République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 4 juin 2021 à 18h05
2e législature - 4e année - 1re session - 10e séance
PL 12564-A
Premier débat
Le président. L'objet suivant est le PL 12564-A qui figure en catégorie II, trente minutes. Je cède d'emblée la parole au rapporteur de majorité ad interim, M. Cyril Aellen.
M. Cyril Aellen (PLR), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, ce projet de loi vise à octroyer un droit de recours spécifique aux communes, et ce de façon générale, pas seulement quand celles-ci sont concernées par les projets. A l'heure actuelle, deux catégories d'entités disposent de cette possibilité: les associations de locataires et celles de propriétaires qui défendent des intérêts certes collectifs, mais particuliers, et les auteurs du texte souhaitent que les communes bénéficient de cette même faculté.
En commission, nous avons entendu le département qui n'a pas très bien saisi, et je le comprends, le sens de cette proposition dans la mesure où les communes disposent déjà d'un droit de recours si elles sont atteintes par une décision ou si elles allèguent - c'est Mme Dulon qui nous l'a indiqué - une violation de leur autonomie garantie par la constitution et par la loi. Ainsi, le droit de recours existe lorsqu'une commune est concernée.
En réalité, les signataires voudraient que les communes puissent réaliser le travail qui est aujourd'hui celui du canton, à savoir la surveillance par le biais de recours, ce qui est une manière de charger la procédure. Les communes ont déjà le pouvoir, et c'est bien normal, de dénoncer de potentiels cas d'abus à l'Etat afin que celui-ci exerce son haut devoir de surveillance. La majorité de la commission estime qu'il appartient au canton de remplir le devoir qui est le sien; le cas échéant, les communes peuvent s'en plaindre à l'autorité, mais en aucun cas, via des recours, se substituer à celle-ci. C'est la raison pour laquelle la majorité de la commission a considéré inopportun de voter ce projet de loi.
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant et rapporteur de première minorité. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi est d'une simplicité extrême. D'abord, il faut savoir qu'à Genève, la situation est assez exceptionnelle dans le sens où les communes ne délivrent pas elles-mêmes les autorisations de construire, comme dans la majorité des cantons suisses. En effet, dans la plupart des cantons, c'est la commune qui examine les projets et décide si, oui ou non, elle délivre une autorisation de construire dans le respect des droits cantonal, communal et fédéral. A Genève, il s'agit d'une compétence cantonale. Pourquoi pas, mais il faut tout de même que les communes puissent contrôler ce qui se passe sur leur territoire !
Dans notre canton, deux lois régissent principalement les constructions: la LCI, loi sur les constructions et les installations diverses, et la LDTR, loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation. Or il y a une incohérence entre elles. Dans le cadre de la première, la LCI, les communes ont le droit d'émettre des préavis et de recourir contre des décisions qui ne leur conviennent pas; à l'inverse, dans la seconde, la LDTR, elles ne disposent pas de cette possibilité: elles peuvent se plaindre, adresser des dénonciations à l'autorité, mais n'ont pas le droit de recourir et, partant, d'accéder au dossier, elles n'ont pas la qualité de partie pour comprendre ce qui se passe alors qu'elles sont les plus proches du terrain.
Je vais vous donner un exemple très concret, un problème qui touche Genève et qui va nous toucher à nouveau, même si nous avons été quelque peu épargnés pendant une année, c'est la question des transformations de logements en Airbnb, c'est-à-dire des appartements qui deviennent en réalité des hôtels, mais échappent au marché de l'hôtellerie ouvert - tout cela se trame de manière cachée et illicite. Eh bien les communes constituent le premier guichet auprès duquel les citoyens vont se plaindre, elles représentent la proximité avec les habitants. Les gens discutent, dans les petites communes ils vont voir le maire ou ses adjoints avec leurs remarques: «Dites, j'ai constaté que des personnes débarquent tout le temps avec leur valise !»
Quand des résidents rouspètent parce qu'ils n'ont plus de voisins, parce que leur immeuble se transforme peu à peu en quasi-hôtel, les communes sont au front. Dès lors, elles devraient jouer un rôle, il n'y a pas de raison de faire preuve de défiance à leur égard, il faut leur accorder la faculté de participer aux processus et d'apporter leur plus-value... Ah, quelqu'un m'a dit une fois que «plus-value» était un gros mot pour Ensemble à Gauche, eh bien non, je pense que les communes ont une véritable plus-value à offrir dans la mise en oeuvre de la LDTR et que nous devons leur reconnaître le droit d'être parties aux procédures. Aussi, je vous remercie de bien vouloir accepter ce projet de loi avec enthousiasme. (Applaudissements.)
Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, pour rappel, la LDTR prévoit que les demandes concernant des démolitions, transformations, rénovations ou changements d'affectation sont soumises soit à une dérogation, soit à une autorisation, c'est-à-dire à une décision du département, décision qui peut naturellement faire l'objet d'un recours.
Aujourd'hui, il y a d'importants enjeux autour de cette loi qui est absolument essentielle pour lutter contre un phénomène que connaissent beaucoup de grandes villes et auquel Genève n'échappe pas, à savoir la gentrification des centres urbains. Ainsi, c'est par exemple grâce à son application correcte que nous pouvons éviter la création de très grands lofts aux loyers exorbitants ou la rénovation de logements modestes en des biens de luxe et, de cette façon, assurer une certaine mixité sociale dans les quartiers. Le plafonnement des loyers après travaux, également inscrit dans la LDTR, poursuit le même objectif.
Les dispositions de la LDTR garantissent le maintien du parc locatif en limitant les ventes d'appartements et les changements d'affectation, une problématique qui est particulièrement d'actualité avec le développement des plateformes de location de type Airbnb. Il est dès lors fondamental que cette loi soit appliquée de manière rigoureuse et stricte, et pour y parvenir, mieux vaut quelques paires d'yeux supplémentaires. Or qui de mieux placé que les communes, qui ont une connaissance pratique du terrain, qui peuvent constater un certain nombre de phénomènes et d'entorses à cette loi ? C'est précisément ce que vise ce projet de loi que le parti socialiste vous invite à accepter. (Applaudissements.)
Mme Claude Bocquet (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, lors des diverses auditions, la commission a constaté que les communes ont déjà la compétence de signaler des loyers prohibitifs ou d'autres formes d'abus et que toutes les dénonciations sont prises en compte et suivies d'une enquête.
Depuis la réforme du traitement des APA - autorisations de construire par procédure accélérée - en 2013, qui permet d'éviter des hausses de loyer illicites, le nombre de requêtes est en constante augmentation. Le suivi des infractions a été amélioré en octobre 2018, et on constate depuis une diminution de leur nombre. La plupart des dénonciations proviennent de particuliers, 25% d'entre elles d'associations, et la Ville de Genève a rapporté seulement trois cas depuis 2013.
La majorité de la commission ne voit pas l'utilité de modifier la loi, le département ayant démontré que le travail est réalisé correctement. Ce texte pourrait engendrer une importante hausse des procédures judiciaires en matière de décisions LDTR; il apparaît plutôt comme une guéguerre de pouvoir entre la Ville de Genève et le canton. C'est pourquoi le PDC le refusera.
Une voix. Très bien !
M. Stéphane Florey (UDC). En caucus, nous avons longuement discuté de ce projet de loi qui nous a divisés sur une question, à savoir faut-il étendre le droit de recours aux associations régulièrement constituées d'habitants, de locataires et de propriétaires d'importance cantonale ? Finalement, une majorité a décidé que non. Par contre, en ce qui concerne les communes, il est pour nous évident qu'elles doivent pouvoir recourir dans tous les cas.
Nous proposons dès lors un amendement qui biffe la fin de la phrase de l'article 45, alinéa 5, c'est-à-dire qu'on s'arrête après: «ainsi que la commune du lieu de situation». Tout le reste est supprimé. Si cet amendement est adopté, nous accepterons le projet de loi; dans le cas contraire, nous le refuserons ou nous nous abstiendrons. Je vous remercie, Monsieur le président.
M. Rémy Pagani (EAG). Je signale en préambule que nous nous rallierons à cet amendement, car c'est le droit de recours de la commune du lieu de situation qui nous importe. Aujourd'hui, il y a à Genève pléthore de bureaux vides qui sont d'anciens appartements, lesquels ont été transformés ces trente ou quarante dernières années au mépris de la LDTR. Mis à part la question des logements Airbnb qui se pose moins ces derniers temps - on comprend pourquoi -, il y a un vrai problème de bureaux vides, notamment d'appartements transformés en bureaux qui devraient réintégrer le parc immobilier.
La commune est parfaitement apte à déposer des recours, comme elle peut le faire sur tous les autres sujets, donc on ne comprend pas pourquoi elle n'est pas partie à la procédure. Elle ne délivre pas d'autorisations, certes, et c'est justifiable: Genève est un petit canton, on ne peut pas démultiplier les instances comme dans le canton de Vaud au vu de sa taille.
Mais toujours est-il que la question demeure quant au droit d'observation et de recours des communes concernées par des phénomènes, que ce soit Airbnb, la transformation de logements en bureaux ou d'autres choses qui risquent d'apparaître du fait de la cherté des biens immobiliers, sans parler de la spéculation qui règne actuellement sur l'ensemble de notre territoire. Fondamentalement, la LDTR constitue un outil de régulation d'un marché complètement euphorique, et le droit de recours fait partie de ce dispositif. Je vous remercie de votre attention.
M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, la commission du logement a examiné ce projet de loi et constaté que la commune a déjà la possibilité de dénoncer des faits à l'autorité. Les services chargés d'appliquer la LDTR font leur travail correctement, et je ne vois pas pourquoi il faudrait octroyer une voie de recours judiciaire à la commune dans cette affaire. L'Etat accomplit son travail, joue le rôle de régulateur, et rien n'empêche un citoyen ou un fonctionnaire, s'il observe une situation illégale, de la dénoncer au canton, mais il ne dispose pas d'un droit de recours pour autant, je pense que ce serait totalement inadéquat.
A Genève, comme vous le savez, il est déjà très compliqué de réaliser quelque chose dans les domaines du logement et de la construction, et vous voulez ajouter une instance susceptible de déposer des recours ? Ce faisant, vous allez allonger encore des procédures qui sont sans fin, les tribunaux étant par ailleurs relativement engorgés, c'est le moins qu'on puisse dire. Ce projet de loi n'apporte rien et je vous invite à le refuser; le MCG le rejettera tout comme l'amendement proposé par l'UDC. Merci.
M. Alberto Velasco (S). J'aimerais intervenir sur l'amendement déposé par le groupe UDC. En ce qui nous concerne, nous ne pouvons pas accepter une telle modification. Qu'opère-t-elle, en réalité, de manière très subtile ? Elle retire la possibilité de recours aux associations régulièrement constituées d'habitants, de locataires et de propriétaires d'importance cantonale, c'est-à-dire que sous couvert d'octroyer un droit aux communes, on ôte ce même droit aux associations ! Ce n'est pas possible, Messieurs ! Vraiment, c'est invraisemblable que le groupe UDC propose cela, on a presque affaire ici à un déni de démocratie populaire ! Ça va à l'encontre totale de nos moeurs, et nous ne pouvons pas valider un tel amendement. C'est totalement pervers ! Par conséquent, Mesdames et Messieurs, le groupe socialiste s'opposera à cet amendement, et s'il passe, eh bien nous demanderons le renvoi en commission.
Le président. Je vous remercie. La parole est sollicitée par M. Pierre Bayenet à qui elle revient pour une minute vingt.
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant et rapporteur de première minorité. Merci, Monsieur le président. Il y a un petit malentendu sur la question de l'amendement qui vient d'être présenté, soit la suppression du droit de recours des associations. Ce qu'il faut savoir, c'est que dans la version actuelle de la LDTR, les associations disposent d'un droit pour recourir, donc ce n'est pas le présent projet de loi qui introduit cette disposition, elle existe déjà et l'ASLOCA, par exemple, l'utilise régulièrement pour former des recours.
Le but du texte dont nous discutons maintenant, c'est d'ajouter, en plus de celui des associations, un droit de recours pour les communes. Evidemment, nous ne pourrions pas accepter un amendement qui ôte cette faculté aux associations pour la donner aux communes; il s'agit de deux choses distinctes, les communes jouent un rôle différent de celui des associations, et il faut que ces deux entités puissent recourir indépendamment l'une de l'autre. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. Nous passons au vote.
Mis aux voix, le projet de loi 12564 est rejeté en premier débat par 64 non contre 23 oui et 4 abstentions.