République et canton de Genève

Grand Conseil

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P 2055-A
Rapport de la commission ad hoc sur le personnel de l'Etat chargée d'étudier la pétition : Le personnel n'est pas une variable d'ajustement - Non au PFQ 2019-2022
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IV des 27 et 28 août 2020.
Rapport de majorité de M. Alberto Velasco (S)
Rapport de minorité de M. Christo Ivanov (UDC)

Débat

Le président. Nous passons à la P 2055-A, classée en catégorie II, trente minutes. Le rapporteur de majorité est M. Alberto Velasco, remplacé par Mme la députée Caroline Marti, et le rapporteur de minorité est M. Christo Ivanov. Je donne la parole à Mme Caroline Marti.

Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de majorité ad interim. Merci beaucoup, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, cette pétition commence à dater un peu et on le voit dans le titre: «Non au PFQ 2019-2022». Cela dit, on pourrait très facilement remplacer PFQ 2019-2022 par PFQ 2021-2024 puisque, à nouveau dans ce PFQ, le Conseil d'Etat fait effectivement de l'annuité une mesure d'ajustement budgétaire - j'y reviendrai dans mon intervention.

En premier lieu, je rappellerai que l'annuité - et plus globalement les mécanismes salariaux - est un droit accordé aux travailleurs de l'Etat: il est inclus dans leur contrat de travail. Il est surtout inclus dans la loi, et c'est d'ailleurs pour cette raison que l'on doit modifier la loi pour l'année en question chaque fois que le gouvernement entend suspendre cette annuité. Une suspension de l'annuité par le parlement, il faut également le souligner, représente une perte de salaire net pour les travailleurs de l'Etat; cette perte est cumulée sur plusieurs années puisque l'annuité a été suspendue plusieurs fois ces dix dernières années. La perte de salaire net cumulée peut se monter à des dizaines, voire à des centaines de milliers de francs. Cela a évidemment aussi un impact sur les retraites des collaborateurs et collaboratrices de l'Etat.

Cela s'ajoute surtout à une galaxie de mesures proposées ces dernières années par le gouvernement, qui péjorent les conditions de travail de la fonction publique. On pense notamment à l'augmentation du nombre d'heures de travail, à la diminution des rentes de retraite CPEG, à la proposition de diminution linéaire du traitement, au gel de l'indexation des salaires, à la révision des ratios de cotisation à la CPEG, et j'en oublie certainement encore beaucoup ! La ligne politique suivie ici par l'exécutif est limpide: faire passer à la caisse les collaborateurs et collaboratrices de l'Etat pour éviter d'aller chercher l'argent là où il est, et notamment d'augmenter l'imposition, de façon solidaire, des grandes fortunes, des hauts revenus et aussi des entreprises.

Et puis, si on jette un petit coup d'oeil à ce qui s'est passé ces dernières années, le Conseil d'Etat a indiqué, lorsqu'il a été auditionné en commission, que les fonctionnaires ont quand même très souvent obtenu leur annuité. Mais si on regarde les projets de budget du gouvernement depuis 2012, on voit que sur les dix dernières années, il a proposé sept fois - sept fois sur dix ! - de suspendre l'annuité et une fois de ne la maintenir que partiellement. Ce que l'on constate donc à la lecture de ces faits, c'est que pour le Conseil d'Etat, clairement...

Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.

Mme Caroline Marti. ...l'annuité est une mesure d'ajustement. C'est absolument inacceptable pour le parti socialiste et pour la majorité de la commission puisque, et je reviens à ce que je disais au début de mon intervention, il s'agit d'un droit - d'un droit inclus dans la loi. Il n'est pas question de faire des ajustements budgétaires au moyen de l'annuité. Je vous demande donc d'accepter les recommandations de la majorité de la commission et de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.

M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, chères et chers collègues, j'ai pris ce rapport de minorité car le problème de l'annuité est lancinant. On voit que les mêmes problématiques liées à des variables d'ajustement budgétaires sont soulevées chaque année, que la question devient récurrente d'année en année. Le problème, c'est que la dégradation des rapports entre le Conseil d'Etat et les syndicats est liée au fait que le Conseil d'Etat n'est pas un partenaire fiable car il n'en a pas la compétence.

La divergence au sein de la commission ad hoc sur le personnel de l'Etat porte sur le fait que la majorité estime qu'il faut renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat, parce que le sujet relève de la gestion du personnel et que ce n'est pas du ressort du Grand Conseil mais de l'exécutif, alors que la minorité estime que l'annuité est une disposition légale au sens formel du terme et qu'elle est par conséquent de la compétence du parlement et non du gouvernement. Pour toutes ces raisons, la minorité de la commission recommande le dépôt sur le bureau du Grand Conseil. J'ai dit, Monsieur le président, merci.

Mme Christina Meissner (PDC). Mesdames et Messieurs, chers collègues, déposée en décembre 2018, traitée en commission début 2019, à savoir un an plus tard, et abordée maintenant en plénière - nous sommes début 2021 - soit encore deux ans après: compte tenu du temps que nous prenons pour traiter les pétitions, celle-ci, trois ans après son dépôt, est frappée d'obsolescence. Les annuités des années passées, depuis 2019, ont été votées. Quant à celles à venir, elles pourraient ne plus dépendre du Grand Conseil mais du Conseil d'Etat; c'est du moins ce que demande un texte actuellement en examen à la commission ad hoc sur le personnel de l'Etat. Dès lors que la question reste posée pour les futures annuités, le plus sage serait de renvoyer la pétition au Conseil d'Etat afin qu'il réponde en connaissance de cause. C'est ce que vous demande la majorité de la commission, et le PDC avec. Merci.

M. Jean Burgermeister (EAG). En effet, on l'a dit tout à l'heure, le Conseil d'Etat propose presque systématiquement de ne pas verser l'annuité, qui est due, à la fonction publique. En cela, il s'entête à ne pas respecter ses obligations envers les salariés de l'Etat, car l'annuité est un droit même si le gouvernement et la droite de ce parlement souhaitent très fort en faire une variable d'ajustement. Cette pétition date effectivement un peu, mais que l'on se rassure tout de suite: depuis, la situation est devenue bien pire encore !

Si l'on se penche sur le PFQ 2021-2024, non seulement l'exécutif a maintenu le cap concernant la suspension de l'annuité une année sur deux, mais pire, il s'est attaqué directement à la rémunération de la fonction publique en proposant la baisse des salaires de 1%. Souvenez-vous ! Souvenez-vous, Mesdames et Messieurs, qu'il a ensuite dû piteusement retirer cette mesure face à la mobilisation de la fonction publique et de la population d'une part et à l'opposition quasi unanime de ce parlement d'autre part. Et puis, ce PFQ prévoit en outre une hausse de la part salariale des cotisations LPP, ce qui entraînerait des pertes de salaire net de 2,5% à plus de 3% pour la fonction publique. Voilà le programme du Conseil d'Etat pour la fonction publique.

En réalité, sur les 465 millions d'économies prévus dans le dernier PFQ - celui pour 2021-2024 -, 308 millions reposent uniquement sur les épaules de la fonction publique. Ce sont donc les trois quarts des économies souhaitées par l'exécutif qui reposent sur ses épaules. Dans ce même PFQ, le gouvernement estime par ailleurs à 300 millions les coûts de la RFFA, cette baisse massive de l'impôt sur le bénéfice des entreprises ! Mesdames et Messieurs, que l'on arrête de nous dire que la fonction publique doit se serrer la ceinture pour résorber les déficits; en réalité, on lui demande ici de payer pour les cadeaux fiscaux en or massif que l'on fait aux grandes entreprises et aux plus riches de ce canton.

M. Poggia déclarait tout à l'heure que c'est une insulte pour les salariées et les salariés des HUG que de dire qu'ils travaillent dans des conditions extrêmement difficiles. Eh bien non, Monsieur ! En revanche, baisser le salaire de la fonction publique, du personnel soignant en pleine vague de pandémie, ça, Monsieur le conseiller d'Etat, ça, c'est une insulte pour ces mêmes travailleuses et travailleurs ! (Applaudissements. Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Justifier ces attaques en les traitant de privilégiés, en disant que la fonction publique doit elle aussi faire un effort alors qu'elle est mobilisée tous les jours au front, ça, Monsieur le conseiller d'Etat, ça, c'est une insulte ! On l'a vu, une fois de plus...

Le président. Merci.

M. Jean Burgermeister. ...lors de la présentation, hier...

Le président. Merci, Monsieur Burgermeister.

M. Jean Burgermeister. ...des comptes 2020: les finances de la république permettent à l'Etat de respecter ses obligations salariales ! (Applaudissements.)

Le président. La parole va maintenant à M. le député Alexandre de Senarclens.

M. Alexandre de Senarclens (PLR). Merci, Monsieur le président. C'est toujours difficile d'intervenir après Jean Jaurès, alias M. Baumgartner ! (Rires.)

Le président. Pas de flagorneries, s'il vous plaît !

M. Alexandre de Senarclens. Restons sur le sujet qui nous concerne: il s'agit de déterminer s'il faut garantir les mécanismes salariaux, à savoir les annuités et les indexations. La position du PLR a toujours été très claire à cet égard: il convient de donner les compétences au Conseil d'Etat - compétences que le Conseil d'Etat aurait à utiliser dans un cadre budgétaire clair. Et il aurait à s'interroger s'il convient d'augmenter la masse salariale et le nombre de fonctionnaires ou bien de garantir - et/ou de garantir, d'ailleurs - les mécanismes salariaux.

Trop souvent, ces dernières années, nous avons eu droit à une espèce de ballet de négociations entre le gouvernement, qui de facto était un peu émasculé sur cette question - il savait que le Grand Conseil serait peut-être d'un avis différent du sien -, et le Cartel intersyndical, qui, comme l'exécutif ne voulait pas lui donner tout ce qu'il réclamait, allait à ces négociations pour dire que celui-ci ne l'écoutait pas. Ces négociations stériles sont justement liées au fait que le Conseil d'Etat n'est pas un partenaire de négociations fiable puisqu'il n'a pas cette prérogative et ne peut donc pas négocier correctement.

Même si nous souhaitons que ça devienne de la compétence du gouvernement, le PLR demandera que cette pétition soit déposée sur le bureau du Grand Conseil, parce qu'il faut modifier la loi pour ce faire, ce qui est une attribution du Grand Conseil, et notre parlement devra exercer ses prérogatives. C'est pourquoi nous vous invitons, avec la minorité, à déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil. Je vous remercie, Monsieur le président.

M. Christian Bavarel (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, pour les Verts, il est important de rappeler que l'annuité n'est pas linéaire. Elle n'a pas du tout la même portée lorsque vous êtes en début de carrière ou que vous venez de prendre des responsabilités que lorsque vous êtes en fin de carrière. Le fait de bloquer les mécanismes salariaux est spécialement inégalitaire au sein même de la fonction publique: l'impact sera quasiment nul pour certaines personnes mais très très fort pour d'autres. Vous savez bien que la courbe des salaires à l'Etat part de façon relativement raide en début de carrière; si vous commencez votre carrière à l'Etat, le blocage de l'annuité sera beaucoup plus fort et se reportera sur les années suivantes.

Cette mesure spécialement inéquitable est pratique et souvent assez bien admise, je dirais, par les vieux syndicalistes un peu tranquilles, qui sont en bout de carrière et pour qui ça n'est pas trop gênant. On a donc admis cette mesure à plusieurs reprises plutôt que de défendre les gens qui avaient pris des responsabilités ou ceux qui débutaient leur carrière. C'est la même chose pour les personnes qui ont interrompu leur carrière relativement jeunes, souvent des femmes: lors d'une maternité, elles ont fait une pause et elles sont aussi fortement pénalisées lorsqu'elles reprennent leur carrière.

Les Verts, pour toutes les raisons exposées, vous invitent par conséquent à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Il va simplement falloir qu'on trouve autre chose pour faire des économies, parce que cette mesure est spécialement inéquitable.

M. François Baertschi (MCG). Cette pétition formule une demande qui est sans ambiguïté: l'application des mécanismes salariaux. Cette question occupe très souvent notre parlement et, c'est vrai, nous aurions tout intérêt à mener une réflexion de fond et à demander au gouvernement d'avoir une vision prospective. C'est le but de ce renvoi au Conseil d'Etat, que le MCG défend.

Au MCG, nous pensons qu'il faut une politique cohérente des finances publiques, c'est-à-dire à la fois avoir une bonne gestion et respecter ses engagements, respecter la parole donnée - respecter également les acquis sociaux du privé et du public; cela figure dans notre charte. Nous défendons les acquis des services publics et du secteur privé, qui ne sont absolument pas antinomiques.

Il est bien évidemment nécessaire de trouver des solutions, parce que les budgets qu'il nous faut boucler ne sont pas des budgets faciles, et je pense que nous ne pouvons pas faire l'économie de cette réflexion. C'est cette réflexion que nous demandons au gouvernement de mener de manière réellement constructive, pour essayer véritablement de défendre les intérêts de l'Etat, mais également ceux des employés de l'Etat, qui méritent notre respect et non l'arrogance ou la condescendance dont certains font preuve à leur égard. Sans faire d'excès en aucune manière, en défendant les intérêts bien compris de chacun, nous devons accepter cette pétition, c'est-à-dire la renvoyer au Conseil d'Etat. Merci, Monsieur le président.

Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur le rapporteur de minorité Christo Ivanov, c'est à vous pour une minute quarante.

M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chères et chers collègues, j'aimerais répondre à M. Burgermeister, qui a vraiment un problème avec les mathématiques. Je pense que ça frise le délire ! Il était présent, hier, pour la présentation des comptes et du déficit de 498 millions: la RFFA n'y était que pour 129 millions, au lieu des 180 millions prévus, et non de 300 millions. Il faudrait peut-être changer de paire de lunettes ! (Remarque.) La minorité considère donc - on l'a bien expliqué, et notamment notre collègue Alexandre de Senarclens - qu'il faudra certainement modifier la loi si on veut que le parlement prenne en main la problématique de l'annuité. C'est pourquoi la minorité demande le dépôt sur le bureau du Grand Conseil. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de minorité. La parole va maintenant à Mme la rapporteure de majorité, Caroline Marti.

Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de majorité ad interim. Merci... (Un instant s'écoule.)

Le président. Madame Caroline Marti, à vous la parole.

Mme Caroline Marti. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je voudrais répondre à quelques éléments évoqués dans le cadre de ce débat. D'abord, certains nous indiquent que la pétition serait obsolète; je crois qu'il s'agit de Mme Meissner - vous transmettrez, Monsieur le président. C'est tout sauf le cas ! Si on s'en tient exactement au libellé de la pétition, il n'est effectivement plus question du même PFQ puisque nous en changeons chaque année. Par contre, sur le contenu du PFQ impliqué - 2019-2022 - et ce qui est incriminé par cette pétition, à savoir la suspension quasi systématique de l'annuité par l'exécutif, c'est exactement ce qu'on retrouve dans le PFQ actuellement en vigueur. La problématique est donc particulièrement d'actualité et cette pétition tout sauf obsolète.

Et puis il y a la question du renvoi au Conseil d'Etat: est-ce que la problématique doit être tranchée par le Conseil d'Etat ou par le Grand Conseil ? La suspension de l'annuité est effectivement une compétence du Grand Conseil - je m'en réjouis et nous continuerons à le défendre - puisque c'est un droit inscrit dans la loi et que sa suspension doit par conséquent être votée par notre parlement. Mais, et je l'ai rappelé dans mon intervention initiale, si les collaborateurs et les collaboratrices de l'Etat ont pu bénéficier de certaines annuités au cours des dix dernières années, c'est bien grâce à une majorité favorable au Grand Conseil. Sur les dix dernières années, l'exécutif a en effet proposé de suspendre l'annuité huit fois - huit fois sur dix ! -, entièrement ou en partie. Cette pétition doit donc être renvoyée au Conseil d'Etat de manière à ce que celui-ci modifie sa politique en la matière et arrête d'utiliser quasi systématiquement, quasi chaque année, cette annuité comme une variable d'ajustement budgétaire. Je vous remercie.

Le président. Merci, Madame la rapporteure. La parole n'étant plus demandée, je fais voter l'assemblée sur la proposition de la majorité, c'est-à-dire le renvoi au Conseil d'Etat.

Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission ad hoc sur le personnel de l'Etat (renvoi de la pétition 2055 au Conseil d'Etat) sont adoptées par 49 oui contre 34 non et 2 abstentions. (Commentaires pendant la procédure de vote.)