risque de mettre en difficulté bon nombre de familles et d'habitants en situation précaire, ainsi que certains secteurs économiques. Espérons que nous saurons faire preuve d'autant d'efficacité et de pragmatisme que lors de la récente pandémie pour leur venir en aide.

Récemment, un journaliste publiait un article dans un hebdomadaire romand dans lequel il s'inquiétait de ce que des textes ne soient pas traités avant des mois, voire des années, en raison d'un ordre du jour très fourni de notre Grand Conseil. Il relevait aussi le nombre important d'initiatives cantonales que nous envoyons à Berne, en comparaison avec les autres cantons suisses. En y réfléchissant, je me suis demandé quelles devaient être les valeurs fondamentales des membres de notre parlement. J'en ai retenu trois.

Premièrement, lorsque je me rendais au collège Voltaire, où j'ai obtenu ma maturité il y a bien des années, je passais souvent devant la façade d'un grand magasin genevois qui avait été édifié en lieu et place de la maison de Jean-Jacques Rousseau. Sur sa façade, au bas d'une fresque de Hans Erni dépeignant les liens qui unissaient Rousseau à la nature, d'une part, à l'exploration de la vie intérieure, d'autre part, on pouvait lire - et c'est encore le cas aujourd'hui - cette phrase: «Mon père, en m'embrassant, fut saisi d'un tressaillement que je crois sentir et partager encore. "Jean-Jacques, me disait-il, aime ton pays."» Je crois que cet amour pour Genève, nous le partageons toutes et tous.

Je me suis rappelé ensuite la célèbre phrase du président américain John Fitzgerald Kennedy lors de son discours d'investiture en janvier 1961: «Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays.» Affirmation d'ailleurs empruntée à Gibran Khalil Gibran, poète, romancier et peintre libanais, écrite en 1910 lors de la famine au Liban. Je crois que nous sommes toutes et tous habités par ce même état d'esprit.

Enfin, comme d'autres présidents avant moi, je me suis aussi rappelé l'évocation de la vertu politique, à savoir l'amour des lois et de la patrie, de Montesquieu. Cet amour demande une préférence continuelle de l'intérêt public au sien propre. C'est la source du principe démocratique selon Montesquieu. Cette référence à la vertu politique, nous la trouvons aussi dans l'exhortation qui est prononcée au début de chacune de nos séances et que nous accueillons avec respect et dignité: «Prenons la résolution d'accomplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.»

Nous avons donc tous les atouts pour débattre et travailler pour la patrie, même si notre ordre du jour débordant interpelle; c'est une particularité que nous assumons. Cet engouement pour la «chose publique» est certainement lié à notre histoire et aux valeurs héritées de ceux qui ont contribué à la grandeur et à la réputation de notre république. Qu'ils soient nés à Genève ou non, les Genevois ont le sentiment d'habiter une ville «à part» en Suisse, dont le rayonnement tient à son ouverture sur le monde.

De la Rome protestante, nourrie par la prédication de Calvin, galvanisatrice des énergies et inspiratrice des institutions, de la République éclairée au siècle des Lumières, avec le modèle de démocratie de distinction que Rousseau propose à l'Europe entière, Genève trouve sa formulation la plus aboutie comme capitale des nations et temple de l'humanitaire avec la fondation du Comité international de la Croix-Rouge et la signature de la première des Conventions de Genève en 1864. Ainsi naquit l'«esprit de Genève», que Robert de Traz, dans son fameux traité sur ce thème, définit comme l'union des idéaux de paix et de réconciliation entre les peuples, qui étaient ceux de la toute jeune Société des Nations, aux valeurs locales d'indépendance, de justice sociale et d'humanisme qu'incarnent les grandes figures de Calvin et de Rousseau ainsi que l'institution exemplaire de la Croix-Rouge. Toute l'histoire de Genève a été marquée par un double mouvement de repli et d'expansion sensible dans l'expression moderne de l'esprit genevois et de l'esprit de Genève.

Aujourd'hui comme hier et demain nous débattrons de la Genève que nous voulons et de l'héritage que nous allons laisser à nos enfants. Les défis sont nombreux et importants: urgence climatique, transition énergétique, transition numérique, logement, aménagement, fiscalité, travail, santé et vieillissement de la population, pour ne citer que ceux-là. Ils vont nourrir nos débats et le temps est compté pour certains d'entre eux. Plusieurs - je pense tout spécialement à la transition écologique et aux transports - devront être abordés en concertation avec le Grand Genève.

Que nos débats soient nourris, vifs, empreints de respect et de courtoisie. Que notre parlement s'emplisse de l'esprit de Genève afin que nos débats soient constructifs et consensuels. Que nos débats nous permettent d'atteindre nos niveaux d'ambition et nos objectifs afin que Genève rayonne toujours et encore et qu'il y fasse bon vivre ! Alors nous pourrons redire avec fierté la boutade lancée par Talleyrand à Charles Pictet de Rochemont, qui s'efforçait d'obtenir de meilleures frontières pour Genève au Congrès de Vienne en 1815: «Il faut donc croire que Genève est le centre du monde !»

Vive la république, vive Genève et vive la Suisse ! (Applaudissements.)