République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 26 mars 2021 à 18h10
2e législature - 3e année - 10e session - 65e séance -autres séances de la session
La séance est ouverte à 18h10, sous la présidence de M. François Lefort, président.
Assistent à la séance: Mme Anne Emery-Torracinta, présidente du Conseil d'Etat, et M. Serge Dal Busco, conseiller d'Etat.
Exhortation
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mme et MM. Pierre Maudet, Mauro Poggia, Antonio Hodgers, Nathalie Fontanet et Thierry Apothéloz, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Delphine Bachmann, Antoine Barde, Patricia Bidaux, Didier Bonny, Marc Falquet, Serge Hiltpold, Philippe Morel, Jean Rossiaud, Adrienne Sordet, Vincent Subilia, Alberto Velasco, Helena Verissimo de Freitas, Salika Wenger et Raymond Wicky, députés.
Députés suppléants présents: Mmes et MM. Nicolas Clémence, Sophie Desbiolles, Joëlle Fiss, Jean-Charles Lathion, Badia Luthi, Xavier Magnin, Patrick Malek-Asghar, Eliane Michaud Ansermet, Françoise Nyffeler, Jean-Pierre Pasquier, Helena Rigotti et Esther Schaufelberger.
Annonces et dépôts
Le président. La proposition de motion suivante est retirée par ses auteurs. Il en est pris acte.
Proposition de motion de Mmes et MM. Grégoire Carasso, Léna Strasser, Xhevrie Osmani, Badia Luthi, Helena Verissimo de Freitas, Nicolas Clémence, Jocelyne Haller, Amanda Gavilanes, Salika Wenger, Sylvain Thévoz, Glenna Baillon-Lopez, Caroline Marti, Nicole Valiquer Grecuccio, Alessandra Oriolo, Boris Calame, Dilara Bayrak, Marjorie de Chastonay, Didier Bonny, Esther Schaufelberger, Thomas Wenger, Yves de Matteis : Soutenir plutôt que punir : face à la pandémie, pour un changement de toute urgence à l'office cantonal de l'emploi (M-2733)
Premier débat
Le président. Nous entamons le traitement du PL 12440-A. Le débat est en catégorie II, trente minutes, et la parole échoit au rapporteur de majorité, M. Jean-Marc Guinchard.
M. Jean-Marc Guinchard (PDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chères et chers collègues, l'article 20A de la LFPP dispose ceci: «Dans la législation genevoise, toute désignation de personne, de statut ou de fonction vise indifféremment l'homme ou la femme, sous réserve des domaines liés aux différences biologiques des sexes.» Cet énoncé figure d'ailleurs en préambule de la LRGC qui organise et règle nos travaux.
Or cette disposition n'est pas respectée à l'heure actuelle, puisque le genre masculin prédomine largement sur le plan grammatical, un emploi enraciné dans de longues habitudes. L'auteur du projet de loi en a d'ailleurs fait un rappel historique précis. Dans la vie de tous les jours et en particulier dans le monde politique, c'est à l'évidence le masculin qui est systématiquement utilisé: on parle par exemple d'un ténor de la politique, d'un trublion du parlement ou du poids lourd d'un parti.
Au-delà de l'anecdote, ce projet de loi a permis aux commissaires de se familiariser avec la rédaction inclusive et/ou épicène, d'en découvrir les subtilités. Quelques rappels: le langage inclusif n'exclut personne pour des motifs de sexe, d'âge, d'origine ethnique, de modèle familial, d'orientation sexuelle. Ainsi, le terme «handicapés» est exclusif alors que celui de «personnes handicapées» est inclusif. Il ne s'agit dès lors pas uniquement d'égalité des sexes, la rédaction inclusive prend en considération les diversités. Le langage neutre ou épicène, quant à lui, vise à remplacer des mots masculins par des tournures neutres. «Beaucoup de personnes travaillent au projet» est une affirmation neutre; «Des hommes et des femmes travaillent au projet» constitue une expression inclusive.
Ces définitions et précisions tout comme des spécialistes chevronnés en la matière ont guidé les commissaires durant les séances de travail dédiées au projet de loi tel que présenté par son auteur. Il s'agissait de définir des principes légaux pour neutraliser le langage autant que possible dans nos futures lois ou permettre le recours à d'autres formulations tout en garantissant la lisibilité. Les textes de lois, que nul n'est censé ignorer, sont souvent peu accessibles à tout un chacun, il convient donc de les simplifier.
Si un consensus s'est rapidement dégagé au fil des travaux et des auditions quant à l'opportunité d'entrer en matière sur ce projet de loi, certaines et certains commissaires ont posé deux conditions: d'une part que la démasculinisation ne constitue pas un obstacle à une lecture fluide et à la compréhension des textes, d'autre part que cette démarche n'aboutisse pas à une refonte complète de l'ensemble de notre législation, ce qui représenterait un travail colossal et par ailleurs peu captivant pour celles et ceux qui en seraient chargés. Dans ce contexte, il a été rappelé que les logiciels capables de transcrire des interventions orales ne maîtrisent pas l'adjonction de points, points médians, tirets et autres barres obliques, sans même parler des x.
Ces deux questions réglées à satisfaction, les commissaires ont ensuite modifié le projet de façon significative en acceptant tout ou partie des amendements proposés par le Conseil d'Etat pour des raisons de procédure, de séparation des pouvoirs et de hiérarchisation des normes. Enfin, un ultime consensus a été trouvé sur le titre de la loi: nous avons préféré mettre en évidence les notions d'égalité et d'inclusivité plutôt que le terme «démasculinisation», jugé trop négatif. Le texte amendé a été accepté à la quasi-unanimité des commissaires, c'est-à-dire par huit oui contre un seul non. C'est sur cette base que je vous encourage, Mesdames et Messieurs les députés, chères et chers collègues, à voter le projet qui vous est soumis aujourd'hui avec le même score. Je vous remercie.
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, nous ne contestons pas le principe visant à favoriser l'écriture inclusive. L'égalité entre hommes et femmes est inscrite dans notre constitution, et il est admis que le langage est l'outil qui sert à construire notre société, notre savoir, notre pensée. Ce que reproche à ce projet l'unique commissaire de minorité - une fois de plus, l'ultraminoritaire ! -, c'est qu'il est trop détaillé et conduit à une application très large tout en alourdissant la tâche de notre administration de même que ses coûts.
Ce projet confond rédaction épicène ou inclusive avec textes illisibles, voire langage militant. Il est par ailleurs inutile, car il reviendrait à imposer à notre fonction publique une démarche qu'elle a déjà entreprise ou projette d'entreprendre sans la moindre contrainte. Pour vous donner un exemple de la complexité du sujet, il existe de multiples types d'écriture inclusive: le langage épicène ou la terminologie neutre, les doublets, les points médians, les tirets, l'ordre alphabétique, l'accord de majorité, le placement du féminin en premier, etc.
Privilégier la rédaction épicène comme le prévoit la version du projet de loi votée en commission alourdit les textes, crée des inconvénients, introduit des problèmes de fluidité, voire de compréhension. Rigidifier et hiérarchiser les méthodes n'a aucun sens. La constitution genevoise est épicène; la Ville de Genève et l'université pratiquent déjà le langage neutre ou sont en passe de l'adopter.
Encore une fois, s'il est légitime d'encourager toute démarche améliorant l'égalité entre femmes et hommes, ce projet de loi est trop strict, laisse la porte ouverte à une large interprétation, crée des charges et des dépenses supplémentaires, rend les textes peu lisibles et impose un fléchage ainsi qu'un cadre quant à la manière de s'exprimer et de rédiger. Cet objet ne favorise pas la lisibilité de notre législation, mais promeut clairement un discours militant. Pour finir, je vous informe que si le PLR dépose un amendement comme il l'a prévu, je renoncerai à vous soumettre mes deux propositions de modifications citées dans mon rapport de minorité. Merci de votre attention.
Le président. Est-ce que vous faites référence à l'amendement qui vient d'être déposé par le PLR ?
M. André Pfeffer. C'est exact. Je viens de le recevoir, je vais rapidement le parcourir et je donnerai mon avis dessus tout à l'heure. Merci, mon président. (Rires.)
Une voix. Mon président !
Mme Céline Zuber-Roy (PLR). La commission législative a accompli un travail de qualité sur la question du langage utilisé dans notre ordre juridique et y a apporté une solution pragmatique qui s'articule en trois axes. Tout d'abord, la rédaction des textes de lois doit prendre en compte la diversité de la population genevoise, c'est-à-dire être inclusive. En effet, ce n'est en aucun cas le rôle de la législation de propager des stéréotypes basés sur une prétendue normalité. Au contraire, le législateur doit garantir un maximum de liberté à chaque personne pour qu'elle s'épanouisse sans pression liée notamment à son genre, à son orientation sexuelle ou à son modèle familial. Voilà en quoi consiste la rédaction inclusive telle que définie par la commission législative, et non en l'usage de tirets ou de points au milieu des mots.
L'alinéa 2 de l'article 20A précise ensuite que pour atteindre ce but, le langage épicène, c'est-à-dire fondé sur des termes neutres, doit être utilisé en priorité. Ainsi, plutôt que de parler «de députées et de députés», il est préférable d'employer l'expression «membres du Grand Conseil». Cette formulation évite les doublets qui sont passablement lourds et surtout la binarisation à outrance de notre société voulue par certaines personnes, tout en incluant les personnes non binaires.
Finalement, la commission législative propose d'instaurer des garde-fous en rappelant une évidence: en premier lieu, la loi doit être compréhensible, donc lisible. En effet, c'est la loi qui fixe le cadre de notre société, chaque personne adaptant son comportement en conséquence; il faut donc qu'elle soit lisible par le plus grand nombre et, pour cela, des signes typographiques tels que points ou tirets ne doivent en aucun cas figurer au milieu des mots. De telles pratiques vont clairement à l'encontre du critère de lisibilité retenu par la commission législative et sont donc proscrites.
Dans un but de clarification, notamment à l'intention du Conseil d'Etat qui a dernièrement déposé un projet de loi avec de tels caractères typographiques, mon collègue Murat Alder présente un amendement spécifiant expressément cette interdiction. Le groupe PLR vous invite à soutenir le projet de loi tel que sorti des travaux de la commission législative avec l'ajout de mon collègue, car c'est une solution équilibrée qui tient compte des différentes sensibilités tout en garantissant la lisibilité de notre législation. Le langage épicène est d'ailleurs utilisé dans notre charte fondamentale, la constitution genevoise, et plus modestement, c'est celui qui a été appliqué dans la présente intervention. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
M. Pierre Vanek (EAG). Pour une fois - ce n'est pas toujours le cas, on l'a vu tout à l'heure -, je suis d'accord à 100% avec notre collègue Guinchard qui, dans le cadre de son rapport de majorité, appelle à voter ce projet de loi tel quel. En ce qui concerne les récriminations ou disons les reproches formulés par l'ultraminoritaire de service, M. Pfeffer, qui soutient que l'application de ce texte est trop large... Bon, il s'est déjà retenu d'évoquer les pratiques de Bâle-Ville en la matière ! Bref, il a tort, parce que le projet de loi n'est pas trop large, son champ est beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup trop réduit par rapport à l'ambition initiale de mon camarade Pierre Bayenet qui était de démasculiniser la législation genevoise dans son entier, c'est-à-dire que la chancellerie se mette au travail, prenne les lois - en commençant par les essentielles - et les corrige pour obtenir un langage inclusif ou épicène dans l'ensemble du recueil systématique genevois.
Nous avons accepté de ne pas prendre ce chemin-là, mais de fixer des règles valables pour l'avenir, nous nous sommes mis d'accord sur l'idée que chaque fois qu'on révisait une loi, dans la mesure du possible, on rectifiait les erreurs, les formules dépassées, sexistes ou genrées pour adopter un langage inclusif ou épicène. Aussi, l'ambition initiale du projet a déjà été réduite de manière conséquente. Certes, reprendre toutes les lois antérieurement votées - à froid, et pas simplement au moment où on les révise - était une ambition considérable qui aurait exigé un travail lui aussi considérable. Ici, on décrète simplement que la rédaction des actes publiés au recueil officiel tient compte des réalités diverses de genre, d'état civil, de modèle familial et adopte des tournures inclusives ou épicènes. Nous soutenons évidemment ce projet de loi.
Quant à l'amendement du PLR Murat Alder... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...qui vise à régler la problématique de l'emploi ou non de points médians ou de tirets dans la rédaction législative, c'est d'un tatillon et d'une absurdité crasse ! Moi qui suis un vrai libéral, eh bien je suis contre une densité normative qui dispose sur la possibilité...
Le président. Merci, c'est terminé...
M. Pierre Vanek. ...ou l'interdiction d'utiliser des points médians...
Le président. Monsieur Vanek, c'est très terminé.
M. Pierre Vanek. Pardon ?
Le président. C'est terminé.
M. Pierre Vanek. D'accord, donc au nom de mon groupe, je rejette évidemment l'amendement PLR qui est absurde et pas vraiment libéral, contrairement à ce qu'il faut dans ce contexte.
M. François Baertschi (MCG). Selon l'Académie française, l'écriture inclusive ou épicène est un péril mortel pour la langue française. (Commentaires.) D'ailleurs, elle s'y est opposée en 2017, à raison, et nous soutenons tout à fait cette politique. En effet, nous portons une lourde responsabilité vis-à-vis des générations futures qui n'ont pas à subir ce genre de fantaisies dramatiques. C'est la raison pour laquelle nous ne voterons pas ce projet de loi en l'état, mais soutiendrons l'amendement de Murat Alder qui permet avec intelligence de satisfaire plus ou moins tout le monde sans constituer un crime contre la langue française.
Une voix. Très bien !
M. Diego Esteban (S). Mesdames et Messieurs, je serai bref. Le groupe socialiste vous appelle à soutenir ce projet de loi tel que sorti des travaux de commission dans le sens des arguments présentés par le rapporteur de majorité.
Je tenais surtout à relever ici le caractère historique que revêtirait cette loi si l'amendement de M. Alder était accepté: il s'agirait certainement de la première tentative de légiférer sur la ponctuation ! (Rires.) C'est étonnant quand on sait que le PLR a déposé un projet de loi intitulé «Pour une maîtrise efficiente du processus législatif et de l'effet des lois». Vous me voyez donc obligé de vous inviter, au nom du principe de subsidiarité, à refuser l'inflation législative superflue proposée par le PLR.
Cette démarche est du reste inutile, puisque la chancellerie pratique la rédaction inclusive depuis plusieurs années dans l'indifférence générale. Une démarche raisonnable, car la langue française est suffisamment riche pour ne pas avoir à tomber dans les travers qui effarouchent tant notre collègue M. Alder. Je vous exhorte à faire confiance à la direction des affaires juridiques de la chancellerie et donc à refuser cet amendement. Merci de votre attention. (Applaudissements.)
Mme Dilara Bayrak (Ve). Chères et chers collègues, le masculin l'emporte sur le féminin. Vous avez déjà toutes et tous entendu cela, j'en suis certaine, je peux même vous dire où: sur les bancs de votre classe, à l'école primaire. Mais prenons un instant pour bien comprendre le sens intrinsèque de ces mots: le masculin l'emporte sur le féminin. Mesurez-vous les implications d'une telle règle dans l'esprit de toutes celles qui, dès l'enfance, se retrouvent confrontées à cette réflexion ? Lorsqu'il y a cent femmes et un homme dans une pièce, on dit «ils». Pourquoi ? Parce que le masculin l'emporte sur le féminin. Ce qu'on leur dit, à ce moment, c'est qu'elles ne comptent pas, c'est comme si le féminin n'existait pas. Pour quelles raisons valables auraient-elles moins de valeur ? Pourquoi, pourquoi cette règle ?
Vous n'êtes pas convaincus ? D'accord, alors examinons de plus près la règle du masculin dit «genre non marqué». Selon les membres de l'Académie française que le MCG semble soudain tant affectionner, le masculin constitue en français un genre «non marqué», et c'est ce qui justifie le fait qu'il puisse désigner indifféremment les hommes et les femmes. Encore une fois, pourquoi ? Pourquoi la norme est-elle définie en partant du masculin ? Ne serait-il pas possible de faire preuve d'un peu d'imagination et d'utiliser de nouveaux pronoms mixtes, employés couramment dans les milieux inclusifs ?
Vous remarquez des similitudes ? Les femmes sont constamment invisibilisées, dissimulées, cachées, oubliées. Cette pratique n'est pas constatée uniquement dans notre langage, c'est malheureusement aussi le cas dans les domaines des mathématiques, de la physique, de la chimie, de la médecine et bien d'autres où les figures féminines ne sont absolument pas reconnues et célébrées pour leur travail, pourtant crucial pour l'avancée dans ces secteurs. L'absence des femmes se fait d'autant plus remarquer lorsque nous jetons un coup d'oeil à l'espace public: combien de rues portent le nom d'une femme ? Combien de statues commémoratives représentent des figures féminines ?
Les règles de la langue française sont sexistes. Face à ce constat, peut-être bien que notre parlement est limité dans ses possibilités d'action; ce que nous pouvons faire, par contre, c'est accompagner les revendications des femmes et leur besoin de se réapproprier les espaces dont elles ont longtemps été exclues. Cela inclut nos textes parlementaires, car l'invisibilisation des femmes constitue un obstacle majeur à l'égalité entre femmes et hommes telle qu'elle est prévue dans notre constitution. Pourquoi ? Car elle revient à perpétuer la structure sociétale actuelle, celle qui discrimine et qui place un genre au-dessus de l'autre; autrement dit, elle perpétue la société patriarcale.
Je conclurai avec quelques mots sur le langage inclusif. Certes, celui-ci se décline sous plusieurs formes, mais saviez-vous qu'il n'existe toujours pas de modèle uniformisé pour les tables des matières dans le monde académique ? Cela n'a pourtant pas empêché les universités les plus prestigieuses du monde de fixer un cadre quant à la façon de procéder. C'est exactement ce que nous vous proposons de faire en refusant l'amendement du député Alder; il s'agit de sceller une interdiction alors même que le langage n'est pas encore arrivé au terme de son évolution. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci. La parole va à M. Patrick Dimier pour une minute cinquante-six.
M. Patrick Dimier (MCG). Merci, Monsieur le président. Le langage est central pour se faire comprendre les uns des autres, et si on l'utilise comme vecteur de militantisme, on tombe dans des travers qui rendent son usage extrêmement difficile. Cela a été rappelé avant moi, l'Académie française - dont nous dépendons non pas en tant qu'elle représente une autorité, mais une gardienne de la langue - estime que le langage inclusif est tout simplement destructeur. Pourquoi ? Parce qu'il est déstructurant. Bien entendu, nous sommes contre.
J'aimerais aussi rappeler à ceux qui se souviennent que nous avons une constitution la teneur de son article 5: celui-ci précise d'abord que le français est notre langue officielle, ensuite et surtout qu'il appartient à l'Etat d'en assurer la défense. Et nous, nous faisons partie de l'Etat; si nous, qui créons les lois, ne sommes pas capables de garantir la défense de notre langue, qui d'autre va s'en charger ?
L'amendement proposé par M. Murat Alder va dans le sens d'une évolution naturelle du langage; ce n'est pas faire preuve de sexisme que de penser ainsi, c'est au contraire s'attacher à rendre notre idiome compréhensible, équilibré et respectueux des uns et des autres. Nous soutiendrons donc cet excellent amendement. Merci. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. le député Jacques Blondin pour une minute quarante et une.
M. Jacques Blondin (PDC). Oui, merci, Monsieur le président. Je serai très bref sur ce sujet éminemment sensible - c'est compréhensible qu'il le soit. Le parti démocrate-chrétien validera le travail de la commission en soutenant ce projet de loi, et nous voterons également l'amendement du PLR. Rédaction épicène, oui; rédaction inclusive, non. Ce sera la position du groupe démocrate-chrétien, merci d'en prendre acte.
Le président. Je vous remercie. La parole revient à Mme Danièle Magnin pour vingt-six secondes.
Mme Danièle Magnin. Je renonce, Monsieur le président.
Le président. Pardon ?
Mme Danièle Magnin. Je renonce !
Le président. D'accord, alors c'est à vous, Monsieur André Pfeffer, pour deux minutes quarante-quatre.
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de minorité. Merci...
Une voix. Tu ne parles pas de Bâle, hein !
M. André Pfeffer. Je retire mes deux amendements avec plaisir et je passe avec encore plus de plaisir du statut d'unique opposant au sein de la commission à celui de membre de cette nouvelle majorité. Je répète ici que l'égalité entre hommes et femmes n'est pas contestée, mais que nous devons éviter de créer une usine à gaz pour obéir à des contraintes militantes avec des coûts extrêmement élevés pour notre administration. Merci.
Mme Anne Emery-Torracinta, présidente du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, la présidente du Conseil d'Etat que je suis ne peut bien évidemment que se féliciter de ce projet de loi et vous indiquer que l'entier du Conseil d'Etat le soutient. Ensuite, j'aimerais rassurer la députée Leonelli: le masculin qui l'emporte sur le féminin, à l'école, c'est bientôt fini. Nous sommes en train de revoir les manuels scolaires de français... (Commentaires.)
Une voix. C'était Dilara Bayrak !
Mme Anne Emery-Torracinta. Ah pardon, c'est vous, excusez-moi ! Avec les masques, on ne reconnaît plus les gens !
Le président. Dilara Bayrak est son nom.
Mme Anne Emery-Torracinta. Le masculin qui l'emporte sur le féminin, Madame Bayrak, c'est bientôt fini: les manuels de français de l'école obligatoire sont en train d'être revus, et ces formulations ne seront plus possibles, sans qu'on emploie pour autant des points médians et autres signes typographiques qui seraient beaucoup trop compliqués pour les élèves. D'autres options sont possibles, et cet exemple a précisément été cité comme celui qu'il ne fallait pas suivre dans le manuel de français, donc les choses évoluent.
Peut-être faudrait-il qu'elles évoluent également en politique, et je vais me permettre à cet égard, je le fais rarement, de raconter une anecdote personnelle - sans doute que certains la connaissent déjà. Vous savez que le Conseil d'Etat fait régulièrement, en tout cas quand il le peut, des visites confédérales, c'est-à-dire qu'il se rend dans d'autres cantons, et les conjoints sont invités. Ma première visite confédérale s'est déroulée à Lucerne, mon mari m'accompagnait. Lors du premier repas de midi, nous étions assis en face du ministre des finances lucernois qui a regardé mon époux et lui a demandé: «Quel est votre département ?» Mon mari a répondu: «Moi, c'est le ménage et la cuisine, et ma femme, c'est l'instruction publique, la culture et le sport !» (Rires. Applaudissements.) Comme quoi, il faut du temps pour changer les mentalités. Ce n'est pas forcément un tel projet de loi qui va tout bouleverser, mais cela nous oblige à réfléchir à la manière de faire évoluer les moeurs. Je vous invite dès lors à le voter. Merci beaucoup. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Madame la présidente du Conseil d'Etat. Nous passons au vote.
Mis aux voix, le projet de loi 12440 est adopté en premier débat par 74 oui contre 18 non et 1 abstention.
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que les art. 1, al. 1 (nouvelle teneur), à 8, al. 1 (nouvelle teneur).
Le président. Nous sommes saisis d'un amendement présenté par M. Murat-Julian Alder qui consiste à ajouter une seconde phrase à l'article 20A, alinéa 3:
«Art. 20A, al. 3 (nouvelle teneur)
3 Lorsque la rédaction épicène n'est pas possible, les formulations utilisées ne portent pas atteinte à la lisibilité des actes visés à l'alinéa 1. En particulier, le recours à des pratiques rédactionnelles ou typographiques au moyen notamment de barres obliques, de parenthèses, de points médians ou de tirets est proscrit.»
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 58 oui contre 37 non. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)
Mis aux voix, l'art. 20A (nouvelle teneur avec modification de la note) ainsi amendé est adopté.
Mis aux voix, l'art. 20B (nouveau) est adopté, de même que l'art. 23 (nouveau).
Mis aux voix, l'art. 1 (souligné) est adopté, de même que l'art. 2 (souligné).
Troisième débat
Mise aux voix, la loi 12440 (nouvel intitulé) est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 71 oui contre 12 non et 9 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)
Premier débat
Le président. Le point suivant regroupe le PL 12441-A et le PL 12442-A. Nous sommes en catégorie II, soixante minutes. Qui remplace Mme von Arx-Vernon ? C'est vous, Monsieur Guinchard, alors je vous donne la parole.
M. Jean-Marc Guinchard. Merci, Monsieur le président... (Remarque.)
Le président. Ah, excusez-moi, Monsieur Guinchard ! J'ai oublié que des demandes de lectures avaient été acceptées lors de précédentes séances. Avant que nous commencions le débat, je prie donc le premier vice-président de nous lire les courriers 3980, 3982 et 3983.
Courrier 3980 Courrier 3982 Courrier 3983
Le président. Merci beaucoup. La parole revient maintenant à M. Jean-Marc Guinchard.
M. Jean-Marc Guinchard (PDC), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chères et chers collègues, ce n'est pas sans une certaine émotion, vous vous en doutez bien, que je prends la parole ce soir en tant que rapporteur de majorité sur ces deux projets de lois qui impliquent deux modifications. Le premier, le projet de loi 12441, modifie la constitution dans l'optique d'élargir les droits populaires aux étrangers sur le plan cantonal après une durée de séjour de huit ans. Le second, le projet de loi 12442, adapte la loi sur l'exercice des droits politiques si ce changement constitutionnel venait à être accepté.
Le canton de Genève est culturellement et historiquement hétérogène: il compte 40% de résidents étrangers et une population majoritairement issue de pays étrangers, ce qui a d'ailleurs fait et fait toujours sa richesse culturelle, sociale et économique. Ces personnes paient leurs cotisations sociales, leurs impôts et participent à l'enrichissement culturel de notre canton. Or bien qu'elles fassent partie intégrante de la société genevoise, elles sont exclues d'un domaine important qui est l'exercice des droits politiques, à savoir la possibilité de se prononcer sur des aspects qui les concernent directement.
Pour les personnes étrangères, obtenir les droits populaires représente une manière de compléter leur intégration au sein de la communauté. Cette intégration, qui s'opère sur une durée de huit ans, ne se décrète pas, elle se prouve par des actes et de différentes façons: en matière d'éligibilité, par exemple, une personne d'origine étrangère ne sera jamais élue si elle ne démontre pas sa capacité d'assimilation et d'acculturation - adhésion aux sociétés locales, bénévolat, engagements divers au service des autres. Une participation plus active à la vie politique permettrait dès lors de compléter, voire d'accélérer, ce processus.
Plusieurs cantons ont accordé ces droits aux étrangers. En Suisse tout comme à Genève, les processus démocratiques sont lents. Il a fallu un certain nombre d'étapes et d'années pour que les hommes puissent tous voter, que les femmes obtiennent le droit de vote, que la majorité soit abaissée et finalement que les étrangers puissent également exprimer leur voix dans les cantons de Neuchâtel, Vaud et Fribourg, qui ne sont pas tous considérés habituellement comme faisant partie des plus progressistes.
Depuis 2005, notre canton octroie le droit de vote communal aux étrangers. Plusieurs tentatives se sont succédé pour l'étendre à l'échelle cantonale, sans succès. Au sein de la Constituante, à un certain moment, le droit de vote des étrangers avait quasiment été accepté par une majorité de constituants, mais cette ouverture a finalement été sacrifiée; c'était l'une des concessions destinées à faire passer l'entier du texte de notre nouvelle constitution, à le rendre acceptable pour toutes et tous. Le droit de vote au niveau communal pour les étrangers fonctionne à satisfaction depuis quatorze ans à Genève. Cela ne pose pas de difficultés, raison pour laquelle nous ne pouvons pas conclure qu'élargir ce droit au plan cantonal pourrait s'avérer problématique.
Le temps est venu d'ouvrir les droits populaires à une part importante de la population. Il n'y a pas lieu de craindre un bouleversement des équilibres politiques; l'expérience communale le démontre bien. L'extension des droits politiques et civiques aux étrangers serait davantage en adéquation avec la réalité quotidienne des Genevoises et des Genevois, et avec la structure même de la population et de notre société. Dès lors, au nom de la majorité de la commission, je vous recommande d'approuver l'entrée en matière sur ces deux projets de lois. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Patrick Lussi (UDC), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, la finalité de ce rapport de minorité est de porter le débat non pas sur les clivages politiques que nous connaissons, sources de polémiques, mais au niveau de plusieurs valeurs fortes qui animent, conduisent notre pays et en préservent l'identité. Les droits politiques constituent une part intégrante, non dissociable de l'appartenance nationale. Il s'agit de montrer comment historiquement, sociologiquement et théoriquement, l'acte de vote a toujours entretenu un lien étroit avec la nationalité, ce qui est encore le cas aujourd'hui.
Si le débat sur les origines de l'Etat-nation reste ouvert, la genèse de l'Etat moderne et de la construction nationale en Europe est largement établie. La construction du sentiment d'appartenance et la capacité à développer chez les citoyens, parallèlement au travail d'homogénéisation culturelle, la croyance en l'existence d'un «nous» national apparaissent comme des éléments essentiels à la réussite du fonctionnement étatique sur un territoire. Certes, l'urbanisation, l'industrialisation et le développement des réseaux de communication participent de façon fondamentale au développement de l'Etat moderne, mais la conscription, les célébrations commémoratives et surtout l'éducation permettent le recoupement entre autorité de l'Etat et appartenance nationale.
La mise en oeuvre du suffrage universel y contribue également: celui-ci conduit tous les citoyens à agir ensemble, au même moment, selon le même rituel, et les unifie dans un corps électoral où chaque voix a la même valeur et participe à l'expression d'une volonté commune. Le déploiement des espaces d'identification que constituent les nations a facilité l'apprentissage du vote. Voter suppose de comprendre et d'accepter que l'expression légitime de ses convictions passe par un choix opéré individuellement dans une offre limitée et que cette expression en surpasse d'autres, potentiellement moins pacifiques.
L'historiographie de l'apprentissage du vote fait apparaître de grandes variations dans les processus d'acculturation en fonction des contextes locaux. Mais, dans tous les cas, la professionnalisation de l'activité politique appuyée sur la nationalisation des comportements des élites d'une part, de même que le rôle parallèle de l'école dans la construction d'une citoyenneté individuelle, éclairée, procédant d'une distanciation des appartenances primaires, notamment communautaires, d'autre part, interviennent comme des facteurs d'accompagnement de cette démarche. S'il est clair que les Etats-nations n'ont pas tous emprunté le chemin de la démocratie, les démocraties de masse, elles, se sont bien nourries de l'appartenance nationale.
Que reste-t-il aujourd'hui de cette concomitance historique entre l'apprentissage du suffrage universel et le développement des identifications nationales ? Dans l'exercice du droit de vote, l'identification nationale et notamment le sens du devoir civique qui en découle restent des facteurs importants. Nombreux sont les auteurs qui ont constaté l'impossibilité d'expliquer la participation politique par le paradigme de l'action rationnelle. Le poids d'une voix est trop léger dans le résultat d'une élection pour qu'on puisse faire l'hypothèse d'un calcul coût-bénéfice.
Expliquer la participation suppose donc la prise en compte d'autres motivations, notamment identitaires. De fait, les analyses approfondies de ces motivations finissent toujours par faire apparaître une dimension symbolique de l'acte de vote: en votant, l'électeur fait plus qu'exprimer ses opinions, il manifeste en même temps une forme de fidélité et d'engagement à l'égard de la communauté des citoyens dans laquelle il se reconnaît. Cette dimension symbolique n'est pas que la conséquence lointaine de l'apprentissage du suffrage universel, elle est entretenue sous la forme de ce que Michael Billig a heureusement dénommé «le nationalisme banal» par l'ensemble du système social et politique, relayé notamment par les médias qui réactivent en permanence le sentiment d'appartenance nationale et l'équivalence entre communauté politique démocratique, pouvoir du peuple et frontières nationales. Comment penser une citoyenneté active et généreuse si rien ne lie spécifiquement ses membres entre eux ? Comment imaginer un tel investissement dans un espace sans frontières ? C'est parce qu'il existe un lien entre les citoyens, inscrit dans la durée de l'histoire nationale, que ceux-ci ressentent leur appartenance nationale comme une évidence.
Cela justifie dès lors que certains droits soient réservés aux citoyens liés entre eux par cette appartenance commune, donc aux nationaux. Le premier de ces droits est le vote: c'est par lui que les citoyens prolongent la nation en orientant son futur. L'abstention est aussi, de façon croissante, le fait de citoyens très intégrés dans la société, éduqués, compétents socialement et politiquement; ceux-ci s'expriment en ne votant pas leur désaccord avec l'offre politique particulière d'une élection, ils rendent visible un autre rapport à l'élection qui relève moins de la participation civique que de l'engagement politique. Ce rapport s'inscrit dans une culture politique plus protestataire, nourrie de valeurs post-matérialistes, le vote ne constituant alors qu'une modalité relativement insatisfaisante de participation tant l'expression des opinions y est contrainte par les propositions des candidats et tant l'autonomie des élus après l'élection en limite les effets.
Pour conclure, Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi d'inverser le raisonnement avancé dans ces deux projets de lois et de proposer la réflexion suivante: pourquoi vouloir influencer le processus de vie, les us et coutumes, les lois, l'environnement par son vote dans un lieu ou un pays où l'on réside depuis des années quand les conditions sont remplies pour une naturalisation, mais que l'on refuse l'intégration par acquisition de la nationalité ? C'est en s'appuyant sur ces valeurs, Mesdames et Messieurs les députés, que notre minorité vous prie de refuser ces deux projets de lois. (Applaudissements.)
M. Pierre Vanek (EAG). Mesdames et Messieurs, voilà un sujet qui me tient à coeur, parce qu'il est extrêmement important pour la démocratie genevoise, et Ensemble à Gauche se bat régulièrement pour améliorer et renforcer les droits démocratiques de nos citoyens. En préambule, je m'associe à ce qu'a dit Jean-Marc Guinchard et à son hommage à Anne Marie von Arx, qui avait défendu ces projets avec fougue et énergie au sein de la commission comme dans son rapport. Mais je partage également des éléments du discours de Patrick Lussi, qui a parlé d'un «nous» qu'il s'agissait de constituer, d'un «nous» genevois - enfin, il n'a pas parlé de Genève, mais de naturalisation et d'appartenance nationale.
Or le «nous» de Genève, c'est un «nous» qui doit inclure les 40% de résidents étrangers ! Si on les exclut, eh bien on fragmente ce «nous» genevois, on ne respecte pas cette intention de renforcer la «patrie genevoise», entre guillemets, qui nous a confié ses destinées ! On prétend qu'il y a deux catégories à Genève: ceux qui habitent, travaillent, paient leurs impôts, mais n'ont pas accès aux institutions démocratiques, et ceux qui y ont accès. Et ça, c'est quelque chose que nous devons combattre.
Ce combat fait partie de l'histoire genevoise. Nous avons - je dis «nous», même si mes aïeux venaient d'ailleurs - mené en 1782 - avant 1789 ! - une révolution à Genève où il était précisément question de cela: les habitants et les natifs étaient exclus de toute participation à la vie politique par les bourgeois et les dits «citoyens». Cette révolution a ensuite été réprimée par une intervention étrangère des Bernois, des Sardes: des troupes étrangères sont venues brider ce mouvement. A Genève, nous voulons précisément respecter cet héritage, ça fait partie de l'identité genevoise de se référer à cette histoire, notamment à la révolution de 1782.
En commission, le seul auditionné à avoir combattu notre projet était un Valaisan - j'oublie son nom, on me le rappellera -, un représentant de l'ASIN qui défendait les vertus helvétiques et patriotiques, et je lui ai fait remarquer que parmi les vertus de la Suisse figure son fédéralisme, ainsi que la possibilité pour les cantons de développer des solutions qui ne sont pas forcément imposées d'en haut et venues de Berne, comme les troupes bernoises sont venues réprimer la révolution de 1782 à Genève.
Mesdames et Messieurs, il faut impérativement octroyer les droits politiques aux étrangers résidant depuis huit ans dans notre canton, c'est une question de démocratie élémentaire. Aujourd'hui, tout le monde regarde avec commisération et condescendance ceux qui ont refusé les droits populaires aux femmes il y a cinquante ans ! Eh bien je vous assure, Mesdames et Messieurs, que dans pas longtemps...
Une voix. Ça n'a rien à voir !
M. Pierre Vanek. Ça a tout à voir, une partie de la population était exclue de la vie citoyenne ! Et je vous assure que quand nous aurons mené cette réforme, et nous la mènerons par le vote de ce parlement ou par une initiative populaire, eh bien dans dix ou vingt ans, on regardera avec commisération les personnes qui, pour des raisons obscures et incompréhensibles, ont voulu qu'une partie des membres de notre communauté et de notre collectivité soient exclus du processus démocratique; on les regardera comme des personnes un peu attardées et rétrogrades, de la même manière qu'on regarde actuellement comme des attardés et des rétrogrades ceux qui, à l'époque, se sont opposés au droit de vote et d'éligibilité des femmes. C'est la même chose, la démarche est identique, Mesdames et Messieurs, et il faut maintenant voter ces projets de lois. (Applaudissements.)
Mme Xhevrie Osmani (S). Mesdames et Messieurs les députés, l'an dernier, après quinze ans de l'expérience «J'y vis, j'y vote», une majorité des partis à la commission des droits politiques se sont prononcés en faveur de l'extension des droits politiques. Ces projets de lois visent d'une part à combler un déficit au niveau communal, puisque l'éligibilité n'est pas octroyée aux résidents étrangers, d'autre part à concrétiser une avancée majeure dans la démocratie représentative de notre canton en ne dissociant plus les droits, qui englobent celui d'élire et d'être élu.
Les débats sont d'autant plus passionnés qu'on connaît la culture politique de la Suisse, une démocratie semi-directe où l'exercice des droits politiques est souvent sollicité. Il y a quelque temps, un inventaire des droits populaires dans le monde montrait que la moitié des votations avaient lieu en Suisse. C'est l'essence culturelle de notre pays que de participer au processus démocratique et de se prononcer sur plusieurs enjeux. Nous votons quatre fois par année en tout cas, sans compter les élections et les cas de démission, comme celui que nous connaissons actuellement.
Or la conception dominante de l'intégration implique une absence totale des droits politiques jusqu'à l'obtention de la nationalité. Cela empêche les étrangers d'élire les gens qui vont nous représenter, de se prononcer sur la fiscalité ou sur tout sujet constitutif de l'avenir de notre canton. Chacun sait que l'obtention de la nationalité n'est pas chose aisée, nous connaissons toutes et tous la politique de naturalisation restrictive de la Suisse qui, avec Singapour, est l'un des systèmes les plus restrictifs du monde. Depuis 2018, avec le durcissement de la loi, on en demande toujours plus aux gens, allant même jusqu'à leur faire regretter d'avoir été dépendants financièrement. C'est immoral, quand on sait à quel point nos systèmes économiques sont fragiles - la crise en témoigne - et que le risque zéro de devoir, à un moment dans sa vie, solliciter l'aide publique ou une assurance sociale n'existe pas.
La Suisse compte une importante population étrangère: dans un classement mondial comparant les pourcentages de la population née à l'étranger, elle se place douzième, et même première en Europe. Nous vivons dans un canton où il y a 40% d'étrangers, un canton qui s'enorgueillit d'accueillir les institutions internationales, dans l'une desquelles nous siégeons d'ailleurs. De manière générale, on constate une sous-représentation de 25% des citoyens; c'est un vrai problème qui pose la question de l'inclusion politique des étrangers.
Il est important de faire comprendre que la citoyenneté doit être dissociée de la nationalité; la nationalité ne correspond pas à la citoyenneté. Prenons un exemple: on ne reprocherait pas à quelqu'un qui débarque du Tessin de ne rien comprendre au fonctionnement de Genève et de ne pas maîtriser la langue. Cette personne s'abstiendra vraisemblablement ou votera par consigne, mais elle sera tout de même considérée comme plus citoyenne qu'une personne étrangère résidant ici depuis de nombreuses années.
Les auditions ont mis en avant - et cela a été documenté par l'Université de Genève - que la citoyenneté complète l'intégration des personnes résidentes et que les lacunes d'intégration sont aussi le résultat du non-exercice des droits politiques. Certains professeurs d'université maîtrisent davantage notre système politique et social que certains élus, vivent depuis peut-être trente ans ici et ne sont pas pour autant suisses; ils forment les étudiants, sont impliqués dans la société. Sont-ils de fait moins légitimes pour se prononcer aux urnes ? Vivons-nous dans une méritocratie ? Indépendamment de sa classe sociale, une personne étrangère résidente contribue au façonnement de notre canton par son implication, qu'elle soit de nature associative ou culturelle, et contribue à la richesse et à l'essor économique de Genève.
Mesdames et Messieurs les députés, lier les droits politiques au seul aspect national constitue une vision archaïque de la démocratie, ce n'est pas le meilleur moyen de la rendre vivante ni meilleure. Les gens ne peuvent pas attendre la naturalisation pour se prononcer, et ne soyez pas naïfs quant à celles et ceux qui décident de franchir le pas: ils ne le font pas dans le seul but de voter, d'élire ou de se présenter à des élections, ils le font aussi pour faciliter leurs conditions de vie, on peut le dire comme ça. On sait très bien que postuler en tant que Suisse augmente les chances de trouver un travail ou un logement. Il est temps de rendre notre démocratie plus représentative, chemin sur lequel d'autres se sont déjà lancés. Avec ces projets de lois, nous pourrions être pionniers en la matière. Forts de ces considérations, chères et chers députés, nous vous invitons à accepter ce projet de loi. (Applaudissements.)
M. Christian Flury (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, j'aimerais tout d'abord rappeler à mon préopinant M. Vanek que Berne n'est plus la puissance militaire crainte et respectée d'antan: la ville de Berne est actuellement le siège de notre Parlement et du gouvernement fédéral, des organes dans lesquels l'ensemble des représentants du peuple et des cantons s'expriment. Ce siège aurait parfaitement pu être localisé à Fribourg, Neuchâtel ou Soleure. Voilà.
Lorsqu'elle arrive en Suisse et s'y établit dans le respect de notre législation, la personne de nationalité étrangère se voit conférer les avantages de notre système social, notamment l'accès au travail, à la formation continue, aux droits syndicaux, à l'école publique gratuite pour les enfants, à notre système de santé ainsi qu'à l'entier des aides sociales tout à fait substantielles que notre société propose. Pour mémoire, les personnes en situation irrégulière peuvent également bénéficier partiellement de ces avantages, l'accès aux soins gratuits et la scolarisation des enfants entre autres. Par ailleurs, il est utile de préciser que la personne admise à habiter dans notre pays jouit des mêmes libertés et prérogatives que le citoyen helvétique.
Après huit années de séjour, elle recevra automatiquement des droits politiques restreints valant au plan communal, c'est-à-dire le droit d'élire, de voter, de signer des initiatives et des référendums. Deux ans plus tard, elle pourra solliciter sa naturalisation, qui lui donnera accès à des droits politiques complets. Cette démarche constitue une démonstration de la volonté de la personne concernée de s'intégrer de façon harmonieuse au projet démocratique de la société suisse qui se veut pluriculturelle et multi-ethnique. Seul ce processus volontaire est de nature à assurer que la personne demandeuse a bel et bien la volonté clairement exprimée de participer et de s'intégrer de façon concrète à notre communauté. Une fois aboutie, cette procédure lui ouvrira l'accès aux droits politiques complets sur les plans communal, cantonal et fédéral.
Le groupe MCG demeure attaché à une société plurale faisant partie du projet de société suisse, et non pas à un simple regroupement de consommateurs d'avantages. Nous sommes opposés au bradage des droits politiques et nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à rejeter ces deux projets de lois, à plus forte raison quand on sait qu'il n'existe aucune réciproque ailleurs dans le monde. Certains pays ne reconnaissent même pas la double nationalité; aux Etats-Unis, par exemple, si vous demandez la naturalisation, vous serez dépossédés de votre passeport suisse - pourtant, il s'agit d'un pays hautement civilisé. Nous vous recommandons donc, Mesdames et Messieurs, de ne pas entrer en matière sur ces deux projets de lois. Je vous remercie de votre attention.
M. Murat-Julian Alder (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, c'est un double national ayant passé un tiers de sa vie à l'étranger qui va vous donner la position du PLR. A l'heure actuelle, seuls les cantons du Jura et de Neuchâtel accordent le droit de vote cantonal aux étrangers - et encore, dans le Jura, les étrangers ne peuvent pas se prononcer sur les révisions de la constitution. Dans ces deux cantons de même qu'à Fribourg et en terres vaudoises, les étrangers ont le droit de vote et d'éligibilité en matière communale. En Suisse alémanique, des cantons tels que Bâle-Ville ou les Grisons permettent aux communes d'accorder le droit de vote communal aux étrangers. A ce jour, rares sont celles qui ont fait usage de cette faculté - dans les Grisons, ce sont à peine 20% des communes. Quoi qu'il en soit, aucun canton n'accorde le droit d'éligibilité cantonal à des étrangers.
Les projets dont nous sommes saisis ce jour vont ainsi beaucoup plus loin que ce qui se pratique partout ailleurs en Suisse. En octroyant des droits populaires communaux et cantonaux complets aux étrangers domiciliés à Genève, ils vont même jusqu'à leur donner le droit de vote et d'éligibilité au Conseil des Etats, puisque l'élection de nos sénateurs à Berne est soumise non pas au droit fédéral, mais au droit cantonal. En d'autres termes, avec ces textes, seuls les droits de vote et d'éligibilité au Conseil national seraient réservés aux ressortissants suisses.
Ces objets vont également trop loin sur deux autres points. Contrairement à ce qui se fait partout ailleurs en Suisse romande, ils ne prévoient aucun délai de résidence à l'intérieur de notre canton ni l'exigence d'un permis C, comme l'avait pourtant proposé un député PLR lors des travaux de commission. Autrement dit, un étranger titulaire d'un permis B, qui a vécu huit ans à Surcuolm, dans le canton des Grisons, pourrait voter et être élu à n'importe quelle fonction élective à Genève, sauf au Conseil national, et cela dès son arrivée, sans même avoir à parler le français. On me rétorquera que c'est aussi le cas des Suisses alémaniques et des Tessinois qui viennent vivre à Genève, mais doit-on rappeler que ceux-ci sont nos compatriotes et que les Genevois domiciliés partout ailleurs en Suisse y disposent également des droits politiques ? Ce n'est absolument pas comparable.
En outre, à Genève, les Suisses de l'étranger ont le droit de vote cantonal, mais pas communal. Comment pouvons-nous mieux traiter les étrangers chez nous que nos propres compatriotes qui, tout en vivant hors de notre canton, y ont toujours des attaches fortes ? Mesdames et Messieurs les représentants du groupe socialiste, des Verts et d'Ensemble à Gauche, en ce qui me concerne, en tant que PLR, je n'ai pas le droit de vote dans vos assemblées, d'abord parce que je ne suis pas membre de vos partis, mais aussi parce que vous êtes en droit de douter de mon gauchisme ! (Rires.)
Pour terminer, j'aimerais m'adresser en particulier à celles et ceux - vous voyez, moi aussi, je peux parler de manière inclusive ! - qui pourraient avoir une approche nuancée de ce débat et voter l'entrée en matière sur ces deux projets: le délai de résidence actuellement exigé à Genève est de huit ans, et nous savons que les partis de gauche, toujours friands de se procurer de nouveaux électeurs en assouplissant les conditions d'octroi des droits politiques, ont déjà en ligne de mire une réduction de ce délai à cinq ans. Cela figure noir sur blanc dans leurs programmes politiques tels que publiés sur leurs sites internet ! A terme, ces partis iront probablement même jusqu'à supprimer purement et simplement le délai de résidence. Est-ce vraiment là ce que nous voulons ?
N'en déplaise aux communautaristes - j'ai entendu, oui ! -, le simple écoulement du temps ne suffit pas à établir l'intégration d'une personne; l'octroi des droits politiques doit couronner un processus d'intégration réussi, et non le précéder. Aujourd'hui, en Suisse, une intégration réussie est sanctionnée par l'octroi d'un permis C ou de la nationalité helvétique. Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe PLR vous invite à ne pas voter l'entrée en matière sur ces deux projets de lois ni les amendements proposés, lesquels n'ont d'autre objectif que de pratiquer la tactique du salami que la gauche maîtrise à merveille ! Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
M. Pierre Eckert (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, comme cela a été dit, le droit de vote et d'éligibilité au niveau cantonal et communal faisait partie intégrante du programme électoral 2018 des Vertes et des Verts pour l'élection à la présente législature. Nous demandions une durée minimale de résidence de cinq ans, c'est juste, mais nous nous rallions volontiers à une durée de huit ans qui permet une harmonisation avec la pratique communale en matière de droit de vote.
Que ce soit au niveau d'une commune ou du canton, les décisions prises par les autorités législatives ou exécutives affectent fortement la vie quotidienne de l'ensemble des personnes vivant sur le territoire. Alors pourquoi subir plutôt que participer ? A notre sens, l'argument qui dirait que seules les personnes ayant la nationalité suisse possèdent un droit de codécision ne tient pas la route. Référons-nous par exemple à la récente votation sur la construction d'un parking au centre-ville: ce projet aurait changé la vie de tous les habitants, avec ou sans passeport suisse. L'expression «J'y vis, j'y vote» conserve ainsi tout son sens.
Ensuite, nous estimons qu'il n'est pas possible, du point de vue des principes, de séparer le droit de vote de celui d'être élu. C'était déjà notre opinion lorsqu'il s'était agi de diviser l'initiative «J'y vis, j'y vote» en deux parties. Il serait donc possible de contribuer aux décisions au moyen d'un bulletin de vote, mais pas en siégeant dans un Conseil municipal ? A partir du moment où le corps électoral, suivant les communes, est constitué de 30% à 40% de personnes de nationalité étrangère, pourquoi celles-ci ne pourraient-elles pas être représentées dans une instance délibérative ou législative ? Voire dans un exécutif, si nous suivons les projets de lois initiaux qui vous sont soumis.
L'évolution au niveau communal a été naturelle; passer au niveau cantonal, là réside la difficulté. Les votes sont bien entendu plus fréquents et ils sont peut-être plus compliqués, encore que ça se discute. Nous pensons que les étrangers qui résident en Suisse depuis plus de huit ans et qui s'intéressent au fonctionnement des institutions sont tout autant à même de se forger une opinion - ou de ne pas s'en forger, comme tout le monde - sur des sujets complexes; dans cette catégorie, on citera par exemple la réforme de l'imposition des entreprises ou la recapitalisation de la CPEG. Nous considérons que les résidents étrangers ne possèdent ni plus ni moins la capacité de juger de ces sujets que les citoyennes et citoyens disposant d'un passeport à croix blanche. En tant que cosignataires de ces projets de lois, les Vertes et les Verts continuent à les porter avec conviction et vous encouragent, Mesdames et Messieurs les députés, à en faire de même. (Applaudissements.)
M. Yves de Matteis (Ve). Ces projets de lois ont été signés par un nombre record de 42 députés - presque la moitié de ce parlement ! - parmi lesquels les chefs de groupe de quatre partis: PDC, Verts, PS et Ensemble à Gauche. C'est déjà remarquable. Mais il faut également relever la qualité de l'excellent rapport de majorité rédigé par feu Mme Anne Marie von Arx-Vernon, à laquelle je tiens à rendre hommage, car les interventions en commission de cette députée exemplaire ont été particulièrement décisives sur ces objets.
Quant au contenu, il n'est pas nouveau et a fait l'objet de nombreux débats ces dernières années, comme l'ont mentionné plusieurs préopinants. Mais depuis lors, un point important a considérablement changé la donne. En effet, le 1er janvier 2018, la nouvelle loi fédérale sur la nationalité est entrée en vigueur, et selon celle-ci, seules les personnes titulaires d'un permis C peuvent faire une demande de naturalisation, processus qui, une fois abouti, leur donne de facto le droit de vote. Jusqu'alors, les adversaires des droits populaires pour les personnes étrangères sur le plan cantonal justifiaient souvent leur position en indiquant qu'il suffisait aux gens d'obtenir la nationalité suisse pour obtenir ces droits. Cela n'est plus le cas avec le durcissement de la loi fédérale, les titulaires de permis B, B réfugié, F et autres ne peuvent plus déposer de demande de naturalisation.
Ces deux projets de lois sont plus essentiels que jamais afin de rétablir une certaine égalité de traitement entre personnes candidates à la naturalisation avant et après janvier 2018. Pour toutes ces raisons, j'enjoins à tous les membres de ce parlement de les voter. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)
M. André Pfeffer (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, pour l'UDC, le droit de vote et d'éligibilité aux niveaux cantonal et communal doit être subordonné à la nationalité, l'intégration à notre société ne peut pas être conditionnée à une seule présence de huit ans sur le territoire. A notre sens, l'intégration s'inscrit dans une démarche individuelle pour devenir citoyen genevois et suisse.
A l'heure actuelle, le processus de naturalisation est peu contraignant et, pour la plupart, les candidats peuvent conserver leur nationalité d'origine. Payer des impôts et des cotisations sociales permet de bénéficier de nos infrastructures et de toutes nos prestations publiques; cela ne constitue pas le seul et unique critère pour être intégré, pour devenir citoyen genevois et suisse.
Pour terminer, je rappelle que personne n'est exclu à Genève: résidents suisses comme étrangers bénéficient des prestations de notre Etat de droit, de toutes les libertés qui y sont rattachées et ont accès à la totalité des services publics. L'UDC ne soutient pas ces deux projets de lois et ne votera pas l'entrée en matière. Merci de votre attention.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député, et je passe la parole à M. Emmanuel Deonna pour quarante-cinq secondes.
M. Emmanuel Deonna (S). Oui, Monsieur le président, merci. Comme l'ont rappelé mes camarades Osmani et Vanek, l'inclusion citoyenne implique que des progrès tangibles soient réalisés en matière de droit de vote et d'éligibilité des étrangers. La naturalisation constitue un processus important pour acquérir les droits politiques complets, la liberté d'établissement et celle de déplacement, mais c'est une démarche complexe, marquée en Suisse et à Genève par des disparités et certains dysfonctionnements. La tendance n'est pas à sa facilitation. Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs, pour permettre aux étrangers une participation réelle et entière à la vie citoyenne, sociale, politique et culturelle de notre canton, nous vous recommandons d'accepter ce projet de loi. (Applaudissements.)
M. Jacques Blondin (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, je porte à votre connaissance le fait que la députation PDC est divisée sur la question des droits politiques des étrangers dont il est question dans ces deux projets de lois. Nous n'ajouterons rien aux débats tenus qui ont clairement reflété les avis des divers groupes présents dans cette enceinte. La consigne de notre parti sera la liberté de vote; bien entendu, je ne me prononcerai pas sur les amendements déposés, laissant à chacun de nos membres le loisir de décider librement. Merci. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie. Monsieur le député Pierre Vanek, vous avez la parole pour une minute vingt-huit.
M. Pierre Vanek (EAG). Merci, Monsieur le président, je serai rapide. Murat Alder a évoqué le permis C comme condition pour la naturalisation; ça ne va pas, évidemment, puisque le permis C est octroyé de manière discriminatoire: si vous venez des USA, vous pouvez l'obtenir au bout de cinq ans, mais si vous êtes, je ne sais pas, d'Afrique du Nord, eh bien il faut dix ans, donc ce n'est pas un critère acceptable.
A Genève, des milliers de personnes ne sont pas détentrices d'un permis C, des personnes issues de la Genève internationale qui participent pourtant pleinement à la communauté ! Moi, par exemple, je suis né apatride à Genève, je n'ai pas eu de permis C durant les vingt premières années de mon existence, parce que mon père officiait dans une organisation internationale. Or je vous assure que j'étais particulièrement bien intégré, je participais à un certain nombre de manifestations dans les rues de Genève, c'est là que j'ai cassé mes premières vitrines... (Rires.) ...de banques américaines... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...pour protester contre le génocide et les bombardements des B-52 au Vietnam. J'étais parfaitement intégré et pourtant, si les lois actuelles avaient été en vigueur, je n'aurais pas pu me naturaliser. Aussi, Mesdames et Messieurs, eu égard à l'élément qu'a souligné Yves de Matteis, il faut accepter ces projets de lois.
Le président. Merci...
M. Pierre Vanek. Ensuite, Murat Alder nous accuse de pratiquer la tactique du salami...
Le président. C'est terminé !
M. Pierre Vanek. Bon, le salami est une saucisse étrangère... (Le micro de l'orateur est coupé. L'orateur poursuit son intervention.)
Le président. La parole va à M. Patrick Dimier... (M. Pierre Vanek poursuit son intervention.) Monsieur Vanek ! (Le président agite la cloche. Applaudissements.) Monsieur Vanek, vous exagérez, ça ne se fait pas ! Allez-y, Monsieur Dimier.
M. Patrick Dimier (MCG). Nous remercions tous notre collègue Pierre Vanek de nous montrer que depuis l'époque où il n'était pas encore suisse, il n'a rien perdu de sa fougue, ce qui prouve bien que ce n'est pas lié à la nationalité !
Mesdames et Messieurs, ce qui fait la richesse de cet extraordinaire territoire qu'est la République et canton de Genève, c'est sa diversité; ce qui fait l'extraordinaire richesse de cette petite république, c'est qu'elle ouvre volontiers ses portes aux étrangers; ce qui fait l'extraordinaire richesse de cette petite république, c'est qu'elle ouvre grand les bras à ceux qui veulent devenir membres du projet. On ne parle pas d'autre chose ici, quand on évoque la nationalité, que de projet.
Or pour participer au débat démocratique et républicain, la moindre des corrections à l'égard de la république, c'est d'en être un citoyen. Si notre système était compliqué, s'il mettait des entraves, s'il empêchait l'étranger de devenir suisse et genevois a fortiori, on pourrait comprendre cette démarche. L'état actuel du droit, des coutumes, des pratiques de l'administration genevoise en matière de naturalisation fait qu'il est tout simplement malhonnête de venir dire qu'il y a des entraves, ce n'est pas vrai.
Nous refuserons aussi bien les deux projets de lois que n'importe quel amendement. De toute façon, il me paraît certain que si le peuple est appelé à se prononcer sur ce sujet, eh bien vous aurez sa réponse: sa réponse, ce sera d'être coalisé autour de notre drapeau, autour de nos habitudes, autour de notre république.
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Merci. La parole échoit à M. François Baertschi pour trente-cinq secondes.
M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, qu'est-ce que la citoyenneté ? C'est être uni autour de valeurs communes, c'est faire participer tous les citoyens sous un statut unique. Ces projets de lois, malheureusement, datent de l'Ancien Régime, créent des catégories de personnes disposant de droits différents. Je vous rappelle que sous l'Ancien Régime, au XVIIIe siècle, il y avait les bourgeois, les citoyens, les natifs, diverses autres catégories... Et ça, nous ne le voulons pas. Ce que nous voulons, c'est l'intégration par la naturalisation, c'est la voie royale. Merci, Monsieur le président.
Le président. Je vous remercie, Monsieur Baertschi. Monsieur Patrick Saudan, c'est à vous pour trois minutes.
M. Patrick Saudan (HP). Merci, Monsieur le président. J'aurai besoin de beaucoup moins de temps, parce que tout a déjà été dit. Avant toute chose, Mesdames et Messieurs, j'aimerais souligner l'excellence du rapport de majorité rédigé par notre regrettée collègue Anne Marie. Les projets de lois tels que sortis de commission me satisfont pleinement, parce que je fais partie des personnes qui estiment qu'une résidence de longue durée constitue un critère important et donc suffisant pour acquérir une citoyenneté cantonale.
Or il semble qu'aucune majorité ne se dessine dans ce plénum aujourd'hui en faveur des textes issus de la commission, qui a pourtant accompli un remarquable travail, et c'est la raison pour laquelle j'ai déposé un amendement qui ne relève pas de la tactique du salami, comme l'a dit M. Murat-Julian Alder, mais vise simplement un compromis, et je vous encourage à le voter pour faire passer ces projets de lois. De toute façon, ainsi que l'a indiqué M. Dimier, c'est le peuple qui aura le dernier mot, c'est lui qui décidera en fin de compte. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Serge Dal Busco, conseiller d'Etat. Mesdames les députées, Messieurs les députés, le débat auquel nous venons d'assister était extrêmement intéressant et très symbolique. Le Conseil d'Etat n'a pas été auditionné par la commission qui a traité ces projets de lois; il est vrai qu'il n'avait pas demandé à l'être, mais il me paraît tout de même important de vous donner le point de vue du gouvernement sur un sujet aussi essentiel. Je serai concis et bref, parce que cette position est simple: à l'instar d'une partie de ce parlement, notre Conseil estime que les droits politiques, en particulier le droit de vote à l'échelle cantonale ainsi que celui d'éligibilité sur les plans communal et cantonal, sont liés à la détention de la nationalité suisse.
En effet, et ce n'est pas faire preuve d'idéologie que de soutenir cela, la naturalisation est le meilleur garant de ce qui nous paraît constituer la condition essentielle pour exercer librement et pleinement ces droits, c'est-à-dire démontrer sa capacité d'intégration dans la société. Nous considérons que la naturalisation est l'expression d'une intégration réussie. D'ailleurs, le Conseil d'Etat a toujours soutenu les réformes et les efforts allant dans le sens d'une facilitation de ce processus; certains d'entre vous ont indiqué à juste titre que sa procédure est particulièrement facile et légère à Genève par rapport à d'autres cantons de notre pays.
Nous constatons à cet égard que grâce à des pratiques facilitantes, le taux de naturalisation, soit le taux de personnes qui obtiennent la nationalité par rapport à celles qui disposent d'un titre de séjour, est largement supérieur à la moyenne helvétique: 3,1% dans notre canton contre 2% en moyenne en Suisse. Si on prend un chiffre absolu et la moyenne des cinq dernières années, ce sont environ 6000 personnes qui, tous les ans, décrochent la nationalité suisse à Genève, c'est-à-dire quatre fois plus que ce que l'on observait au début du siècle ou encore dans les années 90, lorsque la loi et les conditions étaient plus restrictives.
Nous pensons que la démarche qu'occasionne un processus de naturalisation, notamment la formation qui lui est liée, est garante de l'intégration et, partant, constitue la condition à remplir pour accéder à l'exercice plein et complet des droits politiques. Pour toutes ces raisons, le Conseil d'Etat se déclare défavorable à ces deux projets de lois et vous recommande de les rejeter.
Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Je lance la procédure de vote.
Mis aux voix, le projet de loi 12441 est rejeté en premier débat par 49 non contre 48 oui. (Exclamations et vifs applaudissements à l'annonce du résultat.)
Mis aux voix, le projet de loi 12442 est rejeté en premier débat par 49 non contre 45 oui et 1 abstention. (Exclamations et applaudissements à l'annonce du résultat.)
La proposition de motion 2733 est retirée par ses auteurs.
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande de prendre vos badges avec vous pour la prochaine session. Nous nous retrouvons au mois d'avril.
La séance est levée à 19h40.