République et canton de Genève

Grand Conseil

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M 2447-A
Rapport de la commission des finances chargée d'étudier la proposition de motion de MM. Patrick Dimier, Christian Flury, Florian Gander, Henry Rappaz, André Python, Daniel Sormanni, François Baertschi, Francisco Valentin, Christian Decorvet sur une participation active à l'assemblée générale 2018 de la BNS (Motion demandant l'action du Conseil d'Etat à l'assemblée générale 2018 de la BNS afin que, conformément à la Constitution, la BNS verse aux cantons 2/3 de son bénéfice net de 2017, lequel comprend le bénéfice de la création monétaire)

Débat

Le président. Nous poursuivons les urgences avec la M 2447-A, classée en catégorie II, trente minutes. Le rapport est de M. François Baertschi, à qui je laisse la parole.

M. François Baertschi (MCG), rapporteur. Merci, Monsieur le président. A l'issue de ses travaux, la commission a modifié les invites de cette proposition de motion de la façon suivante: il s'agit de demander au Conseil d'Etat qu'il informe régulièrement la population genevoise sur la politique monétaire de la Banque nationale et transmette à la BNS les inquiétudes de notre souverain quant aux taux d'intérêt négatifs et à leurs conséquences sur les caisses de pension, qui subissent des difficultés. Par ailleurs, le gouvernement est prié d'intervenir auprès des instances compétentes afin que soit appliqué - ou du moins mieux expliqué - l'article 99, alinéa 4, de la Constitution fédérale.

Pourquoi ce texte est-il important ? Parce que la BNS est centrale dans notre vie économique et sociale, c'est elle qui régule l'ensemble de l'économie, et il est essentiel que nous disposions de toutes les informations nécessaires quant à son fonctionnement; de l'autre côté, la BNS doit entendre les inquiétudes de la population - les grandes inquiétudes de la population ! - tandis que celle-ci doit pouvoir s'assurer de la bonne marche de ses activités, étant entendu que nous, canton de Genève, sommes copropriétaires de cette entité, même pour une faible part, et que nous avons un rôle prépondérant à jouer institutionnellement. C'est tout le sens de cet objet.

Rappelons enfin que le dialogue qui a été entamé entre les institutions et la BNS a permis de multiplier par trois la rétrocession au canton de Genève, laquelle s'élève à plus de cent millions pour la dernière année, donc ce n'est pas négligeable. Il est dès lors fondamental, même si les choses peuvent paraître assez techniques à première vue, d'aller dans cette direction, Mesdames et Messieurs. C'est pourquoi nous vous conseillons de soutenir la présente proposition de motion telle qu'amendée en commission. Merci, Monsieur le président.

M. Alberto Velasco (S). Tout d'abord, je tiens à remercier l'auteur de cette proposition de motion, parce que celle-ci a donné lieu à un débat extrêmement intéressant à la commission des finances et nous a permis d'entendre un représentant de la Banque nationale. Ce texte relève des problèmes de politique fédérale, surtout en lien avec la monnaie. Nous avons constaté que les taux à pratiquement zéro, ou disons négatifs, ont des conséquences importantes sur l'industrie de notre pays, précisément à cause de la monnaie.

La politique de la Banque nationale consiste à défendre non seulement la monnaie, mais surtout la création de monnaie, ce qui permet de réguler l'inflation. Un élément est ressorti des discussions, c'est le problème posé par les cryptomonnaies. En effet, si la création de monnaie hors de la BNS venait à évoluer énormément à terme, celle-ci ne pourrait plus contrôler la création de monnaie, elle ne pourrait plus réguler l'inflation dans notre pays. Réguler l'inflation dans notre pays, cela signifie aussi réguler la monnaie et la compétitivité de notre industrie hors de nos frontières. Ce que demande cette proposition de motion telle qu'amendée en commission, c'est que les cantons soient un peu plus liés à la politique menée par la Banque nationale, qu'il y ait une certaine transparence pour qu'on sache où on va.

Enfin, Mesdames et Messieurs, je ne comprends pas pourquoi la Banque nationale n'a jamais créé de fonds souverain avec les réserves amassées depuis des années; cela aurait permis de ne pas rendre le franc suisse aussi fort, de rapporter par la suite à l'économie nationale, d'éviter une accumulation des ressources en Suisse et d'augmenter nos capitaux à l'étranger. Voilà, nous soutiendrons donc le texte tel qu'amendé à la commission des finances. Pour conclure, je répète que le débat était très intéressant et je remercie nos collègues du MCG d'avoir déposé cet objet. Merci. (Applaudissements.)

M. Yvan Zweifel (PLR). En préambule, le groupe PLR tient à dire qu'il est heureux que la proposition de motion ait été rédigée différemment, car la première mouture était évidemment peu acceptable. Il faut rappeler ici l'importance de l'indépendance de la BNS, dont le seul et unique but est de maintenir la stabilité des prix en Suisse et à qui on ne peut pas simplement dire comment elle doit procéder en la matière.

Maintenant, on a quelque chose d'édulcoré. La première invite indique qu'il faut informer régulièrement la population genevoise et le Grand Conseil sur la politique monétaire de la Banque nationale suisse; d'accord, pourquoi pas. Ensuite, il s'agit de transmettre aux instances compétentes les inquiétudes du souverain genevois quant aux effets de la politique des taux d'intérêt négatifs. Je crois que la BNS connaît parfaitement les conséquences des taux d'intérêt négatifs, en particulier pour les caisses de prévoyance qui se retrouvent avec des liquidités qu'elles ne peuvent pas placer et qui sont ponctionnées avec des intérêts négatifs; tout le monde l'a compris, il n'y a pas besoin d'explications supplémentaires, mais là encore, pourquoi pas.

Quant à la troisième invite, elle demande au Conseil d'Etat d'intervenir auprès des instances compétentes afin que le bénéfice net de la Banque nationale suisse soit comptabilisé selon l'article 99, alinéa 4, de la Constitution fédérale. Sauf que ladite disposition n'indique pas comment on doit calculer le bénéfice net, mais ce qu'on doit en faire, comment le répartir. En l'occurrence, deux tiers doivent être distribués aux cantons, sous-entendu le dernier tiers revient à la Confédération.

Ici, Mesdames et Messieurs, on confond allègrement résultat comptable et trésorerie. Ce n'est pas parce que la BNS - comme n'importe quelle entreprise, d'ailleurs - réalise par hypothèse un résultat positif de x et génère le même x en trésorerie qu'on peut distribuer ce x gaillardement; non, cela n'a strictement et absolument rien à voir. En particulier lorsque l'on sait que le résultat de la BNS est essentiellement dû à des variations de taux de change et que, du jour au lendemain, cela peut passer à l'extrême opposé. Vous pouvez le distribuer si vous voulez, mais pour ça, il faut disposer d'actifs.

Or ce que l'on entend par actifs à distribuer, ce sont des francs suisses, voilà ce qu'attendent les cantons. Le hic, c'est qu'il n'y a précisément pas de francs suisses, ou du moins très peu, parmi les actifs de la BNS, qui compte principalement des devises, notamment des euros, ainsi que des placements de ces devises dans des obligations et des titres, par exemple dans l'immobilier. Ainsi, Mesdames et Messieurs, pour pouvoir distribuer de l'argent, il faudrait vendre ces titres et ces devises, alors qu'on veut exactement le contraire. Pourquoi la BNS achète-t-elle des euros en masse ? Pour que le franc suisse ne s'apprécie pas. Si vous voulez maintenant faire le contraire et revendre des euros pour les retransformer en francs suisses, vous savez tous ce qui va se passer.

Mesdames et Messieurs, on confond allègrement résultat comptable et résultat de trésorerie, on ne respecte toujours pas l'article... Enfin, citer l'article 99 ne sert à rien, et pour toutes ces raisons, le groupe PLR refusera cette proposition de motion et vous invite à faire de même afin de ne pas mélanger comptabilité et trésorerie. Pour le surplus, je me tiens à votre disposition si vous avez besoin d'un cours sur le sujet !

M. Patrick Dimier (MCG). Je remercie notre collègue...

Le président. Monsieur le député ? Je vous rappelle que les interventions se font avec le masque.

M. Patrick Dimier. Monsieur le président, je vous fournirai demain un certificat médical expliquant pourquoi je ne peux pas porter de masque lors de mes prises de parole.

Le président. Bien, nous l'attendons.

M. Patrick Dimier. Pour revenir au sujet, je remercie le député du PLR pour sa brillante démonstration, comme à son habitude; quant à moi, j'aimerais surtout qu'il se souvienne de ce que stipule la Constitution. Pourquoi cède-t-elle deux tiers du bénéfice de la BNS aux cantons ? Tout simplement parce que jusqu'à la création de celle-ci, ce sont les cantons qui émettaient de la monnaie, et c'est en échange de l'abandon de l'émission de monnaie que les cantons ont obtenu deux tiers du bénéfice.

Je ne suis pas comptable, donc je ne me risquerai pas plus loin sur ce terrain, mais j'invite volontiers M. Zweifel à effectuer quelques recherches historiques en ce qui concerne la Constitution, et il constatera qu'en 1906, il n'était aucunement question de verser un centime - un centime ! - à la Confédération; deux tiers allaient aux cantons, le dernier tiers servant à réaliser des réserves. Encore une fois, je ne suis pas comptable, mais je crois savoir lire notre Constitution, ce que j'invite mon collègue Zweifel à faire également - en toute amitié, bien entendu.

La question qui nous est posée ici a trait au respect de notre charte fondamentale. La respecte-t-on ou ne la respecte-t-on pas ? Si on la respecte, eh bien on doit tout simplement souscrire à cette proposition de motion qui, comme cela a été dit précédemment, a été arrondie - édulcorée, si vous voulez, mais les édulcorants, ce n'est jamais bon, il vaut mieux le bon vieux sucre. La soutenir relève de la logique, d'une simple conformité à la Constitution dans sa lecture correcte.

C'est précisément le rôle du Conseil d'Etat, lequel envoie un délégué à l'assemblée générale de la BNS, de défendre la position du canton; malheureusement, Genève, comme bien des cantons, donne sa voix via un représentant officiel. Je ne sais même pas si cette représentante - c'est une dame - vient quelquefois à Genève. J'invite très sincèrement le gouvernement à respecter sa mission et son devoir qui sont de défendre les intérêts financiers de notre république. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)

M. Olivier Cerutti (PDC). Mesdames et Messieurs, chers collègues, la commission des finances a consacré un certain nombre de séances à cette proposition de motion. Les invites formulent plusieurs demandes au Conseil d'Etat. En ce qui concerne l'information, on peut effectivement y consentir. Quant à transmettre aux instances compétentes les inquiétudes du souverain genevois, eh bien je crois que la Banque nationale n'a pas à se soucier de cela dans la mesure où elle mène une politique confédérale, et non canton par canton.

Enfin, intervenir auprès des instances compétentes afin que la BNS respecte la Constitution... Mesdames et Messieurs, la BNS et le Conseil fédéral respectent la Constitution suisse, donc il n'y a aucune raison de voter ce texte; d'ailleurs, le Conseil d'Etat s'assied dessus, c'est indiqué très clairement dans le rapport, il n'a pas de temps à perdre avec ce type de proposition. Je vous remercie de votre attention.

M. André Pfeffer (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, l'UDC trouve également cette proposition de motion peu claire. La deuxième invite parle des inquiétudes du souverain quant aux effets des taux d'intérêt négatifs. D'accord, mais il faut rappeler qu'en 2020, soit l'an dernier, Genève présentait un déficit d'un demi-milliard ! Cette année, notre budget prévoit un déficit de 850 millions. La suite est évidemment inconnue, mais tout aussi alarmante, sans oublier notre montagne de dettes. Avec tout ça, nous pouvons nous estimer heureux que les taux d'intérêt soient actuellement très bas.

Quant à la troisième invite, nous pensons également qu'il y a une confusion dans la manière de comptabiliser le bénéfice et sa répartition. Vu que le canton de Genève a réintroduit la mendicité, il est évident qu'il compte et comptera encore longtemps sur les aides de la Banque nationale. Il faut bien entendu choyer la BNS, la caresser dans le sens du poil, et c'est la raison pour laquelle notre groupe soutiendra tout de même cet objet. Merci de votre attention.

Le président. Je vous remercie. Monsieur François Baertschi, je vous repasse la parole pour vingt-cinq secondes.

M. François Baertschi (MCG), rapporteur. Merci, Monsieur le président. J'aimerais juste revenir sur les propos de mon préopinant. Si Dieu existe, je pense qu'il doit bien se moquer de lui, parce que comme le disait Bossuet, «Dieu se rit de ceux qui maudissent les conséquences des causes qu'ils chérissent». Avec la BNS, on se trouve justement...

Le président. Merci...

M. François Baertschi. ...dans ce cas de figure, c'est-à-dire qu'on se plaint...

Le président. C'est terminé.

M. François Baertschi. ...d'une abominable dette, mais on ne fait rien...

Le président. Merci, Monsieur !

M. François Baertschi. ...contre la cause de... (Le micro de l'orateur est coupé.)

M. Thierry Apothéloz, conseiller d'Etat. Mesdames les députées, Messieurs les députés, cette proposition de motion a été étudiée en commission et le département des finances a eu l'occasion d'expliquer les tenants et aboutissants de nos relations avec la Banque nationale suisse. Celle-ci a également été entendue, et elle a présenté ses activités et répondu à l'ensemble des questions des commissaires. Suite aux auditions, un amendement général a été déposé et soutenu par une large majorité. Il faut reconnaître qu'il était très éloigné du texte initial, mais il a néanmoins été accepté.

Pour conclure, je rappelle que dans l'intervalle écoulé entre le vote de cet objet et aujourd'hui, un nouvel accord a été passé entre le Département fédéral des finances et la Banque nationale suisse, accord qui augmente de manière substantielle les versements à la Confédération ainsi qu'aux cantons. Ainsi, pour Genève, 234 millions sont prévus en 2021. Soyez assurés, Mesdames et Messieurs les députés, du plein engagement du Conseil d'Etat dans la défense des intérêts de notre canton.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Je mets cet objet aux voix.

Mise aux voix, la motion 2447 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 54 oui contre 36 non et 1 abstention. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Motion 2447