République et canton de Genève

Grand Conseil

Chargement en cours ...

P 2119-A
Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition : Demande de moratoire au sujet du projet du DIP - Etat de Genève de formation par le numérique à l'école primaire
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session V des 11 et 12 novembre 2021.
Rapport de M. Jean Romain (PLR)
RD 1407-A
Rapport de la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport chargée d'étudier le rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur le programme numérique à l'école
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VII des 27 et 28 janvier 2022.
Rapport de Mme Nicole Valiquer Grecuccio (S)

Débat

Le président. Nous passons à la P 2119-A, liée au RD 1407-A. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je cède la parole au rapporteur sur la pétition, M. Jean Romain.

M. Jean Romain (PLR), rapporteur. Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, la consommation du numérique sous toutes ses formes - smartphone, tablette, télévision, etc. - par les nouvelles générations est astronomique. Dès 2 ans, les enfants des pays occidentaux cumulent chaque jour trois heures d'écran. Entre 8 et 12 ans, ils passent à près de quatre heures quarante-cinq. Entre 13 et 18 ans, ils atteignent les six heures quarante-cinq. En cumul annuel, ces heures devant les écrans dépassent largement le nombre d'heures scolaires en classe. Les parents ne savent plus que faire pour modérer l'exposition de leurs enfants aux divers écrans. Il est vrai que nous ne leur donnons pas toujours, nous autres, adultes, le bon exemple. Boris Cyrulnik et de nombreux médecins mettent en garde: pas d'écran avant 6 ans ! Evidemment, pour les parents, ce n'est pas facile du tout de suivre ce conseil.

Contrairement à certaines idées reçues, cette profusion d'écrans est loin d'améliorer les aptitudes de nos élèves ! Bien au contraire, elle a de lourdes conséquences sur la santé - obésité, développement cardio-vasculaire, espérance de vie réduite, etc. -, sur le comportement - agressivité, dépression, burn-out, conduites à risque -, sur les capacités intellectuelles - langage, concentration, mémorisation. Autant d'atteintes, repérées par les vrais pédagogues et les médecins, qui affectent fortement la réussite scolaire.

Or il est possible d'assurer un enseignement au numérique de manière débranchée. Pour développer progressivement la logique, nul besoin d'écrans dont les effets sont désastreux: on peut s'y employer autrement, de manière un peu moins ludique, certes, mais efficace. Je préside la délégation genevoise à la CIP-CSR, une commission interparlementaire de contrôle. Lors de la séance plénière de cet automne, le thème abordé sera justement celui du numérique débranché; le bureau de cette commission m'a suivi sur cette proposition. Des spécialistes ont d'ores et déjà des idées intéressantes pour ne pas couper nos jeunes de cette dimension moderne qu'est le numérique, pour instiller l'esprit critique face aux GAFAM - je pense que l'esprit critique face aux GAFAM est l'une des grandes dimensions dont il faudra tenir compte - tout en les préservant de la catastrophe d'une forte exposition au flux des écrans.

L'école ne doit pas ajouter du malheur au malheur des parents. Elle devrait les aider: si les outils numériques nous rendent la vie plus facile et plus ludique, ils retirent de facto au cerveau une partie de ses substrats nourriciers.

C'est ce qu'a pensé la commission des pétitions, qui vous demande de renvoyer ce texte au Conseil d'Etat.

Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Je cède la parole à Mme Nicole Valiquer Grecuccio, rapporteure sur le deuxième objet.

Mme Nicole Valiquer Grecuccio (S), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, il est un peu dommage que cette pétition ait été étudiée avant que le rapport divers n'ait pu être examiné, et surtout avant que l'étude de différents crédits d'investissements sur le numérique par la commission des travaux n'ait pu être terminée: nous avons eu des spécialistes de l'Université de Genève, de la FAPSE en particulier, qui sont venus nous parler et qui auraient pu grandement améliorer le point de vue qui vient d'être exposé - j'y reviendrai tout à l'heure.

Concernant ce RD, accepté par la majorité de la commission, il convient tout d'abord de rappeler que Genève n'est pas isolée non seulement du monde, mais en tout cas de la Suisse, et que la Conférence des directeurs cantonaux de l'instruction publique a adopté une stratégie pour l'éducation et la numérisation en 2018. Cette stratégie a bien sûr été suivie d'un plan d'action, adopté cette même année par la Conférence intercantonale de l'instruction publique de la Suisse romande et du Tessin - ce ne sera pas une découverte pour vous si je vous rappelle que Genève fait partie des cantons romands et que notre canton suit donc une politique prônée au niveau suisse. Le plan d'études romand, le fameux PER, a lui aussi été adapté en 2021 pour définir une éducation au numérique.

Quels sont les enjeux ? Il s'agit de permettre à nos jeunes de travailler sur différentes thématiques et d'intégrer la problématique de l'innovation. Je pense qu'en cela, on prend aussi en compte les préoccupations du monde du travail et des entreprises. Il faut aussi répondre au principe de citoyenneté et de citoyenneté numérique, pour faire de nos jeunes des citoyens et des citoyennes éclairés, développer une politique de prévention - pas besoin d'épiloguer sur ce sujet, vous voyez très bien les dérives auxquelles peut conduire le numérique - mais aussi toutes leurs potentialités, raison pour laquelle on doit sensibiliser l'ensemble des élèves à la culture numérique, à l'efficience, à la transdisciplinarité, de vrais sujets qui devraient évidemment nous motiver tous et toutes. Cela permet aux élèves de travailler par projets, ce qui est intelligent, stimule leur imaginaire et fait des élèves de futurs adultes éclairés.

Rappelons qu'au départ, ce projet sur le numérique avait été quelque peu chahuté par les associations professionnelles.

Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.

Mme Nicole Valiquer Grecuccio. Aujourd'hui, il est soutenu par la SPG, par la FAMCO, il trouve aussi l'appui des associations de parents d'élèves et ouvre non pas sur ce qu'on appelle le tout-numérique, mais sur une sensibilisation au numérique. L'école se doit, à ce propos, de former des citoyennes et des citoyens avertis.

Je conclurai en disant qu'à la commission des travaux, nous avons eu l'occasion d'entendre des spécialistes de la FAPSE par la suite, pas plus tard que cette semaine, qui nous ont rappelé l'analogie avec l'obésité: si l'on veut combattre l'obésité, on fait de la prévention, on amène des solutions; on n'empêche pas l'élève de manger - ça ne le rendrait pas plus mince - mais on développe la prévention. Avec le numérique, c'est la même chose: au lieu d'alimenter les craintes exprimées par certaines personnes, y compris par RUNE, on devrait les orienter vers les spécialistes qui ont étudié et qui éliminent nos idées toutes faites, et rappeler qu'il n'a jamais été question, jamais, de donner des tablettes aux enfants de 0 à 5 ans. D'ailleurs, le projet d'éducation numérique est un projet de l'école, et l'école, que je sache, ne commence pas à 0 ou 1 an.

Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission a décidé de prendre acte de ce rapport divers et vous y invite. Nous aurons l'occasion de discuter de projets extrêmement concrets. N'oublions pas que notre devoir est de former les jeunes pour que demain, ils deviennent des adultes responsables. Merci beaucoup.

M. Stéphane Florey (UDC). En préambule, puisqu'on en est à parler de ce qui se fait à la commission des travaux, je dirai simplement que celle-ci s'engage dans la même voie que précédemment concernant d'autres projets qui avaient finalement été retirés par le DIP: on s'engage au même refus que précédemment. Le débat qui concerne la commission des travaux n'a pas lieu d'être, on aura l'occasion d'y revenir, à moins que les projets soient aussi retirés.

Sur la pétition, nous avons été particulièrement sensibles aux propos de l'association qui l'a déposée. Deux ou trois ans après, par rapport à ces fameux projets que le DIP a retirés, on s'aperçoit qu'on n'a pas beaucoup avancé. On voit qu'on essaie absolument de nous vendre le numérique selon un concept qui ne nous convient pas du tout, et finalement, on se demande quelle est la vraie utilité à vouloir absolument introduire le numérique à l'école primaire. Partant de là, nous renverrons cette pétition au Conseil d'Etat.

Je profite pour dire deux mots sur le rapport divers. Ce qui est intéressant dans ce débat, c'est que l'étude du numérique se fait dans trois commissions: celle des pétitions, le rapport divers a été traité à celle de l'enseignement, la commission des travaux sera concernée - on l'a déjà dit. On voit que le rapport divers n'a pas convaincu grand monde, puisque c'est finalement l'abstention, largement majoritaire, qui fait que pour le moment, il est demandé de prendre acte de ce rapport. Nous, nous en avons beaucoup discuté lors de notre caucus: nous refuserons d'en prendre acte, nous demandons son renvoi au Conseil d'Etat pour que celui-ci revoie largement sa copie et tienne compte de tout ce qui a été dit non seulement aujourd'hui, mais aussi précédemment, et peut-être anticipe sur ce qui se dira demain concernant la suite. Nous vous proposons donc de renvoyer la pétition au Conseil d'Etat et de lui renvoyer aussi le rapport divers. Je vous remercie.

M. Jean Batou (EAG). Mesdames et Messieurs, j'interviens en particulier sur la pétition. Elle a été présentée par un groupe très convaincant qui comprenait une logopédiste, une enseignante, un informaticien. Que nous ont-ils dit, dans le fond ? Ils nous ont renvoyés aux travaux de Michel Desmurget, «La Fabrique du crétin digital», que je vous conseille de lire: des chercheurs en neurosciences ont montré que les enfants de l'école primaire en Europe passaient aujourd'hui cinq heures par jour devant des écrans, que cela touche leur développement cognitif, le langage, la concentration, la mémorisation, les émotions, le sommeil, le développement physique, les aptitudes sociales, mais aussi l'aptitude à la lecture et à l'écriture. Or, paradoxalement, la société numérique a besoin de gens qui sachent écrire et lire, contrairement à l'opinion que ce sont les machines qui vont écrire et lire pour nous.

Vous me direz, l'éducation au numérique est importante: il faut éduquer les enfants à ce qu'est le numérique. Bien sûr. Mais l'éducation par le numérique, par des écrans, dans les petits degrés du primaire, est contreproductive, mauvaise, et nous sommes convaincus qu'il faut que le Conseil d'Etat y réfléchisse. Vous me direz, et les vidéos éducatives ? Eh bien, il a été montré que quand vous êtes face à une personne avec qui vous discutez, quand vous interagissez avec un enseignant, la stimulation du cerveau est nettement supérieure que quand vous êtes en interaction avec un écran. Nous ne pourrons pas remplacer cela, et heureusement ! Heureusement, parce que l'éducation, ce n'est pas seulement l'apprentissage de quelques notions qu'on répète, mais c'est une interaction humaine et une capacité de dialogue.

C'est pourquoi notre groupe vous invite, comme l'unanimité de la commission des pétitions d'ailleurs - à une abstention ou une opposition près -, à renvoyer ce texte au Conseil d'Etat pour qu'il nous fournisse des réponses travaillées, disons, sur un dossier préparé avec énormément d'attention par les pétitionnaires - nous avons reçu une documentation extrêmement intéressante. N'hésitez donc pas, Mesdames et Messieurs, renvoyez ce texte au Conseil d'Etat. Merci.

Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Emmanuel Deonna, vous avez la parole pour une minute et une seconde.

M. Emmanuel Deonna (S). Merci, Monsieur le président. Il n'a jamais été question de donner des tablettes aux enfants de 0 à 5 ans, la rapporteuse sur le RD l'a dit. Il n'existe pas de volonté de numériser toute l'école et de placer les enfants devant un écran toute la journée: c'est impossible techniquement et physiquement de mettre des enfants devant une tablette ou un ordinateur toute la journée. Les enseignants sont d'ailleurs opposés à l'idée d'enseigner ce qui peut l'être avec du papier sur une tablette ou un ordinateur. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) On sait par ailleurs que dans certaines situations, le numérique peut être utile: des applications spécifiques soutiennent les élèves dyslexiques ou qui ont des difficultés d'apprentissage. Quant au cycle d'orientation, on sait qu'on y a un gros problème de bâtiments et de place: par conséquent...

Le président. Merci.

M. Emmanuel Deonna. ...on y a aussi un problème avec les salles d'informatique. Le wifi dans les salles ordinaires...

Le président. Il faut conclure.

M. Emmanuel Deonna. ...a pour objectif de remplacer celles d'informatique avec des chariots de PC portables. Je vous enjoins donc de soutenir ce rapport de la commission de l'enseignement, car il n'est pas du tout question ici d'un tout-numérique.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je cède la parole à M. Olivier Baud pour vingt secondes. (Exclamations.)

M. Olivier Baud (EAG). Monsieur le président, Mesdames les députées, Messieurs les députés, vous l'aurez compris, Ensemble à Gauche partage largement les préoccupations de l'association Réfléchissons à l'usage du numérique et des écrans. Cela dit, le rapport sur le numérique...

Le président. Merci.

M. Olivier Baud. ...a été adopté sans aucune opposition à la commission de l'enseignement, c'est ce qu'il convient de dire, et je rejoins les propos de la rapporteuse, bien obligé puisque je n'ai plus de temps !

Mme Patricia Bidaux (PDC). Mesdames les députées, Messieurs les députés, l'association RUNE-Genève qui porte cette pétition a alerté notre Grand Conseil sur les risques du numérique à l'école, je dis bien à l'école. On ne parle pas ici de ce qui se passe dans les maisons, et la seule chose qui sauvegardera nos enfants de l'abus d'écrans à domicile - je souligne: à domicile -, c'est le développement de la lecture à la maison, la pratique du sport, la visite des musées - qui, je le rappelle, sont nombreux à être gratuits à Genève -, et cela dépend de chacun d'entre nous, parents ou grands-parents.

Mais revenons à ce qui nous occupe. En parallèle à cette pétition, deux autres commissions ont traité le sujet: celle de l'enseignement au travers du RD 1407 ainsi que celle des travaux au sujet des ouvrages permettant l'accès au numérique à l'école. Après plusieurs auditions menées par ces commissions, dont une conjointe où les auteurs de la pétition ont pu présenter leur position, le PDC-Le Centre s'est positionné en faveur de l'enseignement au numérique, et non pas par le numérique, au sein des écoles genevoises.

Préparer nos enfants et surtout les rendre attentifs aux risques du numérique doit faire partie de l'enseignement donné, comme il doit tout autant faire partie de l'enseignement public de préparer les élèves à l'utilisation d'outils qui leur permettront d'être équipés pour faire face à la société moderne qui nous entoure. L'école publique ne peut pas creuser encore davantage l'écart entre le bagage reçu par les enfants scolarisés en son sein et celui reçu par nombre d'enfants qui ont le privilège d'être accompagnés par leurs enseignants dans la formation au numérique transmise dans les écoles privées du canton.

Le PDC-Le Centre remercie pour l'alerte déposée par l'association RUNE qui a permis de se pencher avec attention sur le risque encouru, de mener des auditions et un vrai débat sur le sujet. Ayant choisi la cohérence en son caucus, le groupe du PDC-Le Centre soutiendra le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil et prendra acte du rapport du Conseil d'Etat. Je vous remercie.

Mme Adrienne Sordet (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, il nous semble important de préciser notre position vis-à-vis de l'éducation au numérique et par le numérique. En effet, la présentation du Conseil d'Etat à la commission des pétitions ne nous a pas vraiment convaincus ni rassurés. A l'évidence, aujourd'hui, le numérique à l'école existe déjà en partie; il s'agit surtout d'en éviter les dérives, de prévenir les dommages. C'est au fond ce que ce texte demande.

Il faut effectivement appliquer le principe de précaution quant à la santé des enfants, en particulier dans les petits degrés, car aujourd'hui, les enfants vivent souvent déjà une surexposition aux écrans, et il nous semble inapproprié de vouloir ajouter du temps d'écran supplémentaire. Ce n'est pas d'écrans, mais bien de temps, d'accompagnement et d'espaces de créativité qu'iels ont besoin.

Ensuite, il est important de parler de l'intégrité numérique des élèves ainsi que des enseignants et enseignantes. Pour le moment, la direction qu'emprunte l'Etat ne la prend pas ou peu en compte en conservant une dépendance aux GAFAM. De plus, on ne voit pas ou peu de réflexion autour de la protection des données, de l'utilisation de logiciels libres et de serveurs propres. Autrement dit, on reste un peu dans une logique de «Google à l'école». Il faut aussi prendre en compte tout l'aspect environnemental, qui semble être négligé si l'on pense au type d'outils informatiques prévus par l'Etat dans deux projets de lois traités actuellement à la commission des travaux. Il faut aussi réfléchir aux coûts que cela va engendrer pour l'entretien et le fonctionnement: ils vont être conséquents. Il faudra vraiment se donner les moyens de faire l'éducation numérique correctement; cela touche aussi la formation des enseignants et enseignantes. Sans cela, les dérives qui découleront de l'usage du numérique à l'école pourraient avoir des conséquences catastrophiques.

Finalement, le but en votant ce texte, ce n'est pas d'empêcher l'éducation au numérique par le numérique, mais simplement de rappeler que cette modification du cursus actuel n'est pas anodine: les enfants que l'on forme aujourd'hui feront la société de demain, et la question est de savoir si nous souhaitons former des adultes fonctionnels au travail dans un environnement hypernumérisé, ou des adultes qui ont conscience du fait que le numérique fait partie de la réalité et qui sont fonctionnels avec et sans.

En d'autres termes, au vu des éléments mentionnés, le groupe des Verts votera le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat, s'abstiendra sur le rapport et espère que ces éléments de réflexion pourront nourrir les débats sur les deux projets de lois qui se trouvent à la commission des travaux. Je vous remercie.

Le président. Merci, Madame la députée. Je rends la parole au rapporteur sur la pétition, M. Jean Romain.

M. Jean Romain (PLR), rapporteur. Pour ?

Le président. Pour deux minutes cinquante-huit.

M. Jean Romain. Je vous remercie, Monsieur le président. J'entends beaucoup de choses, j'ai notamment apprécié les propos de M. Batou, qui s'appuyait sur ce fameux livre sur l'éducation au numérique et le fait qu'on veut créer des crétins numériques. Je crois que l'aptitude à la lecture, l'aptitude au calcul, l'aptitude à l'écriture sont des éléments qu'on ne doit en tout cas pas abandonner; ils doivent passer avant. On sait le nombre d'élèves qui, au sortir du cycle d'orientation, ont des difficultés non pas à lire un texte, mais à conceptualiser ce qui est écrit dans un texte relativement simple.

Mme Bidaux dit qu'elle est d'accord pour la lecture, mais que c'est à la maison qu'il faudra l'apprendre: je trouve cela dommage, parce que plusieurs parents n'ont pas la possibilité de faire ça, plusieurs parents n'ont pas le temps d'amener leurs enfants à cette curiosité. Si nous voulons être égalitaires, ce n'est pas à la maison qu'il va falloir faire ça, mais à l'école. L'école doit donner à tous la possibilité de lire, d'écrire, de compter, ce qu'elle ne fait pas. Ce n'est pas aux parents de se substituer à cela. En revanche, c'est bien aux parents de se substituer au numérique: les jeunes d'aujourd'hui connaissent déjà le numérique beaucoup mieux que certains d'entre nous, il n'y a pas besoin de les initier. Ce dont il y a besoin, c'est évidemment d'augmenter l'esprit critique. C'est quelque chose d'extrêmement important. Mme Sordet en a parlé tout à l'heure concernant les GAFAM: l'esprit critique est nécessaire.

Ecoutez, personne n'a parlé de donner des tablettes à une année. On cherche des adversaires, Monsieur Emmanuel, on cherche des adversaires pour ne pas avoir à... (Rires. Commentaires.) Comment ?

Une voix. Deonna !

M. Jean Romain. Je m'excuse: Monsieur Deonna, on cherche des adversaires pour ne pas avoir à affronter l'ennemi. Au fond, l'ennemi n'est pas là où vous le dites, il est dans la surconsommation du numérique, et c'est au détriment d'autre chose. Si l'on veut augmenter la capacité de raisonner, celle de poser pas à pas des problèmes complexes, d'aller du plus simple au plus complexe, on n'a pas besoin d'un écran ! On n'a pas besoin d'un écran ! Il y a le numérique débranché. Ce n'est pas la seule chose qui va nous permettre d'arriver à cela, mais en tant que tel, il me semble que c'est vers cela que nous devrions aller de façon à ne pas couper nos jeunes de cette réalité, mais surtout à ne pas les en rendre esclaves. Je vous remercie.

Mme Anne Emery-Torracinta, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, d'abord, je dirai qu'il y a une immense confusion. Trois commissions du parlement se sont penchées sur le sujet. Celle qui s'est occupée de la pétition m'a auditionnée trente minutes. J'avais trente minutes à disposition alors que nous avons discuté de ce projet à la commission de l'enseignement pendant sept séances ! Je ne pense donc pas que le travail à la commission des pétitions ait pu aller jusqu'au bout de la réflexion, et je vous invite plutôt à suivre les conclusions du rapport de la commission de l'enseignement, qui sont beaucoup plus développées et précises.

La deuxième confusion, c'est de mélanger l'enseignement ou plutôt l'éducation au numérique avec l'éducation ou l'enseignement par le numérique. Il n'a jamais été question de faire de l'enseignement par le numérique. L'outil reste marginal, à ne surtout pas utiliser chez les petits; c'est différent s'agissant des apprentis, du secondaire II ou autres, qui travaillent maintenant beaucoup avec les outils numériques, mais il n'a jamais été question de cela.

Quand on parle d'éducation au numérique, on parle de trois choses notamment, très bien développées dans le plan d'études romand. D'abord, la science informatique: elle va varier selon les degrés. Chez les petits, il s'agit effectivement de numérique débranché: on travaille sur la logique, les algorithmes, on fait des jeux - dans un espace où on a des carrés, par exemple, vous faites avancer les élèves en diagonale, sur les carrés à gauche, à droite, etc.; on peut le faire avec de petits robots qu'on programme, qui ne sont pas sur des écrans et qu'on déplace. C'est ce type de choses. La question des médias ou des outils, ensuite: il s'agit de savoir l'outil à utiliser pour telle ou telle chose - on n'utilise pas forcément son téléphone à bon escient aujourd'hui, on le sait très bien, vous et moi. C'est aussi cette éducation qu'il faut faire. Et puis, il y a la question des usages et de la prévention: connaître les dangers du numérique, savoir trier l'information par exemple, savoir lutter contre le cyber-harcèlement, etc. Ce sont des éléments essentiels de l'éducation au numérique.

J'ai beaucoup aimé l'exemple de l'obésité qu'a donné M. Sander, je crois, à la commission des travaux, et qu'a repris Mme Valiquer tout à l'heure: on sait qu'on a aujourd'hui un problème de surpoids de certains enfants, dans certaines familles. Pourtant, l'école n'interdit pas aux enfants d'amener un goûter. Qu'essaie-t-on de faire ? De la prévention: qu'est-ce qu'un goûter sain ? Qu'est-ce qu'il faut manger ou ne pas manger ? C'est la même chose avec le numérique. On ne peut pas se priver de tout, mais on doit expliquer comment ça marche pour éviter justement d'avoir à terme des personnes manipulables et manipulées.

J'aimerais dire aussi - les travaux menés actuellement à la commission des travaux le montrent, avec toute une série d'auditions - que jusqu'à présent - et je lis aussi les PV de cette commission - je n'ai vu personne, à part RUNE, personne s'opposer aux projets du département: les associations de parents - représentatives, elles - soutiennent le projet; il a été monté avec des enseignants, des directions, etc. Comment avons-nous fait avec les enseignants ? Nous avons pris tous les objectifs d'apprentissage qui se trouvent dans le plan romand d'éducation au numérique et nous avons regardé ce qu'il faut faire avec: débranché, pas débranché, à quel âge, comment, etc. Ce travail a été fait sur plusieurs années, et il est maintenant finalisé dans les projets que nous présentons. L'université a été entendue: elle nous a expliqué - je l'ai lu avec intérêt - que ce n'est pas le temps passé devant les écrans qui est le plus grand problème, mais la façon dont cela se passe. En particulier, il n'est pas bon que les parents laissent leurs enfants devant un écran sans accompagnement. L'interaction est importante: c'est là que les parents jouent un rôle et que l'école doit effectuer un travail de prévention, avec les familles également.

Par ailleurs, les employeurs vous diront tous qu'on vit dans une société numérique; on ne peut pas s'en passer. Quand je vous vois ici... D'ailleurs, j'ai presque envie de proposer, quand j'entends parler d'agressivité, d'aptitudes sociales, de supprimer les écrans au Grand Conseil, ça simplifiera peut-être les débats !

Mesdames et Messieurs les députés, on est encore en train de travailler sur ces questions-là à la commission des travaux. Les projets qui vous sont présentés sont sérieux. Ils s'inscrivent dans une dynamique intercantonale. Il serait impensable que les élèves genevois ne puissent pas suivre les plans d'études: le PER, les ordonnances fédérales sur le secondaire et sur la formation professionnelle. Nous avons commencé cette année au collège et à l'ECG l'enseignement de l'informatique, ça va toucher toutes les disciplines. Pour M. Romain, qui a enseigné la philosophie au collège: dans cette branche, des questions d'éthique sont posées, importantes, sur lesquelles on va travailler. A tous les niveaux, c'est prévu, depuis les petits jusqu'aux grands.

La pétition demande un moratoire. Je comprends les inquiétudes de certains parents, mais ce moratoire a eu lieu ! Il y a quelques années, nous avions présenté des projets de lois; la commission des travaux avait trouvé qu'ils n'étaient pas aboutis, nous les avions retirés. Pendant cette période de moratoire, nous avons fait ce travail très fin sur les programmes: nous avons donc répondu à l'inquiétude de RUNE; je crois qu'il y a une grande méconnaissance du projet du département.

Je vous invite à ne pas pénaliser nos élèves, à suivre le rapport de la commission de l'enseignement sur le RD 1407 - à en prendre donc acte - et à déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil, sachant que, de toute façon, la question des équipements reviendra prochainement.

Dernière petite chose: il y a beaucoup de fantasmes, on a beaucoup parlé de l'usage des tablettes, eh bien je vous rassure tout de suite: on prévoit zéro tablette pour les 1P-2P, soit les petits; pour l'ensemble du cycle élémentaire, les quatre premières années de l'école, on prévoit dix heures, dix heures sur quatre ans, où l'on peut utiliser une tablette ! Et dans quel but ? Pas pour programmer ou autre - ce n'est pas fait pour ça - mais essentiellement comme appareil-photo ou des actions de ce type-là.

J'ai pris ici les brochures décrivant ce qui va se faire à l'école primaire: j'invite tous les députés intéressés à venir voir ce qui est prévu. Du coup, vous serez rassurés, je pense, quant aux propositions du département. Merci.

Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs, nous passons au vote sur les deux objets.

Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (renvoi de la pétition 2119 au Conseil d'Etat) sont adoptées par 60 oui contre 21 non et 3 abstentions (vote nominal).

Vote nominal

Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport RD 1407 est adopté par 34 oui contre 31 non et 15 abstentions (vote nominal).

Le rapport du Conseil d'Etat RD 1407 est donc rejeté.

Vote nominal